Il vaut mieux qu’un seul homme périsse

 

John W. Welch et Heidi Harkness Parker

FARMS UPDATE

Insights, juin 1998

Numéro 118

 

En forçant Néphi à tuer Laban, l’Esprit lui donne la sobre justification : « Il vaut mieux qu’un seul homme périsse que de laisser toute une nation dégénérer et périr dans l’incrédulité » (1 Néphi 4:13). Alma invoque la même raison, lorsque, avec réticence, il soumet Korihor au châtiment divin (Alma 30:47). Ce principe va totalement à l’encontre de la jurisprudence moderne et libérale. Toutefois, sous la loi biblique, on voyait les choses autrement pour certaines situations.

 

2 Samuel 20 en est un exemple clé. Le roi David cherchait à ôter la vie à Schéba fils de Bicri, un rebelle coupable de trahison. Lorsque Schéba se réfugia dans la ville d’Abel, Joab, le capitaine des armées de David, demanda qu’il lui soit livré. Alors, le peuple d’Abel décapita Schéba et Joab se retira. Cet épisode devint un précédent juridique important, justifiant la suppression de la vie d’une personne dans le but de préserver un groupe entier.

 

Un autre cas de l’Ancien Testament, préservé avec plus de détails dans la tradition orale juive, implique Jojakim, roi de Juda, qui se révolta contre Nebucadnetsar. Celui-ci se rendit alors à Antioche et exigea que le Grand Conseil juif lui livre Jojakim, sinon la nation entière serait détruite. Jojakim protesta : « Peut-on supprimer une vie en faveur d’une autre ? » Froidement, le Conseil répliqua : « Tes ancêtres n'ont-ils pas fait la même chose à Schéba ben Bicri ? »[1] Jojakim fut livré à Nebucadnetsar, qui l’emmena à Babylone (2 Chroniques 36:6) où apparemment il fut exécuté.

 

Etant donné que Sédécias devint roi moins de 4 mois plus tard (versets 9-10), à l’époque où l’histoire du Livre de Mormon débute (1 Néphi 1:4), Néphi était probablement au courant que c’est au nom de ce principe « Mieux vaut qu’un seul homme périsse » qu’avait été justifiée la mort de Jojakim. Il est clair que le cas de Laban et de Korihor s’inscrivent parfaitement dans la tradition.

 

Au fil des années, l’équilibre entre les droits de l’individu et les besoins de la communauté fut débattu dans la loi juive. D’un côté, les pharisiens défendaient le fait qu’aucune personne ne devait payer pour l’ensemble de la communauté. De l’autre, les sadducéens, qui coopéraient souvent avec les Romains, affirmaient que pour autant que les autorités désignaient précisément une victime, c’était suffisant. Ce principe, connu sous le nom de « la Résolution Hadrianique » se trouve dans le Talmud de Jérusalem.[2]

 

Adoptant une position plus tempérée, la plupart des érudits rabbiniques ont accepté le principe « Mieux vaut qu’un seul homme périsse », mais le limitent à des cas comme celui de Schéba lorsque :

 

(1) la demande est faite par un dirigeant reconnu

(2) la personne désignée est déjà coupable

(3) la personne est identifiée par son nom

(4) le groupe à sauver est innocent et

(5) le groupe à sauver est voué à une destruction certaine s’il refuse.

 

Bien entendu, le principe « Mieux vaut qu’un seul homme périsse » fut également évoqué, de façon ironique, par Caïphe (un sadducéen), lorsqu’il demanda la mort de Jésus (Jean 11:49-50)[3]. Bien que l’auditoire dût connaître ce principe familier, étant sadducéens et pharisiens, ils étaient probablement divisés quant à son application.

 

Si on ne se basait que sur le Nouveau Testament, ce principe de « Mieux vaut qu’un seul homme périsse », dont il est question dans le Livre de Mormon, pourrait paraître anachronique. Cependant, l’histoire montre que ce principe était d’application bien plus tôt dans la culture israélite, et notamment à l’époque de Néphi. Voilà des informations auxquelles Joseph Smith ne pouvait pas avoir accès, et c’est par ailleurs un sujet que peu d’historiens spécialisés en droit connaissent aujourd’hui.



[1] Genèse Rabbah 94/11 sur 46:26

[2] Voir TJ Terumot 8:10, 46b

[3] Voir Roger David Aus, "The Death of One for All in John 11:45-54 in Light of Judaic Traditions" dans "Barabbas and Esther and Other Studies in the Judaic Illustration of Earliest Christianity" (Atlanta, Scholars Press, 1992).