CHAPITRE QUATRE : Coutumes et lieux du désert L’autel de Léhi Le premier acte de Léhi, une fois sa tente dressée pour son premier camp
important, fut de construire « un autel de pierres, [de faire] une
offrande au Seigneur et [de rendre] grâces au Seigneur... » (1 Néphi
2:7), à croire qu’il avait lu Robertson Smith : « Le signe
artificiel ordinaire d’un sanctuaire sémitique (c’est-à-dire aussi
bien hébreu qu’arabe) est le pilier du sacrifice, tumulus de pierres,
ou autel grossier... sur lequel on présente des sacrifices au dieu... En
Arabie… nous ne trouvons pas d’autel proprement dit, mais à sa place
un pilier grossier ou entassement de pierres à côté duquel on met à
mort la victime[1]. »
C’est à ce même « autel de pierres » que Léhi et sa famille «
offrirent au Seigneur un sacrifice et des holocaustes ... et ils rendirent
grâces au Dieu d’Israël » (1 Néphi 5:9), après le retour à bon
port de ses fils de leur dangereuse expédition à Jérusalem. Lorsque
Raswan rapporte: « On amena un petit de chameau à la tente de Misha’il
comme offrande sacrificatoire en l’honneur du retour sain et sauf de
Fouaz[2] »,
nous ne pouvons nous empêcher de penser à une scène de ce genre devant
la tente de Léhi lors du retour à bon port de ses fils. C’est ce que les Arabes
appellent un dhabihat-al-kasb, sacrifice pour célébrer le retour
couronné de succès de guerriers, de chasseurs et de maraudeurs dans le
camp. « Ce sacrifice, écrit Jaussen, est toujours en l’honneur d’un
ancêtre[3] »,
et Néphi mentionne à deux reprises l’ancêtre tribal, Israël, dans
son court récit. Exactement
à la manière du désert, Léhi, immédiatement après les rites
d’actions de grâces, se met à examiner le « butin » (1 Néphi 5:10). Aujourd’hui encore, le Bédouin fait des sacrifices
à toutes les occasions importantes, pas pour des raisons magiques ou
superstitieuses, mais parce qu’il « vit sous l’impression constante
d’être entouré par une force supérieure...[4] ».
St-Nil, dans le plus vieux récit de témoin oculaire connu sur la vie
chez les Arabes du Tih, dit: « Ils sacrifient sur des autels de pierres
grossières empilées les unes sur les autres[5]. »
Le fait que celui de Léhi
était un autel de ce genre découle non seulement de l’antique loi
exigeant des pierres non taillées (Exode 20:25), mais également de
l’expression du Livre de Mormon « un autel de pierres », qui
n’est pas la même chose qu’un « autel de pierre ». Ces petits
entassements de pierres, survivances de toutes les époques, sont encore
visibles un peu partout dans le désert du sud. Contacts
dans le Désert On aurait pu dire cela
pour décrire l’exploit de Léhi. Si le Seigneur l’avait souhaité, il
aurait pu transporter toute la colonie dans les airs; en réalité il
voulait apparemment qu’elle fasse le plus de choses possible d’elle-même
avec un minimum d’intervention miraculeuse. De tous les justes de Jérusalem,
Léhi seul fut choisi pour une tâche exigeant un ensemble de
qualifications et un degré de foi que peu d’hommes ont jamais atteints.
Mais quoique Léhi ne fût pas un homme ordinaire, il y a un fait chez lui
qui doit commencer à se dégager à ce stade de notre étude: c’est
que c’était une personne réelle, de chair et d’os, dans une
situation réelle, et pas un personnage synthétique et exagéré tiré de
l’imagination romantique et évoluant sur le fond de décors
fantasmagoriques que l’on croyait autrefois représenter le fastueux
Orient. Lorsqu’il mourut au cours du voyage, Ismaël « fut
enterré à l’endroit qui était appelé Nahom » (1 Néphi 16:34). Remarquez
que ce n’est pas « un endroit que nous appelâmes
Nahom », mais l’endroit qui était appelé ainsi, un
cimetière du désert. Jaussen rapporte que bien que les Bédouins
ensevelissent parfois les morts là où ils meurent, beaucoup transportent
les restes sur de grandes distances pour les enterrer[67]. La racine arabe NHM a le sens
fondamental de « soupirer ou gémir », et on la trouve presque toujours
à la troisième personne: « soupirer ou gémir avec quelqu’un
d’autre ». L’hébreu Nahum, « consolation », est apparenté,
mais ce n’est pas la forme que donne le Livre de Mormon. En cet endroit,
nous dit-on, « les filles d’Ismaël se lamentèrent extrêmement », et
cela nous rappelle que chez les Arabes du désert, les rites du deuil sont
le monopole des femmes[68]. Deuxièmement, Crowley qualifie le canal de Néchao de
« grand fleuve » et dit qu’il se trouvait « à l’antique
carrefour des continents, le lieu peut-être le mieux connu de la terre en
600 av. J.-C. »[79]. Alors
pourquoi Léhi ne le connaissait-il pas ? C’était le plus grand
triomphe du génie civil de l’époque, la voie d’eau purement
commerciale la plus importante du monde; il chevauchait la grande route la
plus fréquentée de l’Antiquité si pas de l’histoire ; atteint
en quelques jours de voyage depuis Jérusalem en suivant une plaine côtière
plate, c’était le seul grand cours d’eau proche de Jérusalem à part
le Nil, dont il était une branche, et pourtant « Ie cours d’eau était
inconnu de Léhi [!], sinon il est improbable qu’il lui aurait
donné un nouveau nom. « C’est dans ce fait même,
dit Crowley, que se trouve la confirmation de la création récente de
l’ouvrage[80]. »
Combien de temps faut-il au juste pour que les nouvelles voyagent en
Orient ? Le canal avait au moins dix ans, il avait fallu des années pour
le construire, c’était une des merveilles du monde, une bénédiction
inestimable pour le commerce mondial, situé à moins de trois cents kilomètres
de la porte de Léhi en suivant une grande route principale, et cependant
à une époque d’allées et venues incessantes et fiévreuses entre l’Égypte
et la Palestine, ni le grand marchand avec son excellente éducation égyptienne,
ni ses fils entreprenants et ambitieux n’en avaient jamais entendu
parler ! Il est impossible de croire que Léhi ne savait pas que si l’on
voyageait vers l’Égypte et que l’on traversait un grand fleuve
dans un désert absolument vide, ce ne serait pas un cours d’eau
inconnu, que personne n’avait découvert, mais un cours d’eau vraiment
très important. Si quelqu’un connaissait l’existence du canal
de Néchao, c’était bien Léhi. Mais nous sommes d’accord avec
Crowley pour dire que la rivière de Laman lui était de toute évidence inconnue.
Les deux n’ont par conséquent pas pu être identiques. « Un cours
d’eau répondant à la description de Néphi n’aurait pas manqué d’être
noté par des historiens dans des ouvrages profanes », dit Crowley[81]. Pourquoi
pas ? Il échappa à l’attention de Léhi, tout nourri qu’il était
des usages des Égyptiens et des Juifs. Ce ne peut donc pas avoir été un
cours d’eau important, et surtout pas un des plus remarquables de la
terre, sinon Léhi l’aurait connu. D’autre part, Néphi ne dit jamais
ni ne laisse entendre que c’était une grande rivière; ce n’était
pas du tout une voie navigable, mais une « rivière d’eau », ce qui
est une chose tout à fait différente.
[1] W. Robertson Smith, The
Religion of the Semites, Burnett Lectures, Londres, Black, 1907,
pp. 200-201. [2] Carl R. Raswan, Drinkers
of the Wind, New York, Creative Age Press, 1942, p. 237. [3] Antonin Jaussen, « Mélanges »,
RB 3 1906, p. 109 [4] Id., p. 110. [5] St Nil, Narratio
(Narrations) 3, dans PG 79:612. [6] Bertram Thomas, Arabia
Felix, New York, Scribner, 1936, p. 137. [7] Robert E. Cheesman, In
Unknown Arabia, Londres, Macmillan, 1926, pp. 228-29, 234, 240-41,
280. [8] Raswan, Drinkers of the
Wind, p. 200. [9] William G. Palgrave,
Narrative of a Year’s Journey Through Central and Eastern Arabia,
Londres, Macmillan, 1865, 1:13. [10] John L. Burckhardt, Notes
on the Bedouins and Wahábys, Londres, Colburn & Bently, 1831;
réimpression New York, Johnson Reprint, 1967, 1:242. [11] Nilus, Narrations 3,
dans PG 79:612. [12] David S. Margoliouth, The
Relations between Arabs and Israel Prior to the Rise of Islam,
Schweich Lectures, Londres, Oxford University Press, 1924, p. 57. [13] Id., p. 54. [14] Frank E. Johnson, tr., Al-Mu’allaqat
Bombay, Education Society’s Steam Press, 1893, 218, ligne 38. [15] Harry S. J. B. Philby, The
Empty Quarter New York, Holt, 1933, p. 27. [16] Burckhardt, Notes on the
Bedouins and Wahábys, 1:133. [17] Thomas, Arabia Felix,
p. 142. [18] Id., pp. 172-73. [19] Johnson, Al-Mu’allaqat,
87, ligne 58. [20] St Nil, Narrations 6,
dans PG 79:669. [21] Philip
J. Baldensperger, « The Immovable East », PEFQ, 1925, p. 81; la
deuxième citation vient de PEFQ, 1922, pp. 168-69. [22] Richard
F. Burton, Pilgrimage to AI-Medinah and Meccah, Londres,
Tylston & Edwards, 1893, 2:118. [23] Par conséquent
c’est considéré comme un acte honorable et courageux de camper à
l’extérieur de son domaine tribal. Georg Jacob, Altarabisches
Beduinenleben, Berlin, Mayer & Müller, 1897, p. 211. [24] Cheesman,
In Unknown Arabia, p. 24. Dans son article original pour
le magazine, Nibley note aussi : « Après un raid, la tribu
tout entière part se cacher pour éviter les représailles », Hugh
W. Nibley, « Lehi in the Desert », IE 53 1950, p. 383. W. E.
Jennings-Bramley, « The Bedouin of the Sinaitic Peninsula », PEFQ
1912, p. 16, dit que « il n’y avait pas âme qui vive, car les
Debur s’étaient temporairement cachés après leur retour d’un
raid réussi, s’attendant d’un jour à l’autre à ce que les
victimes leur rendent le compliment. » [25] Jennings-Bramley,
« The Bedouin of the Sinaitic Peninsula », PEFQ 1908, pp . 31,
36. [26] À
propos de la nature anti-sociale de l’Arabe, voir Baldensperger, «
The immovable East », PEFQ 1922, pp. 168-170; Antonin Jaussen, «
Chronique », RB3, 1906, p. 443; Edward H. Palmer, Desert of the
Exodus, Cambridge, Deighton, Bell, 1871, 1:79-81. [27] Wilhelm
Nowack, Lehrbuch der hebräischen Archäologie, Freiburg i/B:
Mohr, 1894, p. 152. [28] Johnson, Al-Mucallaqat,
p. 139, ligne 30. [29] Philby, The Empty
Quarter, p. 219. [30] Burton, Pilgrimage to
Al-Medinah and Meccah, 1:276. [31] Jennings-Bramley, « The
Bedouin of the Sinaitic Peninsula », PEFQ, 1905, p. 213. [32] Charles M. Doughty, Travels
in Arabia Deserta, New York, Random House, 1936, 1:272, 282-83. [33] Burckhardt,
Notes on the Bedouins and Wahabys, 1:354; Doughty, Travels in Arabia
Deserta, 1:258. [34] Burckhardt,
Notes on the Bedouins and Wahabys, 1:114. [35] Burton,
Pilgrimage to Al-Medinah and Meccah, 2:102. [36] Philip
J. Baldensperger, « Women in the East », PEFQ, 1901, p. 75. [37] Max von Oppenheimer, Die Beduinen, Leipzig,
Harrassowitz, 1939, 1:30. [38] Burckhardt, Notes on the Bedouins and Wahabys,
1:116-17; Jaussen, « Chronique », RB 12, 1903, pp. 107-8; Oppenheim,
Die Beduinen, 1:30. [39] John Zeller, « The Bedawin », PEFQ 1901, p. 194;
Jaussen, « Mélanges », RB 12, 1903, p. 254. [40] Jennings-Bramley,
« The Bedouin of the Sinaitic Peninsula », p. 217 [41] H.
H. Kitchener, « Major Kitchener’s Report », PEFQ 1884, p. 215. [42] Eliahu
Epstein, « Bedouin of the Negeb », PEFQ 1939, pp. 61-64;
Baldensperger, « The Immovable East », PEFQ 1906, p. 14. « La
tyrannie de la famille est pire... que la descente de l’épée
indienne », dit le poète ancien Tarafah. Johnson,
Al-Mucallaqat, 57, ligne 81. [43] Nowack,
Lehrbuch der hebräischen Archäologie, p. 154; Jacob, Altarabisches
Benduinenleben, p. 212. [44] Jaussen,
« Chronique », RB 12 1903, p. 109. [45] Philby,
The Empty Quarter, p. 216. [46] Id. [47] Thomas
E. Lawrence, Seven Pillars of Wisdorn, New York Garden City
Publishing, 1938, ch. 3. [48] Jennings-Bramley,
« The Bedouin of the Sinaitic Peninsula, PEFQ 1908, p. 257. [49] Taufik
Canaan, « Studies in the Topography and Folklore of Petra »,
JPOS 9, 1929, p. 139; cf. David G. Hogarth, The Penetration of
Arabia, Londres, Lawrence & Bullen, 1904, p. 162. [50] Canaan, « Studies in the
Topography and Folklore of Petra », p. 140. C’est
l’ouvrage de référence sur les noms de lieu du désert. Burton, Pilgrimage
to Al-Medinah and Meccah 1:250, n. 3: « Un volume in-folio ne
pourrait contenir un recueil de trois mois » de ces noms, tellement
ils sont nombreux. [51] C.
Leonard Woolley & Thomas E. Lawrence, The Wilderness of Zin,
Londres, Cape, 1936, p. 70. [52] Palmer,
Desert of the Exodus, 1:20. [53] Raswan,
Drinkers of the Wind, p. 131. [54] Philby,
The Empty Quarter, p. 39. [55] Cheesman,
In Unknown Arabia, p. 261. [56] Woolley
& Lawrence, The Wilderness of Zin, pp. 86-87, cf. Claude R.
Conder, « Lieut. Claude R. Conder’s Reports, XXXII », PEFQ ,1875,
p. 126. [57] Thomas,
Arabia Felix, pp. 50-51. [58] William
F . Albright, Archaeology and the Religion of Israel,
Baltimore, Johns Hopkins Press, 1942, p. 149. [59] Joseph
Offord, « The Red Sea », PEFQ, 1920, p. 179. [60] Tel
que cité by William J. T. Phythian-Adams, « The Mount of God », PEFQ
1939, p. 204. [61] Wilhelm Spiegelberg, Koptisches Handwörterbuch,
pp. 204, 258. [62] Claude
R. Conder, Survey of Eastern Palestine, Londres, Palestine
Exploration Fund, 1889, 1:239, p. 241; Edward H. Palmer, « Arabic and
English Name Lists », dans Survey of Western Palestine,
Londres, Palestine Exploration Fund, 1881, 8:116, 134. Une autre translittération de l’arabe est Thughrat-al-Shajar. [63] Claude
R. Conder, « Notes on the Language of the Native Peasantry in
Palestine », PEFQ 1876, p. 134; Edward H. Palmer, The Survey of
Western Palestine, Name Lists, Londres, Palestine Exploration
Fund, 1881, pp. 29, 93. [64] Claude
R. Conder et H. H. Kitchener, « Memoirs of the Topography, Orography,
Hydrography and Archaeology », dans Survey of Western Palestine,
Londres, Palestine Exploration Fund, 1881, 2:169. [65] Thomas,
Arabia Felix, pp. 136-37; Philby, The Empty Quarter, p.
231. [66] Thomas,
Arabia Felix, pp. 136-37. [67] Jaussen,
« Chronique », RB 10, 1901, p. 607. [68] Id.;
Taufik Canaan, « Unwritten Laws Affecting the Arab Women of Palestine
», JPOS 11 1931, p. 189: « Dans les cortèges funèbres, les
femmes ne peuvent pas se mêler aux hommes… Une fois l’enterrement
terminé, les femmes se réunissent seules…Lors des visites de la
tombe… elles vont toujours seules. » Cf. Baldensperger, « Women in
the East », p. 83 et Burckhardt, Notes on the Bedouins and Wahabys,
1:101: « Au moment du décès d’un homme, ses femmes, ses filles et
sa parenté féminine s’unissent en cris de lamentations. »
Chez les Juifs, les hommes jouent un rôle plus important dans les
rites funèbres et même les pleureurs professionnels n’étaient pas
inconnus. Nowack,
Lehrbuch der hebräischen Archäologie, p. 196. Les
racines nhm, gémir, souffrir, se plaindre et la racine
similaire nHm, soupirer, se lamenter, consoler, sont toutes
deux à leur place ici. [69] Hogarth, The Penetratiwi
of Arabia, p. 3. [70] Abraham S. Yahuda, The
Accuracy of the Bible, Londres, Heinemann, 1934, p. 201. [71] Cf.
Burton, Pilgrimage to Al-Medinah and Meccah, 2:72. [72] Edward
H. Palmer, « The Desert of the Tih and the Country of Moab », dans Survey
of Western Palestine, Special Papers, Londres, Palestine
Exploration Fund, 1881, 4:67. [73] Conder,
« Lieut. Claude R. Conder’s Reports, XXXII », p. 130. [74] Gray
Hill, « A Journey to Petra – 1896 », PEFQ 1897, p. 144. [75] W.
Ewing, « A Journey in the Hauran », PEFQ 1895, p. 175. [76] Burton,
Pilgrimage to Al-Medinah and Meccah, 2:154. [77] Ariel
L. Crowley, « Lehi’s River Laman », IE 47, 1944, pp. 14-15,
56,59-61. [78] Id.,
pp. 15, 56. [79] Id.,
pp. 15, 61. [80] Id., p.
61, italiques ajoutés. |
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