CHAPITRE 7 : CAUSES
INTERIEURES (SUITE)
1. La première des causes précises de désordre au sein de l'Eglise qui
contribua à son apostasie est la suivante et nous l'avons citée : « La
corruption des principes simples de l’Evangile par l'adjonction des
prétendus systèmes philosophiques de l'époque. »
2. La tentative de greffe de doctrines étrangères sur la vraie vigne de
l'Evangile du Christ fut caractéristique des premières années de la
période apostolique. Les Ecritures nous parlent du sorcier Simon qui
prétendait croire et qui entra dans l'Eglise par le baptême, mais qui
était tellement dépourvu du véritable esprit de l'Evangile qu'il chercha à
acheter avec de l'argent l'autorité et le pouvoir de la prêtrise[1]. Cet
homme, bien que réprimandé par Pierre et apparemment pénitent, continua à
troubler l'Eglise en inculquant des hérésies et en gagnant des disciples
du bercail. Ses disciples se distinguèrent sous forme de secte ou de culte
jusqu'au quatrième siècle ; et Eusèbe écrivit alors à propos d'eux : « A
la manière de leur ancêtre, ils s'insinuent dans l'Eglise comme une peste
et comme une gale et ils causent les plus grands dommages à ceux en qui
ils sont capables d'infuser le poison caché en eux, difficile à guérir et
violent[2]. » Ce Simon, connu dans l'histoire comme Simon le magicien, est
cité par les premiers auteurs chrétiens comme le fondateur de l'hérésie à
cause de ses tentatives continues de combiner le christianisme avec le
gnosticisme. C'est par allusion à sa proposition d'acheter l'autorité
spirituelle que tout commerce d'offices spirituels en est venu à s'appeler
simonie.
3. Par les paroles du Révélateur, le Seigneur réprimanda certaines des
Eglises ayant adopté ou toléré des doctrines et des pratiques étrangères à
l'Evangile. C'est notamment le cas pour ce qui concerne les Nicolaïtes et
ceux qui suivaient la doctrine de Balaam[3].
4. La perversion de la vraie religion qui se développa ainsi au sein de
l'Eglise peut remonter à l'introduction de faux raisonnements judaïques et
païens[4]. En vérité, à l'ouverture de l'ère chrétienne pour les siècles
futurs, le judaïsme était plus ou moins intimement mêlé à la philosophie
païenne et contaminé par des cérémonies païennes. Il y avait de nombreux
sectes et partis, cultes et écoles, chacun plaidant en faveur de théories
rivales quant à la constitution de l'âme, de l'essence du péché, de la
nature de la Divinité et d'une multitude d'autres mystères. Les chrétiens
eurent tôt fait d'avoir l'esprit confus par d'interminables controverses
entre eux.
5. Les Juifs convertis au christianisme cherchaient à modifier et à
adapter les principes de la nouvelle foi de manière à harmoniser ces
derniers avec leur amour inné du judaïsme, et le résultat fut destructeur
pour les deux. Notre Seigneur avait montré la futilité de toute tentative
de combiner de nouveaux principes avec de vieux systèmes ou de rapiécer
les préjugés du passé avec des fragments de nouvelle doctrine. « Personne
ne met une pièce de drap neuf à un vieil habit ; car elle emporterait une
partie de l'habit, et la déchirure serait pire. On ne met pas non plus du
vin nouveau dans de vieilles outres ; autrement, les outres se rompent, le
vin se répand, et les outres sont perdues ; mais on met le vin nouveau
dans des outres neuves, et le vin et les outres se conservent[5]. »
L'Evangile vint comme une nouvelle révélation, marquant l'accomplissement
de la loi ; ce n'était pas un simple additif, ni un simple rétablissement
de commandements passés ; il représentait une alliance nouvelle et
éternelle. Les tentatives de repriser le vêtement du judaïsme avec la
nouvelle étoffe de l'Evangile ne pouvaient avoir pour résultat rien de
plus visible qu'une déchirure hideuse. Le nouveau vin de l'alliance ne
pouvait pas être mis dans l'outre usée par le temps des libations
mosaïques. Le judaïsme se trouvait déprécié et le christianisme perverti
par cette association disparate.
6. Parmi les premiers changements les plus pernicieux de la doctrine
chrétienne se trouve l'introduction des enseignements des gnostiques. Ces
prétendus philosophes avançaient prétentieusement qu'ils pouvaient amener
l'esprit humain à comprendre tout à fait l'Etre Suprême et à connaître la
vraie relation entre la Divinité et les mortels. Ils disaient en substance
qu'un certain être avait existé de toute éternité, manifesté par une
lumière radieuse diffusée dans tout l'espace qu'ils appelaient Plerome. «
La nature éternelle, infiniment parfaite et infiniment heureuse, étant
demeurée de toute éternité dans une profonde solitude et dans une
tranquillité bénie, produisit finalement d'elle-même, deux esprits de
sexes différents, qui ressemblaient à leur procréateur suprême d'une
manière tout à fait parfaite. De l'union féconde de ces deux êtres
naquirent d'autres qui furent aussi suivis-, par les générations suivantes
; de sorte que dans la suite des temps, une famille céleste fut formée
dans le Plerome. Cette lignée divine, de nature immuable et transcendant
le pouvoir de la mortalité, fut appelée par les philosophes éon, terme qui
signifie, en grec, éternité. Le nombre de ces éons était un sujet très
controversé parmi les sages orientaux[6]. »
7. Puis l'un des éons, que l'on distingue sous le nom de Démiurge, créa ce
monde et s'arrogea la souveraineté sur lui, niant l'autorité absolue du
procréateur suprême. La doctrine gnostique déclare que l'homme est la
réunion d'un corps qui, étant la création du Démiurge, est essentiellement
mauvais et d'un esprit qui, dérivé de la Divinité, a la caractéristique
d'être bon. Les esprits ainsi emprisonnés dans des corps mauvais seront
finalement libérés, puis le pouvoir du Démiurge cessera et la terre sera
dissoute dans le néant.
8. Ce qui justifie que nous insérions ici ce résumé partiel du gnosticisme
est le fait que des efforts furent faits au début pour accommoder les
principes de ce système aux exigences du christianisme ; et que le Christ
et le Saint-Esprit furent déclarés appartenir à la famille des éons prévue
dans ce plan. Cela conduisit à l'extravagante absurdité qui consistait à
nier que Jésus avait un corps même pendant sa vie d'homme ; et que son
apparence d'être physique était une illusion des sens produite par son
pouvoir surnaturel [7].
9. A en juger par les nombreux cultes et partis qui surgirent et
subdivisèrent la principale secte, il est évident que les doctrines des
gnostiques n'étaient pas satisfaisantes, même pour ceux qui prétendaient y
croire ; et il est intéressant de remarquer que dans les temps modernes
certains libres penseurs se sont targués d'endosser un titre exprimant
l'antithèse complète de l'appellation gnostique, c'est-à-dire agnostiques.
10. L'effet pratique des principes du gnosticisme dans la vie de ses
adeptes est étrangement varié. Une partie de la secte mena une vie
d'austérité, embrassant une abnégation stricte et la torture physique,
croyant vainement que le corps mauvais pourrait ainsi être dominé tandis
que l'esprit recevrait un pouvoir et une liberté accrus. Un autre culte
cherchait à minimiser la différence fondamentale entre le bien et le mal
en niant l'élément de moralité dans la vie humaine ; ces personnes
s'abandonnèrent sans frein aux impulsions des passions et aux caprices de
la nature physique, partant du principe qu'il n'existait pas de relation
entre le corps et l'âme qui ferait tort à cette dernière si l'on se
livrait aux excès physiques.
11. Une autre secte ou école dont les doctrines furent amalgamées dans une
certaine mesure à celles du christianisme fut celle des néo-platoniciens.
Les anciennes sectes des partisans de Platon ou platoniciens étaient
associées pour certains points de doctrine avec les épicuriens et étaient
les rivales sinon les ennemies des stoïciens. Les premiers platoniciens
disaient que la matière inorganisée existait depuis toute éternité et que
son organisateur, Dieu, est également éternel. De même que Dieu est
éternel, de même sa volonté ou son intelligence est sans commencement et
cette intelligence éternelle existant comme volonté ou intention de la
Divinité fut appelée Logos. Des préceptes de ce genre avaient été
enseignés longtemps avant l'ère chrétienne et la philosophie professée par
certaines des sectes rivales parmi les Juifs au temps du Christ avaient
été influencées de la sorte.
12. Quand les principes du christianisme furent connus généralement,
certains dirigeants de la secte des platoniciens trouvèrent dans la
nouvelle doctrine beaucoup de choses à étudier et à admirer. A cette
époque, cependant, le platonisme lui-même avait subi beaucoup de
changements, et les adeptes les plus libéraux avaient formé une nouvelle
organisation et se distinguaient par l'appellation de néo-platoniciens.
Ces derniers professèrent trouver en Jésus-Christ l'incarnation du Logos
et acceptèrent avidement la déclaration de Jean : « Au commencement était
la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu ... Et la
Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous[8]. » Selon la
philosophie éclectique ou le néo-platonisme, la « Parole » dont il est
question dans Jean était le « Logos » décrit par Platon.
13. La conception platonicienne de Dieu, formé de la divinité et du Logos,
fut élargie en accord avec les principes chrétiens pour comprendre trois
membres, le Saint-Esprit étant le troisième. C'est à ce propos que surgit
une dissension amère et durable quant aux pouvoirs relatifs de chaque
membre de la Trinité, particulièrement la position et l'autorité du Logos
ou du Fils. Les nombreuses querelles qui découlèrent du mélange de la
théorie platonicienne à la doctrine chrétienne se poursuivirent tout au
long des siècles et, dans un sens, on peut dire qu'elles troublent
l'esprit des hommes même à cette époque moderne.
14. Il est totalement hors de question pour nous de classer ou de décrire
les résultats hybrides de l'union contre nature de la philosophie païenne
et de la vérité chrétienne ; et nous ne tenterons pas de suivre en détail
les dissensions et les querelles sur des points théologiques et sur des
questions de doctrine.
Notre objectif est atteint quand, par la déclaration des faits et des
citations d'autorité, la réalité de l'apostasie est établie. Nous
considérerons donc uniquement les disputes les plus importantes qui
troublèrent l'Eglise[9].
15. Vers le milieu du troisième siècle, Sibellius, prêtre ou évêque de
l'Eglise d'Afrique, plaida énergiquement en faveur de la doctrine de la «
trinité dans l'unité » caractérisant la Divinité. Il prétendait que la
nature divine du Christ n'était pas un attribut distinct ou personnel de
l'homme Jésus, mais rien qu'une portion de l'énergie divine, une émanation
du Père avec laquelle le Fils était une partie du Père divin. Ces points
de vue furent tout aussi vigoureusement attaqués par certains que défendus
par d'autres, et le désaccord fut mûr quand Constantin changea si
soudainement le statut de l'Eglise et apporta le pouvoir de l'Etat pour la
soutenir. Au début du quatrième siècle, la dispute prit un tour menaçant à
l'occasion d'un violent affrontement entre Alexandre, évêque d'Alexandrie,
et Arius, l'un des officiers subalternes de la même Eglise. Alexandre
proclama que le Fils était à tous égards l'égal du Père et aussi de la
même substance ou essence. Arius insista sur le fait que le Fils avait été
créé par le Père et qu'il ne pouvait donc pas être coéternel avec son Père
divin ; que le Fils fut l'agent par lequel la volonté du Père s'exécutait
et que, pour cette raison aussi, le Fils était inférieur au Père tant en
nature qu'en dignité. De même, le Saint-Esprit était inférieur aux autres
membres de la Divinité.
16. L'arianisme, nom que
prit cette doctrine, fut prêché avec vigueur et dénoncé avec énergie ; et
la dissension ainsi occasionnée menaça de déchirer l'Eglise jusqu'à ses
fondements. Enfin, l'empereur Constantin fut forcé d'intervenir dans un
effort pour établir la paix parmi ses hommes d'Eglise qui s'affrontaient.
Il convoqua un concile de dignitaires de l'Eglise qui s'assemblèrent au
cours de l'année 325 et qui est connu d'après le lieu où il se réunit
comme le concile de Nicée. Ce concile condamna la doctrine d'Arius et
prononça une sentence d'exil contre son auteur. Ce que l'on définit comme
la doctrine orthodoxe de l'Eglise universelle ou catholique concernant la
Divinité fut promulgué comme suit :
17. « Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, créateur des
choses visibles et invisibles ; et en un Seigneur Jésus-Christ, Fils de
Dieu, seul engendré du Père, c'est-à-dire de la substance du Père, Dieu de
Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré, non créé, de
la même substance que le Père, par qui tout a été créé dans le ciel et sur
la terre ; qui est descendu du ciel pour nous et pour notre salut, s'est
incarné, s'est fait homme, a souffert, est ressuscité le troisième jour,
est monté aux cieux, et il viendra juger les vivants et les morts. Et au
Saint-Esprit. Ceux qui disent : Il y a eu un temps où il (le Fils) n'était
pas, et il n'était pas avant d'avoir été engendré, il est né du néant (il
a été créé), ou qui soutiennent qu'il est d'une autre hypostase, ou d'une
autre substance (que le Père), ou que le Fils de Dieu est créé, qu'il
n'est pas immuable, soumis au changement, l'Eglise catholique les
anathématise. »
18. C'est la version généralement acceptée du credo de Nicée telle qu'elle
fut promulguée à l'origine. Elle changea quelque peu de forme bien qu'elle
demeurât pratiquement sans changement quant au fond, par le concile tenu à
Constantinople un demi-siècle après. Ce que l'on considère comme une
nouvelle formulation du credo de Nicée a été attribué à Athanase, l'un des
premiers opposants de l'arianisme bien que son droit d'être considéré
comme auteur soit mis en doute par beaucoup et nié avec insistance par
certaines autorités en matière d'histoire ecclésiastique. Néanmoins, la
déclaration dont il est question a trouvé place dans les textes sous le
nom de « credo d'Athanase », et, justement ou injustement appelée, elle
demeure la déclaration de foi de certaines sectes chrétiennes de nos
jours. Elle est présente dans le rituel prescrit de l'Eglise d'Angleterre.
Le « credo d'Athanase » est le suivant :
19. « ... Nous adorions un Dieu dans la Trinité, et la Trinité dans
l'Unité. Sans confondre les Personnes, ou diviser l'Essence. Car autre est
la Personne du Père : autre celle du Fils : autre celle du Saint-Esprit.
Mais la divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit n'est qu'une : leur
Gloire est égale, et leur Majesté coéternelle. Tel qu'est le Père, tel est
le Fils, et tel est le Saint-Esprit. Le Père non créé ; le Fils non créé ;
et le Saint-Esprit non créé. Le Père incompréhensible ; le Fils
incompréhensible ; et le Saint-Esprit incompréhensible. Le Père éternel ;
le Fils éternel ; et le Saint-Esprit éternel. Toutefois ils ne sont point
trois éternels, mais un éternel. Comme aussi il n'y a point trois
incompréhensibles, ni trois non créés ; mais un non créé, et un
incompréhensible. Ainsi aussi le Père est tout-puissant, le Fils
tout-puissant et le Saint-Esprit tout-puissant. Et cependant ils ne sont
point trois Tout-puissants, mais un Tout-puissant. De même le Père est
Dieu ; le Fils est Dieu ; et le Saint-Esprit est Dieu. Et cependant ils ne
sont point trois Dieux, mais un Dieu. »
20. Le concile de Nicée est connu dans l'histoire ecclésiastique comme
l'un des rassemblements les plus célèbres et les plus importants sous
forme de corps officiel chargé de l'administration de l'Eglise. Non
seulement, la dispute d'Arius fut réglée, pour autant qu'un décret
ecclésiastique pût régler une question affectant tellement la conscience
individuelle, mais beaucoup d'autres points de controverse furent apaisés
de la même manière pour le moment. C'est ainsi que la longue querelle liée
à la date de la célébration de Pâques fut réglée par vote comme ce fut le
cas aussi pour la question soulevée par Novatien et ses disciples quant à
la justification de la réadmission des apostats repentants dans l'Eglise ;
et le schisme causé par Mélétius, évêque d'Afrique du Nord, qui avait
refusé de reconnaître l'autorité supérieure de l'évêque d'Alexandrie. A en
juger par le nombre et la diversité des questions amenées devant le
concile de Nicée pour qu'elles soient tranchées, nous pouvons conclure
sans danger que l'Eglise récemment intronisée ne se caractérisait pas par
l'unité d'objectif ni par l'harmonie d'action. Cependant, comparées avec
les querelles amères qui suivirent, les dissensions du règne de Constantin
n'étaient que les débuts de l'agitation.
21. L'effet moral du puissant esprit d'apostasie ayant cours dans les
trois premiers siècles de l'existence de l'Eglise et entretenu par les
contributions de la philosophie païenne s'avéra, comme on ne pouvait
l'éviter, très nuisible et mauvais. Il devient de notre devoir de
considérer certains des plus pernicieux de ces effets.
22. Vision pervertie de la vie. L'une des hérésies du début et qui se
développa rapidement dans l'Eglise fut la doctrine de l'antagonisme entre
le corps et l'esprit selon laquelle le premier était considéré comme un
fardeau et comme une malédiction. D'après ce que l'on a dit, on
reconnaîtra en cela l'une des perversions dérivées de l'alliance du
gnosticisme avec le christianisme. Un des résultats de cette greffe des
doctrines païennes fut une croissance abondante de vie anachorétique par
laquelle les hommes cherchaient à affaiblir, torturer et subordonner leur
corps pour que leur esprit ou « âme » puisse acquérir plus de liberté.
Beaucoup de ceux qui adoptèrent cette vision artificielle de l'existence
humaine se retirèrent dans le désert pour être seuls et passèrent leur
temps à d'austères pratiques d'abnégation et à des actes de torture
personnelle frénétique. D'autres s'enfermèrent comme prisonniers
volontaires, cherchant la gloire dans la privation et dans la pénitence
qu'ils s'imposaient à eux-mêmes. Ce fut cette vision artificielle de la
vie qui donna naissance aux différents ordres de reclus, d'ermites et de
moines.
23. Ne pensez-vous pas que le Christ ait eu ces pratiques à l'esprit
quand, avertissant les disciples des fausses prétentions à la sainteté qui
caractériseraient les temps qui devaient bientôt suivre, il dit : « Si
donc on vous dit : Voici, il est dans le désert, n'y allez pas ; voici, il
est dans les chambres, ne le croyez pas[10]. »
24. Quand l'Eglise trouva la faveur de l'Etat sous Constantin au cours du
quatrième siècle, beaucoup d'ordres de reclus virent le jour. « Ils
maintenaient que la communion avec Dieu devait être recherchée par la
mortification des sens, en éloignant son esprit de tous les objets
extérieurs, par la macération du corps par la faim et le travail, et par
une sorte d'indolence sacrée qui confinait toutes les activités de l'âme à
une contemplation paresseuse des choses spirituelles et externes. »
Mosheim, l'auteur que l'on vient de citer, poursuit : « L'Eglise
chrétienne n'aurait jamais été disgraciée par cet enthousiasme cruel et
asocial, ni n'aurait été soumise à ces vifs tourments de l'esprit et du
corps auxquels elle donna lieu, si de nombreux chrétiens ne s'étaient pas
laissés prendre imprudemment par l'apparence trompeuse et la résonance
pompeuse de cette maxime de la philosophie antique : « A savoir, que pour
atteindre la vraie félicité et la vraie communion avec Dieu, l'âme devait
nécessairement être séparée du corps, même ici-bas ; et que le corps
devait être macéré et mortifié dans ce but[11]. »
25. Le fruit de cette mauvaise semence fut le développement de nombreux
ordres de moines et l'entretien de monastères. Le célibat fut enseigné
comme vertu et réussit à devenir une caractéristique du clergé, comme
c'est le cas dans l'Eglise catholique romaine à l'heure actuelle. Un
clergé vivant le célibat, privé des influences édifiantes de la vie au
foyer, tomba dans de nombreux excès, et la corruption des prêtres a été un
sujet de reproche tout au long des siècles. « L'Eternel Dieu dit : il
n'est pas bon que l'homme soit seul ; je lui ferai une aide semblable à
lui » [11], et encore : « C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa
mère, et s'attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair[12]. »
Son apôtre inspiré déclara : « Toutefois, dans le Seigneur, la femme n'est
point sans l'homme, ni l'homme sans la femme[13]. » Cependant, une Eglise
apostate décrète qu'il sera interdit à ses ministres de suivre la loi de
Dieu.
26. Peu de cas fait de la vérité. Dès le quatrième siècle, certaines
doctrines pernicieuses trahissant le peu d'égards pour la vérité eut cours
dans l'Eglise. C'est ainsi qu'on enseigna « que c'était un acte de vertu
de tromper et de mentir quand on arrangeait ainsi les intérêts de l'Eglise
»[14]. Inutile de dire que des péchés autres que ceux de la tromperie
étaient justifiés quand ils étaient commis prétendument dans l'intérêt de
la progression de l'Eglise, et on se livra au crime sous le fallacieux
prétexte que la fin justifie les moyens. Beaucoup des fables et des
histoires inventées en relation avec la vie du Christ et des apôtres,
comme aussi les récits contrefaits de visites surnaturelles et de miracles
merveilleux qui abondent dans la littérature des premiers siècles, sont
dues à cette doctrine honteuse que les mensonges sont acceptables aux yeux
de Dieu, s'ils sont perpétrés dans une cause que l'homme appelle
bonne[15].
* * * * * * *
[1] Voir Actes 8 :9,13,18-24.
[2] Eusèbe, Histoire ecclésiastique, livre 2, chap. 1.
[3] Voir Apocalypse 2 :15 ; comparer avec le verset 6 ; voir aussi le
verset 20. Voir note 1 à la fin du chapitre.
[4] Voir note 2 à la fin du chapitre.
[5] Matthieu 9 :16-17.
[6] Mosheim, Eccl. History, Cent. 1, Part. 11, 1 :7.
[7] Voir note 3 à la fin du chapitre.
[8] Jean 1 : 1, 14.
[9] Voir note 4 à la fin du chapitre.
[10] Matthieu 24 :26.
[11] Mosheim, Eccl. History, Cent. IV, Part. 11, chap. 3 :12,13. 1. Genèse
2 :18.
[12] Verset 24.
[13] 1 Corinthiens 11 : 11. Comparer avec 1 Timothée 4 :3.
[14] Mosheim, Eccl. History, Cent. IV, Part. 11, chap. 3 :16.
[15] Voir note 5 à la fin du chapitre.
NOTES
1. Les Nicolaïtes. Cette secte est mentionnée explicitement dans le
message divin dans lequel Jean reçut le commandement d'écrire aux Eglises
d'Asie (Apocalypse 2 :6, 15) ; et la référence prouve l'aversion que le
Seigneur avait pour les enseignements et les pratiques de ce culte. La
tentative de corrompre le christianisme en introduisant des cérémonies
nicolaïtes fut un danger réel qui menaça l'Eglise. L'extrait suivant du
dictionnaire biblique de Smith est instructif : « La secte elle-même se
présente à nous comme trahissant la phase ultime d'une grande controverse
qui menaça une fois de détruire l'unité de l'Eglise, et après de ternir sa
pureté. La controverse elle-même fut inévitable dès que les Gentils furent
admis en grand nombre dans l'Eglise du Christ. Les nouveaux convertis
devaient-ils être amenés à se soumettre à toute la loi mosaïque? Les
apôtres et les anciens de Jérusalem firent face à la question avec calme
et sagesse. Le fardeau de la loi ne devait pas être imposé aux disciples
Gentils. Ils devaient s'abstenir, entre autres choses de « viandes
sacrifiées aux idoles » et de d'impudicité » (Actes 15 :20, 29) et ce
décret fut accueilli comme la grande charte de la liberté de l'Eglise.
Bien que le lien étroit des commandements moraux positifs puisse nous
sembler étrange, ce n'était pas le cas au synode de Jérusalem. Les deux
péchés étaient très intimement liés, souvent même dans la plus grande
proximité de temps et de place. Les messages aux Eglises d'Asie et les
dernières épîtres des apôtres (2 Pierre et Jude) indiquent que ces deux
maux apparaissaient à cette époque fortement unis. Les instructeurs de
l'Eglise les appelaient d'un nom qui exprimait leur vrai caractère. Les
hommes qui faisaient et enseignaient ces choses étaient des disciples de
Balaam (2 Pierre 2 : 15 ; Jude 11). Comme le faux prophète de Pethor, ils
alliaient les belles paroles aux mauvaises actions. Dans un temps de
persécution où le fait de manger ou de ne pas manger des choses sacrifiées
aux idoles était plus que jamais un test crucial de fidélité, ils
persuadèrent les hommes que c'était une chose indifférente (Apocalypse 2
:13-14). C'était suffisamment mal, mais il y avait encore pire. Se mêlant
aux orgies des fêtes idolâtres, ils apportaient les orgies de ces fêtes
dans les réunions de l'Eglise chrétienne. Et tout cela se faisait, ne
l'oublions pas, non seulement pour céder à son appétit, mais dans le cadre
d'un système soutenu par une « doctrine », accompagnée d'une prétendue
illumination prophétique (2 Pierre 2 : 1). »
2. Imitation des mystères païens et résultat. Le culte de Dieu par les
premiers chrétiens fut critiqué et ridiculisé à cause de sa simplicité et
de l'absence de cérémonies mystiques. Il est vrai que le zèle des
persécuteurs rendit bientôt nécessaire un secret prudent dans le service
religieux et dans les assemblées de culte mais, à l'exception de ces
besoins, il y eut un effort volontaire pour feindre un secret injustifié.
Gibbon fait les remarques suivantes à ce propos : « Les précautions avec
lesquelles les disciples du Christ accomplissaient les offices de la
religion étaient d'abord dictées par la crainte et la nécessité ; mais
c'est librement qu'on les poursuivit. En imitant le terrible secret des
mystères d'Eleusis, les chrétiens s'étaient flattés de penser qu'ils
rendraient leurs institutions sacrées plus respectables aux yeux du monde
païen. Mais les faits, comme cela arrive souvent pour les actes de fine
politique, déçurent leurs souhaits et leurs espérances. On conclut qu'ils
ne faisaient que cacher ce qu'ils auraient rougi de montrer. Leur prudence
mal placée donna une occasion à la malveillance d'inventer et à la
crédulité soupçonneuse de croire les histoires horribles qui décrivaient
les chrétiens comme les êtres humains les plus méchants qui, dans leurs
sombres retraites, pratiquaient toutes les abominations qu'une imagination
dépravée pût proposer et qui sollicitaient les faveurs de leur Dieu
inconnu par le sacrifice de toute vertu morale. Il y en eut beaucoup qui
prétendirent confesser ou raconter les cérémonies de cette société
abhorrée » (Gibbon, Decline and Fall qf the Roman Empire, chapitre 16).
3. Ebionites et gnostiques. « Outre le dessein général de fixer sur une
base perpétuelle les honneurs divins du Christ, les auteurs
ecclésiastiques les plus anciens et les plus respectables ont attribué au
théologien évangéliste (saint Jean) l'intention particulière de réfuter
deux hérésies opposées qui troublaient la paix de l’Eglise primitive. 1)
La foi des ébionites, peut-être des Nazaréens, était grossière et
imparfaite. Ils révéraient Jésus comme le plus grand des prophètes, doté
de vertu et de pouvoir surnaturel. Ils attribuaient à sa personne et à son
futur règne toutes les prédications des oracles hébreux qui avaient trait
au royaume spirituel et éternel du Messie promis. Certains d'entre eux
pouvaient confesser qu'il était né d'une vierge ; mais ils rejetaient
obstinément l'existence précédente et les perfections divines du Logos, ou
Fils de Dieu, qui sont si clairement définies dans l'évangile de Saint
Jean ... 2) Les gnostiques qui se distinguaient par l'appellation de
docètes, tendaient vers l'extrême inverse et trahissaient la nature
humaine du Christ en soutenant sa nature divine. Elevés dans l'école de
Platon, accoutumés à la sublime idée du Logos, ils concevaient facilement
que l'éon le plus brillant ou l'émanation de la Divinité pouvait assumer
la forme externe et l'apparence visible d'un mortel ; mais ils
prétendaient vainement que les imperfections de matière sont incompatibles
avec la pureté d'une substance céleste. Tandis que le sang du Christ
tachait encore le mont du Calvaire, les docètes inventaient l'hypothèse
impie et extravagante que, au lieu d'être né de la Vierge, il était
descendu sur les rives du Jourdain sous la forme d'un être humain parfait
; qu'il avait trompé les sens de ses ennemis et de ses disciples et que
les ministres de Pilate avaient déchaîné leur rage impuissante sur un
fantôme immatériel qui parut expirer sur la croix et, après trois jours,
ressusciter des morts » (Gibbon, Decline and Fall of the Roman Empire,
chapitre 21).
4. Adjonction de doctrines païennes au christianisme. Les déclarations
suivantes faites par des auteurs modernes quant à l'effet de la «
philosophie » païenne sur l'Eglise sont dignes d'attention. Résumant les
conditions qui prévalent dans la deuxième partie du deuxième siècle,
Milner a dit : « Jusqu'à présent, nous n'avons pas eu de mal à découvrir,
dans les docteurs et les auteurs du christianisme, la doctrine essentielle
du Christ. Nous percevrons maintenant que l'on commence à moins s'occuper
des vérités les plus précieuses de l'Evangile et qu'on commence à moins
les mettre en vue. Même Justin, le martyr, avant la période de corruption
éclectique, par son amour pour Platon, changea l'Evangile à un certain
point comme nous l'avons observé particulièrement dans l'article du libre
arbitre. Tatien, son élève, alla plus loin et mérita le nom d'hérétique.
Il traita largement des mérites de la continence et de la chasteté ; et
ces vertus, poussées à des excès extravagants au nom de la pureté
supérieure, devinrent de grands facteurs de pharisaïsme et de
superstition, brouillèrent les notions de la foi en Christ et assombrirent
toute l'apparence du christianisme. Sous l'influence d'Ammon et de ses
disciples, cette sainteté fictive déguisée sous les apparences d'une
élévation sacrée prit la forme d'un système ; et elle commença bientôt à
être à l'origine des maux les pires ... La mise en garde de Saint Paul
contre la philosophie et la vaine tromperie n'étaient pas, semble-t-il,
fatalement négligée par les chrétiens. La fausse humilité, des promesses
de culte », les raffinements étranges et orgueilleux, l'austérité physique
mêlée de prétentions pharisaïques élevées, l'ignorance du Christ et de la
vraie vie de foi en lui, tristement remplacées par des cérémonies et des
superstitions, toutes ces choses sont divinement décrites dans le deuxième
chapitre aux Colossiens ; et, pour autant que les mots puissent le faire,
on y décrit et soutient puissamment la vraie défense contre ces choses »
(Milner, Church History, Cent. 2, chap. 9). Les schismes et les commotions
qui virent le jour dans l'Eglise à la suite d'un mélange de la philosophie
orientale et égyptienne à la religion chrétienne connurent un
développement, au deuxième siècle, à cause des philosophes grecs qui
embrassèrent la doctrine du Christ. La doctrine chrétienne, concernant le
Père, le fils et le Saint-Esprit et les deux natures réunies dans notre
saint Sauveur n'étant en aucun cas conciliables avec les principes des
sages et des docteurs de la Grèce qui, pour cette raison, essayaient de
les expliquer de manière à les rendre compréhensibles. Praxéas, homme de
génie et érudit, commença à répandre ces explications à Rome et fut
sévèrement persécuté pour les erreurs qu'elles contenaient. Il niait toute
distinction réelle entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit et soutenait
que le Père, seul Créateur de toutes choses, avait uni à lui la nature
humaine du Christ. C'est de là que vient le nom de monarchiens donné à ses
disciples, parce qu'ils niaient la pluralité des personnes dans la
Divinité ; et aussi les patropassiens, parce que, selon Tertullien, ils
croyaient que le Père était si intimement uni avec l'homme Christ, son
Fils, qu'il souffrit avec lui l'angoisse d'une vie d'affliction et les
tourments d'une mort ignominieuse. Bien que beaucoup fussent prêts à
embrasser cette doctrine erronée, il ne semble pas que cette secte se
séparât pour son culte ou se retirât des assemblées ordinaires des
chrétiens » (Mosheim, Eccl. History, Cent. 11, Part. 11, chap. 5 :20).
5. Ecrits apocryphes dans la période des apôtres. « Peu de temps après
l'ascension du Christ au ciel, plusieurs histoires de sa vie et de ses
doctrines, remplies de pieuses tromperies et de merveilles fabuleuses,
furent composées par des personnes dont les intentions n'étaient peut-être
pas mauvaises, mais dont les écrits trahissaient la superstition et
l'ignorance extrêmes. Ce n'était pas tout : des productions paraissaient
par lesquelles des hommes frauduleux trompaient le monde, comme les écrits
des saints apôtres. Ces écrits apocryphes auraient produit une triste
confusion et auraient rendu incertaines l'histoire et la doctrine du
Christ si les dirigeants de l'Eglise n'avaient pas fait diligence pour
séparer les livres qui venaient vraiment des apôtres et de Dieu de toute
cette camelote apocryphe » (Mosheim, Ecclesiastical History, Cent. 1,
Part. 11, chap. 2.17).
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