Une chose étrange dans le pays : le retour du livre d’Énoch
Dixième partie

par Hugh W. Nibley
professeur émérite d’écritures anciennes à l’université Brigham Young
Ensign, mars 1977

La comparaison intéressante et pénétrante du livre d’Énoch de Joseph Smith avec quatre manuscrits, variantes connues de cet ouvrage antique, nous fournit une preuve de plus de l’inspiration du Prophète et de l’ampleur de sa vision dans la grande œuvre du Rétablissement.

Appelé, Énoch recule de peur et plaide son incapacité, protestant entre autres choses qu’il n’est « qu’un jeune garçon », bien qu’ayant soixante-cinq ans à l’époque ! (Moïse 6:31). Comment expliquer cette étrange anomalie ? Joseph Smith n’aurait pu connaître aucun des écrits ci-dessous qui en parlent aussi. Où est-il allé chercher cette idée ? Certainement pas dans les sources apocryphes, bien qu’il ne soit pas rare qu’elle s’y retrouve. Juste quelques exemples :

Gorion, Sagen der Juden 1:294 et suiv. Le Metatron a soixante-dix noms mais le Roi m’appelle « le jeune garçon ». Pourquoi? [296]. Parce que j’agis en la qualité de celui qui était avant moi, à savoir Énoch, qui était appelé « le jeune garçon » [297] parce qu’il était le plus jeune des multitudes.

Migne, Dictionnaire des Apocryphes 1:165. Énoch : « J’entendais mes frères qui disaient quand j’étais petit à quel point le monde était dans l’iniquité. Comment pourrais-je alors tout seul accomplir quelque chose ? Si seulement mes frères étaient ici, je pourrais le leur demander ! Pourtant, aussi jeune que je sois, je suis quand même plus âgé que mes frères, bien qu’ayant été le dernier à venir dans ce monde… »

Beit ha-Midrash 5:172 : « … Je suis petit [qatan, jeune) au milieu d’eux [les Veilleurs, d’un âge vaste, auprès desquels il était envoyé] et je ne suis qu’un jeune garçon parmi eux en jours, en mois, en années ; à cause de cela, ils m’appellent ‘le jeune garçon’ ».

Jewish Encyclopedia, 8:519 : « Dans les écrits hébreux et dans l’Apocryphe », Énoch est représenté comme un jeune homme, « puisque les deux sources le représentent comme une personne jeune », personne ne sait pourquoi.

Zohar, Behalah 66b : « Ils virent la lumière de la Shekina, à savoir celui qui est appelé ‘le Jeune’ [ou Garçon] Metatron-Énoch, qui sert la Shekina dans le sanctuaire céleste et le monde pavé de saphir [pierre de vérité]. » (voir aussi Ex. 24:10).

Migne, Dictionnaire des Apocryphes, 1:237 : Le grand-père d’Énoch, appelé en mission de la même façon, fait la même objection. Lorsqu’Adam lui envoie les messagers célestes avec un appel en mission, « Seth dit : ‘Oh mon bon maître, cela fait à peine huit ans [!] que je suis en ce monde… Je n’ai pas encore porté la tiare masculine [le bonnet d’Exode 28:40], ni l’épée. Retournez auprès d’Adam qui a plus de mille ans d’âge et dites-lui cela. Mais ils répondirent : ‘Seth, nous avons déjà dit ces mêmes vérités à ton père Adam. Il est passé par tout ceci.’ » Alors les vents portèrent Seth en haut [comme Énoch plus tard] et il s’assit sur le trône de lumière.

Le titre paternaliste de « jeune garçon » reflète le mépris général que l’on avait pour Énoch. « Tout le peuple me hait », dit-il, « car je suis lent à m’exprimer. » (Moïse 6: 31). Le passage éthiopien, tel qu’il est traduit par Charles, présente un parallèle particulièrement instructif avec la version de Joseph Smith : Ils contiennent tous deux exactement les mêmes idées et les mêmes expressions, mais le scribe africain les a toutes mélangées d’une façon intéressante :

Moïse 6:31. Et lorsque Hénoc eut entendu ces paroles, il se prosterna par terre devant le Seigneur, et parla devant le Seigneur, disant: Comment se fait-il que j'aie trouvé grâce à tes yeux, alors que je ne suis qu'un jeune garçon et que tout le peuple me hait, car je suis lent à m'exprimer…

 

 

 

Moïse 6:32. Et le Seigneur dit à Hénoc: Va… Ouvre la bouche, et elle sera remplie…

Moïse 6:33 Dis à ce peuple: Choisissez aujourd'hui de servir le Seigneur Dieu qui vous a faits.   

1 Énoch 15:24 Et moi, jusqu’alors, j’étais prosterné sur ma face, tremblant ; et le Seigneur m’appela de sa propre bouche et me dit : Viens ici, Énoch, et écoute mes paroles…

 

1 Én. 103:9. Que les justes ne disent pas : « … nous avons connu tous les troubles et rencontré beaucoup de mal… et nous sommes devenus peu nombreux et petits [mikropsychos, insignifiants].
…10. et nous n’avons trouvé personne pour nous aider, pas même d’un mot [c’est-à-dire sans une parole]… 11. Les pécheurs ont appesanti leur joug sur nous. 12. Ils ont dominé sur nous ; ils nous ont haïs et nous ont frappés ; et devant ceux qui nous haïssaient, nous avons courbé la tête. 104:2.Dieu répondit : Espérez, vous brillerez come des luminaires du ciel… 3. et dans votre cri, criez pour de la justice… 9 Ne soyez pas impies dans votre cœur.

Moïse 6:32. Et le Seigneur dit à Hénoc: Va faire ce que je t'ai commandé, et nul ne te transpercera.



Moïse 6:34. Voici, mon Esprit est sur toi, c'est pourquoi je justifierai toutes tes paroles… Tu demeureras en moi et moi en toi; c'est pourquoi, marche avec moi.


Moïse 6:34. Je justifierai toutes tes paroles. Les montagnes fuiront devant toi et les fleuves se détourneront de leur cours.

Livre d’Adam xxi Et maintenant, petit Énoch [« le jeune garçon »], je t’ai dit les mystères des méchants de ce monde dont l’aspect t’a rempli de frayeur et de détresse… et que les méchants ont conspiré de se débarrasser de toi, mais en vain [voir aussi xlvii : Tous les méchants complotèrent contre Énoch mais en vain.] Mais n’aie pas peur, je reviendrai te délivrer du mal et du péché… et je te conduirai du monde des ténèbres à la demeure de lumière.


L’ange de vie dit au petit Énoch : Lève-toi, dirige tes pas vers la source des eaux, détourne-la de son cours… À ce commandement, Tavril détourna effectivement l’eau de son cours…

Pour ce qui est de son problème de lenteur à s’exprimer, Dieu mettra ses paroles mêmes dans la bouche d’Énoch de sorte que, d’une manière spéciale, ce sera le Seigneur qui parlera par lui.

Moïse 6:32. Va faire ce que je t'ai commandé, et nul ne te transpercera. Ouvre la bouche, et elle sera remplie, et je te donnerai de t'exprimer… et je ferai ce qui me semble bon. Slave 13. Je vous ai été envoyé par la bouche du Seigneur pour vous dire ce qui sera… Et maintenant, mes enfants, ce n’est pas de ma propre bouche que je vous parle aujourd’hui, mais de la bouche du Seigneur qui m’a envoyé vers vous. Car vous entendez les paroles de ma bouche et j’ai entendu les paroles du Seigneur.
Moïse 6:30. Et c'est là un décret que j'ai lancé de ma bouche au commencement… et c'est par la bouche de mes serviteurs, tes pères, que je l'ai décrété. Secrets 29 (Charles Apot, p. 454) Je vous suis envoyé aujourd’hui de la bouche du Seigneur pour vous parler… ce n’est pas de ma propre bouche que je vous informe en ce jour, mais de la bouche du Seigneur, car vous avez entendu les paroles de ma bouche, mais j’ai entendu les paroles du Seigneur…

Énoch est reçu par le public tout d’abord avec curiosité et surprise, puis avec ressentiment, ensuite avec crainte, et finalement avec une certaine mesure d’acceptation, ce qui va déboucher sur la création d’une église et de la ville d’Énoch. Tout d’abord, nous voyons Énoch, l’homme mystère, l’étranger, une grande curiosité.

Moïse 6:38. Et ils vinrent l'écouter sur les hauts lieux, disant aux gardiens de tentes: Demeurez ici… tandis que nous allons là-bas voir le Voyant, car il prophétise, et

 


il y a une chose étrange dans le pays;

 




un homme sauvage est venu parmi nous.

Sefer ha-Yashar (BHM) 6:129. Et tout le peuple se rassembla et alla vers Énoch pour écouter cette chose…

Slave 16 (Vaillant, p. 60). Et ils se concertèrent tous disant : Allons et saluons Énoch, et ils se rassemblèrent au lieu appelé Azouchan.

Eisler, Iesous Basileus 2:19 et suiv., 107. Jean-Baptiste fut reçu comme le retour d’Énoch sur terre, prêchant dans le désert comme un homme sauvage.

Livre d’Adam, 17. Il y a de faux prophètes qui errent à travers les montagnes et les collines, des hommes sauvages avec des cheveux hirsutes et des voix rauques. Ils sont appelés bergers vagabonds, vivant de plantes et proclament que Dieu dit des mystères par leur bouche. 147. L’un d’eux, du nom de Marmon [!] conduisait ses disciples dans un endroit d’eaux sales.
Moïse 6:40. Et un homme du nom de Mahijah vint à lui et lui dit: Dis-nous clairement qui tu es et d'où tu viens.




Il répond :

 

 


Moïse 6:41. Et il leur dit: Je suis venu du pays de Kénan, le pays de mes pères, qui a été jusqu'à présent un pays de justice. Et mon père m'a enseigné toutes les voies de Dieu.

BHM 4:131. Énoch sortit [après sa longue retraite] et il s’éleva une voix disant : Quel est l’homme qui se réjouit des voies du Seigneur ? [voir Mahujah et Mahijah !] et tout le peuple se rassembla autour d’Énoch… et il leur enseigna de nouveau à tous de garder les voies du Seigneur, et il leur donna à tous sa paix.



Giz. 12:1. Énoch fut pris, et nul ne sait où il est allé, où il est et ce qu’il est advenu de lui. 2. Et ses activités [c’est-à-dire son œuvre missionnaire] ont trait aux Veilleurs, tandis que ses jours sont avec les Saints.
1 Én. 12:1. Et avant cela Énoch était caché et nul ne savait où il était caché ni où il demeurait, ni ce qu’il était advenu de lui. 2. Et ses activités avaient trait aux Veilleurs et ses jours étaient avec les Saints.
BHM 4:129. Énoch servait Dieu et évitait les voies des fils iniques des hommes. Et il resta fidèle à l’Ordre de Dieu en connaissance et en intelligence. Et il se sépara des hommes et resta caché pendant de nombreux jours. 130. [Après avoir prêché], il se retira de nouveau, comme au commencement, et se cacha pour servir le Seigneur.

C’est le thème bien connu du saint homme – Adam, Seth, Noé, Abinadi, Éther, Mormon, etc. – qui sort pour réprimander de temps en temps le monde pervers et puis se retire dans la compagnie des justes, habituellement dans une vallée ou sur une montagne. Les prophètes de ce genre sont une présence assez dérangeante parmi le peuple. C’est dans ce discours dans le livre de Moïse que cette idée est exprimée de la façon la plus émouvante :

Moïse 6:37 : Et il arriva que Hénoc alla dans le pays… témoignant contre leurs œuvres; et tous les hommes furent offensés à cause de lui. Migne Dict. des Apocr. 1:170 Et Énoch se leva joyeux et alla prêcher. Mais tous conspirèrent contre lui… et tous les éléments furent plongés dans la confusion.
Moïse 6:39. Lorsqu'ils l'entendirent, nul ne mit la main sur lui, car la crainte envahissait tous ceux qui l'entendaient, car il marchait avec Dieu. BHM 4:130. Quand il leur rendit visite, « les enfants des hommes craignirent grandement Énoch. »
Moïse 6:47. Et tandis qu'Hénoc disait les paroles de Dieu, le peuple trembla et ne put demeurer en sa présence. Giz. 13:3. Puis m’avançant, je leur parlai à tous et ils avaient tous peur et un tremblement et la terreur les saisirent.
5. Parce qu’ils ne pouvaient pas parler, ni lever les yeux vers le ciel de honte…
1 Én. 13:3. Puis m’avançant, je leur parlai à tous et ils avaient tous peur et un tremblement et la terreur les saisirent.

Ce qui les fait trembler le plus, c’est qu’Énoch montre un livre spécial comme témoignage contre eux. Il couronne l’histoire de sa vision du côté de « la mer de l’est » en leur remémorant un certain livre :

Moïse 6:46. Car nous avons écrit un livre de souvenir parmi nous, selon le modèle que le doigt de Dieu nous a donné. Et il est donné dans notre langue. [un livre qu’ils étaient censés lire.] 1 Énoch 93:2. Moi, Énoch, je vous dirai… selon ce qui m’a été révélé par une vision des cieux … et que j’ai appris des Tablettes célestes. 3. Énoch commença donc à parler d’après les écrits.

Le but de ce livre, témoigner de leur état déchu et de leur trahison de leurs alliances antiques, comme rapporté dans la version de Joseph Smith, est confirmé de manière frappante dans les documents anciens :

Moïse 6:45. Nous les connaissons [nos ancêtres] et nous ne pouvons le nier, et nous connaissons même le premier de tous, Adam.




Moïse 6:46. Car nous avons écrit un livre de souvenir parmi nous, selon le modèle que le doigt de Dieu nous a donné. Et il est donné dans notre langue.     Test. d’Abraham. Adam dit : Raconte-moi toutes ses actions [de l’âme] qui sont écrites. Et immédiatement un vieil homme [Énoch] surgit de derrière le voile avec un livre dans la main… Alors l’âme nia… pensant que ses actions ne pourraient être remémorées… Mais Adam dit : Non, il n’y a pas de mensonge dans ce lieu.

BK En. (Black) 2:7. Ne pensez pas dans votre âme que… vos mauvaises actions ne sont pas observées ni écrites devant le Très-Haut. 8. Dorénavant toutes vos transgressions sont mises par écrit jour et nuit jusqu’à votre jugement.
Én. gc. 97:6. Et toutes … vos iniquités seront lues en présence du grand Saint, et en votre propre présence parce que (104:10 et suiv.)… vous vous en êtes sortis en truquant les livres et en falsifiant les rapports, les annales : c’est comme cela que vous avez obtenu votre pouvoir, votre influence et votre richesse !
Ch. Beatty 98:15. Malheur à vous qui écrivez des mensonges… et falsifiez les annales… 91:2. Préparez-vous, les justes, et présentez les annales de vos actes comme un souvenir. Donnez-les comme témoignage devant les anges afin qu’ils puissent porter le sens de la justice devant le Très-Haut, comme un souvenir.
Test. de Dan 5:6 (et autres Testaments des douze Patriarches). Parce que j’ai lu dans le livre d’Énoch le Juste que votre Prince est Satan, et que tous les esprits d’iniquité égareront les fils de Lévi.

Bien que Charles trouve que ces passages de l’Énoch éthiopien sont « très confus » et « visiblement corrompus », toutes les versions s’accordent pour une histoire toujours la même : Énoch, tandis qu’il voyage dans des régions montagneuses, passant près d’une certaine mer, a une vision dans laquelle le Seigneur lui parle et l’envoie réprimander le peuple. Il le trouve assemblé dans un haut-lieu et lui parle d’un certain livre : un Hypomnemata ou mémoire. À la suite de ce qu’il lui dit concernant le livre, il est complètement écrasé et ne peut plus lever les yeux vers Énoch ni vers les cieux, de honte. Le récit de Joseph Smith est substantiellement identique aux textes grec et slave.

Moïse 6:47. Et tandis qu'Hénoc disait les paroles de Dieu [confirmées par le livre], le peuple trembla et ne put demeurer en sa présence. Giz. 13:3. Ils me demandèrent de leur lire l’Hypomnemata [mémoire, souvenir] devant la face du Seigneur, 5. parce qu’ils n’étaient pas en mesure de parler et ne pouvaient lever les yeux vers les cieux, de honte.

1 Énoch 13:3 et suiv. [Dans cette version, « le passage est très confus », dit R.H. Charles ; « visiblement corrompu » (p. 30)] 7. Puis m’étant éloigné, je m’assis près des eaux de Dan, dans le territoire de Dan, qui est au sud de l’ouest de l’Hermon. Et je lus la formule de leur prière [leur pétition ou mémorial ou souvenir] jusqu’au moment où je m’assoupis. 8 … Et voici que me vint un songe … des visions de châtiment, et une voix vint qui m’ordonnait de parler aux enfants du ciel et de les réprimander. 9 Lorsque je me fus éveillé, je me rendis vers eux ; tous ensemble étaient assis en pleurs dans « Abelsjail »… leur face voilée. 10. [Puis il commence à leur lire] dans le Livre des Paroles de Justice et à propos de la réprimande…
selon ce qu’avait ordonné le Saint et le Grand dans cette vision.

Les visions d’Énoch

Avant de traiter du succès de la mission d’Énoch, nous devons étudier avec plus de soin les merveilleuses visions qui l’ont préparé à cet appel et qui sont la partie la plus importante de la littérature énochienne et la raison de son rejet par les érudits chrétiens et juifs conventionnels des quatrième siècle et suivants. Nous voulons parler des enseignements cosmologiques ou astronomiques qui sont le plus généralement associés au nom d’Énoch qui, non content de décrire un ciel purement spirituel ou vision béatifique, tient absolument à introduire des étoiles et des planètes réelles dans le tableau, chose que les théologiens médiévaux et modernes trouvent indiciblement malvenue, l’antithèse même de tout ce qui est digne du nom éthéré de religion. Les docteurs juifs, quant à eux, rejetaient la vieille absorption cosmologique parce qu’elle se révélait être trop populaire auprès des premiers chrétiens [341]. Les docteurs chrétiens à leur tour la repoussaient parce qu’ayant trop de succès auprès des gnostiques et même des païens [342]. Les uns et les autres s’accordaient pour faire remonter son origine jusqu’à Énoch.

Ainsi, citant Eumolpe (140 av. J.-C.), Eusèbe rapporte qu’Abraham enseigna l’astronomie aux Égyptiens à Héliopolis (le grand observatoire préhistorique égyptien), s’attribuant à lui-même ainsi qu’aux Babyloniens le mérite d’avoir fondé cette science, tout en reconnaissant en réalité qu’Énoch en était le véritable découvreur [343]. Syncelle et Cedrenus transmettent la tradition, en se réclamant d’Énoch lui-même, que c’est l’ange Uriel qui aurait enseigné l’astronomie à Énoch [344]. Comme argument final à leur désapprobation, les docteurs d’Alexandrie, – les grands spiritualiseurs – suivent Clément d’Alexandrie, qui affirme que, selon Énoch, ce sont les anges déchus qui ont enseigné « l’astronomie, la divination [mantikê] et les sciences du même genre [technas] au genre humain » [345]. Les mystiques et les théologiens allaient dorénavant rejeter les cosmologies d’Énoch précisément parce qu’elles étaient scientifiques et non mystiques, partageant l’attitude chrétienne que « les récits cosmogoniques sont en fait extrêmement rares tant en Israël qu’en Islam… Mahomet avertit qu’ils conduiraient à l’athéisme, une vielle idée rabbinique » [346].

Les théologiens modernes voient dans Énoch « une curieuse tentative de ramener les images éparpillées de l’Ancien Testament à un système physique… Il semble répéter sous toutes les formes le grand principe que le monde naturel, moral et spirituel est sous le gouvernement immédiat de Dieu » [347]. Qu’est-ce qu’il y a de mal à cela, pourrions-nous demander ? Le révérend Michaël Stuart, le plus grand théologien américain à l’époque où le livre d’Énoch arriva en Amérique dans les éditions de 1838-1849, protesta que les Écritures « n’introduisent nulle part des suppositions aussi vaines et fantasques sur les phénomènes naturels des cieux et de la terre comme celles que nous trouvons dans le livre d’Énoch » [348] et il parle pour la chrétienté conventionnelle, même aujourd’hui, quand il dit : « Toute science est… complètement étrangère aux Écritures étant donné qu’elles ont été écrites dans des buts purement moraux et religieux et non pour donner des leçons de science », raison pour laquelle la cosmologie d’Énoch « est dès lors un livre scellé » [349].

Les églises changent de refrain si rapidement de nos jours que nous devons faire un effort pour nous rappeler qu’hier encore, le « cosmisme » et le littéralisme de Joseph Smith étaient universellement perçus comme horrifiants et alarmants. Un grand théologien catholique de notre époque nous assure que ce à quoi le chrétien aspire, c’est « d’être transporté loin de la matière » et de recevoir « la coupe de l’esprit qui, du ciel, est tendue vers la terre » [350] tandis que son éminent homologue protestant se réjouit de noter que, grâce à la démythification actuelle des vieux enseignements, « on ne conçoit plus la rédemption et l’esprit à la manière gnostique comme des entités quasi-physiques en dépit de Paul. » [351]

Selon l’étude de Van Andel (Pp 53, 40), c’est parmi les tenants des anciennes sectes que les parties astronomiques d’Énoch (72-82) connurent le plus grand succès. Il note que l’inclusion du monde physique dans l’histoire de la rédemption était en effet inévitable dans une histoire qui est « un prologue du déluge », un événement physique s’il en est (p. 41) et que « les tenants de cette littérature » affirment avec beaucoup de bon sens « qu’on ne voit pas comment on pourrait laisser le cosmos lui-même en dehors des relations de Dieu avec les hommes en commençant par la création », un autre événement physique. N’est-ce pas un but primordial de la Bible que de « rendre le cosmos compréhensible ? » (p. 93). « Dans la littérature apocalyptique, l’accent est principalement mis sur la personnalité historique d’Énoch, transmetteur de la connaissance cosmique » (p. 118). Il y a longtemps déjà, J.P. Migne protestait que c’était justement l’accent « littéral et scientifique » de ces écrits qui rendait ce genre de littérature religieuse dangereuse et que les écrits apocryphes qu’il convenait que les catholiques lisent étaient ceux qui sont franchement des fables populaires, des fantaisies poétiques et des contes symboliques et moraux qui, en fin de compte, ne se revendiquent d’aucune réalité historique ou physique [352].