Une chose étrange dans le pays : le retour du livre d’Énoch
Huitième partie

par Hugh W. Nibley
professeur émérite d’écritures anciennes à l’université Brigham Young
Ensign, décembre 1976

[Le but de ces articles est premièrement d’attirer l’attention sur des aspects longtemps ignorés du récit concernant Énoch donné par Joseph Smith dans le livre de Moïse et dans la version inspirée de la Genèse et, deuxièmement, de fournir en même temps quelques éléments de preuves de l’authenticité de ce texte remarquable. Ce que l’on savait à l’époque de Joseph Smith ne permettait guère de vérifier ce qu’il disait, l’enthousiasme de ses disciples encore moins. Pourtant, quoique libre de divaguer à volonté sur une plaine sans limites, le Prophète ne s’écarte jamais une seule fois, dans son récit d’Énoch, du sentier étroit et exigeant que les textes sur Énoch découverts plus tard ont si clairement tracé. Dans sa version, tous les éléments essentiels de l’histoire d’Énoch telle que nous la connaissons maintenant s’y trouvent, et cependant il ne s’égare jamais : ce qu’il dit et ce qu’il ne dit pas concernant Énoch est également remarquable compte tenu de sa situation.

Il faudrait un ouvrage d’une immense envergure pour présenter et commenter tous les parallèles anciens avec l’Énoch de Joseph Smith, mais ce n’est pas nécessaire pour ce que nous voulons faire. Il suffit de montrer par un ou deux exemples dans chaque cas que même les passages les plus extravagants de la version de Joseph Smith trouvent leur pendant dans les textes anciens : le Prophète n’est jamais isolé. Beaucoup de questions importantes telles que l’ancienneté réelle de la tradition d’Énoch, les rapports entre les divers textes, leur applicabilité à la vie moderne etc. doivent être laissées pour plus tard. La seule chose qui nous préoccupe pour l’instant, c’est le message et la bonne foi du récit d’Énoch présenté par Joseph Smith.]
Chose étonnante, l’histoire d’affrontement entre Adam et Satan la mieux attestée est la scène qui se déroule dans les cieux. Un vieux texte, qui fait particulièrement autorité et qui remonte aux livres déposés par les apôtres dans les premières archives de l’Église à Jérusalem est l’ouvrage copte « Discours sur l’Abbaton, un sermon basé sur le texte de Timothée, l’Archevêque d’Alexandrie » [304].

Ce livre appartient à la littérature des quarante jours et à son début, le Seigneur, qui passe sa dernière journée sur la terre avec les apôtres juste avant son ascension, leur demande s’ils ont une dernière requête à lui faire, exactement comme dans 3 Néphi 28:1. Ce qu’ils veulent le plus, c’est comprendre le rôle de la mort et de ses horreurs dans le plan de Dieu pour ses enfants [305]. Pour expliquer ceci, le Seigneur leur parle du conseil dans les cieux dans la préexistence où l’on discute du plan de la création. Il y a beaucoup de réticence parmi la multitude à aller de l’avant avec la création de la terre. La terre elle-même se plaint, exactement comme dans Moïse 7:48, de la souillure et de la corruption qui vont certainement découler d’elle et supplie d’être autorisée à se reposer de telles horreurs (fol. 10a-b). Étant donné la réticence du conseil à aller de l’avant, Dieu permet que le corps sans vie d’Adam repose sur la terre pendant quarante jours, ne voulant pas, sans l’accord du conseil, laisser son esprit y entrer (11b). Le Fils de Dieu arrange tout en se proposant pour payer le prix pour les souffrances, quelles qu’elles soient, que cela entraînera, permettant ainsi aux « enfants de Dieu de retourner dans leur précédente condition » (12 a). Ainsi, le Christ seul devient l’auteur de notre existence terrestre. Au milieu de la joie et des réjouissances, Dieu fait apporter un livre dans lequel il enregistre les noms de tous les « Fils de Dieu » qui vont aller sur la terre (voir Ge 5:1 et suiv. fol. 12b). C’est naturellement le livre céleste des générations d’Adam ouvert au moment de la création de la terre, le livre dont Énoch parle de manière si explicite dans Moïse 6:46, 8.

En présence de toutes les armées célestes, Adam est ensuite préparé à assumer son grand destin. Il est placé sur un trône et reçoit une couronne de gloire et un sceptre et tous les fils de Dieu plient le genou, premièrement devant Dieu le Père et ensuite devant Adam, le Père, en reconnaissance du fait qu’il est à l’image et à la ressemblance exactes de Dieu (13a). Mais Satan refuse de s’y prêter en déclarant qu’il est disposé à adorer le Père, mais pas Adam : « C’est plutôt lui qui devrait m’adorer, car je suis arrivé avant lui ! » (13a-b) (voir Moïse 1:19 : « Je suis le Fils unique, adore-moi »). Dieu voit que Satan, à cause de son ambition sans bornes et de son manque total d’humilité, ne peut plus se voir confier un pouvoir céleste et commande aux anges de lui retirer son office. Ils s’exécutent avec beaucoup de chagrin et de réticence : « Ils abolirent les écrits faits sous l’autorité de sa main, ils lui arrachèrent son armure et tous les insignes de la prêtrise et de la royauté ». Puis, avec un poignard de cérémonie, une faucille, ils lui infligèrent certains coups cérémoniels de mort qui le privèrent pour toujours de son plein pouvoir (14a). D’autres récits disent qu’après ces coupures, il ne conserva que le tiers de son pouvoir précédent, de même qu’il fut suivi par le tiers des armées célestes.

Adam est ensuite escorté sur la terre pour entrer dans son corps mortel et pendant les cent ans qui suivirent, il est visité par des anges (14b). Ensuite, pendant deux cents ans, il vit heureux en toute innocence avec Ève, prenant soin des animaux confiés à sa charge. Finalement, Satan réussit à prendre possession d’une créature mortelle, ce qui lui permet d’entreprendre une campagne de grande envergure visant Ève (16a-17a). Adam est dans une grande colère, mais quand Ève, victime d’une ruse, assume toute la responsabilité, il se joint à elle (17b).

Satan arrête Adam à l’extérieur du Jardin et lui dit avec jubilation que c’est sa douce vengeance sur la victoire d’Adam dans les cieux : Adam l’a fait expulser du ciel et maintenant il lui rend la pareille et, qui plus est, il a l’intention de poursuivre son projet. « Je n’aurai de cesse de combattre contre toi et contre tous ceux qui viendront après toi, que je ne les aie tous entraînés à la perdition ! » (21a-b). Avec cette menace de mort devant lui, Adam voit l’amertume de l’enfer (19a, 21b), mais, implorant Dieu, non seulement il reçoit l’assurance du salut pour les morts par l’expiation du Christ (20b), mais il lui est dit que la mort sera douce pour ceux dont le nom est inscrit dans le Livre de Vie (24a–b). La crainte de la mort, (l’ange Mouriel) est salutaire et nécessaire pour rappeler au genre humain sa fragilité et son besoin constant de repentir. Ceci a l’effet bénéfique de contrer le plan de Satan constituant un frein constant à la tendance des hommes à se méconduire, une leçon salutaire et, si nécessaire, terrifiante.

Qu’est-ce qui suit l’épreuve de force entre nos premiers parents et l’Adversaire ? Nos sources continuent obligeamment l’histoire et suivent Satan depuis ses tentatives de s’acquérir l’obéissance d’Adam jusqu’à ses entretiens hautement couronnés de succès avec Caïn, suivant l’expansion régulière de la méchanceté dans l’humanité jusqu’à son point culminant du temps d’Énoch. Il n’y a pas de meilleur résumé de l’histoire que celui qui est fait dans le livre de Moïse, résumé étonnamment proche en tous points de la version du « Combat d’Adam ». Survolons brièvement les événements conduisant à l’appel d’Énoch tels qu’ils se trouvent dans le récit de Joseph Smith.

Ayant été instruits par un ange du Seigneur, Adam et Ève jouissent de la plénitude de l’Évangile : « Et ils firent connaître toutes choses à leurs fils et à leurs filles » (voir Moïse 5:1-12). Entre en scène Satan, l’élément négatif avec son « non-Évangile » : « Ne le croyez pas ! » et son contre-Évangile : « Je suis aussi un fils de Dieu » (Moïse 5:13). Il s’acquiert des disciples en poussant vers le bas dans la direction de ce qui est « charnel, sensuel et diabolique » (Moïse 5:13). Ceci exige de nombreux appels au repentir (Moïse 5:14-15), car Adam et Ève restent loyaux et fidèles, et « ne cessèrent pas d’invoquer Dieu » (Moïse 5:16). C’est dans ce monde que naît Caïn, qui va rejeter les enseignements de ses parents comme étant irrationnels : « Qui est le Seigneur, que je doive le connaître ? » (Moïse 5:16). Le Seigneur donne à Caïn toutes les chances d’être sage et de se sauver, en lui montrant, d’une manière tout à fait raisonnable, la voie dangereuse dans laquelle il se lance et le prévenant qu’il sera sous le pouvoir de Satan dans la mesure où il refuse l’obéissance : « Et tu domineras sur lui » (Moïse 5:23 ; voir aussi Genèse 4:7) Caïn, dominer sur Satan ? Oui, c’est cela, l’arrangement : le diable se met au service de son client pour satisfaire ses moindres caprices, flatter ses appétits et être à son entière disposition pendant toute sa vie terrestre, mettant à sa disposition un pouvoir et une influence illimités grâce au fait qu’il dispose des trésors de la terre, l’or et l’argent. Mais en échange, la victime doit respecter sa part du pacte, obéissant aux instructions de Satan sur la terre et demeurant en son pouvoir dans l’au-delà. C’est le marché classique, le pacte avec le diable par lequel Faust, Don Juan, Macbeth ou Jabez Stone parviennent au sommet du succès terrestre et sombrent dans les profondeurs de la damnation éternelle.

Le Seigneur offre l’invitation paternelle à Caïn : « Si tu agis bien, tu seras accepté » en même temps que l’avertissement solennel : « Satan désire t’avoir » (Moïse 5:23, voir aussi Genèse 5:7). Il le met en garde contre la folie de « rejet[er] le conseil supérieur » (Moïse 5:25) et la porte du repentir est maintenue ouverte jusqu’au dernier moment, et c’est Caïn lui-même qui interrompt la conversation et se met en colère, refusant d’écouter plus longtemps « la voix du Seigneur » (Moïse 5:26) et les remontrances de son frère Abel. Caïn prend pour femme « une des filles de ses frères » (pas forcément d’Abel) et ensemble « ils aimèrent Satan plus que Dieu » (Moïse 5:28). Ils étaient pleinement satisfaits de leur religion et agressifs à son sujet.

Que peut-on faire dans une telle situation ? Rien ! « Adam et sa femme se lamentèrent devant le Seigneur à cause de Caïn et de ses frères » (Moïse 5:27). Ayant délibérément rompu tout lien avec son Père céleste, Caïn était libre de conclure avec Satan un accord officiel par lequel il serait formé aux techniques permettant d’obtenir le pouvoir et le gain : « En vérité, je suis Mahan, le maître de ce grand secret [C’est le langage des anciens collèges ou guildes où le secret est le mystère du métier ou de la profession, dans ce cas, son secret est de savoir comment convertir la vie en propriété] : « à savoir que je peux assassiner et obtenir du gain » (Moïse 5:31, voir aussi 5:49). Caïn « se glorifia » du pouvoir de la technique et de la dialectique qu’il venait de découvrir, déclarant que cela le rendait « libre » (Moïse 5:33). Il mit sa connaissance en application lors d’une opération magistralement réussie dans laquelle « Abel… fut tué par la conspiration de son frère » (D&A 84:16) et se félicita en jubilant : « Et… se glorifia de ce qu’il avait fait, disant : Je suis libre, les troupeaux de mon frère tomberont certainement entre mes mains » (Moïse 5:33). Cet éclairage nouveau sur la conduite de Caïn est confirmé dans le Combat d’Adam, où nous apprenons qu’après avoir tué Abel, Caïn « n’éprouva aucun besoin de se repentir de ce qu’il avait fait », un détail également relevé par certains des premiers pères de l’Église [306].

C’est clair, ceci n’est pas le roman conventionnel de Caïn et d’Abel dans lequel un adolescent impétueux perd la tête et assomme son frère gâté dans un accès de jalousie. C’est une opération soigneusement planifiée et exécutée dans laquelle Caïn tue « son frère Abel dans le but d’obtenir du gain » (Moïse 5:50), faisant taire sa conscience avec la pensée que tout est normal et juste puisque Abel est capable de prendre soin de lui-même. « Suis-je le gardien de mon frère ? » (Moïse 5:34). C’est par cette philosophie que Satan a séduit le genre humain en lui enseignant que « ce qu'il advenait de tout homme dans cette vie dépendait de la façon dont il se gouvernait; c'est pourquoi, tout homme prospérait selon son génie, et tout homme conquérait selon sa force, et tout ce qu'un homme faisait n'était pas un crime » (Alma 30:17). Quand Dieu ne l’entend pas de cette oreille et lui demande des comptes, Caïn avance le motif du profit comme excuse : « Satan m’a tenté à cause des troupeaux de mon frère » (Moïse 5:38). « Exclu de la présence du Seigneur » (Moïse 5:41), Caïn fonde sa propre institution, la principale lignée de ses descendants étant Hénoc (celui qui construisit une ville d’Énoch), Irad, Mehujaël, Metuschaël, Lémec, le père de Jabal et de Tubal-Caïn ; (Moïse 5:42-46). Lémec, comme Caïn, fit « alliance avec Satan » et, comme lui, devint « maître Mahan » (Moïse 5:49). Quand Lémec apprit qu’Irad, le fils d’Énoch, avait violé le secret de ces terribles choses, « il le tua à cause du serment » (Moïse 5:50), puisque … Irad avait commencé à révéler aux fils d’Adam ces signes de reconnaissance ultra-secrets (Moïse 5:49). Tous ceux qui faisaient alliance avec Satan furent exclus des saintes alliances de Dieu, en dépit du fait qu’ils prétendaient que tout était comme avant. Cette conspiration se répandit, comme cela se passe toujours une fois qu’on a commencé. Lémec devint un paria comme Caïn, pas à cause du meurtre mais parce que ses femmes commencèrent à répandre ses secrets confidentiels, ceux-là mêmes pour lesquels il avait assassiné Irad parce qu’il les divulguait. « C’est ainsi que les œuvres des ténèbres commencèrent à régner parmi tous les fils des hommes. Et Dieu maudit la terre d’une grande malédiction » (Moïse 5:55-56).

N’y a-t-il rien qui vienne alléger ce terrible spectacle ? Si, il y a quelque chose. Pendant tout ce temps, « l’Évangile commença à être prêché… par de saints anges… et par le don du Saint- Esprit » (Moïse 5:58), tandis que « tout fut confirmé pour Adam par une sainte ordonnance » avec l’assurance que « l’Évangile… serait dans le monde jusqu’à la fin de celui-ci » (Moïse 5:59). Adam, ayant perdu Abel, eut un autre fils, Seth, qui poursuivit son œuvre (Moïse 6:2). C’est de lui que vient cette lignée de successeurs dans la prêtrise, dûment enregistrés dans le Livre de Vie d’où les méchants étaient exclus (Moïse 6:5-8). Après Seth vint Énosch, qui décida de prendre une mesure importante. Puisque « en ce temps-là, Satan avait une grande domination sur les hommes et faisait rage dans leur cœur », provoquant « des guerres et de l’effusion de sang… pour infliger la mort, à cause des œuvres secrètes, en cherchant le pouvoir » (Moïse 6:15), exactement comme dans le monde moderne, Énosch rassembla « le reste du peuple de Dieu » et ils émigrèrent hors du pays « et demeurèrent dans une terre de promission » appelée Kénan d’après le nom de son fils (Moïse 6:17). La lignée est Seth, Énosch, Kénan, Mahalaleel, Jéred, Énoch [Hénoc], Metuschélah, Lémec et Noé (Moïse 6:16-21 ; 8:2, 5-11) Dans le Combat d’Adam avec Satan, comme Migne le fait remarquer : « l’auteur dépeint les descendants d’Adam comme divisés en deux branches séparées et distinctes : les Caïnites, décidés à suivre Satan, qui vivaient dans un pays fertile mais très éloigné de l’Éden et qui se consacraient à tous les plaisirs de la chair et à toute sorte d’immoralité » et les Sethites, qui « demeuraient dans les montagnes près du Jardin, étaient fidèles à la loi divine et portaient le nom de Fils de Dieu. »

L’apparition de noms semblables dans les deux généalogies ne devrait pas surprendre quiconque fait beaucoup de généalogie où les mêmes noms de famille ne cessent de revenir inlassablement. Ce qu’il faut remarquer, c’est qu’il y a deux lignées et qu’Énoch n’est considéré comme un étranger et un homme sauvage que lorsqu’il quitte sa colonie natale de Kénan, « jusqu’à présent un pays de justice » (Moïse 6:41) pour séjourner comme missionnaire parmi les tribus rebelles. Le décor est maintenant installé pour Énoch.

Le monde pervers d’Énoch

La méchanceté de l’époque d’Énoch avait des caractéristiques et une tournure spéciales. Seule la dépravation la plus déterminée et la plus enracinée méritait l’extermination du genre humain. Dans les histoires apocryphes d’Énoch, on nous dit comment l’humanité fut menée à la plus extrême des inconduites sous la tutelle de maîtres exceptionnellement compétents. Selon ces traditions, ceux-ci étaient des messagers célestes spéciaux, pas moins, qui étaient envoyés sur terre pour restaurer le respect du nom de Dieu parmi le genre humain dégénéré, mais qui, au lieu de cela, cédèrent à la tentation, se méconduisirent avec les filles des hommes et finirent par former et encourager leurs protégés humains à toutes sortes d’iniquités. Ils sont désignés sous les noms variés de Veilleurs, d’Anges déchus, de Fils de Dieu, de Nephilim ou de Rephaïm et sont parfois confondus avec leur postérité, les Géants [307]. D’autres candidats à cet honneur douteux ont été suggérés par divers spécialistes, le problème étant qu’il y a plus d’une catégorie d’êtres qui se qualifient pour être des Anges déchus et des pécheurs spectaculaires avant l’époque du Déluge [308]. La Bible utilise le titre fils de Dieu ; étaient-ils différents des « Veilleurs » de la tradition ?

« Les fils de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles, et ils en prirent pour femmes parmi toutes celles qu’ils choisirent.
« Les géants étaient sur la terre en ces temps-là, après que les fils de Dieu furent venus vers les filles des hommes, et qu’elles leur eurent donné des… héros qui furent fameux dans l’antiquité.
« L’Éternel vit que la méchanceté des hommes était grande sur la terre » (Genèse 6:2, 4-5)

L’idée de relations sexuelles entre êtres célestes et terrestres était répandue dans les temps anciens. C’est ainsi que dans l’Apocryphe de la Genèse, récemment découvert, quand la femme de Lémec lui donne un super enfant (Noé), il suppose pratiquement comme une évidence que le père est « l’un des anges » et l’accuse d’infidélité jusqu’à ce que son grand-père, Énoch, « celui dont le destin est avec les saints », et qui vit au loin, règle le malentendu. Ce qui est significatif, c’est que la mère de l’enfant est Bit-enosch, c'est-à-dire qu’elle est l’une des « filles des hommes » [309]. Le fragment Cedrenus évite le problème de l’origine céleste en faisant des fils de Dieu les descendants de Seth et les filles des hommes celles de Caïn, et il désigne expressément les fils de Dieu comme étant les Veilleurs [310]. Récemment, M. Emanueli a suggéré que les divers termes sont simplement « une façon de parler pour exprimer la profondeur de la dépravation de cette génération » [311].
Si les fils de Dieu ont été identifiés aux anges et aux Veilleurs, l’Énoch grec n’identifie pas les Veilleurs aux armées de Satan qui sont tombées du ciel dès le commencement : ils sont une autre sorte de gens. C’est l’Énoch de Joseph Smith qui donne la solution la plus convaincante : les êtres qui sont tombés n’étaient pas des anges mais des hommes qui étaient devenus des fils de Dieu. Depuis le commencement, nous dit-il, les mortels ont pu se qualifier comme « fils de Dieu », en commençant par Adam. « Voici [Adam], tu es un en moi, un fils de Dieu ; et c’est ainsi que tous peuvent devenir mes fils » (Moïse 6:68). Comment ? En croyant et en contractant l’alliance. « Notre père, Adam, a enseigné ces choses, et beaucoup ont cru et sont devenus fils de Dieu » (Moïse 7:1). Ainsi, quand « Noé et ses fils écoutèrent le Seigneur, et prêtèrent attention… [ils] furent appelés fils de Dieu » (Moïse 8:13). En résumé, les fils de Dieu sont ceux qui acceptent et vivent la loi de Dieu. Quand les « fils des hommes » (comme Énoch les appelle) brisent leur alliance, ils continuent à tenir à ce titre sublime : « Voici, nous sommes les fils de Dieu ; n’avons-nous pas pris pour nous les filles des hommes ? » (Moïse 8:21), tout comme « les fils des hommes », pour inverser l’ordre, épousèrent les filles de ceux qui étaient appelés « les fils de Dieu », perdant de ce fait leur titre, « car », comme le dit Dieu à Noé, « ils ne veulent pas écouter ma voix » (Moïse 8:15). La situation était donc que les fils de Dieu ou leurs filles, qui avaient été initiés dans un ordre spirituel, s’en écartèrent et brisèrent leurs vœux, se mêlant à ceux qui observaient uniquement une loi charnelle.

« Pourquoi avez-vous quitté le ciel [et] Celui qui est exalté ?» dit Énoch dans un fragment de Gizeh « et…vous êtes-vous souillés avec les filles des hommes ?… Vous vous êtes comportés comme des fils de la terre et vous vous êtes engendré des fils qui sont des géants. Et vous étiez jadis des êtres saints, spirituels, éternels… et vous avez convoité la chair… comme les créatures mortelles et périssables. » [313]

Ce qui a fait que le monde d’Énoch était si singulièrement dépravé qu’il invitait un effacement total était la perversion délibérée et systématique des choses célestes pour justifier la méchanceté. Hippolyte, l’un des premiers auteurs chrétiens, dit que l’Anti-Christ imite le Christ dans tous les détails : tous deux envoient leurs apôtres donnent leur sceau aux croyants, montrent des signes et des miracles, prétendent que le Temple leur appartient, ont leur propre église et leur propre assemblée, etc. Telle est la méthode du « grand Séducteur du monde » contre lequel, dit Hippolyte, « Énoch et Élias nous ont prévenus. » [314] On nous rappelle comment Satan a avancé ses prétentions : « Je suis aussi un fils de Dieu » (Moïse 5:13) et a commandé à Caïn de « faire une offrande au Seigneur » (Moïse 5:18-19), et aussi de faire ses serments « par le Dieu vivant » (Moïse 5:29), comme si tout était toujours dans le bon ordre. Dans le même esprit, les descendants de Noé, dans leur méchanceté, continuaient à affirmer que rien n’avait changé :

(Moïse 8:21). Les enfants des hommes dirent à Noé : Voici, nous sommes les fils de Dieu, n’avons-nous pas pris pour nous les filles des hommes ? »

Les apocryphes sont d’accord : (Black p. 44, 106:7, 13-14) « Car pendant les jours de Jéred, mon père, ils s’écartèrent de l’enseignements du Seigneur, de l’alliance du ciel. Et voici, ils commettent le péché et rejettent (parabainousin) la bonne voie (ethos)… et engendrent des enfants non comme progéniture spirituelle, mais comme progéniture charnelle ».

On joue à la tromperie de haut niveau. « Malheur à vous qui vous égarez délibérément [poiountes planemata] », s’écrie Énoch, « vous qui vous poussez aux honneurs et à la gloire par des pratiques trompeuses… Qui détournez et déformez les choses dites clairement, qui avez donné une nouvelle tournure à l’Alliance éternelle et qui inventez ensuite des arguments pour prouver que vous êtes sans culpabilité ! » [315]. Le ton donné est celui du calcul froid. Les « Veilleurs » (selon le mot grec) ont entraîné « des myriades et des myriades… avec notre Prince Satan-el », dit l’Énoch slave, « et ont souillé la terre par leurs actes. Et les épouses [au lieu des filles !] des hommes ont commis un grand mal, violant la loi… une grande iniquité » [316]. « Car dans les lieux secrets de la terre », lisons-nous dans une très ancienne source judéo-chrétienne, « ils faisaient le mal… et tous commettaient l’adultère avec les épouses de leurs voisins ; et ils contractaient entre eux des alliances solennelles concernant ces choses » [317]. De telles pratiques remontaient à l’époque de Caïn.

Moïse Apocryphes
Moïse 5:52 Le Seigneur maudit… tous ceux qui avaient fait alliance avec Satan; car ils ne gardaient pas les commandements de Dieu.
Moïse 5:29 Et Satan dit à Caïn: Jure-moi… fais jurer tes frères… de ne pas le dire, car s'ils le disent ils mourront.
Moïse 5:51 Car, à partir du temps de Caïn, il y eut une combinaison secrète, et leurs œuvres étaient dans les ténèbres, et chacun connaissait son frère
Gizeh 6:2. Les Fils du Ciel désiraient rompre leurs alliances et se joindre aux filles des hommes, mais Seimizas [Satan] dit : Je crains que vous ne soyez pas prêts à aller jusqu’au bout de ceci. 4. Et tous lui répondirent : « Nous ferons tous un serment et nous nous engagerons entre nous avec anathème de ne pas revenir sur cet accord [gnome] avant de l’avoir exécuté. 5. Alors ils jurèrent tous ensemble et s’engagèrent sous peine de mort.
Moïse 5:29-30 Et Satan dit à Caïn: Jure-moi par ta gorge, et si tu le dis, tu mourras; fais jurer tes frères par leur tête et par le Dieu vivant de ne pas le dire, car s'ils le disent ils mourront; et cela, afin que ton père ne le sache pas… Et toutes ces choses se firent en secret. 1 Énoch 69:13 Kasbéel, le chef du serment… quand il demeurait en haut dans la gloire 14. … demanda à Michel de lui montrer le nom caché afin de l’énoncer dans le serment, pour que tremblent devant ce nom et ce serment ceux qui révélaient aux fils des hommes tout ce qui était secret.
1 Énoch 69:1. Ce fut Gadreel qui montra aux fils des hommes toutes les plaies de mort, c’est lui qui séduisit Ève.
Moïse 5:16 Et Adam et Ève… ne cessèrent pas d'invoquer Dieu…. Mais voici, Caïn n'écouta pas, disant: Qui est le Seigneur, que je doive le connaître ?
Moïse 5:51 Car, à partir du temps de Caïn, il y eut une combinaison secrète, et leurs œuvres étaient dans les ténèbres, et chacun connaissait son frère. Livre des myst. éthiop. PO 4:431. « Dans les jours de Caïn, les pratiques perverses et séductrices augmentèrent. Les mauvais anges se dressèrent en une opposition ouverte et insolente contre Adam et, se glorifiant de leurs corps terrestres, apprirent un grand péché et exposèrent ouvertement toute l’œuvre qu’ils avaient vue dans les cieux. »

C’est ainsi que nous voyons dans un texte grec d’Énoch les Grands Anges revenir de la terre pour rapporter à Dieu ce qu’ils ont découvert : « Azaël enseignant toute sorte d’iniquité sur la terre et il a dévoilé les mystères du siècle qui appartiennent au ciel, qui sont [maintenant] connus et pratiqués parmi les hommes. » Et Semiazas est aussi avec lui, lui à qui tu as donné autorité [sur] ceux qui le suivent » [318].

Le fait de divulguer leurs serments à ceux qui n’étaient pas dignes de les recevoir, ce qui les avilissait et les invalidait était aussi grave que de les avoir trahis. L’un des thèmes les plus répandus dans les mythes et les légendes est la tragédie du héros qui succombe aux charmes d’une jolie fille ou femme fatale (en français dans le texte) et qui finit par lui révéler des mystères cachés. Nous rencontrons cette histoire dans la plus ancienne épopée égyptienne (où la dame Isis soutire à Ré la connaissance fatale de son véritable nom) et dans des contes du même genre comme Samson et Dalila, la fille de Jared, Lohengrin, etc. où la femme est la Pandore qui doit savoir ce qu’il y a dans la boîte. Sur ce thème, les fragments de Gizeh offrent un parallèle important avec la version de Joseph Smith où l’arrière-plan commun du texte et la confusion des scribes plus tardifs sont également visibles :

Moïse 5:53 « Lémec avait confié le secret à ses femmes, et elles… racontèrent toutes ces choses publiquement et n'eurent pas compassion… Moïse 5:55 C'est ainsi que les… ténèbres commencèrent à régner parmi tous les fils des hommes. »

Comparons avec :

(Gizeh 16:2-4) (319) « Et maintenant, au sujet des Veilleurs, dites-leur : Vous étiez dans les Cieux et là vous connaissiez tous les mystères qui ne vous avaient pas été révélés aussi bien que ce mystère que Dieu avait permis ; et cela, vous l’avez révélé à vos femmes dans la dureté de votre cœur, et c’est à cause de ce mystère que les hommes et les femmes provoquent des iniquités en abondance sur la terre. »

Clément d’Alexandrie attribue à Musaeus, le fondateur des mystères grecs, un récit relatant « comment les anges perdirent leur héritage céleste par la divulgation des choses secrètes [mysteria] aux femmes », des choses, fait remarquer Clément, « que les autres anges gardent secrètes ou accomplissent discrètement jusqu’à la venue du Seigneur » [320].

Chose assez surprenante, l’époque d’Énoch est systématiquement décrite comme une ère de grandes avancées intellectuelles et matérielles. « Azaël… enseigna [aux hommes] à fabriquer des couteaux, des cuirasses et toute sorte de matériel militaire et de travailler les minerais de la terre et le travail de l’or pour en faire des bijoux pour les femmes. Il leur fit découvrir l’argent et leur inculqua le maquillage et les cosmétiques, les pierres précieuses et les teintures. Les fils et les filles des hommes adoptèrent toutes ces choses et égarèrent les saints. Il y eut une grande iniquité sur la terre et ils devinrent pervertis et s’égarèrent dans toutes leurs voies. Pendant cette même période, leur dirigeant Semiazas leur enseigna des formules scientifiques (epaodas kata tou nous) et les propriétés des racines et des plantes de la terre. Le onzième, Pharmakos, leur enseigna toutes sortes de médicaments, d’incantations, de prescriptions, de formules. [D’autres] leur enseignèrent la contemplation des étoiles, l’astrologie, la météorologie, la géologie, les signes du soleil et de la lune. Tous ceux-là commencèrent à dévoiler les mystères à leurs femmes et à leurs enfants. »[321].

Les dirigeants du peuple consacraient la plus grande partie de leur richesse à « toutes sortes de projets ingénieux pour contrôler et maîtriser la nature. Mais le Seigneur modifia l’ordre de la création, « faisant lever le soleil à l’ouest et coucher à l’est », de sorte que leurs plans furent réduits à néant [322]. L’idée de contrôler l’environnement indépendamment de Dieu « n’était pas aussi sotte qu’elle le paraissait, dit le Zohar, parce qu’ils connaissaient tous les arts… et tous les principes [archons] gouvernant le monde et ils s’appuyaient sur cette connaissance jusqu’à ce que Dieu les désabuse en restaurant la terre à son état originel et en la couvrant d’eau. » [323] Rabbi Isaac rapporte : Dans les jours d’Énoch, même les enfants connaissaient ces arts mystérieux (les sciences avancées). R. Yesa demande : Possédant toute cette connaissance, ne pouvaient-ils prévoir la destruction ? À quoi R. Isaac répond : Ils le savaient parfaitement, mais ils pensaient qu’ils étaient assez intelligents pour l’empêcher. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que c’est Dieu qui gouverne le monde… Il leur accorda un sursis aussi longtemps que les hommes justes Jéred, Metuschélah et Énoch étaient vivants. Mais quand ils quittèrent le monde, Dieu laissa le châtiment s’abattre… et ils furent éliminés de la terre [324].

Un passage du Livre de Mormon livre la tradition d’Énoch (contenue peut-être dans les plaques d’airain) dans un parallèle évident :

(2 Néphi 26:29) « Car voici les intrigues de prêtres, c’est… les hommes… se posant en lumière pour le du monde, afin d’obtenir du gain et les louanges du monde ; mais ils ne cherchent pas le bien-être de Sion. »

Comparons avec :

(Zohar. Beresh. 25b) « Ces hommes [du temps d’Énoch] érigèrent des synagogues et des collèges et y placèrent des parchemins et de riches ornements… mais ils le faisaient pour se mettre en lumière et pour les honneurs des hommes. Et c’est de cette façon que les puissances du mal règnent sur Israël. »

Le pouvoir et le gain sont les deux faces de la même médaille : « Nous sommes capables de faire tout ce qui nous plaît », dit le peuple à l’époque d’Énoch, « parce que nous sommes très riches ! » À quoi Énoch répond : « Vous êtes dans l’erreur ! Vos richesses vous abandonneront bientôt… » mais ils continuèrent à rechercher plus farouchement que jamais le pouvoir et le gain. » [325]

Un lien intéressant apparaît dans ce récit de la façon dont « à l’époque d’Énoch les gens commettaient le meurtre, l’effusion du sang des enfants des hommes ; ils les réduisaient en esclavage, ils vendaient ce qui ne leur appartenait pas, ils entraient dans les maisons sans en avoir le droit et prenaient ce qu’ils voulaient… Ils truquaient les lois en leur faveur et imitaient les actes abominables des anges rebelles d’un temps plus ancien où, quand Abel essaya de leur faire obstacle, ils organisèrent sa mort par une conspiration. » [326] Ceci confirme une déclaration hardie qui se trouve dans D&A 84:16 « Abel… qui fut tué par la conspiration ». L’ambition était la force dominante dans toute cette méchanceté. « Les géants, dit Ben Sira 16:7, étaient des esprits ambitieux qui désiraient être grands à la manière de Dieu sur la terre ». E. Kraeling fait observer que le terme biblique « hommes de renom » veut dire « hommes qui aspirent à être grands, à ‘se faire aussi un nom’ » [327]. L’Énoch slave fait pendant au livre de Moïse en nous ramenant au début de l’affaire.

Moïse Apocryphes
Moïse 4:1. Ce Satan… vint devant moi, disant: Me voici, envoie-moi, je serai ton fils et je rachèterai toute l'humanité… c'est pourquoi donne-moi ton honneur.
Moïse 4:4. Et il devint Satan… pour les mener captifs à sa volonté, oui, tous ceux qui ne voudraient pas écouter ma voix.
Ms. R, ch. 11 Le démon savait que je voulais créer le monde… avec Adam pour régner sur lui comme Seigneur… Il devint Satan quand il s’enfuit du ciel… Avant cette époque, il s’appelait Satan-el. Il changea de nature et ne fut plus un ange ; il conserva son identité, mais son état d’esprit était altéré, comme quand un juste devient méchant… et il conçut l’idée impossible d’établir son trône… de posséder un pouvoir égal au mien.
[Dieu lui a donné un grand pouvoir sur ceux qui l’écoutent. Ap. Abr. 14:1-2 ; cf. DS Thanks. VI[f] p. X.)

Presque toutes nos sources et particulièrement le livre d’Énoch de Joseph Smith mettent l’accent sur le fait que le peuple ne glissa pas imperceptiblement dans la déraison. Il était constamment prévenu que seul un entêtement obstiné et résolu lui vaudrait la destruction.

Moïse Apocryphes
Moïse 6:28. Au cours de ces nombreuses générations… il a quitté la route… et ne s'est fié qu'à sa propre sagesse dans les ténèbres… Moïse 6:29 C'est pourquoi, il s'est… attiré la mort Beatty 99:8 et suiv. Et ils s’égareront dans la folie (aphrosyne) de leur cœur et les visions de leurs rêves, [des ténèbres] les égareront. Et les mensonges que vous proférez vous conduiront à votre perte. 98:9 Malheur à vous, insensés, car vous périrez par votre propre folie.
Moïse 5:57 Car ils ne voulaient pas écouter sa voix ni croire en son Fils unique. Secret 4 (Vaillant p.18). Ce sont ceux qui ont nié le Seigneur et qui n’ont pas voulu entendre la voix du Seigneur, mais ont fait leur propre volonté.
Moïse 6:29 Il s'est parjuré, et, par ses serments, il s'est attiré la mort, et je lui ai préparé un enfer s'il ne se repent pas. Gk. Énoch 63:9 Nous disparaissons… à cause de nos propres œuvres… descendant aux enfers (Schéol).
GK 3 (99.2) Malheur à vous qui pervertissez l’alliance éternelle
Moïse 6:43. Pourquoi vous fiez-vous à votre sagesse et niez-vous le Dieu du ciel ? et vous considérez comme innocents ! Bait ha-Midrash (BHM) 5:171. Je suis Énoch ! Quand la génération du déluge pécha et dit de Dieu : Détournez-vous de lui et ne vous réjouissez pas de la connaissance de ses voies, alors Dieu livra les hommes.