COLOMB ET LA MAIN DE DIEU
par De Lamar Jensen
Ensign, octobre 1992, pp. 7-14
© Intellectual Reserve
Colomb est devenu davantage un symbole qu’une personne. En ce cinquième
centenaire de son premier voyage vers les Amériques, il est temps de jeter
un coup d’œil sur cet homme et sa foi en Dieu.
Les temps ont été durs pour Christophe Colomb. Le cinq centième
anniversaire de sa découverte de l’Amérique a été marqué par plus de
condamnations que de louanges, particulièrement dans la presse populaire.
Il y a cependant de très bonnes raisons de reconnaître son courage, son
opiniâtreté et le caractère inébranlable de ses convictions.
La plupart des gens qui vivaient il y a cent ans et qui ont célébré les
quatre cents ans de la première traversée de Colomb l’ont honoré comme le
héros qui a, presque à lui seul, renversé les murs de l’ignorance
médiévale. Cette image héroïque s’était perpétuée partiellement grâce à ce
qu’il avait accompli et partiellement suite aux mythes propagés par
plusieurs auteurs du XIXe siècle.
Cette perception eut un impact considérable. Pour beaucoup, Colomb était
devenu un héros mondial, qui avait abattu les dragons du dogmatisme, de la
superstition et des préjugés tout en brandissant la bannière du
nationalisme du XIXe siècle. Dans plusieurs pays, des auteurs ont prétendu
qu’il était originaire de chez eux. Ces cent dernières années, il a été
présenté comme arménien, castillan, catalan, corse, anglais, français,
allemand, grec, majorquin, norvégien, portugais et même russe. À un moment
donné, les fantaisies de la mythologie colombienne n’avaient pas de
limites.
Beaucoup de ces mythes ont été démystifiés au cours des années, notamment
l’idée que Colomb était la seule personne de son époque à croire que la
terre était ronde et que la reine Isabelle avait mis en gage ses bijoux
pour financer la première traversée. Toutes ces légendes meurent lentement.
Beaucoup de personnes résistent toujours à toute tentative de montrer
Colomb comme être humain ayant des défauts aussi bien que des qualités
[1].
Mais certains critiques, dans leur volonté de démythifier Colomb, sont
allés trop loin, jusqu’à la diffamation. Leur approche vise souvent à
soutenir une cause politique plutôt qu’à favoriser la recherche de la
vérité. Le procédé est contre-productif, non parce qu’il démolit le mythe
du héros, mais parce qu’il ne fait que le remplacer par un autre mythe –
celui tout aussi faux qui fait de Colomb le méchant.
Que savons-nous donc du vrai Colomb ? Quels sont les mobiles qui l’ont
poussé à se lancer dans cette entreprise qui allait changer le monde ?
C’est sans doute sa foi qui a été le moteur principal de sa vie. Ses
écrits et les documents tenus par ses contemporains montrent qu’il avait
la foi inébranlable qu’il était un instrument dans les mains de Dieu.
C’est effectivement ce que le Livre de Mormon affirme à son sujet. Dans
une vision, dit Néphi, « je regardai et vis un homme parmi les Gentils,
qui était séparé de la postérité de mes frères par les nombreuses eaux; et
je vis que l'Esprit de Dieu… agissait sur cet homme; et il s'en alla sur
les nombreuses eaux vers la postérité de mes frères qui était dans la
terre promise » (1 Né. 13:12.)
La compréhension que Colomb a pu avoir de ce dessein a sans doute été
limitée, mais sa conviction d’en être un acteur lui donnait une assurance
et même une obstination qui ont stupéfié et exaspéré ses contemporains.
Né à ou près de Gênes en automne 1451, Colomb était le fils d’un maître
tisserand qui devint aussi gardien d’une des portes de la ville.
La première passion du jeune Christophe fut la mer et, une fois adulte, il
devint un marin expérimenté et un homme d’affaires pratique.
Nous apprenons de son fils Ferdinand qu’il « était bien bâti, d’une taille
au-dessus de la moyenne, le visage allongé, les pommettes un peu hautes,
le corps ni gros ni maigre. Il avait le nez aquilin et les yeux clairs ;
son teint était également clair et avait tendance à être rougeaud. Dans sa
jeunesse, il avait les cheveux blonds, mais quand il atteignit l’âge de
trente ans, ils devinrent tout blancs. Pour le manger et le boire, et pour
ce qui est de l’ornementation de sa personne, il était très modéré et
modeste. Il était affable avec les étrangers et très agréable avec les
membres de son ménage, quoique manifestant une certaine gravité [2]. » Son
biographe contemporain, Bartolomé de Las Casas, ajoute que c’était un «
homme grand, imposant, facile à vivre, gentil, hardi, courageux et pieux.
… Il respectait très fidèlement les jeûnes de l’Église, se confessait et
prenait souvent l’Eucharistie, lisait la liturgie comme un membre d’un
ordre religieux et détestait les blasphèmes et les jurons [3]. »
Fernández de Oviedo disait de lui qu’il était « un homme qui menait une
vie honnête… était équitable dans ses paroles, plein de tact et doté d’un
grand talent créateur, bon latiniste et cosmographe très instruit, aimable
quand le voulait, coléreux quand on l’ennuyait [4]. »
Il ne fait pas de doute que Colomb voulait gravir les échelons de la
société, mais il pensait que c’était nécessaire pour réaliser ses buts. Il
manifestait aussi une obstination exaspérante et avait une forte tendance
non seulement à exagérer, mais à refaire la réalité dans son esprit pour
qu’elle corresponde à ses idées préconçues.
Il fit peu d’études, mais devint très compétent dans les langues, la
cosmographie et la navigation, attribuant toutes ses qualifications à
l’inspiration du Saint-Esprit. « Pour l’exécution de l’entreprise des
Indes, je ne me suis servi ni de la raison, ni des mathématiques, ni des
cartes du monde », écrit-il [5].
Rien n’énervait davantage ses contemporains que de l’entendre dire
franchement qu’il avait été divinement choisi. « Dieu m’a fait le messager
des nouveaux cieux et de la nouvelle terre dont il parle dans l’Apocalypse
de saint Jean après en avoir parlé par la bouche d’Ésaïe », écrit Colomb à
un ami, confident de la reine, « et il m’a montré où les trouver [6]. »
Colomb était convaincu que le secret de son entreprise c’étaient les dons
spirituels que Dieu lui avait accordés : « Il m’a accordé en grande
abondance l’art de la navigation et m’a donné ce qui était nécessaire en
matière d’astronomie, de géométrie et d’arithmétique et il m’a accordé un
esprit suffisamment inventif. » Il était sûr que Dieu lui avait accordé
ces dons pour qu’il les utilise à son service, « [l’]encourageant à aller
de l’avant et [lui] inspirant sans cesse un sentiment de grande urgence
[7]. »
Nous n’avons aucun moyen de savoir comment ou quand « l’Esprit de Dieu…
agit sur l’homme ». Peut-être cela lui vint-il dans sa jeunesse à Gênes ou
pendant ses premiers voyages en Méditerranée. Peut-être son enthousiasme
grandit-il après son arrivée, à l’âge de vingt-cinq ans, au port animé de
Lisbonne et sa rencontre avec sa future épouse, la noble Portugaise Dona
Felipa Perestrello. Peut-être l’inspiration vint-elle tandis qu’il vivait
avec sa jeune femme dans les îles Madère, à quelques quatre cents milles
dans l’océan Atlantique. Cela a même pu se produire au cours d’expéditions
marchandes qui le conduisaient vers le nord jusqu’en Islande et vers le
sud le long de la côte de la Guinée en Afrique. Nous savons seulement que
lorsqu’il présenta son projet au roi du Portugal en 1484, il était hanté
par l’idée de trouver une route par l’ouest vers les Indes à travers
l’océan Atlantique.
L’entreprise des Indes
Pour un certain nombre de raisons, l’Asie obsédait les Européens depuis
des générations. L’Europe avait besoin de nouveaux approvisionnements en
minerais et en marchandises pour alimenter son économie en expansion et la
promesse d’une sagesse mystérieuse fascinait les esprits de la
Renaissance. La demande croissante en épices orientales donna une plus
grande impulsion à la recherche d’un nouvel itinéraire vers l’Asie, que
l’on ne pouvait jusqu’alors atteindre que par un voyage part voie de terre
long et dangereux, lequel était bloqué depuis le XIVe siècle en
conséquence de l’isolationnisme chinois, des incursions des musulmans et
de la peste noire.
Colomb n’était pas le premier à être convaincu qu’il était possible
d’atteindre l’Asie (ou les Indes, comme les Européens l’appelaient) plus
rapidement et plus facilement en naviguant vers l’ouest. D’autres
croyaient en la possibilité d’une telle traversée, une croyance stimulée
par les écrits de Pline, de Strabon, de Sénèque, de Marin de Tyr et de
Claude Ptolémée. Chez chacun d’eux, Colomb trouva du soutien pour son
entreprise. Pline, par exemple, enseignait que l’Inde n’était pas loin de
l’Espagne – une idée dont se faisaient l’écho des auteurs contemporains
comme Pierre cardinal d’Ailly qui, dans son Imago mundi, écrit : « Entre
l’Inde et l’Espagne il y a peu de mer [8]. »
La nouveauté de l’idée de Colomb n’était pas que la terre était ronde –
tous les grands géographes et savants depuis les Grecs de l’Antiquité
acceptaient la sphéricité de la terre, tout comme les marins et des gens
instruits de l’époque. C’était plutôt que la circonférence de la terre
n’était pas aussi grande que tout le monde pensait. L’autorité
géographique la plus respectée du temps de Colomb était Ptolémée, qui
avait calculé que la circonférence de la terre était de 35.120 kilomètres
(la mesure moderne est de 41.650 kilomètres). Colomb préférait
l’évaluation du mathématicien arabe al-Farghani, qui avait trouvé une
mesure d’environ 32.000 kilomètres.
Ce qui comptait cependant plus pour Colomb, c’était le rapport des terres
aux mers. C’est ici qu’il fit ses plus grandes erreurs de calcul. Marin de
Tyr avait avancé que les terres s’étendaient sur 225 degrés autour de la
terre, ne laissant que 135 degrés d’eau entre le Portugal et la Chine.
Mais même cela était trop loin pour Colomb. Esdras n’avait-il pas écrit (dans
les Apocryphes) que six parties du globe étaient des terres habitables et
qu’une partie seulement était de l’eau ? Colomb réduisit donc la largeur
de l’océan de 28 degrés pour expliquer une Asie plus grande et puis encore
30 degrés jusqu’au Japon, parce que Marco Polo avait signalé (sans la voir,
naturellement) que l’île de Cypango (le Japon) se trouvait à 2.400
kilomètres au large de la côte du Cathay (la Chine). Colomb déduisit
encore 9 degrés de plus quand il décida de partir des îles Canaries.
Il évaluait donc la distance des Canaries au Japon à environ 4.000
kilomètres. Il avait tort, naturellement : la distance réelle à vol
d’oiseau est de 17.000 kilomètres. Mais, chose remarquable, ce qui se
trouvait à environ 4.000 kilomètres à l’ouest des Canaries était un
continent entièrement nouveau, inconnu de tout le monde en Europe et en
Asie.
Un jour de 1484, Colomb présenta officiellement pour la première fois son
« entreprise des Indes » au roi Jean II du Portugal. João de Barros
rapporte qu’après avoir consulté ses conseillers, roi rejeta la
proposition de Colomb. Les Portugais, qui connaissaient la mer mieux que
quiconque, rejetaient de toute évidence la théorie de la « petite terre »
de Colomb. Ils déclarèrent, à juste titre, qu’il se trompait dans son
évaluation de la distance qu’il faudrait parcourir pour atteindre l’Asie.
Tout en dénonçant la proposition de Colomb comme absurde, le roi envoya
secrètement un bateau pour voir si un tel voyage pourrait être possible. «
Mais parce que les gens qu’il envoya n’avaient pas la connaissance, la
fermeté et les capacités de l’amiral [Colomb], écrit le fils de Colomb,
ils errèrent sur la mer pendant de nombreux jours et revinrent à Lisbonne
en se moquant de l’entreprise [9]. »
Les années d’attente en Espagne
En attendant, la femme de Colomb était morte en lui laissant un fils de
cinq ans, Diego. Ce dut être le cœur lourd que Colomb quitta, au début de
1485, le Portugal pour l’Espagne, où il espérait avoir plus de chance. Les
sept années suivantes furent remplies d’espoirs et de déceptions pendant
qu’il essayait d’obtenir l’appui des souverains espagnols, Ferdinand et
Isabelle, pour son entreprise. Il fallut presque un an à Colomb pour
obtenir sa première audience et même alors, le roi et la reine, préoccupés
par la guerre contre les Maures à Grenade, confièrent sa demande à une
commission de savants.
Mais Colomb ne se laissa pas mettre au frigo. Il continua à défendre son
projet avec tant de ténacité que cela donna naissance à toutes sortes
d’histoires et de mythes pour expliquer sa certitude dogmatique. Il y a
tant de failles dans ces histoires qu’il est étonnant que quiconque y ait
jamais cru, encore moins les savants critiques modernes. Pourtant il y a
des gens qui sont disposés à croire presque n’importe quoi pour expliquer
la conviction inébranlable de Colomb plutôt que d’accepter ses prétentions
à être conduit par Dieu. « Je pouvais sentir sa main sur moi, écrit Colomb,
de sorte qu’il devenait clair pour moi qu’il était possible de naviguer
d’ici jusqu’aux Indes et il m’a donné la volonté de le faire [10]. »
Les souverains espagnols finirent par se rendre compte que le projet de
Colomb avait du mérite, car il promettait un approvisionnement frais en or
et constituait une occasion sans précédent de répandre le message chrétien.
Cependant, les exigences de Colomb en matière de titres et de privilèges
étaient si grandes que son entreprise ne fut finalement acceptée qu’en
janvier 1492.
Une fois les lettres de créance et les contrats voulus entre ses mains,
Colomb se rendit au port de Palos, à l’embouchure du Río Tinto, où sa
petite flotte allait être assemblée. En raison d’un engagement envers la
couronne, la ville de Palos était tenue de fournir deux caravelles
équipées, la Pinta et la Niña. Colomb loua un troisième bateau, la Santa
María.
Charger les bateaux fut relativement facile, mais constituer l’équipage
était une tout autre affaire. Aussi expérimentés que fussent les marins
espagnols, ce n’était pas une entreprise qui les tentait. Les voyages en
mer sont toujours incertains, remarqua un marin, mais celui-ci était tout
bonnement téméraire [11]. Néanmoins, grâce à l’appui d’un vieux loup de
mer, capitaine de la marine marchande de Palos, Martín Alonso Pinzón, et
de ses frères, on put recruter un équipage suffisant. Avant l’aube du 3
août 1492, les trois petits navires descendirent le Rio Tinto en se
laissant porter par la marée basse, passant devant le monastère de La
Rábida, où Colomb avait laissé son fils aux soins des moines franciscains,
et partirent pour l’inconnu.
Le voyage de découverte
Le voyage vers l’ouest des Canaries sur un océan inexploré fut une mise à
l’épreuve de la trempe de Colomb et de son équipage. La plupart des hommes
étaient rongés par le doute concernant l’entreprise. Personne n’avait
jamais essayé pareille traversée et était revenu pour la raconter.
Pourtant il n’y avait apparemment aucune hésitation dans l’esprit de
Colomb. Sa foi dans la direction divine était plus forte que jamais.
Pendant que la terre disparaissait lentement derrière lui, il se mit à
genoux sur l’arrière-pont de son navire amiral pour remercier Dieu et pour
lui demander de l’aider dans la grande entreprise qui l’attendait.
La sortie en mer fut relativement calme. Les alizés du nord-est les
poussèrent avec des « brises aussi douces qu’en avril à Séville [12] »,
écrit Colomb, mais ils les emmenaient également de plus en plus loin dans
l’inconnu. Au bout de trente-deux jours, les hommes s’étaient pris d’une
telle peur devant ce long voyage qu’ils commencèrent à murmurer, insistant
pour qu’il fasse demi-tour avant qu’il ne soit trop tard. Ils avaient
parcouru plus de 3.700 kilomètres. Combien de temps devaient-ils continuer
dans cet océan sans fin ? Colomb leur assura qu’ils arriveraient bientôt.
Deux jours plus tard, aux premières heures du 12 octobre, la terre fut en
vue et, après le point du jour, Colomb et ses officiers allèrent à terre
sur une île minuscule des Bahamas appelée Guanahani par les indigènes.
Colomb l’appela San Salvador pour honorer le Sauveur. Sans le savoir, il
avait accompli la prophétie de la vision de Néphi. (Voir 1 Né 13:12.)
Deux choses lui semblaient maintenant essentielles : Maintenant qu’il
avait localisé les Indes, du moins c’est ce qu’il pensait, sa prochaine
tâche était de trouver les richesses qu’il avait promises aux souverains
espagnols. Il devait également préparer les indigènes qu’il rencontrait à
recevoir le christianisme – car Colomb, baptisé du nom de saint Christophe,
le « porteur de Christ », se considérait comme un ambassadeur de la foi
auprès de ces âmes perdues séparées de la parole du Christ. À plusieurs
reprises dans son journal et dans les lettres qu’il écrira plus tard aux
souverains, il mentionne la facilité avec laquelle les gens recevaient le
christianisme.
Pendant les deux mois et demi suivants, Colomb croisa dans les Caraïbes au
sud de son premier débarquement, pensant qu’il allait bientôt atteindre le
Japon ou même la Chine continentale. Au lieu de cela, il découvrit
d’autres îles, petites et grandes, dont Cuba et Hispaniola (l’île partagée
aujourd’hui par Haïti et la République Dominicaine). Il ne trouva pas la
richesse qu’il espérait, mais il ne perdit jamais l’espoir, s’attendant
pleinement à tenir la promesse qu’il avait faite aux souverains de leur
donner or, épices, coton, et « mille autres choses de valeur [13] ». Son
incapacité à concrétiser de telles promesses finirent par contribuer à sa
chute.
Peu après minuit, le 24 décembre, la Santa María heurta un récif corallien
au large de la côte nord de Hispaniola. Le bateau dut être abandonné, ne
laissant à Colomb que la minuscule Niña, le plus petit des trois navires.
Martín Alonso Pinzón avait déserté avec la Pinta un mois auparavant, aussi
Colomb décida-t-il d’implanter une colonie, en utilisant les matériaux
récupérés sur l’épave pour construire un fortin. Il l’appela La Navidad
parce que le naufrage s’était produit le jour de Noël. Laissant
trente-neuf volontaires pour gérer la colonie, il monta sur la Niña pour
l’Espagne.
Après avoir survécu à une violente tempête dans l’Atlantique pendant le
voyage de retour, Colomb atteignit Palos quelques heures seulement avant
l’arrivée de Pinzón. Celui-ci mourut après quelques jours, laissant à
Colomb le soin de recevoir seul les éloges pour la découverte. Colomb
lui-même attribua une grande partie du mérite à Dieu. Dans une lettre aux
souverains, il écrit : « Le Dieu éternel, notre Seigneur, donne à tous
ceux qui marchent sur son chemin la victoire sur des choses qui semblent
impossibles. Et ceci en est notamment une car, bien que les hommes aient
parlé ou aient écrit sur ces terres, tout a été conjecture. … Toute la
chrétienté devrait se sentir ravie, faire de grandes fêtes et rendre
solennellement grâces à la Sainte Trinité avec beaucoup de prières
solennelles pour la grande allégresse qu’elle aura de voir tant de gens se
convertir à notre sainte foi [14]. »
Pourtant, les voyages suivants de Colomb furent marqués par les déceptions.
Lors du second voyage, il constata que les hommes qu’il avait laissés à La
Navidad avaient été massacrés par les indigènes et ses explorations ne
conduisirent pas à beaucoup de richesses. Pendant le troisième voyage, il
fut incapable de mater la révolte qui avait éclaté dans la nouvelle
colonie qu’il avait fondée lors de son deuxième voyage. En octobre 1500,
il fut arrêté et emmené, enchaîné, en Espagne.
Ce fut une humiliation accablante. Dans une lettre à un ami, il écrit, «
La seule chose qui me soutient est mon espoir en Celui qui a créé chacun
de nous ; son soutien a toujours été proche. Un jour, il n’y a pas bien
longtemps, alors que j’étais profondément affligé, il m’a relevé avec sa
droite en disant : « Ô homme de peu de foi, lève-toi, c’est moi, ne crains
pas[15]. »
Plus tard, pendant son quatrième voyage, Colomb reçut une autre assurance
divine pendant un moment extrêmement périlleux où il était sur le point
d’abandonner tout espoir. « Épuisé, je suis tombé endormi en gémissant,
écrit-il aux souverains. J’ai entendu une voix très compatissante qui
disait : ‘Insensé ! Toi qui es lent à croire et à servir ton Dieu, le Dieu
de tous ! … Tu appelles à l’aide en doutant. Réponds, qui t’a affligé si
profondément et si souvent, Dieu ou le monde ? … Il n’y a pas un iota de
sa parole qui passe ; tout ce qu’il promet, il l’accomplit avec intérêts ;
est-ce là la manière des hommes ? J’ai dit ce que ton Créateur a fait pour
toi et fait pour tous les hommes. Maintenant il te montre en partie la
récompense pour l’angoisse et le danger que tu as endurés au service des
autres.’ J’ai entendu tout cela comme si j’étais en transe, et je n’ai eu
aucune réponse à donner à des paroles aussi vraies, mais je pouvais
seulement pleurer pour mes erreurs. Celui, quel qu’il ait été, qui m’a
parlé, a terminé en disant : « Ne crains pas ; aie confiance ; toutes ces
tribulations sont écrites sur le marbre et ne sont pas sans cause [16]. »
Le Livre des Prophéties de Colomb
Entre les troisième et quatrième voyages, Colomb s’occupa de compiler son
Livre des Prophéties, dans lequel il espérait démontrer la signification
historique et prophétique de ses découvertes et son rôle de « porteur de
Christ [17]. »
La plupart des spécialistes de Colomb ont soit ignoré le Livre des
Prophéties, soit s’en sont excusés, soit l’ont dénoncé comme divagations
d’un esprit déséquilibré. C’est regrettable, parce que le livre est
essentiel si l’on veut comprendre la pensée et la personnalité de Colomb.
C’était un homme pieux, qui étudiait diligemment la Bible. Il la lisait
soigneusement, en utilisant les meilleurs commentateurs bibliques de son
temps. Il prétendait également recevoir l’illumination du Saint-Esprit.
Le Livre des Prophéties, compilé par Colomb avec l’aide de son ami, le
père Gaspar Gorricio, est un recueil de passages bibliques et
d’interprétations du plan de Dieu pour le déroulement des événements du
monde. Ses principaux thèmes sont que les prophéties s’accomplissaient par
la découverte de nouvelles terres et de nouveaux peuples et que la fin de
l’œuvre de Dieu approchait rapidement. Il disait qu’avant les derniers
jours, le message de l’Évangile devait être apporté au monde entier et que
Jérusalem devait être rachetée et le temple reconstruit.
Il croyait qu’il était l’instrument humain appelé par Dieu pour accomplir
une partie de ce plan divin. « Avec une main que je pouvais sentir »,
écrit-il au roi et à la reine dans une lettre en guise de préface, « le
Seigneur a ouvert mon esprit au fait qu’il serait possible de naviguer
d’ici aux Indes et il a ouvert ma volonté pour que je désire accomplir ce
projet. C’était la flamme qui brûlait en moi quand j’ai rendu visite à vos
Altesses. … Qui peut douter que cette flamme n’était pas simplement la
mienne, mais également le Saint-Esprit qui m’encourageait avec le
rayonnement d’une illumination merveilleuse provenant de ses Écritures
sacrées [18]. »
Dans la première partie du livre, Colomb présente un recueil de
soixante-cinq psaumes qui traitent de ses deux thèmes principaux : le
salut du monde et la reconstruction de Sion. Il attire particulièrement
l’attention sur plusieurs versets des écrits d’Ésaïe, de Jérémie et de
Sophonie, qui disent des Gentils qu’ils sont un peuple élu pour hériter du
saint temple, qui parlent de leur conversion dans les derniers jours et du
rassemblement en Sion. L’héritage des Gentils est encore cité dans saint
Augustin, dont Colomb paraphrase la citation de Ps 22:28 comme ceci : «
Toutes les extrémités de la terre et toutes les îles seront converties en
Seigneur. » Après avoir cité Mt 24:14, il fait le commentaire que
l’Évangile a été prêché à trois parties de la terre (Asie, Afrique et
Europe) et doit maintenant être prêché à la quatrième partie.
La deuxième partie du Livre des Prophéties concerne les prophéties déjà
accomplies. Le thème est la grandeur antique de Jérusalem suivie de sa
chute.
Dans la partie suivante, Colomb traite des prophéties du présent et du
futur proche, soulignant le thème du salut pour toutes les nations. Ésaïe
est souvent cité. Colomb fournit alors plusieurs textes du Nouveau
Testament : Mt 2:1-2 ; 8:11 ; Lu 1:48 et notamment Jn 10:16, « J'ai encore
d'autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie; celles-là, il faut que
je les amène; elles entendront ma voix, et il y aura un seul troupeau, un
seul berger. »
La dernière partie du livre traite des prophéties des derniers jours, que
Colomb présente en attirant l’attention sur Jérémie 25, où le prophète
prédit le rétablissement de Jérusalem avant le Jugement dernier. Il cite
enfin vingt-six écritures qui parlent des îles de la mer et de leur rôle
dans les derniers jours.
Le Livre des Prophéties n’était pas les divagations d’un esprit malade.
C’était le travail d’un homme religieux qui n’avait pas peur de mettre ses
idées en action et sa propre vie en péril. Colomb connaissait les
Écritures comme il connaissait la mer, et il voyait un lien entre les deux.
Le thème central de son livre était que Dieu avait esquissé dans la Bible
son plan pour le salut de toute l’humanité et que lui, Colomb, jouait le
rôle lui avait été dévolu dans ce plan.
La conclusion de l’excellente introduction de Delno West à la traduction
anglaise du Livre des Prophéties récapitule clairement la personnalité et
les motivations de l’amiral : « Christophe Colomb se considérait comme un
homme du destin qui avait reçu le don charismatique de comprendre les
Écritures, la navigation, les cartes, les vents, les marées, l’astronomie,
la cosmographie, les mathématiques et les sciences apparentées. Sa
compréhension de sa mission ou de son entreprise était tirée de la Bible
ou prouvée par la Bible, et il savait qu’il ouvrait de nouvelles terres
riches en or et en autres objets de valeur. Il croyait qu’il était un élu
qui œuvrait pour le bien de toute la chrétienté en ouvrant le reste du
monde au message de l’Évangile. Il savait qu’il serait incompris et
diffamé, mais il acceptait cela comme étant le lot d’une personne
divinement choisie [19]. »
De nos jours, la diffamation a augmenté en intensité, mais notre
conscience de ce que Colomb a accompli sous la direction de Dieu doit nous
rappeler notre propre dette et nos responsabilités comme bénéficiaires de
son courage. Sa préoccupation principale, qui devrait aussi être la nôtre,
n’était pas ce que les gens penseraient de lui, mais ce que Dieu penserait
de lui.
NOTES
1. Voir William D. Phillips, Jr., et Carla Rahn Phillips, The Worlds of
Christopher Columbus, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, pp.
3–8.
2. The Life of the Admiral Christopher Columbus by His Son Ferdinand,
trad. angl. Benjamin Keen, New Brunswick, Rutgers University Press, 1959,
p. 9.
3. Bartolomé de Las Casas, Historia de las Indias, dir. de publ. Agustín
Millares Carlo, 3 vols., Mexico, Fondo de Cultura Económica 1951, lib. I,
cap. ii, p. 29.
4. Gonzalo Fernández de Oviedo y Valdés, Historia general y natural de las
Indias (1535), 4 vols., Madrid, Real Academia de la Historia, 1851, 1:12.
5. Colomb à Doña Juana de la Torre, Raccolta di documenti e studi
pubblicati della R. Commissione Colombiana, 1e partie, vol. ii; I Scriti
di Cristoforo Colombo, dir. de publ. Cesare de Lollis, Rome, 1894, p. 82.
6. Id., p. 66.
7. Id., p. 79.
8. Compendium Cosmographie, dans Edmund Buron, dir. de publ., Imago mundi
de Pierre d’Ailly, 3 vols., Paris, Maisonneuve, 1930, 3:659–61.
9. The Life of the Admiral by His Son, pp. 35–36.
10. Raccolta, 1e partie, vol. ii, p. 79.
11. Pleitos colombinos, cité dans Paolo Emilio Taviani, Christopher
Columbus: the Grand Design, Londres, Orbis, 1985, pp. 143–44, 204.
12. L’original du journal manuscrit de Colomb n’existe plus. Ce qui a
survécu est une transcription abrégée de l’original, faite par Bartolomé
de Las Casas dans les années 1530 à partir de la copie de Colomb. La
version anglaise la plus précise et la plus soigneusement éditée (avec
l’espagnol sur la page en regard) est The Diario of Christopher Columbus’s
First Voyage to America, 1492–1493, tr. Oliver Dunn et James E. Kelley,
Jr., Norman, University of Oklahoma Press, 1988.
13. “Letter of Columbus on the First Voyage,” dans The Four Voyages of
Columbus, tr. Cecil Jane, 2 vols. reliés en un, New York, Dover, 1988,
1:16.
14. Cristóbal Colón, Textos y documentos completos: Relacionesde viajes,
cartas y memoriales, dir. de publ. Consuelo Varela, Madrid, Alianza
Editorial, 1989, pp. 137–138.
15. Id., pp. 263–264.
16. “Letter of Columbus on the Fourth Voyage,” dans The Four Voyages of
Columbus, tr. Cecil Jane, 2:90–92.
17. The Libro de las profecías of Christopher Columbus, tr. Delno C. West
et August Kling, Gainsville, University of Florida Press, 1991, p. 3.
C’est la première traduction anglaise du Livre des Prophéties,
précédemment publié en latin par Cesare de Lollis dans 1e partie, vol. ii
de la Raccolta, du manuscrit original relié en vélin de 84 feuilles folio
(168 pages), situé à la Biblioteca Colombina à Séville.
18. Libro de las profecias, p. 105. Raccolta, 1e partie, vol. ii, p. 79.
19. Id., p. 74.
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