CHAPITRE 7 : CAUSES INTERIEURES (SUITE)

1. La première des causes précises de désordre au sein de l'Eglise qui contribua à son apostasie est la suivante et nous l'avons citée : « La corruption des principes simples de l’Evangile par l'adjonction des prétendus systèmes philosophiques de l'époque. »

2. La tentative de greffe de doctrines étrangères sur la vraie vigne de l'Evangile du Christ fut caractéristique des premières années de la période apostolique. Les Ecritures nous parlent du sorcier Simon qui prétendait croire et qui entra dans l'Eglise par le baptême, mais qui était tellement dépourvu du véritable esprit de l'Evangile qu'il chercha à acheter avec de l'argent l'autorité et le pouvoir de la prêtrise[1]. Cet homme, bien que réprimandé par Pierre et apparemment pénitent, continua à troubler l'Eglise en inculquant des hérésies et en gagnant des disciples du bercail. Ses disciples se distinguèrent sous forme de secte ou de culte jusqu'au quatrième siècle ; et Eusèbe écrivit alors à propos d'eux : « A la manière de leur ancêtre, ils s'insinuent dans l'Eglise comme une peste et comme une gale et ils causent les plus grands dommages à ceux en qui ils sont capables d'infuser le poison caché en eux, difficile à guérir et violent[2]. » Ce Simon, connu dans l'histoire comme Simon le magicien, est cité par les premiers auteurs chrétiens comme le fondateur de l'hérésie à cause de ses tentatives continues de combiner le christianisme avec le gnosticisme. C'est par allusion à sa proposition d'acheter l'autorité spirituelle que tout commerce d'offices spirituels en est venu à s'appeler simonie.

3. Par les paroles du Révélateur, le Seigneur réprimanda certaines des Eglises ayant adopté ou toléré des doctrines et des pratiques étrangères à l'Evangile. C'est notamment le cas pour ce qui concerne les Nicolaïtes et ceux qui suivaient la doctrine de Balaam[3].

4. La perversion de la vraie religion qui se développa ainsi au sein de l'Eglise peut remonter à l'introduction de faux raisonnements judaïques et païens[4]. En vérité, à l'ouverture de l'ère chrétienne pour les siècles futurs, le judaïsme était plus ou moins intimement mêlé à la philosophie païenne et contaminé par des cérémonies païennes. Il y avait de nombreux sectes et partis, cultes et écoles, chacun plaidant en faveur de théories rivales quant à la constitution de l'âme, de l'essence du péché, de la nature de la Divinité et d'une multitude d'autres mystères. Les chrétiens eurent tôt fait d'avoir l'esprit confus par d'interminables controverses entre eux.

5. Les Juifs convertis au christianisme cherchaient à modifier et à adapter les principes de la nouvelle foi de manière à harmoniser ces derniers avec leur amour inné du judaïsme, et le résultat fut destructeur pour les deux. Notre Seigneur avait montré la futilité de toute tentative de combiner de nouveaux principes avec de vieux systèmes ou de rapiécer les préjugés du passé avec des fragments de nouvelle doctrine. « Personne ne met une pièce de drap neuf à un vieil habit ; car elle emporterait une partie de l'habit, et la déchirure serait pire. On ne met pas non plus du vin nouveau dans de vieilles outres ; autrement, les outres se rompent, le vin se répand, et les outres sont perdues ; mais on met le vin nouveau dans des outres neuves, et le vin et les outres se conservent[5]. » L'Evangile vint comme une nouvelle révélation, marquant l'accomplissement de la loi ; ce n'était pas un simple additif, ni un simple rétablissement de commandements passés ; il représentait une alliance nouvelle et éternelle. Les tentatives de repriser le vêtement du judaïsme avec la nouvelle étoffe de l'Evangile ne pouvaient avoir pour résultat rien de plus visible qu'une déchirure hideuse. Le nouveau vin de l'alliance ne pouvait pas être mis dans l'outre usée par le temps des libations mosaïques. Le judaïsme se trouvait déprécié et le christianisme perverti par cette association disparate.

6. Parmi les premiers changements les plus pernicieux de la doctrine chrétienne se trouve l'introduction des enseignements des gnostiques. Ces prétendus philosophes avançaient prétentieusement qu'ils pouvaient amener l'esprit humain à comprendre tout à fait l'Etre Suprême et à connaître la vraie relation entre la Divinité et les mortels. Ils disaient en substance qu'un certain être avait existé de toute éternité, manifesté par une lumière radieuse diffusée dans tout l'espace qu'ils appelaient Plerome. « La nature éternelle, infiniment parfaite et infiniment heureuse, étant demeurée de toute éternité dans une profonde solitude et dans une tranquillité bénie, produisit finalement d'elle-même, deux esprits de sexes différents, qui ressemblaient à leur procréateur suprême d'une manière tout à fait parfaite. De l'union féconde de ces deux êtres naquirent d'autres qui furent aussi suivis-, par les générations suivantes ; de sorte que dans la suite des temps, une famille céleste fut formée dans le Plerome. Cette lignée divine, de nature immuable et transcendant le pouvoir de la mortalité, fut appelée par les philosophes éon, terme qui signifie, en grec, éternité. Le nombre de ces éons était un sujet très controversé parmi les sages orientaux[6]. »

7. Puis l'un des éons, que l'on distingue sous le nom de Démiurge, créa ce monde et s'arrogea la souveraineté sur lui, niant l'autorité absolue du procréateur suprême. La doctrine gnostique déclare que l'homme est la réunion d'un corps qui, étant la création du Démiurge, est essentiellement mauvais et d'un esprit qui, dérivé de la Divinité, a la caractéristique d'être bon. Les esprits ainsi emprisonnés dans des corps mauvais seront finalement libérés, puis le pouvoir du Démiurge cessera et la terre sera dissoute dans le néant.

8. Ce qui justifie que nous insérions ici ce résumé partiel du gnosticisme est le fait que des efforts furent faits au début pour accommoder les principes de ce système aux exigences du christianisme ; et que le Christ et le Saint-Esprit furent déclarés appartenir à la famille des éons prévue dans ce plan. Cela conduisit à l'extravagante absurdité qui consistait à nier que Jésus avait un corps même pendant sa vie d'homme ; et que son apparence d'être physique était une illusion des sens produite par son pouvoir surnaturel [7].

9. A en juger par les nombreux cultes et partis qui surgirent et subdivisèrent la principale secte, il est évident que les doctrines des gnostiques n'étaient pas satisfaisantes, même pour ceux qui prétendaient y croire ; et il est intéressant de remarquer que dans les temps modernes certains libres penseurs se sont targués d'endosser un titre exprimant l'antithèse complète de l'appellation gnostique, c'est-à-dire agnostiques.

10. L'effet pratique des principes du gnosticisme dans la vie de ses adeptes est étrangement varié. Une partie de la secte mena une vie d'austérité, embrassant une abnégation stricte et la torture physique, croyant vainement que le corps mauvais pourrait ainsi être dominé tandis que l'esprit recevrait un pouvoir et une liberté accrus. Un autre culte cherchait à minimiser la différence fondamentale entre le bien et le mal en niant l'élément de moralité dans la vie humaine ; ces personnes s'abandonnèrent sans frein aux impulsions des passions et aux caprices de la nature physique, partant du principe qu'il n'existait pas de relation entre le corps et l'âme qui ferait tort à cette dernière si l'on se livrait aux excès physiques.

11. Une autre secte ou école dont les doctrines furent amalgamées dans une certaine mesure à celles du christianisme fut celle des néo-platoniciens. Les anciennes sectes des partisans de Platon ou platoniciens étaient associées pour certains points de doctrine avec les épicuriens et étaient les rivales sinon les ennemies des stoïciens. Les premiers platoniciens disaient que la matière inorganisée existait depuis toute éternité et que son organisateur, Dieu, est également éternel. De même que Dieu est éternel, de même sa volonté ou son intelligence est sans commencement et cette intelligence éternelle existant comme volonté ou intention de la Divinité fut appelée Logos. Des préceptes de ce genre avaient été enseignés longtemps avant l'ère chrétienne et la philosophie professée par certaines des sectes rivales parmi les Juifs au temps du Christ avaient été influencées de la sorte.

12. Quand les principes du christianisme furent connus généralement, certains dirigeants de la secte des platoniciens trouvèrent dans la nouvelle doctrine beaucoup de choses à étudier et à admirer. A cette époque, cependant, le platonisme lui-même avait subi beaucoup de changements, et les adeptes les plus libéraux avaient formé une nouvelle organisation et se distinguaient par l'appellation de néo-platoniciens. Ces derniers professèrent trouver en Jésus-Christ l'incarnation du Logos et acceptèrent avidement la déclaration de Jean : « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu ... Et la Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous[8]. » Selon la philosophie éclectique ou le néo-platonisme, la « Parole » dont il est question dans Jean était le « Logos » décrit par Platon.

13. La conception platonicienne de Dieu, formé de la divinité et du Logos, fut élargie en accord avec les principes chrétiens pour comprendre trois membres, le Saint-Esprit étant le troisième. C'est à ce propos que surgit une dissension amère et durable quant aux pouvoirs relatifs de chaque membre de la Trinité, particulièrement la position et l'autorité du Logos ou du Fils. Les nombreuses querelles qui découlèrent du mélange de la théorie platonicienne à la doctrine chrétienne se poursuivirent tout au long des siècles et, dans un sens, on peut dire qu'elles troublent l'esprit des hommes même à cette époque moderne.

14. Il est totalement hors de question pour nous de classer ou de décrire les résultats hybrides de l'union contre nature de la philosophie païenne et de la vérité chrétienne ; et nous ne tenterons pas de suivre en détail les dissensions et les querelles sur des points théologiques et sur des questions de doctrine.
Notre objectif est atteint quand, par la déclaration des faits et des citations d'autorité, la réalité de l'apostasie est établie. Nous considérerons donc uniquement les disputes les plus importantes qui troublèrent l'Eglise[9].

15. Vers le milieu du troisième siècle, Sibellius, prêtre ou évêque de l'Eglise d'Afrique, plaida énergiquement en faveur de la doctrine de la « trinité dans l'unité » caractérisant la Divinité. Il prétendait que la nature divine du Christ n'était pas un attribut distinct ou personnel de l'homme Jésus, mais rien qu'une portion de l'énergie divine, une émanation du Père avec laquelle le Fils était une partie du Père divin. Ces points de vue furent tout aussi vigoureusement attaqués par certains que défendus par d'autres, et le désaccord fut mûr quand Constantin changea si soudainement le statut de l'Eglise et apporta le pouvoir de l'Etat pour la soutenir. Au début du quatrième siècle, la dispute prit un tour menaçant à l'occasion d'un violent affrontement entre Alexandre, évêque d'Alexandrie, et Arius, l'un des officiers subalternes de la même Eglise. Alexandre proclama que le Fils était à tous égards l'égal du Père et aussi de la même substance ou essence. Arius insista sur le fait que le Fils avait été créé par le Père et qu'il ne pouvait donc pas être coéternel avec son Père divin ; que le Fils fut l'agent par lequel la volonté du Père s'exécutait et que, pour cette raison aussi, le Fils était inférieur au Père tant en nature qu'en dignité. De même, le Saint-Esprit était inférieur aux autres membres de la Divinité.

16. L'arianisme, nom que prit cette doctrine, fut prêché avec vigueur et dénoncé avec énergie ; et la dissension ainsi occasionnée menaça de déchirer l'Eglise jusqu'à ses fondements. Enfin, l'empereur Constantin fut forcé d'intervenir dans un effort pour établir la paix parmi ses hommes d'Eglise qui s'affrontaient. Il convoqua un concile de dignitaires de l'Eglise qui s'assemblèrent au cours de l'année 325 et qui est connu d'après le lieu où il se réunit comme le concile de Nicée. Ce concile condamna la doctrine d'Arius et prononça une sentence d'exil contre son auteur. Ce que l'on définit comme la doctrine orthodoxe de l'Eglise universelle ou catholique concernant la Divinité fut promulgué comme suit :

17. « Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, créateur des choses visibles et invisibles ; et en un Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, seul engendré du Père, c'est-à-dire de la substance du Père, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré, non créé, de la même substance que le Père, par qui tout a été créé dans le ciel et sur la terre ; qui est descendu du ciel pour nous et pour notre salut, s'est incarné, s'est fait homme, a souffert, est ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux, et il viendra juger les vivants et les morts. Et au Saint-Esprit. Ceux qui disent : Il y a eu un temps où il (le Fils) n'était pas, et il n'était pas avant d'avoir été engendré, il est né du néant (il a été créé), ou qui soutiennent qu'il est d'une autre hypostase, ou d'une autre substance (que le Père), ou que le Fils de Dieu est créé, qu'il n'est pas immuable, soumis au changement, l'Eglise catholique les anathématise. »

18. C'est la version généralement acceptée du credo de Nicée telle qu'elle fut promulguée à l'origine. Elle changea quelque peu de forme bien qu'elle demeurât pratiquement sans changement quant au fond, par le concile tenu à Constantinople un demi-siècle après. Ce que l'on considère comme une nouvelle formulation du credo de Nicée a été attribué à Athanase, l'un des premiers opposants de l'arianisme bien que son droit d'être considéré comme auteur soit mis en doute par beaucoup et nié avec insistance par certaines autorités en matière d'histoire ecclésiastique. Néanmoins, la déclaration dont il est question a trouvé place dans les textes sous le nom de « credo d'Athanase », et, justement ou injustement appelée, elle demeure la déclaration de foi de certaines sectes chrétiennes de nos jours. Elle est présente dans le rituel prescrit de l'Eglise d'Angleterre. Le « credo d'Athanase » est le suivant :

19. « ... Nous adorions un Dieu dans la Trinité, et la Trinité dans l'Unité. Sans confondre les Personnes, ou diviser l'Essence. Car autre est la Personne du Père : autre celle du Fils : autre celle du Saint-Esprit. Mais la divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit n'est qu'une : leur Gloire est égale, et leur Majesté coéternelle. Tel qu'est le Père, tel est le Fils, et tel est le Saint-Esprit. Le Père non créé ; le Fils non créé ; et le Saint-Esprit non créé. Le Père incompréhensible ; le Fils incompréhensible ; et le Saint-Esprit incompréhensible. Le Père éternel ; le Fils éternel ; et le Saint-Esprit éternel. Toutefois ils ne sont point trois éternels, mais un éternel. Comme aussi il n'y a point trois incompréhensibles, ni trois non créés ; mais un non créé, et un incompréhensible. Ainsi aussi le Père est tout-puissant, le Fils tout-puissant et le Saint-Esprit tout-puissant. Et cependant ils ne sont point trois Tout-puissants, mais un Tout-puissant. De même le Père est Dieu ; le Fils est Dieu ; et le Saint-Esprit est Dieu. Et cependant ils ne sont point trois Dieux, mais un Dieu. »

20. Le concile de Nicée est connu dans l'histoire ecclésiastique comme l'un des rassemblements les plus célèbres et les plus importants sous forme de corps officiel chargé de l'administration de l'Eglise. Non seulement, la dispute d'Arius fut réglée, pour autant qu'un décret ecclésiastique pût régler une question affectant tellement la conscience individuelle, mais beaucoup d'autres points de controverse furent apaisés de la même manière pour le moment. C'est ainsi que la longue querelle liée à la date de la célébration de Pâques fut réglée par vote comme ce fut le cas aussi pour la question soulevée par Novatien et ses disciples quant à la justification de la réadmission des apostats repentants dans l'Eglise ; et le schisme causé par Mélétius, évêque d'Afrique du Nord, qui avait refusé de reconnaître l'autorité supérieure de l'évêque d'Alexandrie. A en juger par le nombre et la diversité des questions amenées devant le concile de Nicée pour qu'elles soient tranchées, nous pouvons conclure sans danger que l'Eglise récemment intronisée ne se caractérisait pas par l'unité d'objectif ni par l'harmonie d'action. Cependant, comparées avec les querelles amères qui suivirent, les dissensions du règne de Constantin n'étaient que les débuts de l'agitation.

21. L'effet moral du puissant esprit d'apostasie ayant cours dans les trois premiers siècles de l'existence de l'Eglise et entretenu par les contributions de la philosophie païenne s'avéra, comme on ne pouvait l'éviter, très nuisible et mauvais. Il devient de notre devoir de considérer certains des plus pernicieux de ces effets.

22. Vision pervertie de la vie. L'une des hérésies du début et qui se développa rapidement dans l'Eglise fut la doctrine de l'antagonisme entre le corps et l'esprit selon laquelle le premier était considéré comme un fardeau et comme une malédiction. D'après ce que l'on a dit, on reconnaîtra en cela l'une des perversions dérivées de l'alliance du gnosticisme avec le christianisme. Un des résultats de cette greffe des doctrines païennes fut une croissance abondante de vie anachorétique par laquelle les hommes cherchaient à affaiblir, torturer et subordonner leur corps pour que leur esprit ou « âme » puisse acquérir plus de liberté. Beaucoup de ceux qui adoptèrent cette vision artificielle de l'existence humaine se retirèrent dans le désert pour être seuls et passèrent leur temps à d'austères pratiques d'abnégation et à des actes de torture personnelle frénétique. D'autres s'enfermèrent comme prisonniers volontaires, cherchant la gloire dans la privation et dans la pénitence qu'ils s'imposaient à eux-mêmes. Ce fut cette vision artificielle de la vie qui donna naissance aux différents ordres de reclus, d'ermites et de moines.

23. Ne pensez-vous pas que le Christ ait eu ces pratiques à l'esprit quand, avertissant les disciples des fausses prétentions à la sainteté qui caractériseraient les temps qui devaient bientôt suivre, il dit : « Si donc on vous dit : Voici, il est dans le désert, n'y allez pas ; voici, il est dans les chambres, ne le croyez pas[10]. »

24. Quand l'Eglise trouva la faveur de l'Etat sous Constantin au cours du quatrième siècle, beaucoup d'ordres de reclus virent le jour. « Ils maintenaient que la communion avec Dieu devait être recherchée par la mortification des sens, en éloignant son esprit de tous les objets extérieurs, par la macération du corps par la faim et le travail, et par une sorte d'indolence sacrée qui confinait toutes les activités de l'âme à une contemplation paresseuse des choses spirituelles et externes. » Mosheim, l'auteur que l'on vient de citer, poursuit : « L'Eglise chrétienne n'aurait jamais été disgraciée par cet enthousiasme cruel et asocial, ni n'aurait été soumise à ces vifs tourments de l'esprit et du corps auxquels elle donna lieu, si de nombreux chrétiens ne s'étaient pas laissés prendre imprudemment par l'apparence trompeuse et la résonance pompeuse de cette maxime de la philosophie antique : « A savoir, que pour atteindre la vraie félicité et la vraie communion avec Dieu, l'âme devait nécessairement être séparée du corps, même ici-bas ; et que le corps devait être macéré et mortifié dans ce but[11]. »

25. Le fruit de cette mauvaise semence fut le développement de nombreux ordres de moines et l'entretien de monastères. Le célibat fut enseigné comme vertu et réussit à devenir une caractéristique du clergé, comme c'est le cas dans l'Eglise catholique romaine à l'heure actuelle. Un clergé vivant le célibat, privé des influences édifiantes de la vie au foyer, tomba dans de nombreux excès, et la corruption des prêtres a été un sujet de reproche tout au long des siècles. « L'Eternel Dieu dit : il n'est pas bon que l'homme soit seul ; je lui ferai une aide semblable à lui » [11], et encore : « C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair[12]. » Son apôtre inspiré déclara : « Toutefois, dans le Seigneur, la femme n'est point sans l'homme, ni l'homme sans la femme[13]. » Cependant, une Eglise apostate décrète qu'il sera interdit à ses ministres de suivre la loi de Dieu.

26. Peu de cas fait de la vérité. Dès le quatrième siècle, certaines doctrines pernicieuses trahissant le peu d'égards pour la vérité eut cours dans l'Eglise. C'est ainsi qu'on enseigna « que c'était un acte de vertu de tromper et de mentir quand on arrangeait ainsi les intérêts de l'Eglise »[14]. Inutile de dire que des péchés autres que ceux de la tromperie étaient justifiés quand ils étaient commis prétendument dans l'intérêt de la progression de l'Eglise, et on se livra au crime sous le fallacieux prétexte que la fin justifie les moyens. Beaucoup des fables et des histoires inventées en relation avec la vie du Christ et des apôtres, comme aussi les récits contrefaits de visites surnaturelles et de miracles merveilleux qui abondent dans la littérature des premiers siècles, sont dues à cette doctrine honteuse que les mensonges sont acceptables aux yeux de Dieu, s'ils sont perpétrés dans une cause que l'homme appelle bonne[15].

* * * * * * *

[1] Voir Actes 8 :9,13,18-24.
[2] Eusèbe, Histoire ecclésiastique, livre 2, chap. 1.
[3] Voir Apocalypse 2 :15 ; comparer avec le verset 6 ; voir aussi le verset 20. Voir note 1 à la fin du chapitre.
[4] Voir note 2 à la fin du chapitre.
[5] Matthieu 9 :16-17.
[6] Mosheim, Eccl. History, Cent. 1, Part. 11, 1 :7.
[7] Voir note 3 à la fin du chapitre.
[8] Jean 1 : 1, 14.
[9] Voir note 4 à la fin du chapitre.
[10] Matthieu 24 :26.
[11] Mosheim, Eccl. History, Cent. IV, Part. 11, chap. 3 :12,13. 1. Genèse 2 :18.
[12] Verset 24.
[13] 1 Corinthiens 11 : 11. Comparer avec 1 Timothée 4 :3.
[14] Mosheim, Eccl. History, Cent. IV, Part. 11, chap. 3 :16.
[15] Voir note 5 à la fin du chapitre.


NOTES

1. Les Nicolaïtes. Cette secte est mentionnée explicitement dans le message divin dans lequel Jean reçut le commandement d'écrire aux Eglises d'Asie (Apocalypse 2 :6, 15) ; et la référence prouve l'aversion que le Seigneur avait pour les enseignements et les pratiques de ce culte. La tentative de corrompre le christianisme en introduisant des cérémonies nicolaïtes fut un danger réel qui menaça l'Eglise. L'extrait suivant du dictionnaire biblique de Smith est instructif : « La secte elle-même se présente à nous comme trahissant la phase ultime d'une grande controverse qui menaça une fois de détruire l'unité de l'Eglise, et après de ternir sa pureté. La controverse elle-même fut inévitable dès que les Gentils furent admis en grand nombre dans l'Eglise du Christ. Les nouveaux convertis devaient-ils être amenés à se soumettre à toute la loi mosaïque? Les apôtres et les anciens de Jérusalem firent face à la question avec calme et sagesse. Le fardeau de la loi ne devait pas être imposé aux disciples Gentils. Ils devaient s'abstenir, entre autres choses de « viandes sacrifiées aux idoles » et de d'impudicité » (Actes 15 :20, 29) et ce décret fut accueilli comme la grande charte de la liberté de l'Eglise. Bien que le lien étroit des commandements moraux positifs puisse nous sembler étrange, ce n'était pas le cas au synode de Jérusalem. Les deux péchés étaient très intimement liés, souvent même dans la plus grande proximité de temps et de place. Les messages aux Eglises d'Asie et les dernières épîtres des apôtres (2 Pierre et Jude) indiquent que ces deux maux apparaissaient à cette époque fortement unis. Les instructeurs de l'Eglise les appelaient d'un nom qui exprimait leur vrai caractère. Les hommes qui faisaient et enseignaient ces choses étaient des disciples de Balaam (2 Pierre 2 : 15 ; Jude 11). Comme le faux prophète de Pethor, ils alliaient les belles paroles aux mauvaises actions. Dans un temps de persécution où le fait de manger ou de ne pas manger des choses sacrifiées aux idoles était plus que jamais un test crucial de fidélité, ils persuadèrent les hommes que c'était une chose indifférente (Apocalypse 2 :13-14). C'était suffisamment mal, mais il y avait encore pire. Se mêlant aux orgies des fêtes idolâtres, ils apportaient les orgies de ces fêtes dans les réunions de l'Eglise chrétienne. Et tout cela se faisait, ne l'oublions pas, non seulement pour céder à son appétit, mais dans le cadre d'un système soutenu par une « doctrine », accompagnée d'une prétendue illumination prophétique (2 Pierre 2 : 1). »

2. Imitation des mystères païens et résultat. Le culte de Dieu par les premiers chrétiens fut critiqué et ridiculisé à cause de sa simplicité et de l'absence de cérémonies mystiques. Il est vrai que le zèle des persécuteurs rendit bientôt nécessaire un secret prudent dans le service religieux et dans les assemblées de culte mais, à l'exception de ces besoins, il y eut un effort volontaire pour feindre un secret injustifié. Gibbon fait les remarques suivantes à ce propos : « Les précautions avec lesquelles les disciples du Christ accomplissaient les offices de la religion étaient d'abord dictées par la crainte et la nécessité ; mais c'est librement qu'on les poursuivit. En imitant le terrible secret des mystères d'Eleusis, les chrétiens s'étaient flattés de penser qu'ils rendraient leurs institutions sacrées plus respectables aux yeux du monde païen. Mais les faits, comme cela arrive souvent pour les actes de fine politique, déçurent leurs souhaits et leurs espérances. On conclut qu'ils ne faisaient que cacher ce qu'ils auraient rougi de montrer. Leur prudence mal placée donna une occasion à la malveillance d'inventer et à la crédulité soupçonneuse de croire les histoires horribles qui décrivaient les chrétiens comme les êtres humains les plus méchants qui, dans leurs sombres retraites, pratiquaient toutes les abominations qu'une imagination dépravée pût proposer et qui sollicitaient les faveurs de leur Dieu inconnu par le sacrifice de toute vertu morale. Il y en eut beaucoup qui prétendirent confesser ou raconter les cérémonies de cette société abhorrée » (Gibbon, Decline and Fall qf the Roman Empire, chapitre 16).

3. Ebionites et gnostiques. « Outre le dessein général de fixer sur une base perpétuelle les honneurs divins du Christ, les auteurs ecclésiastiques les plus anciens et les plus respectables ont attribué au théologien évangéliste (saint Jean) l'intention particulière de réfuter deux hérésies opposées qui troublaient la paix de l’Eglise primitive. 1) La foi des ébionites, peut-être des Nazaréens, était grossière et imparfaite. Ils révéraient Jésus comme le plus grand des prophètes, doté de vertu et de pouvoir surnaturel. Ils attribuaient à sa personne et à son futur règne toutes les prédications des oracles hébreux qui avaient trait au royaume spirituel et éternel du Messie promis. Certains d'entre eux pouvaient confesser qu'il était né d'une vierge ; mais ils rejetaient obstinément l'existence précédente et les perfections divines du Logos, ou Fils de Dieu, qui sont si clairement définies dans l'évangile de Saint Jean ... 2) Les gnostiques qui se distinguaient par l'appellation de docètes, tendaient vers l'extrême inverse et trahissaient la nature humaine du Christ en soutenant sa nature divine. Elevés dans l'école de Platon, accoutumés à la sublime idée du Logos, ils concevaient facilement que l'éon le plus brillant ou l'émanation de la Divinité pouvait assumer la forme externe et l'apparence visible d'un mortel ; mais ils prétendaient vainement que les imperfections de matière sont incompatibles avec la pureté d'une substance céleste. Tandis que le sang du Christ tachait encore le mont du Calvaire, les docètes inventaient l'hypothèse impie et extravagante que, au lieu d'être né de la Vierge, il était descendu sur les rives du Jourdain sous la forme d'un être humain parfait ; qu'il avait trompé les sens de ses ennemis et de ses disciples et que les ministres de Pilate avaient déchaîné leur rage impuissante sur un fantôme immatériel qui parut expirer sur la croix et, après trois jours, ressusciter des morts » (Gibbon, Decline and Fall of the Roman Empire, chapitre 21).

4. Adjonction de doctrines païennes au christianisme. Les déclarations suivantes faites par des auteurs modernes quant à l'effet de la « philosophie » païenne sur l'Eglise sont dignes d'attention. Résumant les conditions qui prévalent dans la deuxième partie du deuxième siècle, Milner a dit : « Jusqu'à présent, nous n'avons pas eu de mal à découvrir, dans les docteurs et les auteurs du christianisme, la doctrine essentielle du Christ. Nous percevrons maintenant que l'on commence à moins s'occuper des vérités les plus précieuses de l'Evangile et qu'on commence à moins les mettre en vue. Même Justin, le martyr, avant la période de corruption éclectique, par son amour pour Platon, changea l'Evangile à un certain point comme nous l'avons observé particulièrement dans l'article du libre arbitre. Tatien, son élève, alla plus loin et mérita le nom d'hérétique. Il traita largement des mérites de la continence et de la chasteté ; et ces vertus, poussées à des excès extravagants au nom de la pureté supérieure, devinrent de grands facteurs de pharisaïsme et de superstition, brouillèrent les notions de la foi en Christ et assombrirent toute l'apparence du christianisme. Sous l'influence d'Ammon et de ses disciples, cette sainteté fictive déguisée sous les apparences d'une élévation sacrée prit la forme d'un système ; et elle commença bientôt à être à l'origine des maux les pires ... La mise en garde de Saint Paul contre la philosophie et la vaine tromperie n'étaient pas, semble-t-il, fatalement négligée par les chrétiens. La fausse humilité, des promesses de culte », les raffinements étranges et orgueilleux, l'austérité physique mêlée de prétentions pharisaïques élevées, l'ignorance du Christ et de la vraie vie de foi en lui, tristement remplacées par des cérémonies et des superstitions, toutes ces choses sont divinement décrites dans le deuxième chapitre aux Colossiens ; et, pour autant que les mots puissent le faire, on y décrit et soutient puissamment la vraie défense contre ces choses » (Milner, Church History, Cent. 2, chap. 9). Les schismes et les commotions qui virent le jour dans l'Eglise à la suite d'un mélange de la philosophie orientale et égyptienne à la religion chrétienne connurent un développement, au deuxième siècle, à cause des philosophes grecs qui embrassèrent la doctrine du Christ. La doctrine chrétienne, concernant le Père, le fils et le Saint-Esprit et les deux natures réunies dans notre saint Sauveur n'étant en aucun cas conciliables avec les principes des sages et des docteurs de la Grèce qui, pour cette raison, essayaient de les expliquer de manière à les rendre compréhensibles. Praxéas, homme de génie et érudit, commença à répandre ces explications à Rome et fut sévèrement persécuté pour les erreurs qu'elles contenaient. Il niait toute distinction réelle entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit et soutenait que le Père, seul Créateur de toutes choses, avait uni à lui la nature humaine du Christ. C'est de là que vient le nom de monarchiens donné à ses disciples, parce qu'ils niaient la pluralité des personnes dans la Divinité ; et aussi les patropassiens, parce que, selon Tertullien, ils croyaient que le Père était si intimement uni avec l'homme Christ, son Fils, qu'il souffrit avec lui l'angoisse d'une vie d'affliction et les tourments d'une mort ignominieuse. Bien que beaucoup fussent prêts à embrasser cette doctrine erronée, il ne semble pas que cette secte se séparât pour son culte ou se retirât des assemblées ordinaires des chrétiens » (Mosheim, Eccl. History, Cent. 11, Part. 11, chap. 5 :20).

5. Ecrits apocryphes dans la période des apôtres. « Peu de temps après l'ascension du Christ au ciel, plusieurs histoires de sa vie et de ses doctrines, remplies de pieuses tromperies et de merveilles fabuleuses, furent composées par des personnes dont les intentions n'étaient peut-être pas mauvaises, mais dont les écrits trahissaient la superstition et l'ignorance extrêmes. Ce n'était pas tout : des productions paraissaient par lesquelles des hommes frauduleux trompaient le monde, comme les écrits des saints apôtres. Ces écrits apocryphes auraient produit une triste confusion et auraient rendu incertaines l'histoire et la doctrine du Christ si les dirigeants de l'Eglise n'avaient pas fait diligence pour séparer les livres qui venaient vraiment des apôtres et de Dieu de toute cette camelote apocryphe » (Mosheim, Ecclesiastical History, Cent. 1, Part. 11, chap. 2.17).


 

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