QUESTIONS NEGATIVES DANS LE LIVRE DE MORMON

Adapté pour le français de l’article de
Ben Spackman
Insights, vol. 26, 2006, n° 4, pp. 2-3

Beaucoup de recherches ont été faites pour découvrir et examiner les structures linguistiques du Livre de Mormon qui semblent être la manifestation du caractère sémitique sous-jacent du livre [1]. Un hébraïsme possible auquel on n’a pas accordé d’attention est l’utilisation de questions rhétoriques négatives pour exprimer quelque chose de positif. Certaines versions bibliques modernes rendent maintenant ces questions négatives d’une manière positive, voire même emphatique [2]. Cette technique rhétorique existe en français, mais elle est plus forte et plus courante en hébreu biblique [3].

Le fait d’être conscient de l’existence des questions négatives peut éclairer certains passages du Livre de Mormon et dans un cas bien précis répond à une critique portée contre le livre.

En hébreu, les questions qui réclament une réponse par oui ou par non ont le préfixe ha (une particule interrogative) et les questions négatives ont le préfixe halô’ (la particule plus le mot qui signifie non) [4]. Par contraste avec « la question simple quand la personne qui la pose n’est pas du tout certaine de la réponse à laquelle elle doit s’attendre [5] », ces questions négatives, font remarquer les hébraïstes, ont parfois une « nuance exclamative » ou « une force affirmative spéciale » (c à d qu’on s’en sert pour produire un effet rhétorique et apporter une force positive ou même emphatique) [6].

Exemples tirés de l’Ancien Testament

Quelques exemples suffiront pour montrer que là où la Segond 1910 traduit littéralement l’hébreu sous-jacent par une question négative, certaines versions plus récentes de la Bible préfèrent rendre cette forme accentuée par une affirmation renforcée [7].

Deutéronome 11:30

Segond : « Ces montagnes ne sont-elles pas de l’autre côté du Jourdain, derrière le chemin de l’occident, au pays des Cananéens qui habitent dans la plaine vis-à-vis de Guilgal, près des chênes de Moré?

Jérusalem : « Ces monts, on le sait, se trouvent au-delà du Jourdain, sur la route du couchant, dans le pays des Cananéens qui habitent la plaine, vis-à-vis de Gilgal, auprès du chêne de Moré. »

Ésaïe 10:8

Segond : « Car il dit: Mes princes ne sont-ils pas autant de rois? »

La Bible, Nouvelle Traduction : « Il se dit: allez, mes chefs sont bien des rois. »

Juges 4:14

Segond : « Alors Débora dit à Barak: Lève-toi, car voici le jour où l’Eternel livre Sisera entre tes mains. L’Eternel ne marche-t-il pas devant toi? Et Barak descendit du mont Thabor, ayant dix mille hommes à sa suite.

TOB (Traduction œcuménique) : « Débora dit à Baraq: Lève-toi, car voici le jour où Le Seigneur a livré Sisera entre tes mains. Oui ! le Seigneur est sorti devant toi. Baraq descendit du mont Tabor, ayant dix mille hommes derrière lui. »

Exemples tirés du Livre de Mormon

Un bon exemple de question négative potentiellement basée sur l’hébreu se trouve dans Hélaman 9, où Néphi est accusé du meurtre du grand juge, Seezoram ; En envoyant prophétiquement les autorités vers le véritable assassin, Séantum, Néphi leur dit de demander à celui-ci : « D'où vient ce sang? Ne savons-nous pas que c'est le sang de ton frère? » (Hélaman 9:32) En d’autres termes, « Nous savons effectivement que c’est le sang de ton frère. » Séantum avoue directement.

Un deuxième exemple nous est fourni par un passage bien connu de Moroni 10:4. Certains détracteurs ont lancé l’accusation que si l’on prie et que la réponse concernant le Livre de Mormon est positive, cela voudrait dire que le Livre de Mormon n’est pas vrai étant donné la façon dont le passage est formulé. Cet argument ne tient pas la route du fait de la nature des questions négatives rhétoriques. Moroni demande : « Lorsque vous recevrez ces choses, je vous exhorte à demander à Dieu, le Père éternel, au nom du Christ, si ces choses ne sont pas vraies » plutôt que « si ces choses sont bien vraies ». Bien qu’appartenant à une époque assez tardive de l’histoire néphite, cet exemple semble néanmoins valide puisque une forme d’hébreu « altéré » était encore en usage, du moins pour la langue écrite (voir Mormon 9:33). Voici d’autres exemples de questions négatives : 1 Néphi 15:12 ; 2 Néphi 31:7 ; Jacob 5:48 ; Mosiah 4:19 ; 7:23 ; 20:18 ; 27:15 et Alma 5:11 ; 27:18 ; 39:18 ; 39 ;19 ; 47:34.

Le Livre de Mormon pose aussi des questions négatives dans lesquelles celui qui pose la question y répond lui-même par « oui ». Cela peut correspondre à une catégorie légèrement différente de questions utilisant halô’, indiquant qu’on « s’attend à une réponse affirmative [8]. » Par exemple, Alma 5:59 dit : « Car, quel est parmi vous le berger qui, ayant beaucoup de brebis, ne veille pas sur elles, pour que les loups n'entrent pas dévorer son troupeau? Et voici, si un loup entre dans son troupeau, ne le chasse-t-il pas? Oui, et à la fin, s'il le peut, il le fait périr. » Voici d’autres exemples : 1 Néphi 15:15 ; Mosiah 12:30 ; 13:33 ; Alma 26:35 ; 32:30 ; Mormon 9:16.

Étant donné ce que nous savons de l’hébreu biblique et des origines sémitiques du Livre de Mormon, il semble probable que les auteurs du Livre de Mormon ont utilisé des questions négatives rhétoriques pour indiquer une insistance positive de la même manière que leurs homologues de l’Ancien Testament.

NOTES

[1] Voir, par exemple, Donald W. Parry, « Hebraisms and Other Ancient Pecularities in the Book of Mormon » dans Echoes and Evidences of the Book of Mormon, dir. de publ. Donald W. Parry, Daniel C. Peterson et John W. Welch, Provo, Utah, FARMS 2002, pp. 155-189 et John W. Welch, « Chiasmus in the Book of Mormon », dans Book of Mormon Authorship: New Light on Ancient Oriogins, dir. de publ. Noel B. Reynolds, Provo, Utah, FARLMS, 1982, pp. 33-52.

[2] Les exemples sont la Bible de Jérusalem, la TOB, la Traduction Oecuménique de la Bible et La bible, Traduction nouvelle, ce qui montre que la décision de traduire des questions négatives de manière positive n’est pas propre à un auteur ou à une tendance théologique.

[3] À cet égard, l’usage hébreu se rapproche du français « n’est-ce pas ? » ou « n’est-il pas vrai que ? » pour renforcer l’affirmation.

[4] Selon certain spécialistes, lô ne représente pas la particule négative, mais une particule d’affirmation comme il en existe en ugaritique et en arabe. Étant donné que les deux particules ont la même forme, il reste méthodologiquement difficile de résoudre le problème. Voir Daniel Sivan et William Schniedewind, « Letting Your ‘Yes’ Be ‘No’ in Ancient Israel: A Study of the Asseverative lo and halo », Journal of Semitic Studies 38/2, 1993, pp. 209-226.

[5] Wilhelm Gesenius, E. Kautsch et A. E. Cowley, Gesenius’ Hebrew Grammar, 2e éd. anglaise, Oxford, Clarendon, 1910, § 150d.

[6] Paul Joüon et T. Muraoka, A Grammar of Biblical Hebrew, Rome, Editrice Pontificio Istituto Biblio, 1991, § 161b-c et 164d.

[7] On trouvera d’autres exemples dans H. A. Brongers, « Some Remarks on the Biblical Particle halo’ », Oudtestamentische Studiën 21, 1981, pp. 188-189.

[8] Waltke et O’Connor, Biblical Hebrew Syntax, § 40.3n48.