CHAPITRE 18 : PARDONNER POUR ETRE PARDONNE

 

«Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses.» (Matthieu 6:14-15)

 

«Pardonne-nous nos offenses, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.» (Matthieu 6:12)

 

L’exaltation, consécration des justes aspirations de l'homme, ne lui est accordée que s'il est pur, digne et rendu parfait. Etant donné que l'homme est faible et pécheur, il doit être purifié avant d'atteindre l'état exalté de la vie éternelle et cette purification ne peut être accordée que par le pardon consécutif au repentir.

 

Le pardon étant une condition absolue pour atteindre la vie éternelle, l'homme se demande naturellement quelle est la meilleure manière d'obtenir ce pardon? Un des nombreux facteurs fondamentaux se révèle immédiatement indispensable: on doit pardonner pour être pardonné. Le ‘Notre Père’ le souligne bien:

 

«Notre Père qui est aux cieux! Que ton nom soit sanctifié; que ton règne vienne; que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien; pardonne-nous nos offenses, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous du malin. Car c’est à toi qu'appartiennent, dans tous les siècles, le règne, la puissance et la gloire. Amen!» (Matt. 6:9-13).

 

Le Seigneur revint immédiatement à son message comme s'il ne l'avait pas encore assez souligné. Il le fortifiait maintenant dans le positif aussi bien que dans le négatif, donnant des raisons en même temps que le commandement implicite.

 

«Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses» (Matt. 6:14-15).

 

Le Seigneur devait considérer ceci comme fondamental. Il avait fait longtemps auparavant la même déclaration à son peuple du continent américain par l'intermédiaire de son grand prophète Alma quand il la leur formula dans des termes équivalents:

 

«Et vous vous pardonnerez aussi vos offenses les uns aux autres; car, en vérité, je vous le dis, celui qui ne pardonne point les offenses de son prochain quand il déclare qu'il se repent, celui-là s'est attiré la condamnation» (Mosiah 26:31).

 

Le pardon doit être sincère

 

Le commandement de pardonner et la condamnation que l'on encourt quand on ne le fait pas, ne pouvaient être énoncés plus clairement que dans cette révélation moderne à Joseph Smith, le prophète:

 

«Dans les temps anciens, mes disciples cherchaient à s'accuser les uns les autres et ne se pardonnaient pas les uns les autres dans leur cœur; et pour ce mal, ils furent affligés et sévèrement châtiés. C'est pourquoi, je vous dis que vous devez vous pardonner les uns aux autres; car celui qui ne pardonne pas à son frère ses offenses est condamné devant le Seigneur, car c'est en lui que reste le plus grand péché. Moi, le Seigneur, je pardonnerai à qui je veux pardonner, mais de vous il est requis de pardonner à tous les hommes» (D&A 64:8-10).

 

Notez la réflexion du Seigneur quand il dit que ses disciples des premiers jours ne pardonnaient pas suffisamment. On ne nous dit pas ce que furent au juste leurs souffrances, mais les châtiments furent cruels.

 

La leçon demeure aujourd'hui pour nous. Beaucoup de gens, quand ils sont appelés à se réconcilier avec d'autres, disent qu'ils pardonnent, mais ils continuent à tenir rancune, continuent à soupçonner l'autre, continuent à ne pas croire en la sincérité de l'autre. C'est là un péché, car lorsqu'une réconciliation a été effectuée et que l'offenseur s'est dit repentant, chacun doit pardonner et oublier, reconstruire immédiatement les clôtures qui ont été brisées et rétablir l'ancienne compatibilité.

 

Les premiers disciples disaient manifestement qu'ils pardonnaient et extérieurement prenaient les dispositions qu'il fallait, mais «ne se pardonnaient pas les uns les autres dans leur cœur». Ce n'était pas un pardon, il y avait un relent d'hypocrisie, de tromperie et de subterfuge. Comme l'implique la prière modèle du Christ, il faut que ce soit une action du cœur et une épuration de l'esprit. Le pardon signifie l'oubli. Une femme ‘avait opéré’ une réconciliation dans une branche et avait pris les dispositions physiques et fait les déclarations verbales qui l'indiquaient, et sa bouche exprima des paroles de pardon. Puis avec des éclairs dans les yeux, elle fit cette réflexion: «Je lui pardonnerai, mais j'ai une mémoire d'éléphant. Je n'oublierai jamais.» Son prétendu arrangement était sans valeur et était nul et non avenu. Elle conservait de la rancune. Ses paroles d’amitié étaient comme une toile d'araignée, les clôtures qu'elle avait reconstruites étaient comme de la paille et elle-même continuait à souffrir sans avoir la paix de l'esprit. Chose plus grave encore, elle était ‘condamnée’ devant le Seigneur, et il restait en elle un péché plus grand encore que chez celle qui, prétendait-elle, lui avait fait du tort.

 

Cette femme hostile ne se rendait pas compte qu'elle n'avait pas pardonné du tout. Elle avait seulement fait semblant. Elle faisait tourner ses roues et n'allait nulle part. Dans l'Ecriture citée ci-dessus, l'expression dans leur cœur a un sens profond. Cela doit être une purification des sentiments, des pensées et des amertumes. Les mots à eux seuls ne servent à rien.

 

«Car voici, si un homme méchant offre un don, il le fait à contrecœur; c'est pourquoi cela lui est imputé comme s'il avait retenu le don, c’est pourquoi, il est considéré comme mauvais devant Dieu» (Moroni 7:8).

 

Henry Ward Beecher a exprimé cette pensée de cette manière: «Je peux vous pardonner, mais je ne peux pas oublier est une autre manière de dire je ne peux pas pardonner.»

 

J'ajouterai que si une personne ne pardonne pas ses offenses à son frère de tout son cœur, elle n'est pas digne de prendre la Sainte-Cène.

 

«Car celui qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur, mange et boit un jugement contre lui-même. C'est pour cela qu'il y a parmi vous beaucoup d'infirmes et de malades, et qu'un grand nombre sont morts» (1 Cor. 11:29-30).

 

Les transgresseurs ne doivent pas être pourchassés

 

Il y a des gens qui, non seulement ne peuvent pas ou ne veulent pas pardonner et oublier les transgressions des autres, mais vont jusqu'à l'autre extrême qui consiste à pourchasser le prétendu transgresseur. J'ai reçu bien des lettres et des coups de téléphone de personnes déterminées à prendre elles-mêmes l'épée de la justice et à veiller personnellement à ce que le transgresseur soit puni. «Cet homme doit être excommunié, déclara une femme, et je n'aurai de cesse que son affaire ne soit réglée.» Une autre disait: «Je n'aurai pas de repos tant que cette personne sera membre de l'Eglise.» Une autre disait: «Je n'entrerai plus à l'église tant que l'on permettra à cette personne d'y entrer. Je veux qu'elle passe devant le conseil de discipline.» Un homme alla jusqu'à faire plusieurs voyages à SaIt Lake City et à écrire de longues lettres pour protester contre l'évêque et le président de pieu qui ne prenaient pas de mesures disciplinaires sommaires contre une personne qui, prétendait-il, enfreignait les lois de l'Eglise.

 

Nous lisons à l'intention de ces gens qui veulent faire justice eux-mêmes, cette déclaration formelle du Seigneur:

 

«... c’est en lui que reste le plus grand péché» (D&A 64:9).

 

La révélation poursuit:

 

«Et vous devriez dire en votre cœur: Que Dieu juge entre moi et toi, et te récompense selon tes actes» (D&A 64:11).

 

Lorsque l'intéressé a dûment fait connaître les transgressions aux officiers ecclésiastiques appropriés de l'Eglise, il doit considérer l'affaire comme close et laisser la responsabilité aux officiers de l'Eglise. Si ces officiers tolèrent le péché dans les rangs, c'est une terrible responsabilité pour eux et ils seront tenus pour responsables.

 

Une femme téléphonait chaque semaine pour savoir si son ex-gendre avait été excommunié. Je lui dis de laisser tomber l'affaire, qu'elle avait fait tout son devoir en révélant l'affaire aux autorités appropriées et que maintenant elle ferait bien de laisser tomber et de laisser les mesures disciplinaires aux officiers appropriés. Une autre femme pleine de rancune perdit presque la raison, tant elle était décidée à ce que son mari dont elle avait divorcé paie le châtiment le plus sévère. Il était manifeste que son mobile était la vengeance et non la justice. Elle avait personnellement des problèmes, mais elle les oubliait dans sa frénésie à chercher vengeance.

 

Un autre couple avait eu beaucoup d'ennuis qui finirent par un divorce. La femme avait reconnu qu'elle était infidèle et avait fait tout ce qu'elle pouvait pour faire les ajustements nécessaires par l'intermédiaire de son évêque, s'était remariée et semblait avoir fait un mariage heureux. L'homme, de son côté, avait été extrêmement exigeant et semblait décidé à veiller à ce qu'elle fût sévèrement punie. Il porta son affaire d'une autorité à l'autre, répétant toutes les faiblesses et toutes les excentricités de son ex-femme, les enjolivant considérablement et exigeant que l'Eglise prenne des mesures.

 

Il se livra à des vitupérations rancunières et à d'affreuses calomnies. Il cita des Ecritures, il cita le manuel, il répéta la politique et la pratique de l'Eglise en la matière. La vengeance semblait l'obséder. Il fut nécessaire de lui dire: «Vous avez fait votre devoir quand vous avez fait connaître les méfaits à l'autorité appropriée. Il n'est pas nécessaire d'aller plus loin.» Et comme il persévérait, il fut finalement nécessaire de lui dire que s'il ne cessait pas des mesures seraient prises contre lui. La vengeance est douce à certains, mais «la vengeance m'appartient, dit le Seigneur». Encore une fois, celui qui ne veut pas pardonner est pire que le premier coupable.

 

La vengeance est étrangère à l'Evangile

 

L'esprit de vengeance, de représailles, de rancune est entièrement étranger à l'Evangile du bon et miséricordieux Jésus. Même la vieille loi mosaïque que l'on considère ordinairement comme plus dure interdisait cet esprit. Depuis le Sinaï et le désert nous vient le commandement impérissable, approprié à toutes les époques:

 

«Tu ne répandras point de calomnies parmi ton peuple. Tu ne t'élèveras point contre le sang de ton prochain. Je suis l'Eternel. Tu ne haïras point ton frère dans ton cœur; tu auras soin de reprendre ton prochain, mais tu ne te chargeras point d'un péché à cause de lui. Tu ne te vengeras point, et tu ne garderas point de rancune contre les enfants de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis l'Eternel» (Lévitique 19:16-18).

 

Jacques, lui aussi, met en garde contre la rancune:

 

«Ne vous plaignez pas les uns des autres, frères, afin que vous ne soyez pas jugés. Voici, le juge est à la porte» (Jacques 5:9)

 

Et on l'a dit: «Lun des fardeaux les plus lourds qu'un homme puisse porter, c'est la rancune.»

 

Au milieu des sons discordants de la haine, de la rancune et de la vengeance qui s'expriment si souvent aujourd'hui, la note douce du pardon vient comme un baume guérisseur. Et son effet sur celui qui pardonne n'est pas moindre.

 

«Un des merveilleux aspects des principes du pardon est l'effet purificateur et ennoblissant que son application a sur la personnalité de celui qui pardonne. On a dit avec sagesse: Celui qui n'a pas pardonné une mauvaise action ou un tort n'a pas encore goûté à un des plaisirs les plus sublimes de la vie. L'âme humaine s'élève rarement à des sommets de force et de noblesse aussi sublimes que quand elle élimine tous les ressentiments et pardonne les erreurs et la méchanceté[1]

 

Les représailles ne sont certainement pas le repentir, mais, d'autre part, le fait de subir des indignités peut être le chemin vers ce but. Le Sermon sur la Montagne, ce sermon sans pareil du Seigneur, fournit la meilleure voie, sans vengeance ni représailles. Et Paul a dit aux Romains:

 

«Ne rendez à personne le mal pour le mal... ne vous vengez point vous-mêmes, bien-aimés, mais laissez agir la colère; car il est écrit: A moi la vengeance, à moi la rétribution, dit le Seigneur» (Romains 12:17,19).

 

Spinoza l'a exprimé ainsi:

 

«Celui qui veut venger des torts par une haine réciproque vivra dans la misère. Mais celui qui s'efforce de chasser la haine par l'amour, lutte avec plaisir et confiance; il résiste aussi bien à un qu'à plusieurs hommes, et n'a guère besoin de l'aide de la chance. Ceux qu'il vainc produisent avec joie, non par manque de force, mais par un accroissement.»

 

Ne jugez point

 

Un homme vint avec sa femme pécheresse, et après qu'elle eut été punie de disqualification, il la provoqua en disant: «Eh! bien, qu'en dis-tu maintenant? Tu ne peux pas prendre la Sainte-Cène. Tu ne regrettes pas de ne pas m’avoir écouté?» En entendant ce mari méprisable juger, cela m'a rappelé les hommes corrompus qui amenèrent la femme adultère au Seigneur, dont la douce réponse mit tous ses accusateurs en fuite:

 

«Que celui de vous qui est sans péché jette le premier la pierre contre elle» (Jean 8:7).

 

Les Ecritures sont très strictes au sujet de ceux qui jugent sans autorité. Le Seigneur lui-même l'a dit d'une manière claire et nette:

 

«Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés. Car on vous jugera du jugement dont vous jugez, et l'on vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez» (Matt. 7:1,2).

 

Le Seigneur nous jugera avec la même mesure que nous avons utilisée. Si nous sommes durs, nous ne devons rien attendre d'autre que la dureté. Si nous sommes miséricordieux envers ceux qui nous font du tort, il sera miséricordieux avec nous dans nos erreurs. Si nous sommes impitoyables, il nous laissera patauger dans nos péchés.

 

Si les Ecritures sont claires dans leur déclaration que l'homme se verra appliquer la même mesure qu'il utilise pour son prochain, émettre un jugement même justifié n'est pas pour le laïc, mais pour les autorités appropriées de l'Eglise et de l'Etat. C'est le Seigneur qui en dernière analyse jugera.

 

L'évêque, par son ordination à cet office, devient ‘juge en Israël’ pour ceux de sa paroisse, mais pour aucune autre personne qui n'est pas ainsi placée sous sa juridiction. Le président de pieu, du fait de sa mise à part, est fait juge des habitants du pieu qu'il préside. De même un président de branche et un président de mission ont des responsabilités à peu près semblables. Les autorités générales ont bien entendu juridiction générale et ont le devoir de porter jugement dans certaines circonstances.

 

Le Seigneur peut juger les hommes selon leurs pensées aussi bien que selon ce qu'ils disent et font, car il connaît même les intentions de leur cœur, mais cela n'est pas vrai des humains. Nous entendons ce que les gens disent, nous voyons ce qu'ils font, mais étant incapables de discerner ce qu'ils pensent ou ont l'intention de faire, nous jugeons souvent à tort si nous essayons d'approfondir le sens et les mobiles de leurs actions et d'y apposer notre propre interprétation.

 

Celui qui juge autrui, court autant le risque de juger les dirigeants de son Eglise, introduisant souvent ainsi la mésentente et les querelles dans nos paroisses et dans nos branches. Mais ce qu'il faut, c'est l'esprit du pardon et non du jugement: le pardon et la compréhension. Si ceux qui semblent si gênés par les actes de leurs dirigeants voulaient seulement prier le Seigneur de tout cœur, disant constamment: «Que ta volonté soit faite» et «Père, conduis-moi sur la bonne voie et j'accepterai», ils changeraient d'attitude et retourneraient au bonheur et à la paix.

 

Les gens qui sont enclins à porter jugement sur les autres devraient lire et relire ces paroles de Paul aux Romains:

 

«O homme, qui que tu sois, toi qui juges, tu es donc inexcusable; car, en jugeant les autres, tu te condamnes toi-même, puisque toi qui juges, tu fais les mêmes choses. Nous savons, en effet, que le jugement de Dieu contre ceux qui commettent de telles choses est selon la vérité. Et penses-tu, ô homme, qui juges ceux qui commettent de telles choses, et qui les fais, que tu échapperas au jugement de Dieu?» (Rom. 2:1-3).

 

Le principe de non-jugement du Rédempteur n'est pas un programme régissant une seule occasion seulement, c'est une exigence quotidienne de la vie. Il nous dit que nous devons tout d'abord nous débarrasser de nos propres erreurs, enlever les défauts grands comme des poutres. Alors, et alors seulement, nous sommes justifiés quand nous tournons notre attention vers les excentricités ou les faiblesses d'un autre.

 

«Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n'aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton oeil? Ou comment peux-tu dire à ton frère: Laisse-moi ôter une paille de ton œil, toi qui as une poutre dans le tien?» (Matt. 7:3,4).

 

Ceci ne doit laisser de doute dans aucun esprit. L'inégalité de la poutre et de la paille est révélatrice. Une paille, c'est comme une petite écharde, tandis que la poutre est ordinairement une grosse pièce de bois qui va d'un mur à un autre pour supporter le lourd toit du bâtiment. Quand on est écrasé par des faiblesses et des péchés grands comme des poutres, il est certainement mal d'oublier sa propre position difficile pendant que l'on fait une montagne des erreurs minimes de son frère.

 

Notre vue est complètement obscurcie quand nous n'avons aucun miroir à dresser devant nos propres erreurs et ne recherchons que les faiblesses des autres. Quand nous suivons les instructions du Seigneur, nous sommes si occupés à nous perfectionner que nous nous rendons compte que les défauts des autres sont petits par comparaison. Nous devons donc prendre la merveilleuse habitude de minimiser les faiblesses des autres et augmenter ainsi nos propres vertus.

 

Celui qui ne veut pas pardonner aux autres, détruit le pont qu'il doit traverser lui-même. C'est là une vérité que le Seigneur a enseignée dans la parabole du serviteur impitoyable qui exigeait d'être pardonné mais était impitoyable envers quelqu'un qui lui demandait pardon (voir Matt. 18:23-35).

 

Il est intéressant de noter la différence de dette. Le serviteur impitoyable devait dix mille talents et n'était créancier que de cent deniers. Le dictionnaire de la Bible dit qu'un talent vaut sept cent cinquante onces tandis qu'un denier romain est le huitième d'une once. Donc dans la parabole, le serviteur impitoyable qui devait dix mille talents et qui supplia qu'on lui accorde du temps et de la miséricorde condamnait et emprisonnait pour dettes l'homme qui lui devait une somme relativement minime, le six cent millième de sa propre dette. Paul ne disait-il pas que nous sommes ordinairement coupables des mêmes transgressions et des mêmes erreurs dont nous accusons et pour lesquelles nous condamnons nos semblables?

 

Je me suis trouvé un jour dans une situation du genre ‘talents et deniers’, ‘paille et poutre’ quand un mari lésé a fini par persuader son épouse adultère de l'accompagner à mon bureau. Elle reconnut sa culpabilité, mais se justifia en disant qu'elle avait perdu tout intérêt pour son foyer à cause du fait que son mari était si juste, si intègre et si honorable que cela lui donnait un complexe d'infériorité. Je lui demandai ce qu'il faisait pour la troubler et pour justifier son abandon du foyer, de ses enfants et de lui-même. Elle ne put pas trouver grand-chose à critiquer en lui. Il pourvoyait bien à ses besoins, était un bon père, était bon et prévenant, un bon membre de l'Eglise, mais parce qu'elle avait de mauvaises tendances et des pensées impures, elle se sentait inférieure. C'était elle qui avait la poutre, c'était elle qui commettait l'erreur des dix mille talents, et lui la paille et l'erreur de cent deniers.

 

Pas d'échappatoire sans pardon

 

Si les défauts de deux personnes s’équivalent davantage, si l'un et l'autre ont la vue obscurcie par une poutre, cela ne justifie pas pour autant une attitude égoïste et impitoyable. C'est dans cet ordre d'idées que j'ai écrit un jour à une femme avec qui j'avais eu précédemment l'occasion de discuter en détail de ses problèmes familiaux. Je lui avais donné des conseils dans mon désir d'empêcher d'autres malentendus et d'éviter une séparation ou un divorce. Au bout de quelques semaines, elle écrivit qu'elle accepterait ma décision. Je répondis entre autres ce qui suit:

 

«Ce n'est pas ma décision: c'est à vous de prendre les décisions. Vous avez votre libre arbitre. Si vous êtes décidée à divorcer, c'est à vous qu'incomberont la responsabilité et les souffrances si vous n'êtes pas disposée à faire les ajustements nécessaires. Quand j'ai conversé avec vous, je pensais que vous vous étiez pardonné mutuellement et que vous alliez partir de là pour édifier une belle vie. Je me trompais manifestement. Tous mes avertissements et toutes mes supplications semblent être tombés dans les oreilles de sourds. Je tiens à ce que vous sachiez que je ne justifie aucune des mauvaises actions de votre mari, mais j'ai constaté d'un bout à l'autre que tout n'était pas de sa faute. Je n'ai jamais pu avoir le sentiment que vous aviez complètement éliminé l'égoïsme de votre propre âme. Je sais que deux personnes aussi apparemment intelligentes et mûres que vous deux pourraient être heureuses si vous vouliez tous les deux commencer à vous soucier l'un de l'autre plutôt que de votre moi égoïste. L'évadé ne s'échappe jamais. Si deux personnes, égoïstes et égocentriques, dénuées de l'esprit du pardon, échappent l'une à l'autre, elles ne peuvent s'échapper à elles-mêmes. Ce n'est pas la séparation ou le divorce qui guérissent la maladie et elle se poursuivra très certainement dans le sillage des mariages futurs. La cause doit être éliminée. Etant jeunes, vous allez vraisemblablement vous remarier l'un et l'autre. Chacun de vous introduira probablement dans le prochain mariage toutes les faiblesses, tous les péchés et toutes les erreurs qu'il a maintenant, à moins que vous ne vous repentiez et ne vous transformiez. Et si vous voulez changer de vie pour un nouveau conjoint, pourquoi ne pas le faire pour le conjoint actuel? Vous vous êtes peut-être dit que votre foyer était le seul qui fût embourbé dans des problèmes. Sachez que la plupart des couples ont des malentendus, mais beaucoup résolvent leurs problèmes au lieu de les laisser les écraser. Beaucoup d'épouses ont versé des larmes amères et beaucoup de maris ont passé des nuits blanches, mais le Seigneur soit loué de ce qu'un grand nombre de ces personnes ont eu l'intelligence de résoudre leurs difficultés.»

 

Je continuai ma lettre comme suit:

 

«Les partenaires restent en affaires pendant des années. Ils peuvent être aussi différents que le jour et la nuit, mais du fait qu'il y a une raison contraignante et compensatrice au maintien de leurs bonnes relations, ils ferment les yeux sur les faiblesses, se fortifient et travaillent ensemble. Ils dissolvent rarement une association où l'un et l'autre connaîtraient, ce faisant, de lourdes pertes financières. Un mariage céleste est quelque chose qui vaut bien plus la peine qu'on fasse des efforts, qu'on vive et qu'on s'adapte pour le préserver que tout autre arrangement financier profitable qui lierait deux partenaires. Maintenant, mes chers amis... l'affaire est entre vos mains: vous pouvez faire ce que vous voulez, mais je vous avertis que le problème est plus profond que vous ne le pensez et ne sera pas facilement résolu par le divorce. Et je vous avertis aussi que, séparés ou vivant ensemble, vous serez endommagés, rongés, empoisonnés et amoindris par l'aigreur, la haine et le mépris. La première nécessité c'est d'être maîtres de vous-mêmes.»

 

Le poison de la rancune

 

Dans cette lettre, je citai la rancune et la haine qui, si souvent, accompagnent l'esprit qui ne veut pas pardonner. La rancune empoisonne avant tout celui qui l'entretient dans son cœur. Elle engendre la haine et

 

«…quiconque hait son frère est un meurtrier, et vous savez qu'aucun meurtrier n'a la vie éternelle demeurant en lui» (1 Jean 3:15).

 

En général, celui qui est haï ne sait même pas à quel point est féroce l'animosité nourrie contre lui. Il peut dormir la nuit et jouir d'une paix raisonnable, mais celui qui hait se met au ban des gens de bien, rabougrit son cœur, rapetisse son âme et fait de lui-même un pygmée malheureux.

 

Ordinairement pareille personne crie sur tous les toits ses ennuis, ses préjugés et sa haine; elle est par conséquent encore moins appréciée par ses semblables que celui qui doit toujours parler de ses infirmités physiques et expliquer ses opérations. Cela devient lassant et les gens sont ennuyés par les harangues. Seule la politesse empêche les gens de fuir quand apparaît celui qui se plaint, qui hait et qui critique.

 

J'ai connu un homme qui ne ratait jamais aucune occasion de critiquer un de ses collègues parce qu'il sautait la réunion hebdomadaire de Sainte-Cène. Ses dénonciations et ses condamnations étaient hargneuses et fréquentes. Je remarquai plus tard que ce même critique s'absentait souvent de sa réunion de Sainte-Cène et il semblait dans tous les cas pouvoir se justifier, mais il n'avait pas eu la même tolérance pour son frère dans les mêmes situations. N'est-ce pas pour le médisant que le médisant est le plus dur? Ne sont-ce pas les autres critiques que le critique critique le plus?

 

Le Seigneur et son Eglise ne justifient aucune mauvaise action de la part d'aucun de nous. Mais si chacun de nous garde son cœur pur et son esprit libre de toute rancune et sert le Seigneur de tout son cœur, de tout son pouvoir et de toutes ses forces, il peut être en paix. Il peut être certain que toutes les autres âmes, comme lui-même, devront payer tout le prix de leurs mauvaises actions et recevront les récompenses que méritent leurs bonnes actions.

 

«J'ai encore vu sous le soleil que la course n'était point aux agiles ni la guerre aux vaillants, ni le pain aux sages, ni la richesse aux intelligents, ni la faveur aux savants; car tout dépend pour eux du temps et des circonstances» (EccI. 9:11).

 

Notre mission est de sauver et non de blesser ou de détruire. Il est bien regrettable que les gens ne soient pas toujours prudents et diplomates dans leurs relations avec les autres. Parfois les meilleures personnes, et même les meilleurs dirigeants de l'Eglise, même animés des meilleures intentions, offensent et blessent sans le vouloir. Je rencontre trop souvent cela dans mon travail.

 

Mais ni les offenses réelles, ni les offenses imaginaires des autres, qu'ils soient dirigeants ou non, ne justifient l'esprit d'égoïsme, de jalousie, de récrimination et de ressentiment qui allume et puis rallume les conflits et l'hostilité. C'est ce même esprit, entretenu par des sentiments blessés et des torts imaginaires, qui produit les cassures et les conflits dans les paroisses et les branches. Ceux qui détiennent l'autorité voient parfois leurs actes et leurs mobiles mis en doute et sentent la rancune dont ils sont l'objet de la part des membres de leur paroisse, de leur branche et de leur pieu alors que ces membres devraient être compréhensifs, pardonner et être disposés à accepter les instructions des dirigeants.

 

J'ai connu un homme qui avait eu un véritable conflit avec son voisin pour une question d'eau et de remplissage d'un fossé commun aux deux fermes. La haine s'accrut au point qu'ils finirent par s'observer en chien de faïence. Si l'un allait à l'église, l'autre restait chez lui. Si l'un allait en ville, l'autre restait à la ferme pour ne pas le rencontrer. Quand ils se rencontraient à l'improviste, leur poignée de main était glaciale. Ils contestaient chacun les motifs de l'autre; chacun interprétait l'acte de bonne volonté de l'autre comme étant motivé par une arrière-pensée. Quand l'un des deux devint dirigeant de l'Eglise, l'autre et sa famille cessèrent de travailler dans l'Eglise. Quand une réorganisation eut lieu et que l'autre famille obtint un poste de direction, il devint impossible d'amener la famille autrefois pratiquante à vaquer à ses devoirs.

 

J'ai connu un président de pieu qui fut relevé avant d'éprouver le désir d'être remplacé. Il s'aigrit considérablement et exprima sa rancune en n'assistant plus aux réunions de l'Eglise, en critiquant les dirigeants qui l'avaient relevé et puis, peu à peu, les dirigeants qui le remplaçaient et finalement l'Eglise à laquelle il faisait maintenant du tort. Il continua à glisser vers l'apostasie. Son dépit et sa haine ne firent du tort qu'à lui. Le pieu continua à prospérer.

 

Le tort fait à celui qui critique et s'établit comme juge est grand, surtout s'il critique les dirigeants de l'Eglise que le Seigneur a désignés. Depuis la crucifixion, il y a eu des dizaines de milliers d'hommes qui ont été appelés par le Sauveur pour remplir des postes, dont pas un n'a été parfait, et cependant tous sont appelés par le Seigneur et doivent être soutenus par ceux qui veulent être des disciples du Seigneur. C'est le véritable esprit de l'Evangile.

 

Il est extrêmement regrettable que des personnes se laissent à ce point troubler par les actes de leurs dirigeants. Je suis certain que si ces personnes priaient le Seigneur de tout leur cœur, de tout leur esprit et de toute leur voix, disant constamment  «Que ta volonté soit faite» et «Père guide-moi dans la bonne voie et j'accepterai», elles auraient une autre attitude et reviendraient au bonheur et à la paix.

 

Pas compris

 

Il y a beaucoup de raisons de ne pas juger nos semblables, outre que c'est un commandement du Seigneur. Une raison importante, c'est qu'ordinairement nous ne disposons pas de tous les faits pour fonder notre jugement. Nous ne comprenons pas. Un cantique écrit par Thomas Bracken, mis en musique par Evan Stephens, transmet, dans cet ordre d'idées, un message si puissant que j'en cite des extraits:

 

Pas compris. Nous retirons de fausses impressions

Et les serrons de plus en plus contre nous avec les années.

Pas compris. De pauvres âmes à la vue limitée

Mesurent souvent des géants avec leurs œillères.

Pas compris. Comme des vétilles souvent nous changent.

La phrase irréfléchie ou l'insulte imaginaire

Détruisent de longues années d'amitié et nous éloignent;

Et sur notre âme tombe une sécheresse glaciale:

Pas compris. Pas compris.

Oh Dieu, puissent les hommes voir un peu plus clair,

Ou juger moins sévèrement quand ils ne peuvent voir!

 

Le Seigneur peut juger les hommes d'après leurs pensées aussi bien que d'après ce qu'ils disent et font, car il connaît même les intentions de leur cœur, mais il n'en va pas de même de nous, humains. Nous entendons ce que les autres disent, nous voyons ce qu'ils font, mais nous ne pouvons pas toujours dire ce qu'ils pensent ni ce qu'ils ont l'intention de faire. Nous jugeons donc souvent à tort si nous essayons de sonder leurs intentions et y apposons notre propre interprétation.

 

Le pardon est l'ingrédient miraculeux qui assure l'harmonie et l'amour dans le foyer ou la paroisse. Sans lui, il y a des querelles. Sans compréhension, ni pardon, il y a des dissensions suivies par un manque d'harmonie; ceci engendre la déloyauté au foyer, dans les branches et dans les paroisses. D'autre part le pardon est en harmonie avec l'esprit de l'Evangile, avec l'esprit du Christ. C'est l'esprit que nous devons tous posséder si nous voulons recevoir le pardon de nos propres péchés et être sans tache devant Dieu.

 


 


[1] Tiré du message des instructrices visiteuses. Octobre 1963.

 

 

 

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