Le Discours du roi Benjamin – Contexte, complexité et fécondité

Kevin Christensen

 

Pendant que je faisais une mission en Angleterre en 1973-1975, un de mes contacts a fait une réflexion au sujet du discours du roi Benjamin. Il m’a montré le chapitre 4, verset 2, qui décrit la multitude s’écriant « d'une seule voix, disant: Oh! sois miséricordieux, et applique le sang expiatoire du Christ ». Le fait que le texte disait que tout le monde était tombé par terre et que tout le monde avait fait alliance lui posait un problème.

 

« Les gens ne réagissent pas d’une manière aussi unanime, m’a-t-il dit. Tout le monde n’aurait pas été d’accord. Certains auraient refusé. »

À l'époque, le mieux que je pouvais faire était de dire : « C'était un bon discours. » Comme on pouvait s’y attendre, cela ne l'a pas impressionné. J'ai mis sa question au frigo, et environ un an plus tard, un membre de la branche de Lancaster m’a prêté un exemplaire du manuel de la prêtrise pour 1957 de Hugh Nibley, An Approach to the Book of Mormon. Le jour de préparation suivant, je l'ai emporté dans ma baignoire, en me disant que pendant que je trempais, je pouvais lire les chapitres qui me semblaient intéressants.

J'ai lu le livre entier avant de sortir de la baignoire et j’ai été particulièrement frappé par le chapitre de Nibley sur le « Rituel du Vieux Monde dans le Nouveau Monde ». Nibley y démontre que le discours du roi Benjamin était un rite de couronnement basé sur un rituel constitué de trente-six éléments. Le professeur Welch résume ces éléments comme suit :

« … Proclamation, transfert de royauté, assemblée autour du temple, recensement, présentation des premiers-nés des troupeaux et des offrandes, actions de grâces pour la délivrance, logement dans des tentes autour du temple, discours du roi du haut d'une tour, appel ou silentium et enseignement des mystères, salutation au roi, hommage du peuple au roi (hommage que Benjamin rejette), purification, acclamation du roi, narration du récit de la création, adieu rituel et descente du roi aux enfers (que Benjamin qualifie d’événement littéral qui va bientôt se produire), chorales, assurance de la succession au trône, promesses de paix et de prospérité, préservation d’annales, préservation du peuple par Dieu, promesses de bonheur sans fin, divination du futur, jour du jugement, prosternation devant le roi, vision de tous les hommes comme égaux,  acclamation de clôture, alliance, réception d'un nouveau nom, engendrement du genre humain, nécessité de se  tenir au bon endroit, avoir un sceau, enregistrement de noms, nomination de prêtres pour rappeler son alliance au peuple et congédiement1. »

Notez que toutes les personnes qui assistent à la cérémonie sont censées à la fois tomber par terre et faire une alliance. Les choses mêmes qui dérangeaient mon ami de l’Église quand elles étaient vues sous l’angle de son expérience personnelle moderne se transformaient en preuves en faveur du Livre de Mormon lorsqu’on les voyait à la lumière du contexte antique.

En effet, lorsqu'il présente la leçon dans le manuel de la prêtrise, Nibley écrit: « De l’avis de l’auteur, cette leçon présente la preuve la plus convaincante jamais apportée de l'authenticité du Livre de Mormon. Il est très probable que le lecteur sera loin de partager ce point de vue, étant donné que la force de la preuve est cumulative et repose sur des études comparatives considérables qui ne peuvent pas être entièrement présentées ici)2. »

La perception de Nibley m'a aidé à comprendre le sens de la parabole du semeur. J'ai vu que la même histoire, les mêmes mots, pouvaient avoir des rendements très différents selon le terrain dans lequel ils étaient semés et le soin avec lequel ils étaient cultivés.

Dans ce cas-ci, le terrain était le contexte : le fait de le lire dans l’esprit des idées reçues d’aujourd’hui ne pouvait qu’être beaucoup moins parlant que le lire  dans son contexte antique. Comme le dit Néphi, nous ne pouvons pas comprendre les écrits des anciens sans étudier leur culture (2 Néphi 25:5). Comme Jésus le dit au peuple dans 3 Néphi, on ne peut pas tout comprendre d’emblée, nous devons nous préparer l’esprit (3 Néphi 17:3).

Une fois que cette première lecture de Nibley a complètement transformé ma façon de lire le discours du roi Benjamin, j'ai découvert que beaucoup d’autres chercheurs ont démontré d’autres aspects impressionnants du même discours :

  • John Tvedtnes l’a comparé à l'ancienne fête des Tabernacles et a montré que le discours de Benjamin s’y intègre3.
  • John Welch a examiné la structure littéraire et non seulement a trouvé son premier exemple de chiasme dans le discours du roi Benjamin, mais a constaté que le discours tout entier a une structure chiastique4.
  • Le professeur Ricks y a découvert une antique structure en forme de traité-alliance et un « agglomérat de concepts interdépendants dans la religion israélite qui relie entre eux les thèmes du sortir hors de la poussière, de l’intronisation, de la royauté et de la résurrection5 ».
  • Le professeur Thomasson a observé l'importance des rituels privés qui précèdent le couronnement public6.
  • Les professeurs Welch et Szinc de BYU signalent d’autres figures provenant du rituel hébreu. Le discours de Benjamin semble également avoir été prononcé un jour des expiations, lors d’une année sabbatique et une année de jubilé. D'autres chercheurs avaient avancé la théorie qu'avant l'exil, ces trois fêtes n’en faisaient qu’une à l’origine. Le Livre de Mormon fournit une preuve inattendue que la théorie est correcte.

Mention du nom du Seigneur

L’une des observations les plus frappantes des professeurs Welch et Szinc porte sur les noms divins utilisés dans le texte. Le jour des expiations était tellement saint que ce jour-là le nom ineffable de Dieu, YHWH, pouvait être prononcé. Lors du service de Yom Kippour dans le temple, le prêtre pouvait prononcer ce nom sacré à haute voix. La tradition juive ultérieure semble avoir voulu que le prêtre prononce dix fois ce nom au cours de la liturgie du Yom Kippour et, dans une même mesure, Benjamin emploie les noms étendus Seigneur Dieu et Seigneur Omnipotent sept et trois fois respectivement.

Sept de ces utilisations sont dans les paroles de l'ange à Benjamin rapportées dans le discours (voir Mosiah 3:5, 13, 14, 17, 18, 21, 23). C’est sans doute plus qu’une coïncidence que ce soit dans la bouche d'un ange que ces noms apparaissent sept fois et que le chiffre sept est le symbole d’une perfection « spirituelle ». Les trois autres mentions se trouvent dans les paroles de Benjamin (voir Mosiah 2:30, 41 et 5:15). Ces trois mentions importantes se situent à des points de rupture cérémoniels dans le discours, pas simplement au hasard ou dans des endroits sans importance.

La réaction du peuple lorsque le nom sacré est prononcé est curieuse. Selon la Mishna, chaque fois que le peuple au temple de Jérusalem entendait le nom sacré, il se prosternait par terre.

On peut comparer cela avec les réactions au discours du roi Benjamin à Zarahemla. Quand il eut fini de réciter les paroles de l'ange, «il jeta les regards autour de lui sur la multitude, et voici, elle était tombée par terre, car la crainte du Seigneur était venue sur elle » (Mosiah 4:1). Il est possible que le peuple de Benjamin se soit prosterné à plusieurs reprises dans un profond respect mêlé de crainte quand Benjamin prononça le Saint Nom de Dieu, comme le faisaient, selon la Mishna, les Israélites en entendant le tétragramme7.

 

Actes rituels

Les professeurs Welch et Szinc nous invitent aussi à nous imaginer les actes rituels qui accompagnent les mots prononcés. Par exemple, les allusions au sang expiatoire dans Mosiah 3:15-16 et 4:2, ont vraisemblablement trait au sacrifice pratiqué au cours du rituel. De même c’est probablement au moment où l’on accomplit le rituel du bouc émissaire que l’on parle de chasser l’âne dans Mosiah 5:148.

On pourrait se dire que c’est là ajouter suffisamment de complexité à notre lecture. Pourtant il y a plus. Le professeur Welch renvoie à une étude des discours d'adieu antiques dans laquelle l'auteur démontre l’existence d’une structure idéalement constituée de vingt éléments9. Quand on le compare à ces discours d’adieu antiques, celui de Benjamin satisfait mieux aux conditions que le meilleur cité dans l'étude.

Plus récemment encore, plusieurs érudits mormons ont relevé l'importance du contexte du temple. Dans un essai publié dans Glimpses of Lehi’s Jerusalem (aperçus de la Jérusalem de Léhi), j'ai écrit :

« La caractéristique la plus visible du temple de Jérusalem concerne les niveaux croissants du sacré, de la cour intérieure vers le lieu saint et le saint des saints. Selon Mircea Eliade, les trois parties du temple de Jérusalem correspondent aux trois régions cosmiques. La cour inférieure représente les régions inférieures (le « Schéol », demeure des morts), le lieu saint représente la terre, et le saint des saints représente le ciel. Le temple est toujours le point de rencontre du ciel, de la terre et du monde des morts.

La cosmologie de Léhi voyait le monde dans ces trois domaines (le ciel, 1 Néphi 1:8, la terre, 1 Néphi 1:14 et le royaume des morts, 2 Néphi 1:14). Le roi Benjamin, parlant depuis son temple, voit aussi le cosmos en termes de ciel, de terre et de royaume des morts (Mosiah 2:25, 26, 41), avec l'entrée dans la présence de Dieu comme l'état joyeux ultime (Mosiah 2:41).

Le peuple de Benjamin se rend au Temple pour qu’on lui ouvre les yeux et les oreilles afin qu’il puisse recevoir les mystères de Dieu (Mos. 2:9). Il reçoit un Nom (Mos. 1:12). Il écoute un exposé sur la création (Mos. 2:23) et la chute d'Adam (Mos. 3:11). Il est mis en garde contre le danger de suivre l'esprit malin (Mos. 2:37) et reçoit un message d'un ange, un vrai messager (Mos. 3:2). On lui parle de l'expiation salvatrice du Christ (Mos. 4:6), on lui dit de prier (Mos. 4:11) et de garder les commandements par alliance (Mos. 5:8), de veiller spirituellement et temporellement les uns sur les autres (Mos. 4:21). Ils naissent tous de nouveau «fils et filles » du Christ (Mos. 5:7).

Nouvelles découvertes

Et on continue à faire des découvertes. Dans un nouvel essai, Alyson Von Feldt constate que le discours du roi Benjamin est « structuré de la même façon que les Proverbes : il est composé de plusieurs sections séparées par des ruptures ou des intermèdes cérémoniels10. », Elle montre que « tout au long de son discours, le roi Benjamin évoque des thèmes bien connus des Proverbes11. Enfin, elle montre que « les similitudes thématiques et littéraires entre Mosiah 1-5 et Proverbes 1-9 argumentent en faveur de la possibilité que Proverbes 1-9 ait une importance rituelle.

Il se peut que les instructions, comme le discours du roi Benjamin, aient fait partie d'une liturgie récitée lors d'une cérémonie antique du temple. Dans ce scénario, la Sagesse est représentée comme une grande prêtresse qui invite les affamés spirituels à participer à une fête rituelle à sa table du temple — un festin d'ordonnances, de connaissance et de bénédictions12. »

J'ai aussi lu dans des commentaires en ligne que des mésoaméricanistes mormons ont comparé des éléments du discours du roi Benjamin à des peintures murales mésoaméricaines récemment découvertes dans des temples qui datent d’une époque proche du temps de Benjamin, pas loin de la zone que la plupart des érudits mormons considèrent comme le cadre le plus probable des événements du Livre de Mormon.

Dans un traitement sur le contenu des peintures murales, Laura Harbold, une spécialiste non mormone, écrit :

« Les peintures murales, qui illustrent le mythe de la création maya, courent le long de deux murs de la chambre qui a neuf mètres sur quatre. ‘Une des choses appréciables dans ces peintures murales est qu'elles impliquent une sorte de tradition narrative, dit Saturno. Cela ressemble à un livre accordéon maya déplié et peint sur le mur. On voit les sauts de page ; on peut dire où est la gouttière. » Parce que les peintures murales représentent une tradition épique cyclique, dit Saturno, on peut commencer dans n’importe quel coin et lire de gauche à droite.

« Selon Karl Taube, iconographe pour le projet San Bartolo, les peintures murales représentent une version ancienne d'un mythe qui a dominé la culture maya pendant quinze cents ans. Dans la première scène, un homme se tient dans l'eau, sacrifiant un poisson à la principale divinité oiseau, qui est perchée dans le premier « arbre du monde ». Dans la deuxième scène, un homme se tient sur le sol, offrant un cervidé à un deuxième oiseau dans le deuxième arbre du monde ; dans le troisième, il flotte dans l'air, présentant une dinde ; dans le quatrième, il plane dans un champ de fleurs, offrant de l'encens. Les quatre arbres représentent les quatre points cardinaux ou niveaux du cosmos : le monde souterrain, la terre, le ciel et l'au-delà.

« Dans la scène finale, le dieu maya du maïs se tient devant un cinquième arbre du monde, constituant le centre de l'univers. La divinité oiseau est couchée, tuée, au bas de l'arbre, liquidée pour son arrogance et sa vanité. Le dieu du maïs se couronne roi, portant une coiffure faite avec le corps de l'oiseau. L'échafaudage en bois sur lequel il est assis, dit Taube, est le même trône qui est représenté depuis des siècles dans le couronnement des rois mayas.

« Une autre série de peintures murales représente le cycle de vie du dieu du maïs — sa naissance dans l'eau, sa sortie de la terre portant la moisson, sa mort représentée par sa plongée dans l'eau et sa résurrection et son second couronnement. ‘Le récit tout entier conduit au couronnement d'une personne nommée’, dit Saturno, établissant le dieu du maïs comme le fondement de la royauté maya13. »

Ceux qui connaissent bien le récit du roi Benjamin relèveront la mention de la tour associée au couronnement (voir Mos. 2:7). Autre détail intéressant : la mention des « livres accordéon » mayas  qui sont « dépliés ». Les érudits mormons ont nous invités à nous rappeler que Benjamin dit à la multitude présente que « les mystères de Dieu soient dévoilés à votre vue » (voir Mos. 2:9).

Les professeurs Szinc et Welch ont comparé les allusions à « le chasse et l’expulse » (Mos. 5:14) à ce qui se fait lors du rituel du bouc émissaire le jour des Expiations. Ce qui, à son tour, fait penser à l'image du dieu oiseau battu à San Bartalo. Aucun de ces parallèles ne devrait être considéré comme une preuve, mais comme la démonstration que les éléments et les thèmes principaux du récit de Mosiah sont tout à fait à l’aise aussi bien avec les racines dans l'ancien Israël, que dans le contexte américain antique dont il se réclame.

Le professeur Allen Christenson écrit ceci sur les fêtes maya de la moisson par comparaison avec les récits du Livre de Mormon.

« Le discours de Benjamin ressemble beaucoup au schéma méso-américain antique des fêtes de la moisson au cours desquelles le dieu de la vie, ou son représentant terrestre, descend aux enfers et est accablé par les puissances maléfiques de la mort et du sacrifice. Benjamin commence par déclarer au peuple qu'il a l’intention de dévoiler « les mystères de Dieu... à [leurs] yeux » (Mosiah 2:9). Il annonce sa mort imminente et sa « descente » dans la tombe (Mosiah 2:26-30). Il avertit le peuple de se méfier, en son absence, de « l’esprit malin », l’ « ennemi de toute justice », l’ « ennemi de Dieu » qui apporte la destruction sur l'humanité (Mosiah 2:32-33, 37-38).

C'est précisément la descente du roi dans le monde souterrain dans la fête méso-américaine, à la fin de l'année civile qui permet aux forces de la mort et du mal de régner sur la terre. Bien que cela ne soit habituellement qu’une mort rituelle temporaire de la part du roi, la perspective de sa mort réelle était source d’une grande préoccupation14.

Planter la bonne semence

Ce type de mise en contexte augmente mon appréciation et approfondit ma compréhension du texte. Il m'aide à apprécier à quel point la traduction du Livre de Mormon a été miraculeuse. Je ressens l'urgence qui se rattache à la question toute simple d’Alma quand il parle de ce qui se passe lorsque nous plantons une bonne semence, que nous la sentons grandir, nous gonfler l’âme, éclairer notre intelligence, nous épanouir l’âme. « Cela n’est-il pas réel ? » demande-t-il (Alma 32 :35).

Il y aura, bien entendu, des détracteurs qui répondront : « Non », en affirmant, par exemple, que c’est Joseph Smith qui a composé le discours sur la base de son expérience des « réveils » religieux du Burnt-Over District [surnom donné à la région de Palmyra à cause du grand nombre de réveils religieux qui s’y produisirent au début du XIXe siècle]. Par exemple, l’un d’eux affirme que « le point culminant du récit... dépend... fondamentalement d’un schéma non biblique contemporain de Smith15. Il voit ce schéma en quatre étapes comme suit : « (1) réunion de réveil religieux (Mosiah 2) ; (2) prosternation dans un esprit de culpabilité (4:1-2a) ; (3) supplique pour une émancipation spirituelle (v. 2 b) ; et (4) absolution christologique et extase émotionnelle (v. 3)16. »

On remarquera que quand il crée les étiquettes pour ce schéma en quatre étapes, il utilise un langage conçu pour évoquer le cadre du XIXe siècle et néglige le vocabulaire du texte du Livre de Mormon. Par exemple, dans Mosiah, le rassemblement est centré sur la déclaration de Benjamin que Mosiah doit lui succéder comme roi (Mosiah 1:10). On serait bien en peine, et c’est le moins qu’on puisse dire, de trouver un réveil religieux dans le Burnt-Over District réuni devant un temple dans le but d'annoncer la succession du roi suivant17.

La raison pour laquelle le peuple « tombe » dans Mosiah se retrouve dans des contextes théologiques rituels distincts. La supplique pour appliquer le sang expiation du Christ a autant sa place dans un cadre antique que dans un quelconque scénario du XIXe siècle. Le travail que Margaret Barker est en train de faire pour redécouvrir la Théologie du Temple a ouvert de nouveaux horizons permettant de reconsidérer l’affirmation fréquente que le Livre de Mormon (et, par conséquent, Benjamin), est trop chrétien avant le Christ18. Et la quatrième étape peut correspondre non seulement aux récits de conversion du XIXe siècle, mais aussi aux témoignages de conversion tout au long de l'histoire et dans de nombreuses cultures19.

À ce jour, aucun des détracteurs qui ont prétendu que Mosiah 1-5 était un texte du XIXe siècle ne s’est attaqué à l'accumulation des études que j'ai mentionnées ici. Bien que l’on puisse voir dans le Livre de Mormon un simple écrit du XIXe siècle, la véritable question est de savoir si c'est la meilleure explication. Pour pouvoir dire ce qui est le « meilleur », il faut se livrer à des comparaisons approfondies avec les autres possibilités et énoncer clairement les éléments sur la base desquels on décide de ce qui est le « meilleur ».

Déjà en 1953, Hugh Nibley expliquait :

« Mais comment peut-on être certain de quoi que ce soit quand on critique le Livre de Mormon ? C’est Blass qui nous donne la réponse : ce qui nous permet d’approcher le plus d’une certitude, dit-il, c’est de disposer d’un long document historique, car il est ‘hautement improbable et doit donc être considéré en tout temps comme exclu qu'un faussaire venant plus tard [que la date à laquelle le document est censé avoir été rédigé] puisse avoir la connaissance et la diligence nécessaires pour présenter une quantité quelconque de données historiques sans tomber dans des contradictions.’ À cet égard, le moyen sûr par excellence de détecter un faussaire, nous dit notre guide, se trouve dans les choses qu'il ne peut pas avoir bien réussi à imiter parce qu'elles étaient trop négligeables, trop insignifiantes et trop embêtantes à reproduire.

« Dans Léhi dans le désert nous disions : Le test d'un document historique se situe, comme nous avons si souvent insisté, non pas dans l'histoire qu’il raconte, mais dans les détails occasionnels que seul un témoin oculaire peut avoir vus. C'est dans ces détails accessoires et qui passent inaperçus que le Livre de Mormon brille20. »

Comme quand on regarde une fractale

Pour moi, examiner le discours de Benjamin c’est comme regarder une fractale. Plus je regarde de près diverses études telles que celles que j'ai mentionnées ici, plus je découvre de complexité. Cela me donne le sentiment que le texte est « réel », qu'il donne un discours réel par une personne réelle à un auditoire réel dans un contexte plausible21.

« L'emplacement de Zarahemla, dans la vallée du fleuve Grijalva22, non seulement correspond à la géographie et à la topographie, mais relie les grands groupes linguistiques. Les Néphites sont entrés dans une zone de langue maya. Les Mulékites sont entrés dans une zone de langue mixe-zoque. La montée des Mulékites/Zarahemlaïtes dans la vallée du Grijalva est en parallèle avec le mouvement bien connu du zoque (une langue dérivée du mixe-zoque) pour remonter cette vallée.

« C'est ce qui explique pourquoi les Néphites et les Zarahemlaïtes parlaient des langues différentes alors qu’il n'y avait pas suffisamment de temps pour que leur langue s’écarte suffisamment de l'hébreu pour devenir incompréhensible. (En quatre cents ans seulement certains mots auraient changé, mais les langues auraient encore été mutuellement intelligibles)23. »

Cela fait aussi penser aux commentaires du professeur Midgley dans le premier numéro de la Review of Books on the Book of Mormon :

« De mon point de vue, le Livre de Mormon signale qu’il se passe beaucoup plus dans le rétablissement réalisé grâce à lui que simplement une façon maladroite de fournir un assortiment aléatoire de perles théologiques que nous pouvons intégrer dans notre propre schéma.24. »

Le discours de Benjamin est souvent traité comme un recueil de « joyaux théologiques » que nous lisons sans tenir compte de leur propre contexte. Bien que nous devions tous commencer quelque part dans notre appréciation, et qu’il y ait quelques beaux passages que nous pouvons facilement traiter comme des « joyaux » à citer, nous devons également faire un effort concerté pour laisser le texte nous dire ce que nous ne savons pas déjà. Il est trop facile de sauter jusqu’aux extraits que nous reconnaissons et sur lesquels nous pouvons alors discourir facilement. Et cependant, si une partie du message du texte est qu’il est réel, nous devrions être d’autant plus sensibilisés pour découvrir ce qu'il dit réellement.

À titre d’exemple, je me réfère à un livre de Colleen Harrison, He Did Deliver Me From Bondage. Une des nombreuses idées intéressantes qu’elle propose concerne le problème de la « dyslexie spirituelle ». La dyslexie est une affliction qui amène le sujet à percevoir les mots et les lettres en sens inverse. Comme exemple de dyslexie spirituelle assez courante chez les saints des derniers jours, elle cite ce passage dans Mosiah 4:14 :

« Et vous ne souffrirez pas que vos enfants soient affamés ou nus; et vous ne souffrirez pas non plus qu'ils transgressent les lois de Dieu, et se battent et se querellent… »

 

Elle fait remarquer qu'il s'agit d'un passage qui peut être très frustrant pour des parents si on le lit hors contexte.

« Lu en contexte, Mosiah 4:14 n'est pas une obligation ou un commandement. C'est en fait une promesse25 ! »

C’est-à-dire que, plutôt que d’interpréter de manière incorrecte la promesse comme un commandement et d’essayer de forcer nos enfants à se soumettre aux lois de Dieu, d’empêcher toutes leurs bagarres et leurs querelles en n’ayant recours qu’à une domination « juste », elle trouve qu'en s’efforçant de laisser le Christ entrer dans son cœur selon les recommandations de Mosiah 4 :

« Je me suis aperçue que j’étais naturellement encline à aimer et à accepter, à être à l'écoute des sentiments et des besoins de mes enfants… Quand j'ai changé, mes enfants ont commencé à changer. Ma capacité à ‘marcher dans les voies de la vérité et de la sagesse’ les a amenés à devenir, eux aussi, plus honnêtes et plus sages. Leurs excès de mauvaise conduite ont commencé à diminuer en même temps que les miens. Cela a été  une leçon pour moi de constater qu'une grande partie de la confusion et des conflits qu’il y avait chez eux venait de mon propre comportement26. »

En étudiant Mosiah, je trouve beaucoup de ce qu'Alma appelle des « raisons de croire ». La force de ma croyance devrait m'amener à laisser la parole du Christ grandir dans mon cœur, me changer de sorte que je puisse recevoir les bénédictions promises. Puis en faisant ce qu’il a dit, je peux progresser comme disciple et véritablement connaître non seulement la vérité, mais laisser cette vérité apporter la liberté du Christ dans ma vie.

Pour ma part, j'ai appris que quand je tombe sur des questions pour lesquelles je n'ai pas de réponses, ma meilleure réponse est 1) donner du temps aux choses, 2), garder les yeux ouverts et 3) réexaminer périodiquement mes idées reçues.


Notes

1 John W. Welch et Terry Szinc, "King Benjamin's Speech," p. 202 note 3, dans  John W. Welch et Stephen D. Ricks., dirt. de publ., King Benjamin’s Speech: That Ye May Learn Wisdom, Provo, FARMS, 1998,

2 Hugh Nibley, “An Approach to the Book of  Mormon », 2e éd. Salt Lake City, page 243.

3 John Tvedtnes, “King  Benjamin and the Feast of Tabernacles”, dans John M. Lundquist et Stephen A. Ricks, dir. de publ., By Study and Also By Faith, tome 2, Salt Lake City, Deseret Book, 1990, pp. 197-237.  Plus récemment, Diane Wirth a exploré les parallèles entre la fête des Tabernacles et la cérémonie Cha-Cha’ac des Mayas.  Voir Decoding Ancient America: A Guide to the Archeology of the Book of Mormon, Springville, Horizon, 2007, “Parallels Between Hebrew and Nephite Festivals », pages 27-33.

4 John W. Welch Parallelism and Chiasmus in King Benjamin's Speech", pp. 315-410 dans  John W. Welch et Stephen D. Ricks.,dir. de publ., King Benjamin’s Speech: That Ye May Learn Wisdom, Provo, FARMS, 1998.

5 Stephen D. Ricks, “Kingship, Coronation, and Covenant” in Mosiah 1-6” dans King Benjamin’s Speech, 233-275.

6 Gordon C. Thomasson, “Mosiah: The Complex Symbolism and Symbolic Complex of Kingship in the Book of Mormon” dans Journal of Book of Mormon Stories, vol 2 n 1, pages 21-38.

7 Welch et Szinc, “King Benjamin’s Speech in the Context of Ancient Israelite Festivals”, p. 179. Existe en français dans Idumea, Le discours du roi Benjamin dans le contexte des fêtes israélites anciennes.

8 Welch et Szinc, “King Benjamin’s Speech in the Context of Ancient Israelite Festivals”, p. 178.

9 John W. Welch, “Benjamin’s Sermon as a Traditional Ancient Farewell Address”, dans King  Benjamin’s Speech, pp. 89-118.

10 Alyson Skabelund Von Feldt, “His Secret is With the Righteous: Instructional Wisdom in the Book of Mormon,” FARMS Occasional Papers, n 5, Provo, FARMS, 2007, p 68.

11 Id., p. 69.

12 Id. p. 72.

13 http://www.neh.gov/news/humanities/2006-11/Portrait_of_the_Past.html, visité le 27 avril 2008.

14 Allen J. Christenson, “Maya Harvest Festivals and the Book of Mormon,” dans Review of Books on the Book of Mormon vol 3 1991. page 28.

15 Brent Lee Metcalfe “The Priority of Mosiah: A Prelude to Book of Mormon Exegesis” dans New Approaches to Book of Mormon Study: Explorations in Critical Methodology, Salt Lake City, Signature Books, 1993, p. 421 n. 31.

16 Id.

17 Voir mon étude dans “Paradigms Crossed” dans Review of Books on the Book of Mormon, tome 7, n2, pp. 174-176. Plus récemment, Grant Palmer, dans An Insider’s View of Mormon Origins, Salt Lake City, Signature Books, 2002, parle du même schéma en quatre étapes, citant non pas la version précédemment publiée de Metcalfe, mais une correspondance personnelle.  Il renvoie à un discours d’adieu donné lors d’un réveil religieux par un certain évêque M’Kendree, qui peut se comparer à Mosiah 1-5, mais qui ne mentionne aucune comparaison antique, ce qui jette le doute sur sa prétention à être quelqu’un qui connaît les choses de l’intérieur.

18 Voir le traitement sur son site http://www.margaretbarker.com/ et mes essais sur le site de Howard Hopkin à cette adresse : http://www.thinlyveiled.com/.

19 Voir Stanislav et Christina Grof, Beyond Death: The Gates of Conciousness, Londres, Thames and Hudson, 1990, pp. 28-30.

20 Hugh Nibley, The Prophetic Book of Mormon, The Collected Works of Hugh Nibley Vol 8, Provo et Salt Lake City, FARMS et Deseret Book, 1989, pp. 58-59

21 On trouvera une proposition d’emplacement pour Zarahemla dans John Sorenson, An Ancient American Setting for the Book of Mormon (Salt Lake City, Deseret Book et FARMS, 1985, pp. 148-161. Le livre existe en traduction française sur idumea.org.

22 Pour voir pourquoi le fleuve Grijalva est le seul fleuve d’Amérique qui correspond à la description du Sidon que fait le texte du Livre de Mormon, voir la page de Larry Poulson à cette adresse : http://www.poulsenll.org/bom/grijalvasidon.html

23 Brant Gardner, cité dans Kevin Christensen, “Truth and Method”, dans FARMS Review 16:1.

24 Louis Midgley, “Prophetic Messages or Dogmatic Theology” dans Review of Books on the Book of Mormon, vol 1, page 93.

25 Collen Harrison, He Did Deliver Me From Bondage, 2e éd.,  Pleasant Grove,Windhaven, 2002,  A-9.

26 Id., A20-A21.