Nous lisons le Livre de
Mormon pour y étudier le message quil nous transmet, celui de la parole de Dieu
adressée à une branche dIsraël sur le continent américain, et cest ainsi
quil doit en être. Mais le livre comporte aussi inévitablement sa part
détrangetés liées à la façon de rédiger dauteurs appartenant à une
autre culture et ayant dautres motivations que les historiens auxquels nous sommes
habitués. Lexamen de ces particularités nous met dans une situation où nous
pouvons quasiment regarder par-dessus lépaule de Mormon pendant quil
travaille et découvrir comment il sy est pris pour faire son abrégé.
PROPHETIES ET HISTOIRE : STRUCTURE DE LABREGE DES ANNALES NEPHITES
Steven L. Olsen
Journal of Book of Mormon Studies, vol. 5, n°1, pp. 18-29
Le Livre de Mormon est une
histoire étonnante. Entre son commencement miraculeux et sa fin tragique, de nombreux
personnages entrent en scène et agissent selon leur libre arbitre moral à la poursuite
de certains buts. Le récit abonde en péripéties aussi diverses que migrations,
conversions, sermons, prophéties, guerres, captivités et délivrances, mort et
succession, renouveau social et désintégration, apostasie et génocide. La trame de ces
événements, tissée en forme de récit épique, constitue les annales officielles
dune civilisation antique.
Que faut-il penser de la
qualité narrative de ces annales sacrées ? Le cadre historique est-il étroitement lié
à leur signification ou se borne-t-il principalement à énoncer des faits ? La
signification essentielle du livre changerait-elle si ses messages étaient communiqués
autrement que sous forme de narration ? La structure de lhistoire est-elle aussi
essentielle pour la signification densemble que son contenu ? Les principaux auteurs
ont-ils délibérément confectionné le récit pour en faire un tout bien intégré ou
bien se sont-ils simplement donné pour tâche de refondre, aussi radicalement quils
laient fait, les sources primaires déjà existantes ?
Raisons de cette étude
Cette étude vise à examiner
ce genre de questions en ce qui concerne le Livre de Mormon. Ce qui nous pousse à faire
cette étude sérieuse du récit du livre, cest en partie la présence de certaines
particularités qui nous intriguent, telles que celles-ci :
Point de vue. Le Livre de
Mormon se compose de parties narratives importantes à la première et à la troisième
personne.
Lintégralité des «
petites plaques " [1] de Néphi et des livres que Mormon et Moroni ont écrits
concernant leur propre époque sont écrits à la première personne. Ces sections
constituent approximativement le tiers du texte du Livre de Mormon et la moitié de la
durée de lhistoire néphite. Le reste de lhistoire est relaté la plupart du
temps à la troisième personne, revenant de temps en temps à un récit à la première
personne (par exemple, Mosiah 9-10 ; Alma 36-42). Il est par contre important de noter que
les parties narratives de la Bible hébraïque sont essentiellement à la troisième
personne qui connaît toute lhistoire. Le livre de Néhémie est le seul récit
historique long à la première personne de lAncien Testament. En outre, ce
nest que brièvement quun récit à la première personne apparaît dans la
section « prophètes » (Ésaïe-Malachie, mais pas Daniel), essentiellement pour prouver
lappel divin dun prophète ou pour donner autrement un contexte à ses
prophéties [2]. Alors quil est rarement utilisé dans la Bible, le récit à la
première personne joue un rôle important et a une valeur essentielle dans le Livre de
Mormon. Les rapports entre récits à la première et à la troisième personne peuvent
révéler quelque chose de fondamental dans ce document antique.
Commentaires rédactionnels. Le
Livre de Mormon tout entier (aussi bien les sections à la première personne que celles
à la troisième) est rempli dintrusions rédactionnelles délibérées de la part
des narrateurs. En revanche, dans la Bible hébraïque, on sent linfluence des
narrateurs la plupart du temps dans la conception de lintrigue ce qui est
inclus et exclu et la façon dont cest exprimé et ordonné à lintérieur du
récit rarement dans un commentaire rédactionnel direct [3]. Les commentaires
rédactionnels dans le Livre de Mormon [4] apparaissent souvent aux endroits critiques du
récit, tels que les crises gouvernementales, la désintégration sociale, les transitions
spirituelles majeures et leffondrement moral (voir 1 Néphi 6, 9 ; Alma 24:19 ;
28:13-14 ; 46:8-9 ; Hélaman 2:13-14 ;12; Mormon 6:167:10; 8:33-41 ; Moroni 10:30-34).
Chose importante, lun des commentaires rédactionnels les plus longs est si crucial
pour le récit quil se distingue par son propre titre, « Paroles de Mormon ». Cet
aparté est consacré à expliquer une des décisions rédactionnelles les plus
importantes de Mormon. Après avoir abrégé les « grandes plaques » de Néphi (couvrant
la période allant de Léhi au règne du roi Benjamin), Mormon découvre des annales plus
petites écrites par Néphi et les prophètes suivants, qui concernent la même période
de temps et qui contiennent un grand nombre des mêmes événements. Il décide de
lajouter intégralement au grand récit, son équivalent abrégé, de sorte que la
version originale de son histoire va avoir des récits à la première et à la troisième
personne de la même période (voir Paroles de Mormon 1:3-6).
En outre, non seulement les
narrateurs du Livre de Mormon se sentent libres dajouter des commentaires
rédactionnels explicites, ils jouent aussi un rôle essentiel dans lintrigue
historique [5]. Ils sont nommés ou autrement identifiés, remplissent un rôle
indispensable et, à loccasion, incorporent délibérément, dans le grand récit
quils composent avec soin, lhistoire de la façon dont ils tiennent leurs
registres. Cest comme si en tant les annales de leur peuple ils préservaient
lessence de leur identité propre. Les narrateurs bibliques, au contraire, ne sont
pas des personnages du récit. À lexception dEsdras et de Néhémie, nous ne
savons quasiment rien de ce quils étaient et encore moins du rôle quils ont
pu jouer dans lhistoire sacrée des Juifs en général [6].
Contenu narratif. Une grande
partie du Livre de Mormon vient clairement à lappui de ses buts spirituels avoués.
Ce contenu comprend des discours doctrinaux, des missions ecclésiastiques, des
expériences de conversion, des révélations et des prophéties, et, naturellement, le
récit suprême du ministère du Christ ressuscité. Mais en même temps, on ne voit pas
bien ce que les autres choses contenues dans le livre les campagnes militaires, les
intrigues politiques et les crises sociales (voir Alma 43-3 Néphi 10) peuvent
avoir de commun avec les objectifs spirituels explicites du livre. Ceci semble
dautant plus incongru que lon voit bien que Mormon a subordonné ou a
éliminé tout à fait des sujets tels que luvre de lÉglise du Christ
et linfluence de lÉvangile sur ses adhérents pour faire porter toute
lattention du récit sur des détails apparemment profanes (par exemple, Alma
45:22-23 ; 46:6, 38 ; 50:23-25 ; 62:44-51). Ce qui est tout aussi curieux, cest le
fait que Mormon sabre dans le compte rendu de la période de presque deux siècles de
justice idéale qui suit le ministère du Christ chez les Néphites (voir 4 Néphi
1:1-20). En outre, Mormon et Moroni terminent leur histoire sacrée par le récit de
lannihilation horrible de leur peuple, alors même que ces deux prophètes
connaissaient et auraient pu mentionner lhistoire des Néphites justes qui avaient
échappé à la catastrophe et avaient continué à pratiquer lÉvangile du mieux
quils le pouvaient, compte tenu de la précarité de leur situation (voir Mormon
8:2-3 ; Moroni 1:1-2). Or, Mormon et Moroni décident de garder le silence sur tout ce
courage et tous ces sacrifices. Il ne viendrait jamais à lidée dun historien
de nos jours de concevoir une histoire manifestement religieuse de lÉglise de
Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours qui afficherait des priorités telles que
celles-ci dans le choix de la documentation. Quelle pouvait bien être la raison pour
laquelle Mormon sintéressait à autre chose que le religieux ?
Quand on étudie isolément un
contenu aussi manifestement profane cest-à-dire en interprétant chaque
passage comme sil était indépendant des autres et du reste de lhistoire
il est naturellement encore possible au lecteur moderne den retirer des
leçons morales importantes. Mais si lon se dit que Mormon a dû composer un récit
dont tous les éléments sont liés entre eux plutôt que de constituer un pot-pourri
dévénements décousus, la tâche den donner linterprétation à la
lumière de lintention de lauteur devient autrement difficile. [
] Il
faut alors trouver ce qui rattache ces parties « profanes » aux autres parties du
récit. Rien ne nous prouve que Mormon ait voulu créer un récit dont toutes les parties
se tiennent entre elles (tâche difficile sil en est), mais le soin scrupuleux avec
lequel les auteurs du Livre de Mormon ont entrepris leur mission littéraire et la valeur
éternelle du récit qui en est résulté donnent à penser quils ont composé leur
récit en en associant tous les éléments.
[
]
Nous allons voir, dans cette
étude, que le récit du Livre de Mormon est structuré dune manière importante.
Les étapes de cette analyse vont (1) dégager une façon de structurer lhistoire
qui est propre à Mormon et qui imprègne son abrégé, (2) relier cette façon de
structurer à une autre structure qui se trouve dans les petites plaques de Néphi, (3)
voir si cette façon de structurer le récit historique correspond à ce que nous
apprennent les apartés rédactionnels explicites de Mormon et ensuite (4) montrer
limportance que ces structurations parallèles ont pour linterprétation de
lensemble du Livre de Mormon.
Structuration dans
labrégé de Mormon
Cette étude de la structure
narrative du Livre de Mormon englobe les trois caractéristiques distinctives du livre
citées précédemment : point de vue, commentaires rédactionnels et contenu narratif. Je
commence par le contenu qui semble quelque peu déplacé dans un document religieux : les
campagnes militaires, les intrigues politiques et les crises sociales. Mormon commence son
récit détaillé des guerres néphites en déclarant expressément quil veut
changer de sujet (voir Alma 43:2-3). Bien quil soit au courant des conflits armés
incessants qui sétaient déjà produits et quil y ait déjà fait allusion
dans son abrégé des annales néphites (par exemple Mosiah 10 ; 20; Alma 2 ; 15),
jusquà ce stade de son récit, il a préféré ne donner aucun détail sur aucune
bataille. Autre contraste, Mormon vient de faire le récit détaillé des conversions
spirituelles remarquables et du ministère relativement réussi dAlma lAncien,
dAlma le Jeune et des fils de Mosiah tant parmi les Néphites que parmi les
Lamanites (voir Mosiah 17-Alma 35). Il y a également inclus le récit in extenso des
recommandations spirituelles finales dAlma le Jeune à ses fils Hélaman, Shiblon et
Corianton (voir Alma 36-42).
Après sêtre concentré
sur des sujets éminemment spirituels pendant plus de cent pages de texte, Mormon change
brusquement de sujet dans son récit. Il reconnaît quAlma et ses fils continuent
leurs missions, mais alors il annonce : « Or, nous n'en dirons pas plus concernant leur
prédication » (Alma 43:2). Ce nest pas le manque de données ecclésiastiques qui
impose ce changement de sujet : tout au long de ses récits de guerre, Mormon signale par
intermittence la poursuite de leur ministère (par exemple, Alma 45:22-23 ; 46:6, 38 ;
50:23-25 ; 62:44-51). Pourtant, au lieu de se concentrer sur lecclésiologie, la
théologie, les conversions et les manifestations spirituelles, Mormon choisit ce moment
pour concentrer son compte rendu du siècle suivant de lhistoire néphite presque
exclusivement sur les conflits militaires entre Lamanites et Néphites, les rivalités au
sein du corps politique néphite, la désintégration sociale et les catastrophes
naturelles (Alma 43-3 Néphi 9). La prédication de Samuel le Lamanite est une exception
notable (Hélaman 13-15).
Les thèmes principaux de cette
période sont les guerres lamanites fomentées par les dissidents et les apostats
néphites (Alma 43-63), les intrigues politiques et la désintégration sociale qui vont
rendre la société néphite de plus en plus vulnérable aux incursions lamanites et au
terrorisme de la bande de Gadianton (Hélaman 1-3 Néphi 4), lincapacité de
lÉglise du Christ darrêter la montée de la méchanceté parmi les Néphites
(3 Néphi 6-7) et les désastres naturels envoyés par Dieu pour détruire les méchants
(3 Néphi 8-9). Ces facteurs vont jeter la société néphite dans le chaos intégral.
Beaucoup de ses villes et de ses pays vont être détruits, ses citoyens massacrés ou
déplacés et ses institutions et sa structure sociale mises à mal. Il ne restera
quasiment rien de la civilisation qui avait prospéré dans la terre promise pendant
presque 600 ans. Mormon consacre presque le cinquième de toute son histoire des Néphites
à ce siècle de déclin et de destruction graduels.
Cest dans ce décor de
quasi catastrophe que le Christ ressuscité va apparaître à une assemblée de survivants
réunis devant le temple au pays dAbondance (3 Néphi 11:1). Le ministère du Christ
auprès des Néphites consistera en trois journées complètes et en un certain nombre de
visites ultérieures (3 Néphi 26:13). Pendant ce bref ministère, le Christ témoignera
de sa divinité (3 Néphi 9:15-11 :17), exposera son Évangile (3 Néphi 12-16 ;
27:13-33), organisera son Église et lui donnera son nom (3 Néphi 11:18-12 :1; 18:1-20
:9; 27:1-12), pourvoira aux besoins spirituels de ses disciples (3 Néphi 17 ; 20:1-9) et
prophétisera sur son royaume des derniers jours (3 Néphi 20-22 ; 24-25). Le compte rendu
que fait Mormon de ces événements occupe 36 pages dans lédition actuelle, ce qui
constitue de loin la partie la plus détaillée de la totalité du récit du Livre de
Mormon.
Labrégé de Mormon
traite ensuite des deux siècles de justice qui vont sensuivre. Contrairement au
récit détaillé du ministère du Christ, qui fait en moyenne quelques 10 pages de texte
par jour dans lédition actuelle, celui de la société spirituelle idéale fait en
moyenne presque 10 ans par verset de texte (4 Néphi 1:1-20). Cette longue période est
une période de grandes réalisations spirituelles, qui voit la conversion du reste de la
population (4 Néphi 1:1-2), lélimination de la pauvreté, de la criminalité, du
péché et de loppression (vv. 2-3, 16-17), laccomplissement de miracles (vv.
5, 13), la reconstruction des villes détruites (vv. 7-10), létablissement de la
concorde et de la paix dans toute la société (vv. 2, 13, 15) et la réalisation des
bénédictions de lÉvangile dans la vie des disciples du Christ (vv. 11-12, 18).
Pourtant Mormon, dans son récit, ne donne pas le moindre détail sur aucun de ces
exploits spirituels extraordinaires.
La raison qui lui fait omettre
ces détails dans le récit a dû être plus grande que ce que cela aurait apporté
sils avaient été donnés. Ailleurs dans son abrégé, Mormon mentionne
expressément une injonction divine dans laquelle le Seigneur lui fait omettre un contenu
extrêmement sacré (par exemple, 3 Néphi 26:9-11) [10]. Ici, par contre, il ne dit mot
quant aux raisons pour lesquelles il sabre dans le point culminant spirituel de son
récit.
Le récit de Mormon finit par
lannihilation totale de son peuple (voir 4 Néphi 1:21-Mormon 8). Bien que ses
récits des quatre générations de justice et de la destruction des Néphites couvrent
chacun environ 175 ans, celui de la destruction reçoit une attention beaucoup plus grande
que les générations de justice environ 17 pages contre moins de 2 pages de texte
dans lédition actuelle. Mormon laisse entendre pourquoi il ne donne pas plus de
détails sur ce génocide (voir Mormon 4:11-12 ; 5:8-9). Bien que presque tout le récit
de la destruction finale se concentre sur ses efforts futiles pour empêcher
linévitable, lui nest pas fataliste. Excepté une période où il refuse de
mener les armées néphites, jouant plutôt le rôle de « témoin passif » de leur
méchanceté, il redouble defforts auprès de son peuple pour éviter la catastrophe
(voir Mormon 3:9-16).
En bref, la deuxième moitié
de labrégé de Mormon traite de quatre thèmes historiques principaux : les
troubles chez les Néphites précédant le ministère du Christ, le ministère du Christ
auprès des survivants de désastres naturels simultanés, la société spirituelle
idéale qui en résulte dans la terre promise et lannihilation finale des Néphites.
Il accorde une attention considérable aux troubles et au ministère du Christ, reste
quasiment silencieux sur presque deux siècles de société spirituelle idéale et accorde
une attention modérée à la fin des Néphites. On na jamais essayé
dexpliquer ces grands thèmes de labrégé de Mormon sans les isoler les uns
des autres mais en tenant compte des rapports qui existent entre eux et à
lintérieur du contexte de lensemble du récit de Mormon. Cest ce que le
reste de cette étude va sefforcer de faire en ce qui concerne les parties critiques
du récit historique et les commentaires rédactionnels clefs de son auteur principal.
Correspondance dans les
petites plaques de Néphi
On trouve, dans le passage où
Néphi raconte sa vision de larbre de vie et les prophéties qui en découlent, dans
1 Néphi 11-14, une structure narrative qui correspond très bien à labrégé de
ces quatre thèmes principaux fait par Mormon. Avant dexaminer les détails de la
vision de Néphi par rapport à labrégé de Mormon, nous devons examiner la vision
de Néphi par rapport au songe de son père [11]. Ces deux expériences profondément
spirituelles sont liées entre elles de deux façons essentielles [12].
Chronologiquement, le récit de
la vision de Néphi suit presque immédiatement celui du songe de Léhi. En fait, le songe
est la motivation directe de la vision, puisque Néphi reçoit la vision après avoir
entendu le songe de son père et avoir exprimé le désir de le comprendre (voir 1 Néphi
11:1). Le songe et la vision sont également liés métaphysiquement en ce que les deux
sont des représentations du plan du salut. En des manières tout à fait différentes
mais complémentaires, ils expriment le désir et la compréhension néphites des
bénédictions finales de Dieu pour ses enfants.
Dune part, le songe est
une représentation allégorique du salut dans laquelle les éléments, les personnalités
et les événements représentent des réalités spirituelles. Par exemple, larbre
de vie et la source deau vive représentent lamour de Dieu ; le fruit de
larbre représente la vie éternelle, « le plus grand de tous les dons de Dieu » ;
la barre de fer représente la parole de Dieu ; le grand et spacieux édifice représente
lorgueil du monde et la rivière deau représente la souillure et le «
gouffre affreux » qui sépare les méchants des justes (voir 1 Néphi 11:25, 35-36 ;
15:21-36). Bien que les seules personnes identifiées dans le songe soient des membres de
famille de Léhi, les « innombrables multitudes de gens » (1 Néphi 8:21) représentent
toute lhumanité. Interprétant le songe comme une allégorie, nous concluons que le
salut est accessible à tous ceux qui saccrochent à la parole de Dieu, qui
résistent à linfluence du monde mauvais, qui participent à lexpiation du
Christ et qui persévèrent avec foi jusquà la fin.
En revanche, la vision de
Néphi nest pas une représentation figurative mais littérale du plan du salut.
Elle dépeint luvre rédemptrice de Dieu en cours de réalisation dans des
contextes spatiaux, temporels et humains réels. Au travers de personnes, de lieux et
dévénements réels, le plan du salut de Dieu devient manifeste et ses buts sont
partiellement atteints dans la condition mortelle.
La vision historique de Néphi
concernant le plan du salut est, dans son essence, une vaste prophétie constituée
dune uvre dramatique spirituelle en quatre actes. Chaque acte se concentre sur
un thème dominant : le ministère terrestre du Christ en Terre sainte (1 Néphi 11), les
Néphites et les Lamanites dans la terre promise (1 Néphi 12), les Gentils et la maison
dIsraël dans les Vieux et Nouveau Mondes (1 Néphi 13) et le triomphe du bien sur
le mal à la fin des temps (1 Néphi 14).
Prenons le deuxième acte de
cette uvre dramatique de rédemption lhistoire des Néphites et des
Lamanites dans la terre promise à cause de tous les actes de cette uvre
dramatique, cette histoire vue en vision cadre très bien avec les contours historiques
que nous avons dégagés dans labrégé de Mormon. Cette partie de la vision de
Néphi contient quatre prophéties distinctes mais apparentées : les « guerres et les
querelles » des Néphites avant la venue du Christ (1 Néphi 12:1-5), le ministère du
Christ dans la terre promise (12:6-10), les quatre générations de justes qui en
résultent (12:11-12) et lannihilation finale des Néphites par les Lamanites
(12:13-19). Quand on compare cette structure prophétique dévénements à la
structure historique créée par Mormon, plusieurs ressemblances remarquables
apparaissent. Les deux structures sont pratiquement identiques pour ce qui est du contenu,
de lordre des événements et du poids relatif des événements représentés. Dans
les deux, lordre des événements est le même : des « guerres et des destructions
» suivies du ministère du Christ, de la société spirituelle idéale et de
lannihilation des Néphites. Lattention relative au détail est également
semblable. Une attention considérable est accordée aux guerres néphites et au
ministère du Christ, très peu dattention est accordée aux quatre générations de
justice et un accent relativement plus grand est mis sur la destruction finale des
Néphites. Si on les voit isolément, de telles ressemblances dans les textes pourraient
être considérées comme des coïncidences. Mais une fois quon les envisage
systématiquement dans lensemble du récit historique, la correspondance entre les
récits prophétique et historique de ces événements se révèle faire partie
intégrante du but des auteurs et être essentielle à la signification globale du livre.
Cest comme si labrégé de Mormon démontrait laccomplissement des
grandes prophéties de la vision de Néphi. Sil en est ainsi, Mormon a structuré
son récit historique pour imiter le récit prophétique afin de démontrer à quel point
ces prophéties de Néphi se sont accomplies littéralement et complètement.
La possibilité que cette
correspondance soit intentionnelle se renforce une fois quon lobserve dans
loptique de la répétition dans la Bible hébraïque, une convention littéraire
bien établie. Bien que Néphi évite, de manière générale, « la manière de
prophétiser parmi les Juifs » (2 Néphi 25:1), il ne rejette pas tout à fait la
tradition. Témoins ses citations généreuses des prophéties dÉsaïe, de Zénos,
de Zénock et dautres prophètes hébreux nommés et anonymes dans 1 Néphi 9-21 et
2 Néphi 6-8 ; 12-24 (on trouvera des exemples de prophètes néphites postérieurs citant
dautres prophètes hébreux dans Jacob 5 ; Mosiah 14 ; Alma 33-34 ; Hélaman 8 ; 3
Néphi 10 ; 22; 24-25). Les narrateurs bibliques avaient recours à la répétition pour
renforcer les messages essentiels des événements racontés, interpréter les
événements historiques pour différents auditoires et marquer laccomplissement
littéral des prophéties [13]. Si les pratiques bibliques peuvent être considérées
comme un précédent valable, le niveau de répétition entre le récit prophétique de
Néphi et le récit historique de Mormon concernant ces événements peut constituer une
preuve rhétorique de leur importance pour cette histoire sacrée. Mormon a pu structurer
son récit historique de manière quil reflète le récit prophétique de Néphi
afin dillustrer à quel point cette partie du plan du salut néphite sest
accomplie complètement et littéralement. Avant de tester la validité de cette idée
daprès les commentaires rédactionnels explicites des auteurs, je dois illustrer
une autre manière dont la prophétie et lhistoire semblent relier les petites
plaques de Néphi et labrégé de Mormon.
Outre quil utilise les
prophéties de Néphi comme modèle pour structurer son abrégé historique, Mormon semble
également sêtre servi des prophéties de Néphi pour définir le corpus des
prophéties néphites pour son abrégé. Parmi les centaines de prophéties différentes
incluses dans le Livre de Mormon, presque toutes sont exprimées pour la première fois
dans les petites plaques de Néphi [14]. Les prophéties de Néphi sont encore
réitérées, affinées, amplifiées et détaillées dans les récits ultérieurs de
Mormon et de Moroni. Il ne faut donc pas sétonner que les prophéties annonçant le
ministère du Christ, auxquelles les annales de Néphi accordent lattention la plus
grande, soient celles qui sont répétées le plus souvent dans labrégé de Mormon.
En revanche, la prophétie de Néphi concernant les quatre générations de justice
nest répétée (brièvement) que deux fois dans le récit de Néphi et ne
lest (indirectement) que deux fois dans tout labrégé de Mormon (comparer 1
Néphi 12:11-12 ; 2 Néphi 26:9 avec Alma 45:12 ; 3 Néphi 27:31-32).
Labrégé de Mormon
contient quelques prophéties qui napparaissent pas au départ dans les petites
plaques [15]. Ces prophéties jouent un rôle important mais très limité au cours du
récit historique. Elles sont généralement prononcées et accomplies dans des contextes
historiques particuliers ; par conséquent, elles natteignent jamais le niveau
grandiose des prophéties qui unifient de manière plus générale les récits de Néphi
et de Mormon. Étant donné que ces prophéties apparaissent si rarement et ont une
importance si modeste dans le récit de Mormon, elles ninfirment pas la règle
générale que les annales de Néphi définissent un corpus de prophéties que Mormon
utilise pour abréger les annales néphites.
La préface de Mormon
Nous allons maintenant tester
la thèse que Mormon a délibérément utilisé les petites plaques de Néphi comme cadre
pour abréger les grandes plaques en lévaluant par rapport aux commentaires
rédactionnels explicites de Mormon. En labsence dune documentation
extérieure à un texte (par exemple, correspondance, notes, premiers jets et descriptions
du processus de rédaction par des tiers), le commentaire rédactionnel au sein du texte
peut aider à clarifier les intentions et les objectifs de lauteur dans ses écrits.
En ce qui concerne la création du Livre de Mormon, seul le texte terminé (tel que
représenté par les éditions imprimées et les parties existantes des manuscrits de
départ) a survécu. Par conséquent, nous devons en peser soigneusement et rigoureusement
les éléments internes récit et notes rédactionnelles pour en tirer des
conclusions interprétatives.
Le long commentaire
rédactionnel appelé Paroles de Mormon est la déclaration la plus directe de
lintention littéraire de lauteur principal. Même sil apparaît au
tiers du texte publié, cet aparté de deux pages constitue une sorte de préface à
lensemble, révélant plus clairement que tout autre commentaire rédactionnel ce
que Mormon considérait comme étant le but de son abrégé [16]. Bien quapparemment
mal placé comme préface, Paroles de Mormon est situé stratégiquement pour expliquer
une des initiatives littéraires les plus innovatrices de Mormon: linclusion in
extenso des petites plaques de Néphi dans le récit général après avoir abrégé un
récit des grandes plaques couvrant la même période de temps.
Selon cette déclaration
rédactionnelle, après que Mormon a eu fini dabréger les grandes plaques de Néphi
depuis le temps de Léhi jusquà celui du roi Benjamin, quelque chose le pousse à
chercher davantage parmi les annales « qui avaient été remises entre [ses] mains »
(Paroles de Mormon 1:3). Cest probablement une allusion dans les grandes plaques à
un deuxième jeu dannales de Néphi dont Mormon ignorait précédemment
lexistence qui le pousse à agir ainsi. Les premières annales de Néphi, qui
inaugurent les grandes plaques, avaient été entreprises en réponse à un commandement
divin quil avait reçu peu après larrivée de la famille de Léhi à la terre
de promission (voir 1 Néphi 19:1-6). Son deuxième jeu dannales, connu
aujourdhui sous le nom de petites plaques de Néphi, fut commencé entre 20 et 30
ans plus tard (voir 2 Néphi 5:29-34). Après la mort de Néphi, ses successeurs royaux
continuèrent à tenir les annales sur les grandes plaques, tandis que ses successeurs
dans la fonction prophétique continuaient à tenir leurs annales sur les petites plaques.
Pendant le règne juste du roi Benjamin, quelques quatre siècles plus tard, le prophète
Amaléki transféra les petites plaques à Benjamin, ce qui allait faire de ce dernier lui
le premier intendant des deux jeux de plaques depuis le prophète Néphi (voir Omni 1:25 ;
Paroles de Mormon 1:10-11). Ce deuxième jeu dannales de Néphi devait être
mentionné dans le récit complet de la succession des rois soit celui de Mosiah à
son fils Benjamin soit celui de Benjamin à son fils Mosiah puisquil semble
que linventaire et le rappel de limportance des annales et des objets sacrés
soit un élément habituel de la cérémonie officielle de succession chez les souverains
néphites (voir Mosiah 1:1-16 ; 28:11 ; Alma 37 ; 63:1-3 ; Hélaman 3:13-15 ; 3 Néphi
1:2-3 ; 4 Néphi 1:48).
En faisant ses recherches parmi
les plaques quil avait en sa possession, Mormon découvrit les annales manquantes.
Ce qui attira son attention à ce moment-là, ce fut la découverte de certains passages
qui le convainquirent dinclure le récit entier in extenso dans son abrégé, alors
même quil venait de terminer labrégé dun récit plus détaillé
couvrant exactement la même période de temps et se trouvant sur les grandes plaques de
Néphi. Pour justifier sa décision dinclure lintégralité des petites
plaques, Mormon dit que la teneur des secondes annales de Néphi « sont précieuses pour
moi; et je sais qu'elles seront précieuses pour mes frères » (Paroles de Mormon 1:6).
Pour aider le lecteur à
comprendre limportance de cette décision peu commune de combiner des récits
historiques comparables, Mormon précise le contenu des annales sur lesquelles il vient de
mettre la main et quil a trouvées si fascinantes :
« Et comme les choses qui sont
sur ces plaques me plaisent, à cause des prophéties de la venue du Christ, et comme mes
pères savent que beaucoup d'entre elles se sont accomplies, oui, et je sais aussi que
tout ce qui a été prophétisé à notre sujet jusqu'à ce jour [fin du 4e siècle apr.
J.-C.] s'est accompli, et que tout ce qui va au-delà de ce jour s'accomplira certainement
» (Paroles de Mormon 1:4).
Après avoir précisé le
contenu des petites plaques quil a trouvé digne de conserver in extenso, Mormon
déclare ensuite le but dans lequel il le fait : « C'est pourquoi, j'ai choisi ces choses
[cest-à-dire les prophéties et les révélations du deuxième jeu dannales
de Néphi ; voir Paroles de Mormon 1:6] pour terminer mes annales, et ce reste de mes
annales, je vais le prendre des [grandes] plaques de Néphi » (Paroles de Mormon 1:5).
On peut sans doute discuter de
la signification précise de cette déclaration dintention rédactionnelle, mais
linterprétation suivante en est aussi plausible que nimporte quelle autre.
Mormon trouve le contenu sacré du second jeu dannales de Néphi si fascinant
quil se base dessus pour abréger et ainsi interpréter le reste des grandes
plaques. Les prophéties de Néphi, en particulier, deviennent si cruciales pour son but
littéraire quil structure délibérément une partie importante de son récit afin
de démontrer par les faits leur accomplissement littéral et complet.
Il y a une logique interne qui
rattache cette façon de voir les choses au commentaire rédactionnel de Mormon lui-même,
aux indications générales qui montrent comment il élabore son abrégé et aux
premières constatations relatives aux rapports structurels entre les petites plaques de
Néphi et labrégé des grandes plaques par Mormon. En labsence de certitude
absolue au sujet de la signification de déclarations telles que celles de Mormon, nous
devons nous fier à des degrés de probabilité. Linterprétation proposée est
très probablement la bonne puisquelle trouve systématiquement sa justification
face à des données disparates éparpillées dans tout le texte du Livre de Mormon. En
attendant que lon propose une interprétation plus probable, celle qui est avancée
ici mérite quon y réfléchisse sérieusement. Ce qui ne fait pas lombre
dun doute, cest, premièrement, que Mormon a découvert quelque chose de
grande valeur dans les petites plaques de Néphi, quelque chose quil navait
pas vu quand il a abrégé les grandes plaques couvrant la même période de temps, et en
second lieu, quil a plus tard utilisé ce quil avait découvert pour abréger
le reste des grandes plaques.
Cette étude propose une façon
dont Néphi et Mormon, les deux principaux auteurs du Livre de Mormon, ont pu
explicitement structurer le contenu de leur histoire épique. Sa thèse est que Mormon a
abrégé les grandes plaques de Néphi en respectant une structure découverte dans les
petites plaques de Néphi. En conséquence, les deux documents ont en commun un but qui
dépasse la valeur de leur contenu respectif si on lenvisage séparément. Les
éléments en faveur de cette thèse viennent des commentaires rédactionnels explicites
de Mormon et des parallèles textuels systématiques entre les deux récits. Voyant les
choses sous cet angle, Mormon a inclus toutes les petites plaques de Néphi dans son
abrégé afin dattirer lattention sur la correspondance étroite existant
entre la prophétie et lhistoire scripturaire.
Quand le sens se
reflète dans la structure narrative
La correspondance entre les
petites et les grandes plaques donne à penser que Mormon a adopté les prophéties des
petites plaques non seulement pour structurer la majeure partie de son abrégé historique
mais aussi pour mettre en relief ce que son contenu a de plus sacré. Si Mormon a
effectivement « choisi ces choses » des annales de Néphi « pour terminer mes annales
» (Paroles de Mormon 1:5), que faut-il penser du rapport entre prophétie et histoire
dans le Livre de Mormon ? Dans les limites de cette étude, je propose quelques
observations préliminaires sur la nature du Livre de Mormon en tant que document
historique.
Comme le récit semble être
influencé en grande partie par la vision que Néphi a eue du plan du salut, le Livre de
Mormon nest ni une histoire générale des Néphites ni un document ayant
principalement une valeur descriptive. Bien que le récit abonde en éléments objectifs,
son but nest pas de fournir une documentation empirique mais plutôt spirituelle.
Les auteurs incluent des détails historiques, sociaux, géographiques et autres afin de
définir le plan du salut en termes de la vie de tous les jours et den démontrer
laccomplissement partiel parmi une partie des enfants de Dieu. En plaçant les
événements historiques dans une perspective aussi divine, le récit historique de Mormon
acquiert une plus grande signification spirituelle. Les paroles prophétiques et leur
accomplissement historique sont des parties complémentaires du même processus qui est de
montrer aux enfants de Dieu (1) la manière dont ils peuvent retourner à lui par
lÉvangile de Jésus-Christ et (2) les conséquences pour leur âme sils ne le
font pas. Pour Mormon, ce but semble être bien plus fascinant que tout ce que ses annales
auraient pu accomplir dautre. En fait, les circonstances, les personnalités et les
événements qui ne contribuent pas à expliciter ce plan révélé et dautres buts
exaltés sont traités comme étrangers, insignifiants ou autrement indignes dêtre
préservés dans ces annales officielles. Ainsi Mormon inclut dans son abrégé moins
dun centième des informations historiques dont il dispose (voir Paroles de Mormon
1:5 ; Alma 13:31 ; 3 Néphi 5:8 ; 26:6).
De même que la notion
dhistoire dans le Livre de Mormon est singulière, de même en va-t-il de
lensemble des qualifications personnelles requises pour que les auteurs produisent
un tel ouvrage. Il fallait, en particulier, des clefs de la prêtrise et des dons
spirituels hautement raffinés comprenant la prophétie, la révélation et « la
vue » pour saisir la volonté de Dieu en ce qui concerne lobjectif général et le
contenu particulier du récit. En outre, ses auteurs principaux avaient besoin
daptitudes analytiques et littéraires bien développées pour révéler des notions
aussi élevées dans et à travers la substance de la vie et du langage de tous les jours.
Pour Néphi et Mormon, le passé, dans ce sens suprême, nétait pas plus
connaissable que le futur sans de telles capacités spirituelles et professionnelles (par
exemple, Mosiah 8:16-17 dit quune des qualités dun voyant est dêtre
capable de « connaître les choses qui sont passées » vraisemblablement dune
manière qui était inaccessible aux scribes qui ne possédaient pas ce don spirituel).
Les principaux auteurs du Livre
de Mormon ont développé et affiné leurs capacités littéraires et spirituelles par le
même genre dexpériences dans la vie. Néphi et Mormon ont reçu une formation
officielle dès leur jeune âge afin de réaliser leur potentiel extraordinaire (voir 1
Néphi 1:2 ; Mormon 1:2-6). Les deux auteurs ont surmonté une opposition et des
afflictions considérables dans leur vie personnelle, dont certaines ont été le
résultat direct de leurs efforts littéraires (par exemple, 2 Néphi 33:3 ; Mormon
5:8-24). Ces difficultés ont approfondi leur sensibilité spirituelle et leur résolution
personnelle de consacrer la totalité de leurs efforts à lenregistrement exclusif
des « choses de Dieu » (voir 1 Néphi 6:3-4).
Ils ont également affiné
leurs qualifications littéraires en écrivant dabord beaucoup. Néphi, par exemple,
avait compilé le premier récit de son ministère pendant environ 30 ans avant que le
Seigneur lui commande de commencer un deuxième jeu dannales (voir 1 Néphi 19:1 ; 2
Néphi 5:30-33). De même, Mormon avait probablement compilé le « récit complet » de
son propre ministère avant dentreprendre son abrégé des grandes plaques, et alors
il a refocalisé son abrégé après avoir découvert les petites plaques de Néphi (voir
Mormon 2:18 ; Paroles de Mormon 1:3-5).
Vue sous cet angle, la
signification du Livre de Mormon découle aussi bien de la structure du récit que de son
contenu. Si certains contenus particuliers du récit peuvent être considérés comme
significatifs tout en étant isolés les uns des autres ou dans un contexte dont la
focalisation se situe en dehors du texte lui-même, lapproche préconisée dans
cette étude, bien que nétant pas opposée à une telle vue des choses,
sappuie sur le texte intégral du Livre de Mormon pour parvenir à une
compréhension plus complète de sa signification. Pour parvenir à ce genre de
perception, il faut découvrir les structures et les relations détaillées,
systématiques et complexes existant entre diverses parties du texte. Ces structures
deviennent alors lindication des préoccupations qui dominaient lesprit des
auteurs tandis quils composaient louvrage. Les commentaires rédactionnels
explicites des auteurs aident à relier efficacement ces parties du texte.
Parfois les découvertes de ce
genre viennent de parties du récit qui intriguent ou qui ne semblent pas être à leur
place. Par exemple, la présence dun long récit de guerre (Alma 43-62) ou de
lhistoire sévèrement tronquée dune société spirituelle idéale (4 Néphi
1:1-20) peut sembler bizarre dans un ouvrage qui est considéré comme ayant une valeur
superlativement spirituelle. De même, la présence de deux récits traitant de la même
période de temps (par exemple, le ministère de Léhi et celui de Néphi simultanément
sur les grandes et les petites plaques) réclame une analyse détaillée. De ce point de
vue, la chose principale à étudier est le texte lui-même, dont la structure permet de
se faire une excellente idée des objectifs littéraires des auteurs.
Cette étude permet de mieux
comprendre comment la structure du récit du Livre de Mormon peut être considérée comme
spirituellement importante. Dautres études de la structure du récit ouvriront
certainement des fenêtres supplémentaires sur la richesse et la profondeur du texte
scripturaire et de la manière dont sest faite son élaboration rédactionnelle.
NOTES
Ndlr : Pour simplifier la lecture de cet article, nous avons supprimé les considérations
théoriques concernant lanalyse des textes en général. Les passages supprimés
sont signalés par [
]
1. Dans cet article les termes petites plaques et grandes plaques apparaissent au début
entre guillemets pour signaler lutilisation quen font les saints des derniers
jours aujourdhui. Cette distinction, faite pour la facilité, entre le récit in
extenso des prophètes, en commençant par Néphi, et le gros de labrégé de Mormon
nexiste pas dans le Livre de Mormon, qui appelle les deux récits « plaques de
Néphi ».
2. Voir, par exemple, Esdras 7:28-9:15; Néhémie 1-13 ; Ésaïe 6 ; Jérémie 1 ;
Ézéchiel 1-2.
3. Le plus souvent, les commentaires rédactionnels directs dans la Bible hébraïque
orientent le lecteur contemporain du narrateur vers les allusions culturelles ou
géographiques du texte. Voir, par exemple, Robert Alter, The Five Books of Moses: A
Translation with Commentary, New York, W. W. Norton, 2004, pp. 113 n2,123 n50, 182 n33,
270 n34, 273 n11.
4. Deux études qui inventorient plusieurs déclarations rédactionnelles explicites du
Livre de Mormon comme preuve de la complexité des textes et de la façon dont il a été
compilé sont John A. Tvedtnes, « Mormon's Editorial Promises » dans Rediscovering the
Book of Mormon, dir. de publ. John L. Sorenson et Melvin J. Thorne, Salt Lake City,
Deseret Book, 1981, pp. 29-31 et Cheryl Brown, «I Speak Somewhat Concerning That Which I
Have Written,» dans The Book of Mormon: Jacob Through Words of Mormon, To Learn with Joy,
dir. De publ. Monte S. Nyman et Charles D. Tate Jr., Provo, Utah, BYU Religious Studies
Center, 1990, pp. 55-72.
5. Les études précédentes du rôle rédactionnel des auteurs du Livre de Mormon sont :
S. Kent Brown, « Nephi's Use of Lehi's Record » dans Rediscovering the Book of Mormon,
pp. 3-14; Grant R. Hardy, « Mormon as Editor » dans Rediscovering the Book of Mormon,
pp. 15-28 et John S. Tanner, « Jacob and His Descendants as Authors » dans Rediscovering
the Book of Mormon, pp. 52-66. Ce thème est traité de manière plus complète par Grant
R. Hardy, The Book of Mormon: A Reader's Edition, Urbana, University of Illinois Press,
2003.
6. Lidentité des narrateurs bibliques a retenu lattention de plusieurs
savants bibliques, dont les conclusions sont basées sur les allusions du récit lui-même
plus que sur les ruptures explicites dans lapproche du narrateur omniscient à la
troisième personne. On trouvera dans Meir Sternberg, The Poetics of Biblical Narrative:
Ideological Literature and the Drama of Reading, Bloomington, University of Indiana Press,
1985, pp. 58-83, une critique des tentatives dattribuer un auteur aux livres
narratifs de lAncien Testament.
7. Les études principales de cette approche de la Bible sont Robert Alter, The Art of
Biblical Narrative, New York, Basic Books, 1981, The Art of Biblical Poetry, New York,
Basic Books, 1985 et The Five Books of Moses; David Noel Freedman, The Unity of the Hebrew
Bible, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1991 et en particulier Sternberg, Poetics
of Biblical Narrative.
8. Parmi les toutes premières études et les plus connues des détails explicites sur la
façon dont le récit du Livre de Mormon a été composé, il faut citer Bruce W.
Jorgensen, « The Dark Way to the Tree: Typological Unity in the Book of Mormon » dans
Literature of Belief: Sacred Scripture and Religious Experience, dir. De publ. Neal E.
Lambert, Provo, Utah, BYU Religious Studies Center, 1981, pp. 217-231; George S. Tate, «
The Typology of the Exodus Pattern in the Book of Mormon » dans Literature of Belief, pp.
245-262 et John W. Welch, « Chiasmus in the Book of Mormon », BYU Studies 10 (automne
1969), pp. 69-84.
9. Les études structurelles portant sur les textes sacrés sont Claude Levi-Strauss, «
The Structural Study of Myth », dans sa Structural Anthropology, New York, Basic Books,
1963, pp. 206-231; Edmund Leach, Genesis as Myth and Other Essays, Londres, Jonathan Cape,
1969; Michael Lane, dir. de publ., Introduction to Structuralism, New York, Basic Books,
1970, pp. 11-39. On trouvera une étude structurelle détaillée dun texte mormon
sacré dans Steven L. Olsen, « Joseph Smith and the Structure of Mormon Identity »,
Dialogue: A Journal of Mormon Thought 14/3 (Fall 1981), pp. 89-99.
10. Voir la même directive du Seigneur à Néphi dans 1 Néphi 14:28 et à Moroni dans
Éther 13:13.
11. Par facilité, je qualifie le rêve-vision de Léhi de songe et la vision de Néphi de
vision. Ce faisant, je ne veux pas diminuer limportance de lexpérience de
Léhi, puisque les songes étaient considérés dans les temps anciens comme des moyens
viables de communication divine.
12. La nature complémentaire du songe de Léhi et de la vision de Néphi a déjà été
examinée par Courtney J. Lassetter, « Lehi's Dream and Nephi's Vision: A Look at
Structure and Theme in the Book of Mormon », Perspectives: A Journal of Critical Inquiry
(hiver 1976), pp. 50-54 et Robert L. Millet, « Another Testament of Jesus Christ », dans
The Book of Mormon: First Nephi, The Doctrinal Foundation, dir. de publ. Monte S. Nyman et
Charles D. Tate Jr., Provo, Utah, BYU Religious Studies Center, 1988, pp. 161-176.
13. À propos de la valeur interprétative de la répétition dans la Bible hébraïque,
voir Alter, Five Books of Moses, 349 n21 et Art of Biblical Narrative, pp. 88-113 et
Sternberg, Poetics of Biblical Narrative, pp. 365-440.
14. Parmi les prophéties que lon trouve à la fois dans les petites plaques et
labrégé de Mormon il y a les suivantes (cette liste comprend des citations
choisies des prophéties, dont les premières viennent des petites plaques, suivies de
celles, quand cela sindique, de labrégé de Mormon) : la destruction de
Jérusalem (1 Néphi 1:4, 13, 18 ; 2 Néphi 1:4 ; Alma 9:9 ; Hélaman 8:20-21) ; la
découverte et la colonisation de la terre promise (1 Néphi 2:20 ; 18:23) ; la
malédiction des Lamanites (1 Néphi 2:23 ; 2 Néphi 5:21 ; Alma 17:15) ; les Néphites
régnant dans la terre promise (1 Néphi 2:22 ; 2 Néphi 5:19) ; le ministère terrestre,
lexpiation et la résurrection du Christ (1 Néphi 11 ; Mosiah 3-4 ; 14-15 ; Alma 7
; 34; Hélaman 14) ; la résurrection de toute lhumanité (2 Néphi 9-10 ; Alma 11 ;
40-41 ; Hélaman 14) ; les « guerres et les querelles » des Néphites (1 Néphi 12:1-5 ;
2 Néphi 26:2 ; Énos 1:24 ; Omni 1:3 ; Alma 50:1) ; le ministère du Christ ressuscité
parmi les Néphites (1 Néphi 12:5-10 ; 2 Néphi 26:1 ; Énos 1:8 ; 3 Néphi 11) ; les
quatre générations de justice (1 Néphi 12:11-12 ; 2 Néphi 26:9 ; 3 Néphi 27:31-32) ;
lannihilation des Néphites (1 Néphi 12:13-17 ; Alma 1:12 ; Alma 45:1-14 ; Hélaman
15:17) ; la déchéance des Lamanites survivants (1 Néphi 12:20-23 ; 15:13 ; 2 Néphi
26:15 ; Hélaman 15:11-12 ; Mormon 5:15) ; la situation dapostasie parmi les Gentils
dans les derniers jours (1 Néphi 13:2 ; Néphi 26 ; 3 Néphi 16:9-11 ; 21:10-21 ; 30:1-2
; Éther 12) ; lémigration des Gentils vers la terre promise (1 Néphi 13:12-20 ;
21:5-7 ; Mormon 5) ; la conversion de la maison dIsraël et des Gentils dans les
derniers jours (1 Néphi 14 ; 2 Néphi 25:17-18 ; 3 Néphi 15:22 ; 20-21) ; le
rassemblement dIsraël et létablissement de Sion dans les derniers jours (1
Néphi 13:37 ; 15; 19:16 ; Mosiah 12:21-22 ; 3 Néphi 16 ; 20-21 ; 29); le jugement de
toute lhumanité (1 Néphi 22:21 ; Mosiah 27:31 ; Alma 12:27) et lavènement
du Christ et la fondation du royaume millénaire de Dieu (1 Néphi 22:26 ; 2 Néphi
12:12-13 ; 30:18 ; 3 Néphi 24-25 ; Éther 13).
15. Les prophéties suivantes sont dabord prononcées et ensuite accomplies au sein
même du récit historique de Mormon (la première citation est la prophétie et la
seconde est son accomplissement) : Abinadi prédit la tragédie qui va sabattre sur
le peuple de Limhi (Mosiah 12:1-2 ; 21:1-4), la mort par le feu du roi Noé (Mosiah 12:3 ;
19:20) et la cruauté des descendants rebelles des prêtres du roi Noé (Mosiah 17:15 ;
Alma 25:5) ; Alma annonce la destruction de la ville dAmmonihah (Alma 10:23 ;
16:2-3) et les mouvements des armées des Lamanites (Alma 43:24 ; 43:49-54) ; et Néphi
révèle le meurtre secret du juge en chef et lidentité de son assassin (Hélaman
8:27 ; 9:3-38).
16. On ne sait pas si Mormon a inclus le même genre daparté rédactionnel au
début de son abrégé des grandes plaques de Néphi puisque le début de son récit se
trouvait parmi les 116 pages de la traduction qui ont été perdues quand Martin Harris a
emprunté le manuscrit à Joseph Smith pour convaincre son épouse de son authenticité.
Sur la perte du manuscrit, voir Richard L. Bushman, Joseph Smith, Rough Stone Rolling, New
York, Alfred A. Knopf, 2005, pp. 66-69.
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