CHAPITRE 28: LE DERNIER HIVER

 

À LA FÊTE DE LA DÉDICACE[1]

 

Jésus retourna à Jérusalem à temps pour assister à la fête de la Dédicace au cours du dernier hiver de sa vie terrestre. Cette fête, comme celle des Huttes, était une fête de réjouissances nationales et était célébrée tous les ans pendant huit jours à partir du 25 chisIev[2], qui correspond partiellement à notre mois de décembre. Ce n'était pas une des grandes fêtes prescrites par statut mosaïque, mais elle avait été établie en 164 ou en 163 av. J.-C., au moment de la reconsécration du temple de Zorobabel lorsque le bâtiment sacré, profané par Antiochus Epiphane, le roi païen de Syrie, avait pu être restauré. Tandis que la fête était en cours, ésus se rendit au temple, et on le vit se promener dans la partie de l'enceinte appelée le portique de Salomon[3]. Sa présence fut bientôt connue des Juifs, qui vinrent s'attrouper autour de lui dans un esprit hostile, ostensiblement pour poser des questions. Ils demandèrent: «Jusques à quand tiendras-tu notre âme en suspens? Si toi, tu es le Christ, dis-le nous ouvertement.» Le simple fait qu'ils aient posé pareille question prouve l'impression profonde et troublante que le ministère du Christ avait produite parmi les classes officielles et le peuple en général; dans leur estimation, les œuvres qu'il avait accomplies semblaient dignes du Messie.

 

La réponse du Seigneur fut indirecte dans sa forme, bien qu'en substance et dans son effet elle fût tranchante et ne permît aucun doute. Il les renvoya à ses paroles antérieures et à ses œuvres constantes. «Je vous l'ai dit», dit-il, «et vous ne croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent témoignage de moi. Mais vous ne croyez pas, parce que vous n'êtes pas de mes brebis. Mes brebis entendent ma voix. Moi, je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle; elles ne périront jamais, et personne ne les arrachera de ma main. Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tous; et personne ne peut les arracher de la main du Père. Moi et le Père, nous sommes un.» L'allusion à ce qui avait déjà été dit était un rappel des enseignements qu'il avait prodigués lors d'un séjour antérieur parmi eux, lorsqu'il avait proclamé être le grand JE SUIS, qui était plus ancien et plus grand qu'Abraham et de cette autre proclamation qu'il avait faite de lui-même, disant qu'il était le bon berger[4].

 

Il ne pouvait pas répondre à leur question par une affirmation simple et sans réserve, sinon on aurait pensé qu'il proclamait être le Messie conformément à leur conception, le roi et conquérant terrestre qu'ils professaient attendre. Il n'était pas le genre de Christ qu'ils avaient à l'esprit; et cependant il était réellement le Berger et Roi de tous ceux qui voudraient écouter ses paroles et accomplir ses œuvres; et c'est pour ceux-là qu'il renouvela la promesse de la vie éternelle et l'assurance que nul homme ne pourrait les arracher de sa main ou de la main de son Père. A cette doctrine, à la fois élevée et profonde dans sa perspective, les casuistes juifs ne pouvaient présenter aucune réfutation, pas plus qu'ils ne pouvaient y trouver le prétexte désiré pour l'accuser ouvertement; cependant la dernière phrase de notre Seigneur poussa la foule hostile à la frénésie. «Moi et le Père, nous sommes un», déclara-t-il solennellement[5]. Dans leur rage ils ramassèrent des pierres pour le lapider. Du fait que les bâtiments du temple n'étaient pas terminés, il y avait probablement un grand nombre de blocs et de fragments brisés de rochers par terre; et ce fut la seconde tentative de meurtre contre la vie de notre Seigneur dans les murs de la Maison de son Père[6].

 

Impavide et avec le calme impressionnant d'une majesté plus qu'humaine, Jésus dit: «Je vous ai fait voir beaucoup d'œuvres bonnes venant du Père. Pour laquelle de ces œuvres me lapidez­vous?» Ils répondirent avec colère: «Ce n'est pas pour une œuvre bonne que nous te lapidons, mais pour un blasphème, et parce que toi, qui es un homme, tu te fais Dieu[7].» Il est évident qu'ils n'avaient trouvé aucune ambiguïté dans ses paroles. Il leur cita alors les Ecritures, dans lesquelles même des juges dotés d'autorité divine sont appelés dieux[8] et demanda: «N'est-il pas écrit dans votre loi: J'ai dit: Vous êtes des dieux? Si elle a appelé dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée - et l'Ecriture ne peut être abolie - à celui que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde, vous dites: Tu blasphèmes! parce que j'ai dit: je suis le Fils de Dieu! » Puis, réaffirmant ce qu'il avait déjà dit, à savoir que son autorité venait du Père qui est plus grand que tous, il ajouta: «Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas! Mais si je les fais, quand même vous ne me croiriez pas, croyez à ces œuvres, afin de savoir et de reconnaître que le Père est en moi, et moi dans le Père.» De nouveau les Juifs cherchèrent à se saisir de lui, mais leur dessein fut déjoué par un moyen qui n'est pas indiqué; il échappa à leur atteinte et quitta le temple.

 

LA RETRAITE DE NOTRE SEIGNEUR EN PÉRÉE

 

L'hostilité violente des Juifs à Jérusalem, siège de la théocratie, était telle que Jésus se retira de la ville et de ses environs. Le jour de son sacrifice n'était pas encore venu, et bien que ses ennemis ne puissent le tuer tant qu'il ne leur permettait pas de se saisir de lui, son œuvre serait retardée s'il y avait d'autres manifestations hostiles. Il se retira dans le lieu où Jean-Baptiste avait commencé son ministère public, probablement aussi l'endroit du baptême de notre Seigneur. L’emplacement exact n'est pas précisé; c'était certainement au-delà du Jourdain et par conséquent en Pérée. Nous lisons que Jésus y demeura, et nous en concluons qu'il resta dans un emplacement bien déterminé au lieu de voyager de ville en ville comme cela avait été sa coutume. Mais même là, les gens vinrent le trouver, et beaucoup crurent en lui. Le lieu était cher à ceux qui étaient allés écouter Jean se faire baptiser par lui[9]. Et en se souvenant de l'appel passionné au repentir, de la proclamation émouvante du royaume par le Baptiste maintenant assassiné et regretté, ils se souvenaient qu'il en avait annoncé Un qui serait plus puissant que lui et virent en Jésus la réalisation de ce témoignage. «Jean», dirent­ils, «n'a fait aucun miracle; mais tout ce que Jean a dit de cet homme était vrai.»

 

La durée de son séjour en Pérée n'est rapportée nulle part dans nos Ecritures. Elle n'a pas pu dépasser plus de quelques semaines maximum. Il est possible que certains des discours, des enseignements et des paraboles que nous avons déjà traités, suite au départ du Seigneur de Jérusalem après la fête des Huttes l'automne précédent, se situent pendant cet intervalle. Quittant cette retraite de calme relatif, Jésus retourna en Judée pour répondre à un ardent appel de personnes qu'il aimait. Il quitta la Béthanie de Pérée pour la Béthanie judéenne où Marthe et Marie demeuraient[10].

 

RÉSURRECTION DE LAZARE[11]

 

Lazare, frère de Marthe et Marie, était malade dans la maison familiale de Béthanie de Judée. Ses sœurs dévouées envoyèrent un messager à Jésus avec la simple nouvelle dans laquelle nous ne pouvons cependant manquer de reconnaître un appel pitoyable: «Seigneur, voici, celui que tu aimes est malade.» Quand Jésus reçut le message, il fit la réflexion: «Cette maladie n'est pas pour la mort, mais pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle.» C'est probablement la nouvelle qui fut rapportée aux sœurs que Jésus aimait. Lazare était mort dans l'entre-temps; en fait il dut expirer peu après que le messager se fût mis en route avec la nouvelle que le jeune homme était malade. Le Seigneur savait que Lazare était mort, cependant il resta où il était deux jours après avoir reçu la nouvelle; puis il surprit les disciples en disant: «Retournons en Judée.» Ils cherchèrent à dissuader le Maître en lui rappelant l'attentat qui avait été perpétré récemment contre sa vie à Jérusalem et demandèrent avec étonnement: «Et tu y retournes! » Jésus leur expliqua clairement qu'il n'était pas question de le détourner de son devoir lorsque le moment était là, ni que ce devait être le cas pour d'autres; car comme il le montra, la journée de travail est de douze heures, et pendant cette période l'homme peut marcher sans trébucher, il marche dans la lumière, mais s'il laisse les heures passer puis essaie de marcher ou de travailler dans les ténèbres, il trébuche. Le moment présent était sa journée pour travailler, et il ne commettait aucune erreur en retournant en Judée.

 

Il ajouta: «Lazare, notre ami, s'est endormi, mais je pars pour le réveiller.» La comparaison entre la mort et le sommeil était aussi courante parmi les Juifs que parmi nous[12], mais les disciples interprétèrent la parole littéralement et firent la réflexion que si le malade dormait, il serait guéri. Jésus les corrigea. «Lazare est mort», dit-il, et il ajouta: «Et, pour vous, je me réjouis de n'avoir pas été là, afin que vous croyiez. Mais allons vers lui.» Il est clair que Jésus avait déjà décidé de ressusciter Lazare; et, comme nous le verrons, le miracle devait être un témoignage du caractère messianique de notre Seigneur, convaincant pour tous ceux qui l'accepteraient. Certains au moins des apôtres appréhendaient sérieusement un retour en Judée à ce moment-là; ils craignaient pour la sécurité de leur Maître et pensaient que leur propre vie serait en péril; néanmoins ils n'hésitèrent pas à l'accompagner. Thomas dit hardiment aux autres: «Allons, nous aussi, afin de mourir avec lui.»

 

Arrivé dans la banlieue de Béthanie, Jésus apprit que Lazare «était déjà, depuis quatre jours, dans le tombeau»[13]. Les sœurs endeuillées étaient chez elles, où s'étaient rassemblés, suivant la coutume, des amis, pour les consoler dans leur douleur. Parmi ceux-ci, il y avait beaucoup de personnes importantes dont certaines étaient venues de Jérusalem. La nouvelle de l'approche du Maître parvint tout d'abord à Marthe, et elle se hâta de venir à sa rencontre. Ses premières paroles furent: «Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort.» C'était une expression à la fois d'angoisse et de foi; mais, craignant paraître manquer de confiance, elle se hâta d'ajouter: «Mais maintenant même, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera.» Alors Jésus lui dit avec une tendre assurance: «Ton frère ressuscitera.» Il se peut que certains des Juifs qui étaient venus la consoler avaient déjà dit la même chose, car, à l'exception des Sadducéens, ils croyaient en une résurrection; et Marthe ne vit dans la promesse du Seigneur rien de plus que l'assurance générale que son frère décédé ressusciterait avec le reste des morts. Approuvant naturellement, et semble-t-il, sans y faire trop attention, elle dit: «Je sais qu'il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour.» Alors Jésus dit: «Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela?»

 

La foi de cette femme endeuillée devait être élevée et centrée sur le Seigneur de la Vie avec qui elle parlait. Elle avait déjà confessé précédemment sa conviction que tout ce que Jésus demandait de Dieu serait accordé; elle devait apprendre que Jésus avait déjà reçu du pouvoir sur la vie et la mort. Elle attendait avec espoir quelque interposition surhumaine du Seigneur Jésus en sa faveur, et pourtant elle ne savait pas ce que cela pouvait être. Il semble qu'à ce moment-là elle n'avait aucune idée précise ni même aucun espoir qu'il ferait sortir son frère du tombeau. Lorsque le Seigneur lui demanda si elle croyait ce qu'il venait de dire, elle répondit avec une franchise simple; elle n'était pas capable de tout comprendre, mais elle croyait en son Interlocuteur, même si elle était incapable de comprendre pleinement ses paroles. «Oui, Seigneur», dit-elle, «je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde.»

 

Puis elle rentra dans la maison, et, en cachette, par mesure de précaution, à cause de la présence de certaines personnes qu'elle savait être hostiles à Jésus, elle dit à Marie: «Le Maître est ici, et il t'appelle. » Marie quitta la maison en hâte. Les Juifs qui étaient avec elle, pensant qu'elle avait été poussée à se rendre sur la tombe par une nouvelle vague de douleur, la suivirent. Lorsqu'elle arriva auprès du Maître, elle s'agenouilla à ses pieds et exprima sa profonde douleur dans les mêmes termes que Marthe avait utilisés: «Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort.» Nous ne pouvons douter que la conviction ainsi exprimée ait été le sujet de commentaires et de lamentations entre les deux sœurs: si seulement Jésus avait été avec elles, elles n'auraient pas été privées de leur frère.

 

La vue des deux femmes accablées par le chagrin et des gens se lamentant avec elles attrista Jésus, au point qu'il frémit en son esprit et fut profondément ému. «Où l'avez-vous mis?» demanda-t-il, et il pleura. Tandis que le groupe endeuillé se rendait vers la tombe, certains des Juifs, remarquant l'émotion et les larmes du Seigneur, dirent: «Voyez comme il l'aimait!» Mais d'autres moins sympathisants, à cause de leurs préjugés contre le Christ, demandèrent sur un ton critique et de reproche: «Lui qui a ouvert les yeux de l'aveugle, ne pouvait-il pas faire aussi que cet homme ne meure pas?» Le miracle par lequel la vue avait été rendue à un aveugle-né était connu de tout le monde, en grande partie à cause de l'enquête officielle qui avait suivi la guérison[14]. Les Juifs avaient été obligés d'admettre la réalité de cet événement étonnant; et la question que l'on posait quant au point de savoir si ou pourquoi quelqu'un qui pouvait accomplir un tel miracle n'avait pu préserver de la mort un homme frappé d'une maladie ordinaire, un homme qu'il semblait avoir tendrement aimé, était une insinuation que le pouvoir possédé par Jésus était après tout limité et d'un fonctionnement incertain ou capricieux. Cette manifestation d'incrédulité méchante fit frémir de nouveau Jésus en lui-même de chagrin sinon d'indignation[15].

 

Le corps de Lazare avait été enseveli dans une grotte dont l'entrée était fermée par un grand bloc de pierre. Ce genre de tombeau était courant dans cette région, des grottes ou caveaux naturels creusés dans le roc étant utilisés comme sépulcres par les classes supérieures du peuple. Jésus ordonna l'ouverture du tombeau. Marthe, qui n'était pas encore préparée à ce qui allait suivre, se hasarda à protester, rappelant à Jésus que le corps était emmuré depuis quatre jours et que la décomposition devait déjà avoir commencé[16]. Jésus répondit ainsi à son objection: «Ne t'ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu?» Cela pouvait être une allusion tant à la promesse qu'il avait faite à Marthe en personne - que son frère ressusciterait - qu'au message envoyé de Pérée - que la maladie de Lazare n'était pas une mort définitive à l'époque mais était pour la gloire de Dieu et pour que le Fils de Dieu en fût glorifié.

 

On ôta la pierre. Se tenant devant l'entrée ouverte de la tombe, Jésus leva les yeux et pria: «Père, je te rends grâces de ce que tu m'as exaucé. Pour moi, je savais que tu m'exauces toujours, mais j'ai parlé à cause de la foule de ceux qui se tiennent ici, afin qu'ils croient que c'est toi qui m'as envoyé.» Il ne demandait pas des pouvoirs ou de l'autorité à son Père: Ceux-ci lui avaient déjà été donnés; mais il rendit grâces et, entendu de tous ceux qui se tenaient là, rendit hommage au Père et exprima l'unité de ses desseins et de ceux du Père. Puis, d'une voix forte, il cria: «Lazare, sors!» Le mort entendit la voix de ce commandement autorisé; l'esprit rentra immédiatement dans le tabernacle de chair, les processus physiques de la vie reprirent; et Lazare, de nouveau vivant, sortit. La liberté de ses mouvements était limitée, car les vêtements funéraires gênaient ses mouvements, et son visage était encore lié dans la serviette qui maintenait la mâchoire sans vie. Jésus dit à ceux qui se tenaient tout près: «Déliez-le, et laissez-le aller.»

 

La procédure fut caractérisée de bout en bout par une profonde solennité et par l'absence totale de tout élément de mise en scène inutile. Jésus qui, alors qu'il se trouvait à des kilomètres de là et n'avait aucun moyen ordinaire de recevoir ce renseignement, savait que Lazare était mort, aurait certainement pu trouver le tombeau; pourtant il dernanda: «Où l'avez-vous mis?» Lui qui pouvait apaiser les vagues de la mer d'un seul mot aurait pu enlever miraculeusement la pierre qui scellait l'entrée du sépulcre; pourtant il dit: «Otez la pierre.» Lui qui pouvait réunir l'esprit au corps aurait pu détacher sans aucune main le suaire qui liait Lazare ressuscité; pourtant il dit: «Déliez-le, et laissez-le aller.» Tout ce que les hommes pouvaient faire leur était laissé. Nous ne voyons en aucun cas le Christ utiliser inutilement les pouvoirs surhumains de sa divinité; l'énergie divine n'était jamais gaspillée; même la création matérielle qui résultait de son utilisation était conservée, comme en témoignent ses ordres relatifs à la récolte des fragments de pain et de poisson après que les multitudes eurent été miraculeusement nourries[17].

 

La résurrection de Lazare est le troisième exemple de résurrection par Jésus qui nous soit rapporté[18]. Dans chacun le miracle eut pour résultat le recouvrement de l'existence mortelle et ne fut en aucun sens une résurrection de la mort à l'immortalité.

 

Dans la résurrection de la fille de Jaïrus, l'esprit fut rappelé dans son habitation dans l'heure de son départ; la résurrection du fils de la veuve était un exemple de résurrection au moment où le corps était prêt pour le tombeau; le plus grand des trois était l'ordre à un esprit de réintégrer son corps des jours après la mort et alors que, en vertu de processus naturels, le corps serait déjà dans les premiers stades de la décomposition. Lazare fut ressuscité des morts, pas simplement pour apaiser la douleur d'une famille endeuillée; des milliers de personnes ont dû souffrir à cause de la mort et des milliers d'autres devront encore le faire. L’un des buts du Seigneur était de démontrer que les œuvres de Jésus le Christ manifestaient réellement la puissance de Dieu, et c'était Lazare qui avait été accepté pour être le sujet de cette manifestation; de même que l'homme affligé de cécité avait été choisi pour être celui par lequel les œuvres de Dieu seraient manifestées[19].

 

Il est explicitement indiqué que la résurrection de Lazare par le Seigneur témoigna efficacement de sa qualité de Messie[20]. Tous les événements conduisant au dénouement que fut le miracle contribuèrent à l'attester. On ne pouvait douter de la réalité de la mort de Lazare, car on avait été témoin de son décès, on avait préparé et enseveli son corps de la manière habituelle, et il avait passé quatre jours dans la tombe. Au tombeau, il y avait de nombreux témoins dont certains étaient des Juifs importants, parmi lesquels beaucoup étaient hostiles à Jésus et auraient volontiers nié le miracle s'ils l'avaient pu. Dieu était glorifié, et la divinité du Fils de l'Homme était confirmée par le résultat.

 

AGITATION PROFONDE DE LA HIÉRARCHIE À PROPOS DU MIRACLE[21]

 

Comme ce fut le cas pour la plupart des actions publiques de notre Seigneur - tandis que certains de ceux qui entendaient et voyaient étaient amenés à croire en lui, d'autres rejetaient la leçon qui était offerte et réprimandaient le Maître - de même pour cette œuvre puissante - certains furent poussés à la foi et d'autres passèrent leur chemin, l'esprit enténébré et plus méchant que jamais. Certains de ceux qui avaient vu le mort ressuscité s'en allèrent immédiatement raconter l'affaire aux dirigeants, qu'ils savaient être intensément hostiles envers Jésus. Dans la parabole que nous avons étudiée récemment, l'esprit de l'homme riche suppliait de son lieu de tourment que Lazare, le mendiant jadis pitoyable, fût envoyé du paradis à la terre, en avertir d'autres du sort qui attendait les méchants, supplique à laquelle Abraham répondit: «S'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne se laisseront pas persuader, même si quelqu'un ressuscitait d'entre les morts[22].» Or voici qu'un Lazare venait réellement d'être ressuscité d'entre les morts, et beaucoup de Juifs rejetaient le témoignage de son retour et refusaient de croire au Christ par lequel seul la mort est vaincue. Les Juifs essayèrent de s'emparer de Lazare afin de le tuer et, espéraient-ils, réduire au silence son témoignage du pouvoir que le Seigneur avait sur la mort[23].

 

Les principaux sacrificateurs, qui étaient pour la plupart des Sadducéens, et les Pharisiens s'assemblèrent en conseil pour examiner la situation créée par cette dernière grande œuvre de notre Seigneur. La question qu'ils discutèrent fut: «Qu'allons-nous faire? Car cet homme fait beaucoup de miracles. Si nous le laissons faire, tous croiront en lui, et les Romains viendront (nous) enlever et notre Lieu (saint) et notre nation.» Comme ils le disaient eux-mêmes, il n'était pas question de nier les nombreux miracles que Jésus avait opérés; mais au lieu de chercher à savoir sérieusement et en priant si ces œuvres puissantes ne comptaient pas parmi les caractéristiques prédites du Messie, ils ne réfléchirent qu'à l'effet que pourrait avoir l'influence du Christ pour éloigner le peuple de la théocratie établie et à la crainte que les Romains, profitant de la situation, ne privassent les dirigeants de leur «pIace» et n'enlevassent à la nation le peu de semblant d'autonomie distincte qu'elle possédait encore. Caïphe, le souverain sacrificateur, coupa court à la discussion en disant: «Vous n'y entendez rien.» Cette accusation crue d'ignorance s'adressait très vraisemblablement aux Pharisiens du sanhédrin; Caïphe était Sadducéen. Sa phrase suivante était plus importante qu'il ne pensait: «Vous ne vous rendez pas compte qu'il est avantageux pour vous qu'un seul homme meure pour le peuple et que la nation entière ne périsse pas.» Jean déclare solennellement que Caïphe ne parlait pas de lui­même mais par l'esprit de prophétie qui, en dépit de son indignité sous-entendue, lui était donné en vertu de son office, et ce de la manière suivante: «Il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation. Et non seulement pour la nation, mais aussi afin de réunir en un seul (corps) les enfants de Dieu dispersés.» Mais quelques années après que le Christ eût été mis à mort pour le salut des Juifs et de toutes les autres nations, les calamités mêmes que Caïphe et le sanhédrin avaient espéré éviter s'abattirent dans toute leur intensité; la hiérarchie fut renversée, le temple détruit, Jérusalem démolie et la nation démembrée. Dès le jour de cette session mémorable du sanhédrin, les dirigeants accrurent leurs efforts pour faire mettre Jésus à mort par tous les moyens qui se présenteraient à eux. Ils émirent un décret disant que quiconque savait où il était devrait renseigner les dirigeants, afin qu'ils pussent l'arrêter promptement[24].

 

JÉSUS SE RETIRE À ÉPHRAÏM[25]

 

L’hostilité des dirigeants ecclésiastiques devint telle que Jésus chercha une fois de plus la retraite d'une région suffisamment éloignée de Jérusalem pour le protéger des regards attentifs et méchants de ses puissants ennemis jurés. Il ne lui restait que quelques semaines de vie mortelle, et il fallait consacrer la plus grande partie de cette brève période à continuer à instruire les apôtres. Il s'éloigna prudemment du voisinage de Béthanie et «partit de là pour la contrée voisine du désert, dans une ville appelée Ephraïm; il y séjournait avec ses disciples». C'est ainsi que notre Seigneur passa le reste de l'hiver et probablement les premiers jours du printemps suivant. Le fait que sa retraite était privée sinon pratiquement secrète est suggéré par la déclaration de Jean: «Jésus donc ne circula plus ouvertement parmi les Juifs»; et nous trouvons une autre indication dans le fait que bien que les principaux sacrificateurs et les Pharisiens eussent virtuellement mis sa tête à prix, nul ne le dénonça. Le lieu où il se retira en dernier lieu n'est pas bien connu; on pense généralement que ce fut la localité que l'on appelle Ephraîm et Ephron[26], qui se trouvait à un peu moins de trente kilomètres au nord de Jérusalem. La durée du séjour que notre Seigneur y fit est tout aussi incertaine. Lorsqu'il apparut de nouveau en public, ce fut pour entreprendre sa marche solennelle vers Jérusalem et la croix.

 

NOTES DU CHAPITRE 28

 

1. Origine de la fête de la Dédicace : Concernant le deuxième temple, appelé le temple de Zorobabel, l'auteur a écrit ailleurs: «Quant au reste de l'histoire de ce temple, le récit biblique ne nous donne que peu de détails; mais d'autres sources nous parlent de ses vicissitudes. La maison du Seigneur fut profanée au moment de la persécution des Macchabées. Un roi syrien, Antiochus Epiphane, s'empara de Jérusalem (168 à 165 av. J. -C.) et blasphéma outrageusement la religion du peuple. Il pilla le temple et en emporta le chandelier d'or, l'autel d'or pour l'encens, la table des pains de proposition et il alla jusqu'à arracher les voiles sacrés, qui étaient faits de fine toile et d'écarlate. Il poussa la malignité jusqu'à profaner sciemment l'autel du sacrifice en y offrant du porc et à ériger un autel païen dans l'enceinte sacrée. Non content de violer le temple, ce méchant monarque fit ériger des autels dans les villes et ordonna d'y offrir des animaux impurs. Le rite de la circoncision fut interdit sous peine de mort, et le culte de Jéhovah fut considéré comme un crime. Suite à cette persécution, de nombreux Juifs apostasièrent et déclarèrent qu'ils étaient Mèdes ou Perses - nations dont ils avaient secoué le joug par la puissance de Dieu... Puis, en l'an 163 av. J.-C., la maison fut dédiée à nouveau; cet événement fut commémoré dans la suite par une festivité annuelle appelée la fête de la Dédicace.» - La Maison du Seigneur, pp. 41-42. Selon Josèphe (Ant. XII, 7:7) la fête fut appelée Les Lumières, et de brillantes illuminations, tant du temple que des maisons, la caractérisèrent. Les récits tradionnels disent qu'on avait fixé à huit jours la durée de la fête pour commémorer un miracle légendaire selon lequel l'huile consacrée dans la seule jarre que l'on trouva intacte et portant le sceau non brisé du souverain sacrificateur avait servi à l'usage du temple pendant huit jours, temps requis pour la préparation cérémonielle d'une nouvelle quantité.

 

2. Le portique de Salomon : Ce nom a été appliqué à la colonnade ou rangée de portiques qui se trouve à l'est de l'enceinte du temple, en vertu d'une tradition selon laquelle le portique recouvrait et englobait une partie du mur original appartenant au temple de Salomon. Voir La Maison du Seigneur, pp. 45.

 

3. L'unité du Christ et du Père : La version Segond traduit Jean 10:30: «Moi et le Père, nous sommes un.» Par le «Père» les Juifs comprirent, à bon droit, le Père éternel, Dieu. Dans le grec originel «un» est au neutre, et exprime par conséquent l'unité dans les attributs, la puissance ou le dessein, et non une unité de personnalité, laquelle aurait exigé le masculin. L’unité de la Divinité et la distinction des personnalités de chaque membre sont traitées dans Articles de Foi, pp. 45-48.

 

4. Lieu de retraite de notre Seigneur : Jésus alla «au-delà du Jourdain, à l'endroit où Jean avait d'abord baptisé» (Jn 10:40). C'était probablement Béthanie (1:28). Il faut prendre soin de ne pas confondre cette Béthanie de Pérée avec la Béthanie de Judée, résidence de Marthe et Marie, qui se trouvait à trois kilomètres de Jérusalem.

 

5. Lazare quatre jours au tombeau : En supposant, avec de grandes chances d'être dans le vrai, que le voyage de Béthanie de Judée à l'endroit où Jésus était, en Pérée, demanderait un jour, Lazare avait dû mourir le jour du départ du messager; en effet ce jour-là, les deux jours qui s'écoulèrent avant que Jésus ne se mit en route vers la Judée et le jour requis pour le retour ne couvriraient pas plus que les quatre jours spécifiés. C'était et c'est encore la coutume en Palestine comme dans d'autres pays orientaux d'enterrer le jour du décès.

 

On croyait communément que le quatrième jour après la mort l'esprit avait finalement quitté le voisinage du cadavre et que dès lors la décomposition se poursuivait sans entrave. Cela peut expliquer l'objection impulsive quoique douce de Marthe à voir le tombeau de son frère ouvert quatre jours après sa mort (Jn 11:39). Il est possible que le consentement du plus proche parent ait été requis pour ouvrir légalement un tombeau. Marthe et Marie étaient toutes deux là et, en présence d'un grand nombre de témoins, consentirent à l'ouverture du tombeau dans lequel se trouvait leur frère.

 

6. Jésus frémit en son esprit : Les lectures marginales [de la version anglaise - N.d.T.] pour «il frémit en son esprit» (Jn 11:33) et «frémissant de nouveau en lui-même» (v. 38), que l'on trouve dans la version révisée, sont «fut ému d'indignation dans l'esprit» et «étant ému d'indignation en lui-même». Toutes les autorités philologiques s'accordent pour dire que les termes du grec originel expriment une indignation attristée ou, comme certains l'affirment, la colère, et pas seulement l'émotion sympathisante de la douleur. L’indignation que le Seigneur peut avoir ressentie, comme l'implique le verset 33, peut être attribuée au fait qu'il désapprouvait les lamentations coutumières sur la mort qui, de la manière dont les Juifs y donnaient libre cours en cette occasion, profanaient la douleur réelle et profonde de Marthe et de Marie; et son indignation, qui s'exprima par un frémissement, comme le dit le verset 38, peut avoir été due aux critiques harassantes émises par certains des Juifs, comme le rapporte le verset 37.

 

7. Caïphe, souverain sacrificateur cette année-là : Il ne faut pas penser que la déclaration de Jean disant que Caïphe était souverain sacrificateur «cette année-là» ait voulu dire que l'office de souverain sacrificateur n'était que pour un an. En vertu de la loi juive, le prêtre président, que l'on appelait le souverain sacrificateur, restait indéfiniment dans son office, mais le gouvernement romain s'était arrogé le pouvoir de nommer les détenteurs de cet office, et on faisait souvent des changements. Ce Caïphe, dont le nom complet était Joseph Caïphe, resta souverain sacrificateur nommé par les Romains pendant une période de onze ans. Les Juifs devaient se soumettre à ces nominations, bien qu'ils reconnussent souvent, comme souverain sacrificateur selon leur loi, quelqu'un d'autre que le «souverain sacrificateur civil» nommé par l'autorité romaine. C'est ainsi que nous voyons Anne et Caïphe exercer tous les deux l'autorité de cet office à l'époque de l'arrestation de notre Seigneur et plus tard (Jn 18:13,24, Ac 4:6, comparer avec Lc 3:2). Farrar (p. 484, note) dit: «Il y en a qui ont vu une ironie ouverte dans l'expression de Jean (11:49) que Caïphe était souverain sacrificateur «cette année-là», comme si les Juifs avaient pris l'habitude de parler de cette manière méprisante au cours de la succession rapide des prêtres - de simples fantoches placés et déplacés par l'autorité romaine - qui s'étaient succédés au cours des récentes années. Il dut y avoir au moins cinq souverains sacrificateurs et ex-souverains sacrificateurs à ce conseil: Anne, Ismaël Ben Phabi, Eléazar Ben Haman, Simon Ben Kamhith et Caïphe, qui avait acquis son poste par corruption.»

 

8. Les juges divinements nommés appelés «dieux» : Dans Ps 82:6, les juges investis de l'autorité divine sont appelés «dieux». C'est à cette Ecriture que le Sauveur faisait allusion lorsqu'il répondit aux Juifs dans le portique de Salomon. Les juges ainsi autorisés agissaient comme représentants de Dieu et sont honorés du titre sublime de «dieux». Comparez l'appellation semblable appliquée à Moïse (Ex 4:16, 7:1). Jésus­Christ avait une autorité divine, non par la parole de Dieu à lui transmise par l'homme, mais comme un attribut inhérent. Si les Juifs n'avaient pas eu l'esprit enténébré par le péché, ils auraient vu combien il était illogique d'appeler «dieux» des juges humains et d'accuser de blasphème le Christ qui se donnait le nom de Fils de Dieu.

 



[1] Jn 10:22-39.

[2] Rendu aussi par kislev, chisleu et cisleu, voir Za 7:1.

[3] Josèphe, Antiquités, XII, 5:3-5. Voir Esdras 6:17, 18 et note 1, fin du chapitre. Note 2, fin du chapitre.

[4] Jn 8:58 et 10:11; voir aussi pages 449 et 454 supra.

[5] Voir note 3, fin du chapitre.

[6] Jn 8:59. Page 449.

[7] Concernant le blasphème voir pages 210 et 294, ainsi que page 676.

[8] Ps 82, en particulier les versets 1 et 6. Note 8, fin du chapitre.

[9] Pages 133-137.

[10] Note 4, fin du chapitre.

[11] Jn 11: 1-46.

[12] Cf. Mt 9:24, Mc 5:39, Lc 8:52, Jb 14:12, 1 Th 4:14.

[13] Note 5, fin du chapitre.

[14] Jn 9; voir page 449 supra.

[15] Note 6, fin du chapitre.

[16] Note 5, fin du chapitre.

[17] Jn. 6:12, Mt 15:37; voir pages 366 et 391 supra.

[18] Mt 9:23-25, Luc 7:11-17, pages 275 et 343 supra.

[19] Jn 9:3.

[20] Jn 12:9-11,17.

[21] Jn 11:46-54.

[22] Lc 16:31; page 505 supra.

[23] Jn 12: 10.

[24] Note 7, fin du chapitre.

[25] Jn 11:57.

[26] 2 Ch 13:19, Jos 15:9.

 

 

 

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