CHAPITRE 22 : UNE PÉRIODE D'OPPOSITION CROISSANTE Le dernier discours que
nous ayons du Seigneur dans la synagogue de Capernaüm, qui suivit de près
le miracle de la multiplication des pains et celui de la marche sur les
eaux, marqua le commencement d'une autre époque dans l'évolution de l'œuvre
de sa vie. C'était l'approche de la fête de la Pâque[1];
à la Pâque suivante, un an plus tard, comme nous le montrerons, Jésus
serait trahi et mourrait. Donc, à l'époque dont nous parlons maintenant,
commençait la dernière année de son ministère dans la chair. Mais
l'importance de cet événement est différente et plus grande qu'un point
de repère chronologique. Cet événement marquait la première étape
d'un changement dans la vague de respect populaire envers Jésus, laquelle
jusqu'alors était allée en augmentant et commençait maintenant à se
retirer. Il avait été, il est vrai, critiqué et attaqué ouvertement à
maintes reprises par des Juifs mécontents, en de nombreuses occasions antérieures;
mais ces critiques rusés et même venimeux appartenaient surtout aux
classes dirigeantes; le commun des mortels l'écoutait avec joie, et de
fait beaucoup de personnes continuèrent à l'écouter ainsi[2];
néanmoins sa popularité, du moins en Galilée, avait commencé à
diminuer. La dernière année de son ministère terrestre commença par un
passage au crible du peuple qui professait croire en sa parole, et ce
processus de mise à l'épreuve et de tri devait se poursuivre jusqu'à la
fin. Nous n'avons aucun
renseignement nous informant que Jésus ait assisté à cette fête de la
Pâque; il est raisonnable d'en déduire qu'étant donné l'hostilité
croissante des dirigeants, il s'abstint d'aller à Jérusalem cette fois-là.
Il serait inutile de faire des suppositions sur le point de savoir si l'un
des Douze alla à la fête; on ne nous le dit pas. Ce qui est certain,
c'est qu'immédiatement après cette époque-là les détectives et les
espions qui avaient été envoyés de Jérusalem en Galilée pour observer
Jésus devinrent plus actifs que jamais dans leur espionnage critique. Ils
le suivaient à la piste, notaient chacun de ses actes et chaque occasion
où il omettait une observance traditionnelle, coutumière, et étaient
constamment en alerte pour faire de lui un transgresseur. ABLUTIONS
CÉRÉMONIELLES ET «BEAUCOUP D'AUTRES CHOSES SEMBLABLES»[3] Peu après la Pâque à
laquelle nous avons fait allusion, et sans doute conformément à un plan
prévu par les gouverneurs juifs, Jésus reçut la visite d'une délégation
de Pharisiens et de scribes venus de Jérusalem qui protestèrent contre
le mépris que manifestaient ses disciples pour les exigences
traditionnelles. Il semble que les disciples, et presque certainement le
Maître lui-même, avaient transgressé «la tradition des anciens», au
point d'omettre les ablutions cérémonielles des mains avant de manger;
les critiques pharisaïques s'offusquèrent et vinrent exiger des
explications et une justification si pareille chose était possible. Marc
nous dit que les disciples furent accusés d'avoir mangé avec des mains
«impures», et il interpole la note concise et lucide suivante concernant
la coutume que les disciples avaient l'audace d'ignorer: «Or, les
Pharisiens et tous les Juifs ne mangent pas sans s'être soigneusement lavé
les mains, parce qu'ils tiennent à la tradition des anciens. Et, quand
ils reviennent de la place publique, ils ne mangent qu'après avoir fait
les aspersions (rituelles). Ils ont encore beaucoup d'autres observances
traditionnelles, comme le lavage des coupes, des cruches et des vases de
bronze.» Il faut garder à l'esprit que l'offense dont les disciples étaient
accusés était celle de l'impureté cérémonielle, pas de l'impureté
physique ou de la négligence de l'hygiène; on disait qu'ils avaient mangé
avec des mains impures, mais pas précisément avec des doigts sales. Les
Juifs insistaient pour que l'on appliquât scrupuleusement toutes les
pratiques externes de leur religion humaine; il fallait se protéger
soigneusement de toute possibilité de se souiller cérémoniellement, et
il fallait en contrecarrer les effets par les ablutions prescrites[4]. A la question: «Pourquoi
tes disciples transgressent-ils la tradition des anciens? Car ils ne se
lavent pas les mains, quand ils prennent leur pain», Jésus ne répondit
pas directement et répliqua en demandant: «Et vous, pourquoi
transgressez-vous le commandement de Dieu au profit de votre tradition?»
Dans l'esprit des Pharisiens ce dut être là une réprimande très
violente, car le rabbinisme prétendait que se conformer rigoureusement
aux traditions des anciens était plus important qu'observer la loi elle-même;
et Jésus, dans sa question-réponse, montrait que leurs chères
traditions étaient en conflit direct avec le commandement de Dieu.
Augmentant leur déconfiture, il cita la prophétie d'Esaïe et leur
appliqua les paroles du prophète, à eux qu'il appelait hypocrites: «Esaïe
a bien prophétisé sur vous, ainsi qu'il est écrit: «Ce peuple m'honore des lèvres,
mais son coeur est très éloigné de moi. C'est en vain qu'ils me rendent
un culte, en enseignant des doctrines (qui ne sont que) préceptes
humains~» Avec une sévérité méritée,
Jésus fit porter directement la leçon sur leur conscience, déclarant
qu'ils avaient mis de côté les commandements de Dieu afin de suivre les
traditions des hommes. Après cette affirmation
accusatrice, vint la citation d'un exemple indéniable: Moïse avait
exprimé le commandement direct de Dieu en disant: «Honore ton père et
ta mère» et avait proclamé comme suit le châtiment prescrit dans les
cas extrêmes de mauvaise conduite vis-à-vis des parents: «Celui qui
maudira son père ou sa mère sera puni de mort[5]»;
mais cette loi, bien que donnée directement par Dieu à Israël, avait été
si complètement remplacée que n'importe quel fils ingrat et méchant
pouvait trouver un moyen facile, que leurs traditions rendaient légal, d'échapper
à toute obligation filiale, même si ses parents étaient dans le dénuement.
Si un père ou une mère dans le besoin demandait de l'aide à un fils,
celui-ci n'avait qu'à dire: Ce dont j'aurais pu t'assister est corban -
ou en d'autres termes, un don destiné à Dieu, et il était considéré légalement
exempté de toute obligation de donner une partie de ce bien pour
entretenir ses parents[6]. D'autres obligations
pouvaient être contournées de la même manière. Déclarer qu'un article
quelconque de biens fonciers ou personnels, ou une partie ou proportion
quelconque de ses possessions était «corban», était considéré comme
une affirmation que le bien ainsi caractérisé était consacré au
temple, ou du moins était destiné à être consacré à des buts ecclésiastiques
et serait finalement remis aux fonctionnaires, bien que le donateur pût
continuer à en garder la possession pendant une période déterminée, s'étendant
même jusqu'à la fin de sa vie. Les biens étaient souvent déclarés «corban»
pour d'autres buts que la consécration à l'usage ecclésiastique. Ces
traditions établies, bien que totalement illégales et pernicieuses,
avaient pour résultat, comme Jésus le déclara avec force aux Pharisiens
et aux scribes, de rendre nulle la parole de Dieu, et il ajouta: «vous
faites bien d'autres choses semblables». Se détournant de ses
nobles visiteurs, il réunit le peuple et lui proclama la vérité, comme
suit: «Ecoutez-moi tous et comprenez. Il n'est rien qui du dehors entre
dans l'homme qui puisse le rendre impur; mais ce qui sort de l'homme, voilà
ce qui le rend impur. Si quelqu'un a des oreilles pour entendre, qu'il
entende.» Cela était directement en conflit avec le précepte et la
pratique rabbiniques; les Pharisiens furent offensés, car ils avaient dit
que manger avec des mains qui n'étaient pas rituellement purifiées, c'était
souiller la nourriture touchée, et par conséquent devenir encore plus
souillé de la nourriture ainsi rendue impure. Les apôtres n'étaient
pas certains de bien comprendre la leçon du Maître. Bien que présentée
dans un langage clair et non figuré, elle ressemblait beaucoup à une
parabole pour certains d'entre eux, et Pierre demanda un exposé. Le
Seigneur expliqua que la nourriture que l'on mange ne fait que
temporairement partie du corps: ayant rempli son but, à savoir nourrir
les tissus et fournir l'énergie à l'organisme, elle est éliminée; par
conséquent la nourriture qui entre dans le corps par la bouche n'a qu'une
importance réduite et transitoire, si on la compare aux paroles qui
sortent de la bouche, car celles-ci, si elles sont mauvaises, souillent réellement.
Comme Jésus l'exposa: «Ce qui sort de la bouche provient du cœur, et
c'est ce qui rend l'homme impur. Car c'est du cœur que viennent les
mauvaises pensées, meurtres, adultères, prostitutions, vols, faux témoignages,
blasphèmes. Voilà ce qui souille l'homme; mais manger sans s'être lavé
les mains, cela ne rend pas l'homme impur[7].» Certains des disciples
demandèrent à Jésus s'il savait que les Pharisiens avaient été
scandalisés de ce qu'il disait; sa réponse fut une nouvelle dénonciation
du pharisaïsme. «Toute plante qui n'a pas été plantée par mon Père céleste
sera déracinée. Laissez-les: ce sont des aveugles qui conduisent des
aveugles. Si un aveugle conduit un aveugle, ils tomberont tous deux dans
une fosse.» Il ne pouvait pas y avoir de compromis entre sa doctrine du
royaume et le judaïsme corrompu de l'époque. Les dirigeants complotaient
contre sa vie; si leurs émissaires décidaient de s'offenser de ses
paroles, qu'ils s'offensent et en subissent les conséquences; mais bénis
seraient-ils s'ils n'étaient pas offensés à cause de lui[8].
Il n'avait pas de mesures de conciliation à offrir à ceux dont
l'incapacité de comprendre ce qu'il voulait dire était le résultat
d'une obstination volontaire ou de ténèbres de l'esprit provenant de
leur persistance à pécher. SUR
LE TERRITOIRE DE TYR ET DE SIDON[9] Incapable de trouver en
Galilée du repos, de la solitude ou l'occasion convenable d'instruire les
Douze comme il désirait le faire, Jésus partit avec eux vers le nord et
se rendit sur la côte ou le territoire de la Phénicie, région communément
connue du nom de ses villes principales, Tyr et Sidon. Le groupe prit
pension dans des petites villes proches de la frontière; mais la
tentative de trouver de l'intimité était futile, car le Maître «ne put
rester caché». Sa réputation l'avait précédé au-delà des frontières
du pays d'Israël. En des occasions précédentes, des gens de la région
de Tyr et de Sidon s'étaient trouvés parmi les auditeurs, et certains
d'entre eux avaient été bénis de sa miséricorde guérisseuse[10]. Une femme, apprenant sa présence
dans son pays, vint demander une faveur. Marc nous dit qu'elle était
grecque, ou plus littéralement qu'elle faisait partie des Gentils[11]
qui parlaient grec; elle était Syrophénicienne de nationalité; Matthieu
dit que c'était «une femme cananéenne»; ces déclarations s'accordent
puisque les Phéniciens descendaient des Cananéens. Les historiens évangéliques
déclarent clairement que cette femme était de naissance païenne; et
nous savons que parmi les peuples ainsi classés, les Juifs avaient un mépris
particulier pour les Cananéens. La femme s'adressa à Jésus, s'écriant:
«Aie pitié de moi, Seigneur, Fils de David! Ma fille est cruellement
tourmentée par le démon.» Ses paroles exprimaient immédiatement sa foi
en la puissance du Seigneur et tout un amour de mère, car elle implorait
comme si elle était la patiente affligée. Le fait qu'elle appelât Jésus
Fils de David montre qu'elle croyait qu'il était le Messie d'Israël.
Tout d'abord Jésus s'abstint de lui répondre. Ne se laissant pas décourager,
elle n'en plaida que davantage, jusqu'à ce que les disciples suppliassent
le Seigneur, disant: «Renvoie-la, car elle crie derrière nous.» Leur
intervention était probablement une intercession en sa faveur; on pouvait
la calmer en lui accordant ce qu'elle demandait; pour le moment, elle
faisait une scène indésirable, probablement dans la rue, et les Douze
savaient bien que leur Maître cherchait le calme. Jésus leur dit: «Je
n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël», et
cette remarque dut leur rappeler la restriction qui leur avait été faite
lorsqu'ils avaient été envoyés[12]. La femme, dont le désir
était si importun, s'approcha, entrant peut-être dans la maison; elle
tomba aux pieds du Seigneur et l'adora, suppliant pitoyablement: «Seigneur,
viens à mon secours!» Jésus lui dit: «Il n'est pas bien de prendre le
pain des enfants, et de le jeter aux petits chiens. » [La version du roi
Jacques dit: «Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants, et de le
jeter aux chiens», traduction moins précise que la version de Segond et
qui explique le commentaire que l'auteur en fait dans les lignes suivantes
- N. d. T.]. Les mots, aussi durs qu'ils puissent sonner à nos oreilles,
elle les comprit dans l'esprit de l'intention du Seigneur. Le terme
original traduit ici [dans la version du roi Jacques - N. d. T. 1 par «chiens»
indiquait, comme le montre le récit, non pas les chiens des rues errants
et méprisés dont il est parlé ailleurs dans la Bible et qui symbolisent
un état dégradé ou une perversité réelle[13],
mais plutôt les «petits chiens» [terme employé dans la version Segond
- N. d. T. ] ou animaux domestiques, que l'on laissait entrer dans la
maison et sous la table. Il est certain que la femme ne s'offensa pas de
cette comparaison et n'y trouva aucun qualificatif grossier. A l'instant même
elle adopta l'analogie et l'appliqua dans ce qui était à la fois un
argument et une supplication[14].
«Oui, Seigneur, dit-elle, pourtant les petits chiens mangent les miettes
qui tombent de la table de leurs maîtres»; ou pour employer les termes
de la version de Marc: «Oui, Seigneur, mais les petits chiens sous la
table mangent les miettes des enfants.» Sa prière fut immédiatement
exaucée; car Jésus lui dit: «O femme, ta foi est grande, qu'il te soit
fait comme tu le veux. Et, à l'heure même, sa fille fut guérie.» Marc
souligne que le Seigneur apprécia tout spécialement son plaidoyer final,
et ajoute: «Et quand elle rentra dans sa maison, elle trouva que l'enfant
était étendue sur le lit, et que le démon était sorti.» La
persistance de la femme, dont on peut la féliciter, était basée sur la
foi qui surmonte les obstacles apparents et persiste même dans le découragement.
Et son cas rappelle la leçon que le Seigneur enseigna lors d'une autre
occasion par l'histoire de la veuve importune[15]. Beaucoup ont demandé
pourquoi Jésus retarda sa bénédiction. Il se peut que nous ne soyons
pas à même de sonder ses desseins, mais nous voyons que, par le procédé
qu'il adopta, la foi de la femme fut démontrée et les disciples furent
instruits. Jésus lui fit comprendre qu'elle ne faisait pas partie du
peuple élu à qui il avait été envoyé; mais ses paroles préfiguraient
le moment où l'Evangile serait donné à tous, tant Juif que Gentil: «Laisse
d'abord les enfants se rassasier», avait-il dit. Le Christ ressuscité
devait être révélé à toutes les nations[16] ;
toutefois son ministère personnel en tant que mortel, ainsi que celui des
apôtres tandis qu'il était avec eux dans la chair, s'adressait à la
maison d'Israël[17]. DANS
LE TERRITOIRE DE LA DÉCAPOLE[18] On ne nous dit pas combien
de temps Jésus et les Douze demeurèrent dans le pays de Tyr et de Sidon,
ni quelles parties de la région ils traversèrent. De là ils s'en allèrent
dans la région voisine de la mer de Galilée, à l'est, «en traversant
la contrée de la Décapole»[19].
Bien que se trouvant encore parmi les populations semi-païennes, notre
Seigneur fut accueilli par de grandes foules, parmi lesquelles se
trouvaient beaucoup de paralytiques, d'aveugles, de muets, de mutilés et
de gens affligés d'autres manières encore; et il les guérit. Grand fut
l'étonnement de cette foule d'étrangers, «en voyant les sourds-muets
parler, les estropiés trouver la santé, les boiteux marcher, les
aveugles voir; et elle glorifiait le Dieu d'Israël». Parmi les nombreuses
personnes qui furent guéries il y en avait une dont il est spécialement
fait mention. C'était un homme qui était sourd et qui avait des
difficultés à parler. Le peuple demanda au Seigneur d'imposer les mains
à l'homme; mais Jésus le mena à l'écart de la multitude, mit les
doigts dans les oreilles de l'homme, cracha et toucha la langue de
l'homme; puis levant les yeux en prière et soupirant pendant ce temps-là,
il exprima un commandement en araméen: «Ephphata, c'est-à-dire:
ouvre-toi. Aussitôt ses oreilles s'ouvrirent, sa langue se délia, et il
se mit à parler correctement.» La manière dont il produisit cette guérison
différait de nouveau du mode habituel dont se faisaient les guérisons de
notre Seigneur. Il se peut qu'en touchant les oreilles fermées et la
langue liée, le Maître ait fortifié la foi de l'homme en lui et augmenté
sa confiance en sa puissance. Il fut interdit au peuple de communiquer ce
dont il avait été témoin; mais plus l'ordre était sévère, plus il
publiait la nouvelle. Sa conclusion sur Jésus et ses œuvres était: «Il
fait tout à merveille, il fait même entendre les sourds et parler les
muets.» UN
AUTRE REPAS DANS LE DÉSERT, PLUS DE QUATRE MILLE PERSONNES NOURRIES[20] Pendant trois jours, les
foules réjouies demeurèrent avec Jésus et les apôtres. Camper à cette
époque et dans cette région n'exposait pas à de grandes épreuves par
suite du climat. Cependant ils n'avaient plus de nourriture, et beaucoup
d'entre eux étaient loin de chez eux. Jésus eut compassion du peuple et
répugna à le renvoyer jeûnant, de peur qu'il ne faiblit en chemin.
Lorsqu'il parla de la question aux disciples, ils déclarèrent qu'il était
impossible de nourrir un si grand nombre de personnes, car la quantité
tout entière de nourriture dont on disposait ne se composait que de sept
pains et de quelques petits poissons. Avaient-ils oublié l'événement précédent
où une multitude plus grande encore avait été nourrie et rassasiée
avec cinq pains seulement et deux petits poissons? Nous croyons plutôt
que les disciples se souvenaient bien mais estimaient qu'il était au-delà
de leur devoir ou de leur droit de proposer au Maître de répéter les
miracles. Mais le Maître commanda, et le peuple s'assit par terre. Bénissant
et répartissant les maigres provisions comme il l'avait fait, il donna
aux disciples et ils distribuèrent à la multitude. Quatre mille hommes,
outre les femmes et les enfants, furent abondamment nourris; et il resta
assez de la nourriture rompue mais non mangée pour remplir sept paniers.
Sans aucun semblant de l'enthousiasme turbulent qui avait suivi la première
multiplication pour les cinq mille personnes, cette multitude se dispersa
tranquillement et rentra chez elle, reconnaissante et doublement bénie. NOUVEAU
SIÈGE DES CHERCHEURS DE MIRACLE[21] Jésus et les apôtres
retournèrent par bateau vers la côte occidentale du lac et abordèrent
près de Magdala et Dalmanoutha. On pense que ces villes étaient
si proches l'une de l'autre que la dernière était virtuellement un
faubourg de la première. C'est là que le groupe rencontra les Pharisiens
toujours vigilants qui, en cette occasion, étaient accompagnés de leurs
rivaux ordinairement hostiles, les Sadducéens. Le fait que les deux
parties avaient temporairement mis de côté leurs différends mutuels et
avaient combiné leurs forces dans la cause commune de l'opposition au
Christ est une preuve que les autorités ecclésiastiques étaient bien décidées
à trouver quelque chose à redire contre lui, et si possible, à le
mettre à mort. Leur but immédiat était de continuer à écarter le
commun du peuple de lui, et de contrecarrer l'influence de ses anciens
enseignements auprès des masses. Ils lui retendirent le vieux piège de
lui demander un signe surnaturel prouvant qu'il était le Messie, bien
qu'ils eussent déjà, eux ou d'autres de leur espèce, tenté par trois
fois de le prendre au piège et qu'ils eussent été trois fois déjoués[22].
Avant eux, Satan en personne avait essayé lui-même et avait échoué[23].
Il répondit à leur nouvelle demande impertinente et impie par un refus
bref et final et dénonça leur hypocrisie par la même occasion. Voici
quelle fut sa réponse: «[Le soir, vous dites: Il fera beau, car le ciel
est rouge; et le matin: Il y aura de l'orage aujourd'hui, car le ciel est
d'un rouge sombre. Vous savez discerner l'aspect du ciel et vous ne pouvez
discerner les signes des temps.] Une génération mauvaise et adultère
recherche un signe; il ne lui sera donné d'autre signe que celui de
Jonas. Puis il les laissa et s'en alla[24].» LE
LEVAIN DES PHARISIENS ET DES SADDUCÉENS[25] Se trouvant de nouveau
avec les Douze sur l'eau, puisqu'il n'y avait pas moyen de trouver sur la
côte galiléenne ni la paix, ni l'occasion d'enseigner efficacement, Jésus
dirigea le bateau vers le rivage du nord-est. Lorsqu'ils furent au large,
il dit à ses compagnons: «Gardez-vous attentivement du levain des
Pharisiens et des Sadducéens», et, comme l'ajoute Marc: «Et du levain
d'Hérode.» Dans leur départ précipité, les disciples avaient oublié
de prendre des réserves de nourriture; ils n'avaient avec eux qu'un seul
pain. Ils interprétèrent ses paroles au sujet du levain comme une
allusion au pain, et peut-être comme un reproche pour leur négligence. Jésus
les réprimanda, leur disant qu'ils avaient peu de foi pour penser à ce
moment-là à du pain matériel et rafraîchit leur mémoire à propos des
miracles par lesquels les multitudes avaient été nourries, pour que leur
manque de pain ne les trouble plus. Finalement ils purent comprendre que
l'avertissement du Maître était dirigé contre les fausses doctrines des
Pharisiens et celles des Sadducéens et contre les aspirations politiques
des Hérodiens comploteurs[26]. Le groupe quitta le bateau
près de l'emplacement de la première multiplication des pains et se
dirigea vers Bethsaïda Julias. On amena un aveugle, et on demanda à Jésus
de le toucher. Il prit l'aveugle par la main, le conduisit en dehors de la
ville, appliqua de la salive sur ses yeux, lui imposa les mains et lui
demanda s'il pouvait voir. L’homme répondit qu'il voyait vaguement,
mais il était incapable de distinguer les hommes des arbres. Appliquant
les mains sur les yeux de l'homme, Jésus lui dit de lever les yeux;
l'homme s'exécuta et vit clairement. Lui ordonnant de ne pas entrer dans
la ville ni de dire à quiconque dans le pays qu'il avait été délivré
de la cécité, le Seigneur le renvoya plein de joie. Ce miracle présente
le trait unique où l'on voit Jésus guérir une personne par étapes; le
résultat de la première intervention ne fut qu'une guérison partielle.
Aucune explication de ce détail exceptionnel ne nous est donnée. «TU
ES LE CHRIST[27]» Accompagné des Douze, Jésus
poursuivit son chemin vers le nord jusqu'au voisinage ou «territoire» de
Césarée de Philippe, ville intérieure située près de la source
orientale et principale du Jourdain, et près du pied du mont Hermon[28].
Le voyage lui fournit l'occasion de donner des enseignements particuliers
et confidentiels aux apôtres. Jésus leur demanda: «Au dire des gens,
qui suis-je, moi, le Fils de l'homme?» Ils lui répondirent en rapportant
les rumeurs et les imaginations populaires qui étaient venues à leur
attention. Certaines personnes, partageant les craintes superstitieuses
qu'éprouvait le coupable Hérode Antipas, disaient que Jésus était
Jean-Baptiste revenu à la vie, bien que pareille croyance n'aurait pas pu
être nourrie sérieusement par beaucoup de personnes, puisqu'on savait
que Jean et Jésus avaient été contemporains. D'autres disaient qu'il était
Elie, d'autres encore suggéraient qu'il était Jérémie ou l'un des
anciens prophètes d'Israël. Il est significatif que parmi toutes les
conceptions que les gens avaient de l'identité de Jésus, rien ne permet
de penser qu'on le croyait être le Messie. Il ne s'était montré ni par
la parole, ni par l'action, à la hauteur des conceptions populaires et
traditionnelles du Sauveur et Roi d'Israël attendu. On n'avait pas manqué
de manifester de manière fugitive l'espoir éphémère qu'il pût s'avérer
être le Prophète attendu, semblable à Moïse, mais toutes ces
conceptions naissantes avaient été neutralisées par l'activité hostile
des Pharisiens et ceux de leur espèce. Pour eux, il s'agissait de
s'attacher de toutes leurs forces au plan pervers de conserver dans
l'esprit du peuple l'idée d'un Messie encore futur et non présent. Avec une solennité
profonde, Jésus soumit les Douze à l'épreuve cruciale à laquelle ils
avaient été inconsciemment préparés au cours de nombreux mois
d'association étroite et privilégiée avec leur Seigneur, en leur
demandant: «Mais vous, qui dites-vous que je suis?» Répondant pour tout
le monde, mais témoignant plus particulièrement de sa propre conviction,
Pierre exprima, de toute la ferveur de son âme, la grande confession: «Tu
es le Christ, le Fils de Dieu vivant.» Ce n'était pas l'aveu d'une
simple croyance, l'expression d'une conclusion à laquelle il était
parvenu par un processus mental, ni la solution d'un problème
laborieusement résolu, ni un verdict basé sur le soupesage de preuves;
il parlait avec la connaissance sûre qui n'admet aucune question et de
laquelle le doute et les réserves sont aussi éloignés que le ciel l'est
de la terre. «Jésus reprit la parole,
lui dit: Tu es heureux, Simon, fils de Jonas; car ce ne sont pas la chair
et le sang qui t'ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les
cieux.» La connaissance de Pierre, qui était également celle de ses frères,
était d'une espèce différente de tout ce que l'homme peut découvrir
par lui-même; c'était un don divin, en comparaison duquel la sagesse
humaine n'est que folie et les trésors de la terre que du rebut.
S'adressant encore au premier apôtre, Jésus continua: «Et moi, je te
dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et
que les portes du séjour des morts ne prévaudront pas contre elle. je te
donnerai les clefs du royaume des cieux: Ce que tu lieras sur la terre
sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié
dans les cieux.» C'était par révélation
directe de Dieu que Pierre savait que Jésus était le Christ; et c'était
sur la révélation, roc d'une fondation assurée, que l'Eglise du Christ
devait être édifiée[29]. Les pluies diluviennes
pouvaient tomber, les torrents pouvaient déferler, les vents faire rage
et battre ensemble cet édifice, il ne tomberait pas, ne pourrait pas
tomber, car il était fondé sur le roc[30]
et même les puissances de l'enfer seraient incapables de prévaloir
contre lui. Ce n'est que par la révélation que l'Eglise de Jésus-Christ
pouvait ou peut être édifiée ou entretenue; et la révélation implique
nécessairement des révélateurs par l'intermédiaire desquels la volonté
de Dieu vis-à-vis de son Eglise puisse être connue. Le témoignage de Jésus,
don de Dieu, entre dans le cœur de l'homme. Ce principe était contenu
dans les enseignements du Maître à Capernaüm, lorsqu'il dit que nul ne
pouvait venir à lui si le Père ne l'amenait[31].
Quand le Seigneur promit qu'il donnerait à Pierre «les clefs du royaume
des cieux», cette promesse comprenait le principe de l'autorité divine
dans la Sainte Prêtrise et de l'autorité de la présidence. Les
allusions à des clefs pour symboliser le pouvoir et l'autorité ne sont
pas rares dans la littérature juive, et on les comprenait bien à cette
époque; elles sont très courantes aujourd'hui[32]. Les analogies que l'on
trouve dans les idées de lier et de délier en parlant d'actes officiels
étaient d'usage à l'époque, comme elles le sont maintenant, en
particulier à propos des fonctions judiciaires. La présidence de Pierre
parmi les apôtres se manifesta abondamment et fut généralement reconnue
après la fin de la vie mortelle de notre Seigneur. C'est ainsi que c'est
lui qui parla en faveur des Onze lors de la réunion d'officiers au cours
de laquelle on choisit un successeur au traître Iscariot; il fut le
porte-parole de ses frères lors de la conversion, à la Pentecôte; c'est
lui qui ouvrit les portes de l'Eglise aux Gentils[33]
et son office de dirigeant apparaît clairement pendant toute la période
apostolique. La confession par laquelle
les apôtres reconnurent qu'ils acceptaient Jésus comme le Christ, Fils
du Dieu vivant, était la preuve qu'ils avaient réellement l'esprit du
Saint Apostolat, par lequel ils étaient devenus témoins spéciaux de
leur Seigneur. Le moment de proclamer leur témoignage partout n'était
cependant pas arrivé; et il n'arriva que lorsque le Christ fut sorti de
la tombe, Personnage ressuscité et immortalisé. Pour le moment ils reçurent
l'ordre «de ne dire à personne qu'il était le Christ». Si Jésus avait
été proclamé être le Messie, surtout si cette proclamation était
faite par les apôtres que l'on savait publiquement être ses disciples et
ses associés les plus intimes, ou si le Messie avait déclaré lui-même
son titre, cela aurait aggravé l'hostilité des dirigeants, qui était déjà
devenue une intervention grave sinon une menace réelle au ministère du
Sauveur; et il aurait aisément pu en résulter des soulèvements séditieux
contre le gouvernement politique de Rome. On trouve une raison plus
profonde encore pour expliquer la discrétion recommandée aux Douze, si
l'on pense que la nation juive n'était pas prête à accepter son
Seigneur; il y aurait moins de culpabilité à l'ignorer par manque de
connaissance certaine qu'à la rejeter ouvertement. La mission spéciale
des apôtres à une époque alors future était de proclamer à toutes les
nations Jésus, le Christ crucifié et ressuscité. Cependant, dès le moment
de la confession de Pierre, Jésus instruisit les Douze plus clairement et
avec une plus grande intimité concernant les événements futurs de sa
mission, en particulier en ce qui touchait la mort qui lui était réservée.
Il avait déjà, en d'autres occasions, fait allusion devant eux à la
croix et à sa mort proche, à sa sépulture et à son ascension; mais
dans chaque cas l'allusion avait été, dans un certain sens, figurée, et
ils ne l'avaient saisie qu'imparfaitement ou peut-être pas du tout. Mais
maintenant, il commença à montrer, et par la suite leur expliqua
clairement, «qu'il lui fallait aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de
la part des anciens, des principaux sacrificateurs et des scribes, être
mis à mort et ressusciter le troisième jour». Pierre fut choqué de
cette déclaration sans réserve, et, cédant à une impulsion, sermonna Jésus,
ou, comme deux des évangélistes le déclarent, «se mit à lui faire des
reproches», allant jusqu'à dire: «Cela ne t'arrivera pas[34].» Le Seigneur
l'invectiva avec un violent reproche: «Arrière de moi, Satan! Tu es pour
moi un scandale, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles
des hommes.» Les paroles de Pierre constituaient un appel à l'élément
humain de la nature du Christ, et les sentiments sensibles de Jésus
furent blessés par cette proposition d'être infidèle à la mission qui
lui avait été confiée, provenant de l'homme qu'il venait d'honorer
d'une manière si insigne quelques moments auparavant, ne comprenant
qu'imparfaitement les desseins profonds de Dieu. Bien que méritée, la réprimande
qu'il reçut était sévère. Le commandement: «Arrière de moi, Satan»,
était identique à celui qu'il avait utilisé contre le grand tentateur
lui même, qui avait cherché à détourner Jésus du sentier sur lequel
il s'était engagé[35], et dans les deux cas la
provocation était à certains points de vue semblable: la tentation d'éviter
le sacrifice et la souffrance, bien que ce fût la rançon du monde, et de
suivre une voie plus confortable[36].
Les paroles puissantes de Jésus montrent l'émotion profonde que la
tentative inopportune de Pierre de conseiller sinon de tenter son Seigneur
avait provoquée. Outre les Douze qui entouraient immédiatement la
personne du Seigneur, d'autres personnes se trouvaient là tout près; il
semble que même dans ces lieux isolés, très éloignés du territoire de
la Galilée - lieu de résidence d'une population païenne, à laquelle
cependant beaucoup de Juifs étaient mêlés - le peuple s'était assemblé
autour du Maître. C'est lui qu'il réunit alors, et il lui dit ainsi
qu'aux disciples: «Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à
lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive.» Ici de nouveau
l'image terrifiante de la croix revenait au premier plan. Il ne restait
pas l'ombre d'une excuse pour penser que la dévotion au Christ ne
signifierait pas l'abnégation et les privations. Celui qui voulait sauver
sa vie au prix du devoir, comme Pierre venait de le suggérer au Christ,
la perdrait certainement dans un sens pire que celui de la mort physique;
tandis que celui qui restait disposé à perdre tout, jusqu'à la vie elle
même, trouverait la vie qui est éternelle. Pour prouver la qualité
de ses enseignements, Jésus prononça ce qui est devenu un aphorisme
inspirant sur la vie: «Et que servira-t-il à un homme de gagner le monde
entier, s'il perd son âme? Ou que donnera un homme en échange de son âme?»
Quiconque a honte du Christ à cause de son humble situation, ou par
crainte que l'on ne soit offensé de ses enseignements, verra que le Fils
de l'homme, lorsqu'il viendra dans la gloire du Père, accompagné de
cohortes d'anges, aura honte de cet homme. Le récit de ce jour mémorable
dans la vie du Sauveur se termine par sa promesse bénie: «En vérité je
vous le dis, quelques-uns de ceux qui se tiennent ici ne goûteront point
la mort, qu'ils n'aient vu le Fils de l'homme venir dans son règne[37].» NOTES DU CHAPITRE 22 1.
Célébrations de la Pâque comprises dans la période du ministère
public de notre Seigneur : Les dates auxquelles des actes
déterminés se produisent dans le ministère de Jésus sont difficiles
sinon impossibles à fixer, sauf dans quelques cas; et comme nous l'avons
dit et répété jusqu'à présent, même l'ordre des événements est
incertain. On se souviendra que Jésus était à Jérusalem à l'époque
de la Pâque peu après son baptême, et que lors de cette visite il débarrassa
de force les cours du temple des trafiquants et de leurs biens. C'est ce
que l'on appelle la première Pâque de la vie publique de Jésus. Si la
«fête des Juifs» à laquelle Jean fait allusion (5:1) était une Pâque,
comme beaucoup de spécialistes de la Bible le soutiennent, elle marqua la
fin de l'année qui suivit la purification du temple; on l'appelle dans
les discours et dans la littérature la deuxième Pâque du ministère de
notre Seigneur. Puis la Pâque aux environs de laquelle Jésus multiplia
les pains (Jn 6:4) serait la troisième et marquerait l'expiration de deux
ans et une fraction depuis le baptême de Jésus; elle marque certainement
le commencement de la dernière année de la vie du Sauveur sur la terre. 2.
Ablutions cérémonielles : Les nombreuses ablutions
requises par la coutume juive à l'époque du Christ étaient, on le
reconnaît, dues au rabbinisme et à «la tradition des anciens» et non
conformes à la loi mosaïque. Dans certaines conditions, des ablutions
successives étaient prescrites, et à propos de celles-ci nous trouvons
des allusions aux «première», «deuxième» et «autres» eaux, la «deuxième
eau» étant nécessaire pour rincer la «première eau», qui était
devenue souillée par contact avec les mains «impures», et ainsi de
suite avec les eaux ultérieures. Parfois il fallait plonger ou immerger
les mains, d'autre fois il fallait les purifier en versant de l'eau
dessus, et il était alors nécessaire de laisser couler l'eau jusqu'aux
poignets ou aux coudes selon la mesure dont on était censé être souillé;
dans d'autres cas encore, comme le prétendaient les disciples du rabbi
Chammaï, seul le bout des doigts, ou les doigts jusqu'aux articulations
devaient être mouillés dans certaines circonstances particulières. Les
lois pour la purification des récipients et du mobilier étaient détaillées
et exigeantes; des méthodes distinctes s'appliquaient respectivement aux
récipients de terre, de bois et de métal. La crainte de se souiller les
mains par mégarde conduisait à beaucoup de précautions extrêmes. Comme
on savait que le Rouleau de la Loi, le Rouleau des Prophètes et d'autres
Ecritures, quand on les mettait de côté, étaient parfois touchés,
griffés ou même rongés par des souris, on avait lancé un décret
rabbinique selon lequel les Saintes Ecritures, ou une partie quelconque de
celle-ci comprenant au moins quatre-vingt-cinq lettres (la section la plus
courte de la loi ayant exactement ce nombre), souillaient les mains par
simple contact. C'est ainsi que les mains devaient être purifiées cérémoniellement
après avoir touché un exemplaire des Ecritures, ou même un passage écrit
de celles-ci. Etre émancipé de ces
choses, et de «beaucoup d'autres choses semblables» devait, en effet, être
un soulagement. Jésus offrit gratuitement au peuple d'échapper à cet
esclavage en disant: «Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et
chargés, et je vous donnerai du repos. Prenez mon joug sur vous et
recevez mes instructions, car je suis doux et humble de cœur, et vous
trouverez du repos pour vos âmes. Car mon joug est aisé, et mon fardeau
léger» (Mt 11:28-30). 3.
«Corban», un don : La loi de Moïse prescrivait
des lois relatives aux vœux (Lv 27, Nb 30). «Ces règles», dit l'auteur
dans le Bible Dict, de Smith, «Ies traditionalistes les étendirent et
prescrivirent qu'un homme pouvait s'interdire par voeu non seulement
d'utiliser pour lui-même, mais de donner à un autre ou recevoir de lui
un objet particulier, qu'il s'agit de nourriture ou d'une autre espèce
quelconque. La chose ainsi interdite était considérée comme corban. On
pouvait ainsi s'exempter de toutes obligations gênantes en plaidant
corban. Notre Seigneur dénonça les pratiques de cette espèce (Mt 15:5;
Mc 7:11) qui annulaient l'esprit de la loi.» Matthieu 15:5 dit: «Mais vous, vous dites: Celui qui dira à son père ou à sa mère: Ce dont j'aurais pu t'assister est une oblation (à Dieu), n'est pas tenu d'honorer son père ou sa mère.» L’exposé suivant sur cette coutume pernicieuse apparaît dans le Commentary on The Holy Bible édité par Dummelow: «Corban», signifiant originellement un sacrifice ou un don à Dieu, était utilisé à l'époque du Nouveau Testament comme un simple mot exprimant un voeu, sans que cela implique que l'objet voué serait véritablement offert ou donné à Dieu. C'est ainsi qu'un homme disait: «Le vin est corban pour moi pendant telle période», voulant dire par là qu'il faisait voeu de s'abstenir de vin. Ou un homme pouvait dire à un ami: «Tout ce que je pourrais recevoir de profitable de toi est corban pour moi pendant telle période de temps», voulant dire par là que pendant l'époque spécifiée il faisait voeu de ne recevoir ni l'hospitalité ni aucun autre profit de son ami. De même, si un fils disait à son père ou à sa mère: «Tout ce dont j'aurais pu t'assister est corban», il faisait voeu de ne pas aider son père ou sa mère en aucune manière, quel que fût le besoin dans lequel ils se trouvassent. Les scribes considéraient qu'un voeu de cette espèce excusait un homme du devoir d'entretenir ses parents, et c'est ainsi que par leurs traditions ils annulaient la parole de Dieu.» 4.
Les «chiens» qui mangent les miettes : La réponse ardente de la femme: «Oui Seigneur, pourtant les petits
chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres» (Mt
15:27), est commentée et paraphrasée comme suit par Trench (Notes on the
Miracles, p. 271). «La traduction de sa réponse dans notre version [la
version du roi Jacques N. d. T.] n'est pas cependant tout à fait
satisfaisante. En effet la femme accepte la déclaration du Seigneur, non
pour s'offenser immédiatement de la conclusion qu'il en tire, mais pour
montrer comment cette déclaration même implique que sa demande doit être
accordée. «Tu parles de petits chiens? C'est bien; j'accepte le titre et
le lieu; car les chiens ont leur part du repas - non pas la première, pas
la ration des enfants, mais cependant une ration - les miettes qui tombent
de la table du maître. En formulant ainsi l'affaire, tu nous amènes,
nous les païens, tu m'amènes, moi, dans le cercle des bénédictions que
Dieu, le Grand Maître de Maison, dispense constamment à sa famille. Nous
appartenons, nous aussi, à sa maison, bien que nous n'y occupions que le
lieu le plus bas.» Le Commentary de Dummelow sur Mt 15:26 dit entre autres ceci: «Les rabbis disaient souvent des Gentils que c'étaient des chiens, par exemple: «Celui qui mange avec un idolâtre est comme celui qui mange avec un chien»... « Les nations du monde sont comparées à des chiens.» «La sainte convocation vous appartient, et non aux chiens.» Cependant Jésus, en adoptant l'expression méprisante l'adoucit légèrement. Il ne dit pas «chiens», mais «petits chiens», c'est-à-dire des chiens d'intérieur, et la femme saisit intelligemment l'expression, arguant que si les Gentils sont des chiens de maison, il n'est que juste qu'ils reçoivent en nourriture les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres.» Edersheim, se reportant au texte originel, dit: «Le terme signifie ‘petits chiens’, ou ‘chiens de maison’.» 5.
La Décapole : Le nom signifie «les dix
villes», et était appliqué à une région aux limites indéterminées
qui se trouvait pour la plus grande partie à l'est du Jourdain et au sud
de la mer de Galilée. Scythopolis, dont Josèphe (Guerres des Juifs, III,
9:7) dit qu'elle est la plus grande des dix villes, se trouvait sur la
rive occidentale du fleuve. Les historiens ne sont pas d'accord sur les
villes incluses dans ce nom. Les indications bibliques (Mt 4:25; Mc 5:20,
7:31) impliquent une région générale plutôt qu'un secteur déterminé. 6.
Césarée de Philippe : Césarée de Philippe, ville
située, comme le dit le texte, près du mont Hermon, à la source du
Jourdain, avait été agrandie et embellie par Philippe le tétrarque, et
c'est lui qui l'avait appelée Césarée en l'honneur de l'empereur
romain. Elle fut appelée Césarée de Philippe pour la distinguer de la Césarée
qui existait déjà sur la rive méditerranéenne de la Samarie, et que la
littérature postérieure appela la Césarée de Palestine. On pense que Césarée
de Philippe est identique à l'antique Baal-Gad (Jos 11:17) et Baal-Hermon
(Jg 3:3). Elle était connue comme lieu de culte idolâtre, et tandis
qu'elle se trouvait sous la souveraineté grecque, elle était appelée
Paneas d'après le nom de la divinité mythologique Pan. Voir Josèphe,
Ant. XVIII, 2:1; cette désignation existe encore dans le nom arabe actuel
du lieu, Banias. 7.
Simon Pierre et le «roc» de la révélation : Simon, fils de Jonas, lors de la première entrevue que nous avons entre
lui et Jésus, avait reçu des lèvres du Seigneur le nom titre distinctif
de «Pierre» ou, en araméen, «Céphas» dont l'équivalent français
est «rocher» ou «pierre» (Jn 1:42; voir également page 153 supra). Le
nom fut confirmé sur l'apôtre lors de l'événement que nous examinons
maintenant (Mt 16:18). Jésus lui dit: «Tu es Pierre», ajoutant, «et
sur cette pierre je bâtirai mon Eglise.» Au cours de l'apostasie générale
qui suivit l'ancien ministère apostolique, l'évêque de Rome prétendit
à l'autorité suprême comme successeur direct supposé de Pierre; et une
doctrine erronée se répandit, disant que Pierre était la «pierre» sur
laquelle l'Eglise du Christ était fondée. Nous ne pouvons entreprendre
ici un examen détaillé de cette prétention illogique et infâme; il
suffit de dire que l'Eglise fondée par ou dépendant de Pierre ou d'un
autre homme serait l'Eglise de Pierre ou de cet autre homme, et non
l'Eglise de Jésus-Christ (voir La Grande apostasie, chap. 9, et LM, 3 Né
27:1-8; et le chapitre 40 infra). Nous ne mettons pas en doute le fait que
c'est sur Pierre que reposait la responsabilité de présider dans le
ministère après l'ascension du Christ ressuscité; mais qu'il ait été,
même symboliquement, le fondement sur lequel l'Eglise était édifiée,
est à la fois non scripturaire et faux. L’Eglise de Jésus-Christ doit
porter son nom avec autorité et être guidée par la révélation,
directe et continue, comme le réclame l'état de sa construction. C'est
la révélation que Dieu donne à ses serviteurs investis de la Sainte Prêtrise
par ordination autorisée comme le fut Pierre qui est la «pierre»
imprenable sur laquelle l'Eglise est édifiée (voir Articles de Foi,
chapitre 16 - «La révélation»). 8.
La réprimande du Christ à Pierre : En appelant Pierre «Satan»,
Jésus utilisait de toute évidence une puissante figure de rhétorique,
et non une désignation littérale; car Satan est un personnage distinct,
Lucifer, fils déchu non incarné du matin (voir page 6); et Pierre n'était
certainement pas lui. Dans son sermon ou sa «réprimande» qu'il adressa
à Jésus, Pierre recommandait en réalité ce que Satan avait précédemment
essayé de pousser le Christ à faire, c'est-à-dire qu'il tentait comme
Satan lui-même avait tenté. Le commandement «Arrière de moi, Satan!»
que Jésus adressa à Pierre, certaines autorités le traduisent en
anglais par «Arrière de moi, tentateur». Le sens essentiel qui
s'attache aux termes originaux hébreux et grecs de notre mot «Satan»
est celui de l'adversaire, ou «quelqu'un qui se place en travers du
chemin d'un autre et s'oppose ainsi à lui» (Zenos). L’expression «tu
es pour moi un scandale» est considérée comme une traduction moins littérale
que «tu m'es une pierre d'achoppement». L’homme que Jésus appelait
Pierre - «le roc» était maintenant comparé à une pierre dans le
chemin, sur laquelle celui qui n'y prenait pas garde pouvait trébucher. 9.
Certains vivront jusqu'à ce que le Christ revienne : La déclaration du Sauveur aux apôtres et à d'autres qui
se trouvaient aux environs de Césarée de Philippe: «En vérité je vous
le dis quelques-uns de ceux qui se tiennent ici ne goûteront point la
mort, qu'ils n'aient vu le Fils de l'homme venir dans son règne» (Mt
16:28, comparer avec Mc 9: 1, Lc 9:27), a provoqué des commentaires nombreux
et divers. L’événement auquel il est fait allusion, celui où le Fils
de l'Homme viendra dans la gloire de son Père accompagné des anges, est
encore à venir. Nous trouvons un accomplissement au moins partiel de la
prédiction dans la prolongation de la vie de Jean l'apôtre, qui était
présent, et qui vit encore dans la chair selon son désir (Jn 21:20-24,
voir encore le LM, 3 Né 28:1-6, D&A sect. 7). 10.
«Tu es le Christ» : La confession solennelle et
fervente de Pierre que Jésus est le Christ est formulée d'une manière
différente dans chacun des trois synoptiques. Pour beaucoup, la version
la plus expressive est celle de Luc: «Le Christ de Dieu. » En d'autres
occasions antérieures, certains des Douze ou tous avaient reconnu que Jésus-Christ
était le Fils de Dieu, par exemple après le miracle où il marcha sur la
mer (Mt 14:33), et encore, après le sermon crucial de Capernaüm (Jn
6:69), mais il est évident que la confession débordante et déférente
de Pierre en réponse à la question «Mais vous, qui dites-vous que je
suis?» avait un sens plus grand dans son assurance et plus exalté dans
son espèce que ne l'avait aucune expression antérieure de la conception
qu'il se faisait de son Seigneur. Cependant même la conviction donnée
par la révélation directe (Mt 16:17) n'impliquait pas à l'époque qu'il
comprît parfaitement la mission du Sauveur. En effet, ce n'est qu'après
la résurrection du Seigneur que les apôtres reçurent une plénitude de
compréhension et d'assurance (comparer avec Rm 1:4). Néanmoins, le témoignage
de Pierre dans le pays de Césarée de Philippe est la preuve d'une très
grande évolution. A cette étape du ministère du Sauveur, proclamer
publiquement son état divin, ç'aurait été jeter les perles devant les
pourceaux (Mt 7:6), c'est pourquoi le Seigneur ordonna aux apôtres «de
ne dire à personne qu'il était le Christ», à ce moment-là.
[1] Jn
6:4. Note 1, fin du chapitre. [2] Mc 12:37. [3] Mt 15:1-9, Mc 7:1-13. [4] Note 2, fin du chapitre. [5] Cf. Ex 20:12, Dt 5:16, Ex
21:17, Lv 20:9. [6] Note 3, fin du chapitre. [7] Mt 15:10-20; cf. Mc 7:14-23. [8] Mt 11:6 ; Lc 7:23; pages 279 et 299
supra. [9] Mt 15:21-28, Mc 7:24-30. [10] Mc 3:8, Lc 6:17. [11] Voir note 2, page 377. [12] Mt 10:5, 6; voir aussi
page 360 supra. [13] Dt 23:18, 1 S
17:43, 21:14, 2 S 3:8, 16:9, Job 30: 1, Mt 7:6, Ph 3:2, Ap 22:15. [14] Note 4, fin du chapitre. [15] Lc 18:1-8. Page 474. [16] Mt 28:19, Mc 16:15. [17] Ac 3:25, 26, 13:46-48, Rm 15:8. [18] Mc 7:31-37; cf. Mt 15:29-31. [19] Note 5, fin du chapitre. [20] Mt 15:32-39, Mc 8:1-9. [21] Mt 15:29,16:1-5, Mc 8:10-13. [22] Jn 2:18, 6:30, Mt 12:38. [23] Mt 4:6, 7, Lc 4:9-12. [24] Mt 16:2-4; cf. 12:38-41; pages 170-172
supra. [25] Mt 16:6-12, Mc 8:14-21; cf. Lc 12:1. [26] Page 73. [27] Mt 16:13-20, Mc 8:27-30, Lc 9:18-21. Note
10, fin du chapitre. [28] Note 6, fin du chapitre. [29] Note 7, fin du chapitre. [30] Cf. Mt 7:24, 25 [31] Jn 6:46; cf. versets 37,
39, 40. [32] Voir Es 22:22, Lc 11:52,
Ap 1:18, 3:7; cf. D&A 6:28, 7:7, 27:5, 6, 9, 28:7, 42:69, 84:26,
etc. [33] Ac 1: 15-26, 2:14-40; chap. 10, cf. 15:7. [34] Mt 16:22, 23, Mc 8:32, 33. [35] Lc 4:8. [36] Note 8, fin du chapitre. [37] Note 9, fin du chapitre.
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