AU GRAND PROPHETE


par John A. Tvedtnes
© Meridian Magazine

L'appel divin de Joseph Smith se produisit au printemps de 1820. Il écrit à ce propos : « … Je vis deux Personnages dont l'éclat et la gloire défient toute description, et qui se tenaient au-dessus de moi dans les airs. L'un d'eux me parla, m'appelant par mon nom, et dit, en me montrant l'autre: Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoute-le! » (Joseph Smith –- Histoire 1:17). Trois ans et demi plus tard, l'ange Moroni lui apparut, l’appela par son nom et lui dit que son « nom serait connu en bien et en mal parmi toutes les nations, familles et langues, ou qu'on en dirait du bien et du mal parmi tous les peuples. » (Joseph Smith – Histoire 1:33.) Si les êtres célestes honorèrent Joseph, l'histoire de sa vision lui fit beaucoup de tort.

« … auprès des adeptes des autres confessions et [fut] la cause d'une grande persécution, qui [alla] croissant ; et quoique je fusse un garçon obscur de quatorze à quinze ans à peine, et que ma situation dans la vie fût de nature à faire de moi un garçon sans importance dans le monde, pourtant des hommes haut placés me remarquèrent suffisamment pour exciter l'opinion publique contre moi et provoquer une violente persécution… Je me fis sérieusement la réflexion alors, et je l'ai souvent faite depuis, qu'il était bien étrange qu'un garçon obscur, d'un peu plus de quatorze ans, qui, de surcroît, était condamné à la nécessité de gagner maigrement sa vie par son travail journalier, fût jugé assez important pour attirer l'attention des grands des confessions les plus populaires du jour, et ce, au point de susciter chez eux l'esprit de persécution et d'insulte le plus violent. Mais aussi étrange que cela fût, il en était ainsi, et ce fut souvent une cause de grand chagrin pour moi. » (Joseph Smith – Histoire 1:22-23).


De son vivant et jusqu'à nos jours, le prophète Joseph a été diffamé par toutes sortes de gens. Certains d'entre eux ignorent purement et simplement tout de l'homme et de ce qu'il a vraiment enseigné ; d'autres, non contents de le voir mourir sous les coups d’émeutiers armés au visage noirci, trouvent nécessaire de continuer à traîner sa réputation dans la boue créée par leurs prédécesseurs. Toutefois, avec le temps, de plus en plus de personnes en viennent à admirer, sinon suivre Joseph.


Aujourd'hui, Joseph Smith est vénéré comme prophète par les quelque douze millions de membres que compte actuellement l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours et il a récemment figuré sur la liste des cent candidats au titre du « plus grand Américain ». D’innombrables autres se moquent de lui et certains vont jusqu’à gagner leur vie en publiant des livres, des brochures et des sites Internet critiquant Joseph et l'Église qu'il a fondée. Entre ces deux extrêmes, il y a les grandes masses de la terre qui ou bien n'ont pas entendu son nom ou bien n'ont aucune opinion concernant son œuvre. La question qui se pose à tous les hommes est ce qu’il faut penser de ce fermier du XIXe siècle dont les enseignements franchissent les siècles, depuis les temps anciens jusqu’à l’avenir.


Dès février 1833, Joseph proclamait au nom du Seigneur : « En conséquence des mauvaises intentions et des desseins qui existent et existeront dans les derniers jours dans le cœur des conspirateurs, je vous ai avertis et je vous préviens en vous donnant par révélation cette parole de sagesse » (D&A 89:4). La révélation énumère ensuite les substances qui ne sont pas bonnes pour le corps, notamment le tabac et les boissons alcoolisées. Il y en a bien sûr eu d'autres, avant et après Joseph Smith, qui se sont élevés contre les maux causés par ces substances, mais il fut le seul à dire que l'avertissement était donné en raison « des mauvaises intentions et des desseins qui existent et existeront dans les derniers jours dans le cœur des conspirateurs ». Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle, quand le Congrès des États-Unis a commencé à enquêter sur les marchands de cigarettes que le public s’est aperçu que l'industrie de tabac avait littéralement conspiré pour dissimuler les recherches sur les effets négatifs de ses produits et pour trouver le moyen d’augmenter sa clientèle. Même celui qui rejette l’affirmation de Joseph Smith qu’il était un prophète appelé de Dieu devrait pouvoir se rendre compte que son avertissement était bien en avance sur son temps.


Joseph a également devancé ses contemporains d'autres manières. Sa campagne de 1844 pour la présidence des États-Unis réclamait la fin de l'esclavage, l'annexion du Texas et des territoires limitrophes et la vente de terres appartenant au gouvernement pour lever des fonds pour des programmes sociaux [1]. Presque soixante-dix ans avant qu'Einstein ne formule sa théorie spéciale de la relativité, Joseph Smith écrivait sur les échanges entre le temps et l'espace (Abraham, fac-similé 2, fig. 1). Benjamin F. Johnson, un de ses proches collaborateurs, écrit :


« Il a été le premier de notre époque à enseigner le ‘substantialisme’, l'éternité de la matière, qu'aucune partie ou particule du grand univers ne peut être annihilée ou détruite ; que la lumière, la vie et l’esprit étaient un ; que toute lumière et toute chaleur sont la « gloire de Dieu », qui est son pouvoir, qui remplit ‘l’immensité de l'espace’ et est la vie de toutes choses et imprègne d’une vie et d’une chaleur latentes chaque particule dont tous les mondes sont constitués ; que la lumière ou l’esprit et la matière sont les deux premiers grands principes primaires de l'univers ou de l'existence ; qu'ils existent par eux-mêmes, sont coexistants, indestructibles et éternels et que c’est à partir de ces deux éléments que notre esprit et notre corps ont été formulés [2]. »


George Q. Cannon a laissé un témoignage semblable :


« Nous avons enseigné beaucoup de points de doctrine qui étaient très impopulaires au commencement mais que l’on accepte maintenant. Il y a, dans cette assemblée, des frères qui se rappellent très bien que c'était une croyance courante, quand ils prêchaient l'Évangile aux croyants, que le monde a été créé du néant. C'était une idée généralement reçue. Joseph Smith a enseigné la durée éternelle de la matière. Il a enseigné la doctrine que la matière était indestructible, qu'elle n'a jamais eu de commencement, qu'elle ne pouvait jamais avoir de fin, qu'elle pouvait subir des changements chimiques, mais qu'elle était indestructible et que les éléments dont la terre se compose étaient éternels, qu’ils n'avaient jamais eu de commencement et n'auraient jamais de fin. Le monde religieux tout entier était choqué par une telle idée et aussi pour ce qui est du temps qu’il a fallu pour la création de la terre. Mais Joseph a enseigné le vrai principe lié à ceci. Il a dit que les jours qui sont mentionnés pour la durée de la création n'étaient pas nos jours de vingt-quatre heures, mais étaient des périodes de temps. Or, c'est là une doctrine généralement acceptée, alors que les croyants s’en sont moqués et l’ont rejetée à l’époque où les frères de l’Église l’enseignaient. Et il a continué d’en être ainsi [3]. »


Certains des contemporains de Joseph Smith, tout en ne voulant pas se joindre à son mouvement religieux, admiraient néanmoins en lui le grand innovateur qu’il était. Dans une lettre écrite à sa famille le 6 février 1840, Matthew S. Davis, membre du Congrès, écrit :


« Hier soir, je suis allé écouter « Joe Smith », le fameux mormon, exposer sa doctrine. Nous avions, moi et plusieurs autres, envie de comprendre ses principes expliqués par lui-même. Ce n'est pas un homme instruit, mais c’est un homme simple, sensé et résolu. Tout ce qu’il dit, il le dit d’une manière qui laisse l’impression qu'il est sincère. Il n'y a aucune légèreté, aucun fanatisme, aucun manque de dignité dans son comportement. Il semble avoir quarante à quarante-cinq ans, il est d’une taille plutôt au-dessus de la moyenne et il est ce que vous, les dames, appelleriez un très bel homme. Son habillement n'a aucune particularité : c’est celui d’un citoyen simple et sans prétentions. Il est fermier de profession, mais il a évidemment beaucoup lu…


« Pendant la totalité de son discours, et il a duré plus de deux heures, il n'a exprimé aucune opinion ou croyance qui fût, si peu que ce soit, de nature à saper le moral de la société ou à dégrader et brutaliser en quoi que ce soit l’espèce humaine. Il y avait beaucoup de choses dans ses préceptes, s’ils étaient suivis, qui adouciraient les aspérités de l'homme envers l'homme et qui auraient tendance à le rendre plus raisonnable qu'il ne l’est généralement. Il n'y avait aucune violence, aucune fureur, aucune dénonciation. Sa religion semble être la religion de l'humilité, de la gentillesse et de la persuasion aimable [4]. »


Le 22 mars 1842, le journal Columbus Advocate publia une lettre à la rédaction qui disait :


« Ayant récemment eu l'occasion de visiter la ville de Nauvoo, je ne peux pas laisser passer l’occasion sans exprimer l’agréable déception qui m'y attendait. Je croyais, d’après ce que j'avais précédemment entendu, que j’allais y trouver une population appauvrie, ignorante et aux idées étroites, complètement asservie aux prêtres et tyrannisée par Joseph Smith, le grand prophète de ces gens.


« Au contraire, à ma grande surprise, j'ai vu des gens apparemment heureux, prospères et intelligents. Chaque homme semblait exercer une activité ou un métier. Je n'ai vu ni oisiveté, ni intempérance, ni bruit, ni émeute – tout le monde semblait satisfait et ne pas avoir envie de se préoccuper d’autre chose que de ses propres affaires…


« Pendant les trois jours qu’a duré mon séjour, j’ai fait amplement connaissance avec leurs dirigeants et plus particulièrement avec leur prophète, le fameux « Old Joe Smith ». Je les ai trouvés hospitaliers, polis, bien informés et libéraux. Pour ce qui est de Joseph Smith, j’ai été bien reçu par toute la maisonnée, j'en ai été très satisfait ; naturellement, nous n’étions pas du tout d’accord au sujet de la religion, mais il m’a paru aussi disposé à me permettre d’exercer mon droit à avoir mon opinion, que je pense que nous devrions l’être à permettre aux mormons d’exercer le leur ; jugez de ma surprise lorsque, au lieu du parvenu ignorant et tyrannique, j’ai trouvé un homme sensé, intelligent, sociable et courtois. Lors des conversations fréquentes que j’ai eues avec lui, il m'a donné tous les renseignements que je demandais et semblait n’être que trop heureux de pouvoir le faire. Il a l’air d’être très respecté par tous ceux qui l’entourent et a toute leur confiance. C’est un bel homme d’environ trente-six ans et il a une famille intéressante [5].


Dans un discours prononcé le 17 mai 1844 lors d’une assemblée publique à Nauvoo, l’homme de loi non mormon John Reid a dit :


« C’est vers 1823 que j’ai rencontré pour la première fois le général Smith [NdT : Joseph Smith était général de la légion de Nauvoo]. Il est arrivé dans mon quartier alors qu’il avait environ dix-huit ans et y a résidé deux ans ; pendant ce temps, j’ai appris à le connaître intimement. Je sais qu’il était irréprochable, qu'il était bien connu pour son honnêteté et sa droiture, qu’il fréquentait les meilleurs milieux de la localité et que l’on disait souvent de lui que c’était un jeune homme intelligent et de bonne moralité et qu’il possédait des facultés capables des plus belles réalisations intellectuelles.


« Je me suis bientôt aperçu que son esprit était constamment à la recherche de la vérité, exprimant le vif désir de connaître la volonté de Dieu à l’égard de ses enfants ici-bas, parlant souvent de ces choses auxquelles croient ceux qui professent être chrétiens. J'ai souvent fait la réflexion à mes amis les mieux informés (ceux qui étaient libres de toute superstition et de tous préjugés) que je pensais que Joseph était prédestiné, depuis toute éternité, par son Dieu à être un instrument dans les mains du grand Dispensateur de tout ce qui est bon pour accomplir une grande œuvre. Ce que c'était, je ne le savais pas [6]. »


Après que Joseph Smith eut annoncé sa candidature à la présidence des États-Unis, quelques journaux non mormons semblèrent même être en sa faveur. Le Illinois Springfield Register du 20 mars 1844 publia un article intitulé : « Le général Joseph Smith, candidat à la présidence », notant : « Il semble, si l’on en croit les journaux de Nauvoo, que le prophète mormon se porte effectivement candidat à la présidence. » Contrastant les idées claires du prophète avec « les louvoiements » du sénateur Henry Clay, l'auteur ajoute : « Le général Smith… devrait être considéré comme le véritable candidat libéral à la présidence. » Le Iowa Democrat publiait, à même date, l’éditorial suivant :


« Nous voyons dans le Nauvoo Neighbor que le général Joseph Smith, le grand prophète mormon, est devenu candidat pour la prochaine présidence. Nous ne savons pas s'il a ou non l'intention de proposer ses prétentions à la Convention nationale ; mais, à en juger d’après les termes de son propre organe, nous concluons qu'il se considère à la hauteur de tous les autres.


« Tout ce que nous pouvons dire là-dessus, c’est que si un talent, un génie et une intelligence supérieurs, associés à la vertu, à l'intégrité et à des idées larges peuvent être garants de l’élection du général Smith, nous pensons qu'il se suffira pleinement à lui-même [7]. »


Le Missouri Republican exprima l’opinion que l'entrée de Joseph Smith dans la course à la présidence délogerait le président Martin Van Buren [8]. Quelqu’un qui avait visité Nauvoo écrivit une lettre à la rédaction du journal de l’Église, le Times and Seasons, disant :


« J'ai bien connu les grands hommes de notre époque : et, en fin de compte, j'estime que j'ai rencontré le plus grand en la personne de votre estimé prophète, le général Joseph Smith. D’après tout ce que j’avais lu, j’avais des raisons de voir en lui un faiseur de religion fanatique, aussi ignorant de la politique que les sauvages ; mais, à mon tout grand étonnement, après une brève rencontre, je l'ai trouvé aussi à l’aise en politique qu'avec sa Bible et, pour ce qui est de la connaissance de ce livre, je n'ai pas rencontré son égal en Europe ni en Amérique. Bien que je ne sois pas d’accord avec lui sur certains points de la foi, sa grandeur d'âme ne lui permettra pas de s’en offenser. Non, monsieur, je le trouve ouvert, franc et généreux, aussi disposé à permettre aux autres d’entretenir leurs idées que lui les siennes.


« Le général paraît parfaitement à l’aise dans n’importe quel sujet et sa connaissance de plusieurs langues lui fournit d’amples moyens d’être au courant de toutes les nations et de tous les principes, ce qui, avec son comportement amical et digne envers tous, doit lui valoir les bons sentiments de tout homme intelligent et vertueux qui peut croiser sa route et je suis étonné que l’on sache si peu de choses de lui au-dehors.


« Van Buren était mon favori et j'ai été étonné de voir le nom du général Smith comme concurrent ; mais depuis que j’ai fait la connaissance de celui-ci, M. Van Buren ne retrouvera jamais le fauteuil présidentiel à l’aide de mon vote tant que le général Smith sera dans la course. En me faisant mon opinion uniquement sur les talents des deux et d’après ce que j'ai vu, je n'ai aucune raison de douter que l'intégrité du général Smith vaille celle de n'importe qui d’autre et je suis certain qu’on ne peut pas faire de lui l’instrument docile d’un quelconque parti politique. Je le considère comme un homme qui se tient soigneusement à l’écart des chicaneries et des chamailleries des comités électoraux, alors qu’il manie les nations, les gouvernements et les royaumes avec autant d’aisance que les petits garçons manient leur cerceau avec leur bâton.


« Exempt de tout préjugé et de toute superstition, il plonge dans tous les sujets et on a l’impression que le monde n'est pas assez grand pour satisfaire son âme immense et, à l’entendre parler, l’on pourrait supposer qu'il connaît aussi bien d'autres mondes que celui-ci.


« À ce que j’ai pu voir, le général Smith est l'homme qu’il faut à ce pays, l'homme qui fera avancer la nation, si le peuple lui en donne l’occasion ; et tous les partis trouveront un ami en matière de justice.


« Les actions du général Smith sont tout à fait surprenantes dans l'évaluation du public. Tous les autres grands hommes ont été considérés comme sages de s’entourer d’hommes sages ; mais j'ai souvent entendu le général traité d’idiot parce qu'il a réuni autour de lui les plus sages des hommes, qui dirigent ses mouvements ; mais ce sujet est trop ridicule pour qu’on s’y attarde. Qu'il me suffise de dire qu’autant que je sache, il a des hommes sages à ses côtés, des hommes superlativement sages et plus capables de gérer les affaires d'un État que la plupart des hommes qui s’en occupent maintenant, ce que je considère comme étant tout à son honneur, bien que ne voulant en aucun cas parler en termes négatifs de lui.


« D’après notre brève rencontre, je considère le général Smith (indépendamment de ses idées religieuses particulières, dans lesquelles, soit dit en passant, je n'ai découvert ni vanité ni sottises), comme la condition sine qua non de notre époque pour la prospérité de notre nation. Il a appris la leçon capitale de « profiter de l'expérience de ceux qui nous ont précédés », de sorte que, en bref, le général Smith commence là où d'autres hommes s’arrêtent. Je me rends bien compte que ceci apparaîtra à certains comme une affirmation hardie, mais à ceux-là je dirais : Allez-y voir et faites-vous votre opinion vous-mêmes, comme moi ; ne jugez qu’après [9]. »


Le rédacteur du Saint Louis Organ, après avoir exhorté tous les autres candidats à la présidence à abandonner la course, écrit : « Le général Joseph Smith, le prophète moderne reconnu, les a tous à l’arrière [10] et s’il faut en juger par la façon habituelle d’évaluer le succès des candidats à la présidence, à savoir, par les élections sur les bateaux à vapeur, il (Smith) battra à deux contre un tous les autres aspirants à cette fonction. Nous apprenons par le scrutin du bateau à vapeur Osprey, lors de son dernier voyage vers cette ville, que le vote était en faveur du général Joseph Smith, 20 messieurs et 5 dames ; Henry Clay, 16 messieurs et 4 dames ; Van Buren, 7 messieurs et 0 dames. » [11]


En 1844, Josiah Quincy, le célèbre maire de Boston (Massachusetts) visita Nauvoo en compagnie de Charles Francis Adams. Quincy fut à ce point impressionné par le génie du prophète qu'il écrivit plus tard :


« Il n’est pas du tout impossible que quelque futur livre à l’usage de générations non encore nées contienne une question de ce genre-ci : Quel Américain historique du dix-neuvième siècle a exercé l'influence la plus puissante sur la destinée de ses compatriotes ? Et il n’est pas du tout impossible que la réponse à celle question soit libellée comme suit : Joseph Smith, le Prophète mormon. Et cette réponse, aussi absurde qu'elle paraisse sans aucun doute à la plupart des hommes qui vivent actuellement, sera peut-être un lieu commun évident pour leurs descendants. L'histoire nous montre des surprises et des paradoxes aussi étonnants que celui-ci. L'homme qui a établi une religion en ce siècle de libre débat, qui était et est encore aujourd'hui accepté par des centaines de milliers d’individus comme émissaire direct du Très-Haut, un être humain aussi rare ne peut pas être expédié en abreuvant sa mémoire d’épithètes malsonnantes. Fanatique, imposteur, charlatan, il l’a peut-être été, mais ces noms durs n’apportent aucune solution aux problèmes qu'il nous pose. Il y a tous les jours des fanatiques et des imposteurs qui vivent et qui meurent et leur souvenir est enterré avec eux ; mais l'influence merveilleuse que ce fondateur de religion a exercée et exerce toujours, le met en relief devant nous, non comme un escroc à condamner, mais comme un phénomène à expliquer. Les questions essentielles que les Américains se posent aujourd'hui portent sur cet homme et sur ce qu'il nous a laissé [12]. »


Le New York Sun du 4 septembre 1843 publie un article intitulé : « Joe Smith, le prophète mormon » qui, tout en rejetant les prétentions du mormonisme, a ceci de positif à dire au sujet de Joseph Smith :


« Ce Joe Smith doit être considéré comme un personnage extraordinaire, un prophète-héros, comme Carlyle pourrait l'appeler. Il est l'un des grands hommes de notre époque et, dans l’histoire future, comptera avec ceux qui, d'une manière ou d'une autre, ont marqué fortement de leur empreinte la société.


« Rien semble-t-il ne peut être plus plébéien que ce Joe Smith. Il y a peu de dignité dans son nom de famille ; mais peu à notre époque ont accompli de telles prouesses et fait de tels miracles apparents. Ce n'est pas rien que de donner, en plein dix-neuvième siècle, une nouvelle révélation aux hommes, de fonder une nouvelle religion, de créer de nouvelles formes de culte, de construire une ville avec de nouvelles lois, de nouvelles institutions et de nouveaux ordres d'architecture, de créer une juridiction ecclésiastique, civile et militaire, de fonder des établissements d’enseignement supérieur, d’envoyer des missionnaires et de faire des prosélytes sur deux continents. Pourtant tout ceci a été fait par Joe Smith, et ce, face à toutes sortes d'opposition, de railleries et de persécutions.


« Que Joe Smith, le fondateur des mormons, soit un homme de grand talent, un penseur profond et un orateur éloquent, un écrivain capable et un homme d’une grande puissance mentale, aucun de ceux qui ont observé sa carrière ne peut en douter. »


Certains savants modernes ont également admiré les réalisations de Joseph Smith. Pendant mon long séjour (1971-1979) en Israël, j'ai souvent entendu le défunt professeur David Flusser, qui avait présidé le département de religion comparative à l'université hébraïque, parler de l'homme que lui aussi appelait « le prophète. » Quand je l'ai vu pour la dernière fois, Flusser travaillait à un livre comparant la première vision de Joseph Smith à des récits semblables dans les premiers textes chrétiens [13]. Un autre professeur juif, Harold Bloom de l'université de Yale, a écrit :


« Le génie religieux de Smith se manifestait toujours dans ce qu’on pourrait appeler sa précision charismatique, son sens infaillible de la pertinence qui régissait les parallèles bibliques et mormons. Je ne peux qu’attribuer à son génie ou démon l’art qu’il avait de récupérer, dans la théurgie juive antique, des éléments qui avaient cessé d'être accessibles au judaïsme normatif ou au christianisme et qui n’avaient survécu que dans des traditions ésotériques peu susceptibles d'avoir touché Smith directement [14]. »


W. D. Davies, un théologien bien connu de la Duke University, était d'accord avec Bloom, écrivant que « le mormonisme est la tradition judéo-chrétienne à l’américaine… ce qu'il a fait, cela a été de rejudaïser un christianisme qui avait été trop hellénisé » [15].


Un autre savant américain renommé qui a commenté l’œuvre de Joseph Smith est le défunt William Foxwell Albright de l'université Johns Hopkins. Lorsqu'un critique de l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours lui écrivit pour lui demander de dénoncer le livre d'Abraham, Albright défendit Joseph Smith en disant : « Je ne crois pas un seul instant que Joseph Smith essayait de tromper qui que ce soit ; j'accepte le point de vue d'un ami juif à moi de l'université d'Utah, [16] qu’il était un génie religieux et qu’il était tout à fait honnête quand il croyait qu'il pouvait réellement déchiffrer ces textes antiques. Mais vouloir absolument prétendre qu’il [trompait], c’est vraiment rendre un mauvais service à la cause d'une grande église et de son talentueux fondateur[17]. »


À la fin du XXe siècle, de plus en plus de colloques sur Joseph Smith et l'Église rétablie ont eu lieu en des endroits tels que les universités d'Oxford et de Durham en Angleterre. Les 6 et 7 mai 2005, en l'honneur du 200e anniversaire de la naissance du prophète, un colloque de deux jours sur « Le monde de Joseph Smith » a attiré des savants mormons et non mormons à la Bibliothèque du Congrès, avec des retombées visuelles et audio sur l'Internet.


Un des éloges les plus célèbres du prophète est sans aucun doute celui écrit par son proche collaborateur, John Taylor, peu après le meurtre de Joseph, et fut plus tard intégré aux Doctrine et Alliances pour constituer la section 135 :


« Joseph Smith, le Prophète et Voyant du Seigneur, a fait plus, avec l'exception unique de Jésus, pour le salut des hommes dans ce monde, que n'importe quel autre homme qui y ait jamais vécu. Dans le bref laps de vingt ans, il a fait paraître le Livre de Mormon, qu'il traduisit par le don et le pouvoir de Dieu, et l'a fait publier sur deux continents, a envoyé aux quatre coins de la terre la plénitude de l'Évangile éternel qu'il contenait, a fait paraître les révélations et les commandements qui composent ce livre des Doctrine et Alliances et beaucoup d'autres documents et instructions sages pour le profit des enfants des hommes, a rassemblé des milliers de saints des derniers jours, fondé une grande ville et laissé une renommée et un nom que l'on ne peut faire périr. Il fut grand dans sa vie et dans sa mort aux yeux de Dieu et de son peuple. Et comme la plupart des oints du Seigneur dans les temps anciens, il a scellé sa mission et ses œuvres de son sang (D&A 135:3). »


Plus importante encore est l'évaluation que fait le Seigneur du prophète qu’il s’était choisi :


« Moi, le Seigneur, connaissant la calamité qui s'abattra sur les habitants de la terre, j'ai fait appel à mon serviteur Joseph Smith, fils, lui ai parlé du haut des cieux et lui ai donné des commandements. Et j'ai aussi donné à d'autres le commandement de proclamer toutes ces choses au monde, afin que s'accomplisse ce qui a été écrit par les prophètes: Les choses faibles du monde s'avanceront pour abattre les puissantes et les fortes, afin que l'homme ne conseille pas son semblable et ne place pas sa confiance dans le bras de la chair, mais afin que chacun parle au nom de Dieu, le Seigneur, le Sauveur du monde, afin que la foi grandisse sur la terre, afin que mon alliance éternelle soit établie, afin que la plénitude de mon Évangile soit proclamée par les faibles et les simples jusqu'aux extrémités du monde et devant les rois et les gouverneurs » (D&A 1:17-23).


En effet, nous avons envie de crier : « Gloire à celui qui a vu Dieu le Père et que Jésus a choisi pour voyant. En cette dispensation dernière, il est béni du fidèle croyant. » [18]

NOTES


[1] History of the Church 6:243-244.
[2] Lettre de Benjamin F. Johnson à George F. Gibbs, 1903, citée dans E. Dale LeBaron, « Benjamin Franklin Johnson : Colonizer, Public Servant, and Church Leader », mémoire de maîtrise, université Brigham Young, 1967, p. 331.
[3] Journal of Discourses 24:258-259.
[4] History of the Church 4:78-79.
[5] Id., 4:565.
[6] Id., 1:94.
[7] Id., 6:268.
[8] Id., 6:269.
[9] Id., 6:269-270.
[10] C.-à-d. qu’ils étaient tous derrière dans les « scrutins » officieux du temps.
[11] Republié dans l'édition du 8 mai 1844 du Times and Seasons ; voir History of the Church le 6:361.
[12] Josiah Quincy, Figures of the Past, Boston, Little, Brown and Co., 1883, p. 376.
[13] Je crains que le livre n'ait été jamais terminé et ne voie pas la lumière du jour.
[14] Harold Bloom, The American Religion, New York, Simon et Schuster, 1992, p. 101.
[15] W. D. Davies, « Israel, the Mormons and the Land », dans Truman G. Madsen, dir. de publ., Reflections on Mormonism : Judaeo-Christian Parallels, Provo, BYU Religious Studies Center, 1978, p. 91.
[16] Probablement Louis Zucker, que j'ai eu l’honneur d’avoir comme professeur et ami.
[17] William F. Albright à Grant S. Heward, Baltimore, Maryland, 25 juillet 1966. Nous sommes redevables à Boyd Peterson qui, grâce à une bourse de FARMS, a pu copier ce document et beaucoup d'autres correspondances concernant le livre d'Abraham conservées dans diverses collections de bibliothèques d'université.
[18] Cantiques de l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours n° 16.