Le style du Livre de Mormon peut être à la fois subtil et sophistiqué

Par Daniel Peterson

Patheos

Publié le 23 juin 2011  

 

Pendant de nombreuses années, j’ai considéré Hélaman 13:5-6 comme un exemple d’une mauvaise prose, répétitive, dans le Livre de Mormon :

« Et il leur dit: Voici, moi, Samuel, Lamanite, je dis les paroles que le Seigneur met dans mon cœur; et voici, il a mis dans mon cœur de dire à ce peuple que l'épée de la justice est suspendue au-dessus de ce peuple; et il ne se passera pas quatre cents ans que l'épée de la justice ne tombe sur ce peuple.

 « Oui, une grande destruction attend ce peuple, et elle s'abattra certainement sur ce peuple, et rien ne peut sauver ce peuple, si ce n'est le repentir et la foi au Seigneur Jésus-Christ, qui viendra certainement dans le monde, et qui souffrira beaucoup de choses et sera tué pour son peuple. »

Je trouvais que répéter six fois en deux phrases l’expression « ce peuple » était lassant , même embarrassant et certainement très mauvais du point de vue style.

Mais un jour, en lisant le passage à haute voix, j’ai réalisé que j’avais tort.

Samuel, qui souligne délibérément qu’il est « un Lamanite », parle du haut de la muraille de la ville de Zarahemla à un public néphite violemment hostile. Ils sont méchants, mais ils sont également enclins à se croire supérieurs en raison de leur lignage. (Le sentiment aigu que Samuel a du problème ethnique est évident dans Hélaman 14:10 et Hélaman 15:3-17.)

Au chapitre précédent (Hélaman 12:4-7), le prophète Mormon avait inséré un commentaire rédactionnel, empruntant non seulement aux textes qu’il éditait, mais aussi à sa propre expérience (voir Mormon 3:9 ; 4:8) : « Oh! comme ils sont insensés, et comme ils sont vaniteux, et comme ils sont mauvais, et diaboliques, et comme ils sont prompts à commettre l'iniquité, et comme ils sont lents à faire le bien, les enfants des hommes... Oui, comme ils sont prompts à s'exalter dans l'orgueil; oui, comme ils sont prompts à se vanter. »

Son point de vue personnel ? « Oh », s’écrie-t-il en réfléchissant à la résistance humaine à l’autorité de Dieu, « comme il est grand le néant des enfants des hommes; oui, ils sont moins que la poussière de la terre. »

Quand j’ai lu à haute voix la dénonciation du peuple de Zarahemla par Samuel, j’ai compris. Les condamnations répétées de « ce peuple » étaient suivies de la promesse que le divin Sauveur viendrait bientôt dans notre monde pour « souffrir » et être « tué pour SON peuple ». Samuel contrastait « ce peuple » (les Néphites) avec le peuple de Dieu. Il disait à son auditoire orgueilleux que le simple fait d’être néphite ne le sauverait pas. Son seul espoir de salut était d’être fidèle à ses alliances, et, ainsi, de s’inscrire parmi le peuple de l’alliance du Seigneur.

Le martèlement de « ce peuple » dans ce passage vise, je pense, à mettre l’accent sur le « son peuple » en fin de texte. C’est un peu comme ce que les théoriciens de la musique appellent « résolution », qui est le passage d’un son dissonant ou instable, soit une seule note, soit un accord, à un son consonant ou stable. L’irritant « ce peuple » cède la place au serein et réconfortant « son peuple ».

Cette petite expérience de lecture m’a appris qu’il est très utile de lire les écritures à haute voix, de les entendre avec nos oreilles autant que dans notre esprit. Il m’est également apparu que le style du Livre de Mormon est peut-être (et je témoigne maintenant qu’il est effectivement) beaucoup plus subtil et complexe que ce que nous pouvons parfois penser.

Nous devons être de meilleurs lecteurs. Le Livre de Mormon nous récompensera largement de l’effort.

Mais j’ai aussi réalisé que le Livre de Mormon nous met puissamment en garde contre le racisme et l’orgueil ethnique de mauvais aloi. Et depuis lors, je me suis rendu compte que ce thème apparemment moderne est plus fréquent dans l’ensemble des écritures que nous le croyons.

Prenons un exemple dans l’Ancien Testament :

Au cours des Ve-IVe siècles av. J.-C., Esdras et Néhémie et d’autres exilés juifs, revenus de la captivité babylonienne, reconstruisirent Jérusalem. Ils purifièrent aussi les listes des prêtres, expulsant ceux dont le lignage était incertain ou qui avaient des épouses non israélites. (Venue l’époque du Nouveau Testament, il était totalement interdit aux Juifs de manger et de socialiser avec les païens.)

Certains chercheurs pensent que le livre de Ruth a été écrit (ou, au moins, finalisé) pendant ou juste après cette période, comme protestation ou mise en garde contre l’insistance exagérée sur la pureté raciale. Ruth, une Moabite — les Moabites étaient des voisins méprisés d’Israël — se convertit à la religion des Israélites, se marie en Israël et devient l’ancêtre de la maison royale de David et, partant, du Messie lui-même.

« Son peuple », pas « ce peuple ».