Une chose étrange dans le pays : le retour du livre d’Énoch

Treizième partie

par Hugh W. Nibley

professeur émérite d’écritures anciennes à l’université Brigham Young

Ensign, août 1977

 

L’ « Énoch » des Manuscrits de la mer Morte

 

La traduction longtemps attendue du livre d’Énoch des manuscrits de la mer Morte. (J. T. Milik et M. Black, dir. de publ., Les Livres d’Énoch, Fragments araméens de la grotte IV de Qumran, Oxford, Clarendon Press, 1976), arrive juste à temps pour le dernier épisode de cette étude du livre d’Énoch. Le père J. T. Milik, l’un des premiers savants à se trouver sur place lorsque les manuscrits furent découverts, s’est vu confier trente-deux fragments des livres d’Énoch provenant de la grotte IV de Qumran ; et tous les savants travaillant sur Énoch ont attendu impatiemment pendant ce dernier quart de siècle pour voir quelles nouvelles informations allaient être ajoutées, quelles théories risquaient de s’effondrer, quelles hypothèses allaient être confirmées par ces documents araméens, les textes énochiens les plus anciens connus.

Voici ce qu’ils montrent :

Ces documents, datés du IIIe au Ier siècle av. J.-C., confirment toute la littérature énochienne que nous avons. Il y a eu un véritable livre d’Énoch, écrit jadis en cinq parties. Voilà qui met sérieusement à mal les critiques qui ont soutenu pendant des années que les membres des sectes anciennes utilisaient Énoch comme fourre-tout pour ce qu’ils voulaient faire passer pour Écriture.

C’est un ravissement supplémentaire pour les saints des derniers jours de lire que le professeur Milik trouve que les textes grecs sont bien supérieurs aux textes éthiopiens – le récit de Joseph Smith dans la Perle de Grand Prix est plus proche du texte grec que des textes éthiopiens. Les saints des derniers jours noteront aussi avec intérêt la déduction du professeur Milik que l’un des textes – le texte de Gizeh – fut indubitablement préparé pour être enterré avec le défunt, un parallèle avec l’usage prévu pour le texte d’Abraham.

En outre, le professeur Milik travaille avec la fascinante hypothèse qu’Énoch avait préparé un récit de la création et de la Loi de Dieu qui antidate naturellement celui de Moïse dans la Genèse et voit dans Genèse 6:1-4, un passage qui a longtemps laissé perplexes les érudits bibliques, une citation de cette source énochienne plus ancienne. C’est exactement ce qui se passe dans la source de Joseph Smith : Moïse cite Énoch sur des événements qui se sont produits peu après la Création.

Comme nous l’avons déjà vu, l’histoire d’Énoch rentre dans la littérature la plus ancienne du genre humain et le professeur Milik trouve des liens avec les héros mythologiques de Sumer et de Babylone, avec l’astronomie de l’Égypte et de la Phénicie et les idées de la Mésopotamie concernant la terre. Même s’il ne semble pas reconnaître toute l’importance de la « figure d’Énoch », il fournit des éléments qui sapent une supposition de plus des érudits : qu’Énoch est une invention issue des espoirs et des aspirations des Juifs messianiques du deuxième siècle av. J.-C., alors qu’en fait, ce même peuple rejetait les textes d’Énoch à cette même époque. Il passe en revue quelques textes importants qui montrent  que les auteurs du texte araméen perdaient graduellement de l’intérêt pour les textes énochiens pendant le premier siècle, les auteurs de Masada allant jusqu’à éliminer le nom d’Énoch pour le remplacer par celui de Noé, alors que les chrétiens, par contre, le portaient aux nues et l’embellissaient de tant de fioritures astrologiques qu’ils sapaient involontairement la crédibilité d’Énoch pour les générations futures.

À tous ces égards, les fragments d’Énoch de Qumran IV, renforcent plutôt qu’ils ne réinterprètent ce que nous, saints des derniers jours, savions déjà au sujet d’Énoch. Mais ces textes nouvellement traduits apportent une information authentiquement neuve  à notre collection – ce qui est probablement le test le plus objectif des pouvoirs prophétiques de Joseph Smith.

Ce qui m’a toujours paru être le détail le plus bizarre du récit de l’Énoch de Joseph Smith a été l’apparition on ne sait d’où du nom du seul personnage non biblique nommé dans tout le livre : Mahijah (Moïse 6:40). Mahijah est celui qui pose à Énoch des questions pointues et à qui il est répondu par une mention du lieu Mahujah, où Énoch a commencé cette phase particulière de sa mission (Moïse 7:2). C’est donc avec un sursaut qu’après avoir parcouru tous les fragments de l’Énoch araméen, sauf les derniers, sans avoir trouvé quelque chose de particulièrement nouveau et en en venant à ces tout derniers petits fragments, que le nom Mahujah m’a sauté aux yeux encore et encore (p. 300. 302-305, 311, 314). Se pouvait-il que ce soit là notre Mahujah ou Mahijah ?  En fait, ce pourrait être l’un ou l’autre, non seulement parce que les semi-voyelles w et y s’écrivent quasiment de la même façon dans l’écriture araméenne et sont parfois confondues par les scribes, mais aussi parce que le nom, tel qu’il est écrit dans le 4QEn, MHWY, est le même que MHWY-EL qui apparaît dans Genèse 4:18 en tant que grand-père d’Énoch – rendu dans la Bible par Mehujaël, nom qui apparaît aussi dans la Septante grecque sous la forme Mai-el et dans la Vulgate latine sous la forme Mavia-el,  montrant que Mahujah et Mahijah étaient le même nom.

Alors ? Une coïncidence ? Un géant ou un Veilleur nommé Mahujah ou Mahijah. Mais bien plus qu’une coïncidence quand on le prend dans son contexte. La seule chose qui rend le Mahijah du livre de Moïse remarquable, c’est le fait qu’il pose des questions directes et hardies à Énoch, donnant ainsi au patriarche une ouverture pour appeler le peuple au repentir, le renvoyant au livre de souvenir et lui parlant du plan de salut. Et c’est exactement le rôle, et le seul rôle, que le Mahujah araméen joue dans l’histoire. On ne trouve le nom dans aucun des autres textes d’Énoch et l’histoire non plus : c’est quelque chose qui est propre à la version que Joseph Smith nous a donnée et au plus vieux manuscrit connu d’Énoch. La traduction suivante est de Milik et Black, de crainte que l’auteur soit accusé d’avoir forcé le texte.

 

Moïse 6:39 Lorsqu'ils l'entendirent… la crainte envahissait tous ceux qui l'entendaient.

4QEnGiantsb 1.20 [Là-dessus] tous les géants [et les nephilim] prirent peur.

 

 

Moïse 6:40 Et un homme du nom de Mahijah vint à lui et lui dit: Dis-nous clairement qui tu es et d'où tu viens.

et ils convoquèrent MHWY et il vint vers eux. Et les géants lui demandèrent et l’envoyèrent à Énoch ** lui disant : « Va donc ** et sous peine de mort, tu dois *** et écoute sa voix ; et dis-lui qu’il doit t’expliquer et interpréter les rêves**

 

6Q8 I.* * Ohya et il dit à MHWY : « **et (je ?) ne tremble pas. Qui t’a montré tout (cela), dis [nous (?)]** » Et MHWY dit : « ** Baraq’el, mon père, était avec moi. »

Moïse 6:41 Et il leur dit: Je suis venu du pays … de mes pères, qui a été jusqu'à présent un pays de justice.

4QEn. Géantsc [Ohyah, suivant le rapport de MHWY] : ** … mes accusateurs** ils demeurent dans [les cieux], parce qu’ils vivent dans de saintes demeures… ils sont plus puissants que moi.

Moïse 6:42 Et… comme je quittais… par la mer de l'est, j'eus une vision; et voici, je vis les cieux…

Moïse 7:2-3 Comme je voyageais… , je… montai sur la montagne… je vis les cieux s'ouvrir…

4QEn. Géantsb [MHWY… s’éleva dans les airs] comme le tourbillon, et il vola…. et traversa la Solitude, le grand désert** Et il aperçut Énoch et il l’appela et lui dit : « Un oracle*** »

Moïse 6:45 Énoch : Nous ne pouvons… nier… Moïse 6:46 Car nous avons écrit un livre de souvenir parmi nous, selon le modèle que le doigt de Dieu nous a donné… dans notre langue.

 

4QEn. Géantsa 7.** à toi, MH[wy**] les deux tablettes** et la seconde n’a pas encore été lue jusqu’à maintenant. 8.  Le li[vre de ** La copie de la seconde tablette de l’épître** écrite] par Énoch, de la main même du distingué scribe** et le Saint à Shemihazah et tous [ses] com[pagnons].

Moïse 6:47 Et tandis qu'Hénoc disait les paroles de Dieu, le peuple trembla et ne put demeurer en sa présence.

4QEnGéantsa Frg 4 ** Ohyah dit à Hahyah, son frère***ils se prosternèrent et commencèrent à pleurer devant [Énoch(?)**].

 

Moïse 6:48 Et il leur dit… nous avons pour lot la misère et le malheur…


Moïse 6:49… charnels, sensuels et diaboliques et ils sont exclus de la présence de Dieu.

 

4QEnGéantsa Frg 8. Le fragment le plus long : décrit la dépravation et la misère du peuple. Leur demande est rejetée : Dieu les a chassés. Tout est « pour le pire ».

Moïse 6:52 Si tu veux te tourner vers moi… te repentir… et tu demanderas tout en son nom… tout… te sera donné.

(Dernière ligne) Et cependant, détachez vos liens (du péché) qui [vous] enchaînent** et commencez à prier.

Moïse 7:13 Et… il [Hénoc] conduisit le peuple de Dieu et leurs ennemis vinrent se battre contre eux. Et il dit la parole du Seigneur, et la terre trembla…

4QEn.Géantsc . (Ohyah, l’ennemi d’Énoch) : « … par la force de mon pouvoir, [j’avais attaqué] toute chair et je lui avais fait la guerre… ils vivent dans des demeures saintes et… ils sont plus puissants que moi. »

et le rugissement des lions se fit entendre du désert;

et toutes les nations furent saisies d'une grande crainte.

[Là-dessus**] le rugissement des bêtes sauvages se fit entendre et la multitude des animaux sauvages commença à crier** Et Ohyah parla…. « Mon songe [m’]a accablé? *** et le s[ommeil] de mes yeux [a fui]…

Moïse 7:37. … ceux-ci vont souffrir.

Moïse 7:38. … ceux… périront dans les flots; et voici, je les enfermerai; je leur ai préparé une prison.

 

4QEnGéantsa Frg 7. Alors Ohyah [dit] à Hahyah, son frère ** Alors Il (Dieu) punit… les [fils] des Veilleurs, les géants, et tous [leurs] bien-aimés ne seront pas épargnés*** il nous a emprisonnés et toi, il t’a soumis (litt. tqaf, saisi, emprisonné). 

 

En gardant à l’esprit que les fragments araméens sont rares, très petits et arrangés dans l’ordre que les éditeurs pensent être le meilleur, il est quand même possible de voir que les thèmes du récit de Joseph Smith apparaissent clairement au milieu de toutes les modifications et vicissitudes très manifestes qui se sont produites dans les textes anciens.

  

FIN