CHAPITRE 24 : DU SOLEIL À L’OMBRE

 

Le retour de notre Seigneur des hauteurs sacrées[1] du mont de la Transfiguration était plus qu'un retour physique d'une altitude plus élevée à une altitude plus basse; c'était un passage du soleil à l'ombre, de la gloire lumineuse du ciel aux brumes des passions profanes et de l'incrédulité humaine; c'était le commencement de sa descente rapide dans la vallée de l'humiliation. De la conversation élevée avec des ministres divinement nommés, de la communion suprême avec son Père et Dieu, Jésus descendait vers une scène de confusion décourageante et un spectacle de domination démoniaque devant lesquels même ses apôtres se trouvaient dans un désespoir impuissant. Ce contraste dut apporter à son âme sensible et sans tache une angoisse surhumaine; même pour nous, qui en lisons le bref récit, c'est épouvantable.

 

GUÉRISON DU JEUNE DÉMONIAQUE

 

Jésus et les trois disciples revinrent de la montagne le lendemain de la Transfiguration[2]; ce fait nous permet de penser que cette glorieuse manifestation se produisit au cours de la nuit. Au pied ou près de la montagne, le groupe trouva les autres apôtres, et avec eux une foule de gens, parmi lesquels quelques scribes ou rabbis[3]. On pouvait voir qu'il y avait des disputes et du remous parmi tous ces gens; et il était clair que les apôtres étaient sur la défensive. A l'approche inattendue de Jésus, un grand nombre de personnes coururent à sa rencontre avec des salutations respectueuses. Il demanda aux scribes querelleurs: «Sur quoi discutez-vous avec eux?» prenant ainsi le fardeau de la dispute, quel qu'il pût être, et soulageant ainsi les disciples en détresse de toute autre participation active. Les scribes demeuraient silencieux; leur courage avait disparu lorsque le Maître était apparu. «Un homme de la foule» donna, quoique indirectement, la réponse. «Maître», dit-il, s'agenouillant aux pieds du Christ, «j'ai amené auprès de toi mon fils, en qui se trouve un esprit muet. En quelque lieu qu'il le saisisse, il le jette parterre; l'enfant écume, grince des dents, et devient tout raide. J'ai prié tes disciples de chasser l'esprit, et ils n'en ont pas été capables.»

 

Le fait que les disciples avaient été incapables de guérir le jeune malade leur avait évidemment valu des critiques hostiles, des railleries et des moqueries de la part des scribes incrédules; et leur déconfiture dut être intensifiée par la pensée qu'à cause d'eux le doute avait été jeté sur l'autorité et la puissance de leur Seigneur. Peiné en esprit devant cet autre exemple de manque de foi et par conséquent de manque de puissance parmi les serviteurs qu'il avait choisis et ordonnés, Jésus prononça une exclamation de douleur intense: «Race incrédule, jusques à quand serai-je avec vous? Jusques à quand vous supporterai-je?» Ces paroles dans lesquelles il y a un reproche clair, quelque doux et plein de pitié qu'il ait pu être, s'adressaient avant tout aux apôtres; il n'est guère important de savoir si elles s'adressaient à eux seuls ou à eux et aux autres. A la demande de Jésus, le petit affligé fut approché; le démon tourmenteur, se trouvant en présence du Maître, jeta sa jeune victime dans une crise terrible, qui fit tomber le garçon sur le sol et se rouler en convulsions, tandis que sa bouche écumait. Avec une calme lenteur, qui contrastait fortement avec l'impatience avide du père éploré, Jésus demanda quand la maladie s'était abattue pour la première fois sur l'enfant. «Depuis son enfance», répondit le père, qui ajouta, «et souvent l'esprit l'a jeté dans le feu et dans l'eau pour le faire périr.» Avec une ferveur pathétique il implora: «Mais si tu peux quelque chose, viens à notre secours, aie compassion de nous.» L’homme parlait de l'affliction de son fils comme s'il la partageait. «Aide-nous», telle était sa prière.

 

A l'expression nuancée «si tu peux quelque chose», qui voulait dire que dans une certaine mesure il n'était pas certain de la capacité du Maître d'accorder ce qu'il demandait, et ce, peut-être un peu à la suite de l'échec des apôtres, Jésus répondit: «Si tu peux...» Et ajouta: «Tout est possible à celui qui croit.» L’intelligence de l'homme fut éclairée; jusqu'alors il avait cru que tout dépendait de Jésus; il voyait maintenant que le résultat reposait en grande partie sur lui-même. Il est à remarquer que le Seigneur indiqua la croyance et non la foi comme condition essentielle dans ce cas. L’homme était de toute évidence plein de confiance, et certainement plein de ferveur dans son espoir que Jésus pouvait l'aider; mais il est douteux qu'il ait su ce que la foi voulait réellement dire. Il était cependant réceptif et plein de docilité, et le Seigneur fortifia sa croyance faible et incertaine. L’explication encourageante de ce dont il avait réellement besoin le poussa à avoir plus abondamment confiance. Pleurant d'un espoir angoissé, il s'écria: «Je crois!», puis, conscient des ténèbres de l'erreur dont il commençait à peine de sortir, il ajouta avec repentir. «viens au secours de mon incrédulité[4]

 

Regardant avec compassion le malade qui se tordait à ses pieds, Jésus réprimanda ainsi le démon: «Esprit muet et sourd, je te l'ordonne, sors de cet enfant et n'y rentre plus. Et il sortit en poussant des cris, avec une violente convulsion. L’enfant devint comme mort, de sorte que plusieurs le disaient mort. Mais Jésus le saisit par la main et le fit lever. Et il se tint debout», et, comme l'ajoute Luc, il le rendit à son père». La permanence de la guérison était assurée par le commandement exprès donné à l'esprit mauvais de ne plus entrer dans cet enfant[5]; il ne s'agissait pas d'un simple soulagement de la crise qu'il venait d'avoir; la guérison était permanente.

 

Le peuple fut stupéfait de voir la puissance de Dieu qui se manifesta dans ce miracle; et les apôtres qui avaient essayé en vain de soumettre l'esprit mauvais furent troublés. Tandis qu'ils étaient en mission, bien que loin de la présence secourable de leur Maître, ils avaient réussi à réprimander et à chasser des esprits mauvais, comme ils en avaient reçu le pouvoir et l'autorité spéciale[6]; maintenant, au cours de son absence d'un jour, ils s'étaient trouvés incapables de le faire. Lorsqu'ils se furent retirés à la maison, ils demandèrent à Jésus: «Pourquoi n'avons-nous pu chasser cet esprit?» La réponse fut: «C'est à cause de votre petite foi»; et il ajouta encore cette explication: «mais cette sorte (de démon) ne sort que par la prière et par le jeûne[7]

Nous apprenons par là que les réalisations rendues possibles par la foi sont limitées ou conditionnées par l'authenticité, la pureté et la qualité sans mélange de cette foi. «Homme de peu de foi», «Gens de peu de foi» et «Où est votre foi?[8]» sont des formes de reproche et d'avertissement qui avaient été adressées à maintes reprises aux apôtres du Seigneur. Il réaffirma à présent les possibilités de la foi: «En vérité je vous le dis, si vous avez de la foi comme un grain de moutarde, vous direz à cette montagne: Transporte-toi d'ici là, et elle se transportera; rien, ne vous sera impossible[9].» La comparaison entre la foi réelle et un grain de moutarde est une comparaison de qualité plutôt que de quantité ; elle suggère l'idée de vie, de foi active, semblable à la semence qui, quoique petite, peut donner naissance à une grande plante[10] par contraste avec une imitation sans vie et artificielle, quelque impressionnante qu'en soit la mise en scène.

 

NOUVELLE PRÉDICTION DE LA MORT ET DE LA RÉSURRECTION DU SEIGNEUR[11]

 

Jésus partit avec les Douze de l'endroit où le dernier miracle avait été accompli et traversa la Galilée en direction de Capernaüm. Il est probable qu'ils voyagèrent par les routes les moins fréquentées, car il désirait que son retour ne fût pas connu publiquement. Il s'était relativement retiré pendant un certain temps, cherchant avant tout, semble-t-il, l'occasion d'instruire plus parfaitement les apôtres afin de les préparer à l'œuvre qu'il les laisserait, dans quelques mois, continuer sans la compagnie de sa personne physique. Ils avaient témoigné solennellement qu'ils le savaient être le Christ; c'est pourquoi il pouvait leur confier beaucoup de choses que le peuple en général n'était absolument pas préparé à recevoir. Le thème spécial de cet enseignement particulier et poussé des Douze était celui de sa mort et de sa résurrection prochaines, et il y revint à maintes reprises, car ils étaient lents à comprendre ou se refusaient à le faire.

 

«Pour vous, prêtez bien l'oreille à ces paroles» fut son puissant prélude en cette occasion, en Galilée. Ensuite il répéta sa prédiction: «Le Fils de l'homme sera livré entre les mains des hommes; ils le feront mourir, et, trois jours après sa mort, il ressuscitera.» Nous lisons avec quelque surprise que ses apôtres ne le comprenaient toujours pas. Luc commente: «Mais les disciples ne comprenaient pas cette déclaration: elle était voilée pour eux, afin qu'ils n'en saisissent pas le sens; et ils craignaient de le questionner à ce sujet.» La pensée de ce que les paroles du Seigneur pouvaient vouloir dire, même dans leur sens le plus vague, était terrifiante pour ces hommes dévoués, et leur incompréhension était partiellement due au fait que l'esprit humain répugne à sonder profondément ce qu'il désire ne pas croire.

 

L'ARGENT DU TRIBUT FOURNI PAR UN MIRACLE[12]

 

Jésus et ses disciples étaient de nouveau à Capernaüm. Pierre y fut abordé par un collecteur de l'impôt du temple, qui demanda: «Votre maître ne paye-t-il pas les deux drachmes[13]?» Pierre répondit «Si». Il est intéressant de constater que la question fut posée à Pierre et non directement à Jésus; ce détail peut montrer le respect qu'éprouvait le public pour le Seigneur et peut laisser penser qu'il existait peut-être un doute dans l'esprit du percepteur quant au point de savoir si Jésus était soumis à la taxe, puisque les prêtres et les rabbis en général prétendaient en être exempts.

 

La taxe annuelle par personne, à laquelle il est fait ici allusion, se montait à un demi-sicle ou deux drachmes, correspondant à environ trente-trois cents américains, et on l'exigeait de tout adulte masculin en Israël depuis le temps de l'exode, bien que, au cours de la période de la captivité, cette exigence eût été modifiée[14]. Ce tribut, prescrit par Moïse, était connu à l'origine comme «l'argent de l'expiation», et son paiement revêtait la nature d'un sacrifice dont on devait accompagner sa supplication d'être racheté des effets des péchés que l'on avait commis. A l'époque du Christ, la contribution annuelle était ordinairement perçue entre le début de mars et la Pâque. Si Jésus était sujet à cette taxe, il avait à ce moment-là plusieurs semaines de retard.

 

La conversation entre Pierre et le percepteur d'impôts s'était produite en dehors de la maison. Lorsque Pierre entra et fut sur le point d'informer le Maître de l'entretien, Jésus le prévint, disant: «Simon, qu'en penses-tu? Les rois de la terre, de qui prennent-ils des taxes ou un tribut? De leurs fils, ou des étrangers? Il lui répondit: Des étrangers. Et jésus lui répondit: Les fils en sont donc exempts.»

 

Pierre dut comprendre combien il était illogique de demander à Jésus, le Messie reconnu, de payer l'argent de l'expiation ou un impôt pour l'entretien du temple, étant donné que le temple était la maison de Dieu et que Jésus était le Fils de Dieu, d'autant plus que même les princes terrestres étaient exempts de la taxe par tête. Jésus soulagea cependant l'embarras que Pierre éprouvait pour la hardiesse inconsidérée dont il fit preuve lorsqu'il promit que son Maître la paierait, sans consulter celui-ci d'abord, en disant: «Mais, pour que nous ne le scandalisions pas, va à la mer, jette l'hameçon, et tire le premier poisson qui viendra, ouvre-lui la bouche, et tu trouveras un statère. Prends-le, et donne-le-leur pour moi et pour toi.»

 

L’argent devait être payé, non pas parce qu'on pouvait le demander à bon droit de Jésus, mais de peur qu'en ne payant pas il n'offensât ses adversaires et leur donnât de nouvelles excuses de se plaindre. Le «statère» est une pièce d'argent égale à un sicle ou quatre drachmes, et constitue par conséquent le montant exact de l'impôt pour deux personnes. «Prends-le, et donne-le-leur pour moi et pour toi», dit Jésus. Il est à remarquer qu'il ne dit pas «pour nous». Dans ses rapports avec les hommes, même avec les Douze qui, de tous, étaient ceux qui lui étaient les plus proches et les plus chers, notre Seigneur conservait toujours sa position séparée et unique, faisant ressortir dans tous les cas le fait qu'il était essentiellement différent des autres hommes. C'est ce qu'illustrent ses expressions «Mon Père et votre Père», «Mon Dieu et votre Dieu»[15] au lieu de notre Père et notre Dieu. Il reconnaissait respectueusement qu'il était le Fils de Dieu dans un sens littéral qui ne s'appliquait à aucun autre être.

 

Bien que les circonstances dans lesquelles le statère fut trouvé dans le poisson ne soient pas données en détail et que le texte ne rapporte pas formellement que le miracle se soit réellement accompli, nous ne pouvons douter que ce que Jésus avait promis ne se soit réalisé, car autrement il n'y aurait aucune raison d'introduire cet incident dans le texte évangélique. Ce miracle est sans parallèle et même sans exemple qui y ressemble même de loin. Nous n'avons pas besoin de supposer que le statère ait été quelque chose d'autre qu'une pièce ordinaire qui tomba dans l'eau ni qu'elle ait été prise par le poisson d'une manière extraordinaire quelconque. Néanmoins, la connaissance qu'il y avait dans le lac un poisson ayant une pièce de monnaie dans la gueule, que la pièce était du genre indiqué, et que ce poisson déterminé se présenterait et serait le premier qui prendrait l'hameçon de Pierre, est aussi incompréhensible pour l'intelligence limitée de l'homme que les moyens par lesquels les miracles du Christ s'accomplissaient. Le Seigneur Jésus gouvernait et gouverne la terre, la mer et tout ce qui s'y trouve, car c'est par sa parole et par sa puissance qu'ils furent faits.

 

Il faut examiner attentivement le but que le Seigneur poursuivait en fournissant si miraculeusement l'argent. La théorie qu'il fallut invoquer un pouvoir surhumain parce que Jésus et Pierre étaient prétendument d'une pauvreté extrême, n'est pas fondée. Même si Jésus et ses compagnons avaient réellement été sans le sou, Pierre et les autres pêcheurs auraient pu jeter leurs filets, et avec leur succès ordinaire, obtenir suffisamment de poisson à vendre pour obtenir la somme nécessaire. En outre, nous ne trouvons aucun cas où le Seigneur ait accompli un miracle pour son profit personnel ou soulager ses propres besoins, quelque pressants qu'ils aient pu être. Il semble probable que par le moyen employé pour obtenir l'argent, Jésus ait souligné intentionnellement les raisons exceptionnelles pour lesquelles il rachetait la promesse de Pierre que l'impôt serait payé. Les Juifs, qui ne considéraient pas Jésus comme le Messie mais seulement comme un Maître d'une capacité supérieure et un Homme d'une puissance extraordinaire, auraient pu s'offenser s'il avait refusé de payer le tribut exigé de tous les Juifs. D'autre part, si Jésus avait payé la taxe de la manière ordinaire et sans explication, les apôtres, et surtout Pierre, qui avait été le porte-parole de tous dans la grande confession, auraient pu croire qu'il reconnaissait être soumis au temple, et par conséquent moins qu'il ne s'était prétendu être et moins qu'ils ne l'avaient confessé être. La catéchisation à laquelle il avait soumis Pierre avait clairement montré qu'il conservait son droit de Fils du Roi mais condescendait cependant à donner volontairement ce qu'on ne pouvait pas exiger à bon droit. Puis, démontrant de manière concluante sa position exaltée, il fournit l'argent en utilisant une connaissance qu'aucun homme ne possédait.

 

COMME UN PETIT ENFANT[16]

 

Sur la route de Capernüm, les apôtres s'étaient interrogés entre eux, hors de portée, pensaient-ils, des oreilles du Maître; les questions avaient amené une discussion et la discussion une dispute. La question dont ils se souciaient tellement était de savoir qui parmi eux serait le plus grand dans le royaume des cieux. Le témoignage qu'ils avaient reçu les convainquait, au-delà de toute possibilité de doute, que Jésus était le Christ tant attendu, et cette conviction avait été fortifiée et confirmée par le fait qu'il avait reconnu sans restriction être le Messie. L’esprit encore influencé de l'espoir traditionnel que le Messie serait à la fois Seigneur spirituel et roi temporel, et se souvenant de quelques-unes des allusions fréquentes que le Maître faisait à son royaume et à l'état béni de ceux qui y appartenaient, et se rendant en outre compte que ses dernières paroles indiquaient une crise ou une apogée proche dans son ministère, ils s'abandonnaient à la contemplation égoïste de leur rang futur dans le nouveau royaume et des postes de confiance et d'honneur bien rétribués que chacun désirait le plus. Qui parmi eux serait premier ministre, qui serait chancelier, qui commanderait les troupes? L’ambition personnelle avait déjà engendré la jalousie dans leur cœur.

 

Lorsqu'ils furent ensemble avec Jésus dans la maison de Capernaüm, le sujet fut abordé de nouveau. Marc nous dit que Jésus demanda: «De quoi discutiez-vous en chemin?» A cela, ils ne répondirent pas, parce que, comme on peut le penser, ils étaient honteux. D'après le texte de Matthieu, on peut comprendre que les apôtres soumirent la question à la décision du Maître. La différence apparente dans les détails n'a pas d'importance; les deux récits sont corrects; la question que le Christ leur posa peut les avoir finalement amenés à le questionner. Jésus, comprenant leurs pensées et connaissant l'état non éclairé de leur esprit sur le sujet qui les troublait, leur donna une leçon illustrée. Appelant un petit enfant, qu'il prit avec amour dans son bras, il dit: «En vérité, je vous le dis, si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. C'est pourquoi, quiconque se rendra humble comme ce petit enfant sera le plus grand dans le royaume des cieux. Et quiconque reçoit en mon nom un petit enfant comme celui-ci, me reçoit moi-même. Mais si quelqu'un était une occasion de chute pour un de ces petits qui croient en moi il serait avantageux pour lui qu'on suspende à son cou une meule de moulin, et qu'on le noie au fond de la mer.» Nous pouvons avec profit associer à cette leçon un enseignement ultérieur selon lequel les petits enfants représentent le royaume des cieux.[17]

 

Mais les apôtres avaient, eux aussi, besoin d'être convertis[18]; dans le sujet en discussion leur cœur était, du moins en partie, détourné de Dieu et de son royaume. Ils devaient apprendre que l'humilité réelle est une qualité essentielle pour devenir citoyen dans la communauté des élus, et que le degré d'humilité conditionne ce que l'on peut apparenter à un rang dans le royaume, car les plus humbles y seront les plus grands.

 

Le Christ ne voulait pas que les représentants qu'il avait choisis deviennent puérils; loin de là, ils devaient être des hommes courageux, fermes et forts; mais il voulait qu'ils deviennent semblables à des enfants. Cette distinction est importante. Ceux qui appartiennent au Christ doivent devenir comme des petits enfants en obéissance, en sincérité, en confiance, en pureté, en humilité et en foi. L’enfant croit simplement, naturellement et avec confiance; celui qui est puéril est insouciant, insensé et négligent. Pour faire la distinction entre ces caractéristiques, notez le conseil de Paul: «Frères, ne soyez pas des enfants au point de vue du jugement, mais pour le mal soyez de petits enfants, et pour le jugement, soyez des hommes faits[19].» Les enfants proprement dits et les enfants comme modèles des adultes qui croient vraiment, sont étroitement associés dans cette leçon. Quiconque offensera, c'est-à-dire fera trébucher un de ces enfants du Christ, encourra une culpabilité si grande qu'il aurait mieux valu qu'il trouvât la mort même par violence avant d'avoir ainsi péché.

 

S'étendant sur les offenses, ou les causes de chute, le Seigneur poursuivit: «Malheur au monde à cause des occasions de chute! Car il est inévitable qu'il se produise des occasions de chute, mais malheur à l'homme par qui elles se produisent!» Puis, répétant certaines des vérités précieuses qui se trouvent dans son mémorable sermon sur la montagne[20], il les exhorta à surmonter les tendances mauvaises quel que fût le sacrifice. De même qu'il vaut mieux qu'un homme subisse une intervention chirurgicale même s'il perd par là une main, un pied ou un œil, plutôt que de mettre en danger son corps tout entier et perdre la vie, de même il est recommandé qu'il coupe, arrache ou déracine de son âme les passions du mal qui, s'il les y laisse, l'amèneront certainement sous la condamnation. Dans cet état, sa conscience le rongera comme un vers qui ne meurt pas, et son remords sera comme un feu inextinguible. Toutes les âmes humaines seront mises à l'épreuve comme par le feu; et de même que la chair des sacrifices de l'autel devait être assaisonnée de sel, symbole de protection contre la corruption[21], de même l'âme doit recevoir le sel sauveur de l'Evangile; et ce sel doit être pur et puissant, et non un mélange sale de préjugés hérités et de traditions inautorisées qui a perdu le peu de salinité qu'elle a pu avoir eue autrefois. «Ayez du sel en vous-mêmes, et soyez en paix les uns avec les autres», recommanda le Seigneur aux Douze qui discutaient[22].

 

Le Sauveur adressa aux apôtres un avertissement solennel et une constatation profonde qui s'appliquent aussi bien aux enfants d'âge tendre qu'aux croyants enfantins jeunes et vieux: «Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits, car je vous dis que leurs anges dans les cieux voient continuellement la face de mon Père qui est dans les cieux.» Le Christ expliqua que sa mission était de sauver ceux qui sont temporairement perdus et qui, sans son aide, seraient perdus à jamais. Expliquant ce qu'il voulait dire, le Maître proposa une parabole qui compte parmi les trésors littéraires du monde.

 

LA PARABOLE DE LA BREBIS ÉGARÉE[23]

 

«Qu'en pensez-vous? Si un homme a cent brebis, et que l'une d'elles s'égare ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres sur les montagnes, pour aller chercher celle qui s'est égarée? Et, s'il parvient à la retrouver, en vérité je vous le dis, il s'en réjouit plus que pour les quatre-vingt-dix-neuf qui ne se sont pas égarées. De même, ce n'est pas la volonté de votre Père qui est dans les cieux qu'il se perde un seul de ces petits.»

 

Dans cette analogie efficace, le but salvateur de la mission du Christ est souligné. Il est en vérité le Sauveur. Le berger est représenté quittant les quatre-vingt-dix-neuf brebis mises, nous ne pouvons en douter, dans une pâture ou une étable sûre, tandis qu'il s'en va seul dans les montagnes à la recherche de celle qui s'est égarée. Il éprouve plus de joie à retrouver et à ramener la brebis égarée que de savoir que les autres sont toujours en sécurité. Dans une version ultérieure de cette parabole splendide, donnée aux Pharisiens et aux scribes murmurants de Jérusalem, le Maître dit du berger, lorsqu'il trouve la brebis égarée: «Lorsqu'il l'a trouvée, il la met avec joie sur ses épaules, et, de retour à la maison, il appelle chez lui ses amis et ses voisins et leur dit: Réjouissez-vous avec moi, car j'ai trouvé ma brebis qui était perdue. De même, je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de repentance[24]

 

Beaucoup se sont étonnés de ce qu'il puisse y avoir plus de joie à propos de la récupération d'une seule brebis égarée ou du salut d'une seule âme qui était comme perdue, que pour toutes celles qui n'ont pas été en pareil danger. Le berger éprouvait une joie constante à cause des quatre-vingt-dix-neuf qui étaient en sécurité, mais pour lui, ce fut un surcroît de bonheur, plus grand et plus fort du fait de sa douleur récente, lorsque la brebis perdue fut ramenée au troupeau. Dans un chapitre ultérieur nous reviendrons à cette parabole à propos d'autres paraboles de teneur analogue.

 

«EN MON NOM»[25]

 

Poursuivant la leçon illustrée par le petit enfant, Jésus dit: «Quiconque reçoit en mon nom ce petit enfant, me reçoit moi-même; et quiconque me reçoit, reçoit celui qui m'envoyé. Car celui qui est le plus petit parmi vous tous, c'est celui-là qui est grand.» Il se peut que ce soit l'allusion faite par le Christ aux actions accomplies en son nom qui poussa Jean à introduire ici une remarque: «Maître, nous avons vu un homme qui chasse des démons en ton nom; et nous l'en avons empêché, parce qu'il ne (te) suit pas avec nous.» «Ne l'en empêchez pas», lui répondit Jésus; «en effet, celui qui n'est pas contre vous est pour vous.» Le jeune apôtre avait laissé son zèle pour le nom du Maître le conduire à l'intolérance. Nous ne pouvons douter que l'homme qui avait essayé de faire du bien au nom de Jésus était de toute évidence sincère, et que ses efforts étaient acceptables au Seigneur; son acte était essentiellement différent de l'usurpation d'autorité pour laquelle d'autres furent réprimandés plus tard[26]; il croyait certainement au Christ, et était peut-être de la catégorie dans laquelle le Seigneur allait bientôt choisir et charger d'autorité des ministres particuliers et les soixante-dix[27]. Dans l'état d'opinions contradictoires qui existait alors parmi le peuple au sujet de Jésus, il n'était que juste de dire que tous ceux qui n'étaient pas opposés à lui étaient au moins provisoirement de son côté. En d'autres occasions il affirma que ceux qui n'étaient pas avec lui étaient contre lui[28].

 

MON FRÈRE ET MOI[29]

 

La bonne méthode pour régler les différends entre les frères et les principes fondamentaux de la discipline de l'Eglise fit l'objet d'enseignements pour les Douze. La première étape est décrite de la manière suivante: «Si ton frère a péché, va et reprends-le seul à seul. S'il t'écoute, tu as gagné ton frère.» La règle des rabbis était que celui qui commettait l'offense devait faire le premier pas; mais Jésus enseigna que la personne lésée ne devait pas attendre que son frère vienne à elle mais aller elle-même chercher à arranger les choses; ce faisant, elle pourrait sauver l'âme de son frère. Si l'offenseur se révélait obstiné, le frère qui avait subi l'offense devait se faire accompagner de deux ou trois personnes et essayer de nouveau d'amener le transgresseur à se repentir et à reconnaître son offense; ce procédé fournissait des témoins, par la présence desquels on pouvait se protéger contre des récits déformés ultérieurs.

 

On ne devait avoir recours à des mesures extrêmes que lorsque tous les moyens de conciliation avaient échoué. Si l'homme persistait dans son obstination, le cas devait être amené devant l'Eglise, et au cas où il négligerait ou refuserait d'obéir à la décision de l'Eglise, il devait être privé de la camaraderie des autres, devenant ainsi dans ses relations avec ses anciens compagnons «comme un païen et un péager». Dans cette situation, où il ne serait plus membre, il devrait faire l'objet de l'effort missionnaire; mais tant qu'il ne devenait pas repentant et ne manifestait pas le désir de s'amender, il ne pouvait réclamer aucun des droits et des prérogatives des membres de l'Eglise. Si on continuait à fréquenter le pécheur non repentant, il y avait risque que ses mauvais sentiments se répandent et que ses péchés contaminent les autres. La justice ne doit pas être détrônée par la Miséricorde. L’ordre révélé de la discipline dans l'Eglise rétablie est semblable à celui qui fut donné aux apôtres d'autrefois[30].

 

Le Seigneur attesta l'autorité des Douze d'administrer les affaires du gouvernement de l'Eglise en confirmant au groupe la promesse qu'il avait adressée précédemment à Pierre: «En vérité je vous le dis, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel[31]» S'ils étaient unis dans leurs intentions et si leur sincérité était sans réserve, Dieu leur donnerait de l'autorité, comme en témoigne l'assurance que le Maître leur donna ensuite: «Je vous dis encore que si deux d'entre vous s'accordent sur la terre pour demander quoi que ce soit, cela leur sera donné par mon Père qui est dans les cieux. Car là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux.» Pierre l'interrompit ici par une question: «Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu'il péchera contre moi? Jusqu'à sept fois?» Il aurait bien voulu voir fixer une limite précise, et il considérait probablement que la proposition de sept fois était une mesure très libérale, étant donné que les rabbis prescrivaient seulement que l'on devait pardonner trois fois[32]. Il se peut qu'il ait choisi sept, qui était après le chiffre trois le chiffre suivant qui avait un sens pharisaïque particulier. La réponse du Sauveur l'éclaira: «Jésus lui dit: Je ne te dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à soixante-dix fois sept fois.» Cette réponse a dû signifier pour Pierre, comme elle le signifie pour nous, que l'homme ne peut mettre aucune limite au pardon; cependant, le pardon doit être mérité par le bénéficiaire[33]. Cet enseignement fut rendu mémorable par l'histoire suivante:

 

PARABOLE DU SERVITEUR IMPITOYABLE

 

«C'est pourquoi, le royaume des cieux est semblable à un roi qui voulut faire rendre compte à ses serviteurs. Quand il se mit à compter, on lui en amena un qui devait dix mille talents. Comme il n'avait pas de quoi payer, son maître ordonna de le vendre, lui, sa femme, et ses enfants, et tout ce qu'il avait, et de payer sa dette. Le serviteur se jeta à terre, se prosterna devant lui et dit: [Seigneur], prends patience envers moi, et je te paierai tout. Touché de compassion, le maître de ce serviteur le laissa aller et lui remit sa dette. En sortant, ce serviteur trouva un de ses compagnons qui lui devait cent deniers. Il le saisit et le serrait à la gorge en disant: Paie ce que tu [me] dois. Son compagnon se jeta à ses pieds et le suppliait disant: Prends patience envers moi, et je te paierai. Mais lui ne voulut pas; il alla le jeter en prison, jusqu'à ce qu'il ait payé ce qu'il devait - Ses compagnons, voyant ce qui arrivait, furent profondément attristés, et ils allèrent raconter à leur maître tout ce qui s'était passé. Alors le maître fit appeler ce serviteur et lui dit: Méchant serviteur, je t'avais remis en entier ta dette, parce que tu m'en avais supplié; ne devais-tu pas avoir pitié de ton compagnon, comme j'ai eu pitié de toi? Et son maître irrité le livra aux bourreaux jusqu'à ce qu'il ait payé tout ce qu'il devait. C'est ainsi que mon Père céleste vous traitera si chacun de vous ne pardonne à son frère de tout son cœur[34]

 

Les dix mille talents qui sont spécifiés expriment une somme si grande qu'elle mettait sans aucun doute le débiteur dans l'impossibilité raisonnable de payer. Nous devons considérer que l'homme était un fonctionnaire de confiance, un des ministres du roi, qui avait été chargé de la garde des revenus royaux, ou l'un des principaux trésoriers des impôts; le fait qu'on l'appelle serviteur n'introduit aucune contradiction, puisque dans une monarchie absolue tous, sauf le souverain, sont sujets et serviteurs. La vente de la femme et des enfants du débiteur et de tout ce qu'il avait n'aurait pas été une violation de la loi dans le cas proposé, ce qui implique que l'esclavage était légalement reconnu[35]. L’homme était en retard dans le paiement de ses dettes. Il ne venait pas volontairement devant son seigneur, il fallut l'amener. De même dans les affaires de notre vie personnelle les comptes périodiques sont inévitables; et tandis que certains débiteurs se présentent volontairement, il en est d'autres qu'il faut citer à comparaître. Les messagers qui présentent la sommation peuvent être l'adversité, la maladie, l'approche de la mort; mais quels qu'ils soient, ils nous obligent à rendre nos comptes.

 

Le contraste entre dix mille talents et cent deniers est énorme[36]. Lorsque son compagnon le supplia de lui donner du temps pour payer les cent deniers, cela aurait dû rappeler à l'autre, qui était un plus grand débiteur, le mauvais pas dont il venait de sortir; les mots: «aie patience envers moi, et je te paierai», étaient identiques à ceux de la prière qu'il adressa lui-même au roi. La vile ingratitude du serviteur impitoyable justifia le roi lorsqu'il révoqua le pardon qu'il avait accordé précédemment. L’homme tomba sous la condamnation, non pas principalement pour détournement de fonds et dettes, mais pour manque de miséricorde. Lui, plaignant injuste, avait invoqué la loi; transgresseur condamné, il devait être traité conformément à la loi. La miséricorde est pour les miséricordieux. Joyau céleste, il faut la recevoir avec gratitude et l'utiliser avec sainteté, et non la jeter dans le bourbier de l'indignité. La justice peut exiger le châtiment: «On vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez[37].» Les conditions dans lesquelles nos pouvons implorer en confiance le pardon sont exposées sous la forme de la prière que le Seigneur prescrivit: «Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés[38]

 

NOTES DU CHAPITRE 24

 

1. La foi en faveur des autres : La supplication du père éperdu au profit de son fils cruellement affligé: «Viens à notre secours, aie compassion de nous» (Mc 9:22), montre qu'il faisait sienne la cause du garçon. Cela nous rappelle la Cananéenne qui implora Jésus d'avoir pitié d'elle, bien que la personne affligée fût sa fille (Mt 15:22, p. 387 supra). Dans ces cas, d'autres personnes que l'intéressée exercèrent leur foi en faveur de ceux qui souffraient; et il en est de même pour le centenier qui plaida pour son serviteur et dont Jésus félicita spécialement la foi (Mt 8:5-10, p. 273 supra), de Jaïrus dont la fille était morte (Lc 8:41, 42, 49, 50, p. 343 supra), et pour beaucoup qui amenèrent leurs parents ou leurs amis impuissants au Christ et plaidèrent en leur faveur. Comme nous l'avons montré jusqu'à présent, la foi pour être guéri est aussi réellement un don de Dieu que la foi pour guérir (p. 348): et, comme les exemples cités le prouvent, on peut exercer efficacement la foi en faveur d'autrui. Lorsqu'ils appliquent l'ordonnance de la bénédiction des affligés en oignant d'huile et en imposant les mains, établie par l'autorité dans l'Eglise rétablie de Jésus-Christ, les anciens qui officient doivent encourager tous ceux qui sont là à manifester leur foi, afin qu'elle s'exerce en faveur du patient. Dans le cas des tout petits enfants et des personnes qui ne sont pas conscientes, il est évidemment inutile de demander d'eux des manifestations actives de leur foi, et le soutien de la foi des parents et des amis est d'autant plus nécessaire.

 

2. La prière et le jeûne accroissent la puissance : La déclaration du Sauveur concernant l'esprit mauvais que les apôtres étaient incapables de soumettre: «Mais cette sorte de démon ne sort que par la prière et par le jeûne», indique qu'il y a une gradation dans la malignité et les pouvoirs mauvais des démons, et qu'il y a également une gradation dans les résultats des divers degrés de foi. Les apôtres qui échouèrent lors de l'événement auquel nous pensons avaient été à même de chasser des démons à d'autres moments. Le jeûne, quand on le pratique avec prudence, et la prière sincère aident au développement de la foi et de la possibilité de faire le bien. Chacun peut appliquer ce principe avec profit. Avez-vous une faiblesse qui vous obsède, une habitude perverse que vous avez vainement essayé de surmonter? Comme le démon malin que le Christ réprimanda dans le garçon, votre péché peut être d'une espèce qui ne s'en va que par la prière et par le jeûne.

 

3. Rien n'est impossible à la foi : Beaucoup de personnes ont douté que la déclaration du Seigneur que par la foi on peut déplacer des montagnes soit vraie au sens littéral. Il est évident que pour que l'on puisse exercer cette foi dans une entreprise de ce genre, il faudrait que le but en soit conforme à l'intention et au plan divins. En outre, pareil miracle, ni aucun autre, n'est possible quand il ne s'agit que de satisfaire les désirs de la curiosité, ou pour faire étalage ou pour les profits personnels ou la satisfaction égoïste. Le Christ n'accomplit aucun miracle dans un but pareil; il refusa avec persistance de montrer des miracles à de simples chercheurs de miracles. Mais nier la possibilité qu'une montagne soit déplacée par la foi, dans des conditions qui rendraient pareil déplacement acceptable à Dieu, c'est nier la parole de Dieu, non seulement à propos de cette possibilité déterminée mais aussi quant à la certitude générale que «rien n'est impossible» à celui qui a la foi nécessaire pour le but désiré. Il vaut cependant d'être remarqué que les Juifs de l'époque du Christ et depuis parlaient souvent de déplacer des montagnes, ce qui était une expression figurée signifiant surmonter des difficultés. Selon Lightfoot et d'autres autorités, on disait d'un homme qui pouvait résoudre des problèmes complexes ou qui était doué d'un pouvoir particulier dans les discussions ou de perspicacité dans son jugement que c'était un «déracineur de montagnes».

 

4. Le tribut du temple : Le fait que l'argent du tribut auquel il est fait allusion dans le texte était une contribution juive au temple et non un impôt prélevé par le gouvernement romain, apparaît clairement dans la précision des deux «drachmes». Cette monnaie valait un quart de sicle, «selon le sicle du sanctuaire», lequel était le montant fixé que devaient payer annuellement tous les hommes «depuis l'âge de vingt ans et au-dessus», prévoyant que «le riche ne paiera pas plus, et le pauvre ne paiera pas moins» (Ex 30:13-15). Un impôt levé par les pouvoirs politiques ne serait pas appelé la drachme. En outre, si le percepteur qui aborda Pierre avait été l'un des publicains officiels, il aurait probablement exigé la taxe au lieu de demander si oui ou non le Maître devait être compté parmi les contribuables.

 

Parmi les nombreuses humiliations auxquelles les Juifs furent soumis dans les années ultérieures, après la destruction du temple, il y eut le paiement obligatoire de ce qui avait été leur tribut au temple, aux Romains, qui le décrétèrent comme revenu au temple païen de Jupiter Capitolinus. Josèphe (Guerres des Juifs, VII, 6-6) dit à propos de l'empereur Vespasien: «Il imposa également un tribut partout où ils étaient et commanda à chacun d'eux d'apporter annuellement deux drachmes au Capitole, étant donné qu'ils payaient cela au temple de Jérusalem. »

 

5. Talents et deniers : Il est évident qu'en disant que la somme due au roi était de dix mille talents et que la dette de l'autre serviteur était de cent deniers, le Seigneur voulait présenter un cas de grande inégalité et de contraste frappant. Les montants réels dont il est question ont une importance mineure dans l'histoire. On ne nous parle pas de quelle espèce de talent il est question; il y avait des talents attiques, et également des talents d'argent et d'or faisant partie du calcul hébraïque; et chacun avait une valeur différente des autres. L’explication marginale de la version d'Oxford est: «Un talent est sept cent cinquante onces d'argent, ce qui, à cinq shillings l'once, représente cent-quatre-vingt-sept livres, dix shillings.» Les dix mille talents feraient ainsi en argent américain neuf millions et quart de dollars. La même autorité donne comme valeur du denier (romain), sept pence et un demi-penny, ce qui rend la deuxième dette équivalente à quinze dollars environ. On peut comparer ce taux aux talents mentionnés ailleurs. Trench dit: «Nous pouvons nous représenter d'une manière extrêmement frappante combien la somme était vaste en la comparant à d'autres sommes mentionnées dans les Ecritures. Dans la construction du tabernacle, on utilisa vingt-neuf talents d'or (Ex 38:24); David prépara pour le temple trois mille talents d'or, et les princes, cinq mille (1 Ch 29:4-7), la reine de Saba remit à Salomon cent vingt talents (1 Rois 10:10), le roi d'Assyrie mit sur Ezéchias trente talents d'or (2 R 18:14), et dans l'appauvrissement extrême auquel le pays fut amené en fin de compte, un talent d'or lui fut imposé par le roi d'Egypte après la mort de Josias (2 Ch 36:3).» Farrar estime que la dette due au roi était 1250 000 fois plus grande que celle que devait le petit débiteur au grand.

 

6. La théorie selon laquelle le Sauveur approuvait l'esclavage : Certains lecteurs ont cru trouver dans la parabole du serviteur impitoyable une approbation sous-entendue de l'institution de l'esclavage. Le grand débiteur de cette histoire devait être vendu avec sa femme, ses enfants et tout ce qu'il avait. Si l'on examine raisonnablement l'histoire dans son ensemble, on trouvera tout au plus, dans cet incident où le roi commande que l'on vende le débiteur et sa famille, que le système d'achat et de vente des serviteurs, serfs ou esclaves était légalement reconnu à l'époque. L’objectif de la parabole n'était pas, même de loin, d'approuver ou de condamner l'esclavage ou n'importe quelle autre institution sociale. La loi mosaïque est explicite dans les problèmes relatifs aux serviteurs. «L’ange de l'Eternel» qui apporta à Agar un message d'encouragement et de bénédiction respecta l'autorité de sa maîtresse (Gn 16:8,9). A l'époque apostolique, les enseignements visaient à une vie droite suivant la loi séculière, pas à la révolte contre le système (Ep 6:5, Col 3:22, 1 Tm 6:1-3, 1 P 2:18). Ce n'est pas parce qu'on reconnaît des coutumes, des institutions et des lois établies et qu'on s'y conforme qu'on les approuve nécessairement. L’Evangile de Jésus-Christ, qui doit un jour régénérer le monde, prévaudra, non par des attaques révolutionnaires contre les gouvernements existants, ni par l'anarchie et la violence - mais en enseignant à chacun son devoir et en répandant l'esprit d'amour. Quand l'amour de Dieu recevra une place dans le cœur des hommes, quand les hommes aimeront leur prochain avec désintéressement, alors les systèmes sociaux et les gouvernements seront formés pour assurer le plus grand bien à la majorité. Tant que les hommes n'ouvriront pas le cœur pour recevoir l'Evangile de Jésus-Christ, on peut être sûr que l'injustice et l'oppression, la servitude et l'esclavage régneront sous une forme ou sous une autre. Les tentatives d'extirper les situations sociales qui résultent de l'égoïsme des individus ne peuvent être que futiles tant que l'on permettra à l'égoïsme de prospérer et de se propager.

 



[1] Cf. 2 P 1:18.

[2] Lc 9:37.

[3] Mt 17:14-21; Mc 9:14-29; Lc 9:37-42.

[4] Note 1, fin du chapitre.

[5] Cf . Mt 12:40-45.

[6] Mc 6:12,13; cf. verset 7, aussi 3:15; Mt 10:1.

[7] Note 2, fin du chapitre.

[8] Mt 14:31, 16:8; Lc 8:25. 

[9] Mt 17:20; cf. 21:21; Mc 11:23; Lc 17:6; voir aussi note 3, fin du chapitre.

[10] Comparer avec la parabole du grain de moutarde, pages 317 et 318.

[11] Mt 17:22-23; Mc 9:30-32; Lc 9:44,45.

[12] Mt 17:24-27.

[13] Note 4, fin du chapitre.

[14] Ex 30:13, 38:26. Page 188.

[15] Jn 20:17.

[16] Mt 18:1-11; Mc 9:33-37; 42, Lc 9:46-48.

[17] Mt 19:13-15; Mc 10: 13-16; Lc 18:15-17.

[18] Cf. Lc 22:32.

[19] 1 Co 14:20; cf. 13: 11, Mt 11: 25; Ps 131:2.

[20] Page 256.

[21] Mc 9:49,50; cf. Lv 2:13; Ez 43:24.

[22] Mc 9:43-50; cf. Mt 18:8,9. Page 254 supra.

[23] Mt 18:12-14; cf Lc 15:3-7 où on trouve une répétition de l'impressionnante parabole donnée ultérieurement aux Pharisiens et aux scribes à Jérusalem avec une application quelque peu différente.

[24] Lc 15:1-7. Voir en outre page 495 infra.

[25] Lc 9:48-50, Mc 9:37-41.

[26] Comparer avec le cas des fils de Scéva, Ac 19:13-17.

[27] Cf. Lc 9:52, 10:1.

[28] Mt 12:30; Lc 11:23.

[29] Mt 18:15-20; cf. Lc 17:3, 4.

[30] Cf. D&A 20:80, 42:88-93, 98:39-48.

[31] Mt 18:18; cf. 16:19 et Jn 20:30.

[32] Ils basaient cette limitation sur Am 1:3 et Jb 33:29.

[33] Cf. Lc 17:3, 4.

[34] Mt 18:23-35.

[35] Cf. 2 R 4: 1, Lv 25:39.

[36] Note 5, fin du chapitre.

[37] Mt 7:1; voir aussi verset 6.

[38] Mt 6:12; cf. Lc 11:4, LM, 3 Né 13:11; page 262.

 

 

 

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