CHAPITRE 27 : SUITE DU MINISTÈRE PÉRÉEN ET JUDÉEN

 

CHEZ L'UN DES PRINCIPAUX PHARISIENS[1]

 

Lors d'un sabbat, Jésus fut reçu chez un Pharisien éminent. Un homme affligé d'hydropisie était là; il se peut qu'il soit venu dans l'espoir de recevoir une bénédiction, ou bien sa présence avait peut-être été préparée par l'hôte ou d'autres afin de tenter Jésus d'opérer un miracle pendant le jour saint. On pensait certainement que le Seigneur exercerait son pouvoir guérisseur, si on ne le sous-entendit pas ou ne le suggéra pas ouvertement, car nous lisons que «Jésus prit la parole et dit aux docteurs de la loi et aux Pharisiens: Est-il permis ou non d'opérer une guérison pendant le sabbat[2]Nul ne se hasarda à répondre. Jésus guérit l'homme immédiatement; puis il se tourna vers le groupe assemblé et demanda: «Lequel de vous, si son fils ou son bœuf tombe dans un puits, ne l'en retirera pas aussitôt, le jour du sabbat[3]?» Les savants exégètes de la loi restèrent prudemment silencieux.

 

Observant les efforts avides des hôtes du Pharisien pour s'assurer de bonnes places à table, Jésus leur donna une leçon de politesse, faisant ressortir non seulement le bon ton mais aussi l'avantage d'une décente maîtrise de soi. Un invité ne pouvait pas se choisir lui-même la place d'honneur, car quelqu'un de plus distingué que lui pouvait venir, et l'hôte dirait: «Cède-lui la place.» Vient ensuite la morale: «En effet quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé[4]

 

Cette assemblée de personnes chez le chef des Pharisiens comprenait des gens importants, des riches et des notables, des dirigeants pharisiens, des savants renommés, des rabbis célèbres et autres. Examinant cette compagnie distinguée, Jésus dit: «Lorsque tu donnes à dîner ou à souper, ne convie pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni des voisins riches, de peur qu'ils ne t'invitent à leur tour et que ce ne soit ta rétribution. Mais lorsque tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles. Et tu seras heureux, puisqu'ils n'ont pas de quoi te rétribuer; car tu seras rétribué à la résurrection des justes.» Ce bon conseil fut interprété comme un reproche, et quelqu'un essaya de dissiper la gêne en s'exclamant: «Heureux celui qui prendra son repas dans le royaume de Dieu[5].» Cette remarque était une allusion à la grande fête qui, selon le traditionalisme juif, devait être une caractéristique importante dans la dispensation messianique. Jésus profita promptement de cette circonstance en racontant la profonde parabole des invités:

 

«Un homme donna un grand repas et invita beaucoup de gens. A l'heure du repas, il envoya son serviteur dire aux invités: Venez, car tout est déjà prêt. Mais tous unanimement se mirent à s'excuser. Le premier lui dit: J'ai acheté un champ et je suis contraint d'aller le voir; tiens-moi, je te prie, pour excusé. Un autre dit: J'ai acheté cinq paires de bœufs, et je vais les essayer; tiens-moi, je te prie pour excusé. Un autre dit: Je viens de me marier, et c'est pourquoi je ne puis venir. Le serviteur, de retour, rapporta ces choses à son maître. Alors le maître de maison, irrité, dit à son serviteur: Va promptement sur les places et dans les rues de la ville, et amène ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux. Le serviteur dit: Maître, ce que tu as ordonné a été fait, et il y a encore de la place. Et le maître dit au serviteur: Va par les chemins et le long des haies, contrains les gens d'entrer afin que ma maison soit remplie. Car, je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités ne goûtera de mon repas[6]»

 

Cette histoire implique que les invitations avaient été lancées suffisamment à l'avance aux invités choisis; ensuite le jour de la fête, un messager fut envoyé les avertir de nouveau, comme c'était la coutume de l'époque. Bien qu'appelé souper [version du roi Jacques, N.d.T.], le repas devait être somptueux; en outre, le repas principal du jour était communément appelé souper. L'un après l'autre les hommes déclinèrent l'invitation, l'un disant: «Excuse-moi, je te prie», un autre: «Je ne puis venir.» Les activités qui occupaient le temps et l'attention de ceux qui avaient été conviés ou, comme nous le dirions, invités, à la fête, n'étaient pas critiquables en elles-mêmes, et encore moins coupables; mais laisser arbitrairement des affaires personnelles annuler un engagement honorable une fois qu'on l'avait accepté, c'était faire preuve de manque de courtoisie, de respect et constituait presque une insulte envers celui qui arrangeait la fête. L'homme qui avait acheté un champ pouvait remettre l'inspection à plus tard; celui qui venait d'acheter du bétail aurait pu attendre un jour pour l'essayer sous le joug; et le jeune marié aurait pu laisser son épouse et ses amis pendant la durée du repas auquel il avait promis d'assister. Aucune de ces personnes ne voulait y assister, c'est évident. C'est à bon droit que le maître était en colère. Son commandement de faire entrer les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux des rues de la ville dut rappeler à ceux qui écoutaient le récit de notre Seigneur le conseil qu'il avait donné quelques minutes auparavant concernant le genre d'hôtes que le riche pouvait inviter avec profit pour son âme. Le fait que le maître envoya son serviteur une deuxième fois, cette fois dans les chemins et le long des haies en dehors des murs de la ville, pour faire entrer même les pauvres de la campagne, indique de sa part une bienveillance sans limite et une décision bien arrêtée.

 

Il laissa aux savants à qui l'histoire était adressée le soin d'expliquer la parabole. Certains d'entre eux en sonderaient certainement le sens, du moins en partie. Le peuple de l'alliance, Israël, était les hôtes spécialement invités. Ils avaient été invités longtemps à l'avance et, en professant eux-mêmes appartenir au Seigneur, avaient accepté de prendre part à la fête. Lorsque tout fut prêt, le jour désigné, ils furent respectivement invités par le Messager qui avait été envoyé par le Père; il était à ce moment même au milieu d'eux. Mais les soucis des richesses, l'attrait des choses matérielles et les plaisirs de la vie sociale et domestique les occupaient tout entiers, et ils demandaient à être excusés ou déclaraient irrespectueusement qu'ils ne pouvaient pas ou ne voulaient pas venir. Alors la joyeuse invitation devait être portée aux Gentils, qui étaient considérés comme spirituellement pauvres, estropiés, aveugles et boiteux. Et plus tard, même les païens en dehors des murs, les étrangers dans les portes de la ville sainte seraient invités au repas. Ceux-ci, surpris de cette invitation inattendue, hésiteraient, jusqu'au moment où, par des exhortations et des assurances véritables qu'ils étaient réellement compris parmi les invités, ils se sentiraient contraints ou obligés de venir. Les dernières paroles du Seigneur prévoient que certaines des personnes impolies arriveraient plus tard, après s'être occupées de leurs affaires plus absorbantes: «Car, je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités ne goûtera de mon repas. »

 

CALCUL DE LA DÉPENSE[7]

 

Comme il en avait été en Galilée, de même en fut-il en Pérée et en Judée: de grandes multitudes écoutaient le Maître partout où il apparaissait en public. Une fois, lorsqu'un scribe s'était présenté comme disciple, s'offrant à suivre le Maître partout où il allait, Jésus avait attiré son attention sur l'abnégation, les privations et les souffrances qui accompagneraient ce service dévoué; l'enthousiasme de cet homme avait disparu[8]. C'est ainsi que Jésus appliquait maintenant à la multitude empressée une épreuve de sincérité. Il ne voulait que des disciples sincères, pas des enthousiastes d'un jour, prêts à déserter sa cause lorsque celle-ci aurait le plus besoin d'efforts et de sacrifices. C'est ainsi qu'il tria le peuple: «Si quelqu'un vient à moi, et s'il ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple.» Il ne voulait pas dire par là qu'il fallait absolument haïr littéralement sa famille pour être son disciple; en fait l'homme qui se livre à la haine ou à toute autre passion mauvaise doit se repentir et se réformer. Le message, c'était que chez ceux qui avaient assumé les obligations de disciples, le devoir envers Dieu devait l'emporter sur les exigences personnelles[9].

 

Comme Jésus le fit remarquer, le bon sens veut que l'on calcule bien les dépenses avant de se lancer dans une grande entreprise, même dans les affaires ordinaires. L’homme qui désire construire, disons une tour ou une maison, essaie de calculer la dépense avant de commencer; sinon il se peut qu'il ne soit pas capable de faire plus que poser les fondations; alors il ne se trouvera pas seulement perdre tout, car le bâtiment non fini ne sera d'aucune utilité, mais les gens risquent de se moquer de son manque de prévoyance. De même un roi, voyant son royaume menacé par des envahisseurs hostiles, ne se lance pas imprudemment au combat; il essaie tout d'abord de s'informer de la puissance des forces ennemies; et puis, si les risques sont trop grands, il envoie un ambassadeur pour traiter la paix. «Ainsi donc», dit Jésus aux gens qui l'entouraient, «quiconque d'entre vous ne renonce pas à tout ce qu'il possède ne peut être mon disciple.» Il serait attendu de tous ceux qui entraient à son service qu'ils gardent leur dévouement désintéressé. Il ne voulait pas de disciples qui deviendraient comme du sel qui se serait gâté, sans saveur, inutile. «Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende[10]

 

PARABOLES ILLUSTRANT LE SALUT POUR LES «PÉAGERS ET LES PÉCHEURS»[11]

 

Les Pharisiens de Galilée avaient critiqué Jésus avec intolérance à cause de son ministère amical et secourable parmi les publicains et leurs pareils que, sans faire de distinction, on appelait péjorativement «péagers et pécheurs»[12]. Il avait répliqué à ces qualificatifs peu charitables en disant que c'est surtout ceux qui sont malades qui ont besoin du médecin, et qu'il était venu appeler les pécheurs au repentir. Les Pharisiens judéens formulèrent une plainte semblable et furent particulièrement virulents lorsqu'ils virent que «tous les péagers et les pécheurs» s'approchaient pour l'entendre. Il répondit à leurs murmures en présentant un certain nombre de paraboles dont le but était de montrer le devoir qui leur incombait d'essayer de ramener dans le droit chemin ceux qui étaient perdus et la joie qu'ils obtiendraient en réussissant cette entreprise divine. La première de cette série de paraboles était celle de la brebis perdue; nous l'avons examinée lorsqu'elle fut prononcée pour la première fois pendant qu'il instruisait ses disciples en Galilée[13]. Mais son application dans le cas présent est quelque peu différente de sa première présentation. En cette dernière occasion, la leçon s'adresse aux Pharisiens et aux scribes égoïstes qui personnifiaient la théocratie, et dont le devoir aurait obligatoirement dû être de s'occuper des égarés et des perdus. Si les «péagers et les pécheurs», que ces ecclésiastiques méprisaient si généralement, étaient aussi mauvais qu'on les disait, si c'étaient des hommes qui avaient quitté le sentier bordé de haies épaisses de la loi et étaient devenus apostats dans une certaine mesure, c'était à ceux-là que l'on devait tendre le plus la main secourable du service missionnaire. Nous ne voyons jamais Jésus défendre les prétendues mauvaises pratiques de ces «péagers et de ces pécheurs» lorsque les Pharisiens insultent ou dénoncent ouvertement ceux-ci; son attitude vis-à-vis de ces personnes spirituellement malades était celle d'un médecin dévoué: son souci pour ces brebis égarées était celui d'un berger aimant dont le plus grand désir était de les retrouver et de les ramener au troupeau. Ni le système théocratique globalement ni ses dirigeants personnellement n'essayaient même de le faire. Le berger, retrouvant la brebis qui était perdue, ne pense pas à ce moment à la réprimander ou à la punir; au contraire, lorsqu'il l'a trouvée, il la met avec joie sur ses épaules, et, de retour à la maison, il appelle chez lui ses amis et ses voisins et leur dit: Réjouissez-vous avec moi, car j'ai trouvé ma brebis qui était perdue».

 

On trouve une application directe de la parabole dans le discours que le Seigneur fit aux Pharisiens et aux scribes: «De même, je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de repentance.» Etaient-ils les quatre­vingt-dix-neuf personnes qui, à leur avis, ne s'étaient pas égarées, étant des «justes, qui n'ont pas besoin de repentance»? Certains lecteurs disent qu'ils relèvent cette note de sarcasme justifiée dans les dernières paroles du Maître. Dans la première partie de l'histoire, le Seigneur lui-même apparaît comme le Berger plein de sollicitude, et cela implique clairement que c'est son exemple que les dirigeants théocratiques devaient imiter. Pareille conception fait des Pharisiens et des scribes des bergers plutôt que des brebis. Les deux explications sont valables; et chacune a sa valeur, puisqu'elle décrit la situation et le devoir de ceux qui professent être les serviteurs du Maître à toutes les époques.

 

Sans s'interrompre, le Seigneur passa de l'histoire de la brebis perdue à la parabole de la drachme perdue.

 

«Ou quelle femme, si elle a dix drachmes et qu'elle perd une drachme, n'allume une lampe, ne balaie la maison et ne cherche avec soin, jusqu'à ce qu'elle la trouve? Lorsqu'elle l'a trouvée, elle appelle chez elle ses amies et ses voisines et dit: Réjouissez-vous avec moi, car j'ai trouvé la drachme que j'avais perdue. De même, je vous le dis, il y a de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se repent.»

 

Entre cette parabole et celle de la brebis perdue il y a certaines différences notables, bien que dans chacune la leçon soit en général la même. La brebis s'était perdue de sa propre volonté; on avait laissé tomber la drachme, et elle fut ainsi perdue par suite de l'inattention ou de la négligence coupable de sa propriétaire. La femme, découvrant sa perte, entreprend une recherche diligente; elle balaie la maison, peut-être découvre-t-elle des coins sales, des araignées qu'elle avait oubliées dans sa satisfaction d'être une ménagère extérieurement propre et normale. Sa recherche est récompensée par la récupération de la drachme perdue et est également profitable en ce qu'elle cause le nettoyage de sa maison. Sa joie est comme celle du berger revenant chez lui avec la brebis sur les épaules - jadis perdue mais maintenant retrouvée.

 

On peut considérer la femme qui, par manque de soin, avait perdu la précieuse drachme comme une représentation de la théocratie de l'époque et de l'institution qu'est l'Eglise dans une dispensation quelconque; alors les drachmes, étant chacune une monnaie authentique du royaume, portant l'image du grand Roi, sont les âmes confiées aux soins de l'Eglise; et la drachme perdue symbolise les âmes que les ministres autorisés de l'Evangile du Christ négligent et que, pendant un certain temps du moins, ils perdent de vue. Ces brèves illustrations furent suivies d'une autre dont les images sont encore plus riches et dont les détails sont plus frappants. C'est l'inoubliable parabole du fils prodigue[14].

 

«Il dit encore: Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père: Mon père, donne-moi la part de la fortune qui doit me revenir. Et le père leur partagea son bien. Peu de jours après, le plus jeune fils rassembla tout ce qu'il avait et partit pour un pays lointain où il dissipa sa fortune en vivant dans la débauche. Lorsqu'il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à manquer (de tout). Il se lia avec un des habitants du pays, qui l'envoya dans ses champs faire paître les pourceaux. Il aurait bien désiré se rassasier des carouges que mangeaient les pourceaux, mais personne ne lui en donnait. Rentré en lui-même, il se dit: Combien d'employés chez mon père ont du pain en abondance, et moi ici, je péris à cause de la famine. Je me lèverai, j'irai vers mon père et lui dirai: Père, j'ai péché contre le ciel et envers toi; je ne suis plus digne d'être appelé ton fils; traite-moi comme l'un de tes employés. Il se leva et alla vers son père. Comme il était encore loin, son père le vit et fut touché de compassion, il courut se jeter à son cou et l'embrassa. Le fils lui dit: Père, j'ai péché contre le ciel et envers toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils. Mais le père dit à ses serviteurs: Apportez vite la plus belle robe et mettez-la lui ; mettez-lui une bague au doigt, et des sandales pour ses pieds. Amenez le veau gras, et tuez­le. Mangeons et réjouissons-nous; car mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie; il était perdu, et il est retrouvé. Et ils commencèrent à se réjouir. Or, le fils aîné était dans les champs. Lorsqu'il revint et s'approcha de la maison, il entendit la musique et des danses. Il appela un des serviteurs et s'informa de ce qui se passait. Ce dernier lui dit: Ton frère est de retour, et parce qu'il lui a été rendu en bonne santé, ton père a tué le veau gras. Il se mit en colère et ne voulut pas entrer. Son père sortit pour l'y inviter. Alors il répondit à son père: Voici: il y a tant d'années que je te sers, jamais je n'ai désobéi à tes ordres, et à moi jamais tu n'as donné un chevreau pour me réjouir avec mes amis. Mais quand ton fils que voilà est arrivé, celui qui a dévoré ton bien avec des prostituées, pour lui tu as tué le veau gras! Toi, mon enfant, lui dit le père, tu es toujours avec moi, et tout ce que j'ai est à toi; mais il fallait bien se réjouir et s'égayer, car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.»

 

Le fils cadet réclama une partie du patrimoine, du vivant même de son père: c'est là un cas de désertion délibérée, témoignant d'un manque de piété filiale; il avait conçu un dégoût pour les devoirs que l'on doit remplir en coopération dans la famille et de l'irritation pour la discipline saine du foyer. Il était décidé à rompre tous les liens familiaux, oubliant ce que le foyer avait fait pour lui et la dette de gratitude et de devoir par laquelle il était moralement lié. Il s'en alla dans un pays lointain et, croyait-il, hors de portée de l'influence directrice de son père. Il eut son temps de grande vie, de débauche sans frein et de plaisirs néfastes, y gaspillant la force de son corps et de son esprit, et dilapidant les biens de son père; car ce qu'il avait reçu lui avait été donné comme une concession et n'était pas l'accession à une demande légale ou juste. L’adversité s'abattit sur lui et s'avéra un meilleur maître que le plaisir. Il fut réduit au service le plus bas et le plus humble, celui de la garde des pourceaux, occupation qui, pour un Juif, était la dégradation la plus extrême. La souffrance lui fit reprendre ses esprits. Lui, le fils de parents honorables, faisait paître des pourceaux et mangeait avec eux, alors que même les employés chez lui avaient de la bonne nourriture en abondance et de réserve. Il se rendit compte non seulement de la stupidité qu'il avait commise en quittant la table bien fournie de son père pour se repaître avec les pourceaux, mais aussi de l'impiété de sa désertion égoïste; il n'était pas seulement rempli de remords mais aussi repentant. Il avait péché envers son père et contre Dieu; il allait retourner chez lui, confesser son péché et demander, non pas à être rétabli comme fils, mais à recevoir la permission de travailler comme employé. S'étant décidé, il ne tarda pas mais entreprit immédiatement le long voyage de retour vers sa maison et son père.

 

Le père apprit l'approche du prodigue et se hâta de venir à sa rencontre. Sans un seul mot pour le condamner, le père aimant étreignit et embrassa le garçon débauché mais maintenant pénitent qui, accablé de cette affection imméritée, reconnut humblement son erreur et confessa douloureusement qu'il n'était pas digne d'être appelé fils de son père. Il est à remarquer que dans sa confession contrite il ne demanda pas à être accepté comme employé comme il avait résolu de le faire; la joie de son père était trop sacrée pour être ainsi gâchée; le meilleur moyen de plaire à son père était de se mettre sans réserve à la disposition de celui­ci. Le rude vêtement de la pauvreté fut remplacé par la meilleure robe; une bague lui fut placée au doigt comme signe de rétablissement; les sandales montrèrent qu'il était de nouveau accepté comme fils, et non Comme employé. Le bonheur qui gonflait le cœur du père ne pouvait s'exprimer qu'en abondantes actions de bonté; une fête fut préparée, car le fils que l'on considérait comme mort n'était-il pas vivant? Celui qui avait été perdu n'avait-il pas été retrouvé?

 

Jusque là l'histoire montre une grande ressemblance avec les deux paraboles qui la précèdent dans le même discours; la partie suivante introduit un autre symbolisme important. Personne ne s'était plaint de la récupération de la brebis perdue ni de la découverte de la drachme perdue; dans chaque cas, des amis s'étaient réjouis avec le propriétaire. Mais le bonheur du père au retour du prodigue fut interrompu par les protestations de l'aîné. Celui-ci, en s'approchant de la maison, avait remarqué qu'elle avait un air de fête et, au lieu d'entrer comme c'était son droit, avait demandé à l'un des serviteurs quelle était la cause de ces réjouissances extraordinaires. Apprenant que son frère était revenu et que le père avait préparé une fête en l'honneur de cet événement, le fils aîné se mit en colère et refusa, furieux, d'entrer dans la maison, même après que le père fut sorti pour le supplier. Il cita sa fidélité et son dévouement aux travaux routiniers de la ferme, prétentions d'excellence que le père ne nia pas; mais le fils héritier reprocha à son père de ne pas lui avoir donné autant, lorsqu'il était jeune, pour s'amuser avec ses amis; tandis que maintenant que le fils impie et dépensier était revenu, le père était allé jusqu'à tuer le veau gras pour lui. Il y a un sens particulier dans les termes par lesquels l’aîné désigne le frère pénitent: «ton fils», plutôt que «mon frère». L'aîné, rendu sourd par la colère égoïste, refusa d'écouter l'assurance affectueuse: «Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce que j'ai est à toi», et, le cœur endurci par une haine peu fraternelle, il ne se laissa pas toucher par l'éclat ému et aimant: «Ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie; il était perdu, et il est retrouvé.»

 

Nous n'avons pas le droit d'exalter la vertu de repentir du prodigue au-dessus des services loyaux et pénibles de son frère qui était resté au foyer, fidèle aux devoirs exigés de lui. Le fils dévoué était l'héritier; le père ne minimisait pas sa valeur ni ne niait ses mérites, Le déplaisir qu'il manifesta à cause de la joie qu'avait provoquée le retour de son frère débauché était une preuve de manque de générosité et d'étroitesse d'esprit; mais des deux frères, c'était l'aîné qui était le plus fidèle quels qu'aient pu être ses défauts mineurs. Mais l'élément que le Seigneur souligna dans cette leçon avait trait à ses deux faiblesses: le manque de charité et l'égoïsme.

 

Les Pharisiens et les scribes, à qui ce chef-d’œuvre d'exemple fut donné, durent le prendre pour eux-mêmes. Ils étaient représentés par le fils aîné, laborieusement attentif à la routine, peinant méthodiquement sous le petit train-train quotidien dans les travaux multiples des champs, sans s'intéresser à autre chose qu'à lui-même et refusant d'accueillir un péager repentant ou un pécheur pénitent. Ils s'éloignaient de tous ceux-là; ces gens-là pouvaient être pour le Père indulgent et miséricordieux «ton fils» mais ne seraient jamais un frère pour eux. Ils ne se souciaient pas de savoir qui ni combien étaient perdus, tant qu'on ne les dérangeait pas dans leur héritage et leurs biens par le retour des prodigues pénitents. Mais la parabole ne s'adressait pas uniquement à eux; c'est une plante éternelle produisant le fruit d'une doctrine saine et une nourriture parfaite pour l'âme pour tous les temps. Il ne s'y trouve pas un seul mot qui approuve ou excuse le péché du prodigue; celui-ci, le Père ne pouvait le considérer avec le moindre degré d'indulgence[15]; mais Dieu et la maison du ciel se réjouissaient du repentir et de la contrition profonde de ce pécheur.

 

Les trois paraboles, qui figurent dans le récit scripturaire sous la forme de parties d'un discours continu, décrivent unanimement la joie qui abonde dans le ciel lorsque l'on retrouve une âme comptée auparavant parmi celles qui étaient perdues, que cette âme soit symbolisée par une brebis qui s'est éloignée, une drachme perdue de vue du fait de la négligence de son propriétaire, ou un fils qui se sépare délibérément du foyer et du ciel. Rien ne justifie la déduction qu'un pécheur repentant sera préféré à une âme juste qui a résisté au péché; si telle était la voie de Dieu, alors le Christ, l'homme pur par excellence, serait surpassé dans l'estime du Père par des transgresseurs régénérés. Aussi formellement scandaleux que soit le péché, le pécheur est cependant précieux aux yeux du Père, parce qu'il lui est possible de se repentir et de revenir à la justice. La perte d'une âme est une perte très réelle et très grande pour Dieu. Il en est peiné et affligé, car sa volonté est qu'il n'en périsse pas une seule[16].

 

LES DISCIPLES INSTRUITS PAR PARABOLE

 

S'adressant plus directement aux disciples présents, qui en cette occasion comprenaient, outre les apôtres, beaucoup de croyants, parmi lesquels même certains péagers, Jésus raconta la parabole de l'intendant infidèle[17].

 

«Jésus dit aussi aux disciples: Il y avait un homme riche qui avait un intendant, et celui-ci lui fut dénoncé comme dissipant ses biens. Il l'appela et lui dit: Qu'est-ce que j'entends dire de toi? Rends compte de ton intendance car, tu ne pourras plus être mon intendant. L’intendant se dit en en lui-même: Que ferai-je, puisque mon maître m'ôte l'intendance (de ses biens)? Piocher la terre? je n'en ai pas la force. Mendier? J'en ai honte. Je sais ce que je ferai, pour qu'il y en ait qui me reçoivent dans leurs maisons, quand je serai relevé de mon intendance. Alors il fit appeler chacun des débiteurs de son maître et dit au premier: Combien dois-tu à mon maître? Cent mesures d'huile, répondit-il. Et il lui dit: Prends ton billet, assieds-toi vite, écris: Cinquante. Il dit ensuite à un autre: Et toi, combien dois-tu? Cent mesures de blé, répondit-il. Et il lui dit: Prends ton billet et écris: Quatre-vingts. Le maître loua l'économe infidèle de ce qu'il avait agi en homme prudent, Car les enfants de ce siècle sont plus prudents à l'égard de leurs semblables que ne le sont les enfants de lumière.»

 

Les trois paraboles précédentes enseignaient leurs leçons par des rapports d'analogie étroite et des similarités intimes; celle-ci enseigne plutôt par son contraste des situations. L’intendant de l'histoire était l'agent dûment autorisé de son employeur, étant ce que nous appellerions le fondé de pouvoir de son maître[18]. Il fut appelé à rendre des comptes parce que le bruit de ses gaspillages et de son manque de soin était parvenu aux oreilles du maître. L'intendant ne nia pas sa culpabilité et reçut immédiatement son renvoi. Il lui faudrait beaucoup de temps pour faire ses comptes afin de pouvoir confier son intendance à son successeur. Cet intervalle, pendant lequel il conserva son autorité, il décida de l'utiliser dans la mesure du possible à son avantage, même s'il continuait ainsi à nuire aux intérêts de son maître. Il prévit l'état de dépendance dans lequel il se trouverait bientôt. Par manque d'économie et par extravagance, il avait négligé d'épargner de l'argent sur ce qu'il avait gagné; il avait gaspillé ses biens et ceux de son seigneur. Il se sentait inapte à un travail manuel dur; et il serait honteux de mendier, en particulier dans la communauté dans laquelle il avait abondamment dépensé et où il jouissait d'une influence considérable. Dans le but d'en mettre d'autres sous sa dépendance pour pouvoir plus facilement faire appel à eux lorsqu'il serait déposé, il appela les débiteurs de son seigneur et les autorisa à changer leurs billets à ordre, factures ou notes et à y inscrire une dette inférieure. Il ne fait aucun doute que ces actes étaient malhonnêtes; ils nuisaient à son employeur et enrichissaient les débiteurs dont il espérait profiter. La plupart d'entre nous sont surpris de savoir que le maître, apprenant ce que son économe prévoyant, quoique égoïste et malhonnête, avait fait, a pardonné l'offense et l’a même félicité de sa prévoyance, parce qu'il «avait agi en homme prudent».

 

Parlant de la morale de cette parabole, Jésus dit[19]: «Car les enfants de ce siècle sont plus prudents à l'égard de leurs semblables que ne le sont les enfants de lumière. Et moi, je vous dis: Faites-vous des amis avec les richesses injustes, pour qu'ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels, quand elles vous feront défaut.» Le but de notre Seigneur était de faire ressortir le contraste entre le soin, l'attention et la dévotion des hommes engagés dans les affaires financières de la terre, et l'attitude à demi réticente de beaucoup de gens qui professent rechercher les richesses spirituelles. Les matérialistes ne manquent pas de prévoir pour leur avenir; dans leur avidité, ils se rendent coupables de péchés pour amasser de grandes quantités; tandis que «Ies enfants de lumière», ou ceux qui croient que la richesse spirituelle est supérieure aux biens terrestres, sont moins énergiques, prudents ou sages. Par «richesses injustes» nous pouvons entendre les richesses matérielles ou les choses du monde. Quoique bien inférieur aux trésors du ciel, l'argent, ou ce qu'il représente, peut constituer un moyen d'accomplir du bien et de favoriser les desseins de Dieu. Les intentions du Seigneur étaient d'utiliser «Ies richesses» à de bonnes œuvres, tant qu'elles durent, car un jour elles nous manqueront, et seuls les résultats que nous aurons atteints grâce à elles dureront[20]. Si le mauvais économe, lorsqu'il fut chassé de la maison de son maître à cause de son indignité, pouvait espérer être reçu chez ceux qu'il avait favorisés, avec combien plus de confiance ceux qui sont sincèrement dévoués au juste espoir d'être reçus dans les demeures éternelles de Dieu peuvent-ils l'espérer! Telle semble être une partie de la leçon.

 

Ce n'était pas la malhonnêteté de l'économe qui était exaltée, mais sa prudence et sa prévoyance qui furent louées, car s'il avait mal utilisé les biens de son maître, il avait soulagé les débiteurs, et ce faisant il n'avait pas outrepassé ses pouvoirs légaux, car il était toujours économe bien qu'il fût moralement coupable de méfaits. Nous pouvons résumer la leçon de cette manière: utilisez votre richesse de manière à vous assurer des amis plus tard. Soyez diligents, car le jour où vous pouvez utiliser vos richesses terrestres passera bientôt. Prenez de la graine même des gens malhonnêtes et méchants; s'ils sont prudents au point de prévoir le seul avenir qu'ils puissent imaginer, combien plus vous, qui croyez en un avenir éternel, ne devez-vous pas prévoir! Si vous n'avez pas appris la sagesse et la prudence à utiliser les «richesses injustes», comment pourra-t-on vous confier les richesses plus durables! Si vous n'avez pas appris à utiliser convenablement la richesse d'un autre qui a été confiée à vos soins, comment pouvez-vous espérer pouvoir gérer une grande richesse si celle-ci vous était donnée! Imitez l'économe injuste et ceux qui aiment les richesses, non dans leur malhonnêteté, leur cupidité et leur accumulation avide d'une richesse qui n'est tout au plus que passagère, mais dans leur zèle, leur prévoyance et leur prudence quant à l'avenir. En outre, ne permettez pas à la richesse de se rendre maîtresse de vous; maintenez-la à sa place, qui est celle d'une servante, car: «Aucun serviteur ne peut servir deux maîtres. Car ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon.»

 

RÉPONSE AUX RAILLERIES DES PHARISIENS : AUTRE PARABOBLE SERVANT D'ILLUSTRATION[21]

 

Les Pharisiens, qui étaient cupides, qui aimaient l'argent, pour employer des termes plus précis[22], surprirent les instructions qui venaient d'être données aux disciples et raillèrent ouvertement le Maître et la leçon. Qu'est-ce que ce Galiléen, qui ne possédait que les vêtements qu'il portait, pouvait bien connaître en matière d'argent ou sur la meilleure manière d'administrer la richesse? La réponse que notre Seigneur fit à leurs paroles moqueuses les condamna de nouveau. Ils connaissaient tous les trucs du monde des affaires et pouvaient dépasser l'intendant infidèle en manigances, et cependant ils pouvaient se justifier si bien devant les hommes qu'ils pouvaient paraître extérieurement honnêtes et droits; en outre, ils étalaient avec ostentation une certaine forme de simplicité et de reniement de soi, observances extérieures dans lesquelles ils se prétendaient supérieurs aux Sadducéens épris de luxe; ils étaient devenus arrogants et fiers de leur humilité, mais Dieu connaissait leur cœur, et les traits et les pratiques qu'ils estimaient le plus étaient une abomination à ses yeux. Ils se présentaient comme gardiens de la loi et interprètes des prophètes. «La loi et les prophètes» avaient été en vigueur jusqu'à l'époque du Baptiste, depuis laquelle l'Evangile du royaume était prêché, et les gens étaient avides d'y entrer[23], bien que la théocratie essayât de toutes ses forces de l'empêcher. La loi n'avait pas été invalidée: il serait plus facile au ciel et à la terre de passer que d'empêcher un trait de lettre de la loi de s'accomplir[24], et pourtant ces Pharisiens et ces scribes avaient essayé d'annuler la loi. Dans la question du divorce, par exemple, ils parvenaient même, par leurs ajouts illégaux et leurs fausses interprétations, à pardonner le péché d'adultère.

 

Le Maître donna une autre leçon encore dans la parabole de l'homme riche et de Lazare:

 

«Il y avait un homme riche qui était vêtu de pourpre et de fin lin, et qui chaque jour menait joyeuse et brillante vie. Un pauvre couvert d'ulcères, du nom de Lazare, était couché à son portail; il aurait désiré se rassasier de ce qui tombait de la table du riche; même les chiens venaient lécher ses ulcères. Le pauvre mourut et fut porté par les anges dans le sein d'Abraham. Le riche aussi mourut et fut enseveli. Dans le séjour des morts, il leva les yeux; et, en proie aux tourments, il vit de loin Abraham et Lazare dans son sein. Il s'écria: Père Abraham, aie pitié de moi, et envoie Lazare, pour qu'il trempe le bout de son doigt dans l'eau et me rafraîchisse la langue; car je souffre dans cette flamme. Abraham répondit: (Mon) enfant, souviens­toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie et que de même Lazare a eu les maux, maintenant il est ici consolé, et toi, tu souffres. En plus de tout cela entre nous et vous se trouve un grand abîme afin que ceux qui voudraient passer d'ici vers vous ne puissent le faire, et qu'on ne parvienne pas non plus de là vers nous. Le riche dit: je te demande donc, père, d'envoyer Lazare dans la maison de mon père; car j'ai cinq frères. Qu'il leur apporte son témoignage, afin qu'ils ne viennent pas aussi dans ce lieu de tourment. Abraham répondit: Ils ont Moïse et les prophètes; qu'ils les écoutent. Et il dit: Non, père Abraham mais si quelqu'un des morts va vers eux, ils se repentiront. Et Abraham lui dit: S'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne se laisseront pas persuader, même si quelqu'un ressuscitait d'entre les morts.»

 

Le mendiant affligé est honoré d'un nom; l'autre est simplement appelé «un homme riche»[25]. Ils sont représentés tous deux dans le contraste entre la richesse extrême et le dénuement extrême. Le riche était revêtu des vêtements les plus précieux, de pourpre et de lin, et son lot quotidien était une fête somptueuse. Lazare avait été amené aux portes du palais du riche et avait été laissé là, mendiant impuissant, le corps couvert d'ulcères. Le riche avait des serviteurs prêts à satisfaire le moindre de ses désirs; le pauvre mendiant à sa porte n'avait ni compagnon ni serviteur sinon les chiens qui, comme lui, attendaient les rebuts de la table du riche. Tel est le tableau de la vie de ces deux hommes. Un brusque changement de décor nous montre ces mêmes personnages de l'autre côté du voile qui sépare notre monde de l'au-delà. Lazare mourut; il n'est pas fait mention de ses funérailles; son corps ulcéreux fut probablement jeté dans une tombe de miséreux; mais des anges portèrent son esprit immortel dans le paradis, lieu de repos des bienheureux que le langage figuré des rabbis appelait communément le sein d'Abraham. L'homme riche mourut, lui aussi; son ensevelissement fut certainement une cérémonie compliquée, mais on ne nous dit pas qu'une escorte angélique reçut son esprit. En enfer, il leva les yeux et vit, au loin, Lazare en paix dans la demeure d'Abraham.

 

Juif, l'homme s'était souvent vanté d'avoir Abraham pour père; et maintenant l'esprit misérable faisait appel au patriarche de sa race, s'adressant à lui par le titre de «père Abraham», et demandait simplement qu'on lui accordât pour bienfait de déposer une unique goutte d'eau sur sa langue desséchée; et il pria que Lazare, l'ancien mendiant, la lui apportât. La réponse révèle certaines conditions existant dans le monde des esprits, bien que, comme dans l'utilisation des paraboles en général, la présentation en soit en grande partie figurée. Appelant le pauvre esprit tourmenté «Mon enfant», Abraham lui rappela toutes les bonnes choses qu'il avait conservées pour soi sur la terre, tandis que Lazare était resté à sa porte, mendiant souffrant et négligé; maintenant, en vertu de la loi divine, Lazare avait reçu sa récompense, et lui, son châtiment. En outre, il était impossible d'accéder à sa pitoyable demande, car entre la demeure des justes où Lazare reposait et celle des méchants où il souffrait «se trouve un grand abîme», et le passage entre les deux est interdit. La demande suivante du malheureux tourmenté n'était pas entièrement égoïste; dans son égoïsme, il se souvenait de ceux dont la mort l'avait séparé, et il aurait aimé sauver ses frères du destin qui était le sien; et il demanda que Lazare fût renvoyé sur la terre rendre visite à la demeure de ses ancêtres et avertir ces frères égoïstes, amateurs de plaisir et cependant mortels, de la condamnation terrible qui les attendait s'ils ne se repentaient et ne se réformaient pas. Peut-être voulait-il insinuer dans cette demande que si on l'avait suffisamment averti il aurait mieux agi et aurait échappé à son tourment. Comme il lui était rappelé qu'ils avaient les paroles de Moïse et des prophètes auxquelles ils devaient obéir, il répondit que si quelqu'un d'entre les morts allait les trouver ils se repentiraient sûrement. Abraham répondit que s'ils n'écoutaient pas Moïse et les prophètes, ils ne se laisseraient «pas persuader, même si quelqu'un ressuscitait d'entre les morts».

 

Si nous essayons d'interpréter la parabole comme un tout ou de donner une application déterminée à l'une ou l'autre de ses parties, nous devons nous rappeler qu'elle était adressée aux Pharisiens pour les réprimander et les instruire sur la dérision et le mépris avec lesquels ils avaient reçu l'avertissement du Seigneur concernant les dangers qui accompagnaient la servitude à Mammon. Jésus employait des métaphores juives, et les images de la parabole étaient celles qui frapperaient le plus directement les exégètes de Moïse et des prophètes. Bien qu'il serait injuste du point de vue critique de prendre l'habitude de déduire des principes de doctrine à partir d'incidents rapportés dans des paraboles, nous ne pouvons admettre que le Christ ait pu enseigner faussement, même dans les paraboles, et par conséquent nous acceptons comme vraie la description qu'il fait des conditions régnant dans le monde des désincarnés. Il est clair que les justes et les méchants sont séparés au cours de l'intervalle qui s'étend entre la mort et la résurrection. Le paradis, ou comme les Juifs aiment appeler ce lieu béni, «Ie sein d'Abraham», n'est pas le lieu de la gloire finale, pas plus que l'enfer auquel était condamné l'esprit du riche n'est l'habitation finale des condamnés[26]. Mais les œuvres des hommes les suivent dans cet état préliminaire ou intermédiaire[27]; et les morts s'apercevront certainement que leur demeure est celle pour laquelle ils se sont qualifiés tandis qu'ils étaient dans la chair.

 

Le sort du riche n'était pas le résultat des richesses, et le repos dans lequel Lazare entra n'était pas la résultante de la pauvreté. Ce qui avait amené le premier sous la condamnation, c'était le fait qu'il n'avait pas utilisé sa richesse à bon escient et qu'il s'était livré à la jouissance égoïste et sensuelle des choses de la terre sans penser un instant aux besoins ou aux privations de ses semblables; tandis que la patience dans ses souffrances, la foi en Dieu et la vie de droiture qui est sous-entendue bien que non exprimée assura le bonheur de l'autre. L'orgueilleuse indépendance du riche, qui ne manquait de rien de ce que la richesse pouvait fournir et qui se tenait à l'écart des nécessiteux et des malheureux, était le péché qui le liait à lui. Ainsi était condamnée l'attitude distante des Pharisiens, attitude dont ils s'enorgueillissaient d'abord, comme le disait leur nom même qui voulait dire «séparatistes». La parabole enseigne que l'individu continue à vivre après la mort et qu'il y a un rapport de cause à effet entre la vie que l'on mène dans la mortalité et l'état qui nous attend dans l'au-delà.

 

LES SERVITEURS INUTILES[28]

 

Se détournant des Pharisiens, Jésus s'adressa à ses disciples et les exhorta à la diligence. Les ayant mis en garde contre les paroles ou les actions imprudentes dont d'autres pourraient s'offenser, il essaya ensuite de leur faire sentir la nécessité absolue du dévouement, de la tolérance et du pardon désintéressés. Les apôtres, conscients du service total qui était requis d'eux, implorèrent le Seigneur, disant: «Augmente-nous la foi.» Il leur fut montré que la foi s'évalue moins en termes de quantité que par l'épreuve de la qualité; et l'analogie avec le grain de moutarde fut de nouveau invoquée. «Et le Seigneur dit: Si vous aviez de la foi comme un grain de moutarde, vous diriez à ce mûrier: Déracine-toi, et plante-toi dans la mer; et il vous obéirait[29].» Le meilleur moyen de juger leur foi c'était par leur obéissance et leurs services inlassables.

 

C'est ce que souligna la parabole des serviteurs inutiles.

 

«Qui de vous, s'il a un serviteur qui laboure ou fait paître les troupeaux, lui dira, quand il revient des champs: Viens tout de suite te mettre à table? Ne lui dira-t-il pas au contraire: Prépare-moi le repas, mets-toi en tenue pour me servir, jusqu'à ce que j'aie mangé et bu, après cela, toi, tu mangeras et boiras. Aura-t-il de la reconnaissance envers ce serviteur parce qu'il a fait ce qui lui était ordonné? Vous de même, quand vous avez fait tout ce qui vous a été ordonné dites: Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire.»

 

Le serviteur pourrait bien avoir l'impression qu'après une journée de travail dans les champs il a droit au repos; mais en arrivant à la maison il s'aperçoit que l'on demande d'autres choses de lui. Le maître a droit au temps et à l'attention du serviteur; cela entrait dans les conditions auxquelles le serviteur avait été engagé; bien que son employeur puisse le remercier ou lui donner une récompense substantielle, le serviteur ne peut pas exiger cette récompense. Ainsi les apôtres, qui s'étaient consacrés entièrement au service de leur Maître, ne devaient ni hésiter ni s'arrêter quelque fût l'effort ou le sacrifice qui serait requis. Même s'ils faisaient de leur mieux, ils ne feraient encore que leur devoir; et quelle que fût la valeur que leur attribuait le Maître, ils devaient se considérer comme des serviteurs inutiles[30].

 

GUÉRISON DES DIX LÉPREUX[31]

 

Au cours de son voyage vers Jérusalem, Jésus «passait entre la Samarie et la Galilée». Dix hommes affligés de la lèpre s'approchèrent, probablement autant que le permettait la loi, restant cependant à une certaine distance. Ces hommes étaient de nationalités diverses; le fléau dont ils souffraient tous avait fait d'eux des compagnons de détresse. Ils crièrent: «Jésus, Maître, aie pitié de nous!» Le Seigneur répondit: «Allez vous montrer aux sacrificateurs[32].» Cet ordre voulait dire qu'ils étaient complètement guéris; l'obéissance serait l'épreuve de leur foi. Aucune personne qui avait été lépreuse ne pouvait être rendue légalement à la vie commune tant qu'elle n'était pas prononcée pure par un prêtre. Les dix hommes affligés se hâtèrent d'obéir au commandement du Seigneur, «et, pendant qu'ils y allaient, il arriva qu'ils furent purifiés»[33]. L'un des dix hommes revint sur ses pas et glorifia le Seigneur à haute voix; puis il tomba face contre terre aux pieds du Christ et lui rendit grâce. On nous dit que cet homme reconnaissant était un Samaritain, d'où nous concluons que certains des autres, peut-être tous, étaient juifs. Affligé du manque de gratitude des neuf autres, Jésus s'exclama: «Les dix n'ont-ils pas été purifiés? [Mais] les neuf autres, où sont­ils? Ne s'est-il trouvé que cet étranger pour revenir et donner gloire à Dieu?» Et le Seigneur dit au Samaritain purifié, qui était toujours à ses pieds: «Lève-toi, va; ta foi t'a sauvé.» Il ne fait aucun doute que les neuf qui n'étaient pas revenus suivirent le commandement du Seigneur à la lettre, car il leur avait dit d'aller trouver les prêtres; mais leur manque de gratitude et leur négligence à reconnaître la puissance de Dieu dans leur guérison forment un contraste défavorable avec l'esprit de l'autre; et c'était un Samaritain. L'événement dut être pour les apôtres une autre preuve que les étrangers pouvaient être acceptables, et même exceller, au grand dam des prétentions juives à la supériorité quelque fût leur mérite.

 

LE PHARISIEN ET LE PÉAGER[34]

 

«Il dit encore cette parabole pour certaines personnes qui se persuadaient d'être justes et qui méprisaient les autres: Deux hommes montèrent au temple pour prier; l'un était Pharisien, et l'autre péager. Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même: O Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont accapareurs, injustes, adultères, ou même comme ce péager: je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tous mes revenus. Le péager se tenait à distance, n'osait même pas lever les yeux au ciel, mais se frappait la poitrine et disait: O Dieu, sois apaisé envers moi, pécheur. Je vous le dis, celui-ci descendit dans sa maison justifié, plutôt que l'autre. Car quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé.»

 

Il nous est dit expressément que cette parabole fut donnée au profit de certaines personnes qui étaient assurées que leur pharisaïsme les justifierait devant Dieu. Elle ne s'adressait pas spécialement aux Pharisiens ni aux péagers. Les deux personnages représentent des classes extrêmement séparées. Il se peut que l'esprit pharisaïque de satisfaction de soi ait abondamment existé parmi les disciples et même un peu parmi les Douze. Un Pharisien et un péager se rendirent au temple pour prier. Le Pharisien pria «en lui-même»; on ne peut guère interpréter ses paroles comme une prière à Dieu. Le fait qu'il se tenait debout en priant n'était pas une inconvenance, car la position debout était ordinaire dans les prières; le péager était debout aussi. Le Pharisien remerciait Dieu de ce qu'il était tellement meilleur que les autres hommes; fidèle à sa classe, séparatiste qui considérait avec dédain tous ceux qui n'étaient pas comme lui. La raison pour laquelle il était particulièrement reconnaissant était le fait qu'il n'était pas comme ce «péager». La pratique dont il se vantait, à savoir qu'il jeûnait deux fois par semaine et donnait la dîme de tout ce qu'il possédait, était un détail de sa dignité qui était au-dessus de ce que requérait la loi administrée alors; il sous-entendait ainsi que Dieu était son débiteur[35]. Le péager, se tenant à distance, était si abattu par son sentiment de culpabilité et son besoin absolu d'aide divine, qu'il baissa les yeux et se frappa la poitrine, implorant la miséricorde sur le pécheur pénitent qu'il était. Le Pharisien s'en alla, justifié dans sa propre conscience et aux yeux des hommes, plus orgueilleux que jamais; l'autre s'en alla chez lui justifié devant Dieu, tout en étant toujours un péager méprisé. La parabole peut s'appliquer à tous les hommes; sa morale fut résumée dans une répétition des paroles de notre Seigneur prononcées dans la maison du chef pharisien: «Car quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé[36]

 

SUR LE MARIAGE ET LE DIVORCE[37]

 

Tandis qu'il se dirigeait par petites étapes vers Jérusalem et qu'il se trouvait encore «au-delà» du Jourdain, et par conséquent en territoire péréen, Jésus fut abordé par un groupe de Pharisiens venus dans le but délibéré de l'inciter à dire ou à faire quelque chose qui leur permettrait de formuler une accusation. La question qu'ils s'étaient accordés à poser avait trait au mariage et au divorce, et il n'était pas de sujet qui eût été discuté avec plus de véhémence dans leurs écoles et parmi leurs rabbis[38]. Les rusés questionneurs espéraient peut-être que Jésus dénoncerait l'état adultère dans lequel Hérode Antipas vivait à ce moment-là et s'attirerait ainsi la furie d'Hérodias dont le Baptiste avait déjà été la victime. «Est-il permis (à un homme) de répudier sa femme pour n'importe quel motif?» demandèrent-ils. Jésus cita la loi originelle et éternelle de Dieu en la matière et donna la seule conclusion rationnelle que l'on pouvait en tirer: «N'avez-vous pas lu que le Créateur, au commencement, fit l'homme et la femme et qu'il dit: C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Que l'homme ne sépare donc pas ce que Dieu a uni[39].» Dieu avait créé le mariage honorable et avait rendu les rapports entre mari et femme aussi importants que celui des enfants envers les parents; la scission de pareille union est une invention des hommes et non un commandement de Dieu. Les Pharisiens avaient une réponse toute prête. «Pourquoi donc... Moïse a-t-il commandé de donner (à la femme) un acte de divorce et de (la) répudier?» On se souviendra que Moïse n'avait pas commandé le divorce mais avait exigé qu'au cas où un homme se séparerait de sa femme il lui donnât une lettre de divorce[40]. Jésus expliqua bien cela, disant: «C'est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes; au commencement, il n'en était pas ainsi.»

 

Suivit alors la loi supérieure de l'Evangile: «Mais je vous dis: Quiconque répudie sa femme, sauf pour infidélité et en épouse une autre, commet un adultère[41].» Les dispositions prévues par Moïse ne constituaient qu'une permission et ne se justifiaient qu'à cause de la méchanceté qui existait à l'époque. Le seul moyen de conserver un ordre social parfait, c'est de se conformer strictement à la doctrine énoncée par Jésus-Christ. Il est toutefois important de remarquer que dans sa réponse aux Pharisiens casuistes Jésus n'annonça aucune règle spéciale ou contraignante sur les divorces légaux; la répudiation d'une femme, comme la concevait la coutume mosaïque, n'exigeait pas qu'un tribunal officiel instituât une enquête ou une action judiciaire. A l'époque de notre Seigneur, le relâchement qui régnait dans le domaine des obligations matrimoniales avait produit une corruption effrayante en Israël, et la femme, qui en vertu de la loi de Dieu avait été créée épouse et associée de l'homme, était devenue son esclave. Le plus grand champion que la femme et la féminité aient eu au monde est Jésus le Christ[42].

 

Les Pharisiens se retirèrent, déçus dans leur dessein et condamnés par leur conscience. L’interprétation stricte que le Seigneur donnait aux liens du mariage surprit même certains des disciples; ceux-ci vinrent le trouver en privé, disant que si un homme était lié de cette manière il vaudrait mieux ne pas se marier du tout. Le Seigneur désapprouva une généralisation aussi large sauf dans la mesure où elle pouvait s'appliquer à des cas particuliers. C'est vrai qu'il y en avait qui étaient physiquement inaptes au mariage; d'autres se consacraient volontairement à une vie de célibat, et un petit nombre adoptait le célibat «à cause du royaume des cieux», afin d'être libres de consacrer tout leur temps et toute leur énergie au service du Seigneur. Mais la conclusion qu'en tirèrent les disciples, à savoir qu'il «n'est pas avantageux de se marier», n'était vraie que dans les cas exceptionnels cités. Le mariage est honorable[43]; car dans le Seigneur, la femme n'est pas sans l'homme, ni l'homme sans la femme[44].

 

JÉSUS ET LES PETITS ENFANTS[45]

 

L'événement qui est rapporté ensuite est d'une gentillesse extrême, d'une grande richesse en précepte et d'une valeur exemplaire inestimable. Des mères amenèrent leurs petits enfants à Jésus, désirant respectueusement que la vie de ces petits fût illuminée par la vue du Maître et bénie du toucher de sa main ou d'un mot de ses lèvres. L'événement apparaît dans l'ordre logique par rapport aux instructions du Seigneur concernant le caractère sacré du mariage et la sainteté du foyer. Les disciples, vivement désireux que l'on ne dérangeât pas inutilement leur Maître, et conscients des demandes qui étaient constamment faites de son temps et de son attention, réprimandèrent celles qui s'étaient ainsi aventurées à s'approcher sans permission. Les disciples eux-mêmes semblent encore avoir été sous l'influence de la conception traditionnelle que les femmes et les enfants se trouvaient dans un état d'infériorité, et que c'était un acte de présomption de la part de ceux-ci de demander l'attention du Seigneur. Le zèle mal dirigé de ses disciples déplut à Jésus, et il les réprimanda. Puis il prononça cette phrase mémorable d'une tendresse infinie et d'une affection divine: «Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas; car le royaume de Dieu est pour leurs pareils.» Prenant les enfants un à un dans ses bras, il posa les mains sur eux et les bénit[46]. Puis il dit: «En vérité, je vous le dis, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant, n'y entrera point[47]

 

«SI TU VEUX ÊTRE PARFAIT»[48]

 

Jésus fut accosté en route par un jeune homme qui courut à sa rencontre ou pour le rattraper et s'agenouilla à ses pieds, demandant: «Bon Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle?» La question fut posée avec ferveur; la personne qui interrogeait se trouvait dans un état d'esprit extrêmement différent de celui du docteur de la loi qui avait posé une question semblable dans le but de tenter le Maître[49]. Jésus dit: «Pourquoi m'appelles-tu bon? Personne n'est bon, si ce n'est Dieu seul.» Cette remarque du Sauveur ne voulait pas dire qu'il niait être sans péché; le jeune homme l'avait appelé «bon» comme compliment poli plutôt que comme reconnaissance de sa divinité, et Jésus refusa de reconnaître cette distinction quand elle s'appliquait dans ce sens. La remarque du Seigneur dut donner davantage conscience au jeune homme du sérieux de sa question. Ensuite Jésus dit: «Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements.» Le jeune homme lui demandant à quels commandements il faisait allusion, Jésus cita les interdictions visant le meurtre, l'adultère, le vol et le faux témoignage et les commandements, disant qu'on devait honorer ses parents et aimer son prochain comme soi-même. Avec simplicité et sans orgueil ou sentiment de pharisaïsme, le jeune homme dit: «J'ai gardé tout cela, que me manque-t-il encore?» Sa sincérité évidente plut à Jésus qui le regarda avec amour et dit: «Si tu veux être parfait va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, [la version du roi Jacques ajoute ici: «prends la croix» - N.d.T.] et suis-moi[50]

 

Le jeune homme fut déçu et attristé. Il s'était probablement attendu à entendre le grand Maître lui prescrire quelque observance toute spéciale qui lui permettrait de parvenir à l'excellence. Luc nous dit que le jeune homme était un dirigeant; cela peut vouloir dire que c'était un officier président dans la synagogue locale ou peut-être un membre du sanhédrin. Il était bien versé dans loi et y avait obéi strictement. Il désirait avancer en bonnes œuvres et avoir réellement droit à un héritage éternel. Mais le Maître prescrivit ce à quoi il s'était attendu le moins: «Après avoir entendu ces paroles, le jeune homme s'en alla tout triste; car il avait de grands biens.» Ainsi il aspirait au royaume de Dieu mais aimait encore plus les grands biens qu'il avait. Abandonner la richesse, le rang social et les distinctions officielles constituait un sacrifice trop grand, et le renoncement nécessaire était une croix trop lourde à porter pour lui, même si des trésors dans le ciel et la vie éternelle lui étaient offerts. La faiblesse de cet homme était l'amour des choses du monde; Jésus diagnostiqua son cas et prescrivit le remède qui convenait; il ne nous appartient pas de dire que le même traitement serait le meilleur dans tous les cas de défection spirituelle; mais là où les symptômes en indiquent le besoin, on peut l'employer comme remède assuré.

 

Contemplant tristement le jeune dirigeant riche qui se retirait, Jésus dit aux disciples: «Je vous dis encore, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu[51].» Cette déclaration étonna les disciples. «Qui peut donc être sauvé?» se demandèrent-ils. Jésus comprit leur perplexité et les encouragea en leur assurant qu'à Dieu tout est possible. C'est ainsi qu'il leur fut donné de comprendre que si la richesse est une tentation à laquelle beaucoup succombent, elle ne constitue pas un obstacle insurmontable ni une barrière infranchissable pour entrer dans le royaume. Si le jeune dirigeant avait suivi le conseil qu'il était venu chercher, les richesses qu'il possédait lui auraient permis de rendre des services méritoires que peu sont capables de rendre. La seule chose qui lui manquait était la volonté de placer le royaume de Dieu au­dessus de tous les biens matériels[52]. Chacun de nous peut demander avec pertinence: Que me manque-t-il?

 

LES PREMIERS POURRONT ÊTRE LES DERNIERS ET LES DERNIERS LES PREMIERS[53]

 

Le triste départ du jeune dirigeant riche dont les grands biens faisaient tellement partie de la vie qu'il ne pouvait les abandonner à l'époque, bien que nous puissions espérer qu'il le fit plus tard, provoqua chez Pierre une brusque question, qui révélait le cours suivi par ses pensées et ses aspirations: «Voici que nous avons tout quitté et que nous t'avons suivi, qu'en sera-t-il pour nous?» Qu'il ait parlé pour lui seul ou que l'emploi du pronom pluriel «nous» ait voulu inclure les Douze, c'est là une chose incertaine et sans importance. Il pensait au foyer et à la famille qu'il avait quittés, et son désir de les retrouver était pardonnable; il pensait également aux bateaux et aux filets, aux hameçons et aux lignes, et aux affaires lucratives que cela représentait. Tout cela il l'avait abandonné; quelle serait sa récompense? Jésus répondit: «En vérité, je vous le dis, quand le Fils de l'homme, au renouvellement de toutes choses, sera assis sur son trône de gloire, vous de même qui m'avez suivi, vous serez assis sur douze trônes, et vous jugerez les douze tribus d'Israël.» Il est douteux que Pierre ou aucun des Douze ait jamais conçu qu'une distinction si grande pût être possible. Le jour de la régénération, où le Fils de l'homme siégera sur le trône de sa gloire comme Juge et Roi est encore à venir, mais ce jour-là, ceux des Douze du Seigneur qui persévérèrent jusqu'à la fin seront placés sur des trônes comme juges en Israël. Ils reçurent en outre l'assurance suivante: «Et quiconque aura quitté, à cause de mon nom, maisons, frères, sœurs, père, mère, femme, enfants ou terre recevra beaucoup plus, et héritera la vie éternelle.» Il serait impossible de calculer des récompenses d'une valeur aussi transcendante ni de comprendre leur sens. De crainte que ceux à qui elles étaient promises ne fussent trop certains d'y parvenir, au point de négliger les efforts et de devenir orgueilleux par surcroît, le Seigneur ajouta cet avertissement profond: «Plusieurs des premiers seront les derniers et plusieurs des derniers seront les premiers.»

 

Ce fut le sujet du sermon que nous appelons la parabole des ouvriers[54]. Ecoutez-la.

 

«Car le royaume des cieux est semblable à un maître de maison qui sortit dès le matin, afin d'embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d'accord avec les ouvriers pour un denier par jour et les envoya dans sa vigne. Il sortit vers la troisième heure, en vit d'autres qui étaient sur la place sans rien faire et leur dit: Allez, vous aussi à ma vigne, et je vous donnerai ce qui sera juste. Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers la sixième, puis vers la neuvième heure, et il fit de même. Vers la onzième heure il sortit encore, en trouva d'autres qui se tenaient (encore) là et leur dit: Pourquoi vous tenez-vous ici toute la journée sans rien faire? Ils lui répondirent: C'est que personne ne nous a embauchés. Allez, vous aussi, dans la vigne, leur dit-il. Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant: Appelle les ouvriers et paie-leur le salaire, en allant des derniers aux premiers. Ceux de la onzième heure vinrent et reçurent chacun un denier. Les premiers vinrent ensuite, pensant recevoir davantage, mais ils reçurent eux aussi, chacun un denier. En le recevant, ils murmurèrent contre le maître de la maison et dirent: Ces derniers venus n'ont fait qu'une heure, et tu les traites à l'égal de nous, qui avons supporté le poids du jour et la chaleur. Il répondit à l'un d'eux: Mon ami! Je ne te fais pas tort, n'as-tu pas été d'accord avec moi pour un denier? Prends ce qui est à toi et va-t-en. Je veux donner à celui qui est le dernier autant qu'à toi. Ne m'est-il pas permis de faire de mes biens ce que je veux? Ou vois-tu de mauvais œil que je sois bon? Ainsi les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers.» [La version du roi Jacques ajoute: «Car il y a beaucoup d'appelés mais peu d'élus.» - N.d.T.]

 

Ce procédé qui nous montre un maître de maison s'en aller sur la place du marché embaucher des ouvriers était une pratique ordinaire à cette époque et en cet endroit, et est encore ordinaire dans beaucoup de pays. Dans cette histoire, les premiers à être loués conclurent un accord bien précis quant à leur salaire. Ceux qui furent employés respectivement à neuf heures, à midi et à trois heures vinrent de bon gré sans aucun accord quant à ce qu'ils allaient recevoir; ils étaient si heureux d'avoir l'occasion de travailler qu'ils ne perdirent pas de temps à préciser des conditions. A cinq heures de l'après-midi ou du soir, alors qu'il ne restait qu'une heure de travail ce jour-là, le dernier groupe de travailleurs alla au travail, confiant en la parole du maître qu'ils recevraient ce qui était juste. Ce n'était pas de leur faute s'ils n'avaient pas trouvé de travail plus tôt dans la journée; ils étaient prêts et disposés et avaient attendu à l'endroit où ils avaient le plus de chance d'obtenir un emploi. A la fin du jour, les ouvriers vinrent recevoir leurs gages; cela était conforme à la loi et à la coutume, car il avait été établi par statut en Israël que l'employeur devait payer le serviteur, embauché pour la journée, avant le coucher du soleil[55]. Conformément aux instructions reçues, l'intendant qui faisait fonction de payeur commença par ceux qui avaient été engagés à la onzième heure; et il donna à chacun d'eux un denier, ou centime romain, valant environ quinze cents américains, salaire ordinaire d'une journée de travail. C'était le montant convenu respectivement avec ceux qui avaient commencé le plus tôt; et lorsqu'il virent les autres travailleurs qui n'avaient donné qu'une heure recevoir chacun un denier, ils se réjouirent probablement dans l'attente d'un salaire proportionnellement plus grand en dépit de l'accord qu'ils avaient conclu. Mais chacun d'eux reçut un denier et pas plus. Alors ils se plaignirent, non pas parce qu'ils n'avaient pas été payés suffisamment, mais parce que les autres avaient reçu la paie d'une journée complète alors qu'ils n'avaient travaillé qu'une partie d'une journée. Le maître répondit avec gentillesse, leur rappelant leur convention. Ne pouvait-il pas être juste avec eux et charitable envers le reste s'il en décidait ainsi? Son argent lui appartenait, et il pouvait le donner comme il le voulait. Le mécontentement de ces rouspéteurs était-il justifié parce que leur maître était charitable et bon? «Ainsi», dit Jésus, passant directement de l'histoire à l'une des leçons qu'elle avait pour but d'enseigner, «Ies derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers: car il y a beaucoup d'appelés mais peu d'élus»[56].

 

Il est clair que la parabole était destinée à édifier les Douze. Elle fut provoquée par la question de Pierre: «Qu'en sera-t-il pour nous?» Elle reste aussi valable aujourd'hui que lorsque le maître la donna, pour réprimander l'esprit marchandeur dans l'œuvre du Seigneur. Dieu a besoin d'ouvriers, et ceux qui veulent travailler fidèlement et efficacement sont les bienvenus dans la vigne. Si, avant de commencer ils exigent que le salaire soit fixé, et que celui-ci soit convenu, chacun recevra son denier à condition ne n'avoir pas perdu sa place par paresse ou transgression. Mais ceux qui travaillent diligemment, en sachant que le Maître leur donnera ce qui est juste, et en pensant plus au travail qu'au salaire, se verront plus abondamment enrichis. Un homme peut travailler pour un salaire sans être mercenaire. Entre le serviteur embauché et digne et le mercenaire il y a la différence qui distingue le berger du portier[57]. N'y avait-il pas un peu de l'esprit du mercenaire dans la question qui tourmentait même le premier des apôtres: «Qu'en sera-t-il pour nous?» Les Douze avaient été appelés à servir au début du ministère du Sauveur; ils avaient répondu à l'appel, sans qu'il leur fût promis ne serait-ce un denier; ils ressentiraient le fardeau et la chaleur du jour, mais ils reçurent l'avertissement solennel de ne pas essayer ni désirer fixer leur récompense. Le Maître jugera les mérites de chaque serviteur; le salaire est tout au plus un don volontaire, car si on s'en tient strictement aux comptes, lequel de nous n'est pas endetté vis-à-vis de Dieu? Le dernier appelé risque autant que le premier de se révéler indigne. Il n'est pas question d'un renversement général selon lequel tous les derniers venus seraient avancés et tous les premiers ouvriers réduits à une place inférieure. «Plusieurs des premiers seront les derniers», déclara le Seigneur, et nous pouvons en déduire que ce ne sont pas tous ceux qui sont les derniers, mais un certain nombre d'entre eux, qui pourront être comptés parmi les premiers. Parmi les nombreuses personnes qui ont reçu l'appel ou la permission de travailler dans la vigne du Seigneur, un petit nombre pourront se surpasser au point d'être élus pour l'exaltation au-dessus de leurs semblables. Même l'appel et l'ordination au Saint Apostolat n'est pas une garantie d'exaltation dans le royaume céleste.

 

L’lscariot fut appelé et placé parmi les premiers; aujourd'hui, en vérité, il est bien en dessous du dernier dans le royaume de Dieu.

 

NOTES DU CHAPITRE 27

 

1. Les riches et leurs intendants : «’Un homme riche avait un intendant.’ Nous apprenons ici en passant à quel point les diverses positions sociales dans une communauté sont équilibrées, et combien peu d'avantages substantiels la richesse peut conférer à son possesseur. A mesure que les biens augmentent, le contrôle que l'on exerce personnellement sur eux diminue; plus on possède, plus on doit confier aux autres. Ceux qui font leur propre travail ne sont pas gênés par des serviteurs désobéissants; ceux qui s'occupent de leurs propres affaires ne sont pas ennuyés par des surveillants infidèles.» - Parables of our Lord, Arnot, p. 454.

 

2. Les richesses injustes : Le conseil donné par le Seigneur aux disciples était qu'ils devaient utiliser la richesse matérielle pour faire du bien grâce à elle, de sorte que quand elle, c'est-à-dire tous les biens terrestres, viendrait à manquer, ils auraient des amis pour les accueillir dans «les tabernacles éternels» ou les demeures célestes. Quand on étudie une parabole basée sur des contrastes, comme celle-ci, il faut prendre soin de ne pas aller trop loin dans l'une des analogies qui s'y trouvent. Nous ne pouvons pas conclure raisonnablement que Jésus voulait ne fût-ce que sous-entendre que la prérogative de recevoir une âme dans les «tabernacles éternels» ou l'en exclure repose sur ceux qui, sur terre, ont été avantagés ou désavantagés par les actions de cette personne, si ce n'est dans la mesure où leur témoignage sur ces actes pourra être pris en compte dans le jugement final. La parabole tout entière est pleine de sagesse pour qui veut la voir; pour l'esprit trop critique elle peut sembler illogique, comme elle sembla l'être aux Pharisiens qui se moquèrent de Jésus lorsqu'il raconta son histoire. La version révisée anglaise traduit Lc 16:14 par: «Et les Pharisiens, qui aimaient l'argent, entendirent toutes ces choses; et ils se moquèrent de lui.»

 

3. Lazare et Divès : De toutes les paraboles rapportées par le Seigneur, celle-ci est la seule dans laquelle un prénom soit donné à l'un des personnages. Le nom «Lazare» utilisé dans la parabole était également le nom véritable d'un homme que Jésus aimait, et qui, après que cette parabole fut donnée, fut ressuscité après avoir passé plusieurs jours dans le tombeau. Le nom, variante grecque d'Eléazar, signifie «Dieu est mon secours». Dans beaucoup d'écrits théologiques, l'homme riche de cette parabole est appelé Divès, mais ce nom n'est pas employé dans les Ecritures. «Divès» est un adjectif latin signifiant «riche». Lazare, le frère de Marthe et de Marie (Jn 11:1, 2, 5) est l'un des trois bénéficiaires des miracles de notre Seigneur dont le nom soit donné; les deux autres sont Bartimée (Mc 10:46) et Malchus (Jn 18:10). Commentant le fait que notre Seigneur donna un nom au mendiant mais laissa anonyme l'homme riche de la parabole, Augustin (dans le sermon XLI) demande: «Ne vous semble-t-il pas qu'il lisait dans ce livre où il trouva écrit le nom du pauvre mais ne trouva pas le nom du riche: car ce livre est le Livre de Vie?»

 

4. Opinions divergentes concernant le divorce : A propos des diverses opinions qui existaient à ce sujet parmi les autorités juives de l'époque du Christ, Geikie (vol. II pp. 347-8) dit: «Parmi les questions qui étaient débattues férocement à l'époque par les grandes écoles rivales de Hillel et Chammaï, nulle ne l'était plus que le divorce. L’école de Hillel affirmait que l'homme avait le droit de divorcer de sa femme quelle que fût la cause qu'il en donnât, même si ce n'était que le fait qu'il avait cessé de l'aimer, ou qu'il en avait vu une qu'il aimait mieux, ou qu'elle avait mal préparé un repas. L’école de Chammaï, au contraire, affirmait que le divorce ne pouvait résulter que du crime d'adultère et des infractions à la chasteté. S'il était possible d'amener Jésus à se prononcer en faveur de l'une ou de l'autre école, l'hostilité de l'autre serait suscitée. Cela semblait donc être une occasion favorable de le compromettre.» Nous trouvons une autre illustration dans ce qui suit, tiré du Commentary, de Dummelow, à propos de Mt 5:32: «Rabbi Akiba (Hillelite) disait: ‘Si un homme voit une femme plus belle que sa propre femme, il peut la [sa femme] répudier, parce qu'il est dit: Si elle ne trouve pas faveur à ses yeux.’ L’école de Hillel disait: ‘Si la femme prépare mal la nourriture de son mari, en la salant ou en la rôtissant exagérément, elle doit être répudiée.’ D'autre part, Rabbi Jochanan (Chammaïte) disait: ‘Répudier une femme est odieux.’ Les deux écoles étaient d'accord pour dire qu'une divorcée ne pouvait être reprise... Rabbi Chananiah disait: ‘Dieu n'a pas approuvé le divorce, sauf parmi les Israélites, comme s'il avait dit: J'ai concédé aux Israélites le droit de renvoyer leurs femmes; mais aux Gentils je ne l'ai pas concédé.’ Jésus réplique que ce n'est pas le privilège mais l'infamie et l'opprobre d'Israël que Moïse ait jugé nécessaire de tolérer le divorce.»

 

5. Jésus, l'ennoblisseur de la femme : Geikie paraphrase comme suit une partie de la réponse du Christ à la question du Pharisien relative au divorce et en fait le commentaire. «Je dis donc que quiconque répudie sa femme, si ce n'est pour cause de fornication, laquelle détruit l'essence même du mariage en dissolvant l'unité qu'il avait formé, et en épouse une autre, commet l'adultère; et quiconque épouse celle qui est ainsi répudiée pour une autre cause commet l'adultère, parce que la femme est toujours, aux yeux de Dieu, l'épouse de celui dont elle a été divorcée.» Cette déclaration avait une importance beaucoup plus profonde que le simple fait de réduire au silence des espions animés de mauvaises intentions. Elle avait pour but de fixer pour tous les temps la loi de son Nouveau Royaume dans la question suprême de la vie de famille. Elle balayait à jamais de sa,société la conception que la femme n'est qu'un simple jouet ou une esclave de l'homme et basait les rapports véritables des sexes sur le fondement éternel de la vérité, de la droiture, de l'honneur et de l'amour. Il était essentiel à la stabilité future de son royaume, qui allait être un royaume de pureté et de valeurs spirituelles, d'ennoblir la maison et la famille en élevant la femme à son rang véritable. En rendant le mariage indissoluble, il proclamait l'égalité des droits de la femme et de l'homme au sein de la famille et, en cela, donnait aux mères du monde leurs lettres de noblesse. C'est à Jésus-Christ que la femme doit la position noble qui est la sienne à l'ère chrétienne par rapport à celle que lui accordait l'antiquité.» - Life and Words of Christ, vol. 11, p. 349.

 

6. La bénédiction des enfants : Lorsque le Christ, Etre ressuscité, apparut parmi les Néphites sur le continent américain, il prit les enfants un par un et les bénit; et la multitude assemblée vit les petits entourés comme de feu, tandis que des anges les servaient (3 Né 17:11-25). Dans la révélation moderne, le Seigneur a ordonné que tous les enfants nés dans l'Eglise soient amenés pour être bénis à ceux qui ont l'autorité d'administrer cette ordonnance de la Sainte Prêtrise. Ce commandement est le suivant: «Tout membre de l'Eglise du Christ qui a des enfants doit les amener devant l'assemblée, aux anciens, lesquels doivent leur imposer les mains au nom de Jésus-Christ et les bénir en son nom» (D&A 20:70). Par conséquent, il est maintenant de coutume dans l'Eglise d'amener les petits enfants à la réunion de jeûne et de témoignage, à laquelle ils sont reçus un par un dans les bras des anciens et bénis, et où, à cette occasion, un nom leur est donné. Il est attendu du père de l'enfant, s'il est ancien, qu'il participe à cette ordonnance.

 

La bénédiction des enfants n'est en aucun sens analogue à l'ordonnance du baptême et s'y substitue encore moins, le baptême ne devant être administré qu'à ceux qui sont arrivés à l'âge de compréhension et sont capables de se repentir. Comme l'auteur l'a écrit ailleurs: «Certains citent l'incident au cours duquel le Seigneur bénit les petits enfants et réprimanda ceux qui voulaient empêcher les petits d'aller à lui (Mt 19:13, Mc 10:13, Lc 18:15), comme preuve en faveur du baptême des petits enfants; mais comme il a été dit sagement dans cette remarque concise: «Déduire de cette action du Christ bénissant les enfants qu'ils doivent être baptisés ne prouve rien tant que l'on manque d'un meilleur argument; car la conclusion la plus probable est celle-ci: le Christ bénit les petits enfants puis les renvoya, mais il ne les baptisa pas; donc les petits enfants ne doivent pas être baptisés.» - L’auteur, Articles de Foi, pp. 159-160. Voir également les pages 157 à 161.

 

7. Le chameau et le chas de l'aiguille : Comparant la difficulté d'un riche à entrer dans le royaume à celle d'un chameau passant par le chas d'une aiguille, Jésus utilisait une figure de rhétorique qui, aussi forte et prohibitive qu'elle apparaisse dans notre traduction, était d'un genre bien connu de ceux qui entendirent cette réflexion. Il y avait un «proverbe juif bien connu, qu'un homme ne voyait même pas dans ses rêves un éléphant passer par le chas d'une aiguille» (Edersheim). Certains interprètes affirment que c'était d'une corde et non d'un chameau que Jésus parlait, et ils basent leurs affirmations sur le fait que le mot grec kamelos (chameau) ne diffère que par une seule lettre de kamilos (corde), et que l'on peut imputer aux anciens copistes la prétendue erreur d'avoir substitué «chameau» à «corde» dans le texte scripturaire. Farrar (p. 476) rejette cette interprétation possible pour la raison que les proverbes contenant des comparaisons semblables à celle du chameau traversant le chas d'une aiguille sont communes dans le Talmud.

 

On a affirmé que le terme «le chas d'une aiguille» s'appliquait à un portillon placé le long des grandes portes taillées dans les murs des villes; et on a avancé la théorie que Jésus pensait à ce genre de portillon lorsqu'il parla de l'impossibilité apparente pour un chameau de passer par le chas d'une aiguille. Il serait possible quoique très difficile à un chameau de se glisser à travers cette petite porte, et il ne pourrait absolument pas le faire sans être soulagé de son chargement et débarrassé de tous ses harnais. Si cette conception est correcte, nous pouvons trouver une ressemblance entre le fait que le chameau doit tout d'abord être déchargé et débarrassé, quelque précieux que soit son chargement ou riche son accoutrement, et la nécessité pour le jeune chef riche ou n'importe quel autre homme de se libérer du fardeau et des ornements de la richesse, s'il veut passer par la voie étroite qui mène au royaume. L’explication que donne Seigneur de ses paroles suffit amplement pour le but de la leçon: «Aux hommes cela est impossible, mais à Dieu tout est possible» (Mt 19:26).

 

8. Le souci inopportun du salaire dans le service du Seigneur : La parabole instructive et édifiante des ouvriers fut provoquée par la question égoïste de Pierre: «Qu'en sera-t-il de nous?» Avec une tendre miséricorde, le Seigneur s'abstint de réprimander directement son serviteur impulsif pour son souci inopportun du salaire auquel il devait s'attendre; mais il tira un excellent parti de cet incident en en faisant le sujet d'une leçon précieuse. L’analyse suivante d'Edersheim (vol. 11, p. 416) vaut d'être étudiée. «Il y avait ici un grand danger pour les disciples: le danger d'entretenir des sentiments semblables à ceux des Pharisiens pour les publicains pardonnés, ou du fils aîné de la parabole pour son frère cadet, le danger de mal comprendre les rapports corrects et avec eux la caractéristique même du royaume et du travail à accomplir en et pour lui. C'est à cela que fait allusion la parabole des ouvriers dans la vigne. Le principe que le Christ expose est que, bien que rien de ce que l'on fait pour lui ne perdra sa récompense, cependant on ne peut, pour aucune raison, faire de prévisions ni tirer la conclusion que l'on est juste. Il ne s'ensuit absolument pas que c'est celui qui a fait le plus de travail - du moins à nos yeux et à notre jugement - qui recevra la plus grande récompense. Au contraire, «plusieurs des premiers seront les derniers, et plusieurs des derniers seront les premiers». Pas tous, ni même toujours et nécessairement, mais «plusieurs». Et dans de tels cas aucun mal n'a été fait; nul ne peut élever de réclamations, même s'il nous a été promis que notre travail sera dûment reconnu. L’orgueil et l'outrecuidance spirituels ne peuvent être que le résultat soit d'une mauvaise compréhension des rapports entre Dieu et nous, soit d'un mauvais état d'esprit vis-à-vis des autres - c'est-à-dire que c'est le signe d'une incapacité mentale ou morale. La parabole des ouvriers en est une illustration... Mais, tout en illustrant comment il peut se faire que certains de ceux qui étaient les premiers sont les derniers et combien erronée et fausse est la pensée que ceux qui apparemment ont fait plus doivent nécessairement recevoir plus que d'autres - comment, en bref, le travail pour le Christ n'est pas une quantité tangible, autant pour autant, et comment ce n'est pas à nous de juger du moment et de la raison pour lesquels un travailleur est venu - elle apporte aussi beaucoup de choses qui sont nouvelles et, sous beaucoup d'aspects, très réconfortantes.»

   



[1] Lc 14:1-24.

[2] Cette question est identique à celle qui fut posée à Jésus dans la synagogue de Capernaüm avant la guérison de l'homme à la main sèche (Mt 12:10).

[3] Ex 23:5, Dt 22:4, Lc 13:15.

[4] Cf. Mt 23:12, Lc 1:52, 18:14, Jc 4:6, 1 P 5:5.

[5] Cf. Mt 8: 11, Ap 19:9.

[6] Lc 14:16-24. Comparer avec la parabole relative aux noces du fils du roi (Mt 22:2-10); étudier les points de ressemblance et de divergence entre les deux et la leçon particulière de chacune. Voir page 579.

[7] Lc 14:25-35.

[8] Mt 8:19, 20; cf. Lc 9:57, 58; page 335 supra.

[9] Comparer avec la loi sous l'administration mosaïque, Dt 13:6-11 et noter l'application de ce principe aux apôtres; Mt 10:37-39.

[10] Cf. Mt 5:13, Mc 9:50.

[11] Lc 15.

[12] Mt 9:10-13, Mc 2:15-17, Lc 5:29‑32. Voir page 212 supra.

[13] Mt 18:12-14. Voir page 425

[14] Lc 15:11-32.

[15] D&A 1:31; LM, Al 45:16.

[16] Cf. Mt 18:14; PGP, Moïse 1:39.

[17] Lc 16:1-8.

[18] Note 1, fin du chapitre.

[19] Lc 16:8-13.

[20] Note 2, fin du chapitre.

[21] Lc 16:14-31.

[22] Note 2, fin du chapitre.

[23] Version révisée [anglaise], Lc 16:16: «La loi et les prophètes ont subsisté jusqu'à Jean; depuis lors, l'évangile du royaume de Dieu est prêché, et chacun use de violence pour y entrer.»

[24] Cf. Mt 5:18; voir page 255 supra.

[25] Lc 16:19-31.

[26] Note 3, fin du chapitre. Comparer avec LM, Al 40:11-14; voir Articles de Foi, p. 478, note 5: «L'état intermédiaire de l'âme».

[27] Ap 14:13.

[28] Lc 17:1-10.

[29] Cf. Mt 17:20, 21:21, Mc 9:23, 11:23; voir page 417 supra.

[30] Cf. Jb 22:3, 35:7.

[31] Lc 17:11-19. Beaucoup d'auteurs traitent cet événement comme s'il suivait immédiatement le rejet de Jésus et des apôtres dans un village samaritain (Lc 9:52-56). Nous le plaçons dans l'ordre suivi par Luc, seul rapporteur des deux incidents.

[32] Cf. Lv 13:2, 14:2; voir aussi page 208 supra.

[33] Comparer avec le cas de Naaman le Syrien, 2 R 5:14.

[34] Lc 18:9-14. Le récit de Luc dont nous avons respecté l'ordre dans les événements qui suivirent le départ du Christ de Jérusalem après la fête des Huttes, contient la réponse de notre Seigneur à la question du Pharisien sur le point de savoir «quand viendrait le royaume de Dieu», et d'autres commentaires à ce sujet (17:20-37); ces questions furent traitées plus complètement plus tard dans un discours près de Jérusalem (Mt 24), et nous les examinerons à propos de cet événement ultérieur. La parabole du juge inique (Lc 18:1-7) a déjà retenu notre attention (page XXX).

[35] Noter à quels extrêmes blasphématoires la doctrine de la surérogation, ou excès de mérites, fut portée par la papauté du XIIIe siècle; voir The Great Apostasy, 913-15.

[36] Comparer avec Lc 14:11.

[37] Mt 19:3-12; voir aussi Mc 10:2-12. Matthieu et Marc introduisent ce sujet immédiatement avant que le Christ ne bénisse les petits enfants; ce dernier événement, Luc le place après la parabole du Pharisien et du péager. Nous abandonnons donc le document de Luc pour les récits donnés par les autres écrivains synoptiques.

[38] Note 4, fin du chapitre.

[39] Cf. Gn 1:27, 2:24, 5:2, Ep 5:31.

[40] Dt 24:1-4.

[41] Cf. Mt 5:32, Lc 16:18; voir aussi 1 Co 7:10-13.

[42] Note 5, fin du chapitre.

[43] Cf. Hé 13:4.

[44] Cf. 1 Co 11:11.

[45] Mc 10:13-16; cf. Mt 19:13-15, Lc 18:15-17.

[46] Cf. LM, 3 Néphi 17:11-25. Voir note 6, fin du chapitre.

[47] Page 422.

[48] Mt 19:16-26, Mc 10: 17-27, Lc 18:18-30.

[49] Lc 10:25, page 467 supra.

[50] Ceci est le récit de Marc (10:21), qui est le plus détaillé des trois [dans la version du roi Jacques - N.d.T. ].

[51] Note 7, fin du chapitre.

[52] Considérer les leçons des paraboles du trésor caché et de la perle de grand prix, pages 319-320

[53] Mt 19:27-30, Mc 10:28-31, Lc 18:28-30.

[54] Mt 20:1-16. Cette parabole est la résultante des événements qui la précèdent immédiatement. Mt 19:27-30 fait partie du récit qui continue au chapitre 20 et doit être lu comme tel. La division actuelle en chapitres est malheureuse.

[55] Dt 24:15.

[56] La proposition finale [de la version du roi Jacques - N.d.T.] «car il y a beaucoup d'appelés mais peu d'élus», est omise dans la version révisée [anglaise]. Note 8, fin du chapitre.

[57] Page 454.

 

 

 

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