LE LIVRE D'ABRAHAM ET L'EGYPTOLOGIE MODERNE
Marcel
Kahne
RÉFLEXIONS
PRÉLIMINAIRES
De
tous les fondateurs de religions, Joseph Smith a été le seul à affirmer avoir
traduit trois documents qu'il prétend être authentiquement historiques (le
Livre de Mormon, la section sur Enoch dans le Livre de Moïse et le Livre
d'Abraham), fournissant ainsi au monde scientifique une occasion en or de le
confondre s'il était un faussaire, et à l'humanité un puissant témoignage
concret de l'existence de Dieu, et de la véracité de l'œuvre, si ses dires se
confirmaient.
Il
est en effet impossible à qui que ce soit de créer un faux historique, surtout
s'il le situe dans un passé lointain et dans une autre civilisation que la
sienne, sans être immédiatement démasqué. Chaque mot, chaque expression,
chaque phrase, chaque idée, aussi anodins qu'ils paraissent, sont autant de pièges
(cf. "Le Livre de Mormon vu par un auteur de science fiction", d'Orson
Scott Card). D'une part il est impossible de penser à reproduire chacun des
innombrables détails culturels qui doivent transparaître dans le texte ancien
- en admettant qu'on les connaisse tous - , d'autre part le faussaire est incapable d'éliminer
les indices de sa propre culture qu'il intègre inconsciemment dans son texte.
Le faussaire sans instruction sera repéré dès le premier mot. Le faussaire érudit
sera peut-être un peu plus difficile à démasquer, mais le temps jouera à
coup sûr contre lui, car la science est ainsi faite que les nouvelles découvertes
viennent remettre en question les certitudes du passé. Autrement dit, ce qui
aurait semblé vrai à un érudit de 1830 se révélerait être faux à la fin
du 20ème siècle, et chaque nouvelle découverte serait un argument de plus
contre lui.
Inversement,
chaque touche juste apparaissant dans le texte doit s'expliquer. S'il n'y en a
qu'un très petit nombre, on pourra les considérer comme des coups de chance.
Mais dès l'instant où ce nombre devient plus important, le calcul des
probabilités se met à jouer en faveur de l'authenticité du document. Les
chances pour qu'un faussaire tombe juste 10 ou 15 fois sont déjà très
faibles. Lorsque des centaines de touches sont justes (surtout si "l'auteur" n'avait pas accès à l'information à son époque), les
chances de falsification deviennent infinitésimales.
Or
c'est le cas pour les documents publiés par Joseph Smith. Non seulement ses
"coups de chance" sont très nombreux, mais la recherche scientifique
vient régulièrement apporter de nouveaux éléments qui augmentent leur
nombre.
Hugh
Nibley, professeur à l'université Brigham Young, a été le premier à mettre
en évidence de nombreuses touches authentiques dans le Livre de Mormon ("Lehi
in the Desert and The World of the Jaredites", 1952, "An Approach to
the Book of Mormon", 1964, et "Since Cumorah", 1967), dans
l'histoire d'Enoch du Livre de Moïse ("A Strange Thing in the Land",
série d'articles parus dans l'Ensign 1976-1977), et dans le Livre d'Abraham
("A New Look at the Pearl of Great Price", série d'articles parus
dans l'Improvement Era, de janvier 1968 à juillet 1970, "The Message of
the Joseph Smith Papyri", 1975, et "Abraham in Egypt", 1981),
ainsi que dans d'innombrables articles.
En
1976, Lynn et Hope Hilton, après une étude minutieuse de 1 Néphi, allaient
sur le terrain et suivaient l'itinéraire probable de Léhi et de sa famille de
Jérusalem jusqu'à l'océan Indien, ramenant une foule d'informations
confirmant le récit du Livre de Mormon, notamment la découverte probable du
lieu-dit Nahom (1 Néphi 16:34). Conclusions confirmées et précisées par des
recherches sur place de Warren et Michaela Aston, en 1986 et 1989.
A
partir de 1980, un certain nombre de chercheurs, beaucoup d'anciens élèves de
Hugh Nibley, qui ont poussé plus loin dans les nombreux domaines où celui-ci
avait ouvert des portes, et surtout qui sont devenus de véritables autorités
dans leur domaine, se sont groupés dans la Foundation for Ancient Research and
Mormon Studies (F.A.R.M.S.), dans le but de faire connaître au grand public les
résultats de recherches d'un haut niveau professionnel, qui ne sont
habituellement accessibles que dans des revues spécialisées lues par un nombre
restreint d'érudits. Ces chercheurs ont publié à ce jour beaucoup d'ouvrages
dont le nombre ne cesse de croître. Entre autres:
John
L. Sorenson, "An Ancient American Setting for the Book of Mormon"
(1985), résultat de 30 années de recherches sur le terrain, montrant que le
Livre de Mormon s'adapte parfaitement, géographiquement et archéologiquement,
à une section précise de l'Amérique centrale. John Clark a récemment publié
le modèle théorique de la topographie du Livre de Mormon, constitué à partir
des données du livre, qui s'adapte comme un calque sur le territoire en
question.
Stephen
D. Ricks et William J. Hamblin, "Warfare in the Book of Mormon"
(1990), une étude sur la guerre, la stratégie et les armements dans le Livre
de Mormon, avec des comparaisons avec les techniques antiques et méso-américaines.
John
W. Welch, "Chiasmus in the Book of Mormon" (BYU Studies, 1969): mise
en évidence d'un procédé de style propre au monde antique et surtout aux Hébreux,
redécouvert après l'époque de Joseph Smith, et présent dans le Livre de
Mormon sous des formes extrêmement élaborées.
John
Tvedtnes, "A Nephite Feast of Tabernacles" (1978) et John Welch,
"King Benjamin's Speech in the Context of Ancient Israelite Festivals"
(1985) dégagent les fêtes religieuses juives qui, sans être mentionnées
explicitement dans le Livre de Mormon, apparaissent en filigrane dans certains
passages.
Voilà
quelques exemples parmi une véritable avalanche de découvertes résultant de
travaux récents. Il ne se passe pas six mois sans que de nouvelles informations
paraissent, confirmant telle ou telle facette du Livre de Mormon.
Il
revient à chacun de décider, après étude de ces documents, s'il les considère
comme convaincants ou non. Mais désormais, plus personne ne peut soutenir
valablement que les œuvres publiées par Joseph Smith sont son invention ou
celle d'un de ses contemporains érudits. Ceux qui veulent attribuer aux Écritures
modernes une origine purement humaine auront de plus en plus de mal à s'en
expliquer.
LE
LIVRE D'ABRAHAM
Il
n'y a pas de réponses simples aux questions relatives à la civilisation égyptienne.
"Il ne faut jamais oublier que nous avons affaire à une civilisation
vieille de milliers d'années, une civilisation dont il n'est resté que des
fragments minuscules. Ce que l'on présente fièrement comme de l'histoire égyptienne
n'est rien d'autre qu'un recueil de bribes et de morceaux" (Alan H.
Gardiner, 'Egypt of the Pharaohs', Oxford, Clarendon Press, 1964, p. 53). Les
ouvrages de grande vulgarisation, de par leur nature même, ne révèlent que très
peu de l'énorme complexité des choses. De même, les quelques explications qui
suivent ne sont que des bribes de tout un traité sur la question. Toutes les
citations proviennent des ouvrages du professeur Nibley mentionnés plus haut.
I.
La transmission du texte
Comment
un manuscrit écrit de la main d'Abraham - en égyptien de surcroît - a-t-il pu
se retrouver, plus de 1500 ans plus tard, nanti de vignettes qui lui sont
largement postérieures (la première et la troisième remontent à la 17ème
Dynastie, la seconde - l'hypocéphale - date de la période saïte, 7ème-6ème
siècles) dans une tombe thébaine avec des papyrus qui datent clairement du 2ème
siècle avant Jésus-Christ?
M.
A. Korostovstev note que "un moyen infaillible pour un Égyptien de
traverser les siècles était d'attacher son nom à un texte" C'est peut-être
la raison pour laquelle Abraham choisit ce moyen essentiellement égyptien pour
transmettre son livre. Du moins, c'est sous cette forme
qu'il est parvenu jusqu'à nous. Theodor Böhl a récemment observé que
l'unique chance que la littérature patriarcale pourrait jamais avoir de
survivre serait de la rédiger sur des papyrus égyptiens. En égyptien,
naturellement.
Est-ce
l'original?
Il
faut tenir compte de deux particularités qui sont étrangères à notre mode de
pensée: Dans la pensée égyptienne ou hébraïque, toute copie d'un livre écrit
à l'origine par Abraham serait considérée et désignée dorénavant comme étant
l'œuvre même de sa main, quel que soit le nombre de reproductions faites et
transmises au cours des années. Si c'était Abraham qui avait donné l'ordre d'écrire
le livre, il serait considéré comme l'ayant écrit lui-même. Quand un livre
saint (ordinairement un rouleau de cuir) était vieux et usé par la
manipulation, il n'était pas détruit, mais renouvelé. Le vieux livre n'est
pas remplacé par un nouveau, c'est l'original qui poursuit son existence
rajeuni. Selon Spiegel, pour l'Égyptien, "il n'y a pas de différence
essentielle entre un original et une copie. Car selon sa façon de voir les
choses, toutes les images ne sont que des reproductions d'un original idéal."
Comment
ce document se trouvait-il en compagnie d'un ouvrage écrit par Joseph, son arrière-petit-fils
(également un immigrant en Égypte)?
Un
passage du Livre des Jubilés (découvert en 1850) raconte que, tandis qu'il
vivait en Égypte, Joseph "se souvint du Seigneur et des paroles que Jacob,
son père, lisait d'entre les paroles d'Abraham." Voilà qui dit clairement
que les paroles d'Abraham étaient transmises sous forme écrite de génération
en génération, et étaient étudiées sérieusement dans le cercle familial.
La même source nous apprend que quand Joseph mourut et fut enseveli en Canaan,
"il donna tous ses livres et les livres de ses pères à Lévi, son fils,
pour qu'il les conservât et les renouvelât pour ses enfants jusqu'à ce
jour." Ici "les livres des pères", y compris "les paroles
d'Abraham", ont été conservés pour une génération future par un
processus de renouvellement. Les livres de Joseph étaient, bien entendu, des
livres égyptiens.
Comment
l'Hébreu Abraham aurait-il pu dessiner les vignettes?
Quand
Abraham nous dit: "Pour que vous vous fassiez une idée de ces dieux, je
vous en ai donné la représentation dans les figures qui sont au début",
nous ne devons pas croire que c'est le Patriarche lui-même qui a dessiné les
vignettes que nous avons sous les yeux. Il était de pratique courante chez les
scribes égyptiens de reformuler les vieux passages obscurs qu'ils copiaient
pour les rendre plus clairs. Ce qui résout le problème de l'anachronisme créé
par la présence des trois vignettes dans un texte qui leur est de loin antérieur.
Elles ont manifestement été introduites beaucoup plus tard, à titre
d'illustration, par un scribe utilisant une pratique égyptienne que l'on voit
se manifester, par exemple, dans le grand livre des mystères appelé l'Amdouat:
"La nature de cette chose, vous la voyez dessinée sur le mur sud de la
chambre cachée (...) cette chose secrète (...) on la voit complètement
expliquée dans une représentation se trouvant sur le mur sud de la chambre
cachée". Le fait que le scribe en question ait inséré la phrase comme si
elle avait été dite par Abraham n'a rien d'étonnant puisque tout ce qui se
trouve dans le manuscrit est considéré comme étant "de la main"
d'Abraham.
Comment
est-il possible que le manuscrit ait fini dans un hypogée thébain?
On
ne sait pas comment il y est arrivé, mais la possibilité qu'il y soit arrivé
est confirmée par deux papyrus, le Leyde I 383 et le Leyde I 384. Tous deux
proviennent d'une collection de 132 papyrus achetés en 1828 par le Rijksmuseum
à une des relations d'Antonio Lebolo, un certain d'Anastasi. Les deux textes
viennent de Thèbes et sont à peu près contemporains des papyrus de Joseph
Smith.
Le
Leyde I 384 contient l'image d'un lit à tête de lion portant un personnage
couché et Anubis debout à côté. L'avant-dernière colonne du papyrus
contient un texte en démotique et en grec intitulé: "Le sacrifice (ou
holocauste) d'Untel", dans lequel le personnage s'écrie: "Vite, vite,
je vous en supplie, dieux des morts, contre les morts, le dieu Balsamos, le dieu
à tête de chacal et les dieux qui sont avec lui." Directement sous la scène
on trouve écrit en grec les mots "orichthambito abraam ho epi..." qui
signifient "Abraham qui... sur... s'étonne émerveillé..." Le texte
est interrompu là, et on peut supposer que la fin est "qui est couché sur
l'autel" ou "qui invoque Dieu". Cela rappelle évidemment le
fac-similé n°1: "Abraham attaché sur un autel".
Le
Leyde I 383 contient un extrait du Papyrus magique démotique. La 8ème colonne
mentionne "Abraham, la pupille [et l'iris] de l'œil udjat". C'est là
une désignation très intéressante, parce que "la pupille de l'œil udjat"
est un des noms que les Égyptiens donnent à l'hypocéphale (le fac-similé n°2).
Ce qui rend le passage si intéressant, c'est que cette épithète est donnée
à Abraham au milieu d'une section concernant la manière d'obtenir la révélation.
Or, l'explication que donne Joseph Smith concernant l'hypocéphale dans le Livre
d'Abraham concerne aussi l'obtention de la révélation du ciel et du cosmos.
Voilà
donc deux textes scientifiquement reconnus, provenant du même endroit et de la
même époque que les papyrus de Joseph Smith, où non seulement apparaît le
nom d'Abraham, mais où il apparaît en relation avec deux des trois fac-similés!
Un
autre élément intéressant: Dans les textes abrahamiques non-bibliques, le nom
d'Abraham est systématiquement lié à Nimrod, lequel est lié à la dynastie
de Shishaq I ou Sheshonq, qui réintroduisit les sacrifices humains.
Contemporain de Salomon, il fonda la 22ème Dynastie. Le professeur Breasted a
trouvé le nom d'Abraham sur une stèle de Sheshonq I en Palestine. Or le nom
Shishaq ou Sheshonq apparaît sur le bord de l'hypocéphale (fac-similé n°2).
Serait-ce la tradition de cette famille qui aurait amené le manuscrit d'Abraham
jusqu'à nous? (Selon M.D. Rhodes, BYU Studies, 1977).
II.
Les fac-similés
Quel
rapport peut-il bien y avoir entre des vignettes provenant du Livre des Morts et
Abraham?
Il
est impossible d'apporter une réponse à cette question dans le cadre d'un
exposé aussi bref que celui-ci. Elle requiert en effet un développement assez
important qu'on ne peut pas résumer. Il existe une
importante littérature extra-biblique concernant Abraham d'où il ressort
clairement que les traditions abrahamiques ont une liaison étroite avec le
Livre des Morts.
L'étude
des fac-similés eux-mêmes fait l'objet d'un traitement très important de la
part du professeur Nibley, qu'il faut consulter pour avoir une vue globale sur
le sujet. Il suffit ici de montrer que les explications qu'en donne Joseph Smith
sont parfaitement possibles.
Un
avertissement est toutefois indispensable: l'iconographie égyptienne ne tente
pas de faire de portraits au sens moderne du terme. Elle est essentiellement
symbolique, d'où son aspect figé. D'où aussi le fait qu'une même
illustration peut représenter toute une série de choses différentes. Dans le
fac-similé n°1, il est question au départ de l'embaumement d'Osiris par
Anubis après sa mise à mort par Seth. Au second degré, Anubis est remplacé
par le prêtre (portant le masque d'Anubis) et Osiris par le pharaon, qui
devient le nouvel Osiris. Avec le temps, les riches se feront représenter de la
même façon, et à la fin de l'empire égyptien, ce sera tout un chacun qui
pourra se permettre de se transformer en Osiris. D'autre part, les vignettes,
tout en ayant le même aspect général, diffèrent souvent par de petits détails
qui en changent la signification. Nous en verrons un exemple en relation avec le
fac-similé n°1. Enfin, la nature tardive des fac-similés élimine le problème
de savoir comment un Hébreu peut se permettre de représenter
iconographiquement une divinité à l'encontre du 1er commandement. A ce propos,
d'ailleurs, il convient de préciser que les Dix Commandements n'ont pas d'effet
rétroactif et qu'il ne faut pas appliquer notre logique d'Occidentaux du 20ème
siècle à des événements vieux de près de 4.000 ans. Pour s'en convaincre,
il suffit de lire l'épisode des théraphim (dieux domestiques) de Laban dans
Genèse 31:19-35.
Le
fac-similé n° 1
S'agit-il
d'un embaumement sur un lit ou d'un sacrifice sur un autel?
Selon
Nibley, la présence du crocodile "montre qu'il s'agit d'un autel. On ne
trouve jamais un crocodile comme celui-ci dans une scène d'embaumement (...)
mais il est tout à fait à sa place dans une scène de sacrifice."
Fig.
1: "L'Ange du Seigneur"
Dans
la pensée égyptienne, la meilleure manière de montrer un ange, c'est
d'utiliser l'épervier. L'épervier "monte jusqu'au ciel", "ouvre
les ailes jusqu'aux limites de l'univers", et "fonce à travers le
cosmos jusqu'au lieu de lumière". Comme tel, il porte le nom d'
"Annonciateur" et de "Connaisseur", ce qui le révèle comme
étant le messager par excellence.
Fig.
2: "Abraham attaché sur un autel"
Voir:
Commentaires sur le fac-similé n°3 et "III. Le chapitre 1", plus
loin.
Fig.
3: "Le prêtre idolâtre d'Elkéna tentant d'offrir Abraham en
sacrifice"
Sur
la présence égyptienne en Mésopotamie et les sacrifices humains, voir:
Commentaires sur le fac-similé n°3 et "III. Le chapitre 1", plus
loin. La première chose qu'il faut remarquer, c'est que "le prêtre d'Elkéna
était aussi le prêtre de Pharaon" (Abr. 1:7). Comme Drioton et Vandier le
disent: "Seul le roi pouvait offrir des sacrifices..." En fait, c'était
le clergé qui le faisait pour lui... mais uniquement à titre de remplacement.
Fig.
4: "L'autel des sacrifices des prêtres idolâtres..."
Le
lit à tête de lion peut-il aussi être un autel? Abraham dit clairement qu'il
s'agit d'un lit ordinaire. Mais un lit à tête de lion dans un tombeau est
quelque chose de spécial; quand vous en voyez un là, nous avertit le
professeur Piankoff, vous pouvez être sûrs qu'il y a un processus en cours qui
va conduire à la résurrection. Le célèbre "lit d'Osiris" à Abydos
est aussi appelé le "tombeau d'Osiris"; le lit est un gros sarcophage
de pierre, mais ses côtés et ses extrémités sont soigneusement taillés pour
représenter un lit à tête de lion, et Osiris est couché dessus, ce qui est
correct, puisqu'il va ressusciter dessus, tout comme il a été conçu sur un
tel lit. Mais comment un autel peut-il être un lit? Le "lit d'Osiris"
est aussi le tombeau d'Osiris, et Diodore nous dit que "les rois d'Égypte
sacrifiaient des hommes de la couleur de Typhon sur le tombeau d'Osiris, ce qui
en faisait aussi un autel." Que font les quatre dieux devant l'autel? Le
mort sur la table d'embaumement est Osiris sur l'autel, et l'embaumement est une
imitation de la mort sacrificatoire d'Osiris. De même que les membres d'Osiris
ont été dispersés dans le monde entier et devaient être ramenés pour que la
résurrection puisse se faire, de même ces quatre vases canopes devant le lit,
contenant les viscères du défunt, représentent "la terre dans ses quatre
divisions" exactement comme Joseph Smith le dit (fac-similé n°2, fig. 6).
Mais ils représentent aussi les idoles des dieux des quatre divisions.
Fig.
9: "Le dieu idolâtre de Pharaon"
Sir
Alan Gardiner écrit: "Nous nous trouvons plongés dans un monde d'images
à peine croyable pour l'esprit moderne, quand nous examinons l'attitude des Égyptiens
vis-à-vis du crocodile." Le crocodile était exactement ce que Joseph
Smith l'appelle dans le fac-similé n°1, figure 9: "l'idole de
Pharaon". En fait, ce qui surprend le plus le professeur Gardiner, c'est
qu'en dépit de ses aspects peu ragoûtants, c'est "cet être vorace qu'un
accident de l'histoire a élevé au poste de divinité principale de l'Égypte."
Il n'était pas seulement la divinité principale, et ce, dès le Moyen Empire,
mais tout particulièrement le dieu spécial de Pharaon. Il n'était pas
seulement la créature la plus détestée, mais aussi la plus vénérée. Dès
la 5ème Dynastie, Sobek, le dieu anthropomorphe à tête de crocodile apparaît
portant diverses couronnes royales, et dès la 12ème Dynastie, il est attaché
au Dieu soleil Rê et identifié à lui. Comment cela s'explique-t-il? Parce que
"de même que Rê passe une moitié de son existence dans le ciel et une
moitié dans les eaux ténébreuses du monde inférieur, de même le crocodile
passe la moitié de son temps à se chauffer au soleil et l'autre moitié à se
baigner dans l'eau." Les rois de la 13ème à la 17ème Dynastie [où la
plupart des savants situent Abraham] préfèrent porter des noms contenant un
hommage au crocodile. Le professeur Bonnet croit que tout cela remonte à
l'antique "identité avec le dieu soleil levant", ce qui explique
pourquoi les Égyptiens aimaient qualifier Sobek comme étant "l'image
vivante" ou encore plus populairement le Ka de Rê, de sorte qu'il finit
comme Pharaon par être le Dieu Universel. Seul le crocodile porte toutes les
couronnes royales. Il est très exactement "l'idole de Pharaon".
Fig.
4 à 8: Les quatre idoles
Nous
avons déjà vu, dans le commentaire de la figure 4, que les quatre vases
canopes représentent "la terre dans ses quatre divisions" et que
c'est justement à cause de cela qu'ils contiennent les viscères du mort.
"Les quatre fils d'Horus [Imseti, Hapi, Quebsenouef, Douamoutef] représentaient
les quatre piliers du ciel, mais très vite, chacun fut considéré comme le
dieu d'une des quatre divisions de la terre et aussi de la division du ciel qui
se trouvait au-dessus." Les quatre points cardinaux étaient forcément conçus
au départ d'Héliopolis. Cela donne le tableau suivant:
Sud
|
tête humaine
|
Imseti
|
protège le foie
|
Korasch, Cusch, la Nubie, sud d'Héliopolis
|
Nord
|
Tête de babouin
|
Hapi
|
Protège les poumons
|
Mamacra, Palestine, Syrie, nord Héliopolis
|
Ouest
|
tête de chacal
|
Quebsenouef
|
protège les intestins
|
Libna, Lybie, ouest d'Héliopolis
|
Est
|
tête de faucon
|
Douamoutef
|
protège l'estomac
|
Elkéna (peuple du désert), est d'Héliopolis
|
Elkéna:
Dans toute la région d'Egypte-Syrie-Palestine, le nom Kina était une désignation
courante de Canaan.
Libna:
Les consonnes lbn veulent dire: "blanc". Les Égyptiens identifiaient
toujours le dieu chacal de la fig. 6 avec le "Pays Blanc". d'autre
part, les Libyens, à l'ouest de l'Égypte, [étaient] connus pour leur peau
blanche et leurs yeux bleus.
Mamacra:
La tête de babouin désigne le nord pour les Égyptiens, donc la Syrie et la
Palestine. Une explication possible est "Ma" ("qui" en égyptien)
+ "Mahr" ("défenseur" en cananéen) + "Rê". Le
nom signifierait: "Qui est le défenseur de Rê?" Nibley fait
remarquer que les noms propres mélangeant des éléments égyptiens et étrangers
sont courants.
Korasch:
La tête humaine représentait le sud. Le "r" étant une consonne
instable, il pourrait s'agir de Koasch ou le pays de Cusch.
Fig.
10: "Abraham en Égypte"
Il
ne s'agit pas d'un portrait, mais d'un symbole [représenté par] une table
d'offrandes couverte de fleurs de lotus. Le lotus est le symbole du pays d'Égypte,
en particulier de la Basse Égypte, où Abraham était en visite. En outre, le
lotus est l'incarnation de Pharaon en tant que pouvoir suprême en Égypte,
puissance bénéfique et hospitalière. Le lotus est tout à fait à sa place
dans des situations d'hospitalité, où il représente à la fois l'invité et
l'hôte. Dans ces deux qualités, il peut représenter des personnes, y compris
des étrangers en Égypte: une peinture murale d'une tombe de la 18ème Dynastie
montre un Syrien apportant un splendide lotus en offrande au Pharaon, comme le
ferait tout bon Égyptien. Selon Joseph Smith, le lotus de la fig. 10 représente
deux entités et spécifie leur relation. C'est "Abraham en Égypte",
Abraham comme invité, l'Égypte comme hôte.
Fig.
11: "Vise à représenter les piliers du ciel, tels que les Égyptiens les
concevaient"
Nibley
explique que "dix portes sont clairement dessinées", comme on en
trouve dans les plus anciennes tombes royales, où les murs sont constitués de
piliers séparés par des panneaux en retrait. Ces piliers, désignés par le
symbole "djed", représentent les piliers du ciel: "Le professeur
Bonnet conclut formellement que la fonction originelle et unique du symbole
composé djed est de désigner les piliers du ciel.
Fig.
12: "Raqia, signifiant étendue, ou le firmament qui se trouve au-dessus de
nos têtes"
On
a l'impression qu'il s'agit d'eau, ce qui est exact: "Ce sont les eaux de
Nw, les cieux primitifs" auxquelles correspondaient "les eaux du monde
inférieur", parce que le soleil traverse en bateau, et les eaux du ciel,
et les eaux du monde inférieur. "Les Égyptiens partent de la conception
naturelle que le ciel est "un flot, étalant son étendue d'eau bleue
au-dessus de la terre", la dame Nout n'étant rien d'autre que la
personnification de ce "grand flot"".
Le
fac-similé n° 2
Afin
de ne pas prolonger indûment cette étude dont le but est simplement de mettre
en évidence le fait qu'on est face à un problème bien plus complexe qu'on
pourrait le croire à première vue, les commentaires sur l'explication de ce
fac-similé sont donnés schématiquement. Il s'agit donc d'un hypocéphale,
ainsi appelé parce qu'on le plaçait sous la tête du mort. Il représente le
cercle parcouru par Rê au cours de la journée, la partie supérieure (à
l'endroit) étant le ciel diurne, la partie inférieure (à l'envers) représentant
le ciel nocturne.
Fig.
1: "...la résidence de Dieu... gouvernement... la mesure du temps..."
Khnoum,
le dieu créateur. Il a pouvoir sur la vie, la domination et la stabilité.
Fig.
2: "...détient aussi la clef du pouvoir..."
Etendard
du chacal ou wepwawet, symbole du pouvoir sur la mort.
Fig.
3: "...revêtu de pouvoir et d'autorité... couronne de gloire éternelle..."
Rê
à tête de faucon, assis sur une barque solaire. Tient un sceptre représentant
la domination et a sur la tête le disque solaire.
Fig.
4: "...étendue, ou le firmament des cieux... représentation numérique
signifiant mille... sa révolution et la mesure de son temps..."
Faucon
en forme de momie: Horus Soped ou Sokar. Horus avec les ailes ouvertes représente
le ciel. Il est dans un bateau de 1000 coudées, selon les Textes des Cercueils,
contemporains d'Abraham. Sokar avait une procession à Memphis symbolisant la révolution
du soleil et des corps célestes.
Fig.
5: "...emprunte sa lumière...
Hakokabim, les étoiles représentées par les nombres 22 et 23..."
Vache
Ihet (= Hathor) ou Mehweret (eaux originelles d'où Rê est sorti). Transfert de
la lumière ou pouvoir d'un corps à l'autre. Mythe de Hathor (Ahait) aidant le
dieu soleil à passer la nuit en lui transférant de l'énergie. N° 22-23 au
centre: Cynocéphales avec disque lunaire. Aussi associés au soleil, aux étoiles
et aux constellations.
Fig.
6: "...les quatre coins de la terre..."
Les
4 fils d'Horus représentant les 4 points cardinaux. Aussi, les 4 canopes.
Fig.
7: "...les grands mots-clefs de la prêtrise..."
Œil
udjat, représente l'hypocéphale qui est un transfert de pouvoir ou de
connaissance au mort. Min, dieu des forces régénératrices et procréatrices
de la nature. (Peut-être les postérités sans fin suivant la résurrection?).
Il
est clair que si les explications de Joseph Smith diffèrent des explications
scientifiques, il y a chaque fois un point de contact où les unes et les autres
s'accordent. Cela ne peut pas être un fait du hasard. Il y a autre chose derrière.
Le
fac-similé n° 3
Nibley
y consacre tout un chapitre impossible à résumer de manière satisfaisante. Ce
qui suit est donc très fragmentaire. Il y a des centaines de vignettes du genre
du fac-similé n° 3. Elles diffèrent les unes des autres par certains détails.
"A. Gardiner observe que des représentations assez semblables peuvent
appartenir à des types de cérémonies tout à fait différents" qu'on ne
peut distinguer que par les inscriptions. (...) Les compositions qui ressemblent
le plus au fac-similé n° 3 sont classifiées (1) comme scènes de présentation,
(2) scènes d'offrandes et (3) scènes de jugement, ou des combinaisons de ces
trois. (...) Les égyptologues d'aujourd'hui insistent plus que jamais sur le
fait qu'il est insensé de vouloir ne donner qu'une seule interprétation à une
représentation égyptienne quelle qu'elle soit. (...) Les Égyptiens
"considéraient comme particulièrement heureux que les symboles possèdent
des sens multiples", écrit H. Frankfort, "qu'il ne soit pas possible
de donner une interprétation unique."
Nibley
cite ensuite un ouvrage d'Ali Radwan sur 100 scènes de la catégorie du
fac-similé n°3, rien que pour la 18ème Dynastie. Ce sont des scènes
d'audience qui ne sont pas funéraires, ni même majestueuses, mais des scènes
intimes. C'est le point culminant de la vie d'un Égyptien, celui où il est
admis dans l'intimité du pharaon. "Le but de l'audience est d'honorer le
propriétaire de la tombe pour services divers (...) de loin la grande majorité
des propriétaires de tombes qui jouissent de l'attention de la famille royale
sont les serviteurs du palais, surtout les majordomes. Il n'est donc que tout
naturel que le sujet principal de notre fac-similé n° 3 soit un certain "Schulem,
un des principaux serviteurs du roi."
Ce
n'est pas "un petit autel chargé d'offrandes" qu'on voit sur la
vignette, mais "le bouquet de fête officiel, ordinairement de lotus ou de
papyrus, soit porté, soit placé sur un support comme dans le cas du fac-similé
n° 3, symbole d'accueil et de bienvenue ('Abraham en Égypte')", comme
dans le fac-similé n° 1.
La
figure 1 est "manifestement Osiris en vêtements royaux, mais une étude récente
de ce personnage familier nous avertit qu'on "ne doit jamais oublier qu'il
y a une telle diversité de représentations d'Osiris avec la crosse, le fléau
et le sceptre "was" qu'aucune identification certaine n'est
possible," si la vignette n'est pas accompagnée d'un texte. "Ce n'est
qu'avec l'aide d'étiquettes précises", affirme un autre commentateur,
"qu'on peut distinguer un dieu d'un autre, savoir quel est le contexte de
l'intrigue et de quelle activité il s'agit..." "Pour comprendre ce
qu'un document égyptien essaie de communiquer, pour saisir ne serait-ce que les
situations les plus simples, selon Ph. Derchain, il faut comparer avec tous les
textes parallèles possibles, analyser rigoureusement tous les détails et avoir
une connaissance intime de chaque mot au dictionnaire."
Nibley
cite toute une série d'égyptologues pour démontrer que les Égyptiens mélangeaient
systématiquement les dieux et leurs emblèmes, créant une confusion qui a
exaspéré plus d'un chercheur. En outre, les scènes peuvent se situer à
n'importe lequel des trois niveaux conçus par les Égyptiens: palais, temple ou
tombeau, et représenter indifféremment dieu, roi et roturier, parfois deux des
trois simultanément. "L. Speleers écrit avec irritation: "cette
confusion était délibérée et ne doit pas perturber le lecteur qui s'y est préparé.
Inutile de chercher une explication... elle se trouve dans le dérangement de
leur cerveau"!
Est-il
possible que quelqu'un s'assoie sur le trône pendant que le pharaon est
vivant?
Il
faut remonter au titre antique de "Rp't sur le trône de Geb". Dans
les cérémonies de nouvel an, le roi meurt symboliquement, affronte les
puissances des ténèbres, puis revient renouvelé sur son trône. Pendant cette
période, le trône ne peut rester vide et c'est le "Rp't" qui le
remplace. A l'origine c'est le fils du roi qui joue ce rôle. Plus tard, les
affaires de l'empire exigeant que le pharaon soit représenté en divers lieux,
des personnages seront revêtus de cette autorité de "Rp't". C'est
ainsi que "le grand Imhotep, homme
de génie, mais roturier quand même, détint le titre de Rp't sur le Trône de
Geb pendant la Troisième Dynastie et que cet autre sage, Aménophis, fils de
Hapu, se vante d'avoir joué "Rp't dans le spectacle de la fête du
Sed." Le titre de Rp't plaçait son porteur sur le trône du Roi, insignes
royaux compris. Tout cela se faisait selon le bon plaisir du Roi (fac. 3, fig.
1).
Est-il
possible de représenter quelqu'un d'autre que le Roi comme étant la fig. 1?
"Premièrement,
on remarque que c'est la manière habituelle de représenter quelqu'un dans une
situation de puissance et de gloire (...) Dans des fêtes pleines d'animation
(pas un culte funéraire!) où Cléopâtre apparaissait comme la Nouvelle Isis
(fac. 3, fig. 2), son compagnon, Marc Antoine "devait, aux yeux des Égyptiens,
être Osiris" (notre fig. 1). (...) Mais l'Égyptien ordinaire revêt le même
habillement appartenant à la royauté et à la divinité. En effet, très tôt
"des couronnes et des sceptres royaux commencèrent à apparaître parmi
les objets dépeints dans les sarcophages de roturiers", dans ce que
Frankfort appelle "une usurpation massive, par l'homme de la rue, du
prestige des prérogatives royales." Des gens ordinaires
"s'appropriaient, apparemment sans la moindre vergogne, beaucoup de Textes
des Pyramides, avec l'appartenance royale que leur possession impliquait."
Que personne, donc, n'exclue Abraham du siège majestueux de la figure 1 sous prétexte
qu'il n'était qu'un mortel ordinaire.
Il
apparaît, en outre, que de nombreuses scènes de l'intimité de la famille
royale représentaient des jeux familiaux dans lesquels les membres de la
famille se masquaient pour représenter l'une ou l'autre divinité dans un
"replay" de la cérémonie du couronnement. "Dès la Première
Dynastie, le rituel était représenté avec une distribution "étonnamment
variée" de dieux joués par des humains déguisés (...) des hommes
importants se vantent, dans leurs inscriptions autobiographiques, de s'être déguisés
pour divers rôles rituels.
Il
devient maintenant plus facile de voir dans le fac-similé n° 3 une scène à
la cour du Pharaon.
La question
du sexe
Comment
Joseph Smith a-t-il pu voir dans les personnages des figures 2 et 4 "le roi
Pharaon" et le "Prince de Pharaon", alors que ces personnages
sont si manifestement féminins qu'un enfant de trois ans ne s'y tromperait pas?
"Wildung
note un cas où "nous pouvons identifier Anat [la version cananéenne de
Hathor] comme "Anat de Ramsès" en tant que forme divine de Ramsès
[le roi] lui-même sous la forme d'une déesse. Il est donc parfaitement
possible que la dame Hathor, qui est la figure 2 du fac-similé n° 3, soit le
Pharaon lui-même. Le premier novice venu n'a aucune peine à voir dans les deux
personnages féminins des figures 2 et 4 les déesses Hathor et Maat. Elles paraissent indispensables dans les scènes
traitant de la transmission du pouvoir et de l'autorité. Le spectacle d'hommes
- des rois et des princes en plus - habillés comme des femmes, réclame une
courte digression sur un problème fondamental caractéristique des Égyptiens
et du Livre d'Abraham, à savoir, la tension entre les prétentions à la
succession par la voie patriarcale et par la voie matriarcale.
"Dans
le Livre d'Abraham, comme dans beaucoup de versions antiques de l'histoire
d'Abraham, le héros, dans sa jeunesse, défie les prétentions d'un roi à
l'autorité divine (Abr. 1:56), affirmant avoir lui-même l'autorité véritable
(1:23). Le roi relève le défi et tente d'offrir rituellement Abraham en
sacrifice en tant que roi par substitution ou taniste (Abr. 1:814 et fac-similé
n° 1). La libération miraculeuse d'Abraham convertit le roi, qui lui demande
sa prêtrise et lui offre en échange ses propres honneurs. Telle est la teneur
de beaucoup de légendes et du fac-similé n° 3; il convoite aussi la femme
d'Abraham dans l'espoir de fonder une lignée sacerdotale selon la vraie
succession. Pourquoi Pharaon, "homme juste (...) béni (...) des bénédictions
de la sagesse" (Abr. 1:26) se vit-il refuser cette prêtrise dont il
"se réclama[it] volontiers de Noé par Cham" (1:27)? Certainement pas
à cause de Noé, "homme juste [qui] marchait avec Dieu" (Moïse
8:27), mais parce qu'il s'en réclamait par le mauvais lignage, "ce lignage
qui ne lui donnait pas droit à la prêtrise" (Abr. 1:27). Qu'est-ce qui
clochait? Simplement que ce n'était pas la ligne patriarcale, mais matriarcale
qu'il suivait. Tout en "s'appliquant à imiter cet ordre établi par les pères
au cours des premières générations (ce que les Égyptiens appelaient le pa'at),
du temps du premier règne patriarcal" (1:26), il n'en faisait pas moins
remonter son lignage à "une femme, qui était fille de Cham et fille d'Egyptus"
(1:23); cette femme "découvrit le pays et y établit ses fils"
(1:24). Son aîné devint le premier Pharaon, gouvernant "à la façon"
de l'ordre patriarcal (1:25) que le Roi s'appliquait à "imiter". Le
gouvernement de l'Égypte s'exerçait donc fictivement de manière patriarcale
alors que le vrai lignage était matriarcal, la Reine étant "la Femme du
Dieu et porteuse de la lignée royale." Mais quelque noble qu'il soit, le
lignage matriarcal ne peut prétendre à l'autorité patriarcale, même si
toutes les personnalités sont décrites comme sympathiques.
"La
tension entre l'autorité patriarcale et matriarcale (...) est une des notes
dominantes de la civilisation égyptienne. La vieille tradition matriarcale est
clairement annoncée au fac-similé n° 3 par la présence de Hathor (fig. 2) à
sa place habituelle immédiatement derrière le trône (...) En sa qualité de
Reine Mère, fille aînée de Geb, elle est la Régente avec plein droit au
titre de Rp't. En fait, c'est sur son trône, à elle, que le roi est assis par
sa grâce en tant que Dame des Mystères; personne n'entre en la présence du
pharaon sans son approbation (...) "c'est celui que son cœur, à elle, désire
qui est assis sur le trône!"
"Dans
sa fonction spéciale de personne la plus proche du Roi et la plus chère à son
cœur, Hathor s'identifie à Isis, qui est "la mère et princesse divine...
le Soleil féminin." (...) Selon S. Morenz, "Isis le Trône est la
Royauté égyptienne elle-même, qui est incarnée dans le Roi vivant"
(...) Avec l'idée que la Grande Dame "incarne" littéralement le Roi,
"Le roi Pharaon", en tant que figure 2, paraît moins incongru. (...)
Lorsque le Roi conduit sa mère en barque à la fête d'Opet [rappelant l'événement
mentionné dans Abr. 1:24], elle lui rappelle qu'elle est sa mère, et que tout
le pouvoir et toute l'autorité qu'il possède viennent d'elle.
"(...)
Hathor (...) s'identifie aussi à Maat (fig. 4 du fac-similé n° 3) lors du
couronnement, applaudie comme "Hathor, la Grande Dame du Ciel, la Reine des
Dieux et des Déesses, Maat elle-même, le fils féminin [sic]" (...) Les
deux agissent toujours ensemble lors du couronnement (...) Tandis que
"Isis, la mère divine", dit au couronnement: "Je mets mon fils
sur le trône", la jeune déesse qui se trouve à côté en tant que
Nephthys, "la Sœur Divine", dit: "Je protège ton corps, mon frère
Osiris." Ici, les deux dames, "Isis la vénérable et Nephthys la
jeune fille" apparaissent comme mère et fille, se trouvant dans le même
rapport l'une vis-à-vis de l'autre que "Pharaon" et le "Prince
de Pharaon" qu'elles incarnent dans le fac-similé n° 3 (fig. 2 et 4
respectivement).
"(...)
Hathor et Maat se reconnaissaient toujours aux masques qui les représentaient,
ces masques étant régulièrement portés par des hommes (...) il est clair que
le nouveau Roi, le jeune, est costumé en Maat - "elle l'incarne en sa
personne en dépit du sexe." Il ne faut donc pas se choquer de la figure 4.
Elle est "l'Horus féminin" (...) C'est-à-dire qu'elle n'est pas
Pharaon, mais le "Prince de Pharaon", le nouveau roi. D'autre part, il
découle d'un Texte des Pyramides que le Roi portait non seulement la coiffe à
cornes de la mère divine Hathor, mais aussi tout son costume, combiné aux
plumes de Maat."
"(...)
Mais "Le roi Pharaon" et le "Prince de Pharaon" iraient-ils
jusqu'à se déguiser comme les déesses qui incarnaient leur majesté au moment
de la transition? Il suffit de le leur demander. Si le fils de Chéops portait
le masque de Hathor avec "sur lui la robe royale de Hathor" et la
plume de Maat sur la tête ou la poitrine, le grand prêtre d'Héliopolis
pouvait apparaître à la Fête du Sed portant "un habit curieux, suggérant
un vêtement de femme" et le Roi pouvait s'identifier à la Grande Mère
"en s'enveloppant dans sa bandelette". (...) "Maat apparaît sous
la forme (masculine) d'Horus pour montrer qu'elle est porteuse de la royauté"
et lors du couronnement réel, la reine, dans sa fonction de Rp't, se donnait
"beaucoup de peine pour cacher son sexe". Tout le monde sait que
l'ambitieuse reine Hatshepsout portait une fausse barbe et prenait le masculin
dans ses inscriptions, mais en même temps son grand architecte Senmout "se
faisait représenter avec une tête de femme", comme ce fut le cas du grand
prêtre Horsiesi de la 22ème Dynastie. Capart y voit une continuation de la
vieille coutume de l'Ancien Empire de porter des masques féminins.
Souvenons-nous que H. Hall fut intrigué de trouver un personnage de Hathor
derrière le trône muni non pas de son nom, mais du cartouche de couronnement
d'Aménophis III, comme si, pour l'occasion, la déesse (notre figure 2) était
réellement le grand Pharaon en personne. Son fils, Aménophis IV, aimait
proclamer au monde son identification totale avec Maat, et pour prouver qu'il était
"à la fois Mère et Père... le Roi prenait la forme hermaphrodite de
cette dernière et se faisait représenter dans les formes corporelles les plus
étranges". (...) Néfertiti (...), dans les scènes de victoire, joue
"un rôle masculin et royal." (...) Ikhnaton était représenté sous
des formes féminines."
La
couronne
"Selon
le célèbre cantique d'AmonMose, "Osiris fait jaillir un éclat brillant
par les deux plumes [de Maat], ... comme le disque du Soleil chaque matin. Sa
Couronne Blanche a divisé les cieux et s'est jointe à la société des étoiles.
Il est le chef des dieux... qui commande le Grand Conseil [dans les cieux] et
que le Moindre Conseil aime." Quelle description plus claire pourrait-on
demander que la désignation que Joseph Smith donne à la couronne -en tant
qu'emblème de la grande Présidence des Cieux"? Il nous dit aussi que
cette couronne "représente la Prêtrise." L'attribut le plus visible
de la divinité, selon J. Czerny, était le pouvoir; les Égyptiens, écrit G.
Posener, "n'adoraient pas un homme" dans le Pharaon, "mais le
pouvoir sous forme humaine". On participait au pouvoir, explique S. Morenz,
lorsque "l'individu parvenait à son approche maximale de la "nature
divine", symbolisée par le port de la couronne atef." L'atef est la
couronne de notre fac-similé et quiconque se trouvait dans un état de
sanctification pouvait la porter, mais elle soulignait, selon Morenz, une
fonction sacrale plutôt que royale, c'est-à-dire qu'elle "représentait
la Prêtrise" de celui qui la portait."
III.
Le chapitre 1 du Livre d'Abraham
Quiconque
prétend de nos jours que le Livre d'Abraham - et singulièrement le chapitre 1
- n'est rien d'autre qu'une invention de Joseph Smith se trouve de ce fait dans
la situation embarrassante de devoir expliquer les ressemblances étonnantes
entre ce livre et une importante littérature abrahamique dont la découverte
est postérieure à la mort du prophète.
Un
de ces écrits est l'Apocalypse d'Abraham. Publié pour la première fois en
1863 en Russie, il fut traduit en allemand par Bonwetsch en 1898. C'est alors
que les frères E. Anderson et R. Haag remarquèrent sa ressemblance avec le
Livre d'Abraham et le traduisirent en anglais (la version anglaise
"officielle" devait paraître en 1919). Plus tard, on allait découvrir
un Testament d'Abraham, une Ascension et une Assomption d'Abraham, tous textes
relatant le départ du saint homme pour le ciel. L'influence égyptienne est
forte dans ces textes, et leur nature même montre qu'ils sont en liaison étroite
avec le Livre des Morts. Pour plus de détails dans ces comparaisons, voir H.
Nibley, "Abraham in Egypt".
Le
chapitre 1, loin d'être de l'invention pure, est un véritable trésor de faits
trouvant un écho dans la recherche scientifique.
Certains
passages ont déjà été commentés plus haut. Le passage central, le conflit
entre Abraham et Pharaon, nécessite un développement tellement ample qu'il est
impossible de le traiter ici. Disons simplement qu'aussi invraisemblable que
peut nous paraître l'histoire de l'affrontement entre Abraham et le pharaon,
que ce soit le sacrifice ou les honneurs qui lui sont accordés tout de suite
après la manifestation de la puissance divine, elle se retrouve systématiquement
dans toute la littérature abrahamique (inconnue de Joseph Smith, il faut le préciser)
qui a été mentionnée plus haut.
Quelques
commentaires suffiront pour montrer à quel point on est en eau profonde dans ce
chapitre.
"Dès
le départ, nous rencontrons un phénomène frappant, lorsque le Livre
d'Abraham, après une courte phrase introductrice dans laquelle l'auteur
s'identifie, au lieu de poursuivre l'histoire, s'arrête pour présenter une
liste imposante de ses aspirations et de ses réalisations dans le long second
verset dans lequel les rédacteurs sont incapables de s'arrêter pour reprendre
leur souffle. C'est là quelque chose de typiquement égyptien et ce sont là
les mêmes bénédictions que le roi égyptien (ou le roturier, qui suit son
exemple) souhaite ou s'attribue dans l'autobiographie égyptienne typique."
D'autre
part, "la naïveté des phrases qui renvoient aux vignettes" n'en est
pas moins bien égyptienne: "Cette insistance mise sur (a) la connaissance
rendue possible par (b) des images et des diagrammes avec (c) des instructions
disant où on peut les trouver, s'exprime d'une manière frappante dans le Livre
d'Abraham: "et afin que vous ayez une connaissance de cet autel, je vous
renvoie à la représentation qui figure au commencement de cet écrit" (Abr.
1:12); "pour que vous vous fassiez une idée de ces dieux, je vous en ai
donné la représentation dans les figures qui sont au début..." (Abr.
1:14). C'est exactement la façon des Égyptiens et dans l'esprit égyptien.
Le
mélange des cultures égyptienne et chaldéenne, ainsi que les sacrifices
humains, notamment ceux de vierges royales, sont-ils vraiment invraisemblables?
"Les
auteurs de l'époque classique ont décrit les rites sacrificatoires des Égyptiens
dont ils ont été les témoins dans divers pays. En Éthiopie, rapporte Achille
Tatius, une vierge, les mains liées derrière le dos, était conduite autour
d'un autel par un prêtre psalmodiant un cantique égyptien; ensuite 'tous se
retiraient à une certaine distance de l'autel', la jeune fille était attachée
et on lui plongeait d'abord une épée dans le cœur, ensuite on lui fendait le
bas-ventre de part en part, après quoi les restes étaient brûlés, coupés en
morceaux et mangés. Le Pseudo-Plutarque raconte comment l'oracle ordonna au
premier Pharaon, à une époque néfaste, de sacrifier sa propre fille; il se
jeta de chagrin dans le Nil. Cela peut être une indication de l'antiquité du
rite. Comme l'explique Héliodore, les Égyptiens de la période tardive
choisissaient les vierges destinées au sacrifice parmi les populations non-égyptiennes
de naissance (...) La règle était de sacrifier les hommes au soleil (Abraham
dans Abr. 1:9), les femmes à la lune, et les vierges à Osiris (...) A partir
de la 21ème Dynastie, le titre de 'Femme de Dieu', précédemment réservé à
l'épouse du Pharaon, fut 'transféré à une fille de roi, qui devenait l'épouse
consacrée au dieu thébain (...) ce fut 'la lignée des prêtresses vierges...
qui jouissaient d'une situation qui, à Thèbes, était virtuellement royale'
(...) des hiérodules rituelles. Strabon dit que 'les Égyptiens sanctifiaient
la plus belle princesse, une vierge de la lignée royale, comme hiérodule
jusqu'à sa purification physique, après quoi elle pouvait se marier.' Nous
avons ici l'indication claire que des princesses d'origine royale telles que
celles décrites dans Abraham 1:11 étaient censées sacrifier leur vertu, et si
elles le refusaient, on pouvait les liquider à la manière des hiérodules.
(...) Bref, 'à la façon des Égyptiens', les princesses royales sacrifiaient
leur vertu et leur vie lors d'occasions rituelles, comme le montre le Livre
d'Abraham. (...) Les trois vierges rappellent les trois filles de Minyas qui,
lorsqu'elles refusèrent de prendre part aux orgies dionysiaques, furent poussées
à la folie."
"Pour
le Dr John Peters (...) 'les Chaldéens et les Égyptiens sont inextricablement
entremêlés' (...) Avec les progrès de l'archéologie, les liens culturels et
religieux entre l'Égypte et la Mésopotamie sont devenus de plus en plus
manifestes et importants."
"(...)
Les grands rites de nouvel an pour lesquels de vastes foules se rassemblaient
(...) [Dans les textes qui nous en parlent] le décor est typique des antiques
lieux de culte avec leur vaste 'plaine de l'assemblée', le tumulus, la colline
ou la tour (de là la pyramide ou la ziggourat) et l'autel des sacrifices
(...)"
"La
colline de Potiphar serait 'la colline de celui que Rê a donné ou nommé'
(...) Rê est le soleil et (...) la colline de Potiphar était un sanctuaire dédié
au soleil, le 'dieu de Pharaon' adoré là-bas en compagnie d'un dieu qui était
clairement le soleil" (Abr 1:9)
"Il
est tout à fait clair que l'incident d'Abraham sur l'autel eut lieu sur le sol
asiatique, qui était à l'époque sous la domination égyptienne (...) Theodor
Böhl observe que quand le rideau se lève sur les scènes patriarcales, 'l'Égypte
ne régnait plus sur Canaan', ce qui cadre avec l'image donnée par le Livre
d'Abraham où Pharaon ne gouverne en Canaan qu'au début. Une autre chose qui
cadre avec la reconstruction moderne du décor est le mélange de dieux étranges
(Abr. 1:56, 8), parmi lesquels on comptait "un dieu semblable à celui de
Pharaon" (Abr. 1:13), ce qui implique clairement que l'autorité de Pharaon
est honorée sur un territoire non-égyptien. (...) Le fait que nous avons
affaire ici à un chevauchement de coutumes égyptiennes et cananéennes ou
amorites ressort bien de la double nomenclature utilisée dans l'histoire
d'Abraham. Le lieu saint était 'appelé la Colline de Potiphar', nom tout à
fait approprié pour désigner l'objet central indispensable, la colline du
soleil, un sanctuaire fonctionnant sur le modèle d'Héliopolis sous les
auspices de Pharaon. Mais la plaine elle-même, qui existait depuis des temps
immémoriaux, portait son nom sémitique local, "la plaine d'Olishem"
(Abr. 12:10). (...) 'Haut-lieu du Ciel' (...) la Plaine du Haut-lieu du Ciel était
probablement un centre sacré avant l'époque de l'influence égyptienne."
"Nous
apprenons aux versets 8 et 9 que 'à cette époque' deux divinités partageaient
les honneurs du grand sanctuaire, l'une étant 'le dieu de Pharaon' et l'autre
'le dieu de Schagréel', qui, nous dit-on tout simplement, 'était le soleil'.
Notez toutefois que ce n'était pas Schagréel qui était le soleil, mais le
"dieu de Schagréel' Et qui était Schagréel? Les vieilles tribus du désert
(...) adoraient l'étoile Sirius sous le nom Schighre ou Schaghre, et Schaghréel,
dans leur idiome, signifie "Schaghre est Dieu". Sirius est intéressant
pour le rituel parce qu'il est extraordinairement associé et parfois même
identifié avec le soleil. Schighre, selon le dictionnaire de Lane, désigne
toute étoile qui est au moment même l'objet le plus lumineux dans le ciel, et
il a récemment été découvert, comme le note R. Anthes, que 'le Horus céleste
était une étoile aussi bien que le soleil... l'astre qui à ce moment-là préside
sur le ciel.' (...) Il suffit ici de noter que le soleil, la colline et Sirius
sont inséparablement liés dans les rites", comme c'est le cas dans le
Livre d'Abraham.
"Ce
n'est que depuis récemment que le lieu de rencontre de la religion mésopotamienne
et de l'égyptienne commence à être vaguement discerné: Canaan. (...)
Abraham, nous rappelle Cyrus Gordon, 'n'était pas un immigrant isolé, il
faisait partie d'un mouvement plus ample venant d'Ur des Chaldéens [et de
localités semblables] vers Canaan' qui transportait des dieux étranges vers
Ugarit, sur la côte syrienne, 'et pénétrait même via Canaan en Égypte.' Le
mélange des dieux et des nations, particulièrement ceux d'Égypte et de
Canaan, était la règle du temps d'Abraham, et le phénomène apparaît
clairement dans le Livre d'Abraham."
Le
pharaon était-il tellement certain de détenir le sacerdoce suprême et d'être
le fils de Rê?
"Dès
le commencement, les souverains égyptiens basaient leurs prétentions à la
domination divine ici-bas sur la possession de certains documents prouvant leur
légitimité. Les documents les plus importants de ce genre étaient ceux qui
contenaient la généalogie royale: c'est pour les conserver que la "Maison
de la Vie" fut construite, et Gardiner va jusqu'à penser que le but
principal de la Grande Pyramide était d'abriter les registres généalogiques
royaux sur lesquels reposait l'autorité du roi. Un motif qui revient souvent
dans la littérature égyptienne est l'histoire du roi qui passe sa vie dans les
archives du temple à rechercher diligemment le document qui établira
formellement sa relation avec les dieux. Il ne le trouve jamais."
Quelle
est la vraisemblance des versets 23 et 24?
"Les
Égyptiens faisaient remonter la primauté matriarcale à une certaine Grande
Dame qui arriva dans la vallée du Nil immédiatement après le déluge et s'établit,
avec ses fils, comme souverains du pays (...) les sources égyptiennes sont
abondantes et précises. C'est Hermann Junker qui attira le premier l'attention
sur elles en 1911; peu après les éminents égyptologues Sethe et Spiegelberg
prirent part à la chasse et dès 1917 les sources les plus importantes étaient
rassemblées et publiées. Plus récemment, des textes encore plus
impressionnants sont venus au jour, en particulier le grand Livre des
Respirations de Leyde, le Pap. Leiden T32.
"(...)
Est-il possible que le pays ait reçu son nom d'une telle personne? (...) Le
fait que la Dame ait pu entrer par le nord est certainement une possibilité
dont il faut tenir compte; s'il y a un personnage qui est lié au déluge, c'est
bien Ptah de Memphis, celui dont la plupart des savants pensent aujourd'hui
qu'il a donné son nom à l'Égypte après modification par les Cananéens. Cet
excellent nom sémitique fait de lui Ptah, celui qui Ouvre - quoi? - TaTenen, la
terre qui vient d'émerger. (...) Dans la plus ancienne copie manuscrite du
Livre d'Abraham, le nom Egyptus, dans Abraham 1:23, est écrit Zeptah, nom qui
signifie, selon Isidore, 'celui qui recherche ce qui est caché ou interdit.'
"Avant
que les érudits ne commencent à favoriser le nom Ptah comme source du nom Égypte,
tout le monde s'accordait pour dire que le nom provenait de l'égyptien "kêmi",
qui signifie pays noir. "Kem" signifie noir et est facilement
interchangeable avec "khm", qui signifie chaud et sec, ce qui est
aussi le nom de "KhemMin", comme l'affirme Lefébure. Il est certain
que les anciens ont toujours appelé l'Égypte, comme dans l'Apocryphe de la Genèse,
'le Pays des Enfants de Cham.'
"Il
y a un candidat plus sérieux dans le nom Koptos ou Coptos. Coptos était la
plus vieille colonie de l'Égypte, marquant le lieu où la route principale
venant de l'Orient aboutit à la vallée du Nil juste à l'endroit où la grande
courbe du fleuve crée une large plaine, l'endroit idéal pour y installer une
colonie. (...) La civilisation égyptienne commença réellement avec l'arrivée
de la "Seconde Civilisation", selon Moret, venue 'd'Elam via l'Oued
Hammamat, arrivant à Koptos.' (...) Certains ont affirmé que c'est cet
endroit, Coptos, avec le plus vieux temple et la plus vieille colonie en Égypte,
qui a donné son nom au pays. (...) Il est intéressant de noter qu'il y a
beaucoup de légendes sur Koptos qui ont trait aux origines du royaume égyptien.
(...) On pense aussi à l'Égypte en tant que pays interdit aux Saints dans la
littérature chrétienne et juive primitive, maudite pour ses marmites à viande
(...) la vieille combinaison sémitique gpt désigne quelque chose d'interdit.
(...) En babylonien et en assyrien "khpt" signifie caché et interdit;
dans le Livre des Morts la chambre "khebt" est le lieu interdit où
tout est caché. (...) Mais avant tout cela, il y a eu "kh.b.t", le
marais caché où Isis, selon certains récits, donna le jour, et, selon tous
les récits, éleva le bébé Horus - le lieu le plus secret du monde et le seul
endroit où Seth ne pouvait pas le trouver; le nid caché dans les roseaux était
le lieu le plus interdit de la terre. Nous ne manquons donc pas de candidats à
l'origine du nom 'Égypte, qui signifie ce qui est interdit.'"
CONCLUSION
Autant
il est vain de croire qu'on peut "liquider" le Livre d'Abraham en
quatre pages, autant il est futile d'espérer donner une réponse en une
vingtaine de pages. Tout ce qui est connu des Égyptiens est fragmentaire et
rien ne peut être avancé sans passer par de longs détours. Il est clair que
ce qui précède suscite plus de questions qu'on n'en résout. Mais le but n'est
de toutes façons pas de vider le sujet, simplement de montrer que les vignettes
et le Livre d'Abraham ne sont pas le produit de l'imagination pure d'un Américain
du 19ème siècle, mais que les unes et l'autre plongent leurs racines trop
profondément dans le monde antique pour que l'on puisse, ne serait-ce qu'un
instant, retenir la thèse d'une rédaction moderne. A chacun d'en tirer ses
propres conclusions.
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