Une chose étrange dans le pays : le
retour du livre d’Énoch
Quatrième partie
par Hugh W. Nibley professeur émérite d’écritures
anciennes à l’université Brigham Young Ensign, mars 1976
Un
problème âprement discuté a toujours été : à quel point les écrits
énochiens sont-ils chrétiens ? « Il est possible que la dernière
formulation de 1 Énoch ait été écrite par des mains chrétiennes, mais il
n’y a aucun endroit où les diverses parties donnent des raisons de de la
juger d’origine ou d’interpolation chrétienne. » C’est ce que conclut Van
Andel [179]. Dans des ouvrages juifs tels que les Douze Patriarches,
Jacques II, Pierre, Jude, la Didaché, Barnabas et Hermas, il trouve qu’il
« est pratiquement impossible de distinguer entre les éléments chrétiens
et non chrétiens » [180]. Pour J. Z. Werblowsky, la version slave «
intègre les concepts messianiques des Juifs d’Alexandrie aussi bien que de
nombreux ajouts chrétiens… circulant pendant la période du second Temple »
[181].
Les érudits chrétiens, résolus à préserver « l’originalité »
de Jésus dans le cas d’Énoch, comme pour les manuscrits de la mer Morte,
ont décrété qu’Énoch est un ouvrage totalement étranger au Nouveau
Testament. En 1840, M. Stuart estime que « le lecteur qui n’est jamais
allé très loin dans l’étude de la critique sacrée ne peut s’imaginer toute
la lumière qu’il [1 Énoch] jette sur diverses parties du Nouveau
Testament, et plus particulièrement sur l’Apocalypse… Et pourtant… combien
différentes sont ces deux compositions, bien que les ressemblances
partielles et même générales soient si fréquentes » [182]. Il nous assure
qu’Énoch et le livre de l’Apocalypse furent écrits à la même époque par
deux auteurs juifs sur le même thème et le même but généraux… les deux
auteurs… traitent de visions et de symboles » [183]. Pour sauvegarder
l’originalité du Nouveau Testament, il explique que les deux livres sont
des inventions indépendantes et que « les deux auteurs donnent libre cours
à leur imagination et inventent librement » [184].
Stuart n’en est
pas moins stupéfait de découvrir ce qui ressemble à « de la vraie
christologie avant l’époque du Christ ! » [185]. Comment l’expliquer ? Ce
devait être une œuvre chrétienne : « Le contour tout entier de la partie
messianique du livre indique une connaissance plus grande de la
christologie que ce que l’on pourrait raisonnablement attendre d’un
quelconque Juif sans inspiration… à une époque antérieure à la publication
du christianisme [186]. »
Et si c’était un Juif inspiré ? Ceci est
bien sûr hors de question. « Ma conviction profonde est que nos écritures
actuelles sont la règle unique et suffisante de foi et de pratique »
[187], une prise de position qui l’oblige à annoncer, quoi qu’il arrive :
« Je n’ai pas la moindre intention de dire du livre d’Énoch qu’il est une
autorité. On ne me fera jamais croire que les Éthiopiens avaient une
justification de le mettre dans leur canon » [188]. Cependant, il admet
franchement que les premiers chrétiens, notamment les premiers Pères,
l’avaient mis dans leur canon [189] ! Sa conclusion : « L’auteur était un
Juif chrétien [190]. » Chrétien, parce que « aucun un sage purement juif,
connu de nous, n’aurait amené les auteurs, à une époque aussi lointaine, à
emprunter le chemin qu’il a parcouru [191]. » Juif, parce qu’il «
connaissait particulièrement bien les écritures de l’Ancien Testament et
avait probablement une certaine connaissance de celles du Nouveau.
L’ouvrage fut composé, selon toute probabilité, dans la seconde moitié du
premier siècle de l’ère chrétienne » [192].
En 1860, G. Volkmar,
motivé par les mêmes arguments, insista sur le fait qu’Énoch était un
ouvrage purement chrétien, l’idée qu’il puisse être préchrétien étant le
résultat d’une traduction défectueuse ; il n’avait rien à voir avec les
membres des sectes du premier siècle av. J.-C. [193] Et puis, en 1864, les
textes d’Énoch hébreux purement juifs commencèrent à apparaître [194],
mais A. Vaillant, en bon catholique, tient la bonne réplique : « Alors que
l’Énoch hébreu est « mal construit, confus et ténébreux, l’Énoch chrétien
est raisonnable, ordonné et clair ». Ce sont donc les chrétiens qui ont
réellement organisé les vieux textes juifs et qui, dans la foulée, «
inventèrent une autre histoire », ce qui exclut les Juifs. Dans le même
esprit, Weisse, Hofmann et Philippi prétendent tous qu’Énoch était un
ouvrage chrétien en vertu du « principe dogmatique », selon Charles, que
le christianisme devait être défendu « dans son originalité pure » [196].
C’est une question qui a tarabusté ces dernières années tous les
spécialistes des anciens écrits apocalyptiques : que faire quand un
ouvrage indubitablement juif contient des éléments indéniablement
chrétiens ? Cela a été, bien entendu, l’une des principales pierres
d’achoppement du Livre de Mormon : comment des Juifs pouvaient-ils, avant
l’époque du Christ, à ce point parler et agir comme des chrétiens et
vice-versa ? Cette anomalie apparente a amené tant les Juifs que les
chrétiens à modérer leur enthousiasme pour les manuscrits de la mer Morte
et même à déconseiller leur publication [197].
Après avoir énuméré
une douzaine de mentions d’Énoch dans le Nouveau Testament, l’Encyclopedia
Britannica minimise le lien en vertu de la théorie que « la répétition
d’idées et de phraséologie semblables indique tout simplement l’influence
d’une tradition commune » [198]. Van Andel insiste sur le fait que la
communauté du Nouveau Testament qui a inventé Énoch suivait le Christ,
qui, lui, n’était pas une invention : « Le véritable Énoch s’est perdu
dans les brumes du mythe alors que le véritable Christ est un personnage
historique… » [199]. Et comment ont-ils inventé Énoch ? Quelle proportion
de cette histoire est parvenue jusqu’à eux en plus de son nom ? Personne
ne le sait, et il est facile d’avancer des théories. Même R. H. Charles,
pour éviter d’accorder trop de crédit à Énoch, a introduit, selon Black,
des choses dans sa traduction sans « le moindre soutien de la tradition
des manuscrits… Il a en fait pratiquement réécrit la fin des Similitudes
pour la faire cadrer avec ses idées sur ce qu’Énoch aurait dû dire [200].
»
Mais P. Battifol, avec sa clairvoyance habituelle, a observé il y
a longtemps que des ouvrages tels qu’Énoch sont un prolongement des
prophètes canoniques et « en même temps un prologue à l’Évangile. C’est
ainsi et ainsi seulement que l’on peut expliquer la faveur qui leur était
accordée dans l’Église primitive et comment, négligés par les Juifs de la
tradition talmudique, ils ont été préservés pour nous par des mains
chrétiennes [201]. »
Le but de ce résumé fastidieux et superficiel
est de bien montrer que, lorsque Joseph Smith fait paraître des pages d’un
livre d’Énoch pour nous le faire lire, ce ne peut pas être quelque chose
qu’il a emprunté à une quelconque source ancienne connue, qu’elle soit
éthiopienne, grecque, slave, hébraïque, araméenne ou arabe, etc., car
aucune d’elles n’était à sa disposition en 1830.
De tous les
concepts primordiaux portés à l’attention de l’humanité par le ministère
du prophète Joseph Smith, aucun n’a été en butte à une plus grande
dérision ou ne mérite plus de respect que son affirmation que certaines
annales sacrées ont été tenues et transmises aux saints de chaque
dispensation au fil des siècles. Il nous dit comment un dépôt d’écrits
sacrés a été préservé et agrandi depuis le commencement de l’homme jusqu’à
maintenant ; et s’il dit vrai, il existe aujourd’hui quelque part sur la
terre, si seulement nous savions où les découvrir, l’équivalent de
milliers de bandes magnétiques et de films rappelant les événements
cruciaux de l’histoire humaine. L’équivalent ? Mieux que cela ! Le vieux
rêve de science-fiction de récupérer les ondes de son et de lumière
propagées par les grands événements historiques s’avère être une erreur –
les physiciens-nous assurent que les ondes sonores et lumineuses ont l’art
de perdre de la définition et de s’atténuer peu après avoir entrepris leur
ambitieux voyage dans toutes les directions et on peut montrer que les
instruments les plus puissants que l’on puisse concevoir ne pourront
jamais démêler leurs impulsions inextricables.
Cela signifie que
l’art d’écrire, une technique vieille comme l’histoire, reste et restera
probablement toujours le moyen le plus efficace d’unir le temps et
l’espace. « Mais de toutes les inventions stupéfiantes, écrit le non moins
stupéfiant Galilée, quel esprit sublime a dû avoir celui qui a conçu le
moyen de communiquer ses pensées les plus secrètes à autrui, aussi éloigné
qu’il soit dans le temps ou dans le lieu, parlant à ceux qui sont aux
Indes, parlant à ceux qui ne sont pas encore nés ni ne naîtront d’ici
mille ou même dix mille ans ? Et cela sans devoir se donner plus de peine
que d’arranger de diverses façons deux douzaines de petits signes sur du
papier ? Que ce soit là le sceau de toutes les inventions admirables de
l’homme [202]. » Le sublime de la chose fait que l’on doute qu’elle soit
une invention humaine : les hommes n’ont jamais rien inventé de tel avant
ou depuis, et l’idée que « l’homme primitif » y soit arrivé
insensiblement, petit à petit, au cours de dizaines de milliers d’années
de tâtonnements est tout simplement grotesque.
Eh bien, Joseph
Smith, le Voyant, nous raconte une histoire qui, une fois assemblée, est
aussi splendide qu’audacieuse. Et il n’est pas difficile de l’assembler,
car on la retrouve partout dans toutes les écritures inspirées qu’il nous
fournit, le Livre de Mormon, en particulier, nous l’explique clairement.
Voici comment cela marche.
Énoch déclara autrefois que, du temps
d’Adam, « il était donné à tous ceux qui invoquaient Dieu d'écrire par
l'esprit d'inspiration », qu’un « livre de souvenir » fut tenu « dans la
langue d’Adam » et transmis jusqu’à sa propre époque, « écrit… parmi nous,
selon le modèle que le doigt de Dieu nous a donné » (Moïse 6:5, 46). À la
fin de sa vie, « Adam prédit tout ce qui arriverait à sa postérité jusqu’à
la dernière génération » et cette information fut soigneusement consignée
: « Ces choses furent toutes écrites dans le livre d’Énoch, et il en sera
témoigné en temps opportun » (D&A 107:56-57).
Il existe donc un
document écrit qui relie toute l’expérience humaine depuis le commencement
jusqu’à la fin. Entre-temps il y a un travail consciencieux de tenue de
registres pour remplir le document, le mettre à jour, condenser et abréger
là où c’est nécessaire et le remettre en de bonnes mains pour que la
transmission continue. « Car je commande à tous les hommes, à l’est, à
l’ouest, au nord et au sud, et dans les îles de la mer, d’écrire les
paroles que je leur dis, car, d’après les livres qui seront écrits, je
jugerai le monde, chacun selon ses œuvres, suivant ce qui est écrit… et je
parlerai aussi à toutes les nations de la terre et elles l’écriront » (2
Néphi 29:11–12).
Tout comme l’écrit franchit l’espace, de même il
franchit le temps. Nous avons l’assurance que, lorsque les plaques de
bronze que Léhi emporta de Jérusalem. « seraient envoyées à toutes les
nations, familles, langues et peuples de sa postérité, qu’elles ne
périraient jamais et qu’elles ne seraient même jamais ternies par le temps
» (1 Néphi 5:18-19). Le monde est ainsi couvert d’une sorte de réseau de
communications, quelque chose comme le réseau de vie organique de Teilhard
de Chardin, grâce auquel les justes peuvent, quels que soient le temps ou
le lieu, partager un univers de parole commun. « Et il a assurément
montré… à beaucoup ce qui nous concerne, c’est pourquoi, nous devons
nécessairement être informés à ce sujet… afin qu’ils fussent au courant
des actions du Seigneur dans d’autres pays, parmi les peuples d’autrefois
» (1 Néphi 19:21, 22).
Même les anges entrent dans le jeu. Quelques
références croisées montreront que lorsque Gabriel vient mettre pour ainsi
dire Zacharie et Marie « dans le coup », tout ce qu’il leur dit n’est rien
d’autre qu’un pastiche d’écrits prophétiques anciens qui étaient sur le
point de s’accomplir (Luc 1) ; et quand Moroni inaugurera plus tard notre
dispensation, il le fera de la même façon, « cit[ant] les prophéties de
l’Ancien Testament… sur le point de s’accomplir » et d’autres, soit dûment
corrigés et « tels qu’ils se trouvent dans notre Nouveau Testament », avec
les explications nécessaires (Joseph Smith – Histoire 1:36, 40).
Dans la transmission des annales sacrées, tout est strictement géré
d’en-haut, « donné par inspiration… et… confirmé… par le ministère
d’anges… prouvant au monde que les Saintes Écritures sont vraies et que
Dieu inspire les hommes et les appelle à son œuvre sainte à notre époque
et dans notre génération, tout comme dans les générations d’autrefois »
(D&A 20:10-11). Tout est minuté et s’accomplit quand « le Seigneur le juge
bon » (2 Néphi 27:10, 21 ; Éther 4:16-17 ; spéc. JS–H 1:53-59 ). Le fait
que des documents provenant d’époques et d’endroits très variés
correspondent parfaitement atteste leur authenticité, car « Ces dernières
annales… confirmeront la vérité des premières » (1 Néphi 13:40). Et d’un
bout à l’autre, tout se fait « par l’esprit d’inspiration » (Moïse 6:5.
Le prophète pousse la gentillesse jusqu’à nous dire comment les choses
fonctionnent. En passant d’une main à une autre, le texte fait boule de
neige comme seules les bibliothèques peuvent le faire, de sorte qu’il faut
de temps à autre faire une version abrégée si l’on veut que le message
principal soit maintenu au premier plan, le rédacteur sélectionnant pour
qu’on y prête une attention spéciale ce qu’il estime primordial et
conservant le reste sous diverses catégories.
« Et il s'était
produit beaucoup de choses qui, aux yeux de certains, seraient grandes et
merveilleuses; néanmoins, on ne peut pas les écrire toutes dans ce livre;
oui, ce livre ne peut même pas contenir la centième partie de ce qui se
fit… mais voici, il y a des annales qui contiennent toutes les actions de
ce peuple; et un récit plus court, mais vrai, a été fait par Néphi [un
rédacteur plus ancien]… [moi, Mormon] j'ai fait mon récit… selon les
annales de Néphi… sur des plaques que j'ai faites de mes mains. » (3 Néphi
5:8-11, voir 1 Néphi 1:16-17).
Cette dernière phrase est le
colophon standard par lequel le rédacteur d’autrefois atteste l’exactitude
du document tel qu’il l’a reçu et tel qu’il le transmet : « Et nous savons
que nos annales sont vraies, car voici, c’était un juste qui tenait les
annales ». (3 Néphi 8:1-2). Le rédacteur lui-même certifie : « Je fais les
annales des actes de ma vie… et je sais que les annales que je fais sont
vraies, et je les fais de ma propre main, et je les fais selon ma
connaissance ». (1 Néphi 1:1-3, voir 3 Néphi 5:17) Jacob, frère de Néphi,
nous dit qu’il a pris, dans les annales plus anciennes, des notes sur les
choses qui pourraient être d’un intérêt particulier pour son peuple,
notant « les points principaux » (kephalaïa), pour « les traiter le plus
possible… à cause de notre peuple » (Jacob 1:4). Car le mot d’ordre est la
pertinence : « Car j'appliquais toutes les Écritures à nous, afin que cela
fût pour notre profit et notre instruction » (1 Néphi 19:23).
Les
méthodes utilisées pour le traitement des écrits sacrés sont conditionnées
par le monde hostile dans lequel elles se trouvent. Il y a ceux qui ont
juré « dans leur colère que, si c'était possible, ils nous détruiraient,
nos annales et nous, et aussi toutes les traditions de nos pères » (Énos
1:14). À défaut de quoi, ils peuvent les endommager et les corrompre : «
elle a ôté… beaucoup de parties qui sont claires et extrêmement précieuses
; et il y a aussi beaucoup d'alliances du Seigneur qu'elle a ôtées », avec
la conséquence désastreuse que « un nombre extrêmement grand d’hommes
trébuchent » (1 Néphi 13:26-29).
Pourquoi quelqu’un voudrait-il
faire une chose pareille? Pour une raison quelconque, la destruction de
livres par le feu est une rengaine dans la réalité historique : Le roman
de Ray Bradbury, Fahrenheit 451, parle d’une époque future où le peuple et
le gouvernement des États-Unis détruisent systématiquement tous les livres
parce qu’ils perturbent un monde entièrement axé sur la télévision et le
rejet de toute réflexion sérieuse. Mais l’auteur passe à côté de ce qui
est le point principal : les livres que l’on brûle ne sont pas le dépôt
sacré dont nous avons parlé, mais des livres de second ordre tout au plus,
une sorte de repousse de végétation apparue sur les cendres des livres
saints brûlés par ces savants mêmes qui parrainent maintenant leurs
successeurs. La question en ce moment n’est pas de savoir si les « grands
livres », qui tous tâtonnent dans le noir, peuvent répondre aux grandes
questions de la vie, (de leur propre aveu, ils ne le peuvent pas), mais
s’il y a jamais eu des livres qui, eux, le pouvaient. Joseph Smith était
conscient du vide qui existe entre l’homme moderne et les écrits de ce
genre. « Vous allez peut-être penser que cette façon de procéder est bien
pointilleuse », dit-il aux frères quand il leur enseigna le système de
tenue de registres de l’Église (D&A 128:5) et Moroni, le principal
rédacteur du Livre de Mormon désespère d’approcher et même de décrire la
puissance et la majesté inconcevables manifestées dans l’écrit entre les
mains de maîtres aussi inspirés que le frère de Jared (Voir Éther
12:23-25). Ce qui se passe, c’est que ce genre d’écrit agit sur une
longueur d’onde différente de ce qui se passe pour les textes ordinaires.
Le lecteur réceptif peut en retirer quelque chose qu’aucun autre écrit ne
donnera. La dernière dispensation a été inaugurée par une communication de
ce genre : « Jamais aucun passage de l’Écriture ne toucha le cœur de
l’homme avec plus de puissance que celui-ci ne toucha alors le mien » (JSH
1:12) Le passage était bien connu, mais jusqu’alors la courant avait été
coupé.
Parce que le monde est susceptible et hostile envers ce
qu’il ne comprend pas – « Les chiens aboient contre les étrangers » dit
l’immortel Héraclite – Il est beaucoup question dans la tenue des
registres de cacher, de soustraire, de feindre, de rationner et de
déguiser : « ayant reçu du Seigneur le commandement de ne pas laisser les
annales, qui avaient été transmises par nos pères, qui étaient sacrées,
tomber entre les mains des Lamanites (car les Lamanites les détruiraient),
je… cachai dans la colline de Cumorah toutes les annales qui m'avaient été
confiées par la main du Seigneur » (Mormon 6:6). « Ceux qui auront
dégénéré dans l'incrédulité ne l'auront pas, car ils cherchent à détruire
les choses de Dieu » (2 Néphi 26:17). Ces choses-là sont « scellées » et «
ne seront pas remises au jour de la méchanceté et des abominations du
peuple. C'est pourquoi, le livre lui sera refusé » (2 Néphi 27:8).
Le moyen le plus sûr de préserver un livre de la destruction et la seule
façon de le protéger de l’inévitable corruption de son contenu qui découle
de la copie et de la manipulation est tout simplement de l’enterrer : « et
elles sont scellées pour parvenir à la maison d'Israël, dans leur pureté,
selon la vérité qui est en l'Agneau, lorsque le Seigneur le jugera bon »
(1 Néphi 14:26). « Alors tu scelleras de nouveau le livre et tu le
cacheras pour moi, afin que je préserve les paroles que tu n'as pas lues,
jusqu'à ce que je juge bon, dans ma sagesse, de tout révéler aux enfants
des hommes » (2 Néphi 27:22, voir Éther 4:4-6, D&A 6:26-27). Le problème
de retrouver l’objet ne présente bien entendu aucune difficulté puisqu’il
est « caché pour Dieu » selon ses instructions. « Ne touche pas aux choses
qui sont scellées, car je les ferai paraître lorsque je le jugerai bon »
(voir 2 Néphi 27:21).
« C’est pourquoi, lorsque tu auras lu les
paroles… alors tu scelleras de nouveau le livre et tu le cacheras pour moi
» (2 Néphi 27:21-22). Et quand on devra les redécouvrir, celui qui les
aura découvertes devra les montrer « seulement à ceux à qui il [lui]
serait commandé de les montrer » sous peine de destruction (JS–H 1:42).
Quand « elles seront de nouveau parmi les enfants des hommes », ce sera
seulement « parmi tous ceux qui croient… Ne les montre qu’à ceux qui
croient » (Moïse 1:41-42). Certaines choses ne devront jamais être
diffusées publiquement, mais pourront « s’obtenir dans le saint temple de
Dieu » uniquement (Abraham fac-similé 2 fig. 8), d’autres ne peuvent être
mises par écrit que par un agent spécial à un moment spécial (1 Néphi
14:25-28).
Les écrits sacrés sont souvent protégés des yeux
indignes par la technique de la rédaction codée. Dans un sens, tout écrit
est codifié et ne peut être lu que par ceux qui ont reçu des instructions
spéciales. Lire veut dire déchiffrer. Le roi Benjamin dut apprendre une
langue spéciale pour « lire ces inscriptions gravées » et fit apprendre la
langue à ses fils pour qu’ils puissent tenir les annales (Mosiah 1:4) et
il fut commandé au frère de Jared de protéger les enseignements, de les
garder et de les sceller « afin que personne ne puisse [les] interpréter,
car tu [les] écriras dans une langue dans laquelle on ne peut pas [les]
lire » (Éther 3:22).
Pour franchir le fossé culturel et
linguistique entre celui qui cache les annales et celui qui les découvre,
à des milliers d’années d’écart, des dons et des objets spéciaux sont
fournis, notamment les pierres de voyant et l’urim et le thummim (Éther
3:23). Ce ne sont pas là de simples gadgets mécaniques, mais ils « ne
travaille[nt] parmi les enfants des hommes que selon leur foi » (2 Néphi
27:23), nécessitant des qualifications morales et intellectuelles beaucoup
plus grandes que la manipulation de grammaires et de dictionnaires. Ils
travaillaient par « le même pouvoir…et le même don » que ceux par lesquels
les hommes écrivirent les mots au départ (D&A 17:7, D&A 9:2, D&A 8:11,
Moïse 6:5).
Tout commence sur terre avec « le livre de la postérité
d’Adam », des annales complètes de noms et d’événements et des relations
de Dieu avec ses enfants sur terre (Moïse 6:8). Il exige des saints à
toutes les époques qu’ils tiennent un tel livre ou plutôt qu’ils
continuent l’original en y ajoutant leur propre nom et leur propre
histoire, « arranger par le sort les héritages des saints dont les noms et
les noms de leurs pères et de leurs enfants se trouvent inscrits dans le
livre de la loi de Dieu » (D&A 85:7) ; lequel est le même que le « livre
de souvenir » (D&A 85:9), qui remonte à Adam (Moïse 6:45-46) et qui est
aussi « la généalogie des fils d’Adam » (Moïse 6: 22). Énoch cite les
livres pour rappeler à son peuple « les commandements que [Dieu a] donnés
à son père, Adam (Moïse 6:28), quand « Il appela notre père Adam de sa
propre voix »(Moïse 6:51) et lui donne l’ordre de faire passer : «
enseigne[z] libéralement ces choses à vos enfants » (Moïse 6:58) et en
temps voulu ils doivent parvenir jusqu’à nous ! (D&A 107:56). La règle est
que « il y a beaucoup de livres… de toute espèce » qui sont « transmis
d’une génération à l’autre… jusqu’à ce qu’ils [le peuple] soient tombés
dans la transgression » (Hélaman 3:15-16), et à ce moment-là ils
disparaissent jusqu’à ce qu’un autre prophète les fasse paraître.
Après Énoch lui-même, le plus grand transmetteur d’annales semblerait être
Moïse, de la main duquel nous recevons les annales qui sont passées par
Énoch et ses successeurs. Et c’est Moïse qui nous donne la clé de toute
l’affaire : « Et maintenant, Moïse, mon fils… tu écriras les choses que je
vais te dire ».
« Et le jour où les enfants des hommes mépriseront
mes paroles et en retireront beaucoup du livre que tu vas écrire, j’en
susciterai un autre semblable à toi. Et elles seront de nouveau parmi les
enfants des hommes, parmi tous ceux qui croient » (Moïse 1:40-41).
Chaque fois que les annales paraissent, elles sont rassemblées en une
seule écriture avec celles qui ont survécu parmi les hommes, rendant
possible la correction et la compréhension de ces dernières. Étant la
source et l’auteur de tout, Jésus-Christ parmi les Néphites leur «
expliqu[a] en une seule toutes les Écritures qu’ils avaient écrites » et «
leur commanda d’enseigner les choses qu’il leur avait expliquées » (3
Néphi 23:14). Ceci fut fait après qu’il ait examiné personnellement toutes
les annales, corrigé les défauts et les ait mises à jour. La même chose se
passa dans l’ancien monde où : « commençant par Moïse et par tous les
prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait
» (Luc 24:27). Le fait que le Seigneur lui-même lit aux hommes ce qui est
dans les livres anciens, « …parce que…ce sont elles [les Écritures]… qui
rendent témoignage de [lui] » (Jean 5:39), alors même qu’il est
personnellement parmi eux, lui, le Seigneur ressuscité, leur parlant de sa
propre bouche, rend un témoignage extraordinaire de l’autorité des textes.
Après tout, que font les livres, si ce n’est témoigner de la réalité du
Seigneur et de sa mission : « Nous travaillons diligemment à graver ces
paroles sur des plaques, espérant que nos frères bien-aimés et nos enfants
les recevront… Car c'est dans ce but que nous avons écrit ces choses, afin
qu'ils sachent que nous avions connaissance du Christ et que nous avions
l'espérance de sa gloire bien des centaines d'années avant sa venue »
(Jacob 4:3-4). « Et un livre de souvenir fut écrit devant lui pour ceux
qui craignent le Seigneur et qui honorent son nom. ». « Ils seront à moi,
dit le Seigneur des armées, ils m'appartiendront au jour où je
rassemblerai mes joyaux » (3 Néphi 24:16-17), c’est-à-dire quand je les
rassemblerai tous et les mettrai en bon ordre. Ainsi tous ceux qui sont
dans ce livre sont « comptés parmi le peuple de la première alliance »,
peu importe quand ils vivent. (Mormon 7:10), car les écrits eux-mêmes «
prouv[ent] au monde….qu’il est le même Dieu hier, aujourd’hui et à jamais
» (D&A 20:11-12).
Pour les saints, les annales sacrées sont une
source de joie et de bonheur aussi bien que d’enseignement et de guidance.
C’est une joie de les lire, un régal pour l’intelligence et l’esprit : «
Car mon âme fait ses délices des Écritures, et mon cœur les médite et les
écrit pour l'instruction et le profit de mes enfants ». (2 Néphi 4:15) ; «
Et si mon peuple est content des choses de Dieu, il sera content de ce que
j'ai gravé sur ces plaques » (2 Néphi 5:32). Leur découverte est toujours
une nouvelle enthousiasmante pour ceux qui savent les apprécier, comme le
roi qui disait, alors qu’il était « dans une allégresse extrême … Sans
aucun doute, un grand mystère est contenu dans ces plaques… Oh ! Comme
elles sont merveilleuses, les œuvres du Seigneur » (Mosiah 8:19-20) et fut
« rempli de joie » quand il apprit que quelqu’un pouvait les lire (Mosiah
21:28). Il n’y a aucune honte à avoir de la curiosité intellectuelle et le
sens de l’esthétique.
Notes
179. Id., p.
114. 180. Id., p. 48. 181. J. Z. Werblowsky, dans Encyclopedia of
Jewish Religion, p. 129. 182. M. Stuart, Biblical Repository 3:105. Il
trouve que « les parties de loin les plus intéressantes et les plus
importantes du livre » sont celles qui développent sa christologie, p. 99.
183. Id., p. 105 et suiv. 184. Id. 185. Id., p. 113. 186. Id., p.
128. 187. Id. 188. Id., p. 105 et suiv. 189. Bibl. Repos. 4:10.
190. Id., 4:11 ; 3:133. 191. Id., 3:123. 192. Id., 4:5. 193. G.
Volkmar, “Beiträge zur Erklärung des Buches Henoch,” in ZDMG 14, 1860, p.
87. 194. N. Schmidt, dans JAOS 42:45. 195. Vaillant, Intro. J. P.
Frey, un autre catholique, affirme que “la partie la plus belle et la plus
importante » de la littérature sur Énoch pourrait bien être une
interpolation chrétienne, Pirot, Dict. Ik 358 et suiv.. 196. Charles, I
Enoch, p. xxxiii. 197. Voir M. Allegro. 198. G. W. Anderson,
Encyclopedia Britannica, édition 1973, 10:604. 199. Van Andel, p. 113.
200. M. Black, dans Journ. of Theol. Stud. 3, 1952, p. 1; citant T. W.
Manson. 201. P. Batiffol, dans F. Vigouroux, Dictionnaire, 1:757. Énoch
reflète le judaïsme de Palestine pendant la transition vers le
christianisme et vers le rabbinisme, selon un autre auteur catholique,
Enciclopedia Cattolica 6:1406. 202. Cité par G. Santillana, Hamlet’s
Mill, Boston, Gambit, 1969, p. 10. 203. Voir le traitement dans le New
Era, sept. 1973, p. 38–50. |