Et si Martin Harris n’avait pas perdu la totalité des 116 pages ?
Par Book of Mormon Central
14 avril 2018


« C'est pourquoi, avec l'aide de ceux-ci, le roi Benjamin, en travaillant de toute la puissance de son corps et des facultés de toute son âme, ainsi que les prophètes, fit encore une fois régner la paix dans le pays. Or, il n'y eut plus de querelles dans tout le pays de Zarahemla, parmi tout le peuple qui appartenait au roi Benjamin, de sorte que le roi Benjamin eut une paix continuelle tout le reste de ses jours. » (Paroles de Mormon 1:18, Mosiah 1:1)

La plupart des lecteurs du Livre de Mormon connaissent l’histoire de Martin Harris et des 116 pages perdues, et bon nombre d'entre nous aimeraient probablement jeter un coup d’œil sur ces pages. Si nous n’avons probablement guère de chances de le faire dans un avenir prévisible, nous pouvons faire ce qui s’en rapproche le plus : lire la « partie gardée », ou ce que le Seigneur a appelé « ce que tu as traduit et gardé » (Doctrine et Alliances 10:41, italiques ajoutés).

Cette révélation donnée à Joseph après la perte des 116 pages donne à penser que quelque chose de la traduction initiale peut encore être conservé dans notre Livre de Mormon actuel. Certains chercheurs, comme Jack M. Lyon et Kent R. Minson, pensent avoir découvert cette partie qui a été gardée : Paroles de Mormon 1:12–18 [1].

L’idée qui est à la base de cette théorie est que notre version actuelle de Mosiah commence au chapitre 3 et que Martin Harris a perdu la plus grande partie des deux premiers chapitres de Mosiah avec le reste des 116 pages. Mais il se peut qu’une partie du Mosiah 2 original ait survécu et ait été intégrée par erreur aux Paroles de Mormon.

Cette proposition repose sur une lecture attentive des Paroles de Mormon [2], combinée à des indications fournies par le manuscrit de l’imprimeur. Ce qui intrigue le plus dans les Paroles de Mormon, c’est qu’elles semblent s’arrêter au milieu : le verset 11 dit : « et je sais qu'elles seront préservées, car de grandes choses y sont écrites, d'après lesquelles mon peuple et ses frères seront jugés lors du grand et dernier jour, selon la parole de Dieu qui est écrite [3]. »

Ceci pourrait être une fin parfaite aux Paroles de Mormon, mais elles continuent avec quelque chose qui est apparemment sans rapport, « Et maintenant, concernant ce roi Benjamin: il y eut quelques dissensions parmi son peuple [4]. » Dans les six versets qui suivent, elles continuent à parler du roi Benjamin sans arriver à une conclusion.

Le début de Mosiah est presque aussi surprenant que la fin des Paroles de Mormon. On n’y trouve pas l’introduction habituelle que l'on voit dans les autres livres des grandes plaques (comme l’introduction au livre d’Alma, par exemple) [5]. On continue simplement de parler du roi Benjamin, apparemment là où les Paroles de Mormon s’étaient arrêtées [6]. En fait, si on lit Paroles de Mormon 1:18, et Mosiah 1:1 ensemble, cela s’enchaîne très bien :

« Le roi Benjamin, en travaillant de toute la puissance de son corps et des facultés de toute son âme, ainsi que les prophètes, fit encore une fois régner la paix dans le pays. Or, il n'y eut plus de querelles dans tout le pays de Zarahemla, parmi tout le peuple qui appartenait au roi Benjamin, de sorte que le roi Benjamin eut une paix continuelle tout le reste de ses jours. »

Ce passage tout naturel de Paroles de Mormon 1:18 à Mosiah 1:1 donne à penser que Paroles de Mormon 1:12–18 aurait pu, à l’origine, faire partie du livre de Mosiah.

La copie du manuscrit original du Livre de Mormon faite par Oliver Cowdery et appelée manuscrit de l’imprimeur donne également à penser qu’il pourrait bien en être ainsi [7]. Lyon et Minson notent :

Image du manuscrit de l’imprimeur du Livre de Mormon, avec « Mosiah chapitre III » mis en évidence
Image du manuscrit de l’imprimeur du Livre de Mormon,
avec « Mosiah chapitre III » mis en évidence


En copiant le texte du manuscrit original du Livre de Mormon sur le manuscrit de l’imprimeur, Oliver Cowdery a dû rencontrer un problème au début du livre de Mosiah... Il avait bien copié la mention « Chapitre III » du manuscrit original, mais où étaient les chapitres I et II ? Le titre précédent était « Paroles de Mormon » et il n’y avait pas d’autres chapitres qui suivaient. Oliver a réglé le problème du mieux qu’il pouvait en barrant les deux derniers caractères de « Chapitre III » (ce qui en fait le « Chapitre I ») et en insérant « Livre de Mosiah » au-dessus de la ligne [8].

Bien qu’il puisse paraître bizarre de perdre seulement une partie d’un chapitre, cela pourrait s’expliquer par la façon dont les 116 pages ont vraisemblablement été assemblées.

Lyon et Minson observent que « le manuscrit original du Livre de Mormon n’était pas une pile de pages séparées ». Il était en fait constitué de « ‘cahiers’ (habituellement) de six grandes feuilles de papier pliées longitudinalement et reliées par des fils ». Les 116 pages étaient probablement « cinq de ces ‘cahiers’, quatre avec six feuilles (et donc vingt-quatre pages chacune) et l’autre avec cinq feuilles (et donc vingt pages) [9]. »

Royal Skousen en conclut que le « cahier » suivant devait contenir une partie du deuxième chapitre du Mosiah original [10]. Donc quand il a emporté les cinq premiers « cahiers », Martin a laissé une partie de Mosiah 2 parce qu’elle était sur le « cahier » suivant dont il n’avait pas besoin.

Plus tard, quand il a fait le manuscrit de l’imprimeur, Oliver a copié les Paroles de Mormon et ensuite a continué directement dans la partie restante de Mosiah 2 sans s’en apercevoir tout de suite, car c’était le début du « cahier » suivant. Il n’a remarqué que quelque chose clochait que quand il est arrivé au saut de chapitre et a constaté qu’il manquait les titres de chapitre de Mosiah 1 et 2. Après avoir modifié le chapitre 3 pour lui faire dire chapitre 1, il a laissé, sans s’en rendre compte, la partie restante du chapitre 2 dans Paroles de Mormon [11].

Il est impossible d’être certain que Paroles de Mormon 1:12–18 fait vraiment partie ou non de Mosiah et tous les chercheurs ne sont pas d’accord avec cette théorie [12]. Mais si c’est correct, les Paroles de Mormon et le livre de Mosiah sont beaucoup plus logiques [13]. Tout à coup Paroles de Mormon 1:1–11 constitue un livre en soi avec une introduction et une conclusion logiques. Dans le même temps, il devient évident que Paroles de Mormon 1:12–18 passe dans Mosiah 1, ce qui rend le premier chapitre de Mosiah plus facile à comprendre.
Cette lecture montre aussi les effets durables d’un roi juste et de vrais prophètes sur la société [14]. Une fois que le roi Benjamin et les prophètes ont fait « encore une fois régner la paix dans le pays » (Paroles de Mormon 1:18), le roi Benjamin « eut une paix continuelle tout le reste de ses jours [15]. » Une fois que ses armées ont réglé les menaces extérieures, le roi Benjamin peut régler les problèmes internes, tels que les faux prophètes [16]. Quand on lit ces textes ensemble, on voit que sa propre prédication et celle des vrais prophètes ont conduit à une paix qui durera jusqu'à sa mort.

Quand nous lisons soigneusement le Livre de Mormon, même les petits détails commencent à façonner notre compréhension de l’Évangile. Comprendre la relation entre les Paroles de Mormon et Mosiah peut nous aider tous à comprendre un peu mieux le roi Benjamin et le Livre de Mormon. Bien que nous ne soyons pas en mesure de lire les 116 pages, le fait de savoir que Paroles de Mormon 1:12–18 pourrait être une petite partie de ce que Joseph et Martin ont traduit ensemble change la perception que nous avons de ces versets.

Notes

[1] Voir Jack M. Lyon et Kent R. Minson, « When Pages Collide: Dissecting the Words of Mormon » BYU Studies Quarterly 51, n° 4 (2012), p. 120-136. Pour l’argument précédent dans le même sens, voir John A. Tvedtnes, critique de Covering Up the Black Hole in the Book of Mormon, par Jerald et Sandra Tanner, Review of Books on the Book of Mormon 3, n° 1 (1992), p. 201–203.
[2] Pour plus d’informations sur les Patroles de Mormon, voir Book of Mormon Central, « Why is ‘Words of Mormon’ at the End of the Small Plates? (Paroles de Mormon 1:3) », KnoWhy 78 (14 avril 2016).
[3] Le verset 11 semble être la fin logique de la première partie du texte. Voir John C. Thomas, « Words of Mormon » dans le Book of Mormon Reference Companion, dir. de publ. Dennis L. Largey, Salt Lake City, Utah, Deseret Book, 2003, p. 793.
[4] Ce verset semble indiquer le but du livre. Voir Victor L. Ludlow, « Scribes and Scriptures: Enos, Jarom, Omni, and the Words of Mormon”, dans Book of Mormon, Part 1:1 Nephi–Alma 29, Studies in Scripture: Volume 7, dir. de publ. Kent P. Jackson, Salt Lake City, Utah, Deseret Book, 1987, p. 202-204.
[5] Voir Brant A. Gardner, Second Witness: Analytical and Contextual Commentary on the Book of Mormon, 6 vol., Salt Lake City, Utah, Greg Kofford Books, 2007, 3:97.
[6] Lyon et Minson, "When Pages Collide « 128.
[7] Pour une analyse des indices manuscrits, voir Royal Skousen, dir. de pub., The Printer's Manuscript of the Book of Mormon, Part One: 1 Nephi 1–Alma 17, The Book of Mormon Critical Text Project, Volume 2, Provo, UT, FARMS, 2001, p. 284. Pour un examen véritable d’une image haute résolution du manuscrit, voir Skousen Royal et Robin Scott Jensen, dir. de publ., Revelations and Translations, Volume 3, Part 1: Printer's Manuscript of the Book of Mormon, 1 Nephi 1–Alma 35, The Joseph Smith Papers Salt Lake City, UT, Church Historian's Press, 2015, p. 252–253
[8] Lyon et Minson, « When Pages Collide », p. 123.
[9] Lyon et Minson, « When Pages Collide », p. 127.
[10] Royal Skousen, The Original Manuscript of the Book of Mormon, Provo, Utah, FARMS, et Brigham Young University, 2001, p. 34-36.
[11] Lyon et Minson, « When Pages Collide », p. 131.
[12] Pour une réponse, voir Brant A. Gardner, « When Hypotheses Collide: Responding to Lyon and Minson’s ‘When Pages Collide’», Interpreter: A Journal of Mormon Scripture 5 (2013), p. 105–119.
[13] Pour une étude approfondie de l’assemblage des grandes et des petites plaques, voir Eldin Ricks, « The Small Plates of Nephi and the Words of Mormon » dans Jacob through Words of Mormon, To Learn with Joy, The Book of Mormon Symposium Series, Volume 4, dir. de publ. Monte S. Nyman et Charles D. Tate Jr., Provo, UT, Religious Studies Center, Brigham Young University, 1990, p. 214–218
[14] Joseph Fielding McConkie et Robert L. Millet, Doctrinal Commentary on the Book of Mormon, 4 vol., Salt Lake City, Utah, Bookcraft, 1987–1992, 2:125.
[15] Stephen D. Ricks, «Benjamin » dans Encyclopedia of Mormonism, dir. de publ. Daniel H. Ludlow, New York, New York, Macmillan, 1992, 1:99-100.
[16] Hugh Nibley, Teachings of the Book of Mormon, 4 vol., Provo, Utah, FARMS, 1993, 1:437.