CHAPITRE CINQ : la ville et le sable C’est une tradition et une convention pour un
hors-la-loi bédouin dont la tête
est mise à prix de montrer sa bravoure au risque sa vie en allant se
promener au beau milieu d’une ville en plein jour sous le nez de la
police – un geste très théâtral, mais dont mes amis arabes
m’assurent qu’il a été fait mille fois. C’est pendant qu’il
lisait l’épopée des Bani Hilal que l’auteur a été frappé pour la
première fois de la ressemblance intime qu’il y avait entre le
comportement des fils de Léhi au cours de ce voyage éclair à Jérusalem
et celui des jeunes braves des Bani Hilal lorsqu’ils visitaient une
ville dans des circonstances semblables. Les récits des errances de la
tribu des ‘Amer racontent la même histoire: campement en dehors des
murs, tirage au sort pour voir qui prendrait le risque, entrée furtive
dans la ville et fuite dans les rues à minuit[29] – tout cela se trouve
dans le Livre de Mormon et est tout à fait authentique. Une chose tout à fait typique, c’est également
ces jeunes gens qui se cachent dans des cavernes près de la ville en
attendant que les séides de Laban se calment, mais en discutant avec une
diversité et une passion orientales de ce qu’ils vont faire ensuite (1
Néphi 3:27-28). Depuis que le Palestine Exploration Fund Quarterly a
commencé à paraître, il y a des années, ses lecteurs ont été gratifiés
d’un flot constant de rapports officiels sur des cavernes nouvellement découvertes
à Jérusalem et près de cette ville. La région en est criblée; pour la
région située au sud de la ville, « il est difficile de rendre compte
des fouilles principales de ce genre (de cavernes) sans avoir l’air
d’avoir recours à l’exagération... Essayer de dresser un catalogue
descriptif de ces cavernes serait parfaitement futile, le simple travail
de fouiller les collines pour en trouver des exemples... serait
pratiquement infini[30]
». Quand on s’éloigne, la région de Beit Jibrin « contient un nombre
incalculable de cavernes artificielles »[31]
et elles pullulent dans le désert de Tih et de Moab[32].
Beaucoup de ces cavernes, étant artificielles, sont postérieures à l’époque
de Léhi, et beaucoup sont également plus anciennes et ont été utilisées
comme cachettes à toutes les époques[33].
Mais qui, en Amérique, connaissait ces cachettes il y a cent ans ? Le but
du premier voyage de retour à Jérusalem était de se procurer certains
documents qui étaient écrits sur des plaques de bronze (le Livre de
Mormon, comme la Bible, utilise toujours « airain » pour désigner ce
que nous appelons « bronze » – mot qui n’est devenu courant que
depuis sa traduction). Léhi eut un songe dans lequel il lui fut commandé
de se procurer ces documents qui, comme il le savait déjà, étaient
conservés chez un certain Laban. Néphi n’en connaît pas exactement la
raison et suppose, à tort, comme cela se vérifiera plus tard, que le but
en était de « préserver, pour nos enfants, la langue de nos pères » ("1 Néphi 3:19)[34]. Il est intéressant de
remarquer que les Bani Hilal, en se mettant en route pour leur grande
migration, estimèrent nécessaire de tenir un registre de leurs pères
et d’y ajouter au fur et à mesure, « pour que le souvenir en demeure
pour les générations futures[35] ».
La tenue de ces daftar, comme on les appelait, était également
connue d’autres tribus errantes. Mais que faisaient les documents chez Laban et, à
propos, qui était-il ? Relations avec Laban Pendant des siècles les villes de Palestine et de
Syrie avaient été plus ou moins sous la coupe de gouverneurs militaires
de souche locale, mais, du moins en théorie, responsables devant l’Égypte.
« Ces commandants (appelés rabis dans les lettres
d’Amarna) étaient subordonnés aux princes des villes (chazan),
qui leur donnent communément le titre de ‘frère’ ou ‘père’[36]. »
C’était dans l’ensemble une bande sordide d’arrivistes dont
l’autorité dépendait de tromperies et d’intrigues constantes,
quoique considérant leur office comme héréditaire et se donnant parfois
le titre de rois. Dans les lettres d’Amarna, nous voyons ces hommes se
piller mutuellement leurs caravanes, s’accusant les uns les autres de ne
pas payer leurs dettes et de ne pas tenir leurs promesses, se dénonçant
mutuellement comme traîtres à l’Égypte et étalant d’une manière générale
les caractéristiques ordinaires, consacrées par le temps, du haut
fonctionnaire oriental cherchant avant tout à augmenter sa fortune privée.
Les lettres de Lakisch montrent que du temps de Léhi ces hommes étaient
encore les seigneurs de la création – les commandants des villes qui
entouraient Jérusalem travaillaient toujours en collaboration étroite
avec l’Égypte en matière militaire, dépendant du prestige de l’Égypte
pour soutenir leur puissance corrompue, et se comportaient encore comme
des opportunistes serviles et sans scrupules[37]. Une des fonctions principales de tout gouverneur en
Orient a toujours été de recevoir les pétitions, et la pratique établie
a toujours été de dépouiller, lorsque c’était possible, les
solliciteurs (ou toute autre personne). L’histoire du Paysan Éloquent,
de quinze siècles antérieure à Léhi, et les innombrables contes des
Qadis qui le suivent de quinze siècles font tous partie du même tableau
et Laban s’y insère comme s’il était peint pour mettre son portrait
en relief. Et Laman entra dans la maison de Laban, et il lui
parla tandis qu’il était assis dans sa maison. Et il désira de Laban les annales qui étaient gravées
sur les plaques d’airain qui contenaient la généalogie de mon père. Et... Laban fut en colère et le chassa de sa présence;
et il ne voulut pas qu’il eût les annales. C’est pourquoi, il lui
dit: Voici, tu es un brigand, et je vais te tuer. Mais Laman s’enfuit de sa présence et nous dit ce
que Laban avait fait (1 Néphi 3:11-14). Plus tard, les frères retournèrent auprès de
Laban, chargés de leur trésor de famille, espérant sottement lui
acheter les plaques. Ils auraient dû savoir ce qui allait arriver : Et il arriva que lorsque Laban vit nos biens, et
qu’ils étaient extrêmement grands, il les convoita, de sorte qu’il
nous jeta dehors et envoya ses serviteurs pour nous tuer, ce qui lui
permettrait d’obtenir nos biens. Et il
arriva que nous nous enfuîmes devant les serviteurs de Laban, et nous fûmes
obligés d’abandonner nos biens, et ils tombèrent entre les mains de
Laban (1 Néphi
3:25-26). Comparez
ceci avec l’histoire maintenant classique de l’entrevue de Wenamon
avec le rapace Zakar Baal, gouverneur de Byblos, presque exactement cinq
cents ans plus tôt. L’Égyptien entra dans la maison du grand homme et
« le trouva assis dans sa chambre haute, le dos appuyé contre une fenêtre
», tout comme Laman accosta Laban « tandis qu’il était assis dans sa
maison » (1 Néphi 3:11). Lorsque son visiteur demanda au prince marchand
et prince des marchands de lui donner quelques rondins de cèdre, ce
dernier entra dans une violente colère et l’accusa d’être un voleur
(« Voici, tu es un brigand ! » dit Laman dans "1 Néphi 3:13), exigeant qu’il lui montre ses lettres de créances.
Ensuite Zakar Baal « fit apporter le journal de ses pères, et le fit
lire devant lui », ce qui montre clairement que les documents importants
de la ville étaient réellement conservés chez lui et gardés sur des
tablettes. À partir de cet antique « journal de ses pères », le prince
prouva à Wenamon que ses ancêtres n’avaient jamais reçu d’ordres de
l’Égypte, et si l’envoyé adoucit un peu son hôte en lui rappelant
qu’Ammon, le Seigneur de l’univers, gouverne sur tous les rois,
l’impitoyable fonctionnaire ne l’en expulsa pas moins et envoya même
plus tard ses serviteurs à sa poursuite – non pas, cependant, pour le
mettre à mort, mais avec la pensée plus généreuse de lui apporter
quelque chose pour le rafraîchir tandis qu’il était assis à
s’affliger. Avec une politesse cynique, le prince proposa de montrer à
Wenamon les tombeaux d’autres envoyés égyptiens dont les missions
n’avaient pas été couronnées de succès ; et lorsque la transaction
commerciale fut finalement effectuée, Zakar Baal, sur la base d’un détail
juridique, livra son hôte à la merci d’une flotte de pirates qui rôdait
à la sortie du port[38]. Et pendant tout ce temps-là
il souriait et s’inclinait, car après tout Wenamon était un
fonctionnaire égyptien, tandis que les fils de Léhi perdirent leur
pouvoir de marchandage lorsqu’ils perdirent leur fortune. L’histoire
de Laban montre d’une manière éloquente à quel point Jérusalem était
mûre pour la destruction. Quelques coups de palette adroits et révélateurs
ressuscitent le pompeux Laban avec la perfection d’une photographie.
Nous apprenons au passage qu’il commandait une garnison de cinquante
hommes, qu’il se réunissait en armure de cérémonie avec « les
anciens des Juifs » (1 Néphi 4:22) pour les consulter en secret la nuit,
qu’il avait la gestion d’un trésor, qu’il appartenait à la vieille
aristocratie et étant un parent lointain de Léhi lui-même, qu’il détenait
probablement son emploi grâce à ses ancêtres, puisqu’il n’aurait
pas pu l’obtenir par ses propres mérites, que sa maison était le lieu
d’entreposage de très vieux documents, que c’était un homme
puissant, colérique, rusé et dangereux, et, par-dessus le marché,
cruel, cupide, sans scrupules, faible et adonné à la boisson. Tout cela
fait de lui un Rabu en chair et en os, le modèle même du pacha
oriental. Il est de la même étoffe que Jaush, son contemporain et
probablement son successeur comme « gouverneur militaire de toute cette région,
gérant les défenses le long de la frontière occidentale de Juda, et
intermédiaire auprès des autorités de Jérusalem », ou comme Hoshaiah
« apparemment chef de la compagnie militaire stationnée dans un
avant-poste près de la route principale reliant Jérusalem à la côte »,
qui était un homme d’une « servilité adulatrice »[39]. Pour ce
qui est de la garnison de cinquante hommes, elle semble pitoyablement
petite pour une grande ville. Il aurait été tout aussi facile pour
l’auteur de 1 Néphi de dire « cinquante mille » et d’en faire
quelque chose de vraiment impressionnant. Et pourtant même les frères aînés,
alors même qu’ils souhaitent souligner la grande puissance de Laban, ne
parlent que de cinquante hommes (1 Néphi
3:31), et c’est Néphi
qui, en leur répondant, dit que le Seigneur est « plus puissant que
Laban et ses cinquante » et ajoute « ou même que ses dizaines de
milliers » ("1 Néphi 4:1). En tant que commandant militaire de haut rang, Laban
avait ses dizaines de milliers sur-le-champ de bataille, mais pareil déploiement
n’est pas ce qui préoccupe Laman et Lémuel: C’est des « cinquante
», garnison régulière et permanente de Jérusalem, qu’ils doivent
avoir peur. Le nombre cinquante cadre parfaitement avec le tableau
d’Amarna où les forces militaires sont toujours si étonnamment petites
et où une garnison de trente à quatre-vingts hommes est considérée
comme suffisante même pour de grandes villes. Ceci est confirmé d’une
manière frappante dans une lettre de Nebucadnetsar, contemporain de Léhi,
dans laquelle le grand roi ordonne: « Quant aux cinquantes qui étaient
sous tes ordres, que ceux qui sont allés à l’arrière, ou les
fugitifs, retournent à leurs rangs. » Commentant ceci, Offord dit: « Il
est intéressant de remarquer l’indication que l’on trouve ici qu’à
cette époque, dans l’armée babylonienne, un peloton se composait de
cinquante hommes[40] »; en outre,
pourrions-nous ajouter, qu’on l’appelait un « cinquante » – de là,
« Laban avec ses cinquante » ("1
Néphi 4:1). Il est, bien
sûr, question de compagnies de cinquante dans la Bible, parallèlement à
des dizaines et à des centaines, etc., mais pas comme garnisons de
grandes villes et pas comme l’unité militaire standard de l’époque.
Laban, comme Hoshaiah de Lakisch, avait sous ses ordres une unique
compagnie de soldats comme garnison permanente, et comme Jaush (son
successeur possible), travaillait en collaboration étroite avec « Ies
autorités de Jérusalem ». En
revenant au cours de la nuit pour essayer une troisième fois de se
procurer les documents, Néphi trébucha sur le corps étendu de Laban
couché ivre-mort dans la rue déserte ("1 Néphi 4:7). Le commandant avait été
(c’est ce que dit plus tard son serviteur à Néphi) en conférence avec
« les anciens des Juifs… [étant] sorti de nuit parmi eux » ("1 Néphi 4:22) et portait son armure d’apparat complète. Qu’est-ce
que tout cela n’implique pas ! Nous sentons la gravité de la situation
à Jérusalem que « les anciens » essayent toujours de cacher; nous
entendons l’excitation rentrée du discours pressant de Zoram tandis que
Néphi et lui parcourent rapidement les rues vers les portes de la ville ("1
Néphi 4:27), et à
voir l’empressement de Zoram à changer de camp et à quitter la ville,
nous pouvons être sûrs qu’en sa qualité de secrétaire de Laban[41],
il savait à quel point les choses allaient mal. Les lettres de Lakisch
montrent bien que les cercles informés de Jérusalem étaient
parfaitement au courant de l’état critique des choses à Jérusalem,
alors même que les sarim, les « anciens »,
travaillaient de toutes leurs forces à étouffer tout signe de critique
et de désaffection. Comment pouvaient-ils se consulter pour pourvoir à
la défense de la ville et de leurs propres intérêts sans éveiller
l’alarme ou susciter des rumeurs et des doutes généralisés ? En
tenant leurs réunions secrètes, bien sûr, des réunions nocturnes de
dirigeants civils et militaires comme celle à laquelle Laban venait
d’assister. Avec beaucoup de répugnance, mais incité avec persistance
par « la voix de l’Esprit » ("1 Néphi 4:18), Néphi prit l’épée de Laban et lui coupa la tête.
Cet épisode est considéré avec horreur et avec incrédulité par des
gens qui approuvaient et applaudissaient récemment au massacre beaucoup
moins miséricordieux d’hommes bien plus innocents dans les îles du
Pacifique. Samual ibn Adiyt, le plus célèbre poète juif d’Arabie dans
les temps anciens, s’acquit une célébrité immortelle en Orient en
laissant mettre cruellement à mort son fils sous ses yeux plutôt que de
céder une armure précieuse qui avait été confiée par un ami à ses
soins[42]. L’histoire, qu’elle
soit vraie ou non, rappelle que les mentalités occidentale et orientale
ne sont pas les mêmes, et que l’insensibilité des Américains dans
beaucoup de domaines des relations entre personnes choquerait bien plus
les Arabes que nous ne pourrions l’être par ce qu’ils font. Le Livre
de Mormon, pas plus que la Bible, ne se limite à des épisodes paisibles
et agréables; il est en majeure partie la triste et affligeante histoire
de la folie humaine. Cependant personne ne semble plus troublé par la
mort de Laban que Néphi lui-même, qui se donne beaucoup de mal pour
expliquer sa situation ("1 Néphi 4:10-18). Tout d’abord il fut « contraint par l’Esprit » de
tuer Laban, mais il dit dans son cœur qu’il n’avait jamais versé de
sang humain et la pensée le rendit malade: « Je reculais et souhaitais
ne pas avoir à le tuer » ("1 Néphi 4:10). L’Esprit parla de nouveau, et à ses incitations Néphi
ajoute ses propres raisons : « Et je savais aussi qu’il avait
cherché à m’ôter la vie; oui, et il ne voulait pas écouter les
commandements du Seigneur, et il s’était également emparé de nos
biens » ("1
Néphi 4:11). Mais
cela ne suffisait pas encore; l’Esprit parla de nouveau, expliquant les
raisons du Seigneur et assurant Néphi qu’il serait dans le bon; à quoi
Néphi ajoute encore d’autres arguments à lui, se souvenant de la
promesse que son peuple ne prospérerait qu’en gardant les commandements
du Seigneur. « Et je pensai aussi qu’[il] ne pourrait pas garder
les commandements... [s’il] n’avait pas la loi » ("1 Néphi 4:15). Et seul le dangereux et criminel Laban l’empêchait
de les avoir. « Et en outre, je savais que le Seigneur avait livré Laban
entre mes mains... c’est pourquoi j’obéis à la voix de
l’Esprit » (1 Néphi 4:17-18). Néphi finit par s’exécuter, en prenant grand
soin de se disculper et en rejetant la responsabilité de tout sur le
Seigneur. Si le Livre de Mormon était un roman, rien n’aurait été
plus facile que de présenter Laban comme déjà mort lorsque Néphi le
trouva ou simplement d’omettre un épisode qui, de toute évidence,
affligeait autant l’auteur que le lecteur, quoique la mise à mort de
Laban ne soit pas plus répréhensible que la décapitation de Goliath
inconscient. On prétend de temps en temps que l’histoire de la
mort de Laban est absurde sinon impossible. On dit que Néphi n’aurait
pas pu tuer Laban et réussir à s’enfuir. Mais ceux qui connaissent
bien les patrouilles de nuit par temps de guerre verront dans l’histoire
de Néphi un récit convaincant et réaliste. Tout d’abord, les
critiques ne se rendent apparemment pas compte que l’éclairage des
rues, sauf en temps de fête, est une bénédiction inconnue des époques
antérieures à la nôtre. On pourrait citer des centaines de passages
d’écrivains anciens, classiques et orientaux pour montrer que, dans le
passé, les rues, même des plus grandes villes, étaient absolument
noires la nuit et très dangereuses. Se déplacer tard le soir sans
porteurs de lampes ni gardes armés, c’était courir le risque presque
certain d’être assailli. Dans le célèbre procès d’Alcibiade à
propos de la mutilation de l’Hermès, nous avons le témoignage d’un témoin
qui, tout seul, vit au clair de la lune les déprédations nocturnes
d’un groupe d’ivrognes au cœur d’Athènes, ce qui montre clairement
que les rues de la plus grande ville du monde occidental étaient sombres,
désertées et dangereuses la nuit. Par temps d’agitation sociale, les
rues, le soir, étaient virtuellement abandonnées au milieu, comme elles
l’étaient dans certaines villes européennes pendant les couvre-feux de
la dernière guerre. L’étroitesse extrême des rues de l’Antiquité
rendait leur occultation doublement efficace. Les comédies grecques et
romaines et les poètes nous montrent à quel point on devait verrouiller
et garder les portes des maisons privées le soir, et l’archéologie
nous a montré des villes orientales dans lesquelles apparemment pas la
moindre fenêtre de maison ne s’ouvrait sur la voie publique, tout comme
il y en a peu, même aujourd’hui, au niveau du sol. En Orient et en
Occident, les habitants s’enfermaient tout simplement le soir comme
s’ils étaient dans une forteresse assiégée. Même du temps de
Shakespeare, nous voyons la terreur comique de la garde de nuit traversant
les rues à des heures où tous les gens honnêtes s’enferment. En un
mot, les rues des villes anciennes après le coucher du soleil
constituaient le cadre parfait pour commettre des actes de violence sans
craindre d’être découvert. Il était
très tard lorsque Néphi rencontra Laban (1 Néphi 4-5, 22) ; les rues étaient
abandonnées et sombres. Que le lecteur s’imagine ce qu’il ferait
s’il était en patrouille près du quartier général ennemi pendant une
occultation et trébuchait sur le corps inconscient d’un général
ennemi notoirement sanguinaire. En vertu du code brutal de la guerre,
l’ennemi n’a pas le droit à un jugement officiel, et c’est
l’occasion ou jamais. Laban portait une armure, par conséquent la seule
possibilité de le liquider rapidement, sans douleur et en toute sécurité,
c’était de lui couper la tête – le traitement conventionnel des
criminels où le bourreau était passible d’une amende s’il ne décapitait
pas sa victime d’un seul coup net. Néphi tira la lourde arme tranchante
et se tint longtemps au-dessus de Laban, se demandant ce qu’il allait
faire ("1 Néphi 4:9-18). C’était un chasseur habile et un homme puissant. En
faisant attention, un homme de ce genre pouvait faire un travail rapide et
efficace et éviter de se mettre beaucoup de sang sur lui-même. Mais
pourquoi se soucier de cela ? Il n’avait pas une chance sur mille de
rencontrer un honnête citoyen; et de toutes façons personne ne
remarquerait le sang dans le noir. Ce que l’on remarquerait, ce serait
l’armure que Néphi mit sur lui, laquelle, comme l’épée, pouvait
facilement être essuyée. Se revêtir de l’armure était la chose tout
à fait naturelle et astucieuse à faire. On pourrait citer un grand
nombre de cas tirés de la dernière guerre pour montrer qu’un espion
dans le camp ennemi n’est jamais aussi en sécurité que lorsqu’il
porte les insignes d’un officier militaire supérieur – à
condition de ne pas s’attarder – et Néphi n’en avait pas la moindre
intention. Personne n’ose se frotter de trop près à une grosse légume
(surtout pas à un Laban sombre et colérique); leurs affaires sont
toujours « top secret », et leur uniforme leur donne toute liberté
d’aller et de venir sans qu’on leur pose de question. Néphi nous dit qu’il était « guidé par
l’Esprit » (1 Néphi 4:6). Il ne prenait pas de risques impossibles
mais, se trouvant dans une situation difficile, il utilisa la formule la
plus sûre de ceux qui ont réussi à accomplir des tâches délicates.
Son audace et sa vitesse furent récompensées, et il était hors de la
ville avant que quoi que ce fût eût été découvert. Dans tout son
exploit, il n’y a absolument rien d’improbable. La manière
dont Néphi se déguisa avec les vêtements de Laban et amena le serviteur
de Laban à l’admettre dans le trésor est un exemple authentique de
roman oriental aussi bien que d’histoire. Il suffit de penser au déguisement
étonnamment audacieux de Sir Richard Burton en Orient, exécuté en plein
jour et pendant des mois d’affilée avec un succès parfait, pour se
rendre compte que pareille chose est tout à fait possible. Lorsque Zoram,
le serviteur, découvrit que ce n’était pas avec son maître qu’il
avait parlé des agissements extrêmement secrets des anciens tandis
qu’ils se dirigeaient vers les faubourgs de la ville, il fut rempli de
terreur, et à juste titre. Dans une telle situation, il n’y avait
qu’une seule chose que Néphi pouvait faire, à la fois pour épargner
Zoram et pour éviter qu’il ne donnât l’alerte – et un Occidental
n’aurait jamais pu deviner ce que c’était. Néphi, homme puissant,
retint Zoram, terrifié, avec une poigne de fer suffisamment longtemps
pour lui chuchoter un serment solennel à l’oreille, « comme le
Seigneur vit et comme je vis » ("1 Néphi 4:32), l’assurant qu’il ne lui ferait pas de mal s’il
l’écoutait. Zoram se détendit immédiatement et Néphi lui fit le
deuxième serment qu’il serait libre s’il se joignait à la compagnie:
« Si tu descends dans le désert vers mon père, tu auras une place parmi
nous» (1 Néphi 4:34). Nous
avons déjà étudié le caractère correct des expressions «descendre»
et « avoir une place » aussi bien que la nécessité pour Zoram de ne
s’adresser qu’au seul père de Néphi. Ce qui étonne le lecteur
occidental, c’est l’effet miraculeux du serment de Néphi sur Zoram,
qui, en entendant quelques mots conventionnels, devient promptement
docile, tandis que, pour ce qui est des frères, dès que Zoram « fit
aussi le serment qu’il demeurerait dorénavant avec nous... nos craintes
à son égard cessèrent » ("1 Néphi 4:35, "37). La réaction
des deux parties a du sens quand on se rend compte que le serment est par
excellence la chose la plus sacrée et la plus inviolable parmi les gens
du désert : « Un Arabe ne rompt pas son serment, même si sa vie est en
danger[43] », car « il n’est
rien de plus fort, rien de plus sacré que le serment chez les nomades »,
et même chez les Arabes des villes, s’il est exigé d’eux dans des
conditions spéciales[44]. Mais tous les serments ne
font pas l’affaire. Pour engager totalement et être absolument
solennel, un serment doit se faire par la vie de quelque chose, ne
serait-ce que d’un brin d’herbe; le seul serment qui soit plus
terrible que « par ma vie » ou (moins couramment) « par la vie de
ma tête », est le wa hayat Allah, « par la vie de Dieu » ou «
comme le Seigneur vit », équivalent arabe de l’ancien hébreu hai
Elohim[45].
Aujourd’hui la racaille urbaine l’emploie sans discernement, mais
autrefois c’était une chose terrible, et elle l’est encore parmi les
gens du désert: « Je confirmai ma réponse à la manière bédouine, dit
Doughty, par sa vie... Il dit… ‘Eh bien, jure par la vie d’Ullah
(Dieu) !’... C’est là la formule que même les nomades utilisent,
lors d’une grande occasion, mais, pour une petite chose, ils disent: Par
ta vie[46]. » Nous voyons donc
que le seul et unique moyen pour Néphi de calmer en un instant Zoram, qui
se débattait, c’était d’exprimer le seul serment que personne ne
songerait à rompre, le plus solennel de tous les serments pour les Sémites
: « Comme le Seigneur vit et comme je vis… » ("1
Néphi 4:32).
[1] Philip J. Baldensperger, « The Immovable East », PEFQ, 1925, p.
81. [2] Richard F. Burton, Pilgrimage to Al-Medinah and Meccah, Londres,
Tylston & Edwards, 1893, 1:280. [3]
La rivière coulait entre ces deux élévations, comme l’indiquent
les cartes de la région. La vallée semble assez grande. Nous
recommandons une recherche : depuis les temps les plus reculés
les voyageurs du désert ont l’habitude d’inscrire leur nom sur
les rochers aux endroits où ils ont campé. « Nous trouvons
maintenant des centaines de ces inscriptions. » Theodor Nöldeke, Die semitischen Sprachen,
Leipzig, Tauchnitz, 1899, p.
37. Il
est presque certain que le peuple de Léhi a laissé ses marques aux
étapes les plus importantes. [4] Ignac
Goldziher, Abhandlungen zur arabischen Philologie, Leiden,
1896, 1:58. [5]
Nil, Narratio (Narrations) 5, dans PG 79:648. [6]
Ibn Qutayba, Introduction au livre de la poésie et des poètes,
Muqaddamatu Kitab-ish-Shi’re wa sh-Shu’ara, Paris, l’Association
Guillaume Budé, 1947, p.
18. [7] Bertram Thomas, Arabia Felix, New York: Scribner, 1932, p. 153. [8] Antoine de Saint-Exupéry, Wind, Sand and Stars, New York:
Harcourt, Brace, 1967, p.
104. [9] Kitab Taghribat Bani Hilal, Damas, Hashim, p. 54. [10] Goldziher,
Abhandlungen zur arabischen Philologie 1:67-71. [11]
Id., 1:59, 72 -75. [12]
Ibn Qutayba, Introduction au livre de la poésie et des poètes, p.
25; cf. Goldziher, Abhandlungen zur arabischen Philologie 1:74. [13]
Pierre Cersoy, « L’apologue de la vigne », RB 8, 1899, pp. 40-47. [14]
Emmanuel Cosquin, « Le livre de Tobie et ‘L’histoire du sage
Ahikar’ », RB 8, 1899,
pp. 54-55. [15]
« Il m’est difficile d’expliquer l’effet de la poésie arabe à
quelqu’un qui n’a pas visité le Désert. » Burton, Pilgrimage to
Al-Medinah and Meccah, 2:99. [16] Gustav
Richter, « Zur Entstehungsgeschichte der altarabischen Qaside », ZDMG
92, 1938, pp. 557-58. Le
passage cité est de ‘Antara. [17]
Id., pp. 563-65. [18]
Ibn Qutayba, Introduction au livre de la poésie et des poètes, p.
13. [19] Burton, Pilgrimage to Al-Medinah and Meccah, 1:278. [20] Carl
Brockelmann, Geschichte der arabischen Litteratur, Leiden,
Brill, 1943, p. 16. [21] Burton, Pilgrimage to Al-Medinah and Meccah, 1:278, n. 3. [22] Richter, «
Zur Entstehungsgeschichte der altarabischen Qaside », pp. 557-58. [23] Brockelmann,
Geschichte der arabischen Litteratur, p. 12. [24] James L. Montgomery, Arabia and the Bible, Philadelphie,
University of Pennsylvania Press, 1934,
p. 21. [25]
On remet maintenant en question même l’interprétation tout entière
du Psaume 23. [26] Burton, Pilgrimage to Al-Medinah and Meccah, 2:98. [27]
Voir « Le problème de la nourriture » traité dans le texte
ci-dessus. [28] Frank E. Johnson, tr., Al-Mu’allaqat, Bombay, Education
Society’s Steam Press, 1893, p.
71, ligne 13. [29]
J. Dissard, « Les migrations et les vicissitudes de la Tribu des
‘Amer », RB 2, 1905, pp. 411-16. [30] Frederick J. Bliss & R. A. Stewart Macalister, Excavations in
Palestine, Londres, Palestine Exploration Fund, 1902, p. 204. [31] Id., p. 269. [32] Edward H. Palmer, « The Desert of the Tih and the Country of Moab »,
dans Survey of Western Palestine, Special Papers, Londres,
Palestine Exploration Fund, 1881, 4:19-21. [33] Bliss & Macalister, Excavations in Palestine, pp. 266-67;
W. F. Birch, « Hiding-Places in Canaan », PEFQ, 1884, pp.
61-70, aussi, 1880, p. 235, and 1881, pp. 323-24. [34]
En fait cette langue n’a pas été conservée même dans
l’Antiquité, et quand le moment est venu où l’ouvrage devait
remplir son grand objectif de rendre témoignage au monde, il a fallu
qu’il soit traduit par le don et le pouvoir de Dieu. À l’époque,
Néphi ne savait rien de cet objectif. [35] Kitab
Taghribaht Bani Hilal, p. 14. [36] Eduard Meyer, Geschichte
des Altertums, 2e éd., Stuttgart, Cotta,1928, vol. 2, 1e partie,
p. 137. [37] J. W. Jack, « The Lachish
Letters – Their Date and Import », PEFQ, 1938, p. 168. [38] On trouvera l’histoire de Wenamon dans James H. Breasted, A History
of Egypt, 2e éd., New York, Scribner, 1951, pp. 513-18; James
Baikie, The History of the Pharaohs, Londres, Black, 1926, pp.
285-87; James H. Breasted, « The Decline and Fall of the Egyptian
Empire », Cambridge Ancient History, Cambridge University
Press, 1931, 2:193-94. Plus récemment, Hans Goedicke, The Report
of Wenamun, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1975. [39] Jack, « The Lachish Letters – Their Date and Import », p. 168. [40] Joseph Offord, « Archaeological Notes on Jewish Antiquities », PEFQ,
1916, p. 148. [41]
William F. Albright, « The Seal of Eliakim and the Latest Preexilic
History of Judah, With Some Observations on Ezekiel », JBL 51,
1932, pp. 79-83, montre
que le titre « serviteur » à Jérusalem à cette époque signifiait
quelque chose comme « représentant
officiel » et était un titre honorable plutôt que dégradant. [42] Brockelmann,
Geschichte der arabischen Litteratur, p. 34. [43] W. Ewing, « A Journey in
the Hauran », PEFQ, 1895, p. 173. [44] Antonin Jaussen, « Mélanges », RB 12, 1903, p. 259; cf. C. Clermont-Ganneau, « The Arabs of Palestine »,
dans Survey Western Palestine, Special Papers, Londres,
Palestine Exploration Fund, 1881, 4:327. [45] Clermont-Ganneau, « The Arabs of Palestine », pp. 326-27;
Baldensperger, PEFQ, 1910, p. 261. |
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