UN DISCOURS QUI FAIT DES VAGUES
Marcel Kahne
Nous nous sommes fait l’écho, dans un article publié sur idumea en
décembre 2004 (voir "Nous avons
péché contre vous"), du discours prononcé lors d’une réunion patronnée
par un groupe de pasteurs évangéliques appelé Standing Together
Ministries, par Richard Mouw, du Fuller Theological Seminary, au
Tabernacle de Salt Lake City, discours dans lequel il présentait les
excuses du monde protestant pour la façon dont il (certains pour être
exact) avait traité l’Église.
Plusieurs professeurs du Fuller Theological Seminary se sont réunis, ces
dernières années, avec des professeurs de religion de l’université Brigham
Young pour parler de questions de foi et le séminaire a abrité quelques
forums d’érudits pour traiter des croyances et de la doctrine de l’Église.
C’est donc après discussion avec des membres de l’Eglise particulièrement
compétents que M. Mouw s’est exprimé.
Le discours qui, selon Richard Mouw lui-même, « a été bien accueilli parmi
des groupes évangéliques et mormons surpris et généralement contents »
(Standing Together Ministries signale qu’ils ont reçu plus de 400
commandes de DVD ou de CD de la conférence), n’a cependant pas fait le
bonheur de tout le monde. Des articles de protestation ont paru sur des
sites antimormons. Un article de Carrie A. Moore, dans le Deseret Morning
News du 15 janvier, fait le point de la situation et dit entre autres :
« Un… Utahn (habitant de l’Utah), perturbé par le discours de Mouw, Ronald
V. Huggins, professeur adjoint de théologie et d’histoire au Salt Lake
Theological Seminary, a affiché sa réponse personnelle sur un site de
l’Institute for Religious Research,
www.irr.org/mit/authentic-dialogue.html, dans une section intitulée
‘Mormons in Transition’. [L’Institute for Religious Research est un «
ministère » dirigé par Luke Wilson. Il publie un bulletin d’information
trimestriel intitulé Heart and Mind (Le cœur et l’esprit). Il dispose
aussi d’un site internet appelé « Mormons in Transition », où des anciens
membres mécontents de l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers
Jours peuvent donner libre cours à leur colère, mais où aucun membre de
l’Eglise n’est autorisé à réagir par une réponse légitime - Info :
S.H.I.E.L.D.S.)].
« Huggins dit que lui et d’autres membres du personnel enseignant du Salt
Lake Theological Seminary avaient demandé à Mouw, en août 2004, ‘de
renoncer à l’habitude qu’il avait prise dans ses écrits et lors des
manifestations publiques de ces quelques dernières années de déprécier les
efforts chrétiens précédemment faits pour toucher les mormons au nom du
Christ. À notre grand regret, le Dr Mouw a ignoré les préoccupations des
professeurs du SLTS.’
« ‘Les évangéliques présents [au Tabernacle], même certains de ceux qui
étaient sur l’estrade, en ont retiré l’impression très nette qu’ils
étaient visés par les critiques de Mouw’, écrit Huggins.
« Tout en reconnaissant que certains évangéliques ‘ont certainement manqué
de gentillesse envers les mormons et se sont rendus coupables
d’inexactitude dans leur description des croyances mormones’, cette
méthode ‘ne caractérise pas le comportement et les actes de la plupart des
églises et ministères évangéliques, ce qui rend inconvenantes les excuses
faites par Mouw au nom de tous.’
« Huggins dit que certains chrétiens d’Utah ‘ont été surpris et déçus par
la mauvaise foi évidente manifestée par l’Église mormone dans la façon
dont elle a couvert l’événement ; d’autres, moi y compris, s’y attendaient
sur la base de la conviction que, contrairement à ce que croient et
espèrent beaucoup d’évangéliques, l’Église mormone ne semble pas prête
pour, ni ne désire, un dialogue authentique avec les évangéliques. Ce que
l’Église mormone désire à coup sûr, c’est la respectabilité au milieu des
autres églises.’
« Huggins dit que l’Église ‘semble ne s’intéresser à « dialoguer » qu’avec
les évangéliques qui ne possèdent pas une connaissance approfondie de
l’histoire et de la doctrine mormone et qui ont ainsi plus de chances de
prendre pour argent comptant ce que veulent bien leur dire ses préposés
aux relations publiques.’
« Huggins écrit que quinze jours après le discours de Mouw, lui et deux
douzaines de dirigeants chrétiens locaux ont rencontré Greg Johnson,
directeur de Standing Together, pour commenter l’événement et ont exprimé
leur sentiment que les excuses de Mouw ‘étaient malavisées et
inconvenantes ; un nombre important des personnes présentes (une fois de
plus, moi-même inclus) estimaient que c’était tout à fait inconvenant.’
« Pour ce qui est de Standing Together, Huggins écrit que ‘les
évangéliques qui font partie de ce ministère ont établi des rapports
malsains et biaisés avec les apologistes mormons. Il y a plusieurs années,
j’ai trouvé un nom pour cette « stratégie évangélique » : la méthode
Pander/Slander [to pander : se plier à ; to slander : calomnier] : Si vous
voulez vous plier aux exigences des apologistes mormons qui ne sont pas
prêts pour un dialogue réel, le prix en sera que vous serez disposé à
calomnier les frères chrétiens qui vous ont précédé.’
« Le Révérend Johnson a dit au groupe qui était préoccupé par les excuses
de Mouw : ‘Qui se sent morveux, qu’il se mouche.’ ‘Je n’accuserais pas
Mouw d’arrogance ou d’orgueil. A-t-il pleinement mesuré les ramifications
de ce qu’il a dit ? Sans doute que non. Je regrette que ses paroles et ses
exposés aient à ce point détourné l’attention du but de la soirée.’
« Tout en reconnaissant que ses paroles étaient ‘très hardies, c’étaient
ses paroles, pas les miennes. Je n’inviterais pas un dirigeant chrétien de
son gabarit à la chaire en lui demandant de soumettre son discours à mon
évaluation, a dit Johnson. Certains ont dit que j’aurais dû.’
« Malgré la critique, le Révérend Johnson dit qu’il croit que ‘il y a eu
tout un tas de gens qui ont été ravis de cette soirée… Nous recevons
maintenant beaucoup de petits mots de personnes qui l’ont vue et en ont
entendu parler’ et il relève le fait qu’elle a fait l’objet de plusieurs
programmes radio un peu partout dans le pays avec ‘d’excellents échos’. »
Un petit commentaire sur les déclarations du Révérend Huggins nous semble
indiqué étant donné que son attitude est caractéristique de celle des
antimormons et qu’elle rend tout dialogue impossible.
1. Lorsque les antimormons (généralement des protestants fondamentalistes)
haranguent publiquement les saints qui se rendent à la conférence générale
ou à d’autres manifestations ou se tiennent sur l’esplanade en face du
temple et insultent les jeunes mariées qui sortent du temple ou se
conduisent aussi scandaleusement que les « prédicateurs de rue » (voir
"Curieux chrétiens"), M.
Huggins, qui se dit chrétien, n’élève pas la voix pour protester contre
ces pratiques indignes de gens qui se disent disciples du Christ et
éclaboussent inévitablement les confessions évangéliques plus modérées.
Par contre, qu’un de ses éminents collègues ait la décence de présenter
des excuses aux mormons, et le voilà en pleine ébullition.
2. Lorsque les mormons se disent ravis d’entendre, pour une fois, un
évangélique reconnaître l’évidence, il les accuse de mauvaise foi. Comme
si les membres de l’Église qui, depuis plus d’un siècle et demi, sont
victimes de harcèlement de la part de calomniateurs n’avaient pas le droit
de se réjouir en une occasion pareille !
3. Si les antimormons peuvent donner libre cours à leur férocité sans que
le Révérend Huggins lève le petit doigt, celui-ci se déchaîne une fois
qu’un de ses collègues décide d’agir comme quelqu’un de chrétien et de
correct : pression sur M. Mouw dès le mois d’août pour qu’il cesse de
sympathiser avec les mormons. Quinze jours après le discours de Mouw,
arrivée en force (au moins 24 personnes) chez le directeur de Standing
Together pour protester. Celui-ci aurait dû censurer (liberté d'expression,
oui, mais pour qui?) le discours de Mouw.
4. Le Révérend Huggins estime que les « apologistes » mormons ne sont pas
prêts pour un véritable dialogue avec les évangéliques. On peut se
demander si les évangéliques auxquels Huggins fait allusion sont prêts,
quant à eux, à « dialoguer » avec les mormons. Quel dialogue peut-il y
avoir entre des gens qui se considèrent comme des savants et des mormons
qu’ils qualifient d’apologistes (c’est-à-dire de gens qui défendent leur
religion mais ne sont pas compétents [1]) ? Quel dialogue peut-il y avoir
entre des gens qui prétendent avoir « une connaissance approfondie de
l’histoire et de la doctrine mormone » alors qu’elle est fondée sur les
écrits d’ennemis jurés de l’Eglise ? Quel dialogue peut-il y avoir entre
des gens qui refusent aux mormons le droit à la respectabilité et même au
titre de chrétiens et les mormons ? Quel dialogue peut-il y avoir entre
les mormons et quelqu'un qui considère que les « préposés aux relations
publiques » de l'Eglise trompent les gens (Mouw ne tient pas ses
informations des relations publiques mais de professeurs de BYU) ? Quel
dialogue réel peut-il y avoir entre les mormons et quelqu’un comme Huggins
qui considère que « Si vous voulez vous plier aux exigences des
apologistes mormons qui ne sont pas prêts pour un dialogue réel, le prix
en sera que vous serez disposé à calomnier les frères chrétiens qui vous
ont précédé », ce qui veut dire qu’il ne serait pas question, dans un
débat avec les mormons, de céder le moindre pouce de terrain pour ne pas
désavouer « les frères chrétiens qui … ont précédé (les antimormons
d’aujourd’hui) » ? Un dialogue véritable présuppose l’absence d’idées
toutes faites auxquelles on ne veut pas toucher. Dans un article intitulé
« L’univers des antimormons », nous
écrivions :
« Y aura-t-il jamais un dialogue véritable entre les mormons et ceux en
dehors de l’Église qui se revendiquent du Christ ?
« Une première expérience a eu lieu en 1997, lorsque le protestant Craig
L. Blomberg et le mormon Stephen E. Robinson ont entrepris ce dialogue, un
dialogue honnête et courtois, avec un véritable désir d’écoute réciproque.
De cette expérience a découlé un livre intitulé How Wide the Divide ? A
Mormon and an Evangelical in Conversation. Les mormons étaient ravis.
Les antimormons, furieux, comme en ont témoigné les commentaires sur
Internet, les critiques hostiles, les programmes radio invitant à ne pas
lire le livre et le fait que plusieurs librairies fondamentalistes
protestantes ont refusé de le mettre en rayon. On peut avoir une idée des
sentiments qui animent ces gens quand on lit ce commentaire d’un
antimormon écrivant dans la revue antimormone The Evangel, à propos
d’un de ces libraires : « Le gérant de notre librairie chrétienne locale –
Dieu le bénisse – a dit qu’il préférerait encore vendre Mein Kampf ! » Par
contre, le contenu de FARMS Review of Books, vol. 11, n° 2, 1999, est un
modèle de ce que l’on voudrait voir se passer. La revue donne la parole
aux protestants Paul L. Owen et Carl A. Mosser, qui exposent en 102 pages
leur critique du livre de Blomberg et Robinson, les mormons Blake T.
Ostler, puis William J. Hamblin et Daniel C. Peterson font la critique du
même livre et enfin les mormons David L. Paulsen et Daniel C. Peterson
répondent à Owen et Mosser, le tout dans un esprit de dialogue véritable.
»
Quelle conception du dialogue véritable le Révérend Huggins a-t-il ? Nous
n’en savons rien, mais ce qui est sûr, c’est que ni lui ni ceux qui
pensent comme lui n’est prêt à dialoguer avec les mormons.
NOTE
[1] Voir à ce sujet l’article très lucide des protestants Mosser et Owen,
« Savoir mormon, apologétique et négligence
évangélique - Perdons-nous la bataille sans le savoir ? »
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