CHAPITRE 6 : CAUSES DE
L'APOSTASIE - CAUSES INTERIEURES
1. La persécution cruelle dont les adeptes du christianisme et de l'Eglise
en tant que groupe organisé furent l'objet pendant les trois premiers
siècles de notre ère a été traitée comme une cause extérieure, contribuant
au moins indirectement à l'apostasie générale. Les détails de l'opposition
judaïque et païenne ont été donnés assez complètement pour montrer que
l'Eglise impopulaire eut une existence troublée et que ceux de ses membres
qui restèrent fidèles aux principes de l'Evangile furent des martyrs
spirituellement, sinon en fait.
2. Comme on s'y attendrait naturellement, l'effet immédiat de la
persécution durable de ceux qui professaient croire à la divinité du
Seigneur Jésus fut varié ; il alla en fait de l'enthousiasme sans retenue,
exprimé en un appel criant et frénétique au martyre, à une apostasie
immédiate et abjecte avec étalage de dévotion affichée dans le service
idolâtre.
3. Beaucoup de chrétiens acquirent un zèle qui allait jusqu'à la folie et,
faisant fi de toute prudence et discrétion, se glorifiant à l'idée de
gagner la gloire du martyre. Certains qui n'avaient pas été inquiétés
éprouvaient de la tristesse et devenaient leurs propres accusateurs ;
tandis que d'autres se livraient ouvertement à des actes d'agression dans
l'intention de s'attirer la colère[1]. Ces extravagances furent sans doute
encouragées par la vénération excessive accordée à la mémoire et à la
dépouille de ceux qui étaient morts en victimes de la cause. Le respect
sacré ainsi témoigné aboutit plus tard à la pratique impie du culte des
martyrs.
4. Commentant l'imprudent enthousiasme des premiers chrétiens, Gibbon a
dit : « Par leur propre déclaration volontaire, les chrétiens suppléaient
parfois au manque d'accusateur, ils perturbaient grossièrement le service
public des païens et, se précipitant en foule autour du tribunal des
magistrats, les appelaient à se prononcer et à leur infliger la sentence
de la loi. La conduite des chrétiens était trop surprenante pour ne pas
être remarquée des philosophes anciens ; mais ils semblent l'avoir conçue
avec beaucoup moins d'admiration que d'étonnement. Incapables de
comprendre les motifs qui portaient parfois le courage des croyants
au-delà des limites de la prudence et de la raison, ils traitaient un tel
désir de mourir comme le résultat étrange d'un désespoir obstiné, d'une
insensibilité stupide ou d'une superstition frénétique[2]. »
5. Mais il y a un autre aspect de la chose. Tandis que les fanatiques
imprudents allaient au devant du danger dont ils auraient pu rester
exempts, d'autres, effrayés par le risque d'être inclus parmi les
victimes, quittaient volontairement l'Eglise et retournaient se soumettre
aux rites païens. Milner commenta les conditions qui existaient au cours
du troisième siècle, incluant les paroles de Cyprien, évêque de Carthage,
qui vécut au temps de l'incident décrit : « Beaucoup tombèrent
immédiatement dans l'idolâtrie. Même avant d'être accusés d'être
chrétiens, beaucoup d'hommes se précipitèrent au forum et offrirent des
sacrifices aux dieux comme on le leur ordonnait ; et les foules d'apostats
étaient si grandes que les magistrats souhaitèrent remettre au lendemain
bon nombre d'entre eux mais furent importunés par les misérables qui les
suppliaient de leur permettre de prouver qu'ils étaient païens le soir
même[3]. »
6. Liée à cette apostasie individuelle des membres de l'Eglise sous
l'effet de la persécution, apparut chez les gouverneurs de provinces la
pratique de vendre des certificats ou « libelli », comme on les appela,
qui « attestaient que la personne qui y était mentionnée s'était soumise
aux lois et avait sacrifié aux divinités romaines. En produisant ces
fausses déclarations, les chrétiens riches et timorés avaient le pouvoir
de réduire au silence un informateur malveillant et de réconcilier, dans
une certaine mesure, leur sécurité avec leur religion[3]. » Une variante
de cette pratique quasi apostate consistait à procurer des témoignages de
personnes en place certifiant que les détenteurs avaient abjuré l'Evangile
; ces documents étaient présentés aux magistrats païens et, en échange
d'honoraires établis, ils accordaient d'exempter certains du sacrifice
exigé aux dieux païens[4]. En conséquence de ces pratiques par lesquelles,
dans des circonstances favorables, les riches pouvaient acheter l'immunité
de la persécution et, en même temps, maintenir un semblant de position
dans l'Eglise, une grande dissension s'éleva et la question était de
savoir si ceux qui avaient ainsi montré leur faiblesse pouvaient être
admis de nouveau dans la communauté de l'Eglise.
7. La persécution ne fut au plus qu'une cause indirecte du déclin du
christianisme et de la perversion du principe de salut de l'Evangile du
Christ. Les dangers les plus importants et les plus immédiats qui
menaçaient l'Eglise doivent être cherchés au sein du groupe lui-même. En
réalité, la pression de l'opposition de l'extérieur servit à réprimer le
bouillonnement de la dissension intérieure et retarda effectivement les
manifestations destructives de schisme et d'hérésie[1]. Une révision
générale de l'histoire de l'Eglise jusqu'à la fin du troisième siècle
montre que les périodes de paix relative étaient des périodes de faiblesse
et de déclin de ferveur spirituelle et qu'avec le retour de la persécution
venait un éveil et un renouveau de la dévotion chrétienne. Les dirigeants
sincères du peuple n'étaient pas les derniers à déclarer que chaque
nouvelle période de persécution était une période de châtiment naturel et
nécessaire pour le péché et la corruption qui s'étaient développés au sein
de l'Eglise[5].
8. Cyprien, évêque de Carthage, dit de la position de l'Eglise au milieu
du troisième siècle : « Si l'on recherche la cause de nos malheurs, on
peut trouver le remède à la blessure. Le Seigneur voulait que sa famille
fût mise à l'épreuve. Et, comme une paix durable avait corrompu cette
discipline révélée par Dieu, le châtiment céleste édifia notre foi qui
était restée presque en sommeil : et quand, par nos péchés, nous avons
mérité de souffrir encore plus, le Seigneur plein de miséricorde tempéra
toute chose de manière à ce que le tout mérite plutôt le nom d'épreuve que
de persécution. Chacun s'était attaché à développer son patrimoine et
avait oublié ce que les croyants avaient fait sous les apôtres et ce
qu'ils devaient toujours faire ; leurs pensées secrètes concernaient la
façon d'amasser des richesses ; - les pasteurs et les diacres oubliaient
chacun leur devoir : on négligeait les oeuvres de miséricorde, et la
discipline était à son minimum. Le luxe et les mœurs efféminées avaient
cours : on s'habillait à la manière des prostituées ; on pratiquait la
fraude et la tromperie entre frères. - Les chrétiens pouvaient contracter
mariage avec les incroyants ; pouvaient jurer non seulement sans
révérence, mais même sans véracité. Avec un âpre dédain, ils méprisaient
leurs supérieurs ecclésiastiques : ils se moquaient les uns des autres
avec une amertume offensante et menaient des querelles avec une
malveillance consciente : - même de nombreux évêques qui devaient servir
de guides et d'exemples aux autres, négligeant leurs devoirs particuliers
afférents à leur position, se livraient à des recherches du monde : - ils
abandonnaient leur lieu de résidence et leurs ouailles : ils voyageaient
dans des provinces éloignées en quête de plaisir et de gain ; ne prêtaient
pas assistance aux frères dans le besoin ; mais étaient assoiffés d'argent
: - ils possédaient des biens par fraude et multipliaient l'usure. Que
n'avons-nous pas mérité de souffrir pour une telle conduite? Même la
parole divine nous a prédit ce que nous pouvions attendre. - « Si ses
enfants abandonnent ma loi et ne marchent pas selon mes jugements, je
visiterai leurs offenses avec le bâton et leur péché avec le fouet. » Ces
choses avaient été dénoncées et prédites, mais en vain. Nos péchés avaient
amené nos affaires à ce point délicat à savoir que parce que nous avions
méprisé les commandements du Seigneur, nous étions obligés de subir une
correction de nos maux divers et une épreuve de notre foi par des remèdes
sévères[8]. »
9. Milner, qui approuve l'accusation sévère portée contre l'Eglise au
troisième siècle dans la citation donnée ci-dessus, ne peut pas être
accusé de préjugé contre les institutions chrétiennes dans la mesure où le
propos déclaré de sa présentation au monde d'une « History of the Church
of Christ » supplémentaire consistait à se pencher comme il le fallait sur
certaines phases du sujet méprisé ou négligé par les premiers auteurs, et
notamment à souligner la piété, non pas la méchanceté des disciples avoués
du Christ. Cet auteur, se déclarant l'ami de l'Eglise et de ses membres,
admet la dépravation croissante de la secte chrétienne et déclare que vers
la fin du troisième siècle, l'effet du déversement du Saint-Esprit de la
Pentecôte s'était épuisé et qu'il restait peu de preuves de relation
étroite entre le Christ et l'Eglise.
10. Remarquez la manière dont il résume les circonstances : « La période
de sa décadence réelle doit être datée dans la partie pacifique du règne
de Dioclétien. Au cours de ce siècle entier, l’œuvre de Dieu, en pureté et
en pouvoir, avait tendu à se détériorer. Les rapports avec les philosophes
étaient l'une des causes principales. La paix extérieure et les avantages
séculiers achevèrent la corruption. La discipline ecclésiastique qui avait
été trop sévère était maintenant relâchée à l'excès les évêques et les
gens étaient dans un état de méchanceté. Des querelles sans fin étaient
fomentées parmi les partis adverses et, en général, l'ambition et la
convoitise avaient pris l'ascendant dans l'Eglise du Christ . . . La foi
au Christ elle-même paraissait maintenant être une affaire ordinaire ; et
c'est là que prit fin, ou presque, selon toute apparence, cette première
grande effusion de l'Esprit de Dieu qui commença le jour de la Pentecôte.
La dépravation humaine s'effectuait par le biais d'une décadence générale
de la piété ; et une génération d'hommes se passa sans grandes preuves de
la présence spirituelle du Christ auprès de son Eglise[9]. »
11. S'il faut d'autres preuves de ce que le feu de la dissidence couvait
au sein de l'Eglise et gagna si facilement sous forme de flammes
destructives, considérons le témoignage d'Eusèbe dans l'optique des
conditions qui caractérisent la deuxième moitié du troisième siècle. Et,
rappelons-nous qu'il pesa ses mots lorsqu'il consigna expressément son
intention d'écrire pour défendre l'Eglise et pour soutenir ses
institutions. Il se lamente sur la tranquillité qui précéda le
déchaînement sous Dioclétien, à cause de son effet nuisible sur les
officiers et les membres de l'Eglise. Voici ses paroles : « Cependant, par
suite de la pleine liberté, nos affaires tournèrent à la mollesse et à la
nonchalance. Nous nous jalousions les uns les autres, nous nous lancions
des injures, et il s'en fallait de peu que nous nous fissions la guerre
les uns aux autres avec les armes, lorsque l'occasion s'en présentait, et
avec les lances que sont les paroles ; les chefs déchiraient les chefs ;
les sujets se soulevaient contre les sujets ; l'hypocrisie maudite et la
dissimulation avaient atteint le plus haut point de la méchanceté. Alors
le jugement de Dieu, ainsi qu'il aime à le faire, agissait avec ménagement
(les assemblées se réunissaient encore) ; il exerçait sa fonction de
gouvernement avec douceur et avec mesure. Ce fut parmi les frères qui
étaient dans les armées que commença la persécution ... Et ceux qui
paraissaient nos pasteurs, dédaignant la règle de la piété, se jetaient
passionnément dans des querelles les uns contre les autres ; ils ne
faisaient que se livrer à des disputes, des menaces, des envies, des
inimitiés et des haines réciproques ; ils poursuivaient avec ardeur
l'amour du pouvoir comme on le fait de la tyrannie[10]. »
12. Pour illustrer davantage le déclin de l'esprit chrétien vers la fin du
troisième siècle, Milner cite l'observation suivante d'Eusèbe, témoin
oculaire des conditions décrites : « Dieu commença à abattre sa lourde
main en jugement, doucement, petit à petit selon la façon qui lui est
coutumière . . . Mais nous ne fûmes pas du tout émus par sa main et nous
ne primes pas la peine de retourner à Dieu. Nous accumulâmes péché sur
péché, jugeant, comme des Epicuriens insouciants, que Dieu ne se
préoccupait pas de nos péchés et qu'il ne nous infligerait pas d'épreuve à
ce propos. Et nos prétendus bergers, écartant la règle de piété, se
livraient entre eux à la querelle et à la division. » Il ajoute que « la
terrible persécution de Dioclétien fut alors infligée à l'Eglise comme une
juste punition et comme le châtiment le plus approprié à leurs
iniquités[11]. »
13. On se rappellera que le grand changement par lequel l'Eglise fut
élevée à une place d'honneur dans l'Etat eut lieu au début du quatrième
siècle. C'est une erreur commune de penser que la décadence de l'Eglise
comme institution spirituelle date de cette époque. L'image de l'Eglise
perdant de son pouvoir spirituel en proportion exacte de l'accroissement
de son pouvoir temporel et de sa fortune a plu aux rhétoriciens et auteurs
de littérature à sensation ; mais cette image ne dépeint pas la réalité.
L'Eglise était saturée de l'esprit d'apostasie longtemps avant que
Constantin ne la prenne sous sa protection puissante en lui accordant son
statut officiel dans l'Etat. Pour soutenir cette affirmation, je cite à
nouveau Milner, l'ami avoué de l'Eglise : « Je sais qu'il est commun chez
les auteurs de représenter la grande décadence du christianisme seulement
après son établissement externe sous Constantin. Mais la preuve de
l'histoire m'a contraint à ne pas me ranger à cette vision des choses. En
fait, nous avons vu que pendant toute une génération avant la persécution
de Dioclétien, il y avait peu de marques de piété supérieure qui soient
visibles. C'est à peine s'il existait un flambeau de piété ; et il n'est
pas commun à n'importe quelle époque qu'une grande oeuvre de l'Esprit de
Dieu soit manifestée si ce n'est sous la conduite de saints, de pasteurs
et de réformateurs remarquables. Toute cette période ainsi que tout le
temps de la persécution est très pauvre en personnages de cette trempe ...
Les instructions morales, philosophiques et monastiques ne feront pas pour
l'homme ce qu'il faut attendre de la doctrine évangélique. Et si la foi en
Christ connut un tel déclin (et son état déchu devrait être daté aux
alentours de l'année 270), il n'est pas besoin de s'étonner que des scènes
auxquelles Eusèbe fait allusion sans détails circonstanciés eussent lieu
dans le monde chrétien . . . Il parle aussi de l'esprit ambitieux de
beaucoup qui aspirent aux offices de l'Eglise, des ordinations
inopportunes et illégales, des querelles parmi les adeptes eux-mêmes et
des luttes fomentées par de jeunes démagogues dans ce qui restait de
l'Eglise persécutée, et des maux renouvelés que leurs vices excitaient
parmi les chrétiens. Comme le monde chrétien doit avoir tristement décliné
s'il put ainsi se conduire sous la férule même de la vengeance divine.
Cependant que le monde infidèle ou profane ne triomphe pas. Ce ne fut pas
le christianisme, mais sa disparition qui amena ces maux[12]. »
14. Ce qui précède représente seulement quelques-unes des nombreuses
preuves qui pourraient être citées en démonstration du fait que pendant la
période qui suivit immédiatement le ministère des apôtres, période
couverte par les persécutions des chrétiens par les nations païennes,
l'Eglise subit une détérioration intérieure et fut dans un état de
perversion croissante. Parmi les causes les plus particulières de cet
éloignement toujours croissant de l'esprit de l'Evangile du Christ, cette
apostasie avançant à pas de géant, on peut considérer les exemples
importants suivants :
- Corruption des principes
simples de l'Evangile par l'adjonction des prétendus systèmes
philosophiques de l'époque.
- Additions abusives aux cérémonies de l'Eglise et introduction de
changements essentiels dans des ordonnances essentielles.
- Changements abusifs dans l'organisation et le gouvernement de l'Eglise.
15. Nous considérerons dans l'ordre correct chacune des trois causes
énumérées ici. Il peut apparaître que les conditions décrites dans ces
précisions doivent plus correctement être considérées comme effets ou
résultats que comme causes, découlant de l'apostasie générale, qu'elles
ont la nature de preuves de la disparition de la constitution d'origine de
l'Eglise plutôt que de causes précises par lesquelles il faille expliquer
le fait de l'apostasie. Cause et effet, cependant, sont parfois associés
très intimement et les conditions qui en résultent peuvent fournir la
meilleure démonstration des causes en action. Chacune des conditions
données ci-dessus comme cause spécifique de l'apostasie progressive fut, à
son début, la preuve d'un manque de solidité et la cause amenant les
résultats plus graves qui suivirent. Chaque manifestation suivante de
l'esprit d'apostasie fut aussitôt le résultat de la désaffection
antérieure et la cause de développements ultérieurs plus prononcés.
* * * * * * *
[1] Voir note 1 à la fin du chapitre.
[2] Gibbon, Decline and Fall of the Roman Empire, chapitre 16.
[3] Milner, Church History, Cent. 3, chap. 8.
[4] Gibbon, Decline and Fall of the Roman Empire, chapitre 16.
[5] Voir Milner, Church History, Cent. 3, chap. 9.
[6] Voir note 2 à la fin du chapitre.
[7] Voir note 3 à la fin du chapitre.
[8] D'après la citation de Milner, Church History, Cent. 3, chap. 8.
[9] Milner, Church History, Cent. III, ch. 17.
[10] Eusèbe, Histoire ecclésiastique, livre 8, chapitre 1 ; voir note 4 à
la fin du chapitre.
[11] Milner, Church History, Cent. III, chap. 17.
[12] Milner, Church History, Cent. 4, chap. 1. Voir aussi note 5 à la fin
du chapitre.
NOTES
1. Zèle désordonné manifesté par certains des premiers chrétiens. « La
sobre discrétion de l'époque actuelle sera plus encline à censurer qu'à
admirer, mais peut plus facilement admirer qu'imiter la ferveur des
premiers chrétiens ; qui, selon l'expression de Sulpice Sévère, désiraient
le martyre plus ardemment que ses contemporains ne sollicitaient un
évêché. Les épîtres composées par Ignace tandis qu'on l'emmenait,
enchaîné, à travers les villes d'Asie, expriment les sentiments ordinaires
de la nature humaine. Il adjure instamment les Romains de ne pas le
priver, quand il sera livré dans l'amphithéâtre, de la couronne de gloire
en intervenant gracieusement mais follement, et il déclare sa résolution
de provoquer et d'irriter les bêtes sauvages qui risquent de servir
d'instrument pour sa mort. Certaines histoires racontent le courage des
martyrs qui accomplirent réellement ce qu'Ignace avait voulu ; qui
déchaînèrent la folie des lions, pressèrent le bourreau de faire son
office, sautèrent avec entrain dans les flammes allumées pour les brûler
et découvrirent une sensation de joie et de plaisir au milieu des tortures
les plus raffinées » (Gibbon, Decline and Fall of the Roman Empire,
chapitre 16).
2. Dissensions intérieures en période de paix. Comme on l'a dit dans le
texte, la première partie du règne de Dioclétien, période qui précéda
immédiatement le déchaînement de la dernière grande persécution que
subirent les chrétiens, fut un temps de liberté relative de l'opposition,
et cette période se caractérisa par le désordre et les dissensions
intérieures de l'Eglise. Pour illustrer la tolérance montrée par
l'empereur avant qu'il ne devienne hostile à l'Eglise et le déclin de
ferveur spirituelle qui s'ensuivit parmi les chrétiens eux-mêmes, Gibbon
dit : « Dioclétien et ses collègues conféraient souvent les offices les
plus importants à ceux qui avouaient leur aversion pour le culte des
dieux, mais qui avaient fait preuve de capacités de servir l'Etat. Les
évêques avaient une place d'honneur dans les différentes provinces et
étaient traités avec distinction et respect, non seulement par le peuple
mais par les magistrats eux-mêmes. Dans presque chaque ville, les
anciennes églises s'avérèrent insuffisantes pour contenir les multitudes
toujours croissantes de prosélytes ; et à leur place on éleva des édifices
plus imposants et spacieux pour le culte public des fidèles. La corruption
des manières et des principes si vivement déplorée par Eusèbe peut être
considérée non pas seulement comme une conséquence, mais comme une preuve
de la liberté dont jouissaient et abusaient les chrétiens sous le règne de
Dioclétien. La prospérité avait détendu le nerf de la discipline. La
fraude, l'envie et la malveillance avaient cours dans chaque assemblée.
Les anciens aspiraient à l'office d'évêque qui devenait chaque jour un
objet plus digne de leur ambition. Les évêques qui se querellaient entre
eux pour la prééminence ecclésiastique semblaient réclamer par leur
conduite un pouvoir séculier et tyrannique dans l'Eglise ; et la foi
vivante qui distinguait encore les chrétiens des Gentils se montrait moins
dans leur vie que dans leurs écrits querelleurs » (Gibbon, Decline and
Fall of the Roman Empire, chapitre 16).
3. L'effet de la paix sur l’Eglise primitive. « Pour désastreuses que
fussent les persécutions des premiers siècles de l'Eglise, les périodes de
calme entre les déchaînements de rage qui les déclenchaient furent encore
plus nuisibles à l'Eglise. La paix peut avoir ses victoires tout aussi
illustres que celles de la guerre ; et ainsi, elle a aussi ses calamités
qui ne sont pas moins destructives que celles de la guerre. La guerre peut
détruire des nations, mais le confort et le luxe corrompent l'humanité, le
corps et l'esprit. La paix surtout est dangereuse à l'Eglise. La
prospérité relâche les rênes de la discipline ; les gens ressentent de
moins en moins le besoin d'une providence qui les soutient ; mais dans
l'adversité, l'esprit de l'homme recherche Dieu et il est donc plus soumis
au service de la religion. Nous trouverons que les premiers chrétiens ne
font pas exception à l'effet de cette influence du repos. Chaque fois que
cela leur fut accordé, soit par la miséricorde, soit par l'indifférence de
l'empereur, les dissensions intérieures, les intrigues de prélats
ambitieux et le développement des hérésies caractérisèrent ces périodes »
(B. H. Roberts, A Witness for God, p. 70).
4. Schismes et hérésies dans l’Eglise primitive. Eusèbe dont les écrits
datent du début du quatrième siècle, cite les écrits de Hégésippe qui
vécut dans le premier quart du deuxième siècle : « Le même (Hégésippe)
expose en ces termes les débuts des hérésies de son temps : « Après que
Jacques le Juste eut rendu son témoignage comme le Seigneur et pour la
même doctrine, le fils de son oncle, fils de Clopas, fut établi évêque :
tous le préférèrent comme deuxième (évêque) parce qu'il était cousin du
Seigneur. L'Eglise était alors appelée vierge parce qu'elle n'avait pas
encore été souillée par de vains discours. Ce fut Théboutis, parce qu'il
n'était pas devenu évêque, qui commença à la souiller parmi le peuple, à
partir des sept sectes (juives) dont il était aussi membre : de ces sectes
sortirent Simon, le père des Simoniens ; Cléobius, le père des Cléobiens ;
Dosithée, le père des Dosithéens ; Gorthéios, le père des Gorathéniens, et
les Masbothéens. De ceux-ci viennent les Ménandrianistes, les
Marcianistes, les Carpocratiens, les Valentiniens, les Basilidiens, les
Satorniliens, qui, chacun pour sa part et d'une manière différente,
avaient introduit leur propre opinion. De ces hommes sont venus de faux
christs, de faux prophètes, de faux apôtres, qui ont divisé l'unité de
l'Eglise par des discours corrupteurs contre Dieu et contre son Christ »
(Eusèbe, Histoire ecclésiastique, livre 4, chapitre 22).
5. Début du déclin de l’Eglise. Milner, résumant les conditions de
l'Eglise à la fin du deuxième Siècle, dit. « Et nous terminons ici la
revue du deuxième siècle qui, pour la majeure partie, exhibait des preuves
de grâce divine aussi forte, ou presque, qu'au premier siècle. Nous avons
vu la même foi inébranlable et simple en Jésus, le même amour de Dieu et
des frères ; et, ce en quoi ils surpassaient singulièrement les chrétiens
modernes, le même esprit céleste et la même victoire sur le monde. Mais
une ombre triste enveloppe ces gloires divines. L'esprit de Dieu est déjà
affligé par les intrusions ambitieuses de raffinements de discussion
auto-justificative et de la fierté pharisaïque ; et bien qu'il soit plus
commun de représenter le début de la décadence la plus sensible de la
piété un siècle plus tard, elle me semble déjà commencée » (Milner, Church
History, Cent. 2, chap. 9). Commentant les conditions qui régnaient dans
les dernières années du troisième siècle, Mosheim écrit : « L'ancienne
méthode de gouvernement ecclésiastique semblait encore subsister en
général tandis qu'en même temps, par étape imperceptible, elle évoluait de
la forme primitive et dégénérée vers une forme de monarchie religieuse ...
Ce changement de forme du gouvernement ecclésiastique fut bientôt suivi
par un train de vices qui déshonora le caractère et l'autorité de ceux à
qui avait été confiée l'administration de l'Eglise. Car, bien que
plusieurs continuassent encore à montrer au monde des exemples illustrant
la piété primitive et la vertu chrétienne, cependant, beaucoup
s'enfonçaient dans le luxe et la volupté, étaient enflés de vanité,
d'arrogance et d'ambitions, possédés par un esprit de querelle et de
discorde et s'adonnaient à beaucoup d'autres vices qui attiraient un
reproche immérité à la sainte religion dont ils étaient les prédicateurs
et les ministres indignes. C'est tellement prouvé par les plaintes
répétées de beaucoup d'écrivains parmi les plus respectables de l'époque
que la vérité ne nous permettra pas de voiler les énormités que nous
aurions autrement le désir de voiler dans un ordre aussi sacré. Les
évêques, en maints endroits, exerçaient une autorité princière,
particulièrement ceux qui avaient le plus grand nombre d'Eglises sous leur
inspection et qui présidaient sur les assemblées les plus opulentes. Ils
associaient à leur fonction évangélique les signes splendides de la
majesté temporelle. Un trône, entouré de ministres, élevait au-dessus de
ses semblables le serviteur de Jésus, qui fût humble ; et des vêtements
somptueux frappaient l’œil et l'esprit des foules dans une vénération
ignorante de l'autorité qu'ils s'arrogeaient. L'exemple des évêques fut
imité avec ambition par les prêtres qui, négligeant les règles sacrées de
leur position, s'abandonnèrent à leur indolence et au raffinement d'une
vie de luxe efféminé. Les diacres, voyant les prêtres fuyant ainsi leurs
fonctions, usurpèrent hardiment leurs droits, et les effets d'une ambition
corrompue se répandirent dans chaque rang de l'ordre sacré » (Mosheim,
Ecclesiastical History, Cent. 3, Part. 2, chap. 2 :3,4).
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