CHAPITRE 21 : LA MISSION APOSTOLIQUE ET LES ÉVÉNEMENTS QUI S'Y RAPPORTENT

 

JÉSUS DE RETOUR À NAZARETH[1]

 

On se souviendra que dans les premiers temps de son ministère public, Jésus avait été rejeté du peuple de Nazareth, qui l'expulsa de sa synagogue et essaya de le tuer[2]. Il semble qu'à la suite des événements notés dans notre dernier chapitre, il soit retourné à la ville de sa jeunesse et ait de nouveau élevé la voix dans la synagogue, accordant ainsi miséricordieusement au peuple une autre occasion d'apprendre et d'accepter la vérité. Comme ils l'avaient déjà fait, les Nazaréens exprimèrent de nouveau à haute voix leur étonnement devant les paroles qu'il prononçait et les nombreuses œuvres miraculeuses qu'il avait accomplies; néanmoins ils le rejetèrent de nouveau, car il ne venait pas comme ils s'attendaient à voir le Messie venir; et ils refusèrent de le tenir pour quelqu'un d'autre que «le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de Joses, de Jude et de Simon», qui étaient des gens ordinaires de même que ses sœurs. «Et il était pour eux une occasion de chute[3].» Leur incrédulité l'étonna[4]; et à cause de leur manque de foi, il fut incapable d'accomplir aucune grande œuvre si ce n'est de guérir quelques croyants exceptionnels auxquels il imposa les mains. Quittant Nazareth, il entreprit sa troisième tournée des villes et des villages galiléens, prêchant et enseignant en chemin[5].

 

LES DOUZE CHARGÉS DE MISSION ET ENVOYÉS[6]

 

C'est également vers cette époque que Jésus commença une expansion notable du ministère du royaume en envoyant les Douze en mission. Depuis leur ordination les apôtres avaient accompagné leur Seigneur, s'instruisant auprès de lui lors de ses discours publics et de ses exposés privés, et acquérant une expérience et une formation précieuses grâce à cette association privilégiée et bénie. Il les ordonna «pour les avoir avec lui, et pour les envoyer prêcher[7]». Voilà des mois qu'ils étaient élèves sous la direction vigilante du Maître; et maintenant ils étaient appelés à entreprendre les devoirs de leur appel comme des prédicateurs de l'Evangile et témoins personnels du Christ. Comme préparation finale, ils reçurent explicitement et solennellement leurs charges[8]. Certaines des instructions qui leur furent données en cette occasion avaient particulièrement trait à la première mission, dont ils reviendraient faire leur rapport en temps voulu; d'autres directives et exhortations seraient d'application pendant toute la durée de leur ministère, même après l'ascension du Seigneur.

 

Ils reçurent l'ordre de limiter provisoirement leur ministère aux «brebis perdues de la maison d'Israël» et de ne pas faire de propagande parmi les Gentils[9], ni même dans les villes samaritaines. C'était une restriction temporaire, imposée par la sagesse et la prudence; plus tard, comme nous le verrons, ils reçurent l'ordre de prêcher parmi toutes les nations, ayant le monde comme champ d'action[10]. Le sujet de leurs discours devait être ce qu'ils avaient entendu le Maître prêcher: «Le royaume des cieux est proche.» Ils devaient exercer l'autorité de la Sainte Prêtrise qui leur avait été conférée par ordination; il entrait officiellement dans leurs attributions de guérir les malades, de ressusciter les morts, de purifier les lépreux, de chasser les démons, selon que les occasions s'en présentaient; et ils reçurent le commandement de donner gratuitement comme ils avaient reçu gratuitement. Ils ne devaient pas s'occuper de leur confort personnel ni de leurs besoins corporels; le désir du peuple de recevoir et d'assister ceux qui venaient au nom du Seigneur devait être mis à l'épreuve, et les apôtres eux-mêmes devaient apprendre à se reposer sur une Providence plus digne de confiance que l'homme; c'est pourquoi ils devaient laisser derrière eux l'argent, les vêtements de rechange et tout élément de confort. Dans les diverses villes où ils entreraient, ils devraient se faire inviter et donner leur bénédiction à toutes les bonnes familles qui les recevraient. S'ils se trouvaient rejetés par un foyer ou par une ville entière, ils devaient secouer la poussière de leurs pieds en partant, comme témoignage contre les gens[11]; et il était décrété que, le jour du jugement, le sort du lieu ainsi dénoncé serait pire que celui des villes corrompues de Sodome et de Gomorrhe sur lesquelles le feu du ciel était descendu.

 

Il fut dit aux apôtres d'être prudents, de n'offenser personne inutilement mais d'être sages comme des serpents et simples comme des colombes, car ils étaient envoyés comme des brebis au milieu des loups. Ils ne devaient pas se confier imprudemment au pouvoir des hommes, car des méchants les persécuteraient, chercheraient à les traîner devant les tribunaux et les battraient dans les synagogues. En outre, ils pouvaient s'attendre à être amenés devant les gouverneurs et les rois, et dans ces situations extrêmes, ils devaient se reposer sur l'inspiration divine pour ce qu'ils diraient et ne pas compter sur leur propre sagesse pour préparer leurs paroles; «car, dit le Maître, ce n'est pas vous qui parlerez, c'est l'Esprit de votre Père qui parlera en vous[12]».

 

Ils ne devaient même pas se fier à leur parenté pour assurer leur protection, car les familles se diviseraient à cause de la vérité, frère contre frère, enfants contre parents, et la lutte qui en résulterait serait mortelle. Ces serviteurs du Christ furent avertis qu'ils seraient haïs de tous les hommes mais reçurent l'assurance que leurs souffrances seraient pour l'amour de son nom. Ils devaient se retirer des villes qui les persécutaient et se rendre dans d'autres; et le Seigneur les suivrait, avant même qu'ils n'eussent pu terminer la tournée des villes d'Israël. Ils furent exhortés à l'humilité et devaient toujours se souvenir qu'ils étaient des serviteurs qui ne devaient pas s'attendre à échapper alors que même leur Maître était assailli. Néanmoins ils devaient être intrépides et ne pas hésiter à prêcher clairement l'évangile, car tout ce que leurs persécuteurs pouvaient faire, c'était tuer le corps, sort qui n'était rien comparé à celui de subir la destruction de l'âme en enfer.

 

Les apôtres furent assurés du soin vigilant du Père lorsque Jésus leur rappela simplement que bien que l'on vendît deux passereaux pour un sou, cependant il n'en pouvait être sacrifié aucun sans la volonté du Père, et que par conséquent, eux qui avaient plus de valeur que beaucoup de passereaux ne seraient pas oubliés. Ils furent solennellement avertis que quiconque confessait librement le Christ devant les hommes, il le reconnaîtrait en présence du Père, tandis que ceux qui le renieraient devant les hommes seraient reniés dans les cieux. Il leur fut dit encore que l'Evangile apporterait des luttes qui détruiraient les foyers, car la doctrine que le Seigneur avait enseignée serait comme une épée qui couperait et séparerait. Les devoirs de leur ministère devaient l'emporter sur leur amour pour leur famille; ils devaient être disposés à quitter père, mère, fils ou fille, quel que fût le sacrifice; car, dit Jésus: «Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n'est pas digne de moi.»

 

La signification de cette comparaison doit avoir été solennellement frappante et en fait terrifiante; car la croix était un symbole d'ignominie, de souffrances extrêmes et de mort. Cependant, s'ils devaient perdre la vie pour l'amour de lui, ils trouveraient la vie éternelle; tandis que celui qui n'était pas disposé à mourir au service du Seigneur perdrait la vie dans un sens à la fois littéral et terrible. Ils ne devaient jamais oublier au nom de qui ils étaient envoyés, et ils furent consolés par l'assurance que quiconque les recevrait serait récompensé comme s'il avait reçu le Christ et son Père, et que même si le don n'était qu'un verre d'eau froide, le donateur ne perdrait nullement sa récompense.

 

Ainsi chargés de mission et instruits, les douze témoins spéciaux du Christ se mirent en route, voyageant deux par deux[13], tandis que Jésus poursuivait son ministère personnel.

 

LE RETOUR DES DOUZE

 

Nous n'avons aucun renseignement précis sur la durée de la première mission des douze apôtres ni l'étendue du territoire qu'ils parcoururent. La période de leur absence fut marquée de nombreux événements importants dans les travaux personnels de Jésus. Il est probable que pendant ce temps notre Seigneur se rendit à Jérusalem, lors de la fête des Juifs dont le nom n'est pas cité et dont parle Jean[14]. Tandis que les apôtres étaient absents, Jésus reçut la visite des disciples du Baptiste, comme nous l'avons déjà vu[15], et le retour des Douze se produisit vers l'époque de l'exécution infâme de Jean-Baptiste en prison[16].

 

Les efforts missionnaires des apôtres accrurent grandement l'expansion de la nouvelle doctrine du royaume, et le nom et les œuvres de Jésus furent proclamés dans tout le pays. Le peuple de Galilée était à l'époque dans un état de mécontentement qui menaçait de dégénérer en insurrection ouverte contre le gouvernement; son agitation avait été aggravée par le meurtre du Baptiste. Hérode Antipas, qui avait donné l'ordre fatal, tremblait dans son palais. Avec une crainte due à la conviction qu'il avait intérieurement de sa culpabilité, il entendit parler des œuvres merveilleuses accomplies par Jésus et affirma, terrifié, que le Christ ne pouvait être nul autre que Jean-Baptiste revenu du tombeau. Ses courtisans adulateurs essayèrent d'apaiser ses craintes en disant que Jésus était Elie ou quelque autre des prophètes dont l'avènement avait été prédit; mais Hérode, tourmenté par sa conscience, dit: «Ce Jean que j'ai fait décapiter, c'est lui qui est ressuscité.» Hérode désira voir Jésus; peut-être était-ce dû à la fascination de la crainte, ou dans le faible espoir que la vue du prophète renommé de Nazareth pourrait dissiper sa crainte superstitieuse que Jean assassiné ne fût revenu à la vie.

 

Leur tournée missionnaire terminée, les apôtres rejoignirent le Maître et lui firent rapport de ce qu'ils avaient enseigné et de ce qu'ils avaient accompli dans leur ministère autorisé. Ils avaient prêché l'Evangile de repentir dans toutes les villes, bourgades et villages où ils s'étaient rendus; ils avaient oint d'huile beaucoup d'affligés, et la puissance de leur prêtrise avait été attestée par les guérisons qui avaient suivi; même des esprits impurs et des démons leur avaient été soumis[17]. Ils trouvèrent Jésus accompagné d'une grande multitude; et ils n'eurent guère l'occasion d'avoir un entretien privé avec lui, «car beaucoup de personnes allaient et venaient, et ils n'avaient pas même le temps de manger». Les apôtres durent entendre avec plaisir l'invitation du Seigneur: «Venez à l'écart dans un lieu désert et reposez-vous un peu.» A la recherche d'un lieu solitaire, Jésus et les Douze se retirèrent de la foule et montèrent seuls dans un bateau dans lequel ils traversèrent jusqu'à un endroit dans la campagne, proche de Bethsaïda[18]. Cependant leur départ n'était pas passé inaperçu, et des foules avides se hâtèrent le long du rivage et en partie autour de l'extrémité septentrionale du lac pour rejoindre le groupe au lieu de débarquement. Le récit de Jean nous pousse à conclure qu'avant l'arrivée d'un grand nombre de personnes, Jésus et ses compagnons étaient montés au flanc de la colline près de la rive, où ils s'étaient reposés un peu. Lorsque la multitude se rassembla sur les pentes inférieures, notre Seigneur la contempla comme on contemple des brebis sans berger; cédant alors au désir de la foule et à sa propre piété divine, il lui enseigna beaucoup de choses, guérit ceux qui étaient affligés et réconforta les cœurs avec une tendresse compatissante.

 

PREMIÈRE MULTIPLICATION DES PAINS[19]

 

Les gens désiraient si vivement entendre les paroles du Seigneur et se préoccupaient à tel point du soulagement miraculeux qui résultait de ses bénédictions guérisseuses, qu'ils restèrent dans le désert, oubliant l'écoulement des heures, jusqu'à l'approche du soir. C'était au printemps près du retour de la fête annuelle de la Pâque, époque de l'herbe et des fleurs[20]. Jésus se rendant compte que le peuple avait faim, demanda à Philippe, l'un des Douze: «Où achèterons-nous des pains pour que ces gens aient à manger?» Le but de cette question était de mettre la foi de l'apôtre à l'épreuve; en effet le Seigneur avait déjà décidé ce qui devait être fait. La réponse de Philippe montra sa surprise devant cette question et exprima sa pensée que l'entreprise proposée était impossible. «Les pains qu'on aurait pour deux cents deniers ne suffiraient pas pour que chacun en reçoive un peu», dit-il. André ajouta qu'il y avait là un garçon qui avait cinq pains d'orge et deux petits poissons. «Mais, dit-il, qu'est-ce que cela pour tant de personnes?» Tel est le récit de Jean; les autres auteurs déclarent que les apôtres rappelèrent à Jésus que l'heure était avancée et l'exhortèrent à renvoyer les gens se chercher eux-mêmes de la nourriture et du logement dans les villes voisines. Il semble très probable que la conversation entre Jésus et Philippe se produisit plus tôt dans l'après-midi[21], et que, les heures s'écoulant rapidement, les Douze devinrent soucieux et recommandèrent le renvoi de la multitude. La réponse du Maître aux apôtres fut: «Elles n'ont pas besoin de s'en aller: donnez-leur vous-mêmes à manger.» Stupéfaits, ils répondirent: «Nous n'avons ici que cinq pains et deux poissons»; et le commentaire désespéré d’André est de nouveau sous-entendu: Qu'est-ce que cela pour tant de gens?

 

A la demande de Jésus, le peuple s'assit sur l'herbe en ordre; il se groupa par cinquantaines et centaines; et on s'aperçut que la multitude se composait d'environ cinq mille hommes, outre les femmes et les enfants. Prenant les pains et les poissons, Jésus leva les yeux au ciel et bénit la nourriture; puis, répartissant les provisions, il en donna aux apôtres respectivement, et à leur tour, ils firent la distribution à la multitude. La substance des poissons et du pain s'accrut au contact du Maître, et la multitude festoya dans le désert jusqu'à ce que tous fussent rassasiés. Jésus dit aux disciples: «Ramassez les morceaux qui restent, afin que rien ne se perde»; et on remplit douze paniers de ce qui restait. La connaissance humaine est incapable d'expliquer le miracle lui-même. Bien qu'accompli sur une si grande échelle, il n'est ni plus ni moins inexplicable que n'importe laquelle des autres œuvres miraculeuses du Seigneur. C'était une manifestation de puissance créatrice, grâce à laquelle des éléments matériels étaient organisés et composés de manière à répondre à un besoin présent et pressant. La partie rompue mais inutilisée dépassait en volume et en poids la petite réserve originelle tout entière. L’ordre de notre Seigneur de rassembler les fragments était une leçon par l'exemple impressionnante contre le gaspillage; et c'est peut-être pour permettre pareille leçon qu'un excédent fut donné. Le menu était simple et cependant nourrissant, sain et satisfaisant. Le pain d'orge et les poissons constituaient la nourriture ordinaire des classes pauvres de la région. La transformation de l'eau en vin à Cana était une transmutation qualitative; l'alimentation de la multitude nécessitait un accroissement quantitatif; qui peut dire que l'un de ces miracles fut plus merveilleux, et lequel?

 

La multitude, maintenant nourrie et rassasiée, se mit à réfléchir au miracle. En Jésus, par lequel une œuvre si grande s'était accomplie, elle reconnaissait quelqu'un qui avait des pouvoirs surhumains. «Vraiment c'est lui le prophète qui vient dans le monde», dit-elle: le prophète dont la venue avait été prédite par Moïse et qui serait semblable à lui. De même qu'Israël avait été nourri miraculeusement du temps de Moïse, de même maintenant du pain était fourni dans le désert par ce nouveau prophète. Dans son enthousiasme, le peuple proposa de le proclamer roi et de le forcer à devenir son chef. Telle était sa conception grossière du gouvernement messianique. Jésus ordonna à ses disciples de partir en bateau, tandis qu'il restait pour renvoyer la multitude maintenant excitée. Les disciples hésitaient à quitter leur Maître, mais il les y contraignit et ils obéirent. Son insistance à ce que les Douze les quittent, tant lui que la multitude, était peut-être due au désir de protéger les disciples élus contre une contagion possible des desseins matérialistes et impies de la foule de le faire roi. Par des moyens qui ne sont pas détaillés, il fit disperser le peuple; comme la nuit avançait, il trouva ce qu'il était venu chercher, la solitude et la tranquillité. Montant sur la colline, il choisit un lieu solitaire et y resta en prière pendant la plus grande partie de la nuit.

 

«C'EST MOI; N'AYEZ PAS PEUR![22]»

 

Le retour en bateau s'avéra être un voyage mémorable pour les disciples. Ils rencontrèrent un fort vent debout, qui rendait naturellement l'usage des voiles impossible; malgré leurs grands efforts aux rames, l'embarcation échappait pratiquement à leur contrôle et dansait au milieu de la mer[23]. Bien qu'ils eussent travaillé toute la nuit, ils avaient avancé de moins de six kilomètres; faire demi-tour et aller dans la direction du vent, ç'aurait été provoquer un naufrage désastreux; leur seul espoir était de maintenir l'embarcation dans le vent à la force du poignet. Jésus, dans sa retraite solitaire, était conscient de leur pénible situation et, au cours de la quatrième veille[24], c'est-à-dire entre trois et six heures du matin, il vint à leur secours, marchant sur l'eau projetée par la tempête comme s'il marchait sur la terre ferme. Lorsque les voyageurs le virent approcher du bateau dans la faible lumière de la nuit presque terminée, ils furent envahis d'une crainte superstitieuse et se mirent à hurler de terreur, croyant voir un spectre. «Jésus leur dit aussitôt: Rassurez-vous: c'est moi; n'ayez pas peur!»

 

Soulagés par ces paroles rassurantes, Pierre, impétueux et impulsif comme toujours, s'écria: «Si c'est toi[25], ordonne-moi d'aller vers toi sur les eaux.» Jésus ayant donné son accord, Pierre descendit du bateau et marcha vers son Maître; mais comme le vent le frappait et que les vagues s'élevaient autour de lui, sa confiance vacilla et il commença à s'enfoncer. Bien que nageur puissant[26], il céda à la peur et s'écria: «Seigneur, sauve-moi!» Jésus le saisit par la main, disant: «Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté?»

 

L'expérience remarquable de Pierre nous apprend que la puissance qui permettait au Christ de marcher sur les vagues pouvait opérer chez les autres à la seule condition que leur foi fût durable. C'était sur la demande même de Pierre qu'il avait reçu la permission de tenter l'exploit. Si Jésus le lui avait interdit, la foi de l'homme aurait pu être freinée; sa tentative, bien qu'échouant partiellement, était une démonstration de l'efficacité de la foi au Seigneur, qu'aucun enseignement verbal n'aurait jamais pu transmettre. Jésus et Pierre montèrent dans l'embarcation; immédiatement le vent cessa, et le bateau parvint bientôt à la rive. L'étonnement des apôtres, devant cette dernière manifestation du pouvoir du Seigneur sur les forces de la nature, aurait été plus proche de l'adoration et aurait ressemblé moins à de la consternation terrifiée, s'ils s'étaient souvenus des miracles précédents dont ils avaient été témoins. Mais ils avaient oublié jusqu'au miracle des pains, et leur cœur s'était endurci[27]. S'étonnant de la puissance de quelqu'un à qui la mer fouettée par le vent était un sol ferme, les apôtres se prosternèrent devant le Seigneur en adoration respectueuse, disant: «Tu es véritablement le Fils de Dieu[28]

 

Outre les circonstances merveilleuses dans lesquelles il se produisit, ce miracle est riche en symbolisme et en suggestions. L'homme est incapable de déterminer en vertu de quelle loi ou de quel principe l'effet de la gravitation fut suspendu de sorte qu'un corps humain put se tenir à la surface de l'eau. Ce phénomène est une démonstration concrète de la grande vérité que la foi est un principe de puissance, grâce auquel les forces naturelles peuvent être conditionnées et gouvernées[29]. Tout adulte connaît des expériences semblables à la bataille des voyageurs balancés dans la tempête contre des vents contraires et des mers menaçantes; souvent la nuit de luttes et de dangers est fort avancée avant que le secours n'apparaisse; et alors, trop fréquemment on prend l'aide salvatrice pour un sujet de terreur plus grande. Comme elle parvint à Pierre et à ses compagnons terrifiés au milieu des eaux tumultueuses, de même parvient à tous ceux qui travaillent avec foi, la voix du Libérateur: «C'est moi; n'ayez pas peur!»

 

AU PAYS DE GÉNÉSARETH

 

Le voyage nocturne au cours duquel Jésus était parvenu au bateau et à ses occupants terrifiés tandis qu'ils se trouvaient «au milieu de la mer», prit fin à un endroit situé dans la région appelée le pays de Génésareth qui, comme on le croit généralement, embrassait la région riche et fertile des environs de Tibériade et de Magdala. On a beaucoup écrit sur les beautés naturelles qui faisaient la célébrité de cette région[30]. La nouvelle de la présence de notre Seigneur se répandit rapidement, et, de «tous les environs» le peuple s'attroupa autour de lui, amenant ses affligés pour recevoir ses bienfaits par la parole ou le toucher. Dans les villes qu'il traversait, on couchait les malades dans les rues afin que la bénédiction de son passage tombât sur eux; et beaucoup «le suppliaient afin de toucher seulement la frange de son vêtement. Et tous ceux qui le touchaient étaient délivrés»[31]. Il donna abondamment de sa vertu guérisseuse à tous ceux qui vinrent l'implorer avec foi et confiance. C'est ainsi que, accompagné des Douze, il se rendit vers le nord à Capernaüm, éclairant la voie de la plénitude de sa miséricorde.

 

À LA RECHERCHE DE PAINS ET DE POISSONS[32]

 

La multitude qui, la veille, avait bénéficié de sa générosité de l'autre côté du lac, et qui s'était dispersée pour la nuit après sa vaine tentative de l'obliger à accepter la dignité de la royauté terrestre, fut grandement surprise de découvrir au matin qu'il était parti. Elle avait vu les disciples s'en aller par le seul bateau qui se trouvait là, tandis que Jésus était resté sur la berge; et elle savait que la tempête de la nuit avait exclu toute possibilité que d'autres bateaux parviennent à cet endroit. Néanmoins les recherches qu'elle entreprit ce matin-là pour le découvrir furent vaines, et elle en déduisit qu'il avait dû retourner par voie de terre autour de l'extrémité du lac. Comme le jour avançait, des bateaux apparurent, se dirigeant vers la côte occidentale; elle les héla et, ayant obtenu le passage, traversa la mer vers Capernaüm.

 

Les difficultés à trouver Jésus prirent fin, car sa présence était connue dans toute la ville. Se dirigeant vers lui, probablement tandis qu'il était assis dans la synagogue, car ce jour-là il y enseignait, les membres les plus importants de la foule demandèrent brusquement et presque grossièrement: «Rabbi, quand es-tu venu ici?» A cette question impertinente Jésus ne daigna pas répondre directement; les gens n'avaient rien à voir avec le miracle de la nuit précédente, et le Seigneur ne leur rendit aucun compte de ses mouvements. Sur un ton de reproche impressionnant, Jésus leur dit: «En vérité, en vérité, je vous le dis, vous me cherchez, non parce que vous avez vu des miracles, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés.» C'était du pain et des poissons qu'ils se souciaient. Il ne fallait pas perdre de vue quelqu'un qui pouvait leur fournir de la nourriture comme il l'avait fait.

 

La réprimande du Maître fut suivie d'exhortations et d'enseignements: «Travaillez, non en vue de la nourriture qui périt mais en vue de la nourriture qui subsiste pour la vie éternelle - celle que le Fils de l'homme vous donnera; car c'est lui que le Père Dieu - a marqué de son sceau.» Ce contraste entre la nourriture matérielle et spirituelle ne pouvait échapper entièrement à leur compréhension, et certains d'entre eux demandèrent ce qu'ils devaient faire pour servir Dieu comme Jésus le demandait. La réponse fut: «Ce qui est l’œuvre de Dieu, c'est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé.» Nul ne pouvait douter que Jésus parlât de lui-même; et ils lui demandèrent directement d'autres preuves de son autorité divine; ils voulaient voir des prodiges plus grands. Le miracle des pains et des poissons datait de presque un jour; et cette preuve des attributs messianiques était en train de perdre de sa force. Moïse avait nourri leurs pères de manne dans le désert, dirent-ils; et il est clair qu'ils considéraient un approvisionnement quotidien constant comme un don plus grand qu'un seul repas de pain et de poisson, même si ce dernier aurait pu être apprécié à un moment où la faim était pressante. En outre, la manne était une nourriture céleste[33]. tandis que le pain qu'il leur avait donné était terrestre, et du vulgaire pain d'orge qui plus est. Il devait leur montrer de plus grands miracles et leur donner une provende plus riche, avant qu'ils ne l'acceptent comme Celui pour lequel ils l'avaient pris tout d'abord et qu'il se déclarait maintenant être.

 

LE CHRIST, PAIN DE VIE[34]

 

«Jésus leur dit: En vérité, en vérité, je vous le dis, ce n'est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel, mais mon Père vous donne le vrai pain venu du ciel; car le pain de Dieu c'est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde.» Ils se trompaient en pensant que Moïse leur avait donné de la manne; et après tout, la manne n'était que de la nourriture ordinaire, puisque ceux qui en mangeaient avaient de nouveau faim; mais maintenant le Père leur offrait un pain du ciel qui leur assurerait la vie. Comme la Samaritaine près du puits, en entendant le Seigneur parler d'une eau qui satisferait une fois pour toutes, avait demandé impulsivement et ne pensant qu'au confort physique: «Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n'aie plus soif et que je ne vienne plus puiser ici[35]», de même ces gens, vivement désireux d'obtenir une nourriture aussi satisfaisante que celle dont Jésus parlait, implorèrent: «Seigneur, donne-nous toujours ce pain-là.» Cette demande n'était peut-être pas entièrement grossière; il peut avoir existé dans le cœur de certains d'entre eux au moins un désir réel de nourriture spirituelle. Le Seigneur répondit à leur appel par une explication: «Moi, je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n'aura jamais faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif.» Il leur rappela que bien qu'ils l'eussent vu, ils ne croyaient pas en ses paroles; il leur assura que ceux qui l'acceptaient vraiment feraient ce que le Père ordonnait. Puis, sans métaphore ni symbolisme, il affirma: «Je suis descendu du ciel pour faire, non ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé.» Et la volonté du Père était que tous ceux qui accepteraient le Fils auraient la vie éternelle.

 

Il y avait dans la synagogue quelques-uns d'entre les dirigeants - Pharisiens, scribes, rabbis - et ceux-ci, appelés collectivement Juifs, critiquèrent Jésus et murmurèrent contre lui parce qu'il avait dit: «Moi, je suis le pain descendu du ciel.» Ils affirmèrent qu'il ne pouvait rien faire de plus qu'un autre; ils le tenaient pour le fils de Joseph, et pour autant qu'ils le sachent, il était de parents terrestres tout à fait ordinaires; pourtant il avait la témérité d'annoncer qu'il était descendu du ciel. C'est surtout à cette classe de gens plutôt qu'à la foule mêlée qui s'était pressée derrière lui que Jésus semble avoir adressé le reste de son discours. Il leur conseilla de cesser leurs murmures, car il était certain qu'ils ne pouvaient saisir ce qu'il voulait dire, et par conséquent ne croiraient en lui que s'ils étaient «enseignés de Dieu» comme les prophètes l'avaient été[36]; et nul ne pouvait venir à lui, c'est-à-dire accepter son Evangile sauveur, si le Père ne l'attirait au Fils; et nul, à moins d'être réceptif, disposé et préparé ne pouvait être ainsi attiré[37]. Cependant la croyance au Fils de Dieu est une condition indispensable au salut, comme Jésus le montra en affirmant: «En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi a la vie éternelle.»

 

Puis, revenant au symbolisme du pain, il répéta: «Moi, je suis le pain de vie.» Continuant à expliquer, il dit que si leurs pères mangèrent vraiment la manne dans le désert, cependant ils étaient morts, tandis que le pain de vie dont il parlait assurerait la vie éternelle à tous ceux qui en prenaient. Ce pain, affirmait-il, était sa chair. Les Juifs se plaignirent de nouveau de cet aveu solennel et discutèrent entre eux, certains demandant avec dérision: «Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger?» Soulignant la doctrine, jésus continua: «En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez son sang, vous n'avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang est vraiment un breuvage. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. Comme le Père qui est vivant m'a envoyé, je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi. C'est ici le pain qui est descendu du ciel. Il n'en est pas comme celui qu'ont mangé vos pères: ils sont morts. Celui qui mange ce pain vivra éternellement.»

Les Juifs n'avaient aucune excuse de faire semblant de comprendre que notre Seigneur voulait dire qu'il fallait manger et boire sa chair et son sang. Les paroles auxquelles ils faisaient des objections, ils les comprenaient beaucoup plus facilement que nous à première lecture; car le fait de représenter la loi et la vérité en général comme du pain, et le fait de les accepter comme de la nourriture et de la boisson étaient des images utilisées quotidiennement par les rabbis de l'époque[38]. Leur incompréhension du symbolisme de la doctrine du Christ est un acte de volonté délibérée, non la conséquence naturelle d'une ignorance innocente. Manger la chair et boire le sang du Christ, c'était et c'est croire en lui et l'accepter comme Fils littéral de Dieu et Sauveur du monde, et obéir à ses commandements. Ce n'est que de cette façon que l'Esprit de Dieu peut devenir de manière durable partie intégrante de la personne humaine de manière que la substance de la nourriture qu'il absorbe soit assimilée aux tissus de son corps. Il ne suffit pas d'accepter les préceptes du Christ comme nous pouvons adopter les enseignements des hommes de science, des philosophes et des savants, quelque grande que puisse être la sagesse de ces hommes; car il s'agit là d'un assentiment mental ou d'un exercice délibéré de la volonté, qui n'a trait qu'à la doctrine, indépendamment de son auteur. Les enseignements de Jésus-Christ sont durables à cause de leur valeur intrinsèque, et beaucoup d'hommes respectent ces aphorismes, ces proverbes, ces paroles et ces préceptes profondément philosophiques, tout en rejetant le fait qu'il est le Fils de Dieu, le Fils unique dans la chair, l'Homme Dieu en qui étaient unis les attributs de la divinité et ceux de l'humanité, le Rédempteur élu et préordonné de l'humanité, par l'intermédiaire duquel nous pouvons parvenir au salut. Mais l'image utilisée par Jésus, celle de manger sa chair et de boire son sang représentant le fait de l'accepter absolument et sans réserve comme le Sauveur des hommes, est d'une importance capitale, car elle affirme la divinité de sa Personne et sa divinité préexistante et éternelle. Le sacrement du repas du Seigneur, établi par le Sauveur la nuit où il fut trahi, perpétue le symbolisme contenu dans l'idée de manger sa chair et de boire son sang, en ce que l'on prend le pain et le vin en souvenir de lui[39]. Accepter Jésus comme le Christ veut dire obéir aux lois et aux ordonnances de son Evangile, car professer l'Un et refuser l'autre n'est que nous accuser de manque de logique, de manque de sincérité et d'hypocrisie.

 

UNE ÉPREUVE CRUCIALE - BEAUCOUP SE DÉTOURNENT[40]

 

La vérité à son sujet, telle que l'enseigna le Seigneur dans ce discours qui fut le dernier à la synagogue de Capernaüm, s'avéra être une épreuve de foi que beaucoup ne purent pas réussir. Ce ne furent pas seulement les Juifs critiques de la classe officielle, dont l'hostilité était ouvertement avouée qui en furent affectés, mais également ceux qui avaient professé une certaine mesure de foi en lui. «Après l'avoir entendu, plusieurs de ses disciples dirent: Cette parole est dure, qui peut l'écouter?» Jésus, conscient de leur désenchantement, demanda: «Cela vous scandalise?» Et il ajouta: «Et si vous voyiez le Fils de l'homme monter où il était auparavant?» Son ascension, qui devait suivre sa mort et sa résurrection, est ici clairement indiquée. Le sens spirituel de ses enseignements était mis hors de question par l'explication que ce n'était que par l'intermédiaire de l'Esprit qu'ils pouvaient comprendre. «C'est pourquoi, ajouta-t-il, je vous ai dit que nul ne peut venir à moi, si cela ne lui a été donné par le Père.»

 

Beaucoup le désertèrent, et dès lors ne le recherchèrent plus. L’événement était crucial; l'effet fut celui d'un passage au crible et d'une séparation. L’importante prédiction du prophète-Baptiste était entrée dans la phase de la réalisation: «Il vient, celui qui est plus puissant que moi... Il a son van à la main, puis il nettoyera son aire, il amassera le blé dans son grenier, mais brûlera la paille dans un feu qui ne s'éteint pas[41].» Le van était en action, et une grande quantité de paille était rejetée de côté.

 

Il semble que même les Douze furent incapables de comprendre le sens profond de ces derniers enseignements: ils étaient embarrassés, même si aucun n'alla jusqu'à déserter. Néanmoins, l'état d'esprit de certains d'entre eux était tel qu'il arracha de Jésus la question: «Et vous, ne voulez-vous pas aussi vous en aller?» Pierre parlant pour lui-même et pour ses frères, répondit avec émotion et conviction: «Seigneur, à qui irions-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle[42].» C'était l'esprit du Saint Apostolat qui se manifestait dans cette confession. Bien qu'ils fussent incapables de comprendre la doctrine dans sa plénitude, ils savaient que Jésus était le Christ et lui restèrent fidèles tandis que les autres se détournaient dans les sombres profondeurs de l'apostasie.

 

Alors que Pierre parlait pour l'ensemble du groupe apostolique, il y en avait un parmi eux qui se révoltait en silence; le traître Iscariot, qui se trouvait dans une condition pire que celle de quelqu'un qui s'avouait franchement apostat, était là. Le Seigneur connaissait le cœur de cet homme et dit: «N'est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les douze? Et l'un de vous est un démon!» L'historien ajoute: «Il parlait de Judas, fils de Simon Iscariot; car c'était lui qui devait le livrer, lui l'un des douze.»

 

NOTES DU CHAPITRE 21

 

1. Jésus à Nazareth : Comme aucun des évangélistes ne nous montre le Seigneur exerçant deux fois son ministère à Nazareth, et comme les récits séparés que l'on trouve dans les Evangiles synoptiques se ressemblent beaucoup dans quelques détails, certains commentateurs affirment que notre Seigneur ne prêcha à ses concitoyens à Nazareth et ne fut rejeté d'eux qu'une fois. Le récit de Luc (4:14-30) a trait à un événement qui suivit immédiatement le premier retour de Jésus en Galilée après son baptême et ses tentations et précéda directement l'appel préliminaire des pêcheurs-disciples, qui furent comptés ensuite parmi les apôtres. Matthieu (13:53-58) et Marc (6:1-6) rapportent une visite de Jésus à Nazareth après l'épisode où il enseigna pour la première fois en paraboles et les événements qui suivirent immédiatement celui-ci. Nous avons de bonnes raisons d'accepter le récit de Luc comme celui d'un incident plus ancien, et les récits donnés par Matthieu et Marc comme ceux d'une visite ultérieure.

 

2. Gentils : D'une manière générale, les Juifs appelaient tous les autres Gentils, quoique le même mot hébreu ait des sens divers dans l'Ancien Testament: «Gentils» (Gn 10:5, Juges 4:2, 13, 16, Es 11: 10, etc.), «nations» (Gn 10:5, 20, 31, 32; 14:1,9, etc.), et «païens» (Né 5:8, Ps 2:1, 8 etc.), l'élément essentiel du sens étant celui d'étrangers. Dans le Dict. of the Bible, de Smith, nous lisons «il [le nom «Gentils»] acquit un sens ethnographique et également péjoratif, car les autres nations étaient idolâtres, grossières, hostiles, etc. Cependant les Juifs étaient à même de l'utiliser dans un sens purement technique et géographique lorsqu'on le traduisait ordinairement «nations». Le Dr Edward E. Nourse, écrivant pour le Standard Bible Dictionnary, dit: «A l'époque du Nouveau Testament, le Juif répartissait l'humanité en trois classes: (1) les Juifs (2) les Grecs (les Hellènes, qui comprenaient les Romains et signifiaient ainsi les peuples civilisés de l'Empire romain, souvent rendus par «Gentils» dans la version autorisée anglaise), et (3) les barbares (les non-civilisés, Actes 28:4 Rm 1:14, 1 Co 14:11).» L’ordre que Jésus donna aux Douze: «N'allez pas vers les Gentils [dans la version du roi Jacques. La version Segond dit: «N'allez pas vers les païens.» - N. d. T.] avait pour but de les empêcher temporairement de tenter de faire des convertis parmi les Romains et les Grecs et de limiter leur ministère au peuple d'Israël.

 

3. Secouer la poussière des pieds : Secouer cérémoniellement la poussière de ses pieds en témoignage contre quelqu'un d'autre symbolisait chez les Juifs cesser de le fréquenter et refuser toute responsabilité des conséquences qui pourraient s'ensuivre. Selon les ordres du Seigneur à ses apôtres, cités dans le texte, cela devint une ordonnance d'accusation et de témoignage. Dans la dispensation actuelle, le Seigneur a ordonné de même à ses serviteurs autorisés de témoigner de cette façon contre ceux qui s'opposent volontairement et méchamment à la vérité lorsqu'elle est présentée avec autorité (voir D&A 24:15, 60:15, 75:20, 84:92, 99:4). La responsabilité de témoigner devant le Seigneur par ce symbole accusateur est si grande que ce moyen ne peut être employé que dans des conditions extraordinaires et extrêmes, sur les directives de l'Esprit du Seigneur.

 

4. Les deux Bethsaïda : Beaucoup de spécialistes de la Bible affirment que Bethsaïda, dans la région désertique voisine de laquelle Jésus et les Douze cherchèrent le repos et l'isolement, était la ville de ce nom qui se trouve en Pérée, sur la rive orientale du Jourdain, et que l'on appelle plus particulièrement Bethsaïda Julias pour la distinguer de la Bethsaida de Galilée, laquelle se trouvait tout près de Capernaüm. Le village péréen de Bethsaïda avait été agrandi et élevé au rang de ville par le tétrarque Philippe, et c'est lui qui l'avait appelée Julias en l'honneur de Julia, fille de l'empereur régnant. Les récits évangéliques du voyage par lequel Jésus et ses compagnons parvinrent à cet endroit et concernant le retour de celui-ci peuvent soutenir la théorie que c'est Bethsaïda de Pérée et non Bethsaïda de Galilée qui fut la ville dont le «lieu désert» dont il est parlé était la région environnante.

 

5. Le premier soir et le soir ultérieur : Matthieu distingue deux soirs dans le jour de la première multiplication des pains; ainsi «le soir venu» les disciples demandèrent à Jésus de renvoyer la multitude; et plus tard, après la multiplication miraculeuse et lorsque les disciples furent partis en bateau et que les foules s'en furent allées, «et le soir venu» Jésus se trouva seul sur la montagne (Mt 14:15, 23; comparer avec Mc 6:35, 47). Trench, Notes on the Miracles (p. 217), dit: «Saint Matthieu et saint Marc donneront deux soirs à ce jour: un qui avait déjà commencé avant que les préparatifs pour nourrir la multitude eussent commencé (verset 15), l'autre maintenant que les disciples étaient montés dans la barque ets'étaient mis en route pour leur traversée (verset 23). C'était là une manière ordinaire de parler parmi les juifs, le premier soir correspondant assez bien à notre après-midi... le deuxième soir étant le crépuscule, ou de six heures au crépuscule, lequel était suivi de ténèbres absolues.» Voir le Dict., de Smith, article «Chronology», dont nous tirons l'extrait suivant: «Entre les deux soirs» (Ex 12:6, Nb 9:3, 28:4) est une division naturelle entre la fin de l'après-midi où le soleil est bas et le soir lorsque sa lumière n'est pas encore entièrement disparue, les deux soirs dans lesquels la soirée naturelle serait divisée par le début du jour civil s'il commençait au coucher du soleil.»

 

6. Les veilles de la nuit : Dans la plus grande partie de l'époque de l'Ancien Testament, le peuple d'Israël répartit la nuit en trois veilles, chacune de quatre heures, ces périodes étant des veilles de sentinelle. Mais avant le commencement de l'ère chrétienne, les Juifs adoptèrent le système romain de quatre veilles nocturnes, chacune de trois heures. Celles-ci étaient désignées numériquement, par exemple la quatrième veille mentionnée dans le texte (voir Mt 14:25), ou encore minuit, le chant du coq et le matin (voir Marc 13:35). La quatrième veille était la dernière des périodes de trois heures entre le coucher et le lever du soleil, ou entre dix-huit heures et six heures, et s'étendait par conséquent entre trois et six heures du matin.

 

7. Le bord du vêtement : La foi de ceux qui croyaient que, s'ils pouvaient ne fût-ce que toucher le bord du vêtement du Seigneur ils seraient guéris, est similaire à celle de la femme qui fut guérie de sa longue maladie en touchant sa robe de cette manière (voir Mt 9:21. Marc 5:27, 28; Luc 8:44). Les Juifs considéraient que le bord de leur robe extérieure avait une importance particulière, à cause du commandement qui avait été donné à l'Israël des temps anciens (Nb 5:38, 39) d'ourler tous les bords des vêtements et d'y placer une bande bleue pour lui rappeler ses obligations de peuple de l'alliance. Le désir de toucher le bord de la robe du Christ peut avoir été associé à la pensée de la sainteté qui se rattachait à la bordure ou à la couture.

 

8. Traditions concernant la manne : C'est à juste titre qu'on a considéré la manne qui fut donnée aux Israélites lors de l'exode et de leur long voyage dans le désert comme un miracle extraordinaire (Ex 16:14-36; Nb 11:7-9, Dt 8:3, 16, Jos 5:12, Ps 78:24, 25). Beaucoup de traditions, dont certaines sont pernicieuses et erronées, ont été brodées autour de cet incident et transmises avec des ajouts inventés d'une génération à l'autre. A l'époque du Christ, l'enseignement rabbinique était que la manne dont les pères s'étaient nourris était littéralement la nourriture des anges envoyée du ciel et qu'elle avait des goûts et des parfums variés pour convenir à tous les âges, à tous les états et à tous les désirs; pour l'un elle avait le goût du miel, pour l'autre du pain, etc.; et dans la bouche de tous les Gentils, elle était amère. En outre, on disait que le Messie donnerait à Israël une provision constante de manne lorsqu'il viendrait parmi eux. Ces conceptions erronées expliquent en partie que les personnes qui avaient reçu en nourriture des pains d'orge et des poissons aient exigé un miracle qui dépasserait la manne donnée dans les temps anciens, comme preuve que Jésus était le Messie.

 

9. La foi, don de Dieu : «Bien qu'étant à la portée de tous ceux qui s'efforcent diligemment de l'acquérir, la foi est néanmoins un don divin et ne peut être obtenue que de Dieu (Mt 16:17, Jn 6:44, 65, Ep 2:8, 1 Co 12:9, Rm 12:3, Moro 10:11). Comme il convient à une perle si précieuse, elle n'est donnée qu'à ceux qui montrent, par leur sincérité, qu'ils en sont dignes et qui promettent de se conformer à ses inspirations. Bien que la foi soit appelée le premier principe de l'Evangile du Christ, quoiqu'elle soit, en réalité, le fondement de la vie religieuse, elle est, elle-même, précédée par la sincérité des intentions et par l'humilité de l'âme, grâce auxquelles la parole de Dieu peut faire impression sur le cœur (Rm 10:17). Aucune coercition n'est employée pour amener les hommes à la connaissance de Dieu; cependant, aussitôt que nous ouvrons notre cœur à l'influence de la droiture, la foi qui mène à la vie éternelle nous est donnée par notre Père.» - Articles de Foi, p. 135.

 

10. Symbolisme spirituel du manger : L'idée de manger, métaphore pour indiquer la réception des bienfaits spirituels, était bien connue des auditeurs du Christ, et ils la comprirent aussi facilement que nous comprenons nos expressions «dévorer un livre», ou «boire» les paroles de quelqu'un. Les rabbis expliquaient que les mots «toute ressource de pain» dans Es 3:1, avaient trait à leur propre enseignement, et ils en firent une règle que, partout où il était fait allusion, dans l'Ecclésiaste, à la nourriture ou à la boisson, cela signifiait l'étude de la loi et la pratique de bonne œuvres. C'était un proverbe chez eux: «A l'époque du Messie les Israélites seront nourris par lui.» Il n'était rien de plus commun dans les écoles et les synagogues que les expressions portant sur le manger et le boire dans un sens métaphorique. «Le Messie ne viendra vraisemblablement pas en Israël, disait Hillel, car on l'a déjà mangé» - c'est-à-dire qu'on a déjà reçu avidement ses paroles - «du temps d'Ezéchias». Une expression conventionnelle courante dans les synagogues était que les justes «mangeraient la schékinah». C'était une caractéristique des Juifs que cet enseignement dans un langage métaphorique de ce genre. Leurs rabbis ne parlaient jamais en termes clairs, et il est dit expressément que Jésus se soumettait au goût populaire, car «il ne leur parlait pas sans parabole» (Mc 4:34). - Geikie, Life and Words of Christ, vol. I, p. 184.

 

11. La nature cruciale du discours : Commentant l'effet du discours de notre Seigneur (Jn 6:26-71), Edersheim (vol. II, p. 36) dit: «Nous voici donc à la croisée des chemins; et c'est justement parce qu'il était temps de se décider que le Christ exposa si clairement les vérités supérieures qui le concernaient et qui étaient opposées aux conceptions que la multitude entretenait au sujet du Messie. Il en résulta encore une autre et plus attristante défection. En entendant cela, beaucoup de ses disciples firent marche arrière et cessèrent de l'accompagner. Que dis-je, cette épreuve inquisitrice toucha même le cœur des Douze. Allaient-ils partir avec eux aussi? C'était un prélude à Gethsémané, la première expérience de Gethsémané. Mais une chose les obligea à rester fidèles, l'expérience du passé. C'était là la base de leur foi et de leur fidélité actuelle. Ils ne pouvaient retourner à leur ancien passé; ils devaient s'attacher à lui. C'est ainsi que Pierre dit au nom de tous: «Seigneur, à qui irions-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle.» Et non seulement cela, à la suite de ce qu'ils avaient appris: «Et nous avons cru, et nous avons connu que c'est toi le Christ, le Saint de Dieu.» C'est également ainsi que beaucoup d'entre nous, dont les pensées peuvent avoir été cruellement bousculées, et dont les fondements ont pu être terriblement assaillis, peuvent avoir trouvé leur premier lieu de repos dans l'expérience spirituelle certaine et inattaquable du passé. Où pouvons-nous aller pour trouver les paroles de la vie éternelle, si ce n'est au Christ? S'il nous fait défaut, alors tout espoir de l'éternel disparaît. Mais il a les paroles de la vie éternelle - et nous avons cru dès qu'elles nous ont été données; oui, nous savons qu'il est le Saint de Dieu. Et cela implique tout ce dont la foi a besoin pour en apprendre davantage. Le reste, il nous le montrera lorsqu'il sera transfiguré sous nos yeux. Mais parmi ces Douze, le Christ savait qu'il y avait un démon - comme cet ange, tombé de la hauteur la plus sublime dans l'abîme le plus profond. L’apostasie de Judas avait déjà commencé en son cœur. Et plus l'attente et la déception populaires avaient été grandes, plus la réaction et l'hostilité qui s'ensuivirent furent violentes. L’heure de la décision était passée, et l'aiguille du cadran pointait vers l'heure de sa mort.

 



[1] Mt 13:53-58; Mc 6:1-6.

[2] Lc 4:28-30. Voir pages 196-198.

[3] Pages 279, 299.

[4] Note 2, page 298.

[5] Note 1, fin du chapitre.

[6] Mt 10:5-42; Mc 6:7-13; Lc 9:1-6.

[7] Mc 3:14.

[8] Mt 10:5-42; Mc 6:7-13; Lc 9:1-6.

[9] Note 2, fin du chapitre. 

[10] Mt 28:19; Mc 16:15. Page 747 infra.

[11] Note 3, fin du chapitre.

[12] Mt 10:18-20; cf. Mc 13:9; Lc 12:10-12.

[13] Mc 6:7.

[14] Jn 5; pages 226, 236.

[15] Mt 11:2-19; Lc 7:18-34; voir page 276.

[16] Page 283

[17] Mc 6:12,13 Lc 9:10. Notez le témoignage similaire des soixante-dix qui furent envoyés ultérieurement et revinrent en se réjouissant de l'autorité qui s'était manifestée dans leur ministère; Lc 10:17.

[18] Note 4, fin du chapitre.

[19] Jn 6:5-14; cf. Mt 14:15-21; Mc 6:35-44; Lc 9:12-17.

[20] Jn 6:4; Mt 14:19; Mc 6:39.

[21] Note 5, fin du chapitre.

[22] Mt 14:22-23; cf. Mc 6:45-52, Jn 6:15-21.

[23] Page 352.

[24] Note 6, fin du chapitre.

[25] C'est-à-dire «puisque».

[26] Cf. le bond impétueux de Pierre dans la mer pour parvenir au Seigneur ressuscité sur la rive, Jean 21:7.

[27] Marc 6:52.

[28] Notez que c'est la première fois que ce titre apparaît dans les Evangiles synoptiques, appliqué par des mortels à Jésus; comparer un exemple antérieur de son application par Nathanaël, Jean 1:49.

[29] Articles de Foi, pp. 130-133 - «La foi est un principe de pouvoir».

[30] Josèphe, Guerres, Ill, 10:7,8.

[31] Marc 6:53-56; cf. Mt 14:34-36. Note 7, fin du chapitre.

[32] Jean 6:22-27.

[33] Note 8, fin du chapitre.

[34] Jean 6:32-59.

[35] Jean 4:13-15; page 191 supra

[36] Es 54:13, Jr 31:34, Michée 4:2, cf. Hé 8:10,10:16.

[37] Note 9, fin du chapitre.

[38] Note 10, fin du chapitre.

[39] Mt 26:26-28, Marc 14:22-25, Luc 22:19, 20. Page 640.

[40] Jean 6:59-71.

[41] Luc 3:16, 17, Mt 3:11, 12.

[42] Comparer cette confession (Jean 6:68, 69) au témoignage ultérieur de Pierre (Mt 16:16). Note 11, fin du chapitre.

 

 

 

l Accueil l Écritures l Livres l Magazines l Études l Médias l Art l