Moroni et la tunique de Joseph d’Égypte
Message rédigé par l'équipe BMC 29
juillet 2016 KnoWhy n° 15
« Comme ce reste de vêtement de
mon fils a été préservé, de même un reste de la postérité de mon fils sera
préservé par la main de Dieu et sera pris en son sein, tandis que le reste
de la postérité de Joseph périra, tout comme le reste de ce vêtement. »
Alma 46:24
Les faits
Pour mettre fin
aux dissensions et aux trahisons parmi ses compatriotes néphites, dont
beaucoup se laissaient persuader par les flatteries d’Amalickiah (Alma
46:10), Moroni entreprit de ranimer le moral et la fidélité de ses
concitoyens néphites. En conséquence, « il déchira son manteau ; et il en
prit un morceau et écrivit dessus: En souvenir de notre Dieu, de notre
religion, et de notre liberté, et de notre paix, de nos épouses, et de nos
enfants — et il l'attacha au bout d'une perche » (v. 12).
Cette
bannière, appelée « l’étendard de la liberté » (Alma 46:13), fut d'abord
employée comme bannière de guerre pour les forces néphites (v. 19–20) [1].
Conformément à la pratique antique qui avait cours au Proche-Orient qu’on
a appelée le serment par analogie, les soldats qui se rallièrent à Moroni
déchirèrent [2] leurs propres vêtements en signe de leur alliance,
promettant que si l’un d’eux transgressait les commandements de Dieu, « le
Seigneur le déchirerait comme il avait déchiré ses vêtements »( v. 21 )
[3].
Chose curieuse, tandis qu’il recueille du soutien pour la
cause militaire néphite, Moroni invoque les paroles du patriarche Jacob,
père de Joseph d'Égypte (Alma 46:24). Il introduit le sujet en rappelant à
ses camarades :
« Voici, nous sommes un reste de la postérité de
Jacob; oui, nous sommes un reste de la postérité de Joseph, dont la
tunique fut déchirée par ses frères en de nombreux morceaux; oui, et
maintenant, voici, souvenons-nous de garder les commandements de Dieu, ou
nos vêtements seront déchirés par nos frères, et nous serons jetés en
prison, ou vendus, ou tués (v. 23) ».
Ensuite, il cite Jacob comme
ceci :
« Comme ce reste de vêtement de mon fils a été préservé, de
même un reste de la postérité de mon fils sera préservé par la main de
Dieu et sera pris en son sein, tandis que le reste de la postérité de
Joseph périra, tout comme le reste de ce vêtement. Or, voici, cela donne
de la tristesse à mon âme; néanmoins, mon âme se réjouit de mon fils, à
cause de cette partie de sa postérité qui sera prise dans le sein de Dieu
(Alma 46:24-25). »
Pour que ce soit bien compris et pour réitérer
le serment par analogie déjà annoncé, Moroni conclut en déclarant que même
si un reste de la postérité de Joseph périt comme son vêtement, « ce sera
même nous, si nous ne demeurons pas fermes dans la foi du Christ » (Alma
46:27).
Le fait pour Moroni d’utiliser une bannière de guerre est
tout à fait dans le ton des pratiques martiales d’usage dans l'ancien
Israël et en Méso-Amérique. Parmi les manuscrits de la mer Morte, il y a
ce qu’on appelle le parchemin de guerre, qui explique en détail comment la
communauté de Qumran doit se préparer à la grande et dernière bataille
entre le bien et le mal.
Parmi les équipements militaires censés
être utilisés figuraient des bannières de guerre avec un texte écrit
dessus. « Règle des bannières de toute l’assemblée selon ses formations.
Sur la grande bannière qui est à la tête de tout le peuple, on écrira :
‘Peuple de Dieu’, les noms ‘Israël’ et ‘ Aaron’, et les noms des douze
t[ribus d'Israël] selon leur ordre de naissance [4]. »
Comme
l'explique Kerry Hull, les cultures mésoaméricaines employaient également
des bannières de guerre d’une manière hautement ritualisée, bannières qui
ressemblent fort à l’étendard de la liberté de Moroni [5]. Cette
convergence inattendue des données linguistiques et culturelles « confirme
de manière remarquable que le texte est bien un document ancien et apporte
une preuve de ce que le Livre de Mormon se situe dans un contexte culturel
mésoaméricain [6]. »
L’explication
En fin
de compte, l’étendard de guerre de Moroni et la citation de Jacob vont
aller de pair pour légitimer efficacement la cause néphite. « Moroni a
tout mis en œuvre avec l’étendard de la liberté », dit Hull. Avec son
étendard de la liberté, Moroni aura rappelé à ses soldats qu'ils se
battent pour trois valeurs ultimes: leur Dieu et leur religion, leur
liberté et leur paix, leurs femmes et leurs enfants.
L'action
symbolique de Moroni invoque également le pouvoir de l'héritage ancestral
et les alliances de Dieu avec les ancêtres néphites. « Il a légitimé
l’entrée dans l'alliance en se servant d’une histoire apocryphe sur Jacob
et un reste de la tunique de son fils Joseph. »
Puisque Léhi était
un descendant de Joseph (1 Néphi 5:14), la nature archaïque du rite
pratiqué par leur ancêtre éponyme aura valu à Moroni un soutien
supplémentaire. L'utilisation innovante d'un étendard pour afficher le
vêtement déchiré montre que Moroni savait s'adapter aux circonstances et à
la culture dans lesquelles il vivait. Une bannière, bien connue comme
symbole de guerre, de motivation et de leadership au combat dans les
sociétés du monde entier, était un moyen particulièrement approprié de
rallier les autres à sa cause [7].
De plus, en invoquant
explicitement les paroles de Jacob, le père de la maison d'Israël,
promettant que « un reste de la postérité de mon fils [Joseph sera]
conservé par la main de Dieu », Moroni renouvelait et étendait la promesse
de Jacob à ses soldats, qui étaient eux-mêmes un reste de la maison de
Jacob dans un pays étranger. Il serait difficile d'imaginer un symbole qui
aurait été plus galvanisant que celui-ci pour les soldats de Moroni. Ce
reste était porteur d’un mauvais augure, mais en fin de compte il ouvrait
la porte à la préservation par Dieu du peuple d'Israël en tant qu'étranger
au pays d'Égypte.
Notes
[1] Des copies de
l’étendard de la liberté furent faites et furent hissées sur diverses
tours et dans les villes du pays de Zarahemla comme symboles de loyauté et
de solidarité ; voir Alma 51:20 . [2] John A. Tvedtnes relève un
hébraïsme potentiel dans Alma 46:19. La plus ancienne version du texte dit
que Moroni « s’en alla parmi le peuple, agitant en l’air la déchirure »,
comme dans la partie déchirée du vêtement. Voir Royal Skousen, éd., The
Book of Mormon: The Earliest Text (New Haven, CT: Yale University Press,
2009), p. 441. Cela a été corrigé dans les éditions ultérieures et est
devenu « la partie déchirée ». Cependant, l'hébreu biblique a un mot qui
correspondrait à « déchirure » comme nom pour désigner un morceau de tissu
déchiré (cf. 1 Rois 11:30 ). Voir John A. Tvedtnes, « Hebraisms in the
Book of Mormon: A Preliminary Survey », BYU Studies 11, no. 1 (1970), p.
50. [3] On trouvera davantage d’informations sur la présence de
serments par analogie dans le Livre de Mormon dans Book of Mormon Central,
“Why Would Zerahemnah not Swear an Oath to Moroni? (Alma 44:8),” KnoWhy
152 (July 27, 2016). [4] “War Rules,” in The Dead Sea Scrolls Reader:
Volume I, ed. Donald W. Parry and Emanuel Tov (Leiden: Brill, 2013), Col.
III, lines 13–14. See also Hugh Nibley, Since Cumorah, The Collected Works
of Hugh Nibley: Volume 7 (Salt Lake City and Provo, UT: FARMS, 1981), 242.
[5] Kerry Hull, “War Banners: A Mesoamerican Context for the Title of
Liberty,” Journal of Book of Mormon Studies 24 (2015): 84–118. [6]
Hull, “War Banners,” 118. [7] Hull, « War Banners », 117.
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