LES VINGT-QUATRE FILLES DES LAMANITES Heather B. Moore
Meridian 21 mars 2012
Or, il y avait à Shemlon un lieu où les filles des Lamanites se rassemblaient pour
chanter, et pour danser, et pour s'amuser (Mosiah 20:1)
Comment les vingt-quatre femmes lamanites ont-elles pu devenir à ce point dévouées à
leurs maris, des « ennemis » néphites, que lorsquon est venu pour les sauver,
elles ont préféré rester avec leurs ravisseurs ?
Ces Néphites étaient l'ennemi, ils létaient depuis des siècles. Les femmes
lamanites avaient été enlevées de force de leur patrie et emportées, tout cela pour
finir entourées et dominées par une bande de sauvages des Néphites suffisamment
pervers pour que leur peuple les chasse de leur propre ville.
La bande dAmulon était le gratin des affreux. En fait, Amulon était l'un des «
personnages les plus dangereux du Livre de Mormon [1] ».
Les femmes lamanites dansaient à Shemlon, peut-être lors dune fête en
lhonneur dune de leurs idoles. À lépoque, Ix Chel, la déesse de la
Lune, était vénérée par les jeunes filles, afin d'assurer la fertilité. Ix Chel
était également la déesse du tissage et de la médecine [2]. Dans cette culture, comme
dans beaucoup d'autres, la fertilité était prioritaire dans la vie de toute jeune fille
et le tissage était un art presque sacré.
Les filles des Lamanites ont certainement dû être surprises et humiliées d'être
enlevées et contraintes de se marier, mais cette pratique remonte à la coutume antique
du rapt des épouses. Les anthropologues allemands appellent cette pratique Frauraub,
lorsque les hommes étaient tenus de prendre des épouses en dehors de leur tribu [3].
Cette pratique existe encore aujourd'hui, bien que ce soit techniquement illégal, dans la
tribu des Kirghizes, au Kazakhstan, qui appellent cela alaKachuu.
Il y a un lointain parallèle dans la Bible (voir Juges 21) où certains dirigeants
israélites « dirent aux Benjaminites denlever les filles des Israélites qui
vivaient à Silo, tandis quelles dansaient dans les vignes [4] ». Ces vierges
enlevées à Silo devinrent les épouses des ravisseurs.
DESESPOIR
Qui étaient ces prêtres néphites qui osaient voler des filles de l'ennemi ? Les
prêtres sattendaient-ils réellement à rester introuvables et impunis ? Le
désespoir a certainement joué un rôle dans leurs motivations. Ces hommes étaient
exclus de leur propre société. Certains dentre eux avaient laissé femme et
enfants, n'osant pas retourner de peur dêtre exécutés par leur propre peuple
(voir Mosiah 19:11, 21 ; 21:23). Il se peut que, dans leur esprit, une épouse lamanite
valait bien la néphite auprès de laquelle ils ne pouvaient pas retourner.
Nous savons que deux années sétaient écoulées depuis l'époque où ils
avaient été témoins de la mort par le feu du roi Noé après laquelle ils avaient fui
dans le désert (voir Mosiah 19:21) [5]. Amulon était leur chef et cétait un homme
que les scrupules nétouffaient pas. Ancien conseiller du roi Noé, il était
probablement le doyen et avait tout naturellement pris la direction de cette bande
d'individus, comme le prouve le fait quils baptisèrent leur nouvelle communauté
Amulon
Les prêtres rebelles finirent par découvrir lendroit où les filles des Lamanites
se rassemblaient pour danser. Il ne faudrait certainement pas beaucoup à un homme qui vit
dans la clandestinité depuis deux ans avec rien dautre que des autres hommes dans
le désert et est privé de la compagnie d'une femme, pour passer à l'étape suivante
prudente ou pas. Les compétences et l'influence des femmes leur manquaient
certainement, sans même parler de leur compagnie (Mosiah19:29).
On peut imaginer que cest un ensemble de tentations et de désir inné de
postérité qui a amené ces Néphites à enlever les femmes lamanites. À moins
dêtre disposés à rejoindre une autre communauté qui avait des femmes, les
prêtres finiraient par disparaître. Ces hommes avaient vécu pendant deux ans dans un
désert rude, recommençant leur vie à zéro, mais ils étaient seuls.
Quand les prêtres découvrirent le lieu de rassemblement des jeunes filles Lamanites,
«ils s'embusquèrent et observèrent » les femmes apparemment plusieurs fois car
«lorsqu'il n'y en eut qu'un petit nombre réuni », les Néphites sortirent de leur
cachette et les capturèrent (Mosiah 20:45) vingt-quatre en tout. Cela
pourrait nous donner une indication du nombre d'hommes qui appartenaient à la bande
d'Amulon. Ou il pourrait présenter un dilemme s'il y avait plus de femmes que d'hommes ou
vice versa. Nous savons naturellement que cela ne dérangeait absolument pas les prêtres
néphites de la cour du roi Noé de prendre plus d'une femme (voir Mosiah 11:2).
Une chose à prendre en considération est que certaines de ces jeunes filles étaient
peut-être déjà fiancées, ce qui signifie qu'elles avaient des obligations strictes en
matière de mariage. Ce nétaient pas seulement les parents et la famille de ces
femmes qui étaient éperdus, mais aussi les futurs maris éventuels. Par conséquent, le
châtiment du crime pouvait être la peine capitale, ce qui peut expliquer pourquoi le roi
des Lamanites et le roi néphite Limhi lancèrent un décret condamnant les coupables à
la peine de mort (Mosiah 20:7, 16) [6].
UN MODE DE VIE SIMPLE
Les filles des Lamanites n'étaient probablement pas habituées à beaucoup de luxe à
moins qu'il y eût une princesse ou deux parmi elles, mais elles avaient connu une plus
grande civilisation que ce quoffrait la communauté dAmulon. Dans le village
néphite, on vivait probablement dans la maison mésoaméricaine typique qui consistait en
de « petites baguettes droites (ou même des roseaux ou des tiges de maïs) alignées
verticalement et attachées à la charpente de la maison. Les espaces entre les baguettes
restaient ouverts, ce qui permettait à la fumée du feu de cuisine de se dissiper... La
plupart des toits étaient de chaume [7] . »
Le mobilier était pratiquement inexistant et lon mangeait par terre. Les tables
servaient détablis, soutenant une plaque d'argile et une pierre plate pour moudre
le maïs. Si lon sen remet à la façon dont leur ancêtre Léhi dormait, les
lits devaient être des nattes, mais ils pouvaient aussi utiliser une plateforme faite
avec des perches et couverte dune natte ou un hamac [8.]
En plus du fait quelles créaient une communauté en ayant des enfants, les
femmes ont dû être très profitables au hameau dAmulon, notamment en prenant en
charge la préparation des repas et la confection de vêtements. Les mésoaméricaines
dautrefois se servaient de métiers à tisser sur pied ou fixés à leurs épaules.
Non seulement le tissage était un talent vénéré, mais il était aussi considéré
comme une compétence nécessaire pour les femmes. « De la naissance à la mort, la vie
de la femme était centrée sur la production de beaux textiles bien faits [9]. » Après
deux ans de vie rude, les ravisseurs pouvaient jeter leurs vêtements élimés et
bénéficier de nouveaux vêtements.
Maintenant les hommes pourraient passer la journée à planter ou à récolter « du
maïs, des haricots et des courges », puis rentrer chez eux où les femmes avaient déjà
moulu de la farine de maïs et préparé dautres aliments [10].
Au-delà des détails pratiques de lassociation dhommes et de femmes pour
survivre et avoir une famille et une collectivité, quelque chose d'extraordinaire se
passa entre les hommes néphites et les femmes lamanites, quelque chose qui allait amener
plus tard les femmes à supplier pour quon laisse la vie sauve à leurs maris. On ne
peut pas savoir avec certitude ce qui les a poussées à le faire, on ne peut
quémettre des suppositions sur leurs motivations. Peut-être que la peur de ce que
leurs maris leur feraient si elles ne demandaient pas miséricorde pour les criminels a
suffi. Peut-être y a-t-il eu de lamour chez certains de ces mariages forcés.
Peut-être était-ce quelque chose de tout à fait différent.
UNE CHANCE DE S'EN SORTIR
Après que prêtres eurent fui la ville de Néphi, les Lamanites se rendirent maîtres
de la ville et du roi Limhi. Deux ans plus tard, quand les filles disparurent, le roi des
Lamanites pensa immédiatement que c'était le peuple de Limhi (voir Mosiah 20:67)
[11]. Cette « disparition soudaine des jeunes filles conduisit à la rupture immédiate
de [leur] traité [12]. »
Il sensuivit une bataille et, le temps que le malentendu soit finalement
dissipé, beaucoup avaient perdu la vie de part et dautre (voir Mosiah
20:812). Des vies avaient été perdues et du sang versé à cause du rapt. Deux
années passèrent encore et, de nombreuses escarmouches plus tard, le peuple de Limhi
échappa aux Lamanites avec l'aide du Seigneur. Une armée de Lamanites les poursuivit
mais se perdit dans le désert. En essayant de retrouver son chemin vers la ville de
Néphi, cette armée perdue tomba sur le hameau dAmulon. À sa grande surprise, elle
découvrit les femmes disparues.
Les Lamanites se préparèrent Immédiatement à récupérer leurs femmes et à les
ramener au pays. Et là, quelque chose d'incroyable se produisit. «les filles des
Lamanites
[supplièrent] leurs frères, pour qu'ils ne fissent pas périr leurs
maris » (Mosiah 23:33). Ce nétait pas la première fois dans le Livre de Mormon
que le cur dun homme était adouci par les supplications dune femme
[13]. Des siècles plus tôt, Néphi, retenu captif par ses frères, avait été libéré
en réponse aux supplications de deux femmes (voir 1 Néphi 7:19). On retrouve aussi cette
pratique dans la littérature, dans Lysistrate, une comédie d'Aristophane, où les femmes
mettent fin à la guerre en plaidant auprès de la partie adverse [14].
La loyauté des femmes lamanites à leurs ravisseurs néphites était peut-être un
précurseur du syndrome de Stockholm [15] dans lequel les victimes kidnappées
sympathisèrent avec leurs ravisseurs ou encore ce phénomène de tomber amoureuse du «
méchant ». Après tout, pour ces femmes, les Néphites étaient clairement les
méchants. Quon y ajoute la rébellion des prêtres contre leur propre peuple,
cétaient des traîtres aussi bien que des ravisseurs.
Ou peut-être que la raison n'était pas si triviale après tout, mais quelque chose
d'infiniment plus. Peut-être était-ce le désir d'adhérer à l'alliance du mariage, une
loyauté envers leurs vux de mariage des vux qui transcendaient la race
ou la religion. Peut-être était-ce tout simplement du dévouement à légard de
naissances futures ou denfants nouveau-nés issus des mariages forcés. La loyauté
apparente de ces femmes nous confond, vous et moi, mais on peut la comprendre dans un sens
plus large. Dans ce cas, lamour d'une mère pour un enfant dépasserait les
circonstances du mariage.
Il sétait sans doute passé jusquà un an entre le rapt et le moment où
les Lamanites découvrirent les prêtres avec leurs filles disparues, et des enfants
étaient probablement nés où allaient bientôt naître chez les couples à ce moment-là
[16]. Une année suffit pour que les femmes lamanites enlevées créent leur propre petite
famille et leur propre foyer. Les femmes sont qualifiées d « épouses » et les
prêtres de « maris » (Mosiah 23:3334). Bien que le rapt à lorigine de la
situation ait été illégal dans les deux sociétés, les mariages étaient étonnamment
honorés dans la société lamanites [17].
Les guerriers lamanites eurent compassion des femmes. Non seulement ils épargnèrent
la vie aux Néphites séditieux, mais il sinstalla suffisamment d'affinités et de
confiance pour qu'Amulon et ses hommes se joignent aux Lamanites dans leur recherche de la
ville de Néphi (Mosiah 23:35). Finalement ces prêtres et leurs épouses allaient
réintégrer la société lamanite [18].
Fait intéressant, on retrouve maintes et maintes fois dans la littérature des échos
du thème des femmes tombées amoureuses de leurs ravisseurs. Dans ce contexte, l'histoire
des vingt-quatre filles lamanites ne semble pas si unique. Mais l'histoire des jeunes
filles enlevées qui tombent amoureuses de leurs ravisseurs est le point de départ de
l'un des événements les plus intéressants du livre de Mosiah.
Quelles que soient les raisons pour lesquelles les femmes lamanites refusèrent de
profiter de loccasion qui leur était donnée de recouvrer la liberté et
décidèrent de rester avec leurs maris néphites, nous pouvons trouver chez elles un
exemple de dévouement et d'amour que lon trouve rarement ailleurs.
NOTES
[1]Hugh Nibley, Teachings, p. 125.
[2] En Méso-Amérique, la déesse de la Lune était appelée ChakChel, Ix Chel ou « Dame
arc-en-ciel ». Selon l'historien Michael D. Coe, elle était la déesse « du tissage, de
la médecine et de l'accouchement... les serpents dans ses cheveux et les griffes
quelle a aux pieds et aux mains prouvent » quelle est égale à dautres
dieux puissants (The Maya, p. 216).
[3]Nibley affirme que les Indiens Hopi pratiquent toujours la coutume du vol des épouses
et quils ne se marient pas au sein de leur propre clan, mais volent les femmes d'un
autre clan. Aucune autre information na pu être trouvée à l'appui de cette
affirmation. (Teachings of the Book of Mormon 2e partie, Provo, Utah, FARMS 2004, p.
97).
[4] Alan Goff, Rediscovering the Book of Mormon: The Stealing of the Daughters of
the Lamanites, John L. Sorenson & Melvin J. Thorne, dir. de publ. p. 68.
[5] Il y eut deux années de paix après larrivée au pouvoir du roi Limhi. Voir
Mosiah 19:29.
[6]Pour une explication approfondie, voir la description par S. Kent Brown, les lois
entourant les femmes des Lamanites et les aspects juridiques du contrat de mariage (From
Jerusalem to Zarahemla, p. 101102).
[7] Images of Ancient America: Visualizing Book of Mormon Life, par John L. Sorenson, p.
60.
[8] Id.
[9]John L. Sorenson, Images, p. 92.
[10]Sorenson, Images, p. 3233, 36.
[11] Dans Mosiah 19:6, nous apprenons que les Lamanites qui attaquèrent le peuple du roi
Noé venaient du pays de Shemlon, qui touchait les frontières du pays de Néphi.
[12]S. Kent Brown, From Jerusalem to Zarahemla, p. 100.
[13] Supplications dune femme : Hugh Nibley fait le parallèle entre les
expériences de Néphi et celles décrites par Rubah, un poète du désert, qui dit
quil était fréquent à lépoque qu'un Arabe laisse un ennemi gisant dans le
désert pour être dévoré par les bêtes sauvages et que ce nétait pas « une
simple façon de parler » (Léhi dans le Désert, p. 46).
[14]Nibley, Teachings of the Book of Mormon 2e partie, p. 97.
[15] Le syndrome de Stockholm désigne le comportement d'une victime d'enlèvement qui se
prend de sympathie pour son ravisseur. Le nom vient de la prise d'otages qui a eu lieu en
1973 à Stockholm, en Suède, où plusieurs victimes d'un enlèvement ont refusé les
tentatives de sauvetage et ont refusé de témoigner contre leurs ravisseurs.
[16] Brown explique que la chronologie entre la fuite des prêtres de Noé (vers 121 av.
J.-C.) et le moment où les Lamanites sont tombés sur la colonie d'Amulon (vers 118 av.
J.-C.) était d'environ trois ans. Cela signifie que les hommes d'Amulon avaient vécu un
an environ avec les vingt-quatre femmes lamanites avant que les soldats lamanites les
découvrent (Voices from the Dust, Chronological Chart, p. 218).
[17]Brown, From Jerusalem to Zarahemla, p. 101.
[18] Voir Dennis L. Largey, Book of Mormon Reference Companion, Twenty-four
Daughters of Lamanites, p. 498.
Commentaire dune lectrice
Les choses ne se sont peut-être pas passées aussi bien que vous le
décrivez--peut-être que, comme nous le voyons aujourdhui au Proche-Orient et
ailleurs, les femmes seraient considérées comme de la marchandise endommagée si elles
devaient retourner dans leur famille sans leur « mari ». Peut-être savaient-elles
quelles auraient une meilleure vie comme épouses des parias amulonites (surtout si
elles parvenaient à convaincre leurs compatriotes de les accepter) que comme anciennes
victimes d'un enlèvement--surtout avec un bébé dans les bras (sans parler du fait que
ces bébés seraient probablement mis à lécart comme métis par la culture
dominante). Elles n'étaient plus vierges--il n'y a pas si longtemps de cela que, même
chez nous, ce simple fait aurait empêché une jeune femme de trouver un mari. Dans
pareille situation, une jeune femme intelligente ferait exactement ce que ces femmes ont
fait, plaider pour quon laccepte et espérer que tout ira bien. Cela
naurait rien à voir avec de l'amour pour leurs ravisseurs--en fait, dans cette
culture, l'amour nétait de toute façon probablement pas un facteur dans le
mariage. Après tout, c'est là une notion historique assez neuve et propre à
lOccident.
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