UNE IMPERFECTION DU LIVRE DE MORMON TEMOIGNE DE SON AUTHENTICITE

Le Livre de Mormon, une relique littéraire du passé
par Grant Hardy
Journal of Book of Mormon Studies, vol. 12, n° 2, 2003, pp. 107-109
© 2003, ISPART

Les témoins de la traduction du Livre de Mormon s’accordent pour dire que Joseph Smith a dicté le texte une seule fois à des secrétaires qui notaient ses paroles le plus vite qu’ils le pouvaient. Certains pourraient considérer le livre qui en est résulté comme étant un ouvrage de littérature orale – Joseph ayant improvisé le récit au fur et à mesure – mais la structure complexe et les procédés antiques de rédaction qui ressortent clairement des annales néphites confirment les dires de Joseph, à savoir que le Livre de Mormon est en réalité la traduction d’un livre ancien qui a lui-même eu une longue histoire comme document écrit.

Un nouvel élément en faveur du caractère littéraire du livre apparaît lorsqu’on lit attentivement Alma 13 et que l’on constate que le verset 16 n’est pas à sa place. Étant donné qu’il n’y a ici aucune indication, dans les manuscrits anglais, qu’il y a ici un problème [1], le déplacement a dû être antérieur à la traduction dictée, et c’est exactement le type d’anomalie dans la transmission que l’on trouve régulièrement dans d’autres livres qui ont été élaborés, copiés et recopiés à la main.

Regardez les versets 15-17:

« Et ce fut ce même Melchisédek à qui Abraham paya la dîme; oui, notre père Abraham paya comme dîme le dixième de tout ce qu’il possédait.
« Or, ces ordonnances furent données de cette manière, pour que le peuple pût ainsi attendre le Fils de Dieu, car c’était une figure de son ordre, ou c’était son ordre, et cela afin qu’il l’attendît pour le pardon de ses péchés, afin d’entrer dans le repos du Seigneur.
« Or, ce Melchisédek était roi du pays de Salem; et son peuple était devenu fort dans l’iniquité et l’abomination; oui, ils s’étaient tous égarés; ils étaient remplis de toute sorte de méchanceté. »

La première chose qu’il faut remarquer, c’est que si l’on omettait le verset 16, on ne verrait pas la différence. En fait, il interrompt le bon déroulement des idées dans le traitement relatif à Melchisédek (versets 14-20). Le deuxième indice est que les liens entre les versets n’ont pas de sens. L’expression ces ordonnances au verset 16 doit désigner quelques chose qui précède, et même si nous pouvions d’une certaine façon concevoir la dîme comme une ordonnance, il n’apparaît pas du tout comment elle pourrait inciter les gens à attendre la rémission des péchés qui va de pair avec le Fils de Dieu. Les efforts pour rattacher la « manière » de la dîme à l’ordre du Fils de Dieu poseraient encore plus de problèmes.

Mais les éléments cryptiques du verset 16 sont intelligibles si on le lit dans le contexte du traitement de l’ordination à la prêtrise, qui apparaît précédemment dans le chapitre. Le verset 2 introduit les conditions de base :

« Et ces prêtres étaient ordonnés selon l’ordre de son Fils, d’une manière telle que le peuple pût savoir de quelle manière attendre son Fils pour avoir la rédemption » (Alma 13:2).

Les versets qui suivent expliquent comment l’ordination à la prêtrise symbolise de deux manières au moins la rédemption du Christ. Premièrement les deux ont été « préparés dès la fondation du monde » (comme la prêtrise elle-même) ; et deuxièmement, les versets 11-12 suggèrent qu’au moment de leur ordination, un certain nombre de ces nouveaux détenteurs de la prêtrise ont connu une expérience de rédemption (peut-être la « rédemption préparatoire » du verset 3) :

« C’est pourquoi ils étaient appelés selon ce saint ordre, et étaient sanctifiés, et leurs vêtements étaient blanchis par le sang de l’Agneau.

« Or, après avoir été sanctifiés par le Saint-Esprit, ayant les vêtements blanchis, étant purs et sans tache devant Dieu, ils ne pouvaient considérer le péché qu’avec aversion; et il y en eut beaucoup, un nombre extrêmement grand, qui furent rendus purs et entrèrent dans le repos du Seigneur, leur Dieu. »

C’est là que doit venir le verset 16 :

« Or, ces ordonnances furent données de cette manière, pour que le peuple pût ainsi attendre le Fils de Dieu, car c’était une figure de son ordre, ou c’était son ordre, et cela afin qu’il l’attendît pour le pardon de ses péchés, afin d’entrer dans le repos du Seigneur. »

Le terme ordonnances au commencement du verset désigne les ordinations à la prêtrise (comme au verset 8, qui commence par : « Or, c’est donc ainsi qu’ils étaient ordonnés… »), les allusions à la rémission des péchés et à l’ordre du Fils de Dieu reprennent les conditions fixées au verset 2 et complètent le traitement du sujet, et l’expression repos du Seigneur rappelle la fin du verset 12.

Il y a un changement de sujet au verset suivant où Alma termine son explication théologique et exhorte directement ses frères à s’humilier :

« Et maintenant, mes frères, je voudrais que vous vous humiliiez devant Dieu, et produisiez du fruit digne du repentir, afin que vous entriez aussi dans ce repos. »

L’expression ce repos nécessite un antécédent, que le verset 16 fournit tout aussi bien que le verset 12. (Il est remarquable que le verset 16 se rattache mieux à la fois à ce qui précède et à ce qui suit, si on le déplace pour le mettre entre les versets 12 et 13). De là, Alma entraîne ses auditeurs dans un traité sur Melchisédek, puisque le peuple de ce roi est cité comme exemple d’humilité et de repentir, mais ici, la rupture n’est pas indûment brutale. Après tout, Melchisédek détenait la prêtrise dont il est question au passage précédent. Et sans l’interruption bizarre au verset 16, le traitement de Melchisédek continue sans difficulté du verset 13 jusqu’à la fin du discours d’Alma en réponse à la question d’Antionah.

Si nous acceptons le fait que Alma 13 se lit mieux lorsque l’on avance le verset 16 de trois versets, la question suivante est : ce genre de chose se produit-il dans d’autres textes anciens authentiques ? La réponse est : absolument. Je donne quatre exemples avec lesquels les spécialistes sont généralement d’accord, tous de la Bible (la plupart des commentaires de spécialistes traitent de ces passages) :

1. Juges 20:23 n’est pas à sa place. Il devrait probablement être mis avant le verset 22.
2. Ésaïe 38:21-22 devrait être mis entre les versets 6 et 7 (faisant ainsi correspondre Ésaïe 38 à 2 Rois 20:6-11).
3. Certains manuscrits du Nouveau Testament mettent Romains 16:25-27 après 14:23, il y en a un qui met ces versets après 15:33 et d’autres les mettent à la fin des chapitres 14 et 16.
4. Quelques manuscrits mettent 1 Corinthiens 14:34-35 après le verset 40.

Dans certains cas, c’est la rupture dans le discours qui attire notre attention sur les problèmes textuels, tandis que pour d’autres passages il y a des variantes dans les manuscrits qui font penser à des erreurs de la part des copistes.

Bien entendu, le fait que de telles erreurs se produisent incite les spécialistes à essayer d’en déterminer la cause. Comment se fait-il qu’un bloc de texte soit placé au mauvais endroit et pourquoi cette erreur serait-elle transmise ? La science de la critique des textes est très complexe et les erreurs d’un manuscrit donné sont souvent dues à des problèmes propres à une langue, à une technique d’écriture ou à une tradition de copistes particulière. Mais en général de telles erreurs peuvent être le résultat (1) d’ajouts par des copistes, (2) de commentaires rédactionnels dans les marges qui deviennent partie intégrante du texte, (3) de déchirures dans le papier, particulièrement aux extrémités des rouleaux ou (4) des erreurs commises par les copistes lorsque leurs yeux vont du manuscrit qu’ils copient à celui qu’ils écrivent [2].

Comment pareille erreur a-t-elle pu se glisser dans un texte écrit sur des plaques de métal ? Malheureusement, nous avons ici tellement peu d’éléments que nous sommes forcés d’émettre des suppositions. Des erreurs ont pu se glisser avant que le texte ne soit mis sur métal (Alma 14:8 parle d’Écritures que l’on brûle ; étaient-elles écrites sur du tissu ou sur du papier ? Faisait-on des brouillons sur des matériaux plus périssables avant de les graver sur des plaques ?), il a pu y avoir quelque chose en égyptien réformé qui a créé une confusion chez un copiste ou peut-être que quelqu’un, en transcrivant le passage sur du métal, a oublié le verset 16, s’est aperçu, trois versets plus loin, de son erreur, puis a inséré le verset 16 avec une flèche ou un signe du même genre – que Joseph Smith n’a pas reproduit en anglais – dans la marge. J’imagine qu’il aurait été très difficile d’effacer les fautes sur des plaques d’or [3].

Dans le cas qui nous occupe, il y a quelque chose qui retiendrait immédiatement l’attention des spécialistes des textes : les versets 12 et 16 finissent tous les deux virtuellement par la même expression : entrèrent [entrer] dans le repos du Seigneur. Un copiste a pu lire le verset 12 et détourner les yeux pour le mettre par écrit, ensuite, en regardant de nouveau le texte original, ses yeux ont pu passer au repos du Seigneur suivant (à la fin du verset 16, que je suppose avoir été le verset suivant), ce qui a eu pour résultat la suppression, par inadvertance, de toute une phrase. Se rendant compte, trois versets plus loin, de son erreur, il a alors copié ce qu’il avait sauté, ailleurs qu’à sa place, de manière à ne perdre aucun des précieux mots. Ce processus se produit suffisamment souvent dans les copies manuscrites pour que les spécialistes lui aient donné le nom de homoeoteleuton et c’est en fait ce qui explique qu’un verset tout entier ait été omis juste après Alma 32:30 dans l’édition de 1830 (les mots manquants n’ont finalement été restaurés qu’en 1981) [4]. Toutefois, ce dernier exemple était une erreur dans la transmission de la traduction anglaise, tandis que Alma 13:16 semble être un problème antérieur à la traduction, c’est-à-dire qu’il était sur les plaques d’or elle-mêmes.

Le placement d’Alma 13:16 au mauvais endroit semble être le résultat d’un problème mécanique de copie à un moment précis de l’histoire ancienne du texte. Ce genre d’erreur est assez courant lorsque l’on travaille avec des textes manuscrits (par exemple la nouvelle version standard révisée (anglaise) de la Bible contient neuf cas de transposition de versets et la Bible anglaise révisée en contient 20) [5], mais il est difficile d’imaginer comment ces déplacements de blocs de texte auraient pu se produire si l’œuvre était à l’origine une composition orale (comme les contradicteurs doivent le supposer à propos du Livre de Mormon s’ils imaginent que Joseph Smith l’inventait au fur et à mesure). La meilleure façon d’expliquer cette irrégularité ici dans le texte c’est d’y voir le résultat d’une copie ancienne de documents écrits, longtemps avant que Joseph Smith ait un contact quelconque avec les plaques.

Les rédacteurs du Livre de Mormon ont reconnu la possibilité d’erreurs humaines dans leurs annales ; c’est pour cela que la page de titre nous avertit : « Et maintenant s’il y a des fautes, ce sont les erreurs des hommes; c’est pourquoi ne condamnez pas les choses de Dieu. » Mais je ne suis pas sûr qu’ils se rendaient compte que certaines erreurs pouvaient en fait renforcer les prétentions du livre à être un texte écrit ancien.

 

NOTES

[1] Dans le manuscrit originel et celui de l’imprimeur, le verset 16 est placé exactement là où il s’est toujours trouvé dans toutes les éditions imprimées du Livre de Mormon ; il n’y a aucune indication qu’il y ait eu une erreur lors de la dictée ou de la transcription. On trouvera de plus amples renseignements sur la transmission du texte du Livre de Mormon dans George A. Horton Jr., « Book of Mormon Transmission from Translator to Printed Text », dans Paul R. Cheesman, dir. de publ., The Keystone Scripture, Provo, Utah, BYU Religious Studies Center, 1988, pp. 237-255 et dans M. Gerald Bradford et Alison V. P. Coutts, dir. de publ., Uncovering the Original Text olf the Book of Mormon, Provo, UT, FARMS, 2002.
[2] On trouvera de plus amples détails sur la discipline de la critique textuelle dans Bruce M. Metzger, The Text of the New Testament : Its Transmission, Corruption, and Restoration,, 3e éd., New York, Oxford University Press, 1992 ou : L. D. Reynolds et N. G. Wilson, Scribes and Scholars, 3e éd., New York, Oxford University Press, 1991.
[3] Daniel Ludlow pense que la formulation bizarre d’Alma 24:19 : « ils enterrèrent leurs armes de paix, ou ils enterrèrent les armes de guerre, pour la paix » pourrait être le résultat d’une erreur commise lors de la gravure et qui n’a pas pu être effacée, mais a quand même été corrigée immédiatement. Il donne aussi d’autres exemples dans Mosiah 7:8, Alma 5:32, Hélaman 3:3 et 3 Néphi 1:4. Voir Daniel H. Ludlow, A Companion to Your Study of the Book of Mormon, Salt Lake City, Deseret Book, 1976, p. 210. Il y a peut-être un autre cas dans Alma 13:16, qui fait l’objet de la présente étude, où l’auteur décide au milieu d’une phrase que la manière dont se fait une ordination à la prêtrise n’est pas simplement un type ou un symbole de l’ordre de Dieu ; c’est en réalité l’ordre même de Dieu.
[4] Voir Robert J. Matthews, « The New Publications of the Standard Works – 1979, 1981 », BYU Studies, 22/4, automne 1982, pp. 387-424.
[5] Par chapitre, les références sont les suivantes : New Revised Standard, Exode 18, 22 ; Juges 20 ; Ézéchiel 21, 22 ; Zacharie 5 ; Jean 8 ; Romains 16 ; 1 Corinthiens 14 ; Revised English Bible, 1 Samuel 9 ; 2 Samuel 14 ; Juges 20 ; Job 3, 1 20, 24, 29, 31 (deux fois), 33, 34, 35, 37 ; Ecclésiaste 2 ; Ésaïe 10, 38, 40 ; Jean 8 ; Romains 16.