Les détracteurs du Livre de Mormon affirment
qu’il n’existe pas de langue qui s’appelle « l’égyptien réformé ». Ils
sont à la fois à côté de la question et dans l’erreur.
L’EGYPTIEN REFORME
par William J. Hamblin
© F.A.R.M.S.
Qu’est-ce « l’égyptien réformé » ?
Les détracteurs qui soulèvent cette objection semblent entretenir
l’impression erronée que l’expression « égyptien réformé » est utilisée
comme nom propre dans le Livre de Mormon. En réalité, dans ce contexte, le
mot réformé est un adjectif avec le sens de « altéré, modifié ou changé ».
C’est ce qu’explique Mormon, qui nous dit que « les caractères qui sont
appelés parmi nous l'égyptien réformé [nous ont été] transmis et altérés
par nous » et que « aucun autre peuple ne connaît notre langue » (Mormon
9:32, 34). Il faut d’abord souligner que ce que Mormon décrit, ce sont des
caractères égyptiens ou ce que nous appellerions aujourd’hui un système
d’écriture. C’est la forme des caractères ou des symboles que les Néphites
ont changée. L’égyptien réformé néphite est donc une écriture qui leur est
propre. Elle découlait des systèmes d’écriture égyptiens mais a ensuite
été modifiée et adaptée pour convenir à la langue et aux supports
d’écriture néphites.
Le fait que les linguistes et les philologues modernes ne connaissent pas
l’existence d’une écriture appelée égyptien réformé n’a rien à voir avec
la question puisque Mormon nous dit que l’écriture était appelée égyptien
réformé « par nous » c’est-à-dire par les Néphites ; ils ont sans doute
été le seul peuple à utiliser cette description. Par exemple, les termes
cunéiforme et hiéroglyphes sont des termes non égyptiens désignant
l’écriture de la Mésopotamie ancienne et celle de l’Égypte [1]. Les
Mésopotamiens ne qualifiaient pas leur système d’écriture de cunéiforme,
pas plus que les Égyptiens ne qualifiaient le leur d’hiéroglyphes [2].
Néanmoins, nous n’allons pas prétendre que les Mésopotamiens et les
Égyptiens n’ont jamais existé parce qu’ils ne donnaient pas à leurs
systèmes d’écriture le même nom que les historiens, les philologues et les
archéologues modernes.
L’affirmation du Livre de Mormon que les Néphites ont pris des caractères
égyptiens et les ont modifiés pour écrire des mots hébreux a-t-elle du
sens au point de vue historique et linguistique [3] ? C’est un phénomène
courant qu’un système d’écriture de base connaisse des changements
importants au fil du temps, surtout lorsqu’on se sert de nouveaux supports
pour écrire [4]. En particulier, quand on pense à l’égyptien, il y a de
nombreux exemples d’utilisations de caractères égyptiens modifiés (ou
réformés) pour écrire des langues non égyptiennes, dont aucune n’était
connue du temps de Joseph Smith.
Exemples « d’égyptien réformé »
Caractères hiératiques et démotiques égyptiens. L’égyptien
s’écrivait à l’aide de trois écritures apparentées mais distinctes. La
plus ancienne est l’écriture hiéroglyphique, qui remonte aux environs de
3000 av. J.-C. ; c’était essentiellement une écriture monumentale destinée
aux inscriptions sur pierre. L’hiératique, une deuxième écriture, est une
forme modifiée d’hiéroglyphes égyptiens dont on se servait pour écrire des
documents officiels sur du papyrus à l’aide d’un pinceau et d’encre et le
démotique est une écriture cursive [5]. On pourrait donc considérer
l’hiératique et le démotique comme des versions « réformées » ou modifiées
de l’écriture hiéroglyphique originelle. Toutes deux sont des exemples
d’égyptien écrit à l’aide de versions réformées de l’écriture
hiéroglyphique égyptienne ; il y a aussi plusieurs exemples d’utilisation
de caractère égyptiens réformés ou modifiés pour écrire des langues non
égyptiennes.
Les textes syllabiques de Byblos. L’exemple le plus ancien connu de
mélange d’une langue sémitique et de caractères hiéroglyphiques égyptiens
modifiés, ce sont les inscriptions syllabiques de Byblos (XVIIIe siècle
av. J.-C.), provenant de la ville de Byblos, sur la côte phénicienne
[6].Cette écriture est décrite comme étant un « syllabaire [qui] s’inspire
clairement du système hiéroglyphique égyptien et est en fait le lien le
plus important connu entre les hiéroglyphes et l’alphabet cananéen [7]. »
Chose intéressante, la plupart des textes syllabiques de Byblos ont été
écrits sur des plaques de cuivre. Il ne serait donc pas déraisonnable de
dire des textes syllabiques de Byblos que c’était une langue sémitique
écrite sur des plaques de métal en « caractères égyptiens réformés » [8],
ce qui est précisément ce que le Livre de Mormon décrit.
Les hiéroglyphes crétois. Les premières formes d’écritures en Crète
sont apparemment nées d’une combinaison de « signes hiéroglyphiques
égyptiens, de signes cunéiformes mésopotamiens et de signes d’origine
phénicienne pour former une seule nouvelle écriture pictographique [9]. »
Remarquez une fois de plus qu’il y a là un mélange de systèmes d’écriture
sémitiques (mésopotamienne et phénicienne) et égyptiens exactement comme
le décrit le Livre de Mormon.
Le méroïtique. Le méroïtique, l’écriture de la Nubie ancienne (le
Soudan moderne), « fut mis pour la première fois par écrit au IIe siècle
av. J.-C. dans une écriture ‘alphabétique’ composée de vingt-trois
symboles, dont la plupart étaient empruntés à l’écriture égyptienne ou du
moins en dérivaient... L’écriture a deux formes, hiéroglyphique et cursive
[10]. » Les signes hiéroglyphiques méroïtiques étaient « empruntés à
l’égyptien... [et] l’écriture cursive découlait principalement de
l’écriture démotique égyptienne [11]. »
Le Psaume 20 en égyptien démotique. Les savants ont également
déchiffré récemment une version araméenne du Psaume 20:2-6 écrite en
caractères égyptiens démotiques [12]. C’est précisément ce dont le Livre
de Mormon affirme l’existence : une version des Écritures hébraïques en
langue hébraïque, mais écrite à l’aide de caractères égyptiens.
Le proto-sinaïtique et l’alphabet. Les Sémites de Syrie et de
Palestine du début du IIe millénaire av. J.-C. semblent avoir adopté des
versions réformées ou modifiées à la fois des hiéroglyphes égyptiens et
des caractères cunéiformes mésopotamiens pour en faire des systèmes
d’écriture syllabique et alphabétique. En fin de compte, cette écriture
égyptienne réformée devint la base de l’alphabet phénicien dont découlent
presque tous les alphabets postérieurs [13]. Les inscriptions proto-sinaïtiques
étaient écrites dans une langue sémitique et... leurs lettres furent les
prototypes de l’alphabet phénicien. Les lettres sont alphabétiques,
d’origine acrophonique et consonantiques et leurs formes dérivent des
hiéroglyphes égyptiens [14]. » « Étant donné que le syllabaire cananéen/phénicien
constituait la base de l’alphabet grec et le grec celui du latin, cela
signifie, pour employer les termes de Gardiner, que ‘les hiéroglyphes
continuent à vivre, bien que transformés [ou pourrions-nous dire réformés
?], à l’intérieur de notre propre alphabet’ [15]. » D’une manière très
réelle, notre alphabet latin est lui-même une forme d’égyptien réformé,
puisque, en fin de compte, la source ultime de nos caractères, ce sont les
hiéroglyphes égyptiens.
Conclusion
Il y a donc un certain nombre d’exemples historiques de langues sémitiques
ou autres écrites à l’aide d’une écriture égyptienne « réformée » ou
modifiée ; le texte du Livre de Mormon est parfaitement plausible à cet
égard.
Notes
1. Le terme cunéiforme a été utilisé pour la première fois au XIXe siècle,
tandis que le mot hiéroglyphe était le terme grec désignant le système
d’écriture égyptien.
2. On trouvera une introduction générale sur les hiéroglyphes dans W. V.
Davies, Egyptian Hieroglyphics, Londres, British Museum Publications,
1987.
3. John Gee résume les éléments et l’analyse sur le sujet, argumentant en
faveur d’une langue basée sur l’hébreu écrite dans un système d’écriture
basé sur l’égyptien, dans son article "La Trahison des Clercs: On the
Language and Translation of the Book of Mormon", Review of Books on the
Book of Mormon 6/1, 1994, pp. 79-83, 94-99.
4. Michelle P Brown, A Guide to Western Historical Scripts from Antiquity
to 1600, Toronto, University of Toronto Press, 1990, donne des exemples de
la vaste panoplie de systèmes d’écriture tirés de l’alphabet romain, dont
beaucoup sont impossible à reconnaître si on n’y est pas entraîné.
5. Davies, Egyptian Hieroglyphics, pp. 21-24.
6. On trouvera un résumé et une bibliographie de base dans David Noel
Freedman, dir. de publ., The Anchor Bible Dictionary, 6 vols., New York,
Doubleday, 1992, 4:178-80. On trouvera une étude linguistique détaillée et
une traduction dans George E. Mendenhall, The Syllabic Inscriptions from
Byblos, Beyrouth, American University of Beirut, 1985. La publication
originelle avec toutes les plaques et les transcriptions est M. Dunand,
Byblia Grammata: Documents et recherches sur le développement de
l'écriture en Phénicie, Beyrouth, Direction des Antiquités, 1945; on
trouvera des photos et des transcriptions de tous les documents p. 71.
7. Anchor Bible Dictionary, 4:178b.
8. Hugh W. Nibley, Lehi in the Desert; the World of the Jaredites; There
Were Jaredites, vol. 5 dans The Collected Works of Hugh Nibley, Salt Lake
City, Deseret Book et FARMS, 1988, p. 105.
9. Jan Best et Fred Woudhuizen, dir. de publ., Ancient Scripts from Crete
and Cyprus, Leiden Brill, 1988, p. 4.
10. Davies, Egyptian Hieroglyphics, p. 61.
11. Jean Leclamt, "The Present Position in the Deciphering of Meroitic
Script", dans The Peopling of Ancient Egypt and the Deciphering of
Meroitic Script, Gand, Unesco, 1978, p. 112.
12. Stephen D. Ricks, "Language and Script in the Book of Mormon",
Insights, Mai 1992, p. 1; Charles F. Nirns et Richard C. Steiner, "A
Paganized Version of Psalm 20:2-6 from the Aramaic Text in Demotic
Script", Journal of the American Oriental Society 103, 1983, pp. 261-274;
Richard C. Steiner, "The Aramaic Text in Demotic Script: The Liturgy of a
New Year's Festival Imported from Bethel to Syene by Exiles from Rash",
Journal of the American Oriental Society 111/2, 1991, pp. 362-363; on
trouvera une bibliographie complète dans Gee, "La Trahison des Clercs",
pp. 96-97, n. 147. Voir aussi John A. Tvedtnes, "Linguistic Implications
of the Tel-Arad Ostraca", Newsletter and Proceedings of the Society for
Early Historic Archaeology 127, 1971): 1-5.
13. Joseph Naveh, Early History of the Alphabet, Jérusalem, Magnes, 1982.
I. J. Gelb, A Study of Writing, 3e éd., Chicago, Universiy of Chicago
Press, 1969, x- xi, contient un tableau montrant de quelle façon
l’alphabet phénicien et tous les alphabets ultérieurs dérivent des
hiéroglyphes égyptiens.
14. Benjamin Sass, The Genesis of the Alphabet and Its Development in the
Second Millennium B.C., Wiesbaden, Otto Harrasawitz, 1988, p. 106.
15. Davies, Egyptian Hieroglyphics, p. 60. La même page contient un
tableau de la transformation des hiéroglyphes en symboles alphabétiques de
notre alphabet latin.
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