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POURQUOI ALMA DEMANDE-T-IL SI L’ON A L’IMAGE DE DIEU GRAVEE SUR LE
VISAGE ?
Par Book of Mormon Central · 2 avril 2017
« Je
vous le dis, pourrez-vous lever les yeux, ayant l'image de Dieu gravée sur
le visage? »
Ce que l’on sait
En dirigeant son peuple dans une cérémonie de renouvellement d’alliance,
peut-être dans le cadre de la saison des fêtes d’automne du nouvel an,
Alma lui pose cinquante questions profondes pour faciliter son
introspection et son auto-évaluation spirituelle (Alma 5)
[1].
Dans une paire de questions particulièrement pointues, il lui demande :
« Votre visage est-il empreint de son
image [de Dieu] ? » (Alma 5:14,
je souligne). Puis, en l’invitant à imaginer le jour du jugement (v.
15–18), il demande si, ce jour-là, il pourrait « lever les yeux, ayant l'
image de Dieu gravée sur le visage ? »
(v. 19, je souligne).
Selon Brant Gardner, « l’idée de faire en sorte d’avoir l’image de Dieu
gravée sur le visage des justes semble être propre à Alma »
[2].
Il se peut que quand il utilise les termes gravée et image
ensemble comme il le fait, ce soit une allusion délibérée à des rituels et
à des pratiques existant dans l’Amérique précolombienne. Comme
l’expliquent Brant Gardner et Mark Wright, de nombreuses cultures
mésoaméricaines se livraient à des rituels d’identification avec une
divinité dans lesquels « un spécialiste du rituel, généralement le
souverain, met un masque gravé ou un couvre-chef complexe et se transforme
en ce dieu dont il porte le masque ou le couvre-chef »
[3].
Selon Cecelia Klein, seule la classe supérieure se livrait aux rituels
mésoaméricains. « Le droit de s’identifier à une divinité... n’était pas
accessible à tous ; les costumes étaient des signes de rang, de fonction,
de privilège et de droit à la richesse »
[4].
Ces rituels ont souvent fait partie de fêtes à date fixe comme le nouvel
an
[5],
les personnes d’un
statut social inférieur étant spectateurs du spectacle rituel.
Les masques portés par les imitateurs de divinités étaient considérés
comme étant « eux-mêmes des objets intelligents incarnant l’essence
cognitive et les pouvoirs de l’être [divin] qu’ils représentent »
[6].
Comme Gardner et Wright l’expliquent : « Les masques et les couvre-chef
que portaient des imitateurs de divinités étaient littéralement gravés »
[7].
Les masques
précolombiens étaient sculptés ou gravés de turquoise, de jade, de
néphrite, d’or, d’argent, d’obsidienne, de bois et même de crânes humains
[8].
Dans les représentations artistiques qui nous sont parvenues, les masques
« apparaissent généralement portés par les souverains, les prêtres et les
chefs de guerre »
[9].
L’emprunt d’identité des divinités et les masques portés à cet effet
étaient liés, à l’époque précolombienne, à l' image de la divinité.
Selon Klein, le terme aztèque désignant un imitateur de divinité signifie
littéralement « image de dieu »[10]
et Gardner et Wright font remarquer que les inscriptions mayas disent des
imitateurs de divinité qu’ils ont u-b'aah-il, « son image sainte
[de la divinité] »
[11].
En outre, « le mot maya koh, qui désigne le masque, signifie
« image » ou « représentant »
[12].
Il y avait, parmi beaucoup de
cultures précolombiennes dans toute l’Amérique du Nord et du Sud, des
rituels et des concepts du même genre utilisant des masques
[13].
En Mésoamérique, ces masques et ces rituels sont bien attestés quand on
remonte jusqu’à l’époque du Livre de Mormon. Gardner et Wright
expliquent : « Cette pratique remonte à la période formative (1500 av.
J.-C. à 200 apr. J.-C.), comme l’attestent les peintures rupestres
d’Oxtotitlan datant du VIIIe siècle av. J.-C. »
[14].
Klein affirme que les masques sculptés « sont apparus en Mésoamérique au
début de la période formative, après 1500 av. J.-C. environ »
[15].
Elle ajoute : « Les mésoaméricains imitent leurs dieux depuis... le milieu
et la fin de la période formative » ou, en d’autres termes, à partir de
1000 av. J.-C. environ
[16].
Le pourquoi
« Dans ce contexte », concluent Gardner et Wright, les questions d’Alma à
propos de recevoir et puis de graver
l’image de Dieu
sur son visage « deviennent très nuancées »
[17].
À l’époque, l’Église de Zarahemla devait traiter un afflux récent de
nouveaux convertis (Alma 4:4-5), qui apportaient probablement un bagage
culturel lié à leurs croyances et pratiques religieuses précédentes. En
outre, l’Église connaissait une apostasie interne probablement influencée
par la culture environnante des Néphites (Alma 4:6-14).
Comme Gardner et Wright le proposent : « Alma faisait sans doute allusion
à un concept qu’il supposait que ses auditeurs comprenaient et tentait de
transférer cette compréhension dans un contexte d’évangile plus
approprié »
[18].
Alma s’exprimait au cours d’une cérémonie de renouvellement d’alliance où
certains dans son auditoire s’attendaient peut-être à ce qu’il mette un
masque gravé et prenne sur lui l’« image » d’un dieu. Au lieu de cela,
Alma enseigne à son peuple ce que signifie vraiment graver l’image de Dieu
sur son visage.
Pour Alma, recevoir l’image de Dieu s’apparentait à être
« spirituellement... né de Dieu » et à avoir un « grand changement de
cœur » (Alma 5:14). Andrew C. Skinner explique : « Recevoir l’image du
Christ sur son visage signifie acquérir une ressemblance avec le Sauveur
dans le comportement, être une copie ou un reflet de la vie du Maître »,
ce qui « exige... un changement dans les sentiments, l’attitude, les
désirs et l’engagement spirituel »
[19].
Recevoir
l’image de
Dieu conduit finalement à avoir l’image de Dieu gravée sur le
visage. Cette utilisation de gravée donne de la force à
l’expression de l’importance d’obtenir l’image de Dieu, surtout à la
lumière des efforts déployés par les auteurs du Livre de Mormon, qui
« grav[ent] ce qui est agréable à Dieu » sur des plaques de métal (2 Néphi
5:32)
[20].
Alma compare l’idée d’avoir l’image de Dieu gravée sur soi à celle
d’avoir « le cœur pur et les mains nettes » (Alma 5:19), une expression
qui vient d’un psaume d’entrée au temple (Psaume 24:4). Ce psaume visait à
évaluer la dignité d’une personne à franchir les portes du temple et à
entrer ainsi dans la présence de Dieu
[21].
Alma enseigne donc que les justes qui entrent dans la présence de
Dieu auront son image gravée sur leur visage. En d’autres termes,
ils « seront semblables à lui » (1 Jean 3:2; Moroni 7:48).
Pour y arriver, il faut plus que se revêtir d’un costume et un rituel et
accomplir un rituel « d’identification ». Comme le disent deux de nos
savants, recevoir l’image de Dieu implique véritablement
« imiter... d’autres qui ont montré l’exemple en justice, en particulier
Jésus-Christ »
[22].
En fin de compte, graver l’image de Dieu sur son propre visage est rendu
possible « par le sang du Christ » (Alma 5:27), parce que le Seigneur nous
a « gravés sur[ses] mains » (Esaïe 49:16; 1 Néphi 21:16).
Comme Alma l’enseigne, cette réception véritable de l’image de Dieu était
accessible à tous, pas simplement au souverain et au reste de l’élite
sociale. De cette façon, Alma poursuivait le processus de démocratisation
commencé par le roi Benjamin et appliqué par Mosiah
[23].
Aujourd'hui, les questions pointues d’Alma continuent à exhorter le
lecteur à affronter un auto-examen sincère et approfondi. Cette
introspection ouvre la possibilité de se repentir et de devenir comme le
Christ — d’avoir son image gravée sur son visage — une possibilité
ouverte à tous ceux qui cherchent vraiment à être les émules du Sauveur.
[1] Voir Book of Mormon Central, “Why Did Alma Ask Church Members Fifty
Probing Questions? (Alma 5:14–15),” KnoWhy 112, 1er juin 2016). On
trouvera la liste des cinquante questions dans John W. Welch et J. Gregory
Welch, Charting the Book of Mormon: Visual Aids for Personal Study and
Teaching, Provo, UT, FARMS, 1999, tableaux 61–65. On trouvera un
commentaire sur Alma 5 à la lumière des anciennes fêtes d’automne d’Israël
dans Hugh W. Nibley, Teachings of the Book of Mormon: Transcripts of
Lectures Presented to an Honors Book of Mormon Class at Brigham Young
University, 1988–1990, 4 vols., American Fork et Provo, UT, Covenant
Communications et FARMS, 2004, 2:210–218.
[2] Brant A. Gardner, Second Witness: Analytical and Contextual
Commentary on the Book of Mormon, 6 vols., Salt Lake City, UT, Greg
Kofford Books, 2007, 4:97.
Il ne faut pas confondre l’image
gravée de Dieu avec les idoles ou images taillées universellement
condamnées dans les Écritures. Voir Exode 20:4; Lévitique 26:1;
Deutéronome 4:16, 23, 25; 5:8; 7:5, 25; 12:3; Juges 17:3–4; 18:14, 17, 20,
30–31; 2 Rois 17:41; 21:7; 2 Chroniques 34:4, 7; Psaumes 78:58; 97:7;
Ésaïe 10:10; 21:9; 30:22; 40:19–20; 42:17; 44:9–10,
15,
17; 45:20; 48:5; Jérémie 8:19; 10:14; 51:17, 47, 52; Osée 11:2; Michée
1:7; 5:13; Nahum 1:14; Habaccuc 2:18; 1 Néphi 20:5; 2 Néphi 20:10; Mosiah
12:36; 13:12; 3 Néphi 21:17.
[3] Brant A. Gardner et Mark Alan Wright, “The Cultural Context of Nephite
Apostasy,” Interpreter: A Journal of Mormon Scripture 1, 2012, p.
49. Voir aussi David L. Webster, “Maya Religion: Deities,” dans
Archaeology of Ancient Mexico and Central America: An Encyclopedia,
dir. de publ.
Susan Toby Evans et David L. Webster, New York, NY, Routledge, 2001, p.
449:
« Les souverains ou d’autres personnes pouvaient porter des costumes de
dieux et les Mayas croyaient apparemment que la divinité se manifestait
dans l’imitateur. »
[4] Cecelia F. Klein, “Impersonation of Deities”, dans The Oxford
Encyclopedia of Mesoamerican Cultures, 3 vols., dir. de publ.
Davíd Carrasco, New York, NY, Oxford University Press, 2001, 2:36.
Klein explique aussi :
« La majorité de ces personnes masquées étaient des souverains ou des
hauts fonctionnaires » (p. 33).
Walter R. T. Witschey, « Theater », dans Encyclopedia of the Ancient
Maya, 341, explique de même que
« les arts de la scène, notamment les imitateurs de divinités, les masques
de divinités et d’esprits » étaient « le fait des élites de la société,
les souverains divins répétant, pour que tout le monde les voie les
actions et les intérêts des dieux en « devenant » ces dieux dans un
spectacle souvent chargé de signification religieuse. »
[5] Mary Miller et Karl Taube, An Illustrated Dictionary of the Gods
and Symbols of Ancient Mexico and the Maya, New York, NY, Thames and
Hudson, 1993, p. 76–77 traitent de l’imitation de divinités lors de
diverses fêtes aztèques liées à des dates précises.
Walter R. T. Witschey, “Rites and Rituals”, dans Encyclopedia of the
Ancient Maya, dir. de publ.
Walter R. T. Witschey, Lanham, MD, Rowman and Littlefield, 2016, p. 295
traite des « arts de la scène où les rois mayas s’identifiaient au dieu
qu’ils invoquaient » au cours de rituels qui étaient « répétés à
intervalles fixes déterminés par le calendrier. »
[6] Cecelia F. Klein, “Masks,” dans The Oxford Encyclopedia of
Mesoamerican Cultures, 2:175.
[7] Gardner et Wright, “The Cultural Context of Nephite Apostasy”, p. 50.
[8] Klein, “Masks,” 2:176. On trouvera des exemples de masques utilizes en
Mésoamérique dans Mary Ellen Miller, The Art of Mesoamerica: From Olmec
to Aztec, 5e edition, New York, NY, Thames and Hudson, 2012, p. 8, 19,
94, 233, 268.
[9] Klein, “Masks,” 2:175.
[10] Klein, “Masks,” 2:175.
Klein, “Impersonation of Deities,” 2:34 explique que les Espagnols
utilisaient des noms tels que “image”, “ressemblance”, “remplacement” and
“substitution” pour traduire le terme.
[11] Gardner et Wright, “The Cultural Context of Nephite Apostasy”, p. 49.
Klein, “Impersonation of Deities,” 2:35 explique aussi :
« Des portraits de pierre
gravés de dynastes mayas habillés comme un dieu sont identifiés, dans les
inscriptions qui les accompagnent, comme étant u bah, la
‘ressemblance, image, personne, moi’ du dieu. »
Voir aussi Stephen Houston et David Stuart, “The Ancient Maya Self:
Personhood and Portraiture in the Classic Period”, RES: Anthropology
and Aesthetics 33, 1998, p. 81, 93–94; Stephen Houston, David Stuart
et Karl Taube, The Memory of Bones: Body, Being, and Experience among
the Classic Maya, Austin, TX, University of Texas Press, 2006, p.
66–67, 270.
[12] Klein, “Masks,” 2:175.
Alfredo Barrera Vásquez, et al, Diccionario Maya Cordemex,
maya-espanol, espanol-maya, Merida, Mex., Ediciones Cordemex, 1980, p.
409, s.v., koh: “el que representa la figura, imagen o persona de otro”
(ce qui représente la forme, l’image ou la personne de quelqu’un d’autre).
[13] Pour les cultures de l’Est de l’Amérique du Nord (spécialement des
Iroquois), voir Raymond D. Fogelson, “Person, Self, and Identity: Some
Anthropological Retrospects, Circumspects, and Prospects”, dans
Psychoscial Theories of the Self, dir. de publ.
Benjamin Lee, New York, NY, Plenum Press, 1982, p. 75–77; Harold Blau,
“Function and the False Faces: A Classification of Onodaga Masked Rituals
and Themes,” Journal of American Folklore 79, n° 314, 1966, p.
564–580. Pour le Sud-Ouest américain, voir Virginia More Roediger, Ceremonial
Costumes of the Pueblo Indians: Their Evolution, Fabrication, and
Significance in the Prayer Drama, Berkeley et Los Angeles, CA,
University of California Press, 1991, p. 158–163. Pour l’Amérique du Sud,
voir Christopher B. Donnan, “Moche Masking Traditions”, dans The Art
and Archaeology of the Moche: An Ancient Andean Society of the Peruvian
North Coast, dir. de publ. Steve Bourget et Kimberly L. Jones, Austin,
TX, University of Texas Press, 2008, p. 67–72.
[14] Gardner et Wright, “The Cultural Context of Nephite Apostasy”, p. 49.
Concernant les peintures rupestres de la caverne d’Oxtotitlan, voier
Miller, The Art of Mesoamerica, p. 46–47.
[15] Klein, “Masks,” 2:175.
[16] Klein, “Impersonation of Deities,” 2:34.
Comme preuve, Klein cite aussi la “peinture murale de la caverne
d’Oxtotitlan” mentionnée par Gardner et Wright.
[17] Gardner et Wright, “The Cultural Context of Nephite Apostasy”, p.
49–50.
[18] Gardner et Wright, “The Cultural Context of Nephite Apostasy”, p. 50.
[19] Andrew C. Skinner, “Alma’s ‘Pure Testimony’ (Alma 5–8),” dans Book
of Mormon, Part 1: 1 Nephi to Alma 29, Studies in Scripture, Volume 7,
dir. de publ. Kent P. Jackson, Salt Lake City, UT, Deseret Book, 1987, p.
301.
[20]
La gravure des plaques était, dans un certain sens, littéralement le fait
de graver des images de Dieu— des caractères qui forment les
paroles de Dieu. Les auteurs du Livre de Mormon écrivaient en utilisant
une forme d’écriture égyptienne (1 Néphi 1:2 ; Mormon 9:32). Les
hiéroglyphes égyptiens étaient littéralement des images de divinités
égyptiennes, et même si l’écriture utilisée était l’une des écritures plus
cursives, comme le hiératique ou le démotique, les caractères de ces
écritures reposaient toujours sur les images originales utilisées dans les
hiéroglyphes. Tout syncrétisme de leurs écritures du vieux monde avec
celles du nouveau monde n’aurait fait qu’ajouter d’autres éléments
hiéroglyphiques, étant donné que presque toutes les écritures de
Mésoamérique (le seul endroit du nouveau monde ayant des systèmes
d’écriture précolombienne) sont hiéroglyphiques.
[21] Craig C. Broyles, “Psalms Concerning the Liturgies of Temple Entry”,
dans The Book of Psalms: Composition and Reception, dir. de publ.
Peter W. Flint et Patrick D. Miller Jr., Boston, MA, Brill, 2005, p. 252.
Voir aussi Book of Mormon Central, “Why Does Nephi Quote a Temple Psalm
While Commenting on Isaiah? (2 Nephi 25:16),” KnoWhy 51, 10 mars
2016).
[22] Joseph Fielding McConkie et Robert L. Millet, Doctrinal Commentary
on the Book of Mormon, 4 vols., Salt Lake City, UT, Deseret Book,
1987–1992, 3:30.
[23] John W. Welch, “Democratizing Forces in King Benjamin’s Speech”, dans
Pressing Forward with the Book of Mormon: The FARMS Updates of the
1990s, dir. de publ. John W. Welch et Melvin J. Thorne, Provo, UT,
FARMS, 1999, p. 110–126. |