COLOMB ET LA MAIN DE DIEU
 

par De Lamar Jensen
Ensign, octobre 1992, pp. 7-14
© Intellectual Reserve

Colomb est devenu davantage un symbole qu’une personne. En ce cinquième centenaire de son premier voyage vers les Amériques, il est temps de jeter un coup d’œil sur cet homme et sa foi en Dieu.

Les temps ont été durs pour Christophe Colomb. Le cinq centième anniversaire de sa découverte de l’Amérique a été marqué par plus de condamnations que de louanges, particulièrement dans la presse populaire. Il y a cependant de très bonnes raisons de reconnaître son courage, son opiniâtreté et le caractère inébranlable de ses convictions.

La plupart des gens qui vivaient il y a cent ans et qui ont célébré les quatre cents ans de la première traversée de Colomb l’ont honoré comme le héros qui a, presque à lui seul, renversé les murs de l’ignorance médiévale. Cette image héroïque s’était perpétuée partiellement grâce à ce qu’il avait accompli et partiellement suite aux mythes propagés par plusieurs auteurs du XIXe siècle.

Cette perception eut un impact considérable. Pour beaucoup, Colomb était devenu un héros mondial, qui avait abattu les dragons du dogmatisme, de la superstition et des préjugés tout en brandissant la bannière du nationalisme du XIXe siècle. Dans plusieurs pays, des auteurs ont prétendu qu’il était originaire de chez eux. Ces cent dernières années, il a été présenté comme arménien, castillan, catalan, corse, anglais, français, allemand, grec, majorquin, norvégien, portugais et même russe. À un moment donné, les fantaisies de la mythologie colombienne n’avaient pas de limites.

Beaucoup de ces mythes ont été démystifiés au cours des années, notamment l’idée que Colomb était la seule personne de son époque à croire que la terre était ronde et que la reine Isabelle avait mis en gage ses bijoux pour financer la première traversée. Toutes ces légendes meurent lentement. Beaucoup de personnes résistent toujours à toute tentative de montrer Colomb comme être humain ayant des défauts aussi bien que des qualités [1].

Mais certains critiques, dans leur volonté de démythifier Colomb, sont allés trop loin, jusqu’à la diffamation. Leur approche vise souvent à soutenir une cause politique plutôt qu’à favoriser la recherche de la vérité. Le procédé est contre-productif, non parce qu’il démolit le mythe du héros, mais parce qu’il ne fait que le remplacer par un autre mythe – celui tout aussi faux qui fait de Colomb le méchant.

Que savons-nous donc du vrai Colomb ? Quels sont les mobiles qui l’ont poussé à se lancer dans cette entreprise qui allait changer le monde ? C’est sans doute sa foi qui a été le moteur principal de sa vie. Ses écrits et les documents tenus par ses contemporains montrent qu’il avait la foi inébranlable qu’il était un instrument dans les mains de Dieu.

C’est effectivement ce que le Livre de Mormon affirme à son sujet. Dans une vision, dit Néphi, « je regardai et vis un homme parmi les Gentils, qui était séparé de la postérité de mes frères par les nombreuses eaux; et je vis que l'Esprit de Dieu… agissait sur cet homme; et il s'en alla sur les nombreuses eaux vers la postérité de mes frères qui était dans la terre promise » (1 Né. 13:12.)

La compréhension que Colomb a pu avoir de ce dessein a sans doute été limitée, mais sa conviction d’en être un acteur lui donnait une assurance et même une obstination qui ont stupéfié et exaspéré ses contemporains.

Né à ou près de Gênes en automne 1451, Colomb était le fils d’un maître tisserand qui devint aussi gardien d’une des portes de la ville.

La première passion du jeune Christophe fut la mer et, une fois adulte, il devint un marin expérimenté et un homme d’affaires pratique.

Nous apprenons de son fils Ferdinand qu’il « était bien bâti, d’une taille au-dessus de la moyenne, le visage allongé, les pommettes un peu hautes, le corps ni gros ni maigre. Il avait le nez aquilin et les yeux clairs ; son teint était également clair et avait tendance à être rougeaud. Dans sa jeunesse, il avait les cheveux blonds, mais quand il atteignit l’âge de trente ans, ils devinrent tout blancs. Pour le manger et le boire, et pour ce qui est de l’ornementation de sa personne, il était très modéré et modeste. Il était affable avec les étrangers et très agréable avec les membres de son ménage, quoique manifestant une certaine gravité [2]. » Son biographe contemporain, Bartolomé de Las Casas, ajoute que c’était un « homme grand, imposant, facile à vivre, gentil, hardi, courageux et pieux. … Il respectait très fidèlement les jeûnes de l’Église, se confessait et prenait souvent l’Eucharistie, lisait la liturgie comme un membre d’un ordre religieux et détestait les blasphèmes et les jurons [3]. »

Fernández de Oviedo disait de lui qu’il était « un homme qui menait une vie honnête… était équitable dans ses paroles, plein de tact et doté d’un grand talent créateur, bon latiniste et cosmographe très instruit, aimable quand le voulait, coléreux quand on l’ennuyait [4]. »

Il ne fait pas de doute que Colomb voulait gravir les échelons de la société, mais il pensait que c’était nécessaire pour réaliser ses buts. Il manifestait aussi une obstination exaspérante et avait une forte tendance non seulement à exagérer, mais à refaire la réalité dans son esprit pour qu’elle corresponde à ses idées préconçues.

Il fit peu d’études, mais devint très compétent dans les langues, la cosmographie et la navigation, attribuant toutes ses qualifications à l’inspiration du Saint-Esprit. « Pour l’exécution de l’entreprise des Indes, je ne me suis servi ni de la raison, ni des mathématiques, ni des cartes du monde », écrit-il [5].

Rien n’énervait davantage ses contemporains que de l’entendre dire franchement qu’il avait été divinement choisi. « Dieu m’a fait le messager des nouveaux cieux et de la nouvelle terre dont il parle dans l’Apocalypse de saint Jean après en avoir parlé par la bouche d’Ésaïe », écrit Colomb à un ami, confident de la reine, « et il m’a montré où les trouver [6]. »

Colomb était convaincu que le secret de son entreprise c’étaient les dons spirituels que Dieu lui avait accordés : « Il m’a accordé en grande abondance l’art de la navigation et m’a donné ce qui était nécessaire en matière d’astronomie, de géométrie et d’arithmétique et il m’a accordé un esprit suffisamment inventif. » Il était sûr que Dieu lui avait accordé ces dons pour qu’il les utilise à son service, « [l’]encourageant à aller de l’avant et [lui] inspirant sans cesse un sentiment de grande urgence [7]. »

Nous n’avons aucun moyen de savoir comment ou quand « l’Esprit de Dieu… agit sur l’homme ». Peut-être cela lui vint-il dans sa jeunesse à Gênes ou pendant ses premiers voyages en Méditerranée. Peut-être son enthousiasme grandit-il après son arrivée, à l’âge de vingt-cinq ans, au port animé de Lisbonne et sa rencontre avec sa future épouse, la noble Portugaise Dona Felipa Perestrello. Peut-être l’inspiration vint-elle tandis qu’il vivait avec sa jeune femme dans les îles Madère, à quelques quatre cents milles dans l’océan Atlantique. Cela a même pu se produire au cours d’expéditions marchandes qui le conduisaient vers le nord jusqu’en Islande et vers le sud le long de la côte de la Guinée en Afrique. Nous savons seulement que lorsqu’il présenta son projet au roi du Portugal en 1484, il était hanté par l’idée de trouver une route par l’ouest vers les Indes à travers l’océan Atlantique.

L’entreprise des Indes

Pour un certain nombre de raisons, l’Asie obsédait les Européens depuis des générations. L’Europe avait besoin de nouveaux approvisionnements en minerais et en marchandises pour alimenter son économie en expansion et la promesse d’une sagesse mystérieuse fascinait les esprits de la Renaissance. La demande croissante en épices orientales donna une plus grande impulsion à la recherche d’un nouvel itinéraire vers l’Asie, que l’on ne pouvait jusqu’alors atteindre que par un voyage part voie de terre long et dangereux, lequel était bloqué depuis le XIVe siècle en conséquence de l’isolationnisme chinois, des incursions des musulmans et de la peste noire.

Colomb n’était pas le premier à être convaincu qu’il était possible d’atteindre l’Asie (ou les Indes, comme les Européens l’appelaient) plus rapidement et plus facilement en naviguant vers l’ouest. D’autres croyaient en la possibilité d’une telle traversée, une croyance stimulée par les écrits de Pline, de Strabon, de Sénèque, de Marin de Tyr et de Claude Ptolémée. Chez chacun d’eux, Colomb trouva du soutien pour son entreprise. Pline, par exemple, enseignait que l’Inde n’était pas loin de l’Espagne – une idée dont se faisaient l’écho des auteurs contemporains comme Pierre cardinal d’Ailly qui, dans son Imago mundi, écrit : « Entre l’Inde et l’Espagne il y a peu de mer [8]. »

La nouveauté de l’idée de Colomb n’était pas que la terre était ronde – tous les grands géographes et savants depuis les Grecs de l’Antiquité acceptaient la sphéricité de la terre, tout comme les marins et des gens instruits de l’époque. C’était plutôt que la circonférence de la terre n’était pas aussi grande que tout le monde pensait. L’autorité géographique la plus respectée du temps de Colomb était Ptolémée, qui avait calculé que la circonférence de la terre était de 35.120 kilomètres (la mesure moderne est de 41.650 kilomètres). Colomb préférait l’évaluation du mathématicien arabe al-Farghani, qui avait trouvé une mesure d’environ 32.000 kilomètres.

Ce qui comptait cependant plus pour Colomb, c’était le rapport des terres aux mers. C’est ici qu’il fit ses plus grandes erreurs de calcul. Marin de Tyr avait avancé que les terres s’étendaient sur 225 degrés autour de la terre, ne laissant que 135 degrés d’eau entre le Portugal et la Chine. Mais même cela était trop loin pour Colomb. Esdras n’avait-il pas écrit (dans les Apocryphes) que six parties du globe étaient des terres habitables et qu’une partie seulement était de l’eau ? Colomb réduisit donc la largeur de l’océan de 28 degrés pour expliquer une Asie plus grande et puis encore 30 degrés jusqu’au Japon, parce que Marco Polo avait signalé (sans la voir, naturellement) que l’île de Cypango (le Japon) se trouvait à 2.400 kilomètres au large de la côte du Cathay (la Chine). Colomb déduisit encore 9 degrés de plus quand il décida de partir des îles Canaries.

Il évaluait donc la distance des Canaries au Japon à environ 4.000 kilomètres. Il avait tort, naturellement : la distance réelle à vol d’oiseau est de 17.000 kilomètres. Mais, chose remarquable, ce qui se trouvait à environ 4.000 kilomètres à l’ouest des Canaries était un continent entièrement nouveau, inconnu de tout le monde en Europe et en Asie.

Un jour de 1484, Colomb présenta officiellement pour la première fois son « entreprise des Indes » au roi Jean II du Portugal. João de Barros rapporte qu’après avoir consulté ses conseillers, roi rejeta la proposition de Colomb. Les Portugais, qui connaissaient la mer mieux que quiconque, rejetaient de toute évidence la théorie de la « petite terre » de Colomb. Ils déclarèrent, à juste titre, qu’il se trompait dans son évaluation de la distance qu’il faudrait parcourir pour atteindre l’Asie.

Tout en dénonçant la proposition de Colomb comme absurde, le roi envoya secrètement un bateau pour voir si un tel voyage pourrait être possible. « Mais parce que les gens qu’il envoya n’avaient pas la connaissance, la fermeté et les capacités de l’amiral [Colomb], écrit le fils de Colomb, ils errèrent sur la mer pendant de nombreux jours et revinrent à Lisbonne en se moquant de l’entreprise [9]. »

Les années d’attente en Espagne

En attendant, la femme de Colomb était morte en lui laissant un fils de cinq ans, Diego. Ce dut être le cœur lourd que Colomb quitta, au début de 1485, le Portugal pour l’Espagne, où il espérait avoir plus de chance. Les sept années suivantes furent remplies d’espoirs et de déceptions pendant qu’il essayait d’obtenir l’appui des souverains espagnols, Ferdinand et Isabelle, pour son entreprise. Il fallut presque un an à Colomb pour obtenir sa première audience et même alors, le roi et la reine, préoccupés par la guerre contre les Maures à Grenade, confièrent sa demande à une commission de savants.

Mais Colomb ne se laissa pas mettre au frigo. Il continua à défendre son projet avec tant de ténacité que cela donna naissance à toutes sortes d’histoires et de mythes pour expliquer sa certitude dogmatique. Il y a tant de failles dans ces histoires qu’il est étonnant que quiconque y ait jamais cru, encore moins les savants critiques modernes. Pourtant il y a des gens qui sont disposés à croire presque n’importe quoi pour expliquer la conviction inébranlable de Colomb plutôt que d’accepter ses prétentions à être conduit par Dieu. « Je pouvais sentir sa main sur moi, écrit Colomb, de sorte qu’il devenait clair pour moi qu’il était possible de naviguer d’ici jusqu’aux Indes et il m’a donné la volonté de le faire [10]. »

Les souverains espagnols finirent par se rendre compte que le projet de Colomb avait du mérite, car il promettait un approvisionnement frais en or et constituait une occasion sans précédent de répandre le message chrétien. Cependant, les exigences de Colomb en matière de titres et de privilèges étaient si grandes que son entreprise ne fut finalement acceptée qu’en janvier 1492.

Une fois les lettres de créance et les contrats voulus entre ses mains, Colomb se rendit au port de Palos, à l’embouchure du Río Tinto, où sa petite flotte allait être assemblée. En raison d’un engagement envers la couronne, la ville de Palos était tenue de fournir deux caravelles équipées, la Pinta et la Niña. Colomb loua un troisième bateau, la Santa María.

Charger les bateaux fut relativement facile, mais constituer l’équipage était une tout autre affaire. Aussi expérimentés que fussent les marins espagnols, ce n’était pas une entreprise qui les tentait. Les voyages en mer sont toujours incertains, remarqua un marin, mais celui-ci était tout bonnement téméraire [11]. Néanmoins, grâce à l’appui d’un vieux loup de mer, capitaine de la marine marchande de Palos, Martín Alonso Pinzón, et de ses frères, on put recruter un équipage suffisant. Avant l’aube du 3 août 1492, les trois petits navires descendirent le Rio Tinto en se laissant porter par la marée basse, passant devant le monastère de La Rábida, où Colomb avait laissé son fils aux soins des moines franciscains, et partirent pour l’inconnu.

Le voyage de découverte

Le voyage vers l’ouest des Canaries sur un océan inexploré fut une mise à l’épreuve de la trempe de Colomb et de son équipage. La plupart des hommes étaient rongés par le doute concernant l’entreprise. Personne n’avait jamais essayé pareille traversée et était revenu pour la raconter. Pourtant il n’y avait apparemment aucune hésitation dans l’esprit de Colomb. Sa foi dans la direction divine était plus forte que jamais. Pendant que la terre disparaissait lentement derrière lui, il se mit à genoux sur l’arrière-pont de son navire amiral pour remercier Dieu et pour lui demander de l’aider dans la grande entreprise qui l’attendait.

La sortie en mer fut relativement calme. Les alizés du nord-est les poussèrent avec des « brises aussi douces qu’en avril à Séville [12] », écrit Colomb, mais ils les emmenaient également de plus en plus loin dans l’inconnu. Au bout de trente-deux jours, les hommes s’étaient pris d’une telle peur devant ce long voyage qu’ils commencèrent à murmurer, insistant pour qu’il fasse demi-tour avant qu’il ne soit trop tard. Ils avaient parcouru plus de 3.700 kilomètres. Combien de temps devaient-ils continuer dans cet océan sans fin ? Colomb leur assura qu’ils arriveraient bientôt.

Deux jours plus tard, aux premières heures du 12 octobre, la terre fut en vue et, après le point du jour, Colomb et ses officiers allèrent à terre sur une île minuscule des Bahamas appelée Guanahani par les indigènes. Colomb l’appela San Salvador pour honorer le Sauveur. Sans le savoir, il avait accompli la prophétie de la vision de Néphi. (Voir 1 Né 13:12.)

Deux choses lui semblaient maintenant essentielles : Maintenant qu’il avait localisé les Indes, du moins c’est ce qu’il pensait, sa prochaine tâche était de trouver les richesses qu’il avait promises aux souverains espagnols. Il devait également préparer les indigènes qu’il rencontrait à recevoir le christianisme – car Colomb, baptisé du nom de saint Christophe, le « porteur de Christ », se considérait comme un ambassadeur de la foi auprès de ces âmes perdues séparées de la parole du Christ. À plusieurs reprises dans son journal et dans les lettres qu’il écrira plus tard aux souverains, il mentionne la facilité avec laquelle les gens recevaient le christianisme.

Pendant les deux mois et demi suivants, Colomb croisa dans les Caraïbes au sud de son premier débarquement, pensant qu’il allait bientôt atteindre le Japon ou même la Chine continentale. Au lieu de cela, il découvrit d’autres îles, petites et grandes, dont Cuba et Hispaniola (l’île partagée aujourd’hui par Haïti et la République Dominicaine). Il ne trouva pas la richesse qu’il espérait, mais il ne perdit jamais l’espoir, s’attendant pleinement à tenir la promesse qu’il avait faite aux souverains de leur donner or, épices, coton, et « mille autres choses de valeur [13] ». Son incapacité à concrétiser de telles promesses finirent par contribuer à sa chute.

Peu après minuit, le 24 décembre, la Santa María heurta un récif corallien au large de la côte nord de Hispaniola. Le bateau dut être abandonné, ne laissant à Colomb que la minuscule Niña, le plus petit des trois navires. Martín Alonso Pinzón avait déserté avec la Pinta un mois auparavant, aussi Colomb décida-t-il d’implanter une colonie, en utilisant les matériaux récupérés sur l’épave pour construire un fortin. Il l’appela La Navidad parce que le naufrage s’était produit le jour de Noël. Laissant trente-neuf volontaires pour gérer la colonie, il monta sur la Niña pour l’Espagne.

Après avoir survécu à une violente tempête dans l’Atlantique pendant le voyage de retour, Colomb atteignit Palos quelques heures seulement avant l’arrivée de Pinzón. Celui-ci mourut après quelques jours, laissant à Colomb le soin de recevoir seul les éloges pour la découverte. Colomb lui-même attribua une grande partie du mérite à Dieu. Dans une lettre aux souverains, il écrit : « Le Dieu éternel, notre Seigneur, donne à tous ceux qui marchent sur son chemin la victoire sur des choses qui semblent impossibles. Et ceci en est notamment une car, bien que les hommes aient parlé ou aient écrit sur ces terres, tout a été conjecture. … Toute la chrétienté devrait se sentir ravie, faire de grandes fêtes et rendre solennellement grâces à la Sainte Trinité avec beaucoup de prières solennelles pour la grande allégresse qu’elle aura de voir tant de gens se convertir à notre sainte foi [14]. »

Pourtant, les voyages suivants de Colomb furent marqués par les déceptions. Lors du second voyage, il constata que les hommes qu’il avait laissés à La Navidad avaient été massacrés par les indigènes et ses explorations ne conduisirent pas à beaucoup de richesses. Pendant le troisième voyage, il fut incapable de mater la révolte qui avait éclaté dans la nouvelle colonie qu’il avait fondée lors de son deuxième voyage. En octobre 1500, il fut arrêté et emmené, enchaîné, en Espagne.

Ce fut une humiliation accablante. Dans une lettre à un ami, il écrit, « La seule chose qui me soutient est mon espoir en Celui qui a créé chacun de nous ; son soutien a toujours été proche. Un jour, il n’y a pas bien longtemps, alors que j’étais profondément affligé, il m’a relevé avec sa droite en disant : « Ô homme de peu de foi, lève-toi, c’est moi, ne crains pas[15]. »

Plus tard, pendant son quatrième voyage, Colomb reçut une autre assurance divine pendant un moment extrêmement périlleux où il était sur le point d’abandonner tout espoir. « Épuisé, je suis tombé endormi en gémissant, écrit-il aux souverains. J’ai entendu une voix très compatissante qui disait : ‘Insensé ! Toi qui es lent à croire et à servir ton Dieu, le Dieu de tous ! … Tu appelles à l’aide en doutant. Réponds, qui t’a affligé si profondément et si souvent, Dieu ou le monde ? … Il n’y a pas un iota de sa parole qui passe ; tout ce qu’il promet, il l’accomplit avec intérêts ; est-ce là la manière des hommes ? J’ai dit ce que ton Créateur a fait pour toi et fait pour tous les hommes. Maintenant il te montre en partie la récompense pour l’angoisse et le danger que tu as endurés au service des autres.’ J’ai entendu tout cela comme si j’étais en transe, et je n’ai eu aucune réponse à donner à des paroles aussi vraies, mais je pouvais seulement pleurer pour mes erreurs. Celui, quel qu’il ait été, qui m’a parlé, a terminé en disant : « Ne crains pas ; aie confiance ; toutes ces tribulations sont écrites sur le marbre et ne sont pas sans cause [16]. »

Le Livre des Prophéties de Colomb

Entre les troisième et quatrième voyages, Colomb s’occupa de compiler son Livre des Prophéties, dans lequel il espérait démontrer la signification historique et prophétique de ses découvertes et son rôle de « porteur de Christ [17]. »

La plupart des spécialistes de Colomb ont soit ignoré le Livre des Prophéties, soit s’en sont excusés, soit l’ont dénoncé comme divagations d’un esprit déséquilibré. C’est regrettable, parce que le livre est essentiel si l’on veut comprendre la pensée et la personnalité de Colomb. C’était un homme pieux, qui étudiait diligemment la Bible. Il la lisait soigneusement, en utilisant les meilleurs commentateurs bibliques de son temps. Il prétendait également recevoir l’illumination du Saint-Esprit.

Le Livre des Prophéties, compilé par Colomb avec l’aide de son ami, le père Gaspar Gorricio, est un recueil de passages bibliques et d’interprétations du plan de Dieu pour le déroulement des événements du monde. Ses principaux thèmes sont que les prophéties s’accomplissaient par la découverte de nouvelles terres et de nouveaux peuples et que la fin de l’œuvre de Dieu approchait rapidement. Il disait qu’avant les derniers jours, le message de l’Évangile devait être apporté au monde entier et que Jérusalem devait être rachetée et le temple reconstruit.

Il croyait qu’il était l’instrument humain appelé par Dieu pour accomplir une partie de ce plan divin. « Avec une main que je pouvais sentir », écrit-il au roi et à la reine dans une lettre en guise de préface, « le Seigneur a ouvert mon esprit au fait qu’il serait possible de naviguer d’ici aux Indes et il a ouvert ma volonté pour que je désire accomplir ce projet. C’était la flamme qui brûlait en moi quand j’ai rendu visite à vos Altesses. … Qui peut douter que cette flamme n’était pas simplement la mienne, mais également le Saint-Esprit qui m’encourageait avec le rayonnement d’une illumination merveilleuse provenant de ses Écritures sacrées [18]. »

Dans la première partie du livre, Colomb présente un recueil de soixante-cinq psaumes qui traitent de ses deux thèmes principaux : le salut du monde et la reconstruction de Sion. Il attire particulièrement l’attention sur plusieurs versets des écrits d’Ésaïe, de Jérémie et de Sophonie, qui disent des Gentils qu’ils sont un peuple élu pour hériter du saint temple, qui parlent de leur conversion dans les derniers jours et du rassemblement en Sion. L’héritage des Gentils est encore cité dans saint Augustin, dont Colomb paraphrase la citation de Ps 22:28 comme ceci : « Toutes les extrémités de la terre et toutes les îles seront converties en Seigneur. » Après avoir cité Mt 24:14, il fait le commentaire que l’Évangile a été prêché à trois parties de la terre (Asie, Afrique et Europe) et doit maintenant être prêché à la quatrième partie.

La deuxième partie du Livre des Prophéties concerne les prophéties déjà accomplies. Le thème est la grandeur antique de Jérusalem suivie de sa chute.

Dans la partie suivante, Colomb traite des prophéties du présent et du futur proche, soulignant le thème du salut pour toutes les nations. Ésaïe est souvent cité. Colomb fournit alors plusieurs textes du Nouveau Testament : Mt 2:1-2 ; 8:11 ; Lu 1:48 et notamment Jn 10:16, « J'ai encore d'autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie; celles-là, il faut que je les amène; elles entendront ma voix, et il y aura un seul troupeau, un seul berger. »

La dernière partie du livre traite des prophéties des derniers jours, que Colomb présente en attirant l’attention sur Jérémie 25, où le prophète prédit le rétablissement de Jérusalem avant le Jugement dernier. Il cite enfin vingt-six écritures qui parlent des îles de la mer et de leur rôle dans les derniers jours.

Le Livre des Prophéties n’était pas les divagations d’un esprit malade. C’était le travail d’un homme religieux qui n’avait pas peur de mettre ses idées en action et sa propre vie en péril. Colomb connaissait les Écritures comme il connaissait la mer, et il voyait un lien entre les deux. Le thème central de son livre était que Dieu avait esquissé dans la Bible son plan pour le salut de toute l’humanité et que lui, Colomb, jouait le rôle lui avait été dévolu dans ce plan.

La conclusion de l’excellente introduction de Delno West à la traduction anglaise du Livre des Prophéties récapitule clairement la personnalité et les motivations de l’amiral : « Christophe Colomb se considérait comme un homme du destin qui avait reçu le don charismatique de comprendre les Écritures, la navigation, les cartes, les vents, les marées, l’astronomie, la cosmographie, les mathématiques et les sciences apparentées. Sa compréhension de sa mission ou de son entreprise était tirée de la Bible ou prouvée par la Bible, et il savait qu’il ouvrait de nouvelles terres riches en or et en autres objets de valeur. Il croyait qu’il était un élu qui œuvrait pour le bien de toute la chrétienté en ouvrant le reste du monde au message de l’Évangile. Il savait qu’il serait incompris et diffamé, mais il acceptait cela comme étant le lot d’une personne divinement choisie [19]. »

De nos jours, la diffamation a augmenté en intensité, mais notre conscience de ce que Colomb a accompli sous la direction de Dieu doit nous rappeler notre propre dette et nos responsabilités comme bénéficiaires de son courage. Sa préoccupation principale, qui devrait aussi être la nôtre, n’était pas ce que les gens penseraient de lui, mais ce que Dieu penserait de lui.

NOTES

1. Voir William D. Phillips, Jr., et Carla Rahn Phillips, The Worlds of Christopher Columbus, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, pp. 3–8.
2. The Life of the Admiral Christopher Columbus by His Son Ferdinand, trad. angl. Benjamin Keen, New Brunswick, Rutgers University Press, 1959, p. 9.
3. Bartolomé de Las Casas, Historia de las Indias, dir. de publ. Agustín Millares Carlo, 3 vols., Mexico, Fondo de Cultura Económica 1951, lib. I, cap. ii, p. 29.
4. Gonzalo Fernández de Oviedo y Valdés, Historia general y natural de las Indias (1535), 4 vols., Madrid, Real Academia de la Historia, 1851, 1:12.
5. Colomb à Doña Juana de la Torre, Raccolta di documenti e studi pubblicati della R. Commissione Colombiana, 1e partie, vol. ii; I Scriti di Cristoforo Colombo, dir. de publ. Cesare de Lollis, Rome, 1894, p. 82.
6. Id., p. 66.
7. Id., p. 79.
8. Compendium Cosmographie, dans Edmund Buron, dir. de publ., Imago mundi de Pierre d’Ailly, 3 vols., Paris, Maisonneuve, 1930, 3:659–61.
9. The Life of the Admiral by His Son, pp. 35–36.
10. Raccolta, 1e partie, vol. ii, p. 79.
11. Pleitos colombinos, cité dans Paolo Emilio Taviani, Christopher Columbus: the Grand Design, Londres, Orbis, 1985, pp. 143–44, 204.
12. L’original du journal manuscrit de Colomb n’existe plus. Ce qui a survécu est une transcription abrégée de l’original, faite par Bartolomé de Las Casas dans les années 1530 à partir de la copie de Colomb. La version anglaise la plus précise et la plus soigneusement éditée (avec l’espagnol sur la page en regard) est The Diario of Christopher Columbus’s First Voyage to America, 1492–1493, tr. Oliver Dunn et James E. Kelley, Jr., Norman, University of Oklahoma Press, 1988.
13. “Letter of Columbus on the First Voyage,” dans The Four Voyages of Columbus, tr. Cecil Jane, 2 vols. reliés en un, New York, Dover, 1988, 1:16.
14. Cristóbal Colón, Textos y documentos completos: Relacionesde viajes, cartas y memoriales, dir. de publ. Consuelo Varela, Madrid, Alianza Editorial, 1989, pp. 137–138.
15. Id., pp. 263–264.
16. “Letter of Columbus on the Fourth Voyage,” dans The Four Voyages of Columbus, tr. Cecil Jane, 2:90–92.
17. The Libro de las profecías of Christopher Columbus, tr. Delno C. West et August Kling, Gainsville, University of Florida Press, 1991, p. 3. C’est la première traduction anglaise du Livre des Prophéties, précédemment publié en latin par Cesare de Lollis dans 1e partie, vol. ii de la Raccolta, du manuscrit original relié en vélin de 84 feuilles folio (168 pages), situé à la Biblioteca Colombina à Séville.
18. Libro de las profecias, p. 105. Raccolta, 1e partie, vol. ii, p. 79.
19. Id., p. 74.