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Une
vision maorie du Livre de Mormon Louis Midgley Le Livre de Mormon, selon Richard Bushman, « décrit
un autre monde, étranger, à bien des égards, au nôtre. »
C’est, affirme-t-il, « l’élément que le lecteur moderne a le
plus de mal à gérer », de sorte que « les Mormons aussi bien
que les non-Mormons ont du mal à saisir le véritable
problème intellectuel du Livre de Mormon. » Pourquoi ? « Les
préconceptions de l’époque moderne ont amené les Mormons aussi bien
que les critiques à voir dans le Livre de Mormon des choses qui n’y
sont pas[1]. »
La plupart des critiques partent du principe que le Livre de Mormon
n’est rien d’autre qu’un fatras d’allusions bibliques, d’idées
tirées de l’environnement de Joseph Smith en Nouvelle Angleterre et de
son imagination de conteur. Ils y voient un assemblage arbitraire d’idées
sans rapport les unes avec les autres, ce qui rendrait absurde toute
tentative de découvrir dans le texte une culture ou une civilisation néphite
cohérente. D’une manière générale, les saints des derniers
jours ont supposé que puisque le Livre de Mormon, tel qu’ils le
connaissent en anglais, ressemble beaucoup à leur Bible,
l’environnement culturel dans lequel les événements du Livre de Mormon
ont eu lieu a dû être essentiellement semblable à celui de l’Ancien
Testament. (Ils ne se rendent pas compte à quel point le cadre dans lequel se déroule
l’Ancien Testament est étranger à notre situation actuelle et par conséquent
à quel point nous le comprenons peu.) Selon Bushman, quand il ont affaire
aux enseignements religieux du Livre de Mormon, les membres de l’Eglise
« les utilisent habituellement comme arguments... sortant de leur
contexte des passages des annales néphites pour prouver quelque chose[2]. » Les points
que nous essayons de prouver sont presque toujours basés sur la
supposition que les croyances et les pratiques néphites étaient
essentiellement semblables à celles du mormonisme du 19ème et
du 20ème siècle.
Il y a un risque inhérent à lire les annales sacrées
de l’une ou de l’autre de ces façons. Ceux qui abordent le Livre de
Mormon en considérant que ce qu’il a d’essentiel, c’est un ensemble
de déclarations théologiques, ou qu’on peut l’expliquer à l’aide
des explications profanes actuellement à la mode, perdent les uns et les
autres « de vue l’univers que le livre évoque. Le génie du Livre
de Mormon, comme celui de beaucoup d’œuvres d’art, est qu’il donne
vie à toute une société et à toute une culture, avec une religion, une
économie, une technologie, un gouvernement, une géographie, une
sociologie, tout cela combiné en un univers complet. » Nous devons,
dit Bushman, nous efforcer de saisir « cet univers et de rattacher
chacun des passages à des structures plus grandes, si nous voulons
trouver leur sens le plus large[3]. »
Il est évident que le message de base du Livre de
Mormon peut être lu par des gens appartenant à n’importe quelle
culture. La clarté intentionnelle de Néphi (2 Néphi 25:4) veille
à ce qu’il en soit ainsi. De ce fait, tout le monde peut discerner
« la plénitude de l’Evangile », même si cette « plénitude »
ne consiste qu’en des principes centraux, et non en un inventaire
complet des enseignements doctrinaux découlant de ce centre. Le problème
surgit lorsque l’on essaye de discerner les parties du texte qui sont
plus subtiles. Nous risquons de passer là à côté de beaucoup de
sagesse et d’inspiration si nous nous contentons de lire les Ecritures
avec une seule tournure d’esprit – la nôtre. Dans ce livre
remarquable que Mormon a mis à notre disposition, nous devons être
vivement désireux d’apprendre davantage que les principes de base de
l’Evangile. Au festin d’idées, d’images et de significations
qu’il présente dans son livre, nous voulons goûter plus que simplement
du pain et de l’eau, aussi satisfaisant que cela puisse être au départ
pour celui qui a faim.
Les écrits historiques et les souvenirs ne
nous disent pas grand-chose sur ce que les saints maoris pensaient à
cette époque pionnière où ils commençaient à s’identifier au
mormonisme et se mettaient à lire le Livre de Mormon (le taux d’alphabétisation
devint très rapidement élevé). Mais nous savons ce qui arrive dans le
monde lorsque la civilisation d’Europe occidentale, riche, puissante et
lettrée a un impact sur des peuples plus simples dépendant de la
tradition orale. L’héritage d’informations et d’idées qui était
au centre de l’identité du groupe plus faible est inévitablement érodé,
corrompu et finalement en grande partie oublié. Nous ne savons tout
simplement pas comment le processus a fonctionné il y a plus d’un siècle
en Nouvelle-Zélande, mais le résultat a certainement été que les
natifs se sont perdus. Et cependant, le mormonisme, et en particulier le
Livre de Mormon, allaient fournir, au moins à certains des Maoris, les
matières premières pour l’édification d’un nouveau pont entre leur
passé et le monde moderne dans lequel ils se trouvaient. Je vais décrire mes observations sur la façon dont
les Maoris avaient tendance à lire le Livre de Mormon dans la région où
j’ai travaillé à partir de 1950. À ce moment-là, notre routine
missionnaire me donna une occasion particulière d’apprendre à quel
point leur façon de penser était différente en ce qui concerne la vie,
Dieu et cette Ecriture. J’eus beaucoup d’occasions d’entendre de
vieilles histoires maories, de les entendre prêcher et de converser
longuement avec eux, tant avec les saints qu’avec les autres. J’étais
un participant-observateur naïf qui était, en outre, profondément
passionné par le Livre de Mormon ; par conséquent, j’étais curieux de
savoir comment ils lisaient ce livre. Ma première expérience eut lieu dans une région
située au nord d’Auckland, la capitale, la plus grande ville de
Nouvelle-Zélande. Dans cette région, il y avait deux districts et des
dizaines de petites branches et d’écoles du dimanche tenues au foyer.
Au départ, mes compagnons missionnaires étaient des Maoris qui venaient
de sortir du lycée. Nous avions peu d’espoir que les pakéhas s’intéressent
à ce qu’ils considéraient être une Eglise maorie ; néanmoins, nous
passions dans beaucoup de leurs fermes et nous étions parfois traités
gentiment. Mais il était rare qu’ils s’intéressent à notre message.
La plupart d’entre eux n’avaient jamais été chez des Maoris, de
sorte que cela les étonnait que je trouve normal de compter sur leurs
voisins noirs pour me nourrir et me loger. Nous visitions surtout les Maoris. C’étaient
de petits fermiers dispersés dans la campagne. Il se regroupaient généralement
à ou près d’un pa (lieu de réunion)
traditionnel qui disposait souvent d’un bâtiment de réunions
communautaires, également utilisé pour nos réunions religieuses. Nous
étions accueillis chez tous les Maoris, qu’ils fussent membres de l’Église
ou non. Ils insistaient toujours pour y ait un karakia (mot qui voulait dire
prier, prêcher et chanter). Notre participation à ces activités, ainsi
que nos paroles d’amour et de bénédiction sur leurs foyers et leurs
familles étaient ce que nous offrions en retour de leur merveilleuse
hospitalité. A ces réunions spirituelles familiales, je parlais souvent
du rétablissement de l’Evangile et de Joseph Smith. Même ceux qui n’étaient
pas membres croyaient souvent en ce que nous leur disions, même si ce
qu’ils croyaient ne les faisait pas passer à l’action. Après le
karakia, nous prenions un plantureux repas, puis nous poursuivions notre
conversation, au cours de laquelle on répétait de vieilles histoires –
c’était toujours une culture orale en dépit du fait que la plupart
pouvaient plus ou moins lire et écrire l’anglais. Je leur disais que l’Evangile avait été rétabli
par l’intermédiaire de Joseph Smith et que le Livre de Mormon était la
parole de Dieu ; par conséquent ils devaient entrer dans l’Eglise. Ils
expliquaient que ce n’était pas notre message qui leur posait problème,
mais le péché. J’étais stupéfait de leur franchise. Ils expliquaient
avec force détails pénibles qu’ils étaient trop faibles, trop adonnés
à la bière ou à d’autres vices pour entrer dans l’Église. Ils
faisaient remarquer qu’ils ressemblaient beaucoup aux gens décrits dans
le Livre de Mormon ; il leur manquait la force spirituelle pour rester
longtemps sur le chemin de la justice. En fait, ils voyaient dans le Livre
de Mormon la description de leur propre situation et ils se voyaient, au
moins en partie et d’une certaine manière, comme des descendants de la
colonie de Léhi en Amérique. Ce que les Maoris voyaient dans le Livre de Mormon Les Maoris lisaient le Livre de Mormon autrement que moi. Ma préoccupation était de trouver des arguments dans le texte et je passais mon temps à harmoniser ses enseignements avec ce que je savais être un enseignement doctrinal correct en Utah. Les Maoris, au contraire, y voyaient l’histoire de familles en conflit et de tribus et sous-tribus se querellant entre elles et cherchant à se venger d’insultes personnelles et de querelles entre factions. Ils regardaient davantage le contexte général des événements et moins ce que l’on pouvait déduire de versets déterminés. Ils voyaient les histoires de rivaux ambitieux face à l’autorité traditionnelle, essayant de rafler des postes de pouvoir et des territoires. Ils voyaient comment l’ambition menait à des querelles au sein des familles et entre les clans et les tribus. Il voyaient dans l’Expiation un échange de cadeaux entre notre Père céleste et ses enfants, un peu comme la façon dont leurs relations étaient marquées par des actes réciproques d’hospitalité à titre de manifestations d’amour. Ils trouvaient que le Livre de Mormon décrivait des types d’événements semblables à ceux de leurs traditions aussi bien que de leur situation actuelle. Dans ce sens-là, le livre était leur histoire, à eux, ou du moins c’était leur genre d’histoire – un miroir des qualités nobles et viles de leur passé et de leur présent, aussi bien au plan individuel qu’au plan de la collectivité. Pour les Maoris que je connaissais, le Livre de Mormon n’était pas, comme il l’était pour moi, une source d’informations sur des questions de doctrine difficiles à résoudre. Ils étaient plutôt fascinés par les parties narratives du Livre de Mormon. Moi, je me contentais simplement de jeter un coup d’œil sur ces histoires pour y trouver les enseignements qui m’intéressaient ; eux, ils voyaient des messages et des enseignements moraux imbriqués dans les histoires. Moi, je m’attachais à des versets précis et j’y voyais des enseignements autorisés sur des sujets que j’avais appris dans d’autres livres, dont les saints maoris ignoraient généralement l’existence. Eux, ils avaient tendance à s’attacher au contexte, aux récits des maux qu’attiraient sur les collectivités l’orgueil et l’ambition, les luttes pour le pouvoir et l’abus du pouvoir, les querelles et les guerres. Ils voyaient les signes de parenté et l’ordre que celle-ci assure, aussi bien que les rivalités qu’elle engendre. Dans le Livre de Mormon, ils trouvaient les conséquences des bénédictions divines et aussi la malédiction causée et par la rupture des liens familiaux. Ils interprétaient l’apparition des combinaisons secrètes comme étant le résultat de bandes de voyous organisées par des dirigeants ambitieux qui les avaient créées pour leur servir de familles de remplacement qui n’étaient plus gérées par les conventions traditionnelles. Les Maoris étaient également étonnés de certains événements du Livre de Mormon qui ne posaient aucun problème pour moi. Par exemple, ils étaient abasourdis devant l’audace avec laquelle Néphi défie ses frères aînés lorsqu’il prétend être l’interprète légitime des révélations que son père a reçues. L’âge et l’ordre des naissances étaient toujours des qualifications puissantes dans la société maorie, de sorte que les actes posés par le jeune Néphi quand il défie ses aînés étaient choquants. Mais c’était précisément parce qu’elle défiait les conventions traditionnelles qu’ils voyaient l’importance de l’histoire de Néphi. Ils pouvaient aussi comprendre l’opposition de Laman et de sa faction aux prétentions de Néphi. Ils remarquaient et comprenaient la persistance des insultes et des conflits qui alimentent les querelles partisanes si souvent mentionnées dans les annales néphites. Cela leur rappelait des histoires semblables d’insultes et de ressentiments dans leur propre passé. Ils remarquaient aussi qu’une partie du succès des instructeurs religieux néphites semblait dépendre de l’habileté avec laquelle ils agissaient par l’intermédiaire de parents éloignés, ce qui impliquait un jeu subtil de relations familiales. Ces gens ne voyaient rien de surprenant non plus dans la vitesse avec laquelle les personnes et les communautés de descendants de Léhi oubliaient leur devoir. C’était exactement ce qu’ils considéraient être la réalité de leur propre vie et l’histoire de leur peuple. Non seulement ils croyaient que d’une façon ou d’une autre ils étaient apparentés à Hagoth et par conséquent à la tribu de Néphi (pas de Laman), mais ils se voyaient aussi répéter les histoires tragiques racontées dans le Livre de Mormon d’un peuple de l’alliance désobéissant sur lequel s’étaient abattus des malheurs et les ténèbres. Moi, par contre, je trouvais que l’élément le moins crédible du livre était la facilité avec laquelle les fidèles néphites apostasiaient et revenaient plus tard au troupeau lorsqu’ils étaient réprimandés par des prédicateurs ou par l’adversité. Il n’était par rare que les missionnaires exhortent les saints maoris à sélectionner dans les Ecritures le genre d’arguments que nous utilisions pour enseigner l’Evangile aux pakéhas. Mais les Maoris avaient tendance à ignorer ces exhortations, se concentrant plutôt sur les récits historiques et les messages qu’ils contenaient. Ils pensaient qu’ils pouvaient trouver beaucoup de choses importantes pour eux dans les leçons morales que contenaient les histoires. Moi, au contraire, j’avais appris à fouiller le Livre de Mormon pour y trouver des informations discrètes sur les choses divines et humaines et je me préoccupais peu des messages que pouvaient receler leurs histoires et leurs intrigues. Je n’étais pas sensible aux messages hautement symboliques et stylisés. Au lieu de cela, je voulais que les saints maoris recherchent, au cours de leur lecture du Livre de Mormon, le genre de choses que j’avais trouvées intéressantes. Mais ils aimaient le livre pour des raisons différentes. Avant toute chose, ils le lisaient comme l’histoire d’un peuple qui leur ressemblait beaucoup. Les Maoris étaient un peuple tribal avec des généalogies accompagnées de récits d’ancêtres de marque. Une grande partie des traditions maories étaient liées directement ou indirectement à des histoires de conflits familiaux et tribaux. Les Maoris étaient connus pour la facilité avec laquelle ils lançaient et recevaient des insultes et la passion avec laquelle ils entretenaient pendant de nombreuses générations des rancunes pour des affronts, réels ou imaginaires, infligés par d’autres, à la manière des Lamanites et des Néphites. Les Maoris de l’Église voyaient une mise en garde sévère contre ce genre de choses quand ils lisaient le Livre de Mormon. Je me rends compte maintenant qu’ils trouvaient une partie importante de leur identité dans leur croyance qu’une partie de ce qu’ils étaient en tant que peuple et en tant qu’individus était décrite dans les annales néphites. L’attachement des Maoris au Livre de Mormon est dû à quelque chose de plus que la fascination pour l’histoire de Hagoth : le Livre de Mormon leur fournit une manière de s’accrocher à certaines parties nobles de leur culture traditionnelle au moment où ils deviennent un peuple centré sur la foi. Regard en arrière En 1950, lorsque je rencontrai pour la première fois la façon de lire le Livre de Mormon des Maoris, j’étais certain qu’ils passaient à côté d’éléments importants du livre. J’avais peut-être raison. Cependant, ce que je n’ai pas vu au début, c’est que c’était ma façon, à moi, de lire le Livre de Mormon qui avait ses limites. Maintenant que j’ai plus d’expérience, je comprends que leur façon de lire a certains avantages et peut donner lieu à la découverte de significations que j’avais négligées précisément à cause des limites de l’horizon culturel dans lequel on m’avait enseigné à lire les Ecritures. Je crois maintenant qu’il y a une leçon importante à tirer sur les limites qui nous sont imposées par l’horizon culturel assez étroit qui est le nôtre lorsque nous abordons nos textes sacrés. Cette leçon, je l’ai tirée au moins en partie de ma rencontre avec la façon des Maoris de traiter le Livre de Mormon. Nous commettons une erreur lorsque nous supposons que notre manière, quelle qu’elle soit, est la seule façon de lire fidèlement les Ecritures. Ce que je crois, et les réflexions sur mon expérience chez les Maoris me le confirment, c’est qu’il y a des manières multiples plausibles, différentes, tout en restant fidèles, de lire les annales de Mormon. Notre façon traditionnelle, basée en Utah, nous paraît tout à fait naturelle. Pourtant elle n’épuise pas l’éventail de significations que l’on peut trouver dans cette réserve inépuisable de significations que sont les livres sacrés. Nous, les saints
des derniers jours de la majorité, nous pouvons, je crois, profiter de la
compréhension plus profonde et plus large des relations de Dieu avec
l’humanité, que nous montrent les autres traditions culturelles. Elles
peuvent nous fournir ces autres perspectives de l’histoire sacrée
qu’elles obtiennent en faisant porter sur les Ecritures une autre
tradition culturelle que la nôtre. Les saints qui appartiennent à
d’autres cultures peuvent nous aider à nous dégager du cocon culturel
de notre normalité. Je crois que les saints qui échappent aux limites de
leur tradition culturelle peuvent, comme un insecte sortant de sa
chrysalide, passer à un état d’existence plus beau et plus libre –
l’équivalent spirituel et culturel de la transformation en papillon.
Mon expérience des Maoris et de leur façon de voir le Livre de Mormon a
eu pour effet de faire avancer ce processus dans ma vie.
[1] Richard L. Bushman, Joseph Smith and the Beginnings of Mormonism, Urbana, University of Illinois
Press, 1984, p. 133. [2] Richard L. Bushman, “The Book of Mormon in Early
Mormon History”, dans New
Views of Mormon History : Essays in Honor of Leonard J. Arrington,
Davis Bitton et Maureen Ursenbach Beecher, Salt Lake City, University
of Utah Press, 1987, p. 5. [3] Idem.
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