QUESTIONS SUR LES FAC-SIMILES DU LIVRE D'ABRAHAM
Ensign, mars 1976, p. 34
Hugh Nibley, professeur honoraire d'Écritures anciennes à luniversité Brigham
Young
« Quels sont, exactement, le but et l'importance des fac-similés du livre d'Abraham ?
Étant donné que le but des fac-similés dépend de leur importance et vice-versa, et que
les deux dépendent de l'authenticité des explications données par le prophète Joseph,
il faut répondre à un certain nombre de questions préliminaires si lon veut
créer une base pour des scènes qui sont très éloignées de notre propre expérience.
Comme la question lui est posée quasiment entre deux portes, lauteur devra renoncer
à sa passion habituelle pour des notes de bas de page ; mais que lon se rassure,
tout ce quil dit peut être justifié.
Q : Les trois fac-similés ont-ils un rapport entre eux ?
R : Certainement, du fait quils sont annexés à un seul et même document, à
savoir, les papyrus X et XI de Joseph Smith, qui contiennent un texte du Livre des
Respirations égyptien.
Le fac-similé n° 1 est suivi immédiatement sur sa marge de gauche par le papyrus XI,
qui commence le Livre des Respirations. Quelqu'un les a découpés, mais les fibres des
bords de leurs deux marges correspondent bien. Le fac-similé n° 1 sert ainsi de
frontispice.
Q : Et les autres ?
R : Un texte du Livre des Respirations qui correspond bien à la version de Joseph Smith
(et ils sont très rares) est ce quon appelle le livre des Respirations Kerasher. Il
a aussi un frontispice, seulement dans ce cas-ci c'est le même que notre fac-similé n°
3, ce qui montre qu'il est, lui aussi, étroitement associé à notre texte.
Q : Quen est-il du fac-similé n° 2 ?
R : C'est un « hypocéphale », placé sous la tête de la momie pour y conserver la
chaleur de la vie. Les livres des Respirations avaient la même fonction.
Q : Dans le Livre des Respirations, les images illustrent-elles réellement le
texte ?
R : Elles le peuvent, mais pas habituellement. Les Égyptiens ne semblaient pas sy
attendre.
Q : Mais selon Joseph Smith, les fac-similés illustrent des épisodes de la vie
d'Abraham.
R : Deux des fac-similés, les numéros 1 et 3, marquent un épisode ; le n° 2, comme le
prophète lexplique, a été dessiné pour enseigner aux associés non égyptiens
d'Abraham quelques idées égyptiennes au sujet de l'astronomie. Du point de vue
historique, ce sont donc 1 et 3 qui nous intéressent.
Q : Sont-ils historiques ?
R : Le fac-similé 1, nous dit-on, représente un ange délivrant Abraham de l'autel du
sacrifice en réponse à sa prière
Q : Est-ce que je peux interrompre ? Il y a des éléments importants de l'image
que nous avons dans notre livre moderne d'Abraham que lon ne trouve pas dans
l'original. Comment cela se fait-il ?
R : J'ai traité de ce sujet ailleurs ; je ne ferai que deux observations : (1) les
papyrus ont été exposés au public pendant des années et, pendant ce temps, la gravure
imprimée de Reuben Hedlock a également été diligemment diffusée. Ceux qui ont
examiné les objets égyptiens étaient souvent hostiles ; mais comme personne na
jamais relevé de différences entre la gravure et l'original, nous avons besoin de plus
de preuves pour montrer qu'il y en avait. (2) Il reste largement assez de loriginal
pour permettre une étude valable. Les détracteurs qui ont travaillé dur pour prouver ce
que devaient être les parties manquantes perdaient leur temps, parce qu'ils étaient
décidés à voir dans le fac-similé n° 1 une scène dembaumement. Ce nest
pas le cas.
Q : Pourquoi pas ?
R : Parce qu'il y a littéralement des centaines de scènes avec un lit en forme de lion
qui ressemblent plus ou moins à celle-ci, et pourtant elles ne sont pas toutes la même
scène. Il ny a pas deux tombes, temples ou textes égyptiens qui soient exactement
semblables. Même dans les compositions rituelles, l'artiste était libre de souligner ou
de minimiser un aspect quelconque d'une scène stéréotypée. Puisquil est bien
plus facile de faire une copie servile que de faire preuve doriginalité, même
limitée, les différences sont certainement intentionnelles.
Q : Cela ne devait-il pas provoquer beaucoup de confusion ?
R : Pas pour ceux qui sont ancrés dans les principes fondamentaux. L'Égyptien, écrit H.
Frankfort, « considérait comme un raffinement particulier le fait que les symboles
possédaient des sens multiples quil ne devait pas y avoir une seule et
unique interprétation. » (Cénotaphe de Seti I, 1:29.) Par conséquent, on ne peut pas
dire dogmatiquement qu'un dessin égyptien donné dépeint tel ou tel événement et rien
dautre. Le lit en forme de lion représente la table dembaumement égyptienne
standard, mais il est en même temps le lit domestique standard et lautel de
sacrifice standard. Et pourquoi pas ? On vous y endort sur tous et dans la même intention
: celle de vous ranimer. De toutes les scènes qui ressemblent à notre fac-similé n° 1,
les plus saisissantes sont celles que lon a trouvées dans le temple d'Opet et dans
le tombeau de Seti Ier. Dans les deux cas, le roi est étendu mort sur le lit en forme de
lion, vaincu par les puissances de la mort, mais dans les deux cas également on nous le
montre juste sur le point de reprendre vie. Un événement historique ? Oui, en effet.
Q : Comment cela, historique ?
R : Il sest produit sous forme de représentation théâtrale, de rituel pas
une fois seulement, mais dinnombrables fois. Tout ce que le pharaon fait, depuis se
laver la bouche le matin jusquà diriger une armée en Asie, respecte des formes
rituelles prescrites et est enregistré comme partie intégrante de l'histoire de
l'univers.
Q : Et qu'est-ce que cela a à voir avec Abraham ?
R : Aussi étonnant que cela paraisse, tout. Ici, les coïncidences commencent à
saccumuler de façon spectaculaire. Des textes anciens juifs, chrétiens et
musulmans importants parlent de tentatives, jusqu'ici inconnues, de sacrifier Abraham et
Sara, qui sont justement la préoccupation principale de l'Abraham de Joseph Smith. En
même temps, des études comparatives ont mis en évidence certains schémas rituels et
mythologiques qui imprègnent tout le Proche-Orient antique, le principal dentre eux
étant la mort sacrificatoire et le retour miraculeux du roi à la vie.
Q : Et où est Abraham ?
R : A deux pas de là. D'abord, le roi, à la fin d'une certaine période, devait subir
une mort sacrificatoire pour ressusciter rituellement en la personne de son fils. Ce
n'était pas agréable, mais il y avait une manière de sen sortir : un remplaçant
sur l'autel du sacrifice. Cela se faisait souvent et régulièrement, à la fin dun
cycle déterminé. Et maintenant nous en venons à Abraham.
La légende la plus ancienne d'Abraham décrit un grand roi qui aspire à régner sur le
monde. Abraham insiste sur le fait que c'est Dieu qui règne en réalité sur l'univers ;
pour ce manque de respect envers l'autorité, on fait servir le héros de victime
sacrificatoire. Mais sur l'autel Abraham prie et Dieu envoie un ange le délivrer ;
l'autel est renversé (par un tremblement de terre dans certaines versions) et le prêtre
qui officie périt. Le roi est maintenant convaincu et révère le patriarche. Ce qui nous
amène au fac-similé n° 3.
Q : Comment ?
R : Les études innombrables sur les rois de substitution relèvent le fait que le rôle
du remplaçant était dêtre assis sur le trône du roi tandis que le vrai roi
était détenu par la Mort et les Enfers. Pendant cet intervalle ténébreux, le faux roi,
représentant l'adversaire, régnait sur le monde, pour être mis à mort à la fin du
temps prévu. Eh bien, Abraham est le roi de remplacement.
Q : Spécifiquement Abraham ?
R : Le remplaçant n'était pas le premier venu, mais l'adversaire le plus haut placé que
lon pouvait trouver. Il devait être quelquun de lextérieur, un prince,
et avoir les cheveux roux ou bruns. Selon les légendes, Abraham était tout cela.
Q : Minute ! Vous avez dit que le remplaçant est assis sur le trône avant
d'être liquidé. Abraham est assis sur le trône après.
R : Et cest exactement comme cela que cela doit être ; le faux roi prétend tout
d'abord au trône, puis souffre ; le vrai roi est d'abord humilié, puis glorifié.
Abraham représente la vraie divinité et la vraie royauté, alors que le tyran nest
quun imposteur. C'est aussi la leçon des fac-similés.
Q : Abraham sur le trône ?
R : Oui, dans la version rabbinique, le roi est tellement frappé par la délivrance
miraculeuse d'Abraham qu'il commande lérection dun trône spécial pour
Abraham et commande à tous ses courtisans d'amener leurs enfants pour que l'homme qui est
sur le trône leur apprenne lastronomie. C'est cette même situation bizarre que
nous trouvons dans le fac-similé n° 3, avec « Abraham assis sur le trône de Pharaon,
signe de politesse de la part du roi », tandis que « Abraham raisonne sur les principes
de l'astronomie à la cour du roi. »
Q : Cela a-t-il du sens de présenter le pharaon comme permettant à quelqu'un
d'autre de s'asseoir sur ce trône ?
R : Pas pour nous, mais en y regardant de plus près, nous découvrons que les pharaons
permettaient effectivement à d'autres personnes de s'asseoir sur le trône.
Q : Comment est-ce possible ?
R : Selon une étude importante sur le sujet par Wolfgang Helck (Orientalia 19:416-434),
quand le roi de lAncien Empire avait besoin de quelqu'un pour le représenter pour
une tâche importante dans laquelle il ne pouvait pas officier personnellement, il
revêtait lagent quil avait choisi de son propre pouvoir et de sa propre
autorité royale en lui permettant de fonctionner en tant que « Repat sur le trône
de Geb ». Au début, seul le fils et héritier du roi, le véritable Repat, se
voyait confier une dignité aussi impressionnante ; mais avec laugmentation des
pressions administratives, certains des grands seigneurs ne tardèrent pas à se voir
accorder ce privilège.
Q : Je peux comprendre la nécessité d'une telle autorité, mais quel était le
raisonnement ?
R : Le principe de la substitution, naturellement. Le Repat figurait comme
remplaçant du roi après son « meurtre rituel » lors de la fête du Sed (Helck, p.
432). En théorie, le trône doit toujours passer du père au fils, cest pourquoi le
Repat qui était assis dessus portait les insignes royaux et tenait un document
écrit qui lui conférait les pleins pouvoirs pour gouverner le monde. Mais comme le
régent devait être un Repat légitime et que le régent était souvent une
reine-mère, beaucoup, sinon la majeure partie, des Repats étaient des femmes !
Q : Est-ce que cela explique ces deux dames, qualifiées de « Pharaon » et «
Prince de Pharaon » ?
R : Oui. J'ai demandé à de très jeunes enfants de me montrer les femmes sur l'image et
ils ne se sont jamais trompés. On peut donc se demander : Joseph Smith ne pouvait-il pas
reconnaître une femme quand il en voyait une ? Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi
les Égyptologues qui étaient si désireux de se débarrasser de Joseph Smith nont
jamais attiré lattention sur cette erreur flagrante ? Je mettrais ma main à couper
que cest parce qu'ils se rendaient compte qu'il était sur la bonne voie. Le «
Prince de Pharaon » est ici la dame Maat, qui peut représenter n'importe qui tandis
quelle agit comme « lieutenant » de Pharaon et est l'incarnation même du règne
et de la succession légitimes. La femme qualifiée de « Pharaon » est la dame
Hathor-Isis, mère, sur et épouse du Pharaon et la source ultime de son autorité.
Ces deux dames doivent être présentes dans toute scène de couronnement, quand il y a
transmission du pouvoir royal. Montrer Pharaon et le prince en personne serait en fait une
source de confusion. Tout cela est très intéressant, mais il faudra attendre la
publication dun livre.
Q : Qui paraîtra peut-être en 1990 ? Selon vous, où en est-on actuellement ?
R : Aujourd'hui les savants de toutes les confessions voient en Abraham le
personnage-clef, après le Christ, de l'histoire des relations de Dieu avec les hommes.
Les fac-similés confirment le livre d'Abraham et nous mettent sous les yeux un lien
présent et tangible avec le patriarche lui-même. Ce n'est pas tiré par les cheveux. La
présentation de Joseph Smith reçoit maintenant une confirmation vigoureuse venant de
quatre directions : (1) les documents et les légendes d'Abraham récemment publiés, (2)
les sources classiques qui, lues aujourdhui sous un nouveau jour, les soutiennent,
(3) les sources rituelles égyptiennes qui révèlent une richesse jusqu'ici
insoupçonnée et (4) la vaste diffusion détudes de religion et de littérature
comparées, qui montrent que les événements présentés dans le texte et dans les
fac-similés du livre d'Abraham appartiennent en fait à des routines bien établies que
lon trouve partout dans le monde antique.
Q : Selon vous, quelle est l'importance de tout cela ?
R : Sans des documents tels que le Livre de Mormon et la Perle de Grand Prix, comme
la fait remarquer Eduard Meyer, les mormons ne seraient quune église de plus.
Le but de tels livres n'est pas de « prouver » le mormonisme au monde, mais de proclamer
et de mettre en évidence l'immense étendue et la portée universelle de ses
enseignements
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