PONCE PILATE: LE TRAITRE QUI S'EN LAVAIT LES
MAINS
par John A. Tvedtnes
La majeure partie du monde chrétien ne connaît
Ponce Pilate que pour le rôle qu'il a joué dans le jugement et la
crucifixion de Jésus-Christ. On le représente généralement comme le
principal défenseur du Galiléen dans ses dernières heures [1]. Mais
l’examen d’autres documents de la vie de Pilate complète le récit
fragmentaire du Nouveau Testament [2]. Grâce à ces autres écritures, nous
découvrons que Pilate était un homme impitoyable et sanguinaire, qui a
fait périr beaucoup de gens.
Un gouverneur sanguinaire
Ponce Pilate était le deuxième procurateur de Judée nommé par Tibère. Son
prédécesseur, Valérius Gratus, avait rempli ces fonctions pendant dix ans
et, pendant ce temps, un nouveau souverain sacrificateur, Joseph Caïphe,
avait été nommé. Une des premières choses que fit Pilate comme procurateur
fut de transférer de nuit les enseignes de Tibère à Jérusalem pour pouvoir
les dresser dans la capitale. Pour les Juifs, ces « images taillées » d'un
empereur romain qui prétendait être divin, surmontant la forteresse
Antonia, qui dominait leur temple, étaient un sacrilège. Le lendemain
matin, lorsque ce spectacle scandaleux fut découvert, une grande foule de
Juifs se mit en route pour Césarée pour affronter le gouverneur. Voyant
leur demande refusée, ils se couchèrent dans les rues pendant cinq jours
et cinq nuits. Le sixième jour, Pilate réunit l'assemblée et, entourés par
des soldats romains le glaive au clair, les Juifs furent menacés de mort.
À la stupéfaction de Pilate, ils tendirent le cou à la lame, préférant
mourir plutôt que de désobéir à leur loi sacrée. Les Romains perdirent la
première manche et les enseignes furent renvoyées à Césarée
Une autre fois, Pilate réquisitionna les fonds du temple pour construire
un système d'aqueduc pour Jérusalem. Les Juifs de Galilée étaient
particulièrement exaspérés par cet acte. Ils étaient gouvernés par Hérode
Antipas, pas par Ponce Pilate. Par obligation religieuse, ils envoyaient
de l'argent au temple, mais leurs contributions étaient maintenant
employées au profit de la Judée, et non de la Galilée.
Pilate savait qu'il y aurait du grabuge lors des prochaines grandes fêtes,
quand des Juifs de diverses régions se réuniraient au temple. Comme de
coutume, il fit venir une cohorte supplémentaire de soldats dans la
capitale. Mais cette fois, il prit des précautions supplémentaires en
envoyant un grand nombre de soldats romains, habillés comme les gens de
l’endroit, avec des bâtons et des poignards cachés sous leurs manteaux, se
mêler à la foule.
Le jour de la fête, quand la Cour (externe) des Gentils fut bourrée de
manifestants réclamant la restitution des fonds du temple, Pilate pouvait
observer les activités depuis la forteresse Antonia donnant sur le
complexe du temple. Non seulement la foule faisait obstruction au
gouvernement romain, mais beaucoup insultaient le gouverneur lui-même.
Pilate commanda à la multitude assemblée de se disperser, mais celle-ci
refusa. Les insultes continuèrent, plus véhémentes. Finalement, au signal
convenu au préalable par Pilate, les soldats attaquèrent. Dans leur ardeur,
ils désobéirent aux ordres et battirent des spectateurs innocents aussi
bien que les fauteurs de troubles. Beaucoup de gens furent tués par les
Romains ou piétinés par la foule qui se précipitait vers les portes de
sortie. La sédition fut de courte durée. Certains spécialistes pensent que
c’est à cet événement que fait allusion Luc 13:1-3, où il est question des
« Galiléens dont Pilate avait mêlé le sang avec celui de leurs sacrifices
».
Pour Pilate : un affrontement de plus
Il est difficile de réconcilier cette vision de Pilate avec le rôle
traditionnel de défenseur que les chrétiens lui attribuent dans le cas de
Jésus. Ce qui est devenu pour nous l’un des événements les plus importants
de l'histoire est passé presque inaperçu dans les documents juifs et
romains du premier siècle. Pour Pilate, ce ne fut probablement qu’un
affrontement de plus avec les Juifs, qu'il a dû considérer comme agaçant.
Et qu’était la crucifixion d'un criminel de plus pour les historiens
romains ?
Nous pouvons être sûrs que quand il vit la petite troupe des principaux
sacrificateurs et des anciens lui amener Jésus pour qu’il le juge, Pilate
n'avait pas oublié ses affrontements précédents avec les Juifs. Peut-être
énervé de les voir arriver à une heure aussi matinale, il dit : « Quelle
accusation portez-vous contre cet homme ? » À quoi ils répondirent : « Si
ce n'était pas un malfaiteur, nous ne te l'aurions pas livré. » L'évangile
ne nous dit pas de quoi ils accusaient Jésus à ce moment-là, mais ce
n'était de toute évidence pas un cas relevant du droit romain, parce que
Pilate se dit incompétent en la matière : « Prenez-le vous-mêmes, et jugez-le
selon votre loi » (Jean 18:29-31).
Jésus avait déjà été faussement accusé devant les dirigeants de son peuple
comme blasphémateur et le souverain sacrificateur avait jugé qu’il
méritait la mort [3]. Quand Pilate leur dit de se débrouiller, ils lui
répondirent : « Il ne nous est pas permis de mettre personne à mort »
(Jean 18:31). Beaucoup ont interprété ceci à tort comme voulant dire que
les Romains avaient ôté aux Juifs le droit d’infliger la peine de mort.
Tel n'était cependant pas le cas, car Rome ne faisait que superposer sa
loi aux lois des peuples qu'elle avait conquis.
Il y a des indications claires de ce que les Juifs coupables de crimes
méritant la peine de mort pouvaient être condamnés et exécutés par les
tribunaux juifs, comme toujours [4]. D'ailleurs, quand les Juifs du
Nouveau Testament utilisent le terme « pas permis », ils pensent à la loi
de Moïse, pas à la loi romaine [5]. La loi juive permettait l’exécution
par diverses méthodes (la plupart du temps la lapidation), mais pas par
crucifixion [6]. De plus, ils n’auraient pas procédé à une exécution le
jour de la préparation de la pâque [7] et ils n’auraient pas non plus été
autorisés à toucher un cadavre pour l'enterrer à ce moment-là [8].
Afin qu’il subisse la crucifixion
Les accusateurs de Jésus l'amenèrent peut-être à Pilate dans l'espoir
qu'il subisse la crucifixion, connue pour être une manière
particulièrement horrible de mourir. Il est clair qu'ils faisaient
allusion à la crucifixion quand ils dirent qu’il ne leur était « pas
permis » de mettre un homme à mort, si l’on tient compte du verset qui
suit immédiatement : « Afin que s’accomplît la parole que Jésus avait dite,
lorsqu’il indiqua de quelle mort il devait mourir » (Jean 18:32). Jésus
avait précédemment prédit qu'il serait « élevé » [9].
En tant que procurateur romain, Pilate n'aurait pas voulu accéder aux
exigences du souverain sacrificateur juif (quoique, à l’époque, ce dernier
ait été lui-même nommé par les Romains). Si Jésus était coupable de
quelque chose, c’était de blasphème, un crime contre la loi juive, mais
pas contre la loi romaine. À mesure que l’audience se déroulait, Jésus
devenait un pion entre les mains de ses accusateurs et de Pilate.
L'accusation portée contre lui fut rapidement changée en trahison, forçant
Pilate à avoir un entretien qui le convainquit de la fausseté de
l’accusation (Luc 23:2-4). La réaction de Pilate ne fit qu’exaspérer les
accusateurs de Jésus, qui commencèrent à raconter ses soi-disant actes
séditieux pendant qu’il était en Galilée.
À ce moment, Pilate trouva une porte de sortie à son dilemme. Hérode
Antipas, un des fils de Hérode le Grand, était tétrarque de Galilée et
était en ville pour les fêtes. Il n’avait qu’à juger l’affaire. La
réaction de Hérode ne fut pas du goût des principaux sacrificateurs. Le
candidat à la monarchie était enchanté de pouvoir enfin contempler le
faiseur de miracles. Mais Jésus resta silencieux en présence de l'homme
qui avait fait mourir son cousin, Jean-Baptiste. Aussi Hérode, après lui
avoir mis un manteau écarlate, le renvoya à Pilate avec un message de
réconciliation, dont le texte n'est pas révélé dans la Bible (Luc 23:5-16)
[10]. Ce qui se produisit à la suite de ceci nous donne à penser que
Hérode et Pilate se sont entendus dans une lutte pour le pouvoir contre le
souverain sacrificateur.
Piéger ses adversaires
Pilate commença sa manœuvre en essayant de piéger ses adversaires entre
deux choix difficiles. Il leur proposa de relâcher un prisonnier en
l'honneur de la fête. « Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs ?
» demanda-t-il. À sa grande surprise, ils réclamèrent la libération de
Barabbas, un brigand. « Que voulez-vous donc que je fasse de celui que
vous appelez le roi des Juifs ? » (Marc 15:12). Pilate avait choisi ses
mots avec soin. Il savait que, la semaine précédente, le peuple, pas les
principaux sacrificateurs, avait proclamé Jésus roi pendant son entrée
triomphale à Jérusalem (Matthieu 21:1-16) [11]. Si quelqu’un était
coupable de sédition, c'était la population entière, pas le Galiléen
silencieux.
Les clameurs réclamant la crucifixion de Jésus parvinrent aux oreilles de
Pilate juste au moment où sa femme, à la suite d’un songe menaçant, lui
envoyait un mot lui recommandant de ne pas se mêler de cette affaire (Matthieu
27:19). Pilate feignit d'accepter la décision de la foule et fit le
nécessaire pour relâcher Barabbas et pour faire flageller Jésus. Dans un
geste spectaculaire, il s’en lava les mains en public. « Je suis innocent
du sang de ce juste, dit-il, cela vous regarde » (Matthieu 27:24-25). Il
leur avait ainsi donné de nouveau la permission d'exécuter Jésus.
Pendant ce temps, Jésus était flagellé par les soldats romains, qui mirent
également en scène un faux couronnement, dans lequel le Christ fut habillé
comme un roi (Matthieu 27:24-37). Exhibé en vêtement royal, Jésus dut n’en
irriter que davantage ses persécuteurs. Pilate renforça la mise en scène
par sa présentation : « Voici l'homme. » (Jean 19:4-7). La clameur pour la
crucifixion n’en fut que plus forte. « Pilate leur dit: Prenez-le
vous-mêmes, et crucifiez-le; car moi, je ne trouve point de crime en lui »
(Jean 19:6). Il se moquait peut-être des Juifs, qui ne crucifiaient pas.
Ils rétorquèrent : « Nous avons une loi; et, selon notre loi, il doit
mourir, parce qu'il s'est fait Fils de Dieu » (Jean 19:7-8).
Retournement de situation
Les rôles étaient renversés. Maintenant c'était Pilate qui était ennuyé.
Si ce Jésus de Nazareth était effectivement un être divin, il serait très
dangereux de le punir et d'encourir la colère des dieux. Selon la
théologie romaine, on croyait que les dieux avaient beaucoup de fils sur
la terre (les filles enceintes hors du mariage ayant l’habitude de dire
que le père de leur bébé était l'un des dieux). Ayant toujours à l’esprit
le rêve menaçant de sa femme, Pilate se retira pour un nouvel
interrogatoire avec Jésus (Jean 19:8-11).
Le texte ne nous dit pas si Pilate acquit la conviction de la divinité de
Jésus. Ce qu’il apprit, ce fut que Jésus était résigné au fait qu'il
allait mourir, et ses paroles ont pu donner à Pilate des raisons de croire
que Dieu voulait qu’il en soit ainsi. Tout ce que nous savons, c’est que «
dès ce moment, Pilate cherchait à le relâcher », peut-être par crainte
d’un châtiment divin (Jean 19:9-12).
L’affrontement entre le procurateur et les prêtres continua tandis que ces
derniers « criaient: Si tu le relâches, tu n'es pas ami de César.
Quiconque se fait roi se déclare contre César » (Jean 19:12). « Pilate,
ayant entendu ces paroles », comprit comment il pouvait gagner à ce jeu.
Il fit de nouveau sortir Jésus, s’assit et « dit aux Juifs: Voici votre
roi. » Ils protestèrent et réclamèrent la crucifixion. « Crucifierai-je
votre roi? » demanda Pilate. Il n’y avait alors plus qu’une réponse
possible. « Les principaux sacrificateurs répondirent: Nous n'avons de roi
que César » (Jean 19:13-15).
Pilate devait être fier de son exploit. Il avait obtenu des « principaux
sacrificateurs », qui, avant l’époque romaine, avaient régné comme rois
des Juifs pendant un siècle [12], qu’ils reconnaissent que les Juifs
étaient soumis à l'empereur romain. La joute étant terminée – et gagnée –
Pilate ne perdit pas de temps et chargea une unité de soldats de crucifier
Jésus.
Dans un dernier geste d’ironie, Pilate ordonna que l’ « accusation » de
Jésus dise : « Jésus de Nazareth, roi des Juifs » (Jean 19:19-21). Il
pouvait maintenant prétendre avoir étouffé une insurrection menée par un
roi qui n'avait pas reçu ses pouvoirs de César et du sénat.
Troubles politiques
En dépit de ses « mains propres », Pilate semble avoir continué à avoir
des ennuis. Dans sa dixième année comme procurateur, il massacra un grand
nombre de Samaritains désarmés. Vitellius, ancien consul et gouverneur de
Syrie à l’époque, expédia promptement Pilate à Rome pour rendre des
comptes à l'empereur. Tibère mourut avant son arrivée et Pilate disparut
rapidement de l'histoire, en dépit des traditions chrétiennes postérieures
qui l'associent à la tunique de Jésus.
Les dix ans de règne de Ponce Pilate sur la Judée ne sont rapportés dans
les documents historiques que pour ses méfaits. Le christianisme naissant,
dans des documents tels que le « Credo des apôtres », lui impute la
responsabilité de la mort de Jésus. Les générations postérieures l’ont
imputée aux Juifs. Ces deux conceptions ignorent les faits. Ce ne sont pas
tous les Juifs qui ont cherché à faire mourir Jésus. En fait, un grand
nombre d’entre eux l'avaient acclamé comme roi le jour de l'entrée
triomphale et beaucoup d’autres vinrent pleurer à l'emplacement de la
crucifixion. D’autre part, Pilate n’aurait sans doute jamais condamné
Jésus sans les pressions qu'il avait subies pendant son affrontement avec
les principaux sacrificateurs.
NOTES
[1] L'histoire du procès de Jésus devant Pilate se trouve dans Matthieu
27:1-2, 11-26 ; Marc 15:1-15 ; Luc 23:1-25 ; Jean 18:28-19:16.
[2] Nos principales sources sont deux historiens du premier siècle,
Flavius Josèphe (dans son Histoire ancienne des Juifs et La guerre des
Juifs contre les Romains) et Philon de Judée (dans L’ambassade à Gaius).
Pilate est brièvement mentionné par Tacite dans ses Annales de la Rome
impériale. Il y a des témoignages archéologiques de l'existence de Pilate
sous forme de pièces de monnaie palestiniennes de l’époque, ainsi qu'une
stèle portant une inscription à son nom trouvée à Césarée, quartier
général des procurateurs romains de Judée.
[3] Matthieu 26:64-66 ; Marc 14:61-64 ; Luc 22:67-71.
[4] Josèphe, dans son Histoire ancienne des Juifs 14.9.3, note que de son
temps, le Sanhédrin avait le pouvoir de condamner un homme à la peine de
mort. Ceci quelques décennies seulement après la mort de Jésus, quand la
Judée était toujours sous la domination romaine. En outre, la Michna (Sanhédrin
4-9, 11), décrivant le fonctionnement du Sanhédrin à l’époque du second
temple, donne la liste des crimes capitaux et des détails très précis (et
horribles) sur les différents types d'exécution, où elles avaient lieu,
comment et par qui, en vertu de la loi juive. Enfin, nous avons le
témoignage d’Actes 7, où Étienne est condamné et exécuté par les Juifs,
pas par les Romains.
[5] Matthieu 12:2-3, 10-12 ; 14:4 ; 19:3 ; 22:17 ; 27:6 ; Marc 2:24-26 ;
3:4 ; 6:8 ; 10:2 ; 12:14 ; Luc 6:2-4, 9 ; 14:3 ; 20:22 ; Jean 5:10.
[6] Basé sur la malédiction de Deutéronome 21:22-23.
[7] Michna, Sanhédrin 4:1.
[8] Lévitique 21:11 ; Nombres 6:6 ; 9:6-10 ; 19:11-16. 11.
[9] Jean 3:14-16 ; 12:32-33.
[10] Il est probable que le désaccord entre Hérode Antipas et Ponce Pilate
était centré sur le fait que Pilate se servait des fonds du temple pour
construire un aqueduc en Judée. Antipas avait certainement reçu des
plaintes à ce propos de la part de ses sujets galiléens.
[11] Le cortège qui entra à Jérusalem, commémoré aujourd'hui sous le nom
de « dimanche des rameaux », indique clairement que les participants
reconnaissaient Jésus comme leur roi. Ils récitèrent des parties du psaume
18 qui étaient utilisées pendant la fête des tabernacles en automne, que
les anciens rois présidaient, et appelèrent Jésus « fils de David », un
titre royal. Voir Matthieu 21:1-9 ; Marc 11:1-11 ; Luc 19:29-38 ; Jean
12:12-15.
[12] De 165 à 63 av. J.-C., les Juifs furent gouvernés par la famille des
Asmonéens, qui remplissait les fonctions de souverains sacrificateurs et
de rois. Le fait que la caste sacerdotale reconnaisse César comme roi
légitime des Juifs était donc un grand exploit pour Pilate.
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