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Pourquoi Giddianhi était-il tellement poli ?
Par Book of Mormon Central
18 septembre 2016
« Lachonéus,
très noble gouverneur en chef du pays, voici, je t'écris cette épître et
te loue extrêmement. »
Ce que l’on sait
Dans la seizième année depuis le signe de la naissance du Christ, « Lachonéus,
le gouverneur du pays, reçut une épître du chef et gouverneur [d’une]
bande de brigands »,
qui s’appelait Giddianhi (3 Néphi 3:1).
Giddianhi commence sa lettre amicalement. « Lachonéus,
très noble gouverneur en chef du pays, voici, je t'écris cette épître et
te loue extrêmement de ta fermeté...
oui, vous tenez bon, comme si vous étiez soutenus par la main d'un dieu »
(v.
2).
Un ton aussi cordial venant du chef des brigands de Gadianton est tout à
fait surprenant et ce qui l’est encore plus, c’est que sa lettre respecte
plusieurs conventions de politesse propres au monde antique. Par exemple,
dans son introduction, il mentionne d’abord Lachonéus avec déférence comme
c’était la coutume dans le « format hittite-syrien, néo-assyrien, d’Amarna
et hébreu ancien », ainsi que dans le Livre de Mormon lui-même [1].
Sa lettre reflète également les formules de politesse que l’on trouve dans
lettres égyptiennes antiques [2]. Selon Kim Ridealgh, « lorsqu’un
subordonné écrit à son supérieur, une longue introduction officielle est
nécessaire parallèlement à des flatteries serviles [3]. »
C’est clairement le cas dans la lettre de Giddianhi, dont les commentaires
introductifs sont saturés d’une louange et d’une flatterie excessives
(voir 3 Néphi 3:2-3
).
En outre, lorsqu’ils faisaient des demandes impératives, les auteurs de
lettres égyptiennes antiques introduisaient souvent la demande en disant
« lorsque ma lettre te parviendra », comme dans l’exemple suivant :
« Lorsque ma lettre te parviendra, tu libéreras cet homme [4]. »
Selon
Ridealgh, « ces formules semblent avoir une importance culturelle profonde
et reflètent peut-être même une forme de ‘politesse’ [5]. »
Avant de faire une demande officielle à Lachonéus, Giddianhi se met de
même en scène comme auteur de sa lettre : « C'est
pourquoi j'ai écrit cette épître,
la scellant de ma main...
C'est pourquoi je vous écris,
désirant que vous livriez à ce peuple qui est le mien, vos villes, vos
terres et vos possessions »
(3
Néphi 3:5–6, italiques ajoutés) [6].
La rhétorique de
Giddianhi se conforme aussi d’une manière plus générale aux stratégies
reconnues dans la théorie de la politesse. Par exemple, tout au long de sa
lettre il exprime des louanges pour Lachonéus et ses hommes [7], de
la réticence pour leur conflit imminent [8], de la
sympathie pour leur bien-être [9], des expressions que l’on utilise en
s’adressant à un groupe [10], propose une coopération mutuelle [11]
et agit même comme s’il était un médiateur entre ces groupes, se
positionnant comme un protecteur qui pourrait sauver les Néphites de ses
propres brigands [12].
Quand on l’analyse à la lumière de la théorie fondatrice de la politesse
élaborée par Penelope Brown et Stephen C. Levinson, la stratégie
persuasive et les motivations de Giddianhi sont plus faciles à repérer et
à comprendre. Brown et Levinson résument comme suit :
« Au cœur de notre modèle il y a la notion très abstraite de « face », qui
se compose de deux types spécifiques de désirs que des gens qui se parlent
s’attribuent mutuellement : le désir d’être libre de ses actes (c’est la
face négative) et le désir (à certains égards) d’être approuvé (c’est la
face positive). C’est un mécanisme de base que nous croyons être universel
[13]. »
Lorsqu’on applique ce modèle à la lettre de Giddianhi, sa louange, sa
sympathie, sa façon de traiter de groupe à groupe et ses tentatives de
coopération peuvent être considérées comme des efforts pour conserver le
respect ou obtenir l’approbation des Néphites (face positive) [14].
Et la réticence qu’il exprime à envoyer ses hommes contre les Néphites
peut être considérée comme un désir pour la forme de ne pas empiéter sur
le besoin de liberté et d’indépendance des Néphites (face négative) [15].
Ainsi, à plusieurs égards, sa lettre fournit des exemples classiques de
stratégies de persuasion.
En outre, parce que l’épître de Giddianhi était susceptible d’être lue par
plusieurs personnes et peut-être même lue au grand public, elle peut être
raisonnablement classée comme étant une lettre ouverte[16].
Selon Brown et Levinson, quelqu’un qui adresse une lettre ouverte pourrait
chercher stratégiquement à « mobiliser la pression publique contre le
destinataire ou à l’appui de lui-même ; il peut être apprécié pour son
honnêteté, parce qu’il montre qu’il fait confiance à son destinataire ; il
peut être apprécié pour son pour franc-parler, évitant le danger d’être vu
comme un manipulateur ; [et] il peut éviter le risque d’être mal compris
[17]. »
Plusieurs des stratégies de Giddianhi, telles que la hardiesse et la
transparence quant à ses intentions, semblent correspondre d’une manière
générale à cette liste. Il est même possible que Giddianhi ait donné un
compte à rebours de la destruction imminente comme une forme de pression
publique, une motivation pour que le plus grand nombre possible de
Néphites fassent dissidence de leur gouvernement et se rallient à sa cause
[18].
Le pourquoi
Bien que les efforts de persuasion ne soient pas foncièrement mauvais, la
rhétorique utilisée par Giddianhi visait clairement à manipuler et à
prendre le contrôle de la nation néphite. D’une manière qui est à la fois
typiquement ancienne et aussi universelle sur le plan culturel, sa lettre
montre ce qu’il faut entendre par « flatterie
et [une] grande puissance de parole, selon le pouvoir du diable »
(Jacob
7:4
).
Malgré ses tentatives de se gagner les faveurs des Néphites, Giddianhi ne
pouvait pas leur dire ce qu’il avait derrière la tête, pas plus qu’il ne
pouvait voiler complètement la gravité et les conséquences réelles de ce
qu’il proposait : la fin de leur liberté religieuse et politique [19].
Ironie des choses, les tentatives ouvertes et éhontées de flatterie et de
persuasion de Giddianhi se sont retournées contre lui. Au lieu d’être
charmé ou impressionné, Lachonéus « fut
extrêmement étonné de l'audace de Giddianhi à exiger la possession du pays
des Néphites, et aussi à menacer le peuple »
(3
Néphi 3:11).
Et au lieu de trembler de peur, de succomber aux exigences de Giddianhi ou
de changer d’avis à propos du bien-fondé de la cause des brigands,
Lachonéus perça à jour ces formalismes hypocrites, et les Néphites
finirent par placer leur foi dans le Seigneur et suivirent Lachonéus
jusqu'à ce remporter la victoire sur Giddianhi et ses brigands (voir
3 Néphi 4:8-14).
Pour aider les lecteurs à éviter, eux aussi, la flatterie et la tromperie
à leur époque, le Seigneur a mis à leur disposition le don du discernement
[20].
David A. Bednar a enseigné que le don du discernement aide ceux qui le
reçoivent à « lire sous la surface » et à « détecter les erreurs cachées
et le mal chez les autres [21]. »
Le président Stephen L. Richards a expliqué :
« Chaque membre de l’Église rétablie du Christ pourrait avoir ce don s’il
le voulait. Il ne pourrait pas être trompé par les sophismes du monde. Il
ne pourrait pas être égaré par des faux prophètes et des sectes
subversives. Même les novices reconnaîtraient les faux enseignements, au
moins dans une certaine mesure... Nous devrions être reconnaissants tous
les jours de notre vie de ce sens qui anime une conscience qui nous alerte
sans cesse contre les dangers inhérents aux malfaiteurs et au péché
[22]. »
Notes
[1] Robert F. Smith, « Epistolary Form in the Book of Mormon »
FARMS Review 22, n° 2 2010, p.
127. Voir aussi, Book of Mormon Central, « Why was Moroni’s Correspondence
with Pahoran Significant?
(Alma 59:3) », KnoWhy p. 168 , août 2016).
[2] Voir Smith, « Epistolary Form », p. 132: « Étant donné que tant le
Livre de Mormon que les plaques d’airain (bronze) de Laban ont été écrites
en égyptien, il pourrait être intéressant pour les futurs chercheurs de
comparer également le style épistolaire égyptien ancien aux lettres du
Livre de Mormon. »
[3] Kim Ridealgh, « Polite like an Egyptian? Case Studies of Politeness in
the Late Ramesside Letters », Journal of Politeness Research 12, n°
2, 2016, p. 248.
[4] Ridealgh, « Polite like an Egyptian », p. 261.
[5] Ridealgh, « Polite like an Egyptian », p. 260.
Ridealgh ajoute que cette formule introductrice semblait viser à « mitiger
tout [Acte Menaçant la Face] dû à l’acte de demande », p. 260.
[6] On peut trouver dans le Livre de Mormon plusieurs variantes de ce
procédé où l’auteur se met en scène et fait une demande impérative, dont
certaines reproduisent le modèle égyptien d’une manière plus précise.
Moroni écrit aux lecteurs modernes du texte: « Voici,
je voudrais vous exhorter, lorsque
vous lirez ces choses…
vous souvenir combien le Seigneur
a été miséricordieux envers les enfants des hommes »
(Moroni 10:3); « Et
lorsque vous recevrez ces choses,
je vous exhorte à demander à Dieu, le Père éternel, au nom du Christ, si
ces choses ne sont pas vraies »
(v. 4). Moroni écrit à Joseph
Smith : « Et
maintenant, moi, Moroni, j'ai écrit
les paroles qui m'ont été commandées…
c'est pourquoi, n'y touche pas afin de traduire »
(Éther 5:1). Le Seigneur déclare
aux Gentils et à la maison d’Israël dans les derniers jours : « C'est
pourquoi, lorsque tu recevras ces annales…
repentez-vous, toutes extrémités de la terre, et venez à moi »
(Éther 4:17–18). Mormon écrit à
son fils, Moroni: « Et
maintenant, mon fils, je désire que tu travailles diligemment, afin que
cette erreur grossière soit ôtée de parmi vous; car
c'est dans ce but que j'ai écrit
cette épître »
(Moroni 8:6). La demande
impérative du capitaine Moroni au grand juge Pahoran est intéressante
parce qu’étant inférieur en autorité, il en appelle aux paroles de Dieu
plutôt qu’aux termes de sa propre lettre : « C'est
pourquoi je voudrais que vous
adhériez à la parole de Dieu et m'envoyiez rapidement de vos
provisions et de vos hommes, et aussi à Hélaman »
(Alma 60:34). S’adressant à
Ammoron, le capitaine Moroni semble ouvrir une formule de demande en
renvoyant à sa propre lettre, mais il retarde la demande parce qu’il doute
de la possibilité qu’Ammoron l’écoute : « Voici,
Ammoron, je t'ai écrit quelque
peu concernant la guerre…
Voici, je te dirais quelque
chose concernant la justice de Dieu…
Oui, je te dirais ces choses,
si tu étais capable de les écouter…
Mais comme tu as jadis rejeté ces choses-là…
je
m'attends à ce que tu le fasses encore »
(Alma 54:5–8). Quand il en arrive
finalement à stipuler une demande d’échange de prisonniers, il renvoie de
nouveau à son épître : « Je
terminerai mon épître
en te disant que je n'échangerai de prisonniers qu'à condition que tu
livres un homme, et sa femme, et ses enfants pour un seul prisonnier; si
c'est le cas, je ferai l'échange »
(v. 11, italiques ajoutés
partout). On peut trouver un cas special dans une des lettres de Moroni à
Pahoran. Moroni « envoya
une pétition, avec la voix du peuple, au gouverneur du pays,
désirant qu'il la lût, et lui
donnât (à lui, Moroni), le pouvoir d'obliger ces dissidents à défendre
leur pays
» (Alma 51:15, cf. Alma 60:34).
[7] Par exemple, « très
noble gouverneur en chef »
(3 Néphi 3:2), « te
loue extrêmement »
(v.
2)
« fermeté de ton peuple » (v. 2),
« noble Lachonéus » (v. 3), « votre
fermeté dans ce que vous croyez être juste »
(v. 5), et « votre
noble courage sur le champ de bataille »
(v. 5).
[8] Voir 3 Néphi 3:3: « il me semble dommage »
[9] Voir 3 Néphi 3:5: « éprouvant de la sympathie pour votre bien-être. »
[10] Par exemple, Giddianhi utilise les expressions « ce
que vous supposez être votre droit et votre liberté »,
« soutenus par la main d’un dieu », « défense
de votre liberté, et de vos biens, et de votre pays »
(3 Néphi 3:2). C sont des mots et
des expressions qui devaient certainement être courants chez les Néphites,
qui devaient peut-être même être propres à leur langage politique et
religieux.
Comparez avec Alma 43:9, 26 ; 56:11.
[11] Voir 3 Néphi 3:7: « Ou,
en d'autres termes, livrez-vous à nous, et unissez-vous à nous, et faites
la connaissance de nos œuvres secrètes, et devenez nos frères, afin d'être
semblables à nous: non pas nos esclaves, mais nos frères et associés à
tous nos biens.
»
[12] Par exemple, Giddianhi préfère utiliser les pronoms « ils », « le »,
« elles » en parlant de ses hommes, s’excluant ainsi des actes menaçants
de ses brigands (italiques ajoutés partout): « s'ils
descendaient contre vous »
(3 Néphi 3:4), «
le laisser venir contre vous
avec l'épée »
(v. 6), et « elles
ne retiendront pas la main »
(v. 8). D’un autre côté, quand il invite les Néphites à coopérer,
Giddianhi utilise les pronoms « nous » et
« nos » ce qui l’inclut de nouveau dans son parti : « Livrez-vous
à nous, et unissez-vous à
nous, et faites la connaissance
de nos œuvres secrètes »
(v. 7).
[13] Penelope Brown et Stephen C. Levinson, Politeness: Some Universals
in Language Usage, New York, NY, Cambridge University Press, 1987,
p.13.
[14] Pour de la politesse positive, voir Brown et Levinson, Politeness,
p. 101. Pour les louanges, voir p. 103–105; la sympathie, p. 106; le
langage de groupe, p. 107–111 et la coopération, p. 125–127.
[15] Pour la politesse négative, voir Brown et Levinson, Politeness,
p. 129; pour l’expression d’une réticence, voir p. 187–188. Il convient de
noter que dans le modèle de Brown et Levinson la « face négative »
n’est pas indésirable ou mauvaise.
C’est simplement le terme qu’ils utilisent pour désigner le désir que les
locuteurs et les auditeurs ont de ne pas être gênés dans leurs actions. Un
locuteur peut très bien faire preuve de politesse en faisant appel à sa
« face négative ».
C’est ce qu’on appelle la « politesse négative ».
[16] 3 Néphi 3:11–12, par exemple, donne à penser que Lachonéus a, dans
l’une ou l’autre mesure, informé son people des intentions guerrières de
Giddianhi.
[17] Brown et Levinson, Politeness, p. 71.
[18] Voir Brant A. Gardner, Second Witness: Analytical and Contextual
Commentary on the Book of Mormon, 6 vols., Salt Lake City, UT, Greg
Kofford Books, 2007, 5:255: « Giddianhi peut se dire avec confiance qu’il
y a encore beaucoup de sympathisants à Zarahemla et que la victoire sera
assurée dans un conflit généralisé.
[19] Voir Brant A. Gardner, Second Witness, 5:254: « Du point de
vue néphite… cela signifierait non seulement une soumission politique et
économique, mais la destruction probable de leur religion, les raisons
même pour lesquelles ils craignaient l’ordre des Néhors. »
[20] Voir 1 Corinthiens 12:10; Alma 18:18; D&A 46:23.
[21] David A. Bednar, « Quick to Observe » , discours spirituel prononcé
en décembre 2006 à l’université Brigham Young, en ligne sur lds.org.
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