Lorsque nous analysons l’épisode d’Ammon aux
eaux de Sébus dans le Livre de Mormon sans nous occuper du message
spirituel, nous avons l’impression que cette histoire n’a ni queue ni tête.
Brant Gardner nous montre que ce n’est que replacé dans son contexte
historique que ce récit – comme le reste du livre – prend tout son sens.
Il nous met également en garde contre le danger de lire le livre avec
notre mentalité et nos idées d’hommes du XXIe siècle.
SUR LA PISTE DE LA CULTURE QUI A PRODUIT LE LIVRE DE MORMON
Brant A. Gardner
© FAIR
Le huitième article de foi dit : « Nous croyons… que le Livre de Mormon
est la parole de Dieu. » Le livre lui-même se veut être « un abrégé des
annales de Néphi et aussi des Lamanites » (page de titre du Livre de
Mormon). Bien qu’il soit possible que la parole de Dieu ne soit pas de
l’histoire, la plupart des saints des derniers jours considèrent qu’il
n’est pas possible que ce livre soit la parole de Dieu s’il n’est pas
l’histoire qu’il affirme être. Comme l’a dit Kent P. Jackson : « Le
caractère historique du Livre de Mormon est à la base de ce qu’il est et
de ce qu’il a pour but de réaliser [1]. » Le fait d’accepter ou de rejeter
le Livre de Mormon comme Écriture est souvent lié au fait qu’on l’accepte
ou le rejette comme historique.
Louis Midgley a décrit les grandes lignes du débat historique : « Il n’y a
rien dans le Livre de Mormon… qui donne à penser qu’il faut le lire comme
autre chose qu’un fait historique. D’un autre côté, ses détracteurs ont
toujours prétendu qu’il est un produit du XIXe siècle, qu’il reflète la
façon de penser et l’univers de Joseph Smith (ou de l’un de ses
contemporains) tels qu’ils existaient immédiatement avant sa publication
[2]. » Comme les croyants et les détracteurs évaluent Joseph Smith d’une
manière opposée, les uns et les autres ont tendance à considérer que
l’époque à laquelle le texte a été écrit ne se discute même pas. Pour les
détracteurs, c’est essentiel, car le moindre signe d’antiquité authentique
aurait l’air de confirmer le caractère historique du livre et, par
conséquent, l’affirmation de Joseph Smith qu’il est la traduction d’un
document ancien. Par contre, les croyants, qui affirment de manière
formelle que le livre est un document ancien, sont tellement focalisés sur
le monde antique qu’ils font peu attention à ce qu’il y a de manifestement
moderne dans sa production.
Il est rare que les croyants reconnaissent que le Nord-Est américain a
incontestablement laissé son empreinte sur le texte. Il y a le fait qu’il
ait été publié en anglais, pas en français. Si Joseph Smith avait vécu un
peu plus au nord-est, le mot « adieu » n’aurait jamais été contesté [3].
Si le paysage politique avait été légèrement différent en Angleterre dans
les années 1600, la Bible de Genève serait restée l’ouvrage standard en
anglais et le Livre de Mormon n’aurait jamais imité aussi clairement le
style de la Bible du roi Jacques [4].
Le problème pour l’historien est que le Livre de Mormon annonce une
création double. Le texte des plaques est censé être antique. Mais la
traduction est indissolublement liée à Joseph Smith. Ce double aspect dans
la production du livre complique les choses, mais pas plus que les mêmes
efforts pour comprendre l’historicité de la Bible. La Bible, en anglais,
est aussi une traduction. Elle aussi présente le problème de la différence
entre son histoire connue et l’histoire que son texte révèle. Elle nous
met devant le même problème de savoir si ce que le texte affirme être
historique représente des événements qui se sont réellement passés ou si
ce n’est que de la littérature ou du mythe. L’historien Baruch Halpern
nous propose une analogie intéressante qu’il a créée pour décrire les
manières d’aborder la Bible. Elle illustre bien notre étude du caractère
historique du Livre de Mormon :
« L’exemple de la carte géographique est une bonne explication [des
diverses manières d’aborder la Bible sous l’angle historique]. La carte –
disons celle d’Europe – contient des villes et des grandes routes du
dixième siècle, du onzième siècle et ainsi de suite jusqu’à nos jours. Ce
qui se passe, c’est que le fondamentaliste prétend que toutes ces villes
étaient sur la carte dès le départ, que Dieu a créé l’Europe et la carte
au dixième siècle. L’étude critique démontre qu’il n’en va pas ainsi, que
certaines des villes et des grandes routes sont apparues plus tard, et le
travail de l’historien, c’est de déterminer quand chaque ville, grande
route, etc. s’est ajoutée. Les opposants radicaux, quant à eux, attribuent
à la carte tout entière la date de ses éléments les plus récents. Pour eux,
du fait que la carte est le reflet d’une vision du XXe siècle, on ne peut
pas s’en servir pour remonter jusqu’à une époque plus ancienne [5]. »
Comme pour la Bible, le Livre de Mormon a ses fondamentalistes qui
acceptent le texte sans esprit critique. Il est également une cible pour
les opposants radicaux justement parce que dans les éléments de son
élaboration, il y a une histoire dont on peut démontrer qu’elle a trait au
Nord-Est américain du XIXe siècle. La tâche de l’historien du Livre de
Mormon est d’analyser les diverses grandes routes de sa carte géographique
et de discerner l’époque à laquelle elles ont été créées.
Notre tâche serait infiniment plus aisée si nous avions (et si nous
pouvions lire) les plaques originelles de Mormon. L’absence de ces plaques
nous la complique mais ne la rend pas impossible. Il existe des façons
dont nous pouvons nous servir du texte moderne dont nous disposons pour
examiner les rapports qu’il peut avoir avec une culture différente et
ancienne. Dans le domaine de l’archéologie, les indices fournis par le
contexte peuvent nous aider à déterminer quand les diverses routes de la
carte d’Europe ont été créées. L’archéologie des textes a, de la même
manière, besoin d’indices fournis par le contexte pour déterminer l’époque
et la culture qui ont créé le texte. Ce que nous recherchons, c’est la
culture qui a produit chacune des « routes » que contient le texte,
c’est-à-dire, la situation et les idées reçues caractéristiques de
l’époque à laquelle le texte a été créé.
Il est virtuellement impossible qu’un texte ne contienne pas une trace de
la culture qui l’a produit. Orson Scott Card décrit le problème de cette
façon : « De nos jours, c’est à chaque page que l’œuvre de Joseph Smith
devrait se révéler être un faux. Ceci parce que tout conteur, aussi
soigneux soit-il, trahit involontairement sa personnalité et la société
dans laquelle il vit. Il peut faire tout ce qu’il veut, il peut être le
savant le plus érudit que l’on puisse imaginer, s’il essaie d’écrire
quelque chose qui n’est pas de sa culture, il va se trahir à chacun des
choix inconscients qu’il fait. Et cependant, il ne saura jamais que c’est
le cas, parce qu’il ne lui viendra pas à l’esprit qu’il pourrait en être
autrement [6]. »
Bruce J. Malina, professeur de théologie à la Creighton University, et
Richard L. Rohrbaugh, professeur d’études religieuses au Lewis and Clark
College, donnent une explication semblable du point de vue de l’historien
de la société : « Auteurs et lecteurs appartiennent toujours à un contexte
social qui fournit les indices permettant de compléter ce que le texte ne
dit pas. Lorsque des personnes communiquent entre elles, elles le font
toujours dans le cadre du type de société dans lequel elles vivent et qui
leur fournit le contexte commun qui leur permet de se comprendre [7]. »
Quand l’auteur et le lecteur ont le même contexte social en commun, la
signification du texte peut être communiquée avec une clarté raisonnable
parce que ce contexte fournit les repères communs permettant de se
comprendre. Quand l’auteur laisse certaines choses inexprimées, le
contexte social commun les supplée. Le problème avec les textes
historiques est que ce qui a été écrit anciennement l’a été non seulement
à une époque différente, mais pour une époque différente. La culture qui
produit le texte n’est pas la même que la culture du lecteur.
Malina et Rohrbaugh expliquent le problème qui en résulte : « Lorsque
l’auteur veut communiquer au lecteur des éléments qui appartiennent au
contexte social qui lui est propre mais pas à celui du lecteur, il doit
nécessairement fournir des explications détaillées, parce qu’il ne peut
pas espérer que la lecture du texte évoquera chez le lecteur les images ou
les idées nécessaires pour suppléer les non-dits du texte [8]. »
Dans le monde d’Orson Scott Card [qui est un auteur de science fiction –
N.d.T.], il y a beaucoup d’explications détaillées. Ce n’est pas un simple
procédé littéraire. C’est une tentative d’expliquer l’insolite – ce que
l’auteur n’a pas en commun avec le lecteur. La science fiction est un
genre qui exige souvent que l’on crée l’insolite et des descriptions
détaillées permettant de comprendre l’insolite. Une des différences entre
le Livre de Mormon et la littérature d’imagination c’est précisément
l’absence de ces descriptions détaillées. Il se veut insolite, mais il
explique rarement pourquoi ou en quoi il l’est. Toute la question, dans ce
domaine historique, est de savoir si cette absence d’explications vient de
ce qu’il ne contient pas d’éléments insolites ou parce que le texte a été
écrit à une époque et en un lieu où ils n’étaient pas insolites et ne
demandaient donc pas d’explication.
Le lecteur face à l’auteur
Lorsque nous commençons à creuser dans les couches historiques du Livre de
Mormon, nous devons faire une distinction importante entre les types de
données que nous analysons. Malina et Rohrbaugh nous ont rappelé qu’il y a
deux participants au texte : l’auteur et le lecteur. Le risque est grand
que la culture du lecteur influence la perception qu’il a de la culture de
l’auteur. Ils expliquent : « Nous avons montré que chaque fois qu’un
nouveau lecteur lit un texte, le cadre de référence a tendance à se
déplacer et à se diversifier en fonction du contexte culturel dans lequel
se trouve le lecteur. C’est ce que certains spécialistes appellent «
recontextualisation ». Ce terme désigne les multiples manières dont chaque
lecteur peut ‘habiller’ un texte du fait qu’il le lit en l’interprétant en
fonction du contexte social dans lequel il vit [9]. »
Ils décrivent ce processus en se servant de l’épisode de l’hôtellerie à
Bethléhem raconté par Luc :
« Consciemment ou inconsciemment, nous nous servons de notre expérience
d’Américains modernes pour imaginer les scènes qu’évoque le texte. Quand
Luc nous dit que les parents de Jésus ne peuvent pas trouver de place à
l’hôtellerie à Bethléhem, la plupart des Américains n’ont aucun mal à
imaginer la scène. Nous l’imaginons en nous basant sur notre expérience
avec les hôtels ou les motels complets dans les lieux très fréquentés. Il
ne viendrait jamais à l’esprit des lecteurs américains qu’un tel scénario
puisse être complètement à côté de la réalité. Ils ignorent totalement
qu’il n’y avait pas d’hôtels à Bethléhem, que les réservations étaient
quelque chose de totalement inconnu et, chose plus importante encore, que
les places offertes dans un logement de village l’étaient sur la base des
liens familiaux ou du rang social plutôt qu’en fonction de l’ordre
d’arrivée [10]. »
Que faut-il en conclure ? Que « le sens que l’on dégage de la lecture d’un
texte est inévitablement lié au contexte social dans lequel on se trouve.
Si l’auteur et le lecteur ont le même contexte social et la même
expérience en commun, il est hautement probable que la communication sera
efficace. Mais si l’un des deux appartient à un contexte social différent,
il y aura incompréhension ou tout au plus mauvaise compréhension de sa
part [11]. »
Ce problème de mauvaise compréhension due à la culture du lecteur
s’applique directement à la compréhension du Livre de Mormon. Le texte ne
dit pas explicitement dans quelle région l’action se déroule et par
conséquent le lecteur doit ajouter des éléments de sa propre imagination
pour situer l’action dans le temps et dans l’espace. Ne disposant pas d’un
autre contexte, le lecteur va réagir au Livre de Mormon en fonction de
l’environnement dans lequel il vit. Si des livres tels que View of the
Hebrews d’Ethan Smith et les American Antiquities de Josiah Priest [12]
ont eu l’influence qu’ils ont exercée, c’est probablement parce qu’ils
exprimaient les idées populaires de l’époque, qui imprégnaient les
premiers saints. Il ne faut donc pas s’étonner si ces saints ont lu le
Livre de Mormon sous l’influence de ces idées [13].
Certains ne résistent pas à la tentation de considérer que la culture dans
laquelle vit le lecteur est forcément celle qui a produit le texte. En
agissant ainsi, ce que l’on démontre, c’est la « recontextualisation »
plutôt que le texte d’origine. Ce que nous devons avoir soin de faire,
c’est d’examiner la culture qui a produit l’auteur, pas celle du lecteur.
Heureusement, les connaissances à la fois dans l’Église et à l’extérieur
se sont développées au point que nous n’avons plus besoin de lire le Livre
de Mormon avec les idées nébuleuses qu’on avait au XIXe siècle. L’étude
des indices fournis par le texte en matière de géographie nous a conduits
vers un nouveau contexte dans lequel nous pouvons le situer. Les études
menées par des savants mormons ont permis de déterminer que les événements
du Livre de Mormon se situent dans une région restreinte de ce que l’on
appelle la Mésoamérique [14].
L’explosion, ces cinquante dernières années, des connaissances dans les
milieux scientifiques spécialisés dans les cultures mésoaméricaines a
permis d’élaborer une vision nouvelle de l’histoire de la région. On peut
maintenant comparer le Livre de Mormon à deux cultures différentes et
raisonnablement bien connues qui ont pu le produire : le Nord-Est
américain du dix-neuvième siècle et la Mésoamérique de l’époque dont se
réclame le Livre de Mormon.
L’impact de la culture du dix-neuvième siècle et de la traduction
Outre les éléments de langage et de style imitatif qui sont de toute
évidence du XIXe siècle, d’autres particularités montrent que c’est le
dix-neuvième siècle qui a été la culture qui les a produits. Mark Thomas
compare certaines expressions du Livre de Mormon avec le vocabulaire
protestant utilisé dans des documents contemporains de Joseph Smith : « En
plus des expressions bibliques, les protestants avaient leurs expressions
ou formules conventionnelles pour décrire la conversion : ‘amour
rédempteur’, ‘goûter l’amour rédempteur’, ‘entendre les cris de l’amour
rédempteur’ et ‘chanter le cantique de l’amour rédempteur’, une expression
qui apparaît aussi dans le Livre de Mormon (Alma 5:26) [15]. »
Le caractère spécifique de cette expression et le contexte théologique
dans lequel elle apparaît montre qu’elle appartient au milieu culturel de
Joseph Smith. Bien que ce ne soit pas une preuve, c’est quand même un
élément fort qui donne à penser que l’expression « chanter le cantique de
l’amour rédempteur », que l’on trouve dans Alma 5:26, est un produit de la
culture du XIXe siècle.
Si l’on prétendait que le texte anglais était un document antique
original, la présence de cette expression (et d’autres du même genre), que
l’on peut situer, aussi bien dans le temps que dans l’espace, à l’époque
de Joseph Smith, serait une bonne indication de ce que la culture ayant
produit l’ouvrage tout entier était moderne, pas ancienne. De même, les
expressions qui, de toute évidence, copient le Nouveau Testament selon la
King James Version ou y font écho seraient de bons exemples
d’anachronismes – toujours si l’on considérait le texte anglais comme
étant le texte d’origine.
Cependant, ces anachronismes dans le vocabulaire peuvent être imputés à la
traduction et pas nécessairement au texte néphite d’origine. Par exemple,
la King James parle de « candles » (chandelles, bougies – Segond utilise «
lampes », N.d.T.). Dans la Méditerranée antique, une chandelle serait un
anachronisme, puisque la lumière était essentiellement fournie par des
lampes à huile. Bien que techniquement incorrect, l’anachronisme «
chandelle » peut être attribué sans hésitation au traducteur, pas au texte
d’origine. Le terme utilisé par le texte était beaucoup plus ancien. C’est
le mot utilisé par le traducteur qui a été introduit plus tard et qui est
le reflet de notions ayant cours à l’époque de la traduction plutôt qu’à
celle du texte originel.
Bien entendu, le Livre de Mormon pose un problème, parce que nous n’avons
pas le texte d’origine dans la langue d’origine. Nous ne pouvons pas
consulter la langue d’origine pour pouvoir dire avec certitude ce qui est
vocabulaire de départ et ce qui est vocabulaire de la traduction.
Néanmoins, parce qu’il affirme être une traduction, nous devons traiter le
texte anglais comme une traduction et non comme étant l’original. Lorsque
nous trouvons des expressions ou du vocabulaire qui sont de toute évidence
le produit de la culture du XIXe siècle, nous ne pouvons pas dire tout de
suite s’ils appartiennent au texte d’origine ou à la traduction […]
À la découverte de la culture qui a produit les éléments narratifs
Pour découvrir avec plus de précision la culture qui a produit le Livre de
Mormon, nous devons aller au-delà des éléments qui sont basés sur le
vocabulaire. C’est dans la structure des événements, la façon dont les
mots, les concepts fonctionnent dans le texte que l’on doit voir le mieux
transparaître involontairement la culture qui les a produites.
Un élément dont on prétend souvent qu’il montre que la culture qui a
produit le Livre de Mormon est moderne, c’est la description des options
politiques. Richard L. Bushman décrit ainsi l’une de ces accusations : «
Thomas O’Dea, un savant amical mais critique, pensait que ‘L’ouvrage est
pétri d’idées américaines’. ‘On y trouve les doctrines démocrates,
républicaines, anti-monarchistes et égalitaires qui imprégnaient le climat
politique dans lequel il a été conçu et qui ressortent des paroles et des
préoccupations de ses rois, de ses prophètes et de ses prêtres néphites
d’une manière aussi naturelle qu’elles se retrouvent dans la bouche des
dirigeants mormons quand ils prêchent à la population de l’Utah’ [17]. »
O’Dea a pu tirer ses conclusions en voyant le texte insister sur « la voix
du peuple », preuve d’une volonté démocratique, et Mosiah condamner la
monarchie, une attitude républicaine. Ces éléments se définissent
certainement par un vocabulaire moderne. La question est de savoir s’ils
se comportent d’une manière moderne quand nous les voyons en action dans
le texte.
Bushman décrit comme suit sa tentative de découvrir les éléments
démocrates et républicains dans le Livre de Mormon :
« Lorsque l’on m’a demandé de faire quelques discours en Utah lors du
bicentenaire de l’Indépendance des États-Unis, j’ai décidé d’examiner les
principes politiques que contenait le Livre de Mormon et de les appliquer
à notre Indépendance et à notre Constitution. Je pensais que ce serait
tout simple étant donné le passage de la monarchie à la république pendant
le règne de Mosiah. J’étais certain de trouver quelque part dans les
paroles de Mosiah des idées pertinentes pour le monde moderne. Convaincu
de cela, j’ai accepté l’invitation à parler, mais ce n’est que quelques
mois avant la date fixée pour mon discours que je me suis mis au travail.
À ma grande consternation, je n’ai pas pu trouver ce que je cherchais.
Tout me semblait être en porte-à-faux, embrouillé et déroutant. Je
n’arrivais pas à trouver les instructions pour l’établissement d’une
république saine que je m’attendais à en retirer [18]. »
Tout comme O’Dea, Bushman croyait, apparemment, que le vocabulaire
démocrate de la traduction allait se retrouver dans le déroulement des
événements du texte. Décrivant le résultat de sa rencontre avec les
éléments fournis par les faits plutôt que par le vocabulaire, il poursuit
:
« J’ai appris, il y a longtemps, qu’il vaut mieux se laisser porter par
les données que de les forcer à se conformer à des idées préconçues. Je me
suis donc plutôt demandé : Que dit le Livre de Mormon en matière de
politique ? À ma grande surprise, je me suis aperçu que c’était un livre
qui n’était pas du tout républicain. Non seulement Néphi était roi et la
monarchie était présentée comme le gouvernement idéal dans un monde idéal,
mais le gouvernement soi-disant républicain institué sous Mosiah ne
fonctionnait pas du tout comme tel. Il n’y avait pas de gouvernement élu
et les grands juges héritaient habituellement de leurs fonctions plutôt
que d’y être élus [15]. »
À ce stade de notre analyse, il y a un lien avec la politique du XIXe
siècle qui apparaît au niveau de la traduction, mais qui ne se confirme
pas au niveau du déroulement des événements. Le fait que les faits ne
confirment pas le vocabulaire nous invite à ne pas y voir un produit de la
culture du XIXe siècle, mais cela ne l’exclut pas nécessairement. Il se
pourrait que les différences proviennent de l’imagination de Joseph Smith,
bien qu’il semble peu probable qu’il a utilisé des termes dont le sens est
évident pour des structures qui ne l’étaient pas, et cela sans donner
d’explications.
Jusqu’à une époque relativement récente, il fallait en rester là. On
pouvait mettre en doute le fait que c’était la culture du XIXe siècle qui
avait produit le Livre de Mormon, mais en l’absence d’une culture autre
que celle du XIXe siècle par rapport à laquelle on pouvait faire des
comparaisons, il n’y avait pas de manière claire d’élaborer une
argumentation plus convaincante. Pour parler comme Malina et Rohrbaugh,
nous n’avions que la « recontextualisation » moderne, pas nécessairement
le contexte d’origine.
Cependant, le fait qu’il ait été reconnu que la Mésoamérique est le
théâtre plausible des événements du Livre de Mormon nous donne l’occasion
de comparer les structures politiques du texte avec une culture différente.
Le fait de pouvoir lire les textes mayas nous permet de nous faire une
idée raisonnable de la politique maya. On sait depuis longtemps que
c’étaient des rois qui régnaient sur les villes mayas, mais il apparaît
maintenant que ces rois ne régnaient pas comme des autocrates. Ils
régnaient avec l’aide d’un conseil constitué par les chefs des lignées
importantes [20]. Le pouvoir politique s’exerçait en équilibrant les
tensions entre ces lignées. Cela ressort d’une manière particulièrement
frappante du règne de Yax Pasaj, dans les dernières années de Copán, où il
agit, sur les sculptures monumentales, en compagnie de nobles importants,
plutôt que majestueusement seul comme on représente la plupart des rois
sur les monuments [21]. Ces lignées ou conseils fonctionnaient dans des
bâtiments appelés popol nah ou « maisons aux nattes ». La natte était le
symbole du pouvoir régnant et ces bâtiments sont, par conséquent, des
endroits liés au système politique. Ils pouvaient être attachés à l’État,
mais ils existaient aussi dans des collectivités plus petites. Les divers
popol nah servaient à débattre de la politique à suivre aussi bien que
comme centres d’enseignement des danses rituelles [22].
Les grandes maisons, ou lignées, formaient un niveau de gouvernement qui
fonctionnait juste en dessous de la monarchie et qui faisait partie
intégrante du processus politique. Même sous la monarchie, il y avait des
structures politiques semblables aux juges néphites. En fait, John Pohl
observe que dans l’un des codex mixtèques plus récents, « les quatre
prêtres… se conforment expressément aux descriptions faites dans la
Relación de Tilantongo et ailleurs d’un groupe de juges qui administraient
le royaume pour le roi [23]. »
Au cours de l’histoire, certaines collectivités mésoaméricaines semblent
avoir suivi le même chemin politique que les Néphites. Elles ont supprimé
le poste de roi. Quand elles l’ont fait, les structures précédentes sont
restées en place mais ont été élevées pour remplir les fonctions de
gouvernement centralisé. Il y a des indications qui montrent que c’est ce
qui s’est produit à Teotihuacán [24]. Il est beaucoup plus certain que
c’était un conseil de chefs de lignée qui gouvernait à Chichén Itzá [25].
S’il est vrai que tous ces exemples sont postérieurs à l’époque du Livre
de Mormon, il n’y a aucune raison de croire que les structures politiques
essentielles aient été considérablement différentes aux époques
antérieures.
Le Livre de Mormon décrit la « voix du peuple » comme étant une fonction
de la monarchie aussi bien que du règne ultérieur des juges. Quand il
déclare ses fils éligibles pour devenir rois, Mosiah veut avoir la voix du
peuple pour savoir quel fils pourrait le devenir. (Mosiah 29:1-2.) Quand
Limhi devient roi, c’est conformément à la voix du peuple. (Mosiah 7:9.)
Le Livre de Mormon présente cette institution politique comme une
continuation de l’époque de la monarchie, mais appliquée aux nouvelles
conditions. On retrouve cette continuité dans les exemples mésoaméricains
où le monarque a été éliminé. Les descriptions de la façon dont la voix du
peuple fonctionnait sont rares, mais correspondent mieux aux discussions
dans le popol nah qu’à un vote démocratique. (Voir Alma 2:3-7.)
La description que fait le Livre de Mormon d’un règne des juges qui
conserve des éléments de la monarchie cadre parfaitement avec ce qui se
passe en Mésoamérique. Le passage du roi aux juges est non seulement
compréhensible dans la politique mésoaméricaine, mais les structures
politiques mésoaméricaines nous montrent comment le système néphite est
passé d’une manière plausible de la monarchie au règne des juges. Le
changement décrété par Mosiah n’était pas un changement radical de système
politique, c’était plutôt une modification d’un système qui élevait des
structures existantes à de nouvelles fonctions.
Qu’est-ce que les structures politiques du Livre de Mormon nous disent à
propos de la culture qui a produit le livre ? Elles nous disent que c’est
la traduction qui nous fait croire que c’est l’environnement fourni par la
culture du XIXe siècle qui est à son origine ; c’est une question de
vocabulaire. Lorsque nous tentons de voir à quoi ce vocabulaire correspond
dans les faits décrits par le texte, cela donne autre chose que ce à quoi
nous autres modernes nous nous attendrions, quelque chose qui rentre bien
dans la culture historique probable qui l’a produit. Comme l’a dit Orson
Scott Card, c’est dans les aspects inconscients et qui ne sautent pas aux
yeux que le texte devrait révéler la vraie culture qui l’a produit. C’est
précisément à ce niveau que l’antiquité des descriptions politiques du
texte est le plus fortement attestée.
L’épreuve de la productivité
Bien entendu, l’examen des structures politiques n’est qu’un élément
unique. La démonstration finale de l’historicité du Livre de Mormon
dépendra d’exemples multiples du même genre. Cependant, nous n’en avons
pas encore fini avec les liens que peuvent avoir les données politiques du
Livre de Mormon avec un environnement déterminé qui aurait été à son
origine.
Malina et Rohrbaugh font remarquer que le lecteur moderne transfère
souvent un document ancien dans son propre contexte culturel, parce que
ses repères de société sont différents de ceux du texte. Quand on
reconstitue le vrai contexte pour le lecteur moderne, le texte prend un
sens nouveau. Par exemple, le livre des Juges contient l’histoire du
meurtre du roi moabite Eglon par Ehud. L’histoire commence comme ceci : «
Les enfants d'Israël crièrent à l'Éternel, et l'Éternel leur suscita un
libérateur, Ehud, fils de Guéra, Benjamite, qui ne se servait pas de la
main droite » (Juges 3:15). Le texte nous lance une description d’Ehud qui
fait de lui un homme qui ne se servait pas de sa main droite, sans aucune
explication ou raison nous disant pourquoi cela pouvait être important
pour le récit. Comme l’explique Baruch Halpern :
« Ehud n’est pas gaucher. C’est plutôt que « sa main droite était ‘itter
». Cet adjectif provient d’une racine qui signifie « lier » et suggère que
l’usage de la main était empêché (v. 15)… Dans les trois textes [qui
utilisent « sa main droite était ‘itter »] les gauchers sont des
Benjamites. Il n’y a aucun autre texte où il est question de gaucher ou de
droitier. La déduction logique est que Benjamin était connu pour ses
gauchers. Ils faisaient peut-être comme le faisaient jusque récemment les
Maoris, qui liaient le bras droit des jeunes enfants – de là ‘lié quant à
sa main droite’ – et en leur apprenant à être habiles avec la gauche.
Selon cette supposition, Ehud n’était pas gaucher. Il faisait partie d’un
groupe d’hommes que l’on formait à se servir de la main gauche pour la
guerre [26]. »
Dans cet exemple, des données culturelles sont contenues dans un terme
qu’on laisse sans explication. Lu dans une optique moderne, le fait d’être
gaucher est une précision sans grande importance. Mais dans le contexte
culturel qui est à l’origine de la description, c’était un indice très
important quant à la nature dangereuse d’Ehud.
Ce genre d’information n’est pas simplement quelque chose de bon à savoir.
Il est essentiel si l’on veut comprendre correctement les motivations et
les événements du texte. Quand on a un texte sans contexte, comme cela a
été le cas du Livre de Mormon, les événements flottent, sans être
rattachés entre eux et sans être expliqués, sur un océan inconnu. Mais si
nous trouvons la culture qui l’a véritablement produit, nous devons
pouvoir fournir le contexte qui manque et récupérer la signification de ce
qui n’avait sinon quasiment aucun sens. Si nous trouvons l’environnement
correct, il doit améliorer notre compréhension du texte.
À titre de test final de l’environnement qui a produit la politique
décrite dans le Livre de Mormon, je vais examiner une des histoires bien
connues du Livre de Mormon. L’histoire d’Ammon aux eaux de Sébus est à la
fois bien connue et parfaitement incomprise. Si nous dépouillons le récit
de ses aspects édifiants, elle n’a quasiment plus aucun sens. Laissez-moi
vous redire l’histoire d’une manière qui met en évidence ses anomalies.
• Ammon, un ennemi traditionnel, se porte volontaire pour être le
serviteur d’un roi lamanite. Au lieu de tuer cet ennemi ou de le mettre en
prison, le roi lui offre immédiatement une de ses filles en mariage.
• Le roi lamanite a un problème permanent avec ses troupeaux aux eaux de
Sébus. À plusieurs reprises, une bande d’hommes les a dispersés (voir Alma
17:28). Malgré les dispersions répétées, il ne vient jamais à l’esprit du
roi d’envoyer des gardes armés pour les protéger. Il aurait pu le faire
parce que, à la suite de ces événements, il dit que des armées pourraient
protéger Ammon (Alma 18:21). Mais, chose étrange, il ne peut pas protéger
les troupeaux.
• Mormon dit que ce sont des voleurs qui chassent les troupeaux (Alma
18:7), mais ils choisissent une cible particulièrement difficile. Le texte
mentionne expressément que les troupeaux se « dispersèrent, de sorte
qu'ils s'enfuirent dans de nombreuses directions » (Alma 17:27).
• Ammon propose de rassembler les troupeaux avec les serviteurs. On a
l’impression que personne n’y avait encore pensé. Le fait qu’ils aient
réussi (Alma 17:32) confirme que les soi-disant voleurs n’ont rien obtenu
pour leur peine. Nous devons supposer que les autres serviteurs auraient
pu rassembler les troupeaux. Or, ils ont préféré perdre la vie plutôt que
de retrouver les animaux égarés.
• Ce n’est apparemment qu’après que les troupeaux sont dispersés que les
serviteurs annoncent à Ammon la mauvaise nouvelle : « Maintenant le roi va
nous tuer, comme il a tué nos frères, parce que leurs troupeaux étaient
dispersés par la méchanceté de ces hommes » (Alma 17:28). Tout d’abord, le
roi lui offre une de ses filles, ensuite il l’envoie dans une situation où
il est quasiment certain qu’il sera exécuté.
• Ammon semble être le seul à qui il soit venu à l’idée de combattre. De
même que le roi n’a jamais envoyé de gardes armés, il n’est dit nulle part
qu’aucun des serviteurs ait résisté. Aucun des serviteurs qui accompagnent
Ammon ne se joint à lui pour se battre.
• Dans les événements spirituels qui s’ensuivent, le roi et la reine sont
étendus comme morts. Quand la servante Abish rassemble le peuple pour
qu’il voie le miracle, plusieurs de ceux qui viennent sont des parents de
ceux qui ont dispersé les troupeaux, entre autres, le frère d’un homme qui
a été tué (Alma 19:21-22). Le texte ne nous dit pas pourquoi le roi vit
parmi des voleurs.
Bien entendu, le message spirituel est le même malgré ces bizarreries.
Toutefois, dans un document historique, nous nous attendons à ce que les
actes de ceux qui participent aux événements aient quand même du sens.
C’est ici que l’absence de contexte culturel devient spectaculairement
évident. Tout ce que nous devrions savoir pour remplir ces vides insensés
manque. Les motivations et les raisons ne sont pas clairement expliquées
comme elles le seraient dans une histoire de science fiction essayant de
créer une situation insolite. Ou bien c’est un très mauvais auteur qui a
écrit cette histoire ou alors il y a un contexte culturel qui n’a pas été
expliqué.
Ce contenu manquant, ce sont les tensions politiques mésoaméricaines qui
le fournissent. Les rois mayas maintenaient l’équilibre entre la base sur
laquelle reposait leur pouvoir et les lignées rivales. Les textes traduits
parlent de quelques cas qui semblent indiquer un changement dans
l’équilibre des pouvoirs, avec la prise de pouvoir par une nouvelle lignée
qui crée une nouvelle dynastie. L’historien David Drew décrit le problème
des rois mayas :
« On reconnaît de plus en plus aujourd’hui… qu’il y avait
vraisemblablement une tension dynamique constante entre le souverain ainsi
que le groupe familial, la lignée royale qui l’entourait, et d’autres
lignées puissantes et installées depuis longtemps, au sein d’une cité-état.
Le succès des dynasties royales dans le domaine de la centralisation nous
cache presque certainement à quel point les rois dépendaient d’autres
factions politiques avec lesquelles ils devaient négocier. Car chaque
dynastie de la période classique n’avait été, au cours des siècles
précédents, qu’une parmi beaucoup de lignées patriarcales ou groupes de
parents du même genre. Il est impossible de savoir avec une précision
quelconque comment les lignées gouvernantes se sont imposées à la fin de
la période préclassique – peut-être comme chefs de guerre ou comme
médiateurs dans les disputes locales. Quelle que soit la façon dont ils
ont acquis leur autorité, ils ne pouvaient la conserver que par le
consentement et la collaboration, en dépit de l’impression de pouvoir
absolu que leurs monuments créent. Au huitième siècle, à Copán en
particulier, il y a des indices des négociations qui devaient se dérouler
en coulisse. Il n’y a aucune raison de douter que ce genre de bousculade
se soit également produit au cours des siècles précédents [27]. »
Tous les aspects de l’histoire d’Ammon aux eaux de Sébus prennent tout
leur sens sur la toile de fond de la lutte d’un roi mésoaméricain contre
la concurrence d’une lignée rivale puissante. Notez que quand il parle de
l’incident avec Ammon, le roi demande : « [Dis-moi] par quel pouvoir tu as
tué et tranché le bras à mes frères qui dispersaient mes troupeaux » (Alma
18:20, italiques ajoutés). Bien qu’il soit possible que l’expression « mes
frères » soit extrêmement générique, il serait très inattendu de présumer
que des voleurs sont les « frères » d’un roi et tout aussi inattendu
d’inclure des gens extérieurs à la ville comme étant ses « frères ». Ces
voleurs sont vraiment des « frères » et c’est là toute la cause du
problème. Je vais maintenant raconter de nouveau l’histoire sur la toile
de fond des tensions politiques avec les « frères » de Lamoni.
Ammon apparaît devant le roi et demande à être l’un de ses serviteurs. Il
est Néphite et par conséquent non seulement un étranger, mais un ennemi.
Le roi propose de faire de lui un membre de sa famille en épousant l’une
de ses filles. Si Ammon avait accepté, il aurait aussi accepté d’être
gouverné par la nouvelle famille et aurait donc été sous le contrôle du
roi. En refusant, il continue à être un étranger et par conséquent
potentiellement incontrôlable. Le roi décide de le mettre dans une
situation où le fait qu’il soit en dehors des intrigues politiques de la
ville pourrait présenter un avantage : il l’envoie abreuver les troupeaux
à Sébus.
Les voleurs stupides qui ne retirent pas grand-chose de leurs raids
obtiennent en réalité tout ce qu’ils veulent. La clef pour comprendre
l’histoire est que quelle que soit la ruse qu’ils aient utilisée pour
accréditer l’idée fausse qu’ils sont des voleurs, le fait est qu’ils sont
bien connus des serviteurs et du roi. Ils sont membres de la lignée rivale
et ils essaient de modifier l’équilibre du pouvoir. [Le Livre de Mormon
fournit à ce propos un indice qui va dans ce sens, puisqu’il qualifie les
voleurs d’ « ennemis du roi » (Alma 18:3 – N.d.T.] En dispersant les
troupeaux du roi, ils embarrassent celui-ci et diminuent ainsi l’apparence
de maîtrise totale qu’il se donne. Comme la lignée rivale est suffisamment
puissante, le roi ne peut pas agir directement contre eux sans créer une
guerre civile. C’est pour cela qu’il ne peut pas envoyer de gardes armés.
S’il tuait les membres de la lignée rivale, cela mettrait fin au peu
d’illusion de collaboration qui existe et provoquerait le désordre civil.
Les gardes ne peuvent pas se défendre pour la même raison qui interdit au
roi d’envoyer des troupes.
Le roi ne peut cependant pas permettre que la situation l’embarrasse
complètement. De là l’idée d’inventer ou d’entretenir les histoires
fictives de voleurs. Comme il faut faire quelque chose pour rétablir
l’honneur du roi dans cette situation, les gardes sont punis pour leur «
manquement au devoir ». Le roi leur impute leur échec et les exécute pour
prouver qu’il a toujours la situation en mains.
Voilà qu’arrive Ammon, qui est extérieur à l’intrigue politique. Il n’est
membre d’aucune des lignées et, en tant qu’étranger, ne connaît pas
l’identité de ces « frères » voleurs ni la situation politique délicate ;
il est un élément imprévisible dans un conflit où il faut jouer serré. Le
roi le met délibérément dans une situation où il est possible – et même
probable – qu’il utilisera son épée, là où tous les autres serviteurs se
sont abstenus d’utiliser la leur. Il est très possible que le roi se soit
attendu à ce que Ammon fasse des dégâts, sans arriver, en fin de compte, à
protéger les troupeaux. Du point de vue du roi, tout dommage causé par
Ammon améliorerait la position du roi dans l’impasse politique en obtenant
une plus grande revanche sans en payer le coût politique ¬– parce que
venant d’un étranger.
Le fait qu’Abish trouve, dans les environs immédiats, beaucoup de parents
des voleurs aussi bien que le frère du « voleur » tué, nous confirme que
nous avons affaire à un ballet politique délicat. Ce n’est que si la
famille fait partie de la cour royale que tant de parents de hors-la-loi
seraient aussi proches de la résidence d’un roi. Le fait que la famille
d’un voleur soit aussi proche du roi nous dit que les voleurs étaient
proches à ce point-là aussi. Les voleurs aux eaux de Sébus ne venaient pas
d’une autre ville. Ce n’étaient pas des mécréants ostracisés de cette
ville-ci. Ils faisaient partie d’une famille qui était suffisamment
prestigieuse pour passer du temps dans l’entourage immédiat du roi. Ce
devait fatalement être une lignée royale rivale.
Cette lecture des événements sur un fond culturel mésoaméricain donne un
sens à un récit qui en est presque totalement dénué quand il est privé de
son contexte. Notre analyse de la politique dans le Livre de Mormon nous
dit que non seulement les éléments structurels nous conduisent plus
fermement vers un contexte mésoaméricain, mais que celui-ci fournit les
renseignements nécessaires qui remplissent les vides entre ce que l’auteur
considère comme allant de soi et le lecteur.
Conclusions
Du fait que le Livre de Mormon affirme expressément être une traduction,
nous sommes tenus de l’examiner en tant que texte traduit. L’examen des
données politiques du Livre de Mormon met en évidence la nécessité et
l’utilité de faire cette distinction dans notre analyse.
Il y a des termes politiques qui ont une ressemblance évidente avec la
culture du XIXe siècle. Cependant, puisque ces ressemblances n’existent
qu’au niveau du vocabulaire et ne se retrouvent pas dans la façon dont les
concepts politiques fonctionnent dans le texte, nous pouvons attribuer
sans hésiter les ressemblances avec le XIXe siècle à la traduction. Il est
en fait très facile de démontrer que la traduction est le produit de la
culture du XIXe siècle. Bien entendu, ceci n’a jamais été véritablement
mis en doute.
Quand nous grattons sous la surface du vocabulaire de la traduction et
essayons de nous mesurer avec les événements racontés par le texte, la
situation est radicalement différente. Alors que la traduction s’insère
confortablement dans le XIXe siècle, les faits ne cadrent pas avec lui.
Dans le cas des structures politiques, nous constatons qu’ils ne
correspondent pas à ce à quoi nous nous attendons du fait du vocabulaire.
Ils s’intègrent cependant au contexte de temps et de lieu qui convient le
mieux aux éléments géographiques décrits dans le texte. Ce dernier type
d’élément est particulièrement important parce qu’il vient directement des
parties inconscientes et non écrites du texte.
Le Livre de Mormon prend tout son sens en tant que document historique,
mais uniquement si nous le plaçons dans le contexte historique correct. Si
nous n’avons pas la culture même qui l’a produit, le texte est plein
d’anomalies et parfois étranger à l’expérience humaine – comme dans la
lecture hors contexte d’Ammon aux eaux de Sébus. Placé dans la culture
même qui l’a produit, le texte décrit de manière authentique les
motivations humaines qui correspondent à ces temps et lieux historiques.
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Notes
1 Kent P. Jackson, "Joseph Smith and the Historicity of the Book of
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publ. Paul Y. Hoskisson, Salt Lake City, Religious Studies Center, Brigham
Young University, 2001, p. 124.//
2 Louis Midgley, "No Middle Ground: The Debate Over the Authenticity of
the Book of Mormon," dans Historicity and the Latter-Day Saint Scriptures,
dir. de publ. Paul Y. Hoskisson, Salt Lake City, Religious Studies Center,
Brigham Young University, 2001, 149-150.
3 How is It That the Book of Mormon Prophet Jacob Ends His Account with
the French Word 'Adieu?'. juin 2004, http://farms.byu.edu/questionday.php?id=1,
[Jacob 7:27. La présence du mot français « adieu » dans le texte anglais a
été exploité à fond par les opposants au Livre de Mormon – N.d.T.]
4 Alister McGrath, In the Beginning: The Story of the King James Bible and
How It Changed a Nation, a Language, and a Culture, New York, Anchor
Books, 2001, Voir en particulier les chapitres 5-7.
5 Baruch Halpern, The First Historians: The Hebrew Bible and History, San
Francisco, Harper & Row Publishers, 1988, p. 4.
6 Orson Scott Card, Le Livre de Mormon : Document historique ou faux ? Sur
Iduméa.
7 Bruce J. Malina and Richard L. Rohrbaugh, Social-Science Commentary on
the Synoptic Gospels, Minneapolis, Minnesota, Fortress Press, 04/06/24
1992, p. 10.
8 Id.
9 Id., 13.
10 Id., 11.
11 Id., 14.
12 Ethan Smith, View of the Hebrews or the Tribes of Israel in America,
1825, 2e éd., Colfax, Wisconsin, Ancient American Archaeology Foundation,
2002. Josiah Priest, American Antiquities and Discoveries in the West,
1834, 4e éd., Colfax, Wisconsin, Ancient American Archaeology Foundation,
N.D., N.d.T.: Ces deux ouvrages sont souvent cités par les détracteurs
comme étant les sources d’inspiration de Joseph Smith pour la rédaction du
Livre de Mormon.
13 Un texte intéressant est Phyllis Carol Olive, The Lost Tribes of the
Book of Mormon, Springville, Utah, Bonneville Books, 2001, Olive propose
ses arguments pour situer le Livre de Mormon en Amérique du Nord en se
servant du genre d’éléments que les premiers saints auraient utilisés.
Bien qu’il ne soit pas convaincant au vu des données modernes dont nous
disposons, c’est néanmoins un exemple intéressant du genre d’arguments qui
ont conduit les premiers saints à interpréter le texte comme ils l’ont
fait.
14 Voir John L. Sorenson, Un environnement pour le Livre de Mormon dans
l’Amérique ancienne, sur Iduméa Joseph L. Allen, Exploring the Lands of
the Book of Mormon, Orem, Utah, SA Publishers, 1989); F. Richard Hauck,
Deciphering the Geography of the Book of Mormon: Settlements and Routes in
Ancient America, Salt Lake City, Deseret Book Company, 1989, N.d.T.: Le
terme “Mésoamérique” désigne la région qui a abrité les grandes
civilisations américaines anciennes: Mayas, Toltèques, Olmèques, etc.,
soit en gros le sud du Mexique, le Yucatan, le Guatemala et les régions
environnantes.
15 Mark D. Thomas, Digging in Cumorah: Reclaiming Book of Mormon
Narratives, Salt Lake City, Signature Books, 1999, p. 134.
16 […]
17 Richard L. Bushman, "The Book of Mormon and the American Revolution,"
BYU Studies 17, no. 1, automne 1978, pp. 2-3.
18 Richard L. Bushman, "My Belief," BYU Studies 25, no. 2, printemps 1985,
p. 27.
19 Id.
20 David Drew, The Lost Chronicles of the Maya Kings, Berkeley: University
of California Press, 1999, p. 243.
21 Simon Martin et Nikolai Grube, Chronicle of the Maya Kings and Queens,
Londres, Thames and Hudson, 2000.
22 Drew, The Lost Chronicles of the Maya Kings, p. 243. Linda Schele et
Peter Mathews, The Code of Kings: The Language of Seven Sacred Maya
Temples and Tombs, New York, Scribner, 04/06/24 1998, p. 44.
23 John M. D. Pohl, "The Four Priests: Political Stability", 1994, dans
The Ancient Civilizations of Mesoamerica: A Reader, dir. de publ. Michael
E. Smith et Marilyn A. Masson, Malden, MA, Blackwell Publishers, 2000, pp.
355-356.
24 "L’autorité politique suprême de Teo n’a peut-être pas toujours été
concentrée en une seule personne ou lignée. R. Millon pense que Teo a pu
être une république oligarchique. Ce point de vue semble maintenant mieux
étayé quoique pas encore incontestable." George L. Cowgill, "State and
Society at Teotihucan, Mexico", 1997, dans The Ancient Civilizations of
Mesoamerica: A Reader, publié par Michael E. Smith et Marilyn A. Masson,
Malden, Massachusetts, Blackwell Publishers, 04/06/23 2000, p. 315.
25 Les inscriptions retrouvées parmi les bâtiments situés au sud du centre
de la ville permet d’expliqué comment le système politique de Chichén Itzá
fonctionnait. Ils ne parlent pas de souverains dynastiques ni de leurs
hauts faits, comme dans les siècles précédents. Ils mentionnent plutôt un
certain nombre de personnes portant des noms tels que 'Kakupakal' ou 'Kokom',
lors de la dédicace de bâtiments et d’autres cérémonies, s’occupant
souvent de l’entretien des feux sacrés et de la création de ‘nouveaux feux’
en d’importantes occasions du calendrier. Le glyphe signifiant ‘frère’, y-itah,
est utilisé pour décrire les relations entre ces personnes, ce qui fait
penser à un règne de « frères ». Il se peut, en effet, que certains aient
été apparentés de cette façon et Diego de Landa parle aussi de la
tradition selon laquelle des « frères » gouvernaient à Chichén Itzá. Mais
la meilleure interprétation de cette expression est sans doute «
compagnons ou individus ayant chacun un statut plus ou moins équivalent.
On leur accord e le titre de ahaw, mais, et c’est significatif, aucun
d’est appelé k’ul ahaw ou suprême, « seigneur divin ». On a le sentiment
que cela représente un gouvernement par conseil par les chefs de
différentes lignées. À l’époque de la conquête espagnole, certaines
petites cites-états utilisaient toujours le terme multepal, dont la
meilleure traduction est « gouvernement de groupe », pour décrire ce qui
était probablement un système très similaire. Drew, The Lost Chronicles of
the Maya Kings, p. 372.
26 Halpern, The First Historians, pp. 40-41.
27 Drew, The Lost Chronicles of the Maya Kings, p. 324.
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