L'AUTORITÉ DANS LE LIVRE DE MOSIAH

 

Daniel C. Peterson

F.A.R.M.S. Paper 1991

 

On a fait la réflexion, à juste titre, que le Livre de Mormon est probablement le premier texte scripturaire mormon publié qui mentionne la structure et la nature de la prêtrise [1]. Il est donc important de comprendre ce qu’il a à dire à ce sujet. Le but de cette étude est d'examiner une partie du texte du Livre de Mormon, le livre de Mosiah, comme première étape pour dégager la doctrine générale de la prêtrise dans l’ensemble du livre. Pour ce faire, il sera tenu compte de chaque verset du livre de Mosiah qui traite, que ce soit directement ou indirectement, des questions de la prêtrise et de l'autorité.


Le livre de Mosiah est un bon endroit pour commencer, parce qu'il y a de bonnes raisons de croire que c'est la première partie du Livre de Mormon, tel que nous l’avons, qui ait été traduite en anglais [2]. Donc, si le Livre de Mormon est l'un des plus anciens textes scripturaires de l'Église à traiter de la question de la prêtrise, le livre de Mosiah pourrait être la plus ancienne partie du texte anglais du Livre de Mormon à le faire. C'est donc un indice important de ce que les tout premiers saints ont pu savoir sur la prêtrise. D’autre part, et je reviendrai plus loin sur ce sujet, on s’est servi du livre de Mosiah pour appuyer des prises de position concernant la prêtrise qui, je pense, sont profondément erronées. Le sujet mérite donc d’être examiné de près.


CONTEXTE: LA PRÊTRISE DANS LES PETITES PLAQUES


Une des choses les plus frappantes en ce qui concerne la prêtrise dans le Livre de Mormon, c’est non seulement le peu de choses que les petites plaques de Néphi (de 1 Néphi à Omni) ont à dire sur le sujet, mais aussi le fait que ce manque d’intérêt apparent disparaît tout à coup quand, avec le livre de Mosiah, nous entrons dans l'abrégé des grandes plaques de Néphi fait par Mormon. Le terme « prêtre », par exemple, apparaît, selon la Concordance de Reynolds, 125 fois dans le Livre de Mormon, soit tel quel, soit dans des dérivés comme « prêtrise » ou des expressions comme « intrigues de prêtres ». Or, on ne le trouve que huit fois dans la partie du Livre de Mormon qui précède le livre de Mosiah. Cela veut dire que 6,4% seulement des mentions des mots «prêtre» ou «prêtrise» se trouvent dans une partie du Livre de Mormon qui constitue quelque 27% de l’ensemble du livre – moins que le quart des mentions auxquelles on pourrait raisonnablement s’attendre. Cette situation est encore plus frappante quand on sait que l'une de ces huit mentions se trouve dans la citation d'Ésaïe dans 2 Néphi 18:2. (Si nous ignorons ce passage, notre pourcentage tombe à 5,6%) [3].

 

Comment les petites plaques de Néphi conçoivent-elles les « prêtres » et la « prêtrise » ? Notre échantillon est peut-être trop petit pour permettre un jugement définitif, mais il apparaît que l'attitude des auteurs des petites plaques vis-à-vis des prêtres et de la prêtrise n’est pas totalement positive. (Il semble qu’à cet égard, les prophètes néphites aient partagé les sentiments du contemporain de Léhi, Jérémie. Voir Jérémie 1:18; 2:8, 26; 4:9; 5:30-31; 6:13; 13:13; 23:11, 33-34; 32:32; Lamentations 2:6; 4:13. D'autres prophètes, comme dans Ésaïe 24:1-6, 26:7 et Néhémie 9:33-34, pour ne prendre que quelques exemples parmi beaucoup d'autres, ont fait des commentaires péjoratifs du même genre. Il suffit de penser à Hophni et à Phinées, dans 1 Samuel 2-4, ou à la parabole du bon Samaritain racontée dans Luc 10, pour se rendre compte à quel point la notion du méchant prêtre est répandue dans les Écritures.) Dans 2 Néphi 10:5, par exemple, Jacob prédit que « [l]es intrigues de prêtres et [l]es iniquités… à Jérusalem » mèneront à la crucifixion du Sauveur. Dans 2 Néphi 26:29, Néphi définit « les intrigues de prêtres » et montre que le Seigneur les condamne. Dans 2 Néphi 28:4, Néphi dit que les derniers jours seront caractérisés par les querelles entre « prêtres » qui « enseigneront avec leur instruction et nieront le Saint-Esprit qui donne de s'exprimer ».


Cette attitude manifestement négative est peut-être le résultat de l'expérience désagréable que Léhi et sa famille semblent avoir eue avec les autorités politiques et ecclésiastiques de Jérusalem. Ces expériences ont certainement été un sujet fréquent de conversation et d'enseignement parmi les enfants croyants de Léhi. Plus vraisemblablement, puisque Jacob n'a vu Jérusalem qu'en vision (1 Néphi 18:7; 2 Néphi 6:8-10) et que Néphi est ici en train de prophétiser (2 Néphi 25:7 ; 26:14 ; 28:1,3), l'attitude négative était en fait celle du Seigneur et représente ce qu’il pensait de la corruption provoquée dans son peuple du Vieux Monde. Mais quelle qu’ait été l'attitude des premiers Néphites vis-à-vis du mauvais usage possible de l'autorité de la prêtrise, il est clair que leurs premiers écrits contiennent très peu de commentaires positifs – en fait très peu de commentaires de quelque sorte que ce soit – sur les prêtres et la prêtrise.


Il est cependant également clair qu'ils ne rejetaient pas l'idée de la prêtrise en tant que telle. Néphi lui-même, par exemple, ordonnera ses frères Jacob et Joseph selon le saint ordre de Dieu (2 Néphi 6:2; cf. 2 Néphi 5:25; Jacob 1:18; et aussi Alma 13:1, 2, 6, 8 et D&A 107:2-4). Deux siècles plus tard – si pas bien avant – un système complet de prophètes, de prêtres et d'instructeurs existait chez les Néphites (Jarom 1:11) [4].


En ordonnant des prêtres, Néphi agissait comme une sorte de roi parmi son peuple – ce qui était, bien sûr, ainsi que le voyait le peuple (voir 2 Néphi 5:18-19 ; 6:2) [5]. L'ordination est aussi essentiellement une prérogative royale dans le livre de Mosiah, même si, comme nous le verrons, un changement spectaculaire dans ce domaine apparaît vers la fin du livre. Que l’on me comprenne bien. Je ne veux pas dire que les rois néphites avaient, d’une façon ou d’une autre, le droit d'ordonner simplement parce qu'ils détenaient le pouvoir politique. Ce que je veux dire, au contraire, c’est que la royauté, chez les Néphites, était un appel dans la prêtrise [6]. Un coup d’œil sur les indications fournies par le livre de Mosiah et aussi par d'autres passages du Livre de Mormon devrait montrer que ce que je dis est plausible, sinon prouvé. En fait, au moins plusieurs des rois néphites – Néphi (qui était pratiquement roi, voir 2 Néphi 6:2), Mosiah Ier (voir Omni 1:12-22), Benjamin, et Mosiah II –  étaient en fait des prophètes importants. Le roi Benjamin nomme des prêtres à Zarahemla (Mosiah 6:3). Dans le royaume néphite secondaire qui ne durera que peu de temps dans le pays de Néphi, Zénif exerce son droit de souverain et ordonne des prêtres. On se rappellera, bien sûr, qu'ils seront ensuite révoqués par son fils et successeur, Noé. Celui-ci va les remplacer par ses propres prêtres, qui soutiendront plus son mode de vie et qui seront plus malléables entre ses mains (Mosiah 11:5). Il est important de noter que plus tard, quand les prêtres de Noé prennent la fuite, le roi des Lamanites va, lui aussi, les nommer « instructeurs » de son peuple (Mosiah 24:4-5). Nous devons, bien entendu, garder à l'esprit qu'Amulon et ses collègues ne semblent pas exercer de fonctions sacerdotales chez les Lamanites. Apparemment, ils n'avaient jamais vraiment eu beaucoup d'intérêt pour ce genre de choses et par conséquent, leur enseignement parmi les Lamanites (la langue néphite, la tenue d’annales et l’alphabétisation) était tout à fait profane. Mais le fait que les Amulonites avaient une conception typiquement laïque de leurs fonctions ne doit pas nous faire perdre de vue leurs origines sacerdotales, pas plus que le mauvais usage que fait Noé de son rang ne doit nous faire perdre de vue sa qualité de prêtre.


Cette notion de royauté sacerdotale est peut-être un peu déconcertante pour le lecteur moderne qui vit dans une société où la séparation de l'Église et de l'État est une question de principe [7]. Mais les Néphites n'étaient pas des hommes modernes et il n’y a rien d’étonnant à ce qu’ils n’aient pas entretenu nos conceptions modernes. La royauté dans le Livre de Mormon est une affaire très religieuse, tout comme elle l’était (ou était censée l’être) chez les Israélites du Vieux Monde [8]. C’est ainsi, par exemple, qu’après son célèbre discours, Benjamin « consacre » son fils Mosiah comme son successeur (Mosiah 6:3), de la même manière que lui-même avait été « consacré » par son père (Mosiah 2:11) [9]. Bien entendu, le même verbe est utilisé pour l'ordination des prêtres dans le Livre de Mormon (dans 2 Néphi 5:26, 6:2; Jacob 1:18; Mosiah 11:5, 23:17; Alma 4:4, 4:7, 5:3, 15:13, 23:4). Dans l’American Dictionary of the English Language de Noah Webster (1828), une excellente source pour comprendre le langage que Joseph Smith a utilisé pour traduire les annales néphites, le mot « consécration » est « l'acte ou cérémonie par lequel on sépare d’un usage commun en vue d’un usage sacré ou la mise à part d'une personne ou d’une chose pour le service et le culte de Dieu selon certains rites ou solennités » [10]. Comme exemples, Webster cite « la consécration des prêtres parmi les Israélites » et « la consécration d’un évêque » [11]. De fait, Mosiah, fils de Benjamin, n'était pas simplement un souverain séculier, mais aussi un « voyant », ce qui, d’après ce que nous apprend le Livre de Mormon, est un titre encore plus élevé que celui de « prophète » (Mosiah 8:13-18; 21:28; 28:16). La voyance se rattachait à la possession de certains objets, appelés « interprètes » (Mosiah 8:13). De même, il apparaît que la royauté néphite se rattachait également à la possession de certains objets matériels et était même symbolisée ou légitimée par eux [12]. Ce qui explique pourquoi Néphi emporte les plaques d'airain quand il quitte le pays de Néphi, entre autres, peut-être parce qu’elles sont le symbole de sa légitimité. Les Lamanites, quant à eux, avaient la même perception de l'importance des plaques que Néphi, comme le montre leur affirmation tant de fois répétée qu'en les prenant, Néphi « avait commis un acte de brigandage contre eux » au même titre « qu’ils disaient qu’il leur avait pris des mains le gouvernement du peuple » (voir Mosiah 10:15-16; cf. 2 Néphi 5:3, Alma 20:10,13). Quand Benjamin transmet le royaume à son fils Mosiah, il lui donne aussi les plaques d'airain, les plaques de Néphi, l'épée de Laban et le Liahona (Mosiah 1:15-16) [13]. Bien entendu, la possession par le souverain des plaques d'airain représente sans aucun doute plus que la nécessité pour le roi de prouver sa légitimité. Deutéronome 17:18-20 stipule que le roi israélite doit conserver à tout moment auprès de lui une copie de la loi pour toujours garder à l'esprit les commandements de Dieu. Mais il doit être clair que le monarque néphite est plus qu’un simple souverain laïque dans un gouvernement laïque.


La nature sacerdotale du titre de roi chez les Néphites ressort, je pense, également dans d'autres domaines. Dieu, dit Benjamin, est celui qui nomme les rois (Mosiah 2:4) [14]. L'idéologie zénifite affirme que Néphi a été choisi par Dieu pour diriger son peuple (Mosiah 10:13) [15]. Le roi représente donc Dieu sur la terre et, quand il est juste et inspiré, ses actes sont les actes de Dieu. On se rappellera la définition que Joseph F. Smith donne de la « prêtrise » : « D’une manière générale, la prêtrise est l'autorité donnée à l'homme d'agir pour Dieu [16]. » Il n’y a donc rien d’anormal à ce que le livre de Mosiah, qui parle de façon répétée de rois ordonnant des prêtres et des instructeurs, dise que c’est Dieu qui désigne les instructeurs (voir Mosiah 2:4). De même, un roi inspiré peut être considéré comme parlant au nom de Dieu et faire une distinction entre eux à cet égard ne signifie pas grand chose (voir Mosiah 2:31) [17]. Dieu et le roi sont liés et se représentent mutuellement dans leur sphère respective (Mosiah 2:19) : Dieu gouverne tout l'univers, d'une manière macrocosmique, alors que le roi gouverne d'une manière subordonnée et microcosmique une partie limitée de l'univers de Dieu [18].


LE RÔLE DES PRÊTRES


La société dans laquelle les rois néphites règnent est centrée sur le temple. Peu après leur arrivée dans le Nouveau Monde, les membres de la colonie de Léhi vont construire « un temple... à la manière du temple de Salomon » (2 Néphi 5:16). Les annonces importantes se font au temple (Mosiah 1:18; 2:5, 6) [19]. Ceci ne vaut pas seulement pour Zarahemla, mais aussi pour la colonie parente de Zénif dans le pays de Néphi (Mosiah 7:17). Même le roi Noé, qui n'est pas un modèle de spiritualité, prodigue de l'argent pour son temple qui est desservi par les prêtres qu'il a choisis (Mosiah 11:4-5, 7, 10-11) [20]. Le rôle des prêtres néphites, comme on nous le répète souvent, est d'« enseigner ». Ils enseignent tout particulièrement, ou du moins ils prétendent enseigner, la loi de Moïse (voir Mosiah 12:25, 28; 18:18; 23:17; 25:21). Bien entendu, Abinadi s’en prend aux prêtres hypocrites de Noé parce qu’ils n’enseignent pas correctement la loi de Moïse (Mosiah 13:25-26), mais rien ne permet de croire qu’ils ne l’ont pas enseignée du tout. Ils prétendent que le salut vient de la loi de Moïse – une proposition qu'Abinadi condamne comme étant une mauvaise interprétation (voir Mosiah 12:32 et, par contraste, 13:28, 32). Pour leur part, le roi Benjamin et le prophète Abinadi insistent sur le fait que la loi de Moïse a été donnée parce que les Israélites avaient « le cou roide » et résistaient à une loi supérieure et que son but principal est d'annoncer la venue du Christ (Mosiah 3:14-15; 13:29-31; cf. 2 Néphi 11:4; 25:24-30; Jacob 4:5; Alma 25:15; 34:14).


À première vue, on est frappé par le fait que les « prêtres» dans Mosiah (et ailleurs dans le Livre de Mormon) ne font apparemment qu'enseigner [21]. Les « prêtres et instructeurs» sont mentionnés de façon répétée. Cela tient peut-être au fait que Joseph Smith utilisait le mot prêtre pour désigner les prédicateurs de son temps. Dans son dictionnaire de 1828, Noah Webster écrit qu'aux États-Unis, le mot prêtre désigne un «  ministre autorisé de l'Évangile ». Et c'est, en fait, essentiellement la façon dont Joseph Smith utilise le terme. L'ébauche de son « Histoire » de 1839, par exemple, parle de visites de « plusieurs prêtres savants » qui contestaient ses affirmations théologiques, alors que le contexte fait plutôt penser à des prédicateurs protestants plutôt qu’à des prêtres réellement catholiques ou orthodoxes [22]. La même utilisation apparaît dans son récit des disputes religieuses qui ont précédé sa Première Vision (voir JS–H 1:6).


En d'autres termes, est-ce que les « prêtres » de Mosiah sont de vrais prêtres dans le même sens que ceux de la lignée lévitique dans la Bible hébraïque? Il est évident que s'ils sont réellement des docteurs de la loi de Moïse, on doit trouver des indications non seulement de ce qu’ils commentent ses préceptes moraux, mais aussi de ce qu’ils transmettent et appliquent son système de sacrifices. Après tout, nous avons le temple comme centre spirituel (et peut-être littéral) de la société néphite et nous avons des indications (faibles, il faut bien l’avouer) de sacrifices mosaïques dans le livre de Mosiah (Mosiah 2:3-4; cf. 1 Néphi 5:9; Alma 34:13-14). De plus, quand on lit soigneusement Mosiah 1-6, on y découvre des indices plausibles de ce que les Néphites ont célébré intégralement, au moins en cette occasion, une fête mosaïque des Tabernacles [23]. Soit dit en passant, celle-ci propose aussi une possibilité d’interprétation intéressante : Si le discours du roi Benjamin coïncide effectivement avec une fête néphite des Tabernacles, la célébration solennelle et émouvante du jour des Expiations a dû avoir lieu dans les quelques jours qui ont précédé. Aussi, quand, dans Mosiah 4:2, le peuple crie pour que le « sang expiatoire du Christ » lui soit appliqué, il n'est pas difficile d'imaginer ce cri comme un écho de la période de fêtes profondément religieuses qu’il vient de traverser, aussi bien que des sacrifices caractéristiques de la fête qu’il est occupé à célébrer. Les Néphites étaient après tout un peuple qui comprenait l'Evangile de Jésus-Christ mais qui continuait à vivre selon les prescriptions et les ordonnances de la loi de Moïse, une possibilité que permettent Galates 3:8 et Moïse 6:54, 59-62. Il venait d’entendre de son roi un message que celui-ci avait reçu d’un ange à propos du « sang expiatoire du Christ » (Mosiah 3:11). Il comprenait la signification réelle des ordonnances et des rituels stipulés par la loi mosaïque, qui avaient pour but de préfigurer le Christ (2 Néphi 11:4; 25:23-26; Jacob 4:5; 7:7; Jarom 1:11; Mosiah 3;14-15; Alma 25:15-16). Il devait donc avoir l’esprit orienté d'une façon particulièrement puissante sur la venue du Sauveur par les rites du jour des Expiations et de la fête des Tabernacles. John Tvedtnes observe : « Il est significatif que la loi prescrit davantage de sacrifices pour soukkot [les Tabernacles] que pour n’importe laquelle des autres fêtes [24]. » Il est clair et abondamment attesté dans le Livre de Mormon avant l’avènement du Christ que la loi mosaïque était pratiquée parmi les Néphites (2 Néphi 5:10; 25:24) et il est donc tout aussi clair que les « prêtres » du Livre de Mormon étaient réellement des prêtres et pas simplement la projection, par un garçon de ferme du dix-neuvième siècle, des prédicateurs itinérants du Réveil religieux de son temps dans son conte historique pseudo-biblique [25].


« Les prêtres et les instructeurs » dont il est question tout au long du Livre de Mormon sont souvent – bien que pas toujours – deux groupes distincts, même s’il est indéniable que le livre attribue souvent des fonctions d'enseignement à ses prêtres. Les « prêtres » et les « instructeurs » sont mentionnés l’un après l’autre vingt-deux fois dans le Livre de Mormon, et dans tous les cas sauf un, les « instructeurs » sont mentionnés après les « prêtres », ce qui donne à penser qu'ils pourraient représenter un office subordonné dans la prêtrise chez les Néphites comme c’est le cas dans l’Église d’aujourd'hui [26]. (Il est clair, d’après Moroni 3, que les offices étaient distincts, du moins dans les pratiques néphites ultérieures). Cela semble confirmé par un incident décrit dans Mosiah 26:7, où les « instructeurs » sont subordonnés aux « prêtres » dans une hiérarchie composée d'instructeurs, de prêtres, et d'Alma l'Ancien comme « grand prêtre » [27]. (Comme nous allons le voir ci-dessous, Alma prenait ici la place du roi, qui semble avoir présidé les prêtres dans les pratiques néphites antérieures [28].)


Les prêtres néphites semblent avoir joué le rôle d’une sorte de conseil auquel le roi pouvait avoir recours pour avoir son avis. Mosiah II consulte ses prêtres (Mosiah 27:1), tout comme le roi Noé consulte son tribunal (qui imite manifestement ce qui se fait ailleurs) au pays de Néphi (Mosiah 12:17) [29]. Dans Mosiah 17:11-12, ce sont en fait les prêtres de Noé qui conseillent au roi de mettre leur ancien collègue Alma à mort pour avoir abandonné leur mode de vie impie.


LES PREMIERS PRÊTRES NÉPHITES ÉTAIENT-ILS ORDONNÉS?


Le cas d'Alma l'Ancien soulève une question intéressante. Est-ce que les prêtres de Noé étaient les détenteurs légitimes d’une prêtrise légitime? Il n’est question nulle part d’une ordination d’Alma autre que le fait qu’il faisait partie des prêtres ordonnés par Noé lors de son accession au trône (Mosiah 11:5). D’où Alma tient-il donc son autorité dans la prêtrise? Est-il possible qu'il ait agi comme prophète sans avoir été ordonné? Cette possibilité a récemment été soulevée. « Il arrive, dit un auteur, que certains, appelés de manière directe, sans intermédiaire, n’attendent pas d’être ordonnés pour se lancer dans leur ministère. L'ordination n'est donc pas présentée comme étant essentielle, que ce soit pour créer une église ou une structure sacerdotale là où il n'en existait pas précédemment, ou pour prêcher le repentir ou enseigner l'Évangile, ou pour critiquer une structure ecclésiastique ou même politique existante qui est devenue rigide ou corrompue [30]. »


Parmi les personnalités du Livre de Mormon dont il est dit qu’elles ont reçu de Dieu un « appel sans intermédiaire » pour exercer l'autorité de la prêtrise, il y a Léhi, Néphi, Samuel le Lamanite, Abinadi, Alma le Jeune et Alma l'Ancien. Je vais examiner brièvement chacun de ces cas. Mais il faut tout d'abord étudier la base théorique justifiant la thèse des appels dans la prêtrise « sans intermédiaire ». On invoque Alma 13:1 comme preuve de ce que « le Seigneur Dieu a ordonné des prêtres, selon son saint ordre » sans aucun intermédiaire humain. Mais cela ne prouve rien de la sorte puisque le Seigneur agit par l'intermédiaire des agents qu’il a désignés et puisque cela ne fait pas de différence que ce soit par sa voix ou celle de ses serviteurs (D&A 1:38). Nous avons déjà vu que les Néphites fidèles pouvaient affirmer que c’était Dieu qui désignait un roi ou un prêtre tout en connaissant parfaitement l’agent humain qui effectuait cette désignation. On cite Alma 13:4 comme preuve que « c'est ‘l'Esprit de Dieu’ et non un être humain » qui appelle à un office dans la prêtrise [31]. Mais c'est là tout au plus une déduction peu convaincante d'un verset assez ambigu. De plus, Alma 13:8, 10 et 16 montrent bien qu’il était question d’ « ordonnances » et que les prêtres étaient « ordonnés » d'une manière qui préfigurait le Fils de Dieu. Et Mosiah 21:33-35 laisse clairement entendre que Limhi, en tous cas, n'acceptait pas l'idée d'appels « sans intermédiaire » à une autorité dans la prêtrise.


LÉHI
 

En ce qui concerne l'ordination de Léhi, la seule chose que l’on peut dire c’est que, d’un point de vue logique, c’est un argument notoirement faible que de se servir du silence des sources comme preuve. Les versets cités pour prouver que personne n’a ordonné Léhi (1 Néphi 1:18-20) ne disent pas qu’il n'a pas été ordonné; ils ne rapportent tout simplement pas qu'il l'a été. Et le fait que le Livre de Mormon ne mentionne pas l'ordination de Léhi peut être aussi accessoire que le fait que Luc ne mentionne pas le mariage d'Élisabeth avec Zacharie.


NÉPHI


Néphi, fils de Léhi, détenait incontestablement une forme de prêtrise, puisque, comme nous l’avons vu plus haut, il est écrit qu'il a ordonné ses frères Joseph et Jacob. Il n’y a cependant rien d’écrit concernant sa propre ordination. 1 Néphi 17:48-54 ne dit rien à ce sujet. Que devons-nous conclure de ces lacunes dans la chronique néphite? Pour moi, rien. Une fois de plus, de telles choses ne font que mettre le doigt sur les caprices de la tenue des registres historiques; elles ne démontrent en aucun cas que Néphi n'a pas été ordonné à la prêtrise.


SAMUEL LE LAMANITE


Dans le cas de Samuel le Lamanite, encore une fois, nous n'avons que le silence des sources comme argument. Nous ne savons de lui que ce qui est rapporté dans Hélaman 13-16. De toute façon, il n'y a aucun passage dans le Livre de Mormon qui dit que Samuel ne détenait pas la prêtrise. Il n’y a absolument rien dans les sentiments décrits dans Hélaman 13:5, 7 qui porte à croire qu'il n'a pas été ordonné. Et, étant donné le silence général du Livre de Mormon sur ce qui se passe chez les Lamanites quand cela n’a pas d’effet direct sur les Néphites, nous ne devons pas nous attendre à lire quoi que ce soit sur l'ordination de Samuel [32]. (Il est significatif, pour ce que nous voulons montrer, que le Sauveur ressuscité reconnaîtra plus tard Samuel comme étant son serviteur (voir 3 Néphi 23:9), ce qui confirme que Samuel était bien l'agent autorisé de Dieu au moment où il a prophétisé au nom du Seigneur sur les murs de Zarahemla.)


ABINADI


Au risque de lasser le lecteur en me répétant, la même observation s’impose dans le cas d'Abinadi : Il est vrai que Mosiah 11:20 et 12:1-2 ne mentionnent pas son ordination. Mais que savons-nous de lui à part le bref épisode avec le roi Noé et les prêtres de la cour? Rien. Est-ce que notre ignorance nous autorise à dire qu'il n'a jamais été ordonné?


Le cas d'Abinadi montre aussi comment, quand le roi ne s’acquitte pas de ses responsabilités, quelqu'un d'autre peut être appelé pour remplir son rôle. Abinadi parle pour le Seigneur, sur son ordre, comme le roi était censé le faire (Mosiah 11:20; 12:1-2; 13:6). C'est parce que le roi et les prêtres ne se sont pas acquittés de leurs responsabilités qu'Abinadi devait être envoyé par le Seigneur: « Avez-vous enseigné à ce peuple qu'il doit s’appliquer à faire toutes ces choses pour garder ces commandements? Je vous dis que non; car si vous l'aviez fait, le Seigneur ne m'aurait pas fait sortir et prophétiser du mal concernant ce peuple » (Mosiah 13:25-26; cf. 12:29).


Il ne faut donc pas s’étonner que le roi Noé, qui ne reconnaît pas sa négligence à l’égard de l'intendance à laquelle il a été divinement ordonné, exige de savoir « qui est Abinadi? » Qui est cet individu non autorisé qui empiète sur mes prérogatives royales et qui a le toupet de déclarer « que moi et mon peuple dev[ons] être jugés par lui »? Mais quand il fait suivre cette question de l’arrogant « Qui est le Seigneur? », la raison pour laquelle il fallait qu’Abinadi soit envoyé devient tout à fait claire (voir Mosiah 11:27 ; italiques ajoutés) [33]. Noé a rompu son alliance avec Dieu, ce qui était la source suprême de son autorité. Plutôt que de se reconnaître comme l’équivalent terrestre du Roi céleste, il cherche à nier l'autorité de ce Roi céleste [34]. C'est pourquoi quand il envoie Abinadi à Noé, le Seigneur dit à ce prophète au sujet de la mort imminente du roi par le feu : « Il saura que je suis le Seigneur » (Mosiah 12:3, italiques ajoutés) [35].


ALMA LE JEUNE


On peut avancer une argumentation quelque peu différente dans le cas d'Alma le Jeune. On prétend  qu’après sa conversion spectaculaire par l’ange, « Alma n'attend pas d’être ordonné par une quelconque autorité humaine. » Même dans ce cas-ci, il est possible qu'Alma le Jeune, fils d'un prêtre, ait été déjà ordonné à un office dans la prêtrise avant sa conversion. Mais il n’y a pas besoin d’ordination pour rendre compte d'une expérience spirituelle et, d’après ce que Mosiah 27:32 nous dit, il ne faisait rien de plus que cela. Il est cependant tout à fait erroné de citer Alma 5:44, 49, 51 comme preuve de l’idée qu’Alma le Jeune ne se réclamait d’aucune autorité autre qu’une conversion spectaculaire, même plus tard dans sa carrière, puisque ce même discours commence par une déclaration ferme de son autorité sacerdotale reçue par ordination: « Moi, Alma, ayant été consacré pour être grand prêtre de l'Église de Dieu par mon père, Alma, lui-même ayant pouvoir et autorité de Dieu de faire ces choses » (Alma 5:3; cf. Mosiah 29:42) [36].


ALMA L'ANCIEN


Si les cas de Léhi, Néphi, Abinadi et Samuel sont relativement ambigus, celui d'Alma l'Ancien ne l'est pas du tout. Il a été valablement ordonné par Noé, qui avait été valablement ordonné par son père, comme nous l’avons vu plus haut. À ce sujet, un auteur soutient que Mosiah 11:5 exclut toute ordination valable par Noé, mais on ne voit pas comment ce passage pourrait dire quoi que ce soit de ce genre [37]. Le fait que Noé n'était pas un juste et qu'Alma lui-même semble avoir violé les lois de Dieu au début de son ministère n'a rien à voir avec son autorité sacerdotale. Sauf si et jusqu'à ce qu’une autorité supérieure de la prêtrise retire la permission d'exercer les fonctions sacerdotales, un détenteur de la prêtrise légitime et ordonné peut continuer à accomplir des ordonnances de la prêtrise qui sont valides – quelle que soit son impiété personnelle, quelque sourd qu’il soit aux chuchotements de l’Esprit et même s'il est très possible qu'il n'exerce jamais sa prêtrise [38]. (Comme notre partisan des « appels sans intermédiaire » l’écrit ailleurs à juste titre [quoique de manière un peu illogique] à un autre endroit de son traitement du sujet : « la dignité n'est pas essentielle pour le fonctionnement de la prêtrise. Si, par exemple, une personne était baptisée par un détenteur de la prêtrise indigne, le baptême serait quand même valable. » [39])


Alma, en fait, affirme détenir son autorité de Dieu (Mosiah 18:13), affirmation que celui qui rédigera l’histoire plus tard reconnaîtra implicitement comme valable (Mosiah 18:18) [40]. De plus, étant donné le vide du pouvoir laissé par l’absence du roi Noé, le peuple implore Alma d'assumer le titre et les prérogatives royaux (Mosiah 23:6). Il refuse le titre mais, par nécessité, il exécutera certains devoirs de la royauté. C'est Alma qui ordonne des prêtres et des instructeurs pour son peuple de bannis au milieu duquel il est en fait la seule source humaine d'autorité (Mosiah 18:18; 23:17). En effet, selon Mosiah 18:18, Alma va ordonner « un prêtre par cinquante » de ses fidèles [41]. Les baptêmes accomplis par Alma nécessitaient le pouvoir et l'autorité de Dieu (Mosiah 18:17). Un auteur écrivant sur des sujets mormons, supposant erronément qu'Alma n'était pas ordonné de manière valide, utilise le livre de Mosiah pour montrer que le mormonisme, à ses débuts, « mettait davantage l’accent sur la nature charismatique ou spirituelle de l'autorité rétablie que sur ses aspects légaux. L'exercice de l'autorité dans les débuts de l'église [mormone] découlait de l’action du Saint-Esprit plutôt qu'exclusivement de l'ordination ou d'une fonction d'un poste dans l'Église. Ce n'est que petit à petit que la description mormone de… l'autorité devient clairement une affaire de légalité et de transmission [42]. » Il en voit un exemple dans le fait supposé que l'autorité de baptiser d'Alma et même « la prétention légale à l'autorité des prêtres et des instructeurs [ordonnés par lui] reposai[ent] en fin de compte sur la réception charismatique de l'autorité par Alma [43]. » Cependant, en interprétant de cette manière l’histoire d'Alma et de son peuple, cet auteur non seulement ignore la prêtrise très réelle clairement détenue par Alma avant la venue d'Abinadi, mais il se trompe gravement à propos du récit du service de baptême d'Alma aux eaux de Mormon [44]. Il lit Mosiah 18:12 et y découvre la prière passionnée d'Alma : « Ô Seigneur, déverse ton Esprit sur ton serviteur, afin qu'il fasse cette œuvre avec sainteté de cœur. » Puis il remarque que le verset qui suit immédiatement dit que « l'Esprit du Seigneur fut sur » Alma, qui affirme avoir « autorité du Dieu Tout-Puissant. » Ayant vu ceci, et ayant confondu succession de faits et lien de cause à effet, notre auteur en conclut que l'autorité d'Alma découle en fait d’une réponse directe à sa prière par laquelle il demandait la « sainteté de cœur », au lieu de découler d'une ordination officielle [45]. Toutefois, le passage en question ne réclame pas une telle déduction et on ne peut même pas dire qu’il la suggère si peu que ce soit. Assurément, les détenteurs de la prêtrise à qui il n’est jamais venu à l’esprit de mettre en doute leur autorité et qui se souviennent bien de l'imposition des mains qui, estiment-ils, leur a donné cette autorité, peuvent comprendre que l’on prie pour avoir l'Esprit avant d'accomplir une ordonnance [46]. Plus tard dans l'histoire néphite, il est montré d'une manière absolument claire que l’autorité de baptiser se reçoit par ordination (3 Néphi 7:25) [47].


L'ÉGLISE DU TEMPS DE MOSIAH II

 

La rupture, par Noé, de l'ordre normal des choses dans la royauté néphite allait avoir des conséquences durables dans l'histoire néphite. Tout d’abord, elle contribua à transformer son ex-prêtre, Alma, en un antimonarchiste fervent. « Voici », dit Alma, qui s’appuie sur la révélation divine [48] aussi bien que sur ses expériences personnelles avec Noé, « il n'est pas opportun que nous ayons un roi; car ainsi dit le Seigneur: Vous n'estimerez pas une chair au-dessus d'une autre, ou un homme ne se considérera pas comme étant au-dessus d'un autre; c'est pourquoi, je vous dis qu'il n'est pas opportun que vous ayez un roi. Néanmoins, s'il était possible que vous eussiez toujours des hommes justes comme rois, il serait bien que vous ayez un roi. Mais souvenez-vous de l'iniquité du roi Noé et de ses prêtres; et moi-même j'ai été pris au piège, et j'ai fait beaucoup de choses qui étaient abominables aux yeux du Seigneur, qui m'ont causé un profond repentir… ne vous [fiez] à aucun homme pour qu'il soit votre roi » (Mosiah 23:7-9, 13). Alma commence sa dénonciation de la royauté en disant que toute chair est égale, mais il ne tarde pas à mentionner la vraie raison pour laquelle il s'oppose à la monarchie, à savoir que le roi pourrait très bien se révéler impie – comme son ancien patron, Noé [49]. (Bien entendu, un roi vraiment juste ne s'estimerait pas meilleur que les autres et ne permettrait pas aux autres de penser cela de lui; voir Mosiah 2:10-19, 26). Plus tard, à Zarahemla, Alma mettra l'accent sur l'égalité dans l'Église, insistant pour que les prêtres et les instructeurs travaillent pour subvenir à leurs besoins plutôt que de se reposer sur les surplus des autres (Mosiah 27:4-5).


Une autre conséquence de l'iniquité de Noé fut, en fait, la création d'une Église néphite. Il est frappant que, dans les petites  plaques de Néphi – c.-à-d., dans la partie du Livre de Mormon précédant Mosiah –  l’on ne trouve pas la moindre mention de l’existence d’une « église » dans le Nouveau Monde, alors que ces mentions sont tout à fait courantes à partir du livre de Mosiah [50]. Il n’est question, dans les petites plaques de Néphi, que d'une seule église ayant une existence réelle, c’est « l’église » à Jérusalem dont Laban était censé être membre (1 Néphi 4:26). Le lien de Laban avec cette « église » est peut-être presque suffisant en soi pour expliquer la non-utilisation de ce terme dans les petites plaques – une non-utilisation que n’interrompent que de rares allusions dont la plupart sont péjoratives. (Ce sont des considérations du même genre qui ont pu être à l’origine du peu d’empressement, dont nous avons déjà parlé, des petites plaques à parler des prêtres et de la prêtrise. Quand les prêtres et la prêtrise sont mentionnés, c'est dans le contexte d'une mise en garde contre le mal que représentent les intrigues de prêtres – un péché qui peut certainement affliger les églises, précisément.) À l'exception de l’unique allusion à une église de Jérusalem au temps de Léhi et d'une autre à l’église de Jérusalem au temps de Jésus et des apôtres (2 Néphi 25:14), les seules apparitions du terme église dans les petites plaques concernent « la grande et abominable Église » eschatologique-apocalyptique (1 Néphi 13:4-6, 8, 26, 28, 32, 34; 14:3, 9-10, 15, 17; 22:13-14, 23; 2 Néphi 6:12; 26:20-21; 28:3, 12, 18) ou, moins communément, l'Église de Dieu eschatologique-apocalyptique (1 Néphi 14:10, 12, 14; 2 Néphi 9:2). Ce qui frappe, encore une fois, c’est que l’on ne trouve ici absolument aucune mention de l’existence d'une église dans le Nouveau Monde, malgré le fait que les petites plaques couvrent pratiquement les cinq premiers siècles de l'histoire néphite.


Rodney Turner fait la réflexion que « le Livre de Mormon n'indique pas la nature exacte et l'importance de l'Eglise, en tant que telle, chez les premiers Néphites [51]. » Si je ne me trompe, cela vient tout simplement du fait que, chez les Néphites, il n'y avait pas d'Église [52]. Turner a raison de dire que, dans un certain sens, « l'Église s’est trouvée sur la terre dans toutes les dispensations de l'Évangile depuis le temps d'Adam. Bien qu’elle soit toujours fondée sur les clefs et les pouvoirs associés à la Prêtrise de Melchisédek et comporte toujours certains points de doctrine et des ordonnances de base, sa structure, en matière d’organisation, dépend des temps et des circonstances dans lesquelles elle est créée. L'Église de chaque dispensation a donc eu une personnalité qui lui était propre [53]. » Mais il ne peut avancer aucune preuve de ce qu'il existait, chez les Néphites d’avant Alma l’Ancien, quelque chose qui ait ne serait-ce qu’une lointaine ressemblance avec ce que nous reconnaissons aujourd'hui comme une organisation de l'Église. Ce n’est qu’avec Alma que nous rencontrons une « Église » distincte dans le vrai sens du mot grec ekklesia. (On se rappellera que ce terme désignait, à l’origine, en grec classique, une assemblée des citoyens convoquée par une sorte de crieur. Ce mot est apparenté au verbe ekkaleo, « convoquer ». La notion de « séparation » lui est inhérente et inévitable.)


Je me rends compte que je tire ici argument du silence des sources, une façon de faire plus ou moins analogue au genre d’argument que j'ai critiqué chez ceux qui militent pour la présence d’appels dans la prêtrise « sans intermédiaire » dans le Livre de Mormon. Libre donc au lecteur d’en faire ce qu’il veut. Une façon de l’évaluer est de le faire en fonction du caractère, plausible ou non, de l’ensemble de ma thèse, dans laquelle cet argument particulier a une place spécifique. Mais je dois dire que l’absence de mention d’une Église dans les premiers temps néphites – systématique sur de nombreuses pages et de nombreuses années, mais seulement dans une partie précise des annales – me semble indiquer plus vraisemblablement quelque chose de significatif que le fait, dans un livre qui n’a nulle part tendance à donner des détails biographiques, de ne pas mentionner, à l’occasion, l’ordination de personnes à la prêtrise.


C'est Alma qui va fonder l'Église chez les Néphites (Mosiah 23:16), dans le sens d'une organisation existant séparément au sein de la société. Il est facile de voir pourquoi il en est ainsi. Le roi, Noé, a renoncé à ses responsabilités traditionnelles dans le système social hiérarchique des Néphites, et Alma a pris sa place comme dirigeant spirituel et source de l'autorité de la prêtrise pour ceux qui avaient rejeté le gouvernement de Noé. La colonie d'Alma est donc devenue un groupe séparatiste comme la communauté presque exactement contemporaine de Qumrān au bord de la mer Morte [54]. Il ne suffisait plus de naître Néphite pour qu'un homme ou une femme fasse partie du peuple de Dieu, tout comme cela ne suffisait certainement plus pour les membres de la secte de Qumrān. On va, au contraire, exiger de quiconque souhaite être compté parmi le peuple de Dieu qu’il prenne une décision personnelle, en son âme et conscience, qu’il fasse une alliance.


Pour Alma et ses disciples, cette décision va s’exprimer par le baptême [55]. « Or, crie Alma à son peuple, je vous le dis, si c'est là le désir de votre cœur, qu'avez-vous qui vous empêche d'être baptisés au nom du Seigneur, en témoignage devant lui que vous avez conclu avec lui l’alliance de le servir et de garder ses commandements, afin qu'il déverse plus abondamment son Esprit sur vous?... Ils furent appelés, à partir de ce moment-là, l'Église de Dieu, ou l'Église du Christ. Et il arrive que quiconque était baptisé par le pouvoir et l'autorité de Dieu était ajouté à son Église » (Mosiah 18:10, 17; cf. 18:13-16; 25:17-18). Même Alma va recevoir l'immersion comme signe de son engagement vis-à-vis du Seigneur (Mosiah 18:4-5) [56].


Un tout petit peu plus tard, le roi Limhi et son peuple vont aussi désirer être baptisés pour exprimer leur engagement à faire la volonté de Dieu. Mais « ils ne se constituèrent pas en Église à ce moment-là » parce qu'« il n'y avait personne dans le pays qui eût l'autorité de Dieu » [57]. Après tout, Alma s'était déjà enfui, de même que les prêtres de Noé, des prêtres corrompus mais valablement ordonnés. Noé était mort et dans des circonstances telles qu’il n’avait pas pu « consacrer » Limhi comme son successeur selon la pratique néphite. (Ammon, le guerrier venu de Zarahemla, qui avait dirigé l'expédition pour les retrouver, avait manifestement l'autorité de la prêtrise, mais se sentait indigne de l'exercer et refusa d'accomplir l'ordonnance du baptême pour eux. (Voir Mosiah 21:33-35 à propos de tout ceci.) Plus tard, quand les groupes dirigés par Alma et Limhi seront réunis à Zarahemla, le peuple de Limhi sera baptisé par Alma. « Oui, et tous ceux qu'il baptisa appartinrent à l'Église de Dieu » (Mosiah 25:17-18).


Il serait naturellement ridicule de prétendre que le baptême était inconnu chez les Néphites avant le temps d'Alma. Les allusions au baptême ne sont pas rares sur les petites plaques. En effet, Moïse 6:52-53, 64 nous apprend qu’Adam connaissait l'ordonnance. Mais il est important de remarquer qu'alors qu’il est dit que le baptême « accomplit tout ce qui est juste », ouvre la porte du salut et nous permet d'obtenir la rémission des péchés, aucun texte des petites plaques ne décrit le baptême comme un rite initiatique pour entrer dans une église, pas plus que dans le cas d’Adam. Il est également important de garder à l’esprit que l'Église et la prêtrise ne sont pas inséparablement liées. Il est possible à la prêtrise d'exister sans Église (bien qu’il soit impossible à la véritable Église d'exister sans la prêtrise) [58]. Comme on l’a souvent remarqué, l'Eglise d'aujourd'hui est simplement l’échafaudage essentiel mais temporaire qui entoure une structure famille éternelle-prêtrise en cours de construction; en attendant que cette construction soit finie à un moment donné du futur postmortel, la prêtrise est transmise par et associée à l'Église. Dans 2 Néphi 31:9, 18, il est clair que le baptême était connu et pratiqué par les premiers Néphites, en accord avec la loi éternelle, comme première étape sur le chemin de la vie éternelle. Nous ignorons dans quelle sorte de société religieuse ou de communauté confessionnelle, s'il y en avait, les personnes entraient par ces premiers baptêmes. En fait, il n'est pas évident du tout que le baptême ait toujours signifié l'entrée dans une église ou que l'entrée dans une église ait toujours fait partie de ce chemin [59].


Je propose, à titre d’hypothèse de travail que les lecteurs et les étudiants du Livre de Mormon devront tester, que la prêtrise des premiers Néphites était transmise et recevait sa structure par l’intermédiaire de la famille et du clan plutôt que par l’intermédiaire d’une structure en forme d'église. De plus, j’avance la proposition que les premiers Néphites trouvaient leur principale identification sociale et religieuse dans le fait même qu'ils étaient Néphites. Dans les tout premiers temps des Néphites dans le Nouveau Monde, il avait fallu, pour pouvoir suivre Néphi, s'engager délibérément, ce qui pouvait exiger des sacrifices pour ceux qui le faisaient. Les prophètes prêchaient le baptême et le recommandaient vivement à ces premiers Néphites comme quelque chose d’agréable à Dieu et de nécessaire pour le salut dans son royaume – mais il était aussi facile pour un Néphite non baptisé de se considérer malgré tout comme membre du peuple de Dieu (tout en étant quelqu’un qui n’en était pas encore arrivé à accomplir une ordonnance importante) que pour certains saints des derniers jours d’aujourd’hui de se sentir membres de l'Eglise, et même membres croyants, même s’ils négligent le service de Sainte-Cène, boivent du café, fument et se marient en dehors du temple. Cependant, à un moment donné, il est apparu qu'être Néphite pouvait devenir, et était peut-être déjà devenu pour beaucoup, une simple affaire de lignage et que par conséquent cela ne nécessitait aucun engagement personnel, en âme et conscience, de servir le Seigneur. Il était évident que les Néphites en tant que tels n'étaient pas le « peuple du Seigneur ». il devenait souhaitable d’avoir une définition plus précise de ce terme et un signe pour savoir qui devait être compté parmi le peuple du Seigneur et qui ne devait pas l’être.


Quoi qu’il en soit, « l'Église », cette innovation créée indirectement par le roi Noé dans le pays de Néphi,  maintint son existence au pays de Zarahemla. Le roi Mosiah accorda à Alma le droit « d'établir des Églises dans tout le pays de Zarahemla », et l'autorisa à « ordonner des prêtres et des instructeurs sur toutes les Églises » (Mosiah 25:19) [60] – une prérogative qui appartenait jusque là à la royauté [61]. En effet, Mosiah donna à Alma autorité sur l'Église (Mosiah 26:8), déléguant ainsi de fait à un autre homme une partie majeure de l'autorité sacrée qui avait traditionnellement été attachée au trône néphite. (Dans ce qui suit, nous verrons que Mosiah se sentait dépassé par les responsabilités qu'il avait en tant que roi. Il était sans doute ravi de se débarrasser de certaines d'entre elles.) Les prêtres dans l'Église de Zarahemla enseignaient à la population ce qu'Alma leur disait d'enseigner (Mosiah 25:21), celui-ci l’ayant de son côté reçu de Dieu, qu'il représentait. C’est ainsi que la hiérarchie pyramidale : roi céleste, roi terrestre, prêtres, instructeurs et peuple, si caractéristique de la pensée et de la pratique des premiers Néphites, survécut sous le nouvel ordre, bien que sous une forme quelque peu différente.

 

Il est vrai que le roi Mosiah semble s’être conservé un conseil de prêtres-conseillers même après l'établissement de l'Église à Zarahemla (Mosiah 27:1). Il est possible que ces hommes soient restés comme corps de prêtres indépendants de la nouvelle Église – la transition d'une structure de prêtrise non ecclésiastique à une structure ecclésiastique ne s'est pas forcément produite en une seule fois ni d’une manière absolument sans heurts – il n'y a aucune raison contraignante de penser que ce fut le cas [62]. Si ce qui s’est passé d’une manière quasiment universelle dans les civilisations évoluées du Vieux Monde vaut également pour les Néphites, leur prêtrise devait être constituée d’un grand nombre des hommes les plus instruits et les plus subtils de la société et elle devait être un réservoir naturel de conseillers talentueux pour le monarque. Il n'y aurait aucune raison, même après l'établissement de l'Église, pour que le roi Mosiah renvoie ses conseillers, quel que fût leur niveau au sein de la prêtrise. Et il vaut effectivement de remarquer que le problème sur lequel ils lui donnent des conseils, selon Mosiah 26:38-27:2, est une question politique dépassant l'Église et s'étendant, en fait, à tous les sujets du roi, membres ou pas. Le roi conservait l'autorité et la responsabilité de traiter ce genre de situations.


Toutefois, les questions de discipline ecclésiastique devaient dorénavant être traitées au sein de l'organisation elle-même, sans que la monarchie doive s’en mêler directement. Mais la création, au sein de la société néphite, d’une Église dont le fait d’en être membre était distinct aussi bien théoriquement que pratiquement de la simple nationalité néphite, fut à l’origine de problèmes sans précédent [63]. Tout d'abord, certains dans la génération montante – ceux qui n'avaient pas fait l'expérience du grand déversement spirituel qui s'était produit lors du sermon d'abdication du roi Benjamin deux décennies auparavant – refusèrent de se faire baptiser ou de se joindre à l'Église (Mosiah 26:1-5) [64]. De son côté, leur influence profane commença à causer des dégâts parmi ceux qui s'étaient déjà inscrits comme membres de l'Église, laquelle se trouvait elle-même déjà bien engagée dans sa deuxième génération. Ces membres de l'Église commencèrent à commettre « beaucoup de péchés », ce qui souleva de toute évidence la question de savoir s’il fallait les discipliner et comment (voir Mosiah 26:6-8) [65].


« Or, rien de tel ne s'était jamais produit dans l'Église; c'est pourquoi, Alma était troublé dans son esprit, et il les fit amener devant le roi. Et il dit au roi: Voici, en voilà beaucoup que nous avons amenés devant toi, qui sont accusés par leurs frères; oui, et ils ont été surpris dans diverses iniquités. Et ils ne se repentent pas de leurs iniquités; c'est pourquoi, nous les avons amenés devant toi, afin que tu les juges selon leurs crimes » (Mosiah 26:10-11).


Les vieilles habitudes ont la vie dure. Ici, Alma – celui qui a des opinions antimonarchiques prononcées – se tourne vers le monarque pour qu’il l’aide à résoudre un grave problème ecclésiastique. Mais il s’est trompé sur son homme, car le roi Mosiah II, lui-même, était probablement le meilleur converti d’Alma aux thèses antimonarchiques. Et, du moins dans ce cas-ci, Mosiah va se montrer plus fermement attaché à ces thèses que le grand prêtre. Il refuse de se mêler du genre de problèmes religieux et ecclésiastiques qu'il a mis sur les épaules d'Alma. Il dit : « Voici, je ne les juge pas ; c'est pourquoi, je les livre entre tes mains pour que tu les juges » (Mosiah 26:12, italiques ajoutés).


Ceci perturbe extrêmement Alma qui n'a maintenant plus aucun autre recours que de prier le Seigneur pour trouver une solution au problème urgent auquel il doit faire face. (Voir Mosiah 26:13. Le roi terrestre, qui, dans la tradition néphite antérieure, avait été la source de l'autorité religieuse et le dernier recours pour les questions religieuses, avait définitivement abandonné ce rôle. Il ne restait que le roi céleste.) En réponse aux supplications ferventes d'Alma, le Seigneur révèle l'idée de l'excommunication, par laquelle « quiconque ne veut pas se repentir de ses péchés, celui-là ne sera pas compté parmi mon peuple » (Mosiah 26:32) [66]. Mise en pratique, cette idée va aboutir à « l'effacement » des noms d'un certain nombre d'anciens adhérents à l'Évangile. « Et il arriva qu'Alma gouverna toutes les affaires de l'Église » (voir Mosiah 26:32, 36-37). Cette idée de l'excommunication était de toute évidence complètement nouvelle pour Alma qui avait grandi sous la vieille idéologie où la naissance permettait aux gens d’être « comptés » parmi le peuple du Seigneur – les Néphites – d'une manière qui ne pouvait pas être « effacée » et où l'identité sociale principale était nationale ou généalogique plutôt que, comme nous le dirions, « intentionnelle » ou « volontaire » [67].

 

À PROPOS DE ROIS ET DE PRÊTRES

 

Quand il apparut qu'aucun de ses fils n'accepterait la royauté, Mosiah proposa l'abolition de la monarchie néphite [68] en des termes qui rappellent fortement la position d'Alma:


« C'est pourquoi, s'il était possible que vous ayez pour rois des hommes justes, qui établiraient les lois de Dieu et jugeraient ce peuple selon ses commandements, oui, si vous pouviez avoir pour rois des hommes qui feraient ce que mon père Benjamin a fait pour ce peuple — je vous dis que si cela pouvait toujours être le cas, alors il serait opportun que vous ayez toujours des rois pour vous gouverner… Maintenant, je vous le dis: parce que tous les hommes ne sont pas justes, il n'est pas opportun que vous ayez un roi ou des rois pour vous gouverner. Car voici, quelle iniquité un seul roi méchant ne fait-il pas commettre, oui, et quelle grande destruction! Oui, souvenez-vous du roi Noé, de sa méchanceté et de ses abominations, et aussi de la méchanceté et des abominations de son peuple. Voyez quelle grande destruction s'est abattue sur eux, et aussi, à cause de leurs iniquités, ils ont été réduits en servitude. » (Mosiah 29:13, 16-18; cf 29: 30-31).


L'exemple du roi Noé est sûrement un indice de ce que les expériences d’Alma et son analyse des événements au pays de Néphi avaient profondément influencé, peut-être d'une façon décisive, la nouvelle position de Mosiah.


Comme Alma, Mosiah parle de la monarchie du point de vue de l'égalité des hommes. Mais bien qu’en surface les deux hommes semblent dire essentiellement la même chose, il y a une différence fondamentale entre leurs deux positions. « Et je vous commande, dit Mosiah, de ne pas avoir de roi, afin que, si ce peuple commet des péchés et des iniquités, ils retombent sur sa tête. Car voici, je vous le dis, les péchés de beaucoup de gens ont été causés par les iniquités de leurs rois; c'est pourquoi, leurs iniquités retombent sur la tête de leurs rois. Et maintenant, je désire que cette inégalité ne soit plus dans ce pays, en particulier parmi ce peuple, qui est le mien… Et le roi Mosiah leur écrivit encore beaucoup d'autres choses, leur dévoilant toutes les épreuves et toutes les préoccupations d'un roi juste, oui, toutes les peines que se donne son âme pour son peuple, et aussi tous les murmures du peuple à son roi; et il leur expliqua tout cela. Et il leur dit que ces choses ne devaient pas être; mais que le fardeau devait tomber sur tout le peuple, afin que chaque homme supportât sa part. » (Mosiah 29:30-34).


Alors qu'Alma, qui n’est pas royal, exprime ses sentiments antimonarchiques à peu près dans les mêmes termes que nous emploierions aujourd'hui, avec notre insistance sur les droits de l’homme et sur l'égalité de toute l'humanité devant Dieu et la loi, Mosiah aborde le sujet du point de vue du roi. (Son approche est très différente de la façon de penser d'un Américain du dix-neuvième siècle que certains critiques du Livre de Mormon prétendent y voir.) Mosiah se fait du souci à propos du fardeau excessif que la royauté impose même à ceux qui s’efforcent consciencieusement de s’acquitter de leurs responsabilités. Après avoir essayé pendant plus de trois décennies de bien exécuter ses devoirs royaux, Mosiah a le sentiment que c'est le roi qui est victime de l'inégalité inhérente au système monarchique néphite. Le souverain supporte non seulement ses propres erreurs, mais risque d’être responsable de celles de ses sujets s'il les a égarés de quelque façon que ce soit, même par inadvertance [69].


Les préoccupations de Mosiah sont réalistes. On retrouve les mêmes idées exprimées par le roi et les gens du commun dans la pièce historique de Shakespeare sur la Vie du roi Henry V. La veille de la bataille décisive d'Agincourt (1415), nous voyons Henry, incapable de dormir, errer parmi ses maigres troupes, déguisé en simple soldat. Il entame une conversation avec certains de ses hommes, mais il n'est pas tout à fait prêt pour ce qu'il va entendre:


 « Bates: Sa cause serait-elle mauvaise, notre obéissance nous laverait de tout crime.

 

« Williams: Oui, mais, si sa cause n'est pas bonne, le roi aura un terrible compte à rendre, quand toutes les jambes, tous les bras, toutes les têtes, enlevés dans la bataille, se rejoindront au jour du jugement et crieront: Nous sommes morts à telle place, les uns jurant, d'autres demandant un chirurgien, d'autres pleurant sur leurs femmes laissées dans la misère, sur des dettes impayées, des enfants subitement orphelins... Eh bien, si ces hommes ne doivent pas bien mourir, c'est une lourde responsabilité pour un roi qui les a obligés à se battre [70]. »

 

Henry, cela se comprend, est profondément troublé par cette façon de voir les choses et il tente, sans grand succès (tout en dissimulant son identité), de la contester. Il ne réussit même pas, semble-t-il, à se convaincre lui-même, et après que ses hommes se sont couchés, nous le voyons au milieu des soldats endormis se disant avec amertume qu’il envie leur existence toute simple tellement libre de responsabilités:


« Tout repose sur le roi! Les vies, les âmes, les dettes, les épouses, les enfants et les péchés! Il nous faut tout porter! O cruelle responsabilité, jumelle de la grandeur! Dépendre du souffle du moindre fou incapable de rien sentir, sauf sa propre souffrance! Que d'infinies satisfactions sont défendues aux rois, qui réjouissent les autres hommes! Et quels avantages ont les rois, dont soient privés les autres hommes excepté l'apparat? Et qu'es-tu, toi l'idole de cet apparat? Quel sorte de dieu es-tu, toi qui souffres plus de maux humains que tes adorateurs? [...] Et craint, tu es moins heureux que ceux qui la craignent! [...] Non, tu n'es qu'un rêve orgueilleux qui s'amuse subtilement du repos d'un roi. Je suis un roi, moi qui te démasque. Je sais que ni le baume, ni le sceptre, ni le globe, ni l'épée, ni la masse, ni la couronne impériale, ni la robe brodée d'or et de perles, ni le titre pompeux qui précède le roi, ni le trône où il s'asseoit, ni la marée d'honneurs qui bat les hauts rivages de ce monde, ni les cérémonies trois fois splendides, ni rien de ce qui repose sur un lit majestueux, ne sauraient nous donner le profond sommeil du misérable esclave! Le corps rempli du pain de la détresse, et l'esprit vide, il peut du moins goûter au repos [...] L'esclave appartenant à une contrée paisible jouit de sa paix; mais sa grossière cervelle ne se rend pas compte combien le roi a dû dépenser de veilles pour maintenir cette paix, dont les heures sont surtout profitables au paysan! [71] »


Qu’on y voie les sentiments de Henry ou ceux de Shakespeare, ce sont là des sentiments tout à fait pré-démocratiques [72]. C’est aussi le cas de ceux du roi Mosiah, bien que nous puissions comprendre qu’un monarque qui règne puisse être enclin à avoir des pensées de monarque !


Mosiah se rappelait peut-être le sort de Noé, qui avait payé pour ses crimes par une mort très douloureuse alors que son peuple semble avoir été épargné. (Bien qu'étant un homme méchant, Noé était néanmoins un roi, un membre d'une petite fraternité très fermée. Dans ce sens limité mais non sans importance, Mosiah pouvait probablement se sentir une certaine proximité avec lui. Peut-être Mosiah se rappelait-il les paroles prononcées par son père Benjamin à la fin d'un règne long, consciencieux et laborieux consacré au service de ses sujets et donc au service de Dieu: « Je vous dis que si vous le serviez, lui qui vous a créés... je dis, si vous le serviez de votre âme tout entière, vous ne seriez encore que des serviteurs inutiles » (voir Mosiah 2:21; cf. 2:17).


Ému par les sentiments manifestement profonds de Mosiah, le peuple accepta son plan d'abolir la monarchie. « C'est pourquoi, il abandonna son désir d'avoir un roi et devint extrêmement anxieux de donner à tout homme une chance égale dans tout le pays; oui, et chaque homme se dit disposé à répondre de ses propres péchés » (Mosiah 29:38).


C’est ainsi que l'institution relativement séculière des juges fut introduite parmi les Néphites et acceptée par eux (Mosiah 29:11, 41-42) pour compléter l'office religieux de « grand prêtre », qui avait déjà été introduit. (Dans un certain sens, ceci ne faisait que rendre officielle la séparation des fonctions que Mosiah et Alma avaient déjà élaborée quelque temps auparavant.) Cependant, le peuple choisit comme premier grand juge Alma le Jeune, qui avait reçu précédemment l'office de grand prêtre de son père, le premier Alma (Mosiah 29:42). Mosiah II n'ayant aucun héritier qui en voulait, Alma le Jeune avait déjà reçu les plaques d'airain, les annales et les interprètes, les reliques sacrées qui, comme nous l'avons vu, constituaient jadis une partie tellement importante du symbolisme de la royauté néphite (Mosiah 28:10, 20). On peut donc légitimement voir dans le fait que le poste de grand juge fut conféré à Alma une tentative de la part du peuple de réunir de nouveau les fonctions laïques et sacrées de la royauté en un seul homme qui, il est vrai, ne porterait pas le titre de « roi », mais n’en remplirait pas moins essentiellement le même rôle. La royauté avait été après tout une institution plutôt populaire. Les frères de Néphi pensaient qu'il convoitait le titre (1 Néphi 16:38) et il avait été obligé plus tard de le refuser de la part de son peuple (2 Néphi 5:18; 6:2). Zénif fut fait roi par la voix du peuple au pays de Néphi (Mosiah 7:9). Le peuple d'Alma chercha à le persuader d’accepter les honneurs royaux, mais il refusa (Mosiah 23:6-7). Et ce ne fut qu'après la supplique passionnée de Mosiah à son peuple qu'« il abandonna son désir d'avoir un roi » (Mosiah 29:38). En outre, la monarchie continua à fasciner et à attirer une partie, au moins, de la population néphite longtemps après son abolition, comme le montrent les efforts répétés accomplis au fil des années pour la restaurer. Alma 51-62, par exemple, rapporte les démêlés de Moroni avec les « hommes-du-roi », qui cherchaient à changer les lois pour rétablir la royauté. 3 Néphi 6:30 fait allusion à une autre tentative encore de mettre un roi sur un trône néphite, et 3 Néphi 7:9-10 décrit un effort dans ce sens qui réussit partiellement et temporairement. De toute évidence, la royauté avait son attrait – et pas seulement pour le chanceux qui, s’il réussissait, obtiendrait le trône.


La tentative manifeste du peuple néphite de contourner le rejet de la royauté par son roi ne réussit cependant pas. Après environ cinq ans seulement, Alma le Jeune renonça à son poste de grand juge (probablement la moins efficace de ses deux fonctions) pour concentrer son attention sur sa fonction de grand prêtre dans laquelle il voyait la solution aux problèmes urgents que rencontrait son peuple (Alma 4:15-20). Plus jamais un roi néphite ne serait à la fois dirigeant religieux et temporel de son peuple. La fonction relativement laïque de grand juge allait perdurer presque jusqu'à la fin de la civilisation néphite, mais nous n'avons aucune trace qu’un grand juge ait jamais ordonné des prêtres; ces ordinations étaient la prérogative des grands prêtres avant la venue du Christ (comme dans Alma 6:1; 3 Néphi 7:25) [73] et puis, après la venue du Christ et la disparition évidente de cette fonction, ce fut celle des « disciples ou anciens de l’Église » (Moroni 3:1) [74]. Les fonctions de la prêtrise furent essentiellement scindées des fonctions gouvernementales, et les deux ne seraient jamais complètement réunies dans la royauté sacrale par laquelle l'histoire des Néphites avait commencé dans le Nouveau Monde. Les objets matériels qui avaient un jour appartenus à la monarchie néphite continuèrent à être passés de génération en génération, mais maintenant par une lignée non royale de grands prêtres et de prophètes (Alma 37:1-47; 63:1-2, 10-13; 3 Néphi 1:2-3; 4 Néphi 1:47-49; Mormon 1:2-5; 4:23; 8:3-5; Moroni 10:2; Joseph Smith–Histoire).


Ce bref coup d’œil sur la question de la prêtrise et de l'autorité dans le livre de Mosiah a révélé un système sous-jacent d’une grande complexité et d’une cohérence remarquable derrière les nombreux petits détails de son récit déjà hautement compliqué. Je ne vois pas comment on pourrait ne pas être impressionné par ce que le livre de Mosiah révèle au sujet de la richesse nuancée du Livre de Mormon. Moi, en tous cas, je l’ai été.

 

NOTES

 

[1] Paul James Toscano, « Priesthood Concepts in the Book of Mormon », Sunstone 13, décembre 1989, p. 8. Je ferai la critique des arguments de Toscano ci-dessous. Je tiens à remercier les professeurs Kent P. Jackson, Monte S. Nyman, Stephen D. Ricks, Charles D. Tate, Jr., et John W. Welch pour leurs précieux commentaires sur les brouillons précédents de cet article. J’assume naturellement seul la responsabilité de mes conclusions que je ne fais qu’avancer qu’à titre d’hypothèses qu’il faut tester d’après les indications que fournit le Livre de Mormon.

[2] Voir John W. Welch et Tim Rathbone, « The Translation of the Book of Mormon: Basic Historical Information », publié par F.A.R.M.S. en même temps que Stephen D. Ricks, « Joseph Smith’s Means and Methods of Translating the Book of Mormon » (WRR-86).

[3] Trois de ces toutes premières utilisations sont des dénonciations des « intrigues de prêtres » par des prophètes. Si on les supprime, le pourcentage tombe à 3,2%.

[4] Alma 6:1 et Moroni 3  montrent, du moins dans l'histoire néphite qui suit la fin du livre de Mosiah, que les « prêtres » et les « instructeurs » étaient clairement ordonnés d'une manière qui n'est pas différente de celle que pratiquent les saints des derniers jours aujourd'hui. Il n'y a aucune raison de croire que les choses étaient différentes aux époques précédentes. On peut argumenter, sur la base de Moroni 2:1 que Moroni 3 représente les instructions données par le Seigneur ressuscité lors de sa visite aux Néphites dans 3 Néphi. Si c’est le cas, il est très clair que la pratique d’ordonner par l’imposition des mains a traversé les dispensations tant avant qu’après l'avènement du Christ. Compte tenu de tous les changements provoqués par l’avènement du Seigneur, la continuité de cette ordonnance est assez impressionnante.

[5] En effet, tant qu’elle a duré, la royauté néphite légitime est restée dans la lignée de Néphi. Mosiah 22:13, par exemple, montre que la royauté principale appartenait à Mosiah et que celle de la lignée zénifite en dérivait et lui était subordonnée. Il est intéressant de remarquer que Mosiah gouvernait un peuple qui était essentiellement celui de Zarahemla, descendant de Mulek -- les prérogatives royales de Mulek (voir Hélaman 6:10; 8:21) avaient été absorbées par celles de la lignée de Néphi (Mosiah 25:2, 13). Nous ne savons pas pourquoi ni comment cela s’est produit, mais de toute façon nous en savons très peu sur les Mulékites. À mon avis, on peut en trouver l'explication dans les idées formulées par John Sorenson, qui voit dans le Livre de Mormon « l'histoire d'une lignée ». Voir John L.. Sorenson, Un environnement pour le Livre de Mormon dans l'Amérique ancienne, pp. 50-56, sur Idumea.

[6] Rodney Turner affirme, à juste titre à mon avis, que Léhi et Néphi et « les rois-prophètes justes qui succédèrent à Néphi » détenaient la Prêtrise de Melchisédek. Voir Turner, « The Three Nephite Churches of Christ », dans The Book of Mormon: The Keystone Scripture, édité par Paul R. Cheesman, Provo, Religious Studies Center, université Brigham Young, 1988, pp. 100-126. Le passage dont il est question ici se trouve à la page 101.

[7] Cela ne devrait pas trop déranger les saints des derniers jours dont les aspirations pour la vie à venir comprennent l'idée de devenir « prêtres et rois » (D&A 76:56). Cet idéal eschatologique peut partiellement expliquer pourquoi le « roi-prêtre » a si souvent été un idéal terrestre également. Il semblerait, en outre, que le Christ, le véritable roi d'Israël, détienne sa royauté comme office sacerdotal.

[8] On trouvera dans John A. Tvedtnes, « Une fête des tabernacles néphite », note 23, affichée sur Idumea, certains des liens bibliques et hébraïques possibles entre la prêtrise et la royauté

[9] Les partisans d’Amlici le consacrent roi dans Alma 2:9.

[10] Bien entendu, le roi Benjamin considérait que servir son peuple en tant que roi revenait exactement à servir Dieu. Voir Mosiah 2:16-17.

[11] N’importe  quelle concordance de la King James Version de la Bible illustrera le premier exemple.

[12] Dans le Proche-Orient médiéval, les imams chiites conservaient de même certains objets comme emblèmes de leur légitimité. Ja'far al-Sadiq (mort vers 767 apr. J.-C.), par exemple, qui était le sixième imam, reçut non seulement la désignation explicite, ou naşş, de son père, Muhammad al-Baqir, mais, nous dit-on, les armes, les livres et les manuscrits du prophète Mahomet. Ceux-ci n'avaient pas seulement leur valeur propre, mais étaient censés contenir la connaissance ésotérique que Gabriel avait donnée au prophète et qui avait été transmise le long de la lignée des imams comme étant leur droit de naissance spécial. Al-Muqtadir, un des derniers califes abbassides à détenir un véritable pouvoir politique, utilisait le bâton et le manteau du prophète comme symboles et preuves de son autorité. On trouvera les deux cas respectivement dans S. H. M. Jafri, Origins and Early Development of Shi'a Islam, Londres et New York, Longman Group, 1979, p. 293; et Roy P. Mottahedeh, Loyalty and Leadership in an Early Islamic Society, Princeton, Princeton University Press, 1980, p. 186.

[13] À propos de l'épée de Laban comme une sorte de trésor de famille royal, voir 2 Néphi 5:14; Jacob 1:10; Paroles de Mormon 1:13; Mosiah 1:16. Dans la Bible hébraïque, l'épée de Goliath est conservée comme trophée. Voir 1 Samuel 21:9; 22:10. L'article de Gordon Thomasson, « Mosiah: The Complex Symbolism and the Symbolic Complex of Kingship in the Book of Mormon », publié par F.A.R.M.S., Preliminary Report TSN-82, propose un certain nombre d'informations intéressantes sur les trophées royaux associés à Mosiah II.

[14] Il est vrai que c’est le peuple qui « confère » le royaume à Limhi, fils de Noé (Mosiah 1926), comme cela semble aussi avoir été le cas pour Benjamin (Mosiah 2:11). Et c’est Zénif qui « confère » le trône à l'un de ses fils, Noé (Mosiah 10:22 ; 11:1), un choix qui se révélera très malheureux (bien que nous ne sachions rien des autres possibilités). Dans l'idéologie de la royauté néphite au cours de cette période, le lignage semble être important, mais il n'y a pas de preuve certaine que les Néphites aient appliqué la règle de la primogéniture. Voir ensemble Mosiah 27:34; 28:10 ; 29:2-3, 6.

[15] D'autre part, l’idéologie lamanite voyait en Néphi un usurpateur (Mosiah 10:14). Pris ensemble, 2 Néphi 5:18-19 et 6:2 peuvent peut-être nous aider à comprendre comment cela pouvait être simultanément le choix de Dieu et celui du peuple qui faisait quelqu’un roi. On peut également tirer argument du Livre de Mormon pour illustrer la loi du consentement commun : le Seigneur révèle son choix de roi et demande ensuite au peuple, par son serviteur désigné, de soutenir cette révélation. Voir D&A 20:63-67; 26:2.

[16] Voir Joseph F. Smith, Doctrine de l'Evangile, éd. française de 1982, p. 111 ; cf. 114.

[17] Cf. D&A 1:38; 68:4.

[18] Cette idée est très courante dans les systèmes hiérarchiques. On peut, par exemple, la remarquer, dans les écrits du Pseudo-Denys (vers 500 apr. J.-C.) parmi les penseurs chrétiens et dans ceux du chiisme ismaïlien parmi les musulmans. De même, ce n'est pas par coïncidence que les diverses présidences et les épiscopats de l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours semblent être le reflet de la Divinité elle-même.

[19] Quand il apparaît aux Néphites, Jésus le fait là où ils se sont rassemblés : au temple au pays d'Abondance (3 Néphi 11:1).

[20] La suggestion de Rodney Turner dans « The Three Nephite Churches of Christ », p. 122, note 19, est séduisante : « Il est très vraisemblable que Zénif a restauré le temple construit à l'origine par Néphi au VIe siècle av. J.-C. (2 Néphi 5:16). Le roi Noé semble avoir transformé ce même temple à une échelle grandiose, le rendant beaucoup plus ouvragé et coûteux que par le passé (Mosiah 11:10). Comme dans le cas de Hérode le Grand, qui transformera le second temple (celui de Zorobabel, Esdras 3), l'entreprise de Noé était à coup sûr plus une affaire de vanité personnelle que de piété véritable. »

[21] En fait, du moins lorsque le groupe d'Alma arrive à Zarahemla et que l'Église y est installée, les instructeurs semblent aussi avoir rempli un rôle de présidence (voir Mosiah 25:20).

[22] Dean C. Jessee, dir. de publ., The Papers of Joseph Smith, vol. 1, Salt Lake City, Deseret Book, 1989, p. 238; cf. 298 pour la version finale de cette « History ».

[23] Je suis convaincu par les articles passionnants de John Tvedtnes, « Une fête des tabernacles néphite » et « Le roi Benjamin et la fête des tabernacles ». Voir aussi sur Idumea, l'article de John W. Welch, Le discours du roi Benjamin dans le contexte des anciennes fêtes israélites ».

[24] Tvedtnes, « Une fête des tabernacles néphite », p. 5.

[25] Alors pourquoi la loi de Moïse joue-t-elle un rôle tellement moindre dans le Livre de Mormon que dans la Bible hébraïque ? En premier lieu, comme me l'a rappelé mon collègue Kent P. Jackson, la loi est en réalité moins mise en évidence dans l'Ancien Testament (en dehors de quelques écrits « sacerdotaux ») que l'on aurait tendance à le croire. Il est clair que l'apôtre Paul en parle plus clairement que les contemporains de Léhi à Jérusalem, du moins d’après ce qu’en disent les livres prophétiques de la Bible. On trouve probablement une autre explication dans le fait qu’une grande partie du livre a été préparée par Mormon, qui écrivait plusieurs siècles après que la venue du Messie eut mis fin à la loi des sacrifices et qui avait autre chose à l'esprit, tandis qu'il le préparait pour les futurs lecteurs, qu’une simple curiosité pour les choses du passé. Dans les petites plaques, qui n'ont pas été retravaillées par Mormon, il y a la curieuse répugnance à parler de prêtres et de prêtrise à laquelle j'ai déjà fait allusion et à laquelle je reviens plus loin. Il y a peut être aussi, et c’est sans doute ce qui est le plus important, le fait que le Livre de Mormon est le livre d'un peuple qui comprenait le rôle subordonné et provisoire de la loi de Moïse et qui avait en son sein la prêtrise supérieure de Melchisédek. Pour ceci, voir Joseph Fielding Smith, Answers to Gospel Questions, vol. 1, Salt Lake City, Deseret Book, 1957, pp. 124-126; John A. Widtsoe, Evidences and Reconciliations: Aids to Faith in a Modern Day, Salt Lake City, Bookcraft, 1943, pp. 188-190.

[26] Voir 2 Néphi 5:26; Jacob 1:18; Jarom 1:11; Mosiah 23:17; 25:19, 21; 26:7; 27:5; Alma 1:3; 14:27; 15:13; 23:4; 30:31; 35:; 45:22-23; Hélaman 3:25 (« grands prêtres » et « instructeurs »); Moroni 3:1, 3-4; 6:1. Ce n'est que dans Alma 4:7 que nous trouvons « et des instructeurs, et des prêtres, et des anciens » (cf. Alma 6:1 pour les prêtres et les anciens), où il est clair que les offices sont simplement mentionnés dans l'ordre inverse. On trouvera une liste dans l'ordre conventionnel dans Moroni  6:1.

[27] Jarom 1:11 connaît une hiérarchie de prophètes, de prêtres et d’instructeurs.

[28] Selon Mosiah 11:11, le roi Noé avait des « grands prêtres ». Il se peut que nous ayons affaire ici à un office analogue à celui de grand prêtre (c'est-à-dire de prêtre de la haute prêtrise par opposition au prêtre de l'ordre d’Aaron) dans l'Église contemporaine, que beaucoup sont en mesure de détenir simultanément. D'autre part, il semble vraisemblable, dans beaucoup d'autres apparitions du terme « grand prêtre » dans le Livre de Mormon, que ce que le terme désignait ressemble davantage -- sans lui être identique -- au grand prêtre de l'Israël ancien dont il n’y avait normalement qu’un à la fois. (Alma l'Ancien, par exemple, était le seul grand prêtre à gouverner l’Église, tant lorsque son peuple et lui étaient en exil [Mosiah 23:16] qu’après leur arrivée à Zarahemla et l'expansion ultérieure de l'Église [Mosiah 26:7]. Par après, peut-être à cause de la taille de l'Église et des difficultés de communication et de centralisation, il y a eu, semble-t-il, des grands prêtres régionaux à Jershon et à Gédéon (Alma 30:20-21) et très vraisemblablement ailleurs - peut-être subordonnés au grand prêtre suprême, dans ce cas Alma le Jeune, résidant dans la capitale de Zarahemla (Alma 30:29 ; cf. 46:6, 38; Hélaman 3:25; 3 Néphi 6:21-22, 27). Les grands prêtres multiples au même endroit ont pu simplement être une autre des inventions apostates et grandiloquentes du roi Noé, qui avait tendance à échanger partout la simplicité néphite contre le faste et l'outrance.

[29] Dans Alma 23:16, le roi des Anti-Néphi-Léhis consulte, lui aussi, ses prêtres. Nous ne savons pas s'il se conformait là aux coutumes lamanites ou s'il adoptait simplement les habitudes néphites comme il avait adopté la religion néphite. Le Livre de Mormon ne dit pas grand-chose sur les Lamanites. Voir Sorenson, Un environnement pour le Livre de Mormon dans l'Amérique ancienne, pages 50-56.

[30] Toscano, « Priesthood Concepts in the Book of Mormon », p. 13. La question doit être examinée parce que le point de vue représenté dans la citation qui précède directement n'est pas seulement erroné mais, j'en suis fermement convaincu, constitue un danger immense pour l'ordre de l'Église. Dans l'histoire du Rétablissement se sont présentés pas mal de gens qui voulaient redresser l'arche, qui ont estimé que c'était leur droit et leur devoir de guider l’Église, d'en arracher la direction à ceux que Dieu avait appelés pour en assumer la présidence. Il y en a même actuellement qui prétendent que l'Église est sous la direction de « sous-fifres » et laissent entendre d'une manière pas trop subtile que le « premier violon », eh bien, euh, est tout simplement trop modeste pour dire son nom.

[31] Voir id., pp. 12-13 pour la présentation de la théorie des « appels sans intermédiaire » et les cas qui sont censés illustrer les appels dont je parle. Il vaut la peine de mentionner ici que quel qu'ait pu être le cas au commencement des temps néphites, la façon d’ordonner à la prêtrise a été prescrite et standardisée par Jésus quand il est apparu à Abondance. Voir 3 Néphi 11; 18; Moroni 2-3.

[32] Voir de nouveau Sorenson, Un environnement pour le Livre de Mormon dans l'Amérique ancienne, pp. 50-56.

[33] Le Pharaon avait posé exactement la même question à Moïse et à Aaron (Exode 5:2; cf. Coran 26:23-29). Caïn l’avait également posée sous forme de question rhétorique (Moïse 5:16). Comparez aussi avec le discours de Rabschaké dans 2 Rois 18:35.

[34] Comparez avec le Pharaon du Coran 26:29 : Après avoir demandé avec arrogance à Moïse et à Aaron qui est au juste le Seigneur, il dit (je traduis de l'arabe) : « Si vous prenez un Dieu autre que moi, je vous fais emprisonner ! »

[35] Soit dit en passant , la mort de Noé dans les flammes est un symbole tout à fait indiqué quand on la voit à la lumière des paroles de Benjamin dans Mosiah 2:36-38.

[36] Il est déconcertant de voir que Toscano, dans « Priesthood Concepts in the Book of Mormon », p. 12, cite Alma 5:3 et 5:44 presque complètement sur la même page pour illustrer « l'appel sans intermédiaire » d'Alma. Ces passages démontrent exactement l'inverse. Jacob 1:17 et 2:11 sont utilisés de la même façon pour illustrer le fait que l'appel de Jacob venait directement de Dieu, mais 2 Néphi 5:26, 6:2 et Jacob 1:18 rapportent l'ordination de Jacob par son frère Néphi. Toscano semble parfois simplement prétendre que la direction divine est nécessaire pour faire des détenteurs de la prêtrise des instruments pleinement efficaces entre les mains de Dieu. C'est là une affirmation incontestable, mais malheureusement, il veut souvent aller au-delà.

[37] Voir id., p. 13.

[38] L’Église chrétienne ancienne dut affronter ce problème sous la forme du schisme donatiste, qui fut finalement déclaré hérétique en 405 apr. J.-C. Les donatistes affirmaient que l'impiété chez un évêque ou un prêtre rendait invalide toutes les ordonnances qu'il avait pu accomplir. Toutefois, le synode d'Arles décida en 314 que la validité des baptêmes, des ordinations et autres ne dépendait pas de la dignité ou du mérite de l'officiant. (Pour ce qui est des donatistes et des mouvements apparentés, les novatianistes et les mélétiens, voir David Christie-Murray, A History of Heresy, Oxford et New York, Oxford University Press, 1989, pp. 96-97. C'est vrai qu'à cette période l’Église chrétienne était essentiellement apostate, mais les saints des derniers jours adoptent fondamentalement la même position et cela à bon droit. Si des péchés graves, en tant que tels, rendaient invalides les ordonnances de la prêtrise, nous ne pourrions jamais savoir qui aurait contracté un mariage légal ni qui serait véritablement membre de l'Église. L'homme qui vous a ordonné à la prêtrise avait-il commis en secret un péché dont il ne s'était pas repenti ? Alors votre ordination n'est pas valable. Votre mission a été illégitime, les convertis que vous avez baptisés sont en réalité des non-membres, vous vivez en adultère puisque que vous n'auriez jamais dû être admis au temple [N.d.T. : dans le système américain où le mariage civil ne doit pas obligatoirement précéder le mariage religieux et où le mariage au temple vaut mariage civil]. Ceux de vos convertis qui auraient fait une mission et auraient baptisé seraient aussi des fraudeurs et les conséquences font boule de neige d'une manière tout à fait et imprévisible. Comment pourrions-nous jamais être sûrs de quelque chose ?

[39] Toscano, « Priesthood Concepts in the Book of Mormon », p. 16.

[40] Alma était descendant de Néphi (Mosiah 17:2), un fait qui peut éventuellement avoir son importance dans la discussion concernant son autorité sacerdotale, puisque nous ne savons pas exactement comment la prêtrise fonctionnait ou était attribuée chez les Néphites. Il est certain que la plupart si pas tous les prêtres et les rois qui sont mentionnés jusqu'ici dans le Livre de Mormon étaient de la lignée de Néphi.

[41] Soit dit en passant, ceci paraît très mécanique quand on l'oppose à l'affirmation de Toscano, « Priesthood Concepts in the Book of Mormon », p. 10, que dans le Livre de Mormon, « l'appel que l'on avait dans la structure sacerdotale n'était pas tellement déterminé par les besoins de l'Église que par les dons personnels de ceux qui étaient ordonnés ». Toscano parle en particulier de la période qui suit la visite du Christ en Amérique, mais il apparaît qu'il tiendrait le même raisonnement pour la totalité des annales néphites. Son point de vue, que je crois tout simplement inexact, semble sous-entendre une critique indirecte à l'égard de l'Église d'aujourd'hui.

[42] Dan Vogel, Religious Seekers and the Advent de of Mormonism, Salt Lake City, Signature Books, 1988, p. 101. Vogel essaie d'assimiler le mormonisme en cours de formation à un soi-disant mouvement religieux américain du passé qu'ils appelle « Seekerism » [N.d.T. : Littéralement : Chercheurisme]. Mais voyez la critique de son livre par Grant Underwood dans BYU Studies 3, hiver 1990, pp. 120-126 et Daniel C. Peterson, Journal for the Scientific Study of Religion 30, mars 1991 , pp. 127-128, 130.

[43] Dan Vogel, Religious Seekers and the Advent of Mormonism, pp. 102-103. Comparer avec la page 104: « Au début de l'Église mormone, l'autorité imitait à l'origine un modèle du même genre de pouvoir charismatique ou spirituel et non l'ordination à la prêtrise. » En utilisant de cette manière l’épisode d’Alma et des eaux de Mormon, M. Vogel veut étayer son point de vue que l'ordination d'Oliver Cowdery et de Joseph Smith à la Prêtrise d’Aaron par l’ange s'est produite après coup. Toutefois, si ma lecture du livre de Mosiah est correcte, Alma et ses partisans et toute la complexité des lignées de la prêtrise qui entoure l’histoire, est en réalité la preuve indirecte de ce que les affirmations ultérieures d'Oliver et de Joseph (auxquelles fait écho Orson Pratt) que c'était parce qu'ils s'interrogeaient sur l'autorité qu'ils en vinrent à se rendre au bord de la Susquehanna en mai 1829 ne sont pas des projections suspectes dans le passé. (Welch et Rathbone, « The Translation of the Book of Mormon: Basic Historical Information », p 34, situe la traduction de Mosiah en avril 1829, environ un mois seulement avant la réception de la Prêtrise d'Aaron.) On trouvera ces affirmations dans Richard L. Bushman, Joseph Smith and the Beginnings of Mormonism, Urbana et Chcago, University of Illinois Press, 1984, pp. 100-101 et Milton V . Backman, Jr., Eyewitness Accounts of the Restoration, Salt Lake City, Deseret Book, 1986, pp. 107-112.

[44] On trouvera son interprétation à ce sujet dans Vogel, Religious Seekers and the Advent of Mormonism, pp. 102-103.

[45] Cette erreur élémentaire de logique porte communément le nom de post hoc, ergo propter hoc,  c.-à-d. en gros: « Si ceci vient après cela, alors c'est à cause de cela »). On l’illustre souvent en utilisant l'image du coq qui pense que c’est son cocorico qui fait que le soleil se lève chaque matin. M. Vogel aurait mieux fait de citer Mosiah 18:26, ou l'expression « forts dans l’Esprit » semble véritablement rendre les hommes capables « d'enseigner avec puissance et autorité de Dieu » (cf. Mt 7:28-29). Le problème que pose ce verset pour ce qu'il essaie de démontrer est que les hommes en question sont déjà ordonnés prêtres. Et de plus, enseigner « avec autorité » sur un sujet est quelque chose de potentiellement tout à fait différent de simplement avoir l'autorité de la prêtrise pour accomplir une ordonnance. Ce peut être une affaire de connaissance, de compréhension, d’expérience ou de sensibilité spirituelle. Au-delà d'un minimum absolu, aucune de ces qualités (quelque désirables qu'elles soient) n'est vraiment nécessaire pour que l'ordonnance de la prêtrise soit valable.

[46] Alma était prophète et prêtre et par conséquent se souciait particulièrement, quoique étant incontestablement ordonné à la prêtrise, de l’esprit (ou Esprit) dans lequel il agissait. L'opposition entre légalisme et charisme, entre prêtre et prophète, est un vieux cliché et, comme beaucoup de clichés, contient une part de vérité. (Quelqu’un qui aimait particulièrement cela dans les cercles plus ou moins mormons, c'était E. E. Ericksen. Voir Scott G. Kenney, dir. de publ, Memories and Reflections: The Autobiography of E. E Ericksen , Salt Lake City, Signature Books, 1987, xii, pp. 208-209.) Mais ce n'est vrai qu'accidentellement et pas essentiellement. (L’Hébreu Samuel était-il prophète ou prêtre ? Et Jean-Baptiste ?) Même les prêtres du roi Noé prétendaient comprendre la prophétie (Mosiah 12:25).

[47] C’est également la cas pour la question de la bénédiction de la Sainte-Cène. Voir 3 Néphi 18:5. Le passage qui traite de l'ordination pour avoir l'autorité de baptiser fut probablement traduit tout au plus dans les cinq semaines qui suivirent le compte-rendu de l'histoire d'Alma et des eaux de Mormon. (Voir Welch et Rathbone, « The Translation of the Book of Mormon: Basic Historical Information », pp. 34-35.) Si l’on croit, comme je pense que c'est le cas de M. Vogel, que c’est Joseph Smith qui est en train de  créer le Livre de Mormon pendant cette période, on ne voit pas comment il aurait trouvé le temps d’effectuer une évolution théologique (ou ecclésiologique) majeure d'une partie du livre à l'autre.

[48] Peut-être se rappelle-t-il ici la révélation qu'il avait lui-même reçue et à laquelle il est fait allusion dans Mosiah 18:21-29. Toutefois, la doctrine que « le Seigneur estime toute chair de la même manière » est attestée dès la période la plus reculée de la colonie léhite (1 Néphi 17:35).

[49] Ce qui prouve qu'Alma prenait très au sérieux la question de l’égalité, c'est le fait qu'il insiste pour que ses prêtres, tant dans le désert (Mosiah 18:24-26) qu’à Zarahemla (Mosiah 27:4-5), travaillent pour assurer leur entretien. C’était clairement contraire à la façon de faire des prêtres du roi Noé dont Alma avait précédemment fait partie (Mosiah 11:6-14).

[50] On pourrait tirer argument de 3 Néphi 5:13, avec sa mention de « la première Église qui fut établie parmi [le peuple d’Alma l’Ancien] après leur transgression » pour dire qu'il a dû y avoir des églises avant le temps d'Alma. Mais le passage me semble trop ambigu pour justifier des conclusions précises. Il pourrait tout aussi bien vouloir dire que l'Église d’Alma était tout simplement « la première Église » et qu'elle avait été établie après la transgression du peuple (sous Noé?).

[51] Turner, « The Three Nephite Churches of Christ », p. 102.

[52] Turner affirme que « s'il est clair que Néphi et ses successeurs ont parlé du Christ au peuple, il n'y a aucune indication dans les textes que les premiers Néphites avaient une organisation ecclésiastique indépendante de celle qui était associée à la loi de Moïse. » Id., p. 120, n. 5. Cependant, beaucoup d'éléments importants de « l'organisation ecclésiastique... associée à la loi de Moïse » semblent eux-mêmes être absents du Livre de Mormon. Il semble, par exemple, qu'il n'y ait pas eu de Lévites dans le Nouveau Monde. (Ce fait est relevé par Smith, Answers to Gospel Questions, 1:124.)

[53] Turner, « The Three Nephite Churches of Christ », p. 100.

[54] Voir le traitement par Hugh Nibley de « Qumran and the Waters of Mormon » dans An Approach to the Book of Mormon, vol. 6 de Collected Works of Hugh Nibley, Salt Lake City, Deseret Book et F.A.R.M.S., 1988, pp. 13-193. Pour la datation des Esséniens de Qumran, voir Helmut Koester, History, Culture, and Religion of the Hellenistic Age, Philadelphie, Fortress Press, 1982, pp. 234-239.

[55] Les sectateurs de Qumran mettent aussi l'accent sur les ablutions rituelles, qui peuvent être en rapport avec le baptême chrétien. Voir à ce sujet William S. LaSor, The Dead Sea Scrolls and the New Testament, Grand Rapids, Eerdmans, 1972, pp. 40, 70-71, 134, 149-151; William S. LaSor, The Dead Sea Scrolls and the Christian Faith, Chicago, Moody, 1962, pp. 78-80, 203-206, 208, 221, 236-239; F. F.Bruce, Second Thoughts on the Dead Sea crolls, Grand Rapids, Eerdmans, 1975, pp. 50-51, 118, 128, 133-134, 136, 140, 142, 149, 151.

[56] Il faut remarquer ici qu'il n'y a pas d'explication claire de ce qu’est le baptême. Il se peut que le peuple d’Alma ait déjà été baptisé. Il s'agissait peut-être ici d'un rebaptême exprimant un nouvel engagement, un peu dans le genre des rebaptêmes accomplis pendant ce qui a été appelé « la réforme mormone » au début de l'Utah. Le fait qu’Alma s'immerge lui-même peut nous paraître un peu étrange, mais n'est pas incompréhensible. Jean-Baptiste a ordonné Oliver Cowdery et Joseph Smith, qui se sont ensuite baptisés mutuellement avec l'autorité que chacun d'eux avait reçue. Parmi le peuple d'Alma, il était le seul à avoir une telle autorité.

[57] Encore une fois, ce passage est très révélateur. De toute évidence, Limhi n’acceptait pas l'idée d'appels « sans intermédiaire ».

[58] Widtsoe, Evidences and Reconciliations, p. 177 montre qu'il est possible que la prêtrise existe indépendamment d'une église ; après tout, l'autorité de la prêtrise est nécessaire avant une organisation ecclésiastique approuvée par Dieu

[59] De qu'elle église Adam est-il devenu membre en recevant le baptême rapporté dans Moïse 7 ? Maintenant que j'ai énoncé mon point de vue, il est essentiel que je me fasse bien comprendre. Je ne veux pas dire par là que l'on peut obtenir la vie éternelle sans les ordonnances de la prêtrise et je n'affirme en aucun cas que ces ordonnances sont disponibles ou valables dans notre dispensation indépendamment de l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. John A. Widtsoe, après avoir fait la réflexion que la prêtrise peut exister indépendamment d'une organisation ecclésiastique et que c'est ce qui s'est passé à l’occasion, n'en déclare pas moins : « Quand l’Église existe, toute personne qui détient la prêtrise doit exercer son pouvoir en vertu des lois et de l'autorité de l'Église. Par conséquent aucun pouvoir de la prêtrise n'est reconnu sur la terre en dehors de l'Église » (Widtsoe, Evidences and Reconciliations, p. 177-178). Je suis tout à fait d'accord. Je n’ai aucunement l'intention de proposer de l'aide ou du réconfort aux schismatiques et aux francs-tireurs religieux.

[60] L'organisation générale était appelée « l’Église », mais elle était constituée d'unités locales subordonnées également appelées « Églises ». (Il y avait, dans Zarahemla même, sept de ces unités locales. Voir Mosiah 25:20-23.)

[61] Ou, dans les tout premiers temps, aux chefs de lignée, de famille ou de clan qui remplissaient effectivement les fonctions de roi comme c'est clairement le cas de Néphi. Voir 2 Néphi 5:18, 26; 6:2. Néanmoins l'argument de Rodney Turner est valable : « Si Mosiah a accordé à Alma le droit légal » d’organiser des Églises à Zarahemla, « il est évident... qu’Alma n'avait pas reçu son autorité originelle de ce roi-prophète. » Turner, « The Three  Nephite Churches of Christ », p 106.

[62] Toscano, « Priesthood Concepts in the Book of Mormon », p. 9, les considère comme un corps sacerdotal permanent et indépendant.

[63] En plus du problème traité dans le texte, on pourrait remarquer que la seule allusion à des « intrigues de prêtres » existant historiquement dans tout le Livre de Mormon se trouve dans Alma 1 (dans 1:12, 16), immédiatement après l'organisation d'une « Église » existant séparément. Comme Alma le Jeune le dit à Néhor : « Voici, c'est la première fois que les intrigues de prêtres sont introduites parmi ce peuple. » Néphi, dans 2 Néphi 26:29, avait défini l'infraction en disant : « Les intrigues de prêtres, c'est que les hommes prêchent et se posent en lumière pour le monde, afin d'obtenir du gain et les louanges du monde. » Peut-être que la raison pour laquelle elles se produisaient maintenant était que, par contraste avec le système néphite précédent, où c'étaient les rois (qui, en vertu de leur rang même, ne manquaient  pas de gloire ni, probablement, de tout ce qui était accessible aux Néphites en fait de richesses) qui présidaient la prêtrise, le fait que la prêtrise était séparée d'une direction basée sur le lignage ouvrait maintenant la voie « ecclésiastique » à la puissance, à la gloire et au succès à des gens qui sinon n'y auraient pas eu accès. Les événements récents dans le télévangélisme ont montré à quel point la religion peut servir de moyen pour se hisser, même pour ceux qui commencent sans avoir beaucoup de richesses ou d'instruction.

[64] Ce fait montre, de manière implicite, que « l’Église » à Zarahemla était destinée à tous les habitants de l'endroit et pas simplement aux réfugiés du pays de Néphi. L'organisation de l'Église par Mosiah et Alma représentait une restructuration majeure de la société à Zarahemla.

[65] Dans une communauté d'intention, comme c'était le cas de l'Église, on devait se demander à quel point on pouvait pécher avant qu'il ne devienne manifeste que l'intention de la personne de servir Dieu avait cessé d'exister. Et si cette intention avait disparu, pouvait-elle encore être considérée valablement comme membre de cette communauté ? (C'était une question importante au début de l'Islam. Par eux-mêmes, les péchés graves faisaient-ils que quelqu’un cesse d'être musulman ? La foi seule suffisait-elle ? Et les œuvres ?) De telles questions ne se posaient pas lorsque la simple citoyenneté néphite faisait d'une personne un membre du peuple de Dieu, sans décision personnelle.

[66] Quelqu'un m’a suggéré que Mosiah 5:8-12 contient la notion de l'excommunication. Mais ce passage paraît plutôt faire allusion à des événements du jugement postmortel, c'est-à-dire pas l'excommunication par rapport à une Église terrestre mais « l'excommunication » bien plus grave, en fait spirituellement fatale, « par rapport à la présence du Seigneur.

[67] Apparemment beaucoup de Néphites continuèrent à se considérer comme le peuple élu du Seigneur tout simplement sur la base de leur généalogie et le Seigneur continuait clairement à rejeter une attitude aussi suffisante. Notez, par exemple, le martèlement de cet avertissement lancé contre « ce peuple », les Néphites (maintes fois répété, dans une intention tout à fait délibérée) par Samuel le Lamanite dans Hélaman 13:5-6. Il n’y a d'espérance que pour « son peuple » (c'est-à-dire celui du Christ ; italiques ajoutés), qui n'est pas nécessairement le même groupe.

[68] On pourrait croire que la décision de Mosiah d'abolir la monarchie venait tout simplement du fait qu'il n'y avait personne dans sa famille qui voulait l'accepter et qu'il n'avait pas le choix. Mais en réalité la décision de ses fils de renoncer à leurs droits héréditaires lui donnait un choix que de lui-même il n'avait pas tout à fait le droit de faire. Lorsque la décision fut exclusivement la sienne, il put agir en fonction de ce principe sans craindre de léser les princes qu’étaient ses fils.

[69] Voilà qui en dit long sur la personnalité de Mosiah II! (Surtout par contraste avec le roi Noé). Il est clair que le roi se faisait également du souci à propos de la menace potentielle que la poursuite de l'existence de la monarchie pouvait présenter pour son héritier (voir Mosiah 25:6-9).

[70] The Life of Henry V, acte 4, scène 1, lignes 138-152.

[71] Id., acte 4, scène 1, lignes 247-301. Le Henry de Shakespeare est vivement conscient du fait que le roi, bien qu’accablé par des responsabilités plus qu’ordinaires, n'est qu'un homme. C'est ainsi qu'aux lignes 105-114 du même acte et de la même scène ces paroles ironiques (il est toujours déguisé en homme du commun) lancent un message grave : « Je pense que le roi n'est qu'un homme, comme moi : la violette a pour lui la même odeur que pour moi ; les éléments se montrent à lui comme ils se montrent à moi ; tous ses sens n’ont que la condition humaine : une fois ses cérémonies mises de côté, dans sa nudité il n'apparaît que comme un homme ; et même si ses sentiments sont plus élevés que les nôtres, néanmoins, quand ils s'abaissent, ils s’abaissent de la même aile. C'est pourquoi quand il voit des raisons de craindre, comme nous craignons, ses craintes, à cause du doute, sont du même goût que les nôtres. » Comparez avec les sentiments exprimés par le roi Benjamin, père de Mosiah II dans Mosiah 2:10-11: « Je ne vous ai pas commandé de monter ici pour que vous me craigniez, ou pour que vous pensiez que, de moi-même, je suis plus qu'un homme mortel. Mais je suis semblable à vous, sujet à toutes sortes d'infirmités de corps et d'esprit; cependant j'ai été choisi par ce peuple, et consacré par mon père, et la main du Seigneur a permis que je sois gouverneur et roi de ce peuple. » Ni le point de vue de Henry, ni celui de Benjamin ne doivent être considérés comme démocratiques, mais simplement réalistes.

[72] L'historien britannique distingué A. L. Rowse, dans son commentaire sur ce passage, fait la réflexion: « Je crains que cela ne trahisse, comme d'habitude, l'opinion qu'entretient Shakespeare sur l'homme moyen : pas très démocratique, pas de sornettes. » Voir A. L. Rowse, The Annotated Shakespeare, 3 vol., New York, Potter, 1978, 2:537.

[73] Ammon, Aaron, Omner et Himni, les quatre fils de Mosiah II, ont consacré des prêtres chez les Lamanites (Alma 23:4), mais il n'y a aucune raison, en dépit de leur quatorze années d'absence (Alma 23:4) de supposer qu'ils l’ont fait indépendamment de l'autorité de la prêtrise inhérente à l'Église néphite. Plus tard, Ammon au moins apparaît comme ecclésiastiquement subordonné à Alma le Jeune (Alma 30:20, 30).

[74] La fonction de grand prêtre n'est pas mentionnée au-delà de 3 Néphi 6:21-22, 27, époque à laquelle elle s'était clairement corrompue.