Histoire et historicité dans le Livre de
Mormon
Brant Gardner 6
août 2015 FairMormon
Grâce à Internet, le début de l’été
2015 a vu un échange public sur le caractère historique du Livre de
Mormon. L’origine de la controverse est aussi ancienne que le Livre de
Mormon lui-même, mais la nature des arguments a changé. Dans les toutes
premières années, le simple fait que le Livre de Mormon décrive des
habitants civilisés du Nouveau Monde suscitait pour le moins la suspicion.
Ceux qui croyaient au Livre de Mormon appelaient à la rescousse les livres
et autres rapports qui avançaient l’idée qu’il y avait eu des villes et
des cultures plus élevées que celles que les gens de l’époque
connaissaient. Les informations sur les anciens habitants des Amériques
devenant plus nombreuses, la discussion sur le Livre de Mormon tournait
souvent autour de la démonstration que ce n’était pas surprenant que
Joseph Smith ait écrit un livre décrivant des Indiens civilisés. Cet
argument a donné le ton des débats qui se sont succédé, entre autres
l’échange public que nous avons vu cet été [2015]. Les auteurs mormons
proposent, pour le Livre de Mormon, certains types de preuves que d’autres
considèrent comme insuffisants sous prétexte qu’il y a d’autres
explications possibles.
Ce débat de 2015 entre Philip Jenkins pour
la critique et William J. Hamblin pour la défense du Livre de Mormon a
également vu présenter très clairement un argument qui s’est répandu au
cours des dernières années. L’argument en question se résume dans un
paragraphe de Jenkins :
« Je pose une question. Quelqu'un peut-il
citer ne serait-ce qu’un seul fait, objet, site ou inscription crédible
dans le Nouveau Monde qui vienne à l’appui de l’une quelconque des
histoires du Livre de Mormon ? Un unique tesson de poterie ? Un seul outil
de bronze ou de fer ? Une pierre gravée ? Un fragment de donnée génétique
? Et par crédible, j’entends tiré d’une recherche scientifique digne de ce
nom, d’un ouvrage universitaire ou d’une revue scientifique [1] ».
La question est revenue sur le tapis au cours de l’échange entre Jenkins
et Hamblin :
« J’ai demandé maintes et maintes fois ne serait-ce
qu’UN élément de preuve dans les Amériques et la réponse a été aucun, pour
la raison simple et évidente qu’il n’y en a pas. Il n’y a aucun autre
domaine d’étude universitaire dans lequel se présenterait une telle
situation, dans laquelle de soi-disant experts ne seraient pas en mesure
de produire le moindre fait à l’appui de l' existence du domaine
d’activité dont ils se targuent, peu importe sa valeur – juste son
existence [2]. »
On pourrait croire qu’avec l’omniprésence et la
nouveauté relative de l’Internet, on a affaire ici à un nouvel assaut
contre le Livre de Mormon. En fait, c’est simplement la poursuite du même
sempiternel problème. Il y a près d’un demi-siècle, Milton R. Hunter a
prononcé un discours spirituel devant les étudiants de l’Université
Brigham Young. Il y décrivait un échange de correspondance qu’il avait eu
avec des membres de l’Église :
« Il y a des gens qui m’écrivent
pour dire : ‘Nous aimerions que vous nous recommandiez beaucoup de livres
rédigés par des non-mormons sur l’archéologie et le Livre de Mormon qui
viennent à l’appui du Livre de Mormon’ ».
Je réponds : « Je ne peux
pas vous recommander beaucoup de livres écrits par des non-mormons qui
soutiennent le Livre de Mormon.
« Les archéologues trouvent des
indices archéologiques et écrivent leurs livres. Certains d'entre nous,
mormons, ont glané les indices appropriés dans les ouvrages d’archéologie
et les ont rattachent au Livre de Mormon pour soutenir les anciennes
annales néphites. Mais cela n’intéressait pas et n’intéressera sans doute
pas le non-mormon de faire ce genre de chose. N’attendez pas de lui qu’il
écrive un livre comme ça pour vous. Ne rêvez pas, ne soyez pas naïfs,
parce que cela n’existe pas. »
Le fait que les choses sont comme
elles sont ne rend pas le Livre de Mormon faux ni n’élimine les données
archéologiques [3].
Ce que veulent beaucoup de saints des derniers
jours n’est pas vraiment différent de ce que veut Phillip Jenkins. Où est
cette fameuse preuve indéniable ? Nous devenons sûrs qu’elle doit exister,
parce que nous savons qu’il y a maintes preuves des événements dans le
Vieux Monde. Assurément le Livre de Mormon devrait avoir exactement le
même genre d’occasion de s’appuyer sur des preuves concluantes que la
Bible. Ceux qui suggèrent qu’il devrait y avoir des preuves concluantes
pour le Livre de Mormon parce qu’il y a des preuves concluantes pour
Jérusalem ou pour le tunnel d’Ézéchias perdent de vue une différence
importante que ceux qui travaillent dans le Nouveau Monde reconnaissent
immédiatement. Les deux contextes historiques sont significativement
différents et la nature de ces différences exclut le genre de preuve
concluante que l’on trouve quand il s’agit de certaines connexions
archéologiques avec le Vieux Monde.
La première différence
essentielle est que l’on est capable d’identifier avec précision les sites
car il y a eu une présence continue sur ces sites. Nous n’avons jamais
perdu de vue où Jérusalem se trouve. Il est absolument certain que lorsque
nous faisons des fouilles dans la Jérusalem moderne, nous trouvons dans
les strates plus anciennes des restes qui sont de Jérusalem [4]. Très peu
de sites du Nouveau Monde ont cet avantage. Dans la zone maya, les ruines
les plus importantes ont été abandonnées et n’avaient pas de ville
existante ou de population importante au moment de la conquête espagnole.
Dans beaucoup de cas leur emplacement avait été perdu avec le temps et n’a
été révélé que lorsque l’on a défriché la jungle pour le dégager. Même
pour certains sites qui avaient des noms plus anciens, les noms qu’on leur
donnait à l’époque de la Conquête avaient tendance à provenir de la langue
nahuatl qui était la langue de l’hégémonie dominante des Aztèques. Pour de
nombreux sites mayas, la désignation d’origine a été perdue.
La
différence essentielle suivante est la disponibilité des documents. Le
Vieux Monde est riche en documents. Les mésoaméricanistes peuvent au moins
trouver un peu d’espoir auprès des Mayas, mais les Mayas sont la seule
culture pour laquelle nous possédons un langage lisible datant d’avant la
Conquête. Le reste des documents que les ethnohistoriens utilisent pour
reconstituer l’histoire et la religion mésoaméricaines ont été écrits en
alphabet latin après la Conquête et la plupart en espagnol plutôt que dans
la langue d’origine (à quelques heureuses exceptions près). Mais même chez
les Mayas, l’écriture n’aide pas particulièrement pour le Livre de Mormon.
La grande majorité des textes qui sont restés sont postérieurs au
Livre de Mormon. Nous pourrions souhaiter qu’il y ait une mention d’un nom
ou d’une ville néphite dans ces textes, mais les chances pour que
quelqu'un ait écrit sur un peuple qui avait disparu depuis un siècle ou
deux seraient minces. Cela ne signifie pas que personne n’écrivait à
l’époque du Livre de Mormon. La différence est que nous avons des textes
sur des poteries et sur de la pierre gravée. Tout ce qui était sur un
support périssable n’a tout simplement pas survécu (que ce soit
naturellement ou en échappant aux destructions zélées des Espagnols). Les
peintures murales du temple de San Bartolo confirment que les Mayas de
l’époque écrivaient, mais cette forme plus ancienne de leur écriture n’est
pas encore entièrement déchiffrable. Néanmoins, cela nous dit qu’il y
avait des écrits et que nous en avons probablement perdu beaucoup parce
qu’ils datent de l’époque où les Mayas peignaient leurs textes sur de la
pierre plutôt que de les graver.
Qu’est-ce que cela signifie pour
le Livre de Mormon ? Cela signifie que les types d’indices qui mènent à
une preuve concluante n’existent pas, non pas à cause de quelque chose qui
serait dû au Livre de Mormon, mais en raison de la nature des indices
existant dans le Nouveau Monde. Supposons que nous ayons une peinture de
provenance non indiquée qui répertorie quelques rois d’une ville donnée.
Nous pourrions nous dire que la peinture décrit la liste des rois de cette
ville et que la liste représente les rois réels qui y ont vécu. Est-ce là
une preuve concluante des rois ou de la ville ? C’est un indice, mais ce
n’est pas concluant [5]. Dans ce cas, cela pourrait être acceptable à
moins qu’il y ait une autre poterie du même genre qui le contredise. Les
deux poteries restent des indices, mais maintenant encore moins
concluants.
Olmèque est le nom donné à une tendance culturelle qui
est la plus ancienne grande civilisation de la Mésoamérique. Il est le
résultat d’une identification erronée tardive parce qu’on a trouvé les
ruines dans les terres où vivaient les populations maintenant appelées
olmeca-xicallanca. Le nom est sûrement faux, mais nous n’en avons pas de
meilleur. Il y a des preuves concluantes de ce que les peuples que nous
appelons olmèques ont vécu. Nous en savons beaucoup sur le où et le quand,
mais il n’y a aucune indication concernant le nom qu’ils se donnaient ni
celui qu’ils donnaient aux villes dans lesquelles ils vivaient. Il n’y a
aucune preuve concluante de la langue qu’ils parlaient. Parce que les
Jarédites du Livre de Mormon s’intègrent dans la période de temps où il y
avait des Olmèque et que l’on pense qu’ils ont vécu dans la région où il y
avait des Olmèques, certains auteurs mormons ont suggéré à tort que les
Olmèques étaient en fait des Jarédites. Je ne ferais pas cette
équivalence, même si je ne dis pas que les Jarédites n’ont pas vécu dans
la culture olmèque.
L’important est que nous pourrions facilement
déterrer une ville et étaler un certain nombre d’artefacts. Ce pourrait
être une ville jarédite. Toutefois, il ne peut pas y avoir de preuve
concluante que c’étaient des Jarédites parce qu’il n’y a rien qui nous
dise le nom qu'ils utilisaient pour se désigner. C’est donc Olmèques, même
si ce nom est sûrement faux.
Le problème, quand on exige une preuve
irréfutable, est que c’est une façon de voir qui est fondée sur ce qui est
possible dans le Vieux Monde. L’absence de preuves concluantes
concernant à peu près tout dans le Nouveau Monde est le fait de la nature
des indices disponibles dans le Nouveau Monde. Tout ce qui est archéologie
et ethnohistoire connaît exactement le même problème. La différence est
qu’il y a un ensemble culturel traçable que nous pouvons rattacher à
travers l’histoire à des peuples plus récents. Par conséquent, nous
pouvons relier le Maya classique au Maya moderne même si tout leur
patrimoine culturel était diminué au moment de la Conquête et a par la
suite disparu.
Exiger un élément de preuve c’est supposer qu’une
preuve concluante est possible pour le lieu et la période considérés. En
fait, ce n’est pas le cas. Son absence ne nous laisse pas suspendus dans
le vide, mais nous impose la nécessité de créer une argumentation plutôt
que d’invoquer un élément de preuve concluant. Le problème et la solution
sont visibles dans le cas de la linguistique historique dans le Nouveau
Monde.
Je pense que le domaine le plus proche à devoir faire face à
des problèmes semblables est la linguistique historique. Le domaine de la
linguistique historique tente de remonter l’évolution du langage au cours
de l’histoire pour déterminer la langue qui était à l’origine d’une langue
actuelle. C’est ainsi que la linguistique historique se penche sur les
ressemblances entre les différentes langues romanes et examine comment
elles ont évolué à partir du latin. La linguistique historique cherche à
savoir à quoi pouvait bien ressembler la langue indo-européenne supposée
pour mener aux nombreuses langues maintenant attribués à cette famille.
Dans le Vieux Monde, des documents ont pu aider à une partie de cette
tâche, mais dans le Nouveau Monde, nous retombons sur le problème de
devoir reconstituer l’histoire d’un changement dans des langues là où
quasiment rien de cette histoire n’a été enregistré. Comment les
linguistes font-ils ? Bruce L. Pearson fournit une importante description
de la méthode :
« On peut supposer que les ensembles de mots
présentant des ressemblances dans la forme et le sens sont apparentés,
étant donné que les langues étudiées sont supposées être liées. C’est bien
entendu tourner en rond. Nous avons besoin d’une liste de mots apparentés
pour montrer que les langues sont liées entre elles, mais nous devons
d’abord savoir que les langues sont liées entre elles avant de pouvoir
rechercher en toute sécurité les mots apparentés. C’est pour cela que dans
la pratique, l’hypothèse se construit lentement et il peut y avoir un
certain nombre de faux départs en cours de route. Mais peu à peu certaines
structures correspondantes commencent à émerger. Ces structures orientent
vers des apparentés insoupçonnés qui révèlent des correspondances
supplémentaires jusqu'à ce qu’on finisse par aboutir à un réseau serré
d’indices qui s’emboîtent [6]. »
Je propose que ce modèle nous dit
exactement comment procéder pour créer un « dossier » concernant le Livre
de Mormon. Nous ne pouvons trouver des connexions entre le Livre de Mormon
et l’histoire que si nous cherchons. Cependant, trouver quelque chose qui
semble avoir un lien ne signifie pas qu’il y en avait un. Une fois que
nous avons la possibilité d’une connexion, nous devons revenir au problème
et commencer par dégager d’autres connexions. En linguistique, il ne
suffit pas d’accepter les ressemblances simples. Les linguistes regardent
les changements de sons et quand il y a des changements de sons logiques
qui expliquent comment une langue est liée à une autre, la probabilité
qu’il y ait une langue mère augmente. Plus grand est le nombre de ces
ensembles de mots apparentés que l’on peut placer dans un groupe commun de
changements de sons qui expliquent comment les langues filles ont découlé
de la langue mère, plus la connexion entre les langues filles et la langue
mère reconstituée est certaine.
Quelle serait la réponse d’un
Phillip Jenkins s’il devait demander à un linguiste spécialisé dans
l’histoire des langues qu’il fournisse ne serait-ce qu’un élément de
preuve concluant démontrant que le mixe-zoque était la langue des Olmèques
(ce qui est la meilleure hypothèse à l’heure actuelle) ? Dans le cas de la
linguistique historique, c’est une question qui n’a aucun sens. Il n’y en
a pas et il ne peut pas y en avoir en raison de la nature même des
indices. De même, la preuve de l’historicité du Livre de Mormon passe par
un développement complexe où les éléments de preuve sont répétitifs. La
nature du problème dans le Nouveau Monde fait qu’exiger l’élément de
preuve concluant est la même chose qu’exiger la preuve concluante que les
Olmèques (quel que soit le nom qu’ils se donnaient) parlaient mixe-zoque
(lui-même langue reconstituée connue seulement par la linguistique
historique).
Création du réseau d’indices qui s’emboîtent
On commence une étude en linguistique historique par des
comparaisons de base. Dans le cas du Livre de Mormon, la corrélation la
plus élémentaire est celle de la géographie. Si nous ne pouvons pas
proposer un emplacement qui pourrait être la géographie décrite dans le
Livre de Mormon, nous n’avons aucune raison de regarder plus loin. Même la
géographie exige un processus de répétition si l’on veut qu’elle devienne
une base importante du réseau d’indices qui s’emboîtent. Une fois qu’on a
les grandes lignes d’une géographie, il faut que d’autres détails s’y
intègrent comme l’altitude, l’hydrologie et le climat. Une fois que
ceux-là sont en place, on peut trouver des corrélations de plus en plus
importantes si les événements décrits pour 3 Néphi peuvent avoir une
explication basée sur cette géographie.
Ce travail de départ a été
fait et l’ensemble de caractéristiques le plus étroitement emboîtées
placerait les événements du Livre de Mormon dans les parties plutôt
méridionales de la région qualifiée de Mésoamérique. Une fois qu’on a
l’endroit, il est possible de commencer à regarder d’autres types de
données. John L. Sorenson a également fait cela, faisant des comparaisons
générales entre les traits culturels trouvés en Mésoamérique avec les
informations contenues dans le Livre de Mormon.
Ce que je veux
dire, c’est que nous devons faire passer ce type de comparaison au niveau
supérieur de l’analyse répétitive. Pearson fait remarquer que pendant
qu’on élabore un « dossier » en faveur des rapports entre deux ou
plusieurs langues, on risque d’avoir de faux départs. Nous ne pouvons pas
nous attendre à autre chose quand nous examinons l’histoire du Nouveau
Monde par rapport au Livre de Mormon. Ce qui est requis ici est la même
chose de ce qui est exigé de la linguistique historique. Quand nous
découvrons un faux départ, nous enlevons ces fausses ressemblances et nous
continuons à affiner les modèles. Les faux départs les plus connus dans
les efforts pour situer le Livre de Mormon dans le monde réel sont sans
aucun doute la stèle dite de la pierre de l’Arbre de vie et l’histoire du
grand dieu blanc mésoaméricain, Quetzalcoatl.
 La
Pierre de l’Arbre de vie
M. Wells Jakeman voyait dans la Stèle
5 d’Izapa non seulement un arbre de vie, mais une représentation détaillée
du songe de l’arbre de vie de Léhi. La possibilité d’un artefact tangible
spécifiquement lié au Livre de Mormon a enflammé l’imagination de la
communauté mormone. J’ai à mon mur une petite reproduction en plâtre de la
Stèle 5 d’Izapa, qui a été faite, je crois, par une société de secours de
Californie du Sud. Malgré la popularité continue de ce qui a également été
appelé la Pierre de Léhi, Hugh Nibley a contesté les corrélations de
Jakeman [7]. Quand de meilleurs dessins de la stèle érodée sont devenus
accessibles et que les scènes sur la stèle ont été comparées aux autres
scènes provenant du même site, il est devenu manifeste que la lecture de
Jakeman était fondée sur une copie inexacte du dessin, sur l’application
erronée à cette pierre ancienne, appartenant à une culture différente, des
conventions d’attribution des noms dans le Mexique central dans les codex,
et sur le fait d’avoir négligé de comparer les scènes de la pierre avec
les autres stèles de la région.
Malgré la preuve solide que la
Stèle 5 n’a rien à voir avec le Livre de Mormon, la communauté mormone a
été très lente à abandonner cet indice à succès. Néanmoins, si nous
voulons construire un réseau fort d’indices emboîtés, les correspondances
incorrectes, telles que l’affirmation que la Stèle 5 d’Izapa représente le
songe de Léhi, doivent être abandonnées. C’est une partie importante du
processus de constitution par paliers du « dossier ». Tantôt les
correspondances s’améliorent. Tantôt elles se désagrègent complètement.

Quetzalcoatl
La deuxième preuve populaire du Livre de
Mormon que nous devons écarter est l’idée qu’il puisse y avoir quelque
chose dans les légendes de Quetzalcoatl qui soit un souvenir du Livre de
Mormon. J’ai commencé en 1986 ma campagne personnelle de changement
d’opinion sur ce sujet [8]. Malheureusement, cette information est devenue
beaucoup plus populaire dans les cercles non mormons et même anti-mormons
que parmi les membres. Le mythe mormon à propos du mythe semble presque
aussi fort que par le passé. Même le Mormon’s Codex de John L. Sorenson
perpétue l’idée que Quetzalcoatl encode un certain rapport avec l’histoire
racontée dans 3 Néphi [9].
La documentation relative à Quetzalcoatl
est fort compliquée. Le point positif est que nous avons comme
documentation autant sinon plus au sujet de Quetzalcoatl que de toutes les
autres divinités mésoaméricaines. La mauvaise nouvelle est que nous avons
tellement d’informations que la plupart des auteurs mormons qui avancent
Quetzalcoatl comme souvenir de Jésus-Christ n’ont pas tout lu. Il y a un
vaste corpus de littérature espagnole ancienne qui suggère que
Quetzalcoatl était un souvenir de Saint-Thomas, qui avait prêché dans le
centre du Mexique. Les auteurs mormons se sont concentrés sur cette
littérature et ont emprunté la quasi-totalité de ses indices en
transférant l’identification du mystérieux prédicateur sur Jésus Christ.
Malheureusement, les anciens auteurs espagnols avaient déjà mal
interprété les légendes du Mexique Central pour qu’elles aient l’air
d’appuyer l’hypothèse de Saint-Thomas. Nous pouvons dire cela parce qu’il
y a des documents qui racontent des parties de la légende de Quetzalcoatl
qui sont écrites en nahuatl, la langue des Aztèques. Par exemple, un
document important très ancien rapporte cette scène de la vie de
Quetzalcoatl :
« Ses oncles étaient grandement irrités, et peu de
temps après, ils partirent, allant devant Apanecatl qui sortit rapidement.
Ce Acatl [un autre nom de Quetzalcoatl] se leva et fendit la tête
d’[Apanecatl] en un coup lisse et profond, à la suite duquel coup il tomba
sur le sol en dessous. Immédiatement [Quetzalcoatl] saisit Solton et
Cuilton. Les bêtes soufflèrent sur le feu et alors il les tua. Ils les
rassemblèrent, coupèrent un peu de leur chair et après les avoir torturés,
ils leur ouvrirent la poitrine [10]. » Nous ne voyons jamais cette
histoire dans les divers arguments reliant Quetzalcoatl et Jésus Christ.
Ce n’est peut-être qu’une corruption du récit — sauf que lorsque toutes
les histoires sont réunies, nous pouvons voir comment les écrivains
espagnols ont apporté leurs modifications subtiles afin que ce qui était
vraiment une divinité mésoaméricaine commence à sembler étrangère.
Les problèmes causés par la façon dont les auteurs mormons ont utilisé la
Stèle d’Izapa et les textes sur Quetzalcoatl nous disent que, alors que
nous travaillons à plus de précision dans nos corrélations entre
l’histoire et le Livre de Mormon, il y aura des moments où nous nous
rendrons compte que nous nous sommes égarés dans des impasses. Cela ne
signifie certainement pas que nous n’avons pas été capables d’illuminer
encore davantage et d’élargir certaines des routes que nous avions
examinées précédemment.
Le concept d’histoire intègre le passage du
temps. Les historiens comprennent certainement que les événements se
produisent dans le temps, et que les temps dans lesquels les événements se
produisent influencent parfois, mais sont plus souvent influencés par le
flux plus important de la culture et de l’histoire qui les entoure. Pour
le Livre de Mormon, l’histoire n’a pas laissé d’événements clairs où le
Livre de Mormon a changé le flux perceptible de l’histoire dans le Vieux
ou le Nouveau Monde. Ce que le Livre de Mormon montre, c’est sa propre
participation et l’influence des grandes tendances dans les régions où il
s’est produit. Nous commençons à voir ces réseaux d’indices emboîtés quand
nous regardons ce que le Livre de Mormon dit dans le contexte de certaines
époques. Il y a un certain nombre de façons dont le Livre de Mormon
s’insère dans des lieux et des moments très précis. J’en relève trois.
Le peuple veut un roi
Peu après s’être séparé
de ses frères, Néphi fonde une nouvelle communauté. Il écrit : « Et il
arriva qu'il voulut que je fusse son roi. Mais moi, Néphi, je désirais
qu'il n'eût pas de roi; néanmoins, je fis pour lui selon ce qui était en
mon pouvoir » (2 Né 5:18). Il n’explique pas sa réticence à accepter la
royauté, mais il est important pour comprendre le contexte historique que
devenir roi n’était pas son idée. Néphi est fait roi parce que son peuple
le veut assez pour surmonter les objections de Néphi. Ce qui soulève la
question importante de savoir pourquoi.
La réponse est possible si
nous relions les points entre temps et lieu. En commençant par la
localisation en Mésoamérique et en ajoutant l’époque où se situe la
première communauté néphite, nous pouvons regarder ce qui est connu de la
région environnante. C’est un temps où cette région participe à un vaste
mouvement régional d’abandon des petites collectivités pour passer à des
villes avec des rois.
Livre de Mormon et
Mayas préclassiques
|
Le peuple de Néphi demande un roi (2 Né 5 :18)
|
Les anciens villages égalitaires évoluent vers des royautés
hiérarchiques
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Jacob condamne les vêtements coûteux
et la polygamie
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« Agrandisseurs »
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Le peuple de Néphi demande un roi (2 Né 5 :18) Les anciens villages
égalitaires évoluent vers des royautés hiérarchiques Jacob condamne les
vêtements coûteux et la polygamie « Agrandisseurs »
Je pense que le
désir d’avoir un roi reflète une montée subite dans l’apparition de rois
tout autour de la ville de Néphi. Une étude intéressante est Cerros, une
ville située sur la côte orientale de la péninsule du Yucatan, datant de
la période préclassique. Ce village fut transformé en un centre urbain,
architecture monumentale comprise. Cette transition du village à la ville,
d’une architecture simple à une architecture monumentale et symbolique,
suggère qu’il y eut aussi un changement dans le gouvernement du village.
Les villages ont généralement des chefs de village comme dirigeants. Le
symbolisme de l’architecture après la transformation suggère qu’ils sont
passés de cette forme plus simple de gouvernement vers un roi de style
mésoaméricain vers 300 av. J.-C. David Drew résume la « reconstruction
spéculative » des archéologues qui ont enquêté sur le site :
Ils
suggèrent que ses habitants ont choisi délibérément d’adopter
l’institution de la souveraineté. Ils l’ont fait parce qu’ils ont été
obligés d’affronter la réalité du développement des inégalités sociales au
sein de leur société. Plutôt que de laisser cela conduire à un conflit, à
la dislocation du tissu social, ils ont cherché à ne pas dénier cette
inégalité mais à l’adopter pour l’institutionnaliser en créant un pouvoir
central si puissant et doté d’une légitimité symbolique si extraordinaire
qu’il l’emporte sur tous les autres. Ce qui est suggéré ici, c’est une
sorte de contrat social des droits et obligations. Les membres humbles de
la communauté devaient payer un tribut pour entretenir le souverain et son
lignage ou ses partisans, participer à la construction de temples et
d’autres édifices communaux. Mais en retour le souverain assurait la
sécurité, l’autorité de gestion pour résoudre les différends et organiser
les travaux publics, et surtout, comme nous l’avons vu, fournir une
orientation religieuse : il s’occupait des questions spirituelles d’une
importance tellement fondamentale pour une telle société [11].
David Webster décrit le développement culturel de cette période générale :
« Avant les environs de 650 av. J.-C., nous ne pouvons détecter aucun
signe de complexité sociale ou politique particulière dans les vestiges
archéologiques de ces premiers habitants, bien que l’obsidienne et
d’autres objets importés des Terres Hautes aux Terres Basses montrent que
les populations dispersées n’étaient absolument pas isolées les unes des
autres. Pendant les deux siècles suivants, quelques communautés dans les
Basses terres centrales mayas et le Belize commencèrent la construction de
structures civiques en maçonnerie hautes de 10 à 14 m, certaines avec des
masques en stuc et d’autres éléments décoratifs qui ont une ressemblance
générique avec ceux trouvés sur les sites ultérieurs de la période
classique. Vers la même époque, des structures encore plus importantes
furent érigées dans les vallées d’El Salvador. Les sculptures sur rochers
à cet endroit et aussi le long de la côte Pacifique du Guatemala et du
Mexique présentent des motifs symboliques sophistiqués qui pourraient
refléter les influences de la culture olmèque de la côte du golfe du
Mexique. Dans divers centres dans les Terres Hautes, des sépultures
élaborées, de grands édifices, des stèles de pierre et ce qui pourrait
être les premiers glyphes et chiffres apparaissent tous dès environ 400
av. J.-C. Certains archéologues croient que les conventions idéologiques
et iconographiques de base de la royauté proviennent de centres situés sur
les plateaux tels que Kaminaljuyú (où se trouve maintenant Guatemala City)
[12].
Le Livre de Mormon place la royauté de Néphi au bon endroit
pour les formes de royauté mésoaméricaines naissantes, bien qu’au début de
leur développement [13]. Le fait que la royauté néphite commence tôt ne
doit pas être considéré comme preuve de ce qu’elle a déclenché la royauté
mésoaméricaine (surtout parce que c’est l’inverse qui est le scénario le
plus probable). Dans la ville de Néphi, nous voyons des signes de la
tendance générale vers la royauté qui va se poursuivre dans d’autres
communautés mésoaméricaines. Bien qu’elle apparaisse tôt, c’est
probablement uniquement parce que nous avons l’information textuelle de
ses débuts, plutôt que de devoir attendre l’architecture monumentale qui
fournit la preuve archéologique de la royauté [14].
Mosiah1 fuit la ville de Néphi
La perte des 116 pages de
la traduction de l’œuvre de Mormon nous prive de presque toute
l’introduction à Mosiah1, de la ville de Néphi. Nous savons peu de choses
sur lui, sauf que quelque part avant 200 av. J.-C., il lui est commandé de
fuir la ville de Néphi. Comme Néphi avant lui, il devait emmener « tous
ceux qui voulaient écouter la voix du Seigneur » (Omni 1:12 ; voir aussi 2
Né 5:5). Le texte perdu décrivait peut-être dans le détail pourquoi il dut
fuir, mais notre texte actuel est muet là-dessus. Toutefois, la
localisation dans un endroit particulier à un moment donné nous donne une
raison très plausible pour que lui et ceux qui étaient fidèles aient dû
fuir le pays.
Il est plausible que Mosiah1 et les siens aient fui
une invasion militaire. Vers 200 av. J.-C., il y eut une incursion massive
sur les plateaux du Guatemala (le pays de Néphi de Sorenson) en provenance
du nord-ouest. C’étaient probablement des peuples Quiché. Julia Guernsey
nous informe que ces Quiché « marchèrent vers le sud et envahirent
finalement des endroits comme La Lagunita et Kaminaljuyú. Ils déplacèrent
une grande partie de la population locale et remplacèrent les élites, qui,
dans le cas de Kaminaljuyú, étaient probablement de langue Cholan. Les
habitants déplacés de Kaminaljuyú fuirent la région à l’arrivée de ces
gens [15]. » Le quiché et le cholan sont tous deux des groupes
linguistiques mayas, tout comme l’espagnol et le français sont tous deux
des langues romanes. Sans documents écrits, nous ne pouvons pas fournir de
dates précises, mais il semble qu’au moment où le Livre de Mormon nous dit
que Mosiah1 et ceux qui voulaient le suivre quittèrent la ville de Néphi,
l’histoire profane nous parle d’une invasion qui a aussi entraîné la fuite
de ceux qui vivaient dans cette région. Si Sorenson a vu juste en
associant Kaminaljuyú à la ville de Néphi, c’est un des endroits
spécifiques mentionnés d’où l’exode s’est produit.

La destruction des Néphites en tant que peuple
Au moment
où Mormon écrit, près de mille ans d’histoire néphite ont passé. Une des
constantes dans cette histoire est le conflit avec les Lamanites. Les
escarmouches et les guerres pures et simples ont été les maîtres mots de
la plupart des années pour lesquelles nous avons des documents. Pendant ce
temps, les Néphites ont gagné des batailles et des guerres, perdu des
batailles et des guerres et sont restés en tant que peuple à attendre le
prochain conflit avec les Lamanites. Nous savons que ce cycle de guerres a
fini vers 400 de notre ère avec la destruction du peuple néphite à la
colline de Cumorah. Après avoir survécu aux guerres lamanites, y compris
la guerre massive décrite dans Alma et une partie d’Hélaman, pourquoi les
Néphites ont-ils fini par succomber et pourquoi à ce moment-là ? Pourquoi
pas avant, pourquoi pas plus tard ? La réponse plausible vient à nouveau
de l’intersection de l’époque et du lieu.
Pour planter le décor,
nous commençons par l’observation de Mormon que « toute la surface du pays
s'était couverte de bâtiments, et le peuple était presque aussi nombreux
que le sable de la mer » (Mormon 1:7). Les constatations archéologiques
pour le début de la Mésoamérique classique confirment qu’il y avait une
population de plus en plus grande dans le monde maya ainsi qu’un nombre
croissant de nouvelles villes. L’archéologue John Henderson note :
« Plusieurs régions ont connu une croissance démographique accélérée. Sont
apparues des hiérarchies bien développées de communautés — depuis de
petits hameaux et villages avec aucune indication de fonctions politiques
spéciales jusqu’à de grandes villes avec tous les signes extérieurs d’un
pouvoir centralisé. Beaucoup de villes ont connu un boom dans la
construction, en particulier dans l’architecture civile. Certaines villes
ont recherché et acquis un pouvoir dépassant leur arrière-pays immédiat et
des états régionaux ont émergé. Le mariage, les alliances et les guerres
ont diversement caractérisé les relations entre les états autonomes. Les
relations avec des sociétés lointaines se sont également intensifiées, la
grande ville de Teotihuacan dans le centre du Mexique installant une
présence à long terme dans le monde maya, surtout à Kaminaljuyú dans les
Hautes Terres [16]. »
Les populations mésoaméricaines futures
allaient être encore plus importantes, mais Mormon voyait la population la
plus dense connue dans tous les documents dont il disposait. Son récit
commence de la manière à laquelle nous avons appris à nous attendre. La
guerre contre les Lamanites. Et cela ne rate pas, elle commence par la
défaite des Lamanites (Mormon 1:10–12). Il allait encore y avoir quelques
victoires après cette fois, mais ce fut la dernière véritable victoire.
Mormon décrit la guerre suivante comme étant une guerre qu’ils ont passé
la plupart de leur temps à perdre. Ils ont non seulement perdu la guerre,
ils se sont perdus eux-mêmes en tant que peuple.
À ce stade de
l’histoire de la Mésoamérique, les liens entre Teotihuacan au centre du
Mexique et les civilisations mayas au sud des territoires néphites étaient
plus forts que jamais. Cette présence accrue de Teotihuacan dans
l’arrière-pays maya motivait fortement les Mayas et Teotihuacan à
sécuriser la route commerciale qui longeait le territoire néphite. Comme
l’explique Ross Hassig :
« Généralement, les sites étrangers de
Teotihuacan étaient situés dans des régions riches en ressources, à de
grandes distances de la vallée de Mexico. Teotihuacan ne s’étendait pas de
manière uniforme, pas plus qu’elle ne dominait toutes les régions
adjacentes...
« Le centre peut-être le plus célèbre influencé par
Teotihuacan est Kaminaljuyú, situé à Guatemala City dans les Terres
Hautes. Il semble que des gens de Teotihuacan ont dominé Kaminaljuyú de
400 à 650-700 apr. J.-C., et une partie au moins de leur présence était
liée à l’exploitation considérablement accrue des principales sources
d’obsidienne durant cette période. Ce n’était pas simplement Kaminaljuyú
qui intéressait Teotihuacan, mais le contrôle des marchandises qui
s’écoulaient sur son réseau commercial existant... Les empires contrôlent
des marchés éloignés en y maintenant des droits exclusifs au commerce et
en refusant l’accès aux autres, de sorte que, limité à un seul partenaire
commercial, le commerce colonial est par nature inégalitaire, travaillant
au profit de l’empire [17]. »

Le désir de contrôle des marchés mayas a pu en être finalement arrivé au
stade où une guerre de destruction devenait rentable. Charles W. Golden
suggère : « La destruction totale de l’ennemi peut être coûteuse à court
terme mais réduit la nécessité de guerres sur le long terme en éliminant
les menaces pesant sur le pouvoir royal [18]. »
James N. Ambrosino
Traci Ardren et Travis W. Stanton fournissent un exemple plus tard dans le
temps et dans un emplacement différent qui montre néanmoins un peuple qui
est soumis à plusieurs campagnes militaires suivies d’une dernière
campagne de destruction :
« Yaxuná semble avoir été située dans une
zone stratégique très disputée dans le centre de la péninsule. Tous les
conflits décrits précédemment ont sans doute éclaté pour le contrôle de
cet endroit. Chichén Itzá, qui existait aussi dans le centre de la
péninsule à seulement 22 kilomètres de là, n’aurait eu aucune raison de
vouloir contrôler le site voisin de Yaxuná. D’un simple point de vue du
rapport coût-efficacité, l’annihilation plutôt que l’occupation a pu être
l’option préférable. En outre, nous avons suggéré que les guerres
précédentes à Yaxuná représentent des conflits entre groupes locaux qui
étaient soutenus par des alliés ou des visiteurs étrangers. Nous suggérons
que le vainqueur de la quatrième guerre était un groupe entièrement
étranger de Chichén Itzá qui n’avait aucun intérêt dans le gouvernement de
Yaxuná. Essentiellement, la confrontation à la fin du Classique à Yaxuná
n’était pas une lutte dynastique du tout ; c’était une guerre pour le
contrôle économique et politique de toute la péninsule du Yucatán [19]. »
À la lumière de ce qui s’est passé à Yaxuná, il est significatif que
Mormon remarque un changement dans l’armée lamanite suite à la
réapparition des brigands de Gadianton. Les brigands de Gadianton sont un
raccourci que Mormon utilise pour désigner divers groupes à l’extérieur
des Néphites et des Lamanites typiques. Ce sont des signes avant-coureurs
de la destruction de nations. Les Gadiantons de l’époque de Mormon sont
associés aux envahisseurs venant du Nord [20]. Il nous dit : « Et ces
brigands de Gadianton, qui étaient parmi les Lamanites, infestaient le
pays... Et il arriva qu’il y eut des sorcelleries et des sortilèges, et de
la magie » (Mormon 1:18-19). Ce sont là des descriptions raisonnables de
l’incursion de Teotihuacan (la ville principale du centre du Mexique) dans
la région. Teotihuacan dominait Tikal depuis 378 de notre ère, date à
laquelle leur « entrée » dans la ville est notée sur une stèle. Leur
influence dans la région devint omniprésente après ce moment-là. Comme
l’explique Hassig, l’une des façons pour Teotihuacan de maintenir ses
intérêts était l’exercice de la puissance militaire :
Une clé
majeure pour le fonctionnement des empires hégémoniques par rapport aux
empires territoriaux est leur recours relatif à la force plutôt qu’au
pouvoir. La force est une action physique directe — typiquement la
puissance militaire — qui s’épuise quand on l’utilise. La puissance n’est
pas nécessairement la force, fonctionne de manière indirecte et ne
s’épuise pas en cours d’utilisation, parce qu’elle est psychologique, la
perception de la capacité de celui qui la possède d’atteindre son but. La
capacité à exercer la force est un élément nécessaire du pouvoir, bien
qu’une manifestation unique, plutôt que systématique, puisse être
suffisante pour imposer la soumission [21].
Teotihuacan est dans
le Bassin Central du Mexique. Tikal est dans les Basses Terres mayas, à
quelque douze cents kilomètres par les routes modernes. Entre ces deux
grandes puissances il y avait les Néphites, situés à l’époque aux
alentours de l’isthme de Tehuantepec et pouvant donc potentiellement
contrôler les routes commerciales entre nord et sud. Peut-être que cela ne
pouvait pas être toléré. Avec l’augmentation des échanges occasionnée par
la présence accrue des marchandises et des idées mexicains chez les Mayas,
il est raisonnable de supposer que la route commerciale traditionnelle
entre le Mexique Central et les grands centres mayas — une route qui
traversait nécessairement l’isthme de Tehuantepec — était devenue encore
plus importante. C’est à ce moment précis et pas plus tôt qu’il y eut une
raison suffisante pour que le coût de l’élimination des Néphites vaille la
dépense.
La présence de Teotihuacan chez les Mayas avait de forts
relents militaristes, même si les indices d’une conquête réelle soient
indirects. William et Barbara Fash notent :
« Les données sur le
mode de colonisation, les céramiques et l’obsidienne verte nous amènent à
supposer qu’une faction ayant des liens avec Teotihuacan s’installa sur la
colline-forteresse de Cerro de las Mesas et unifia les diverses lignées
nobles concurrentes, établissant en outre un centre royal dans un endroit
complètement indéfendable, dans le centre des Terres Basses de la vallée
de Copán. L’hypothèse de David Webster que la guerre fut un élément
essentiel à la formation des royaumes mayas semblerait avoir beaucoup en
sa faveur dans le cas de la période classique de la dynastie de Copán.
Quelle meilleure façon de résoudre un conflit interne que de se mettre
entre les mains d’un guerrier vétéran-marchand, qui a validé son droit de
régner par ses connexions mercantiles et militaristes avec la puissante
Teotihuacan ? La preuve par le squelette de l’homme dans le tombeau de
Hunal qui avait une fracture à l’avant-bras droit causée par un geste pour
se protéger, Jane Buikstra y voit la preuve d’une blessure reçue au
combat. Comme le note Sharer, ceci est aussi révélateur lorsque nous
traitons de la confirmation archéologique de ce que nous avons dans les
dessins puisque K'inich Yax K'uk' Mo' est représenté avec un petit
bouclier rectangulaire sur son bras droit... Enfin, il est significatif
que l’analyse au strontium des os de cet individu indique qu’il n’était,
en fait, pas originaire de la vallée de Copán, ce qui apporte des indices
importants en faveur de l’hypothèse qu’il était un ‘Seigneur de l’Ouest’
[référence maya à quelqu’un de Teotihuacan] [22]. »
Ce que cela a
donné, c’est un changement dans la nature de la politique et des
représentations artistiques [23]. Que cela soit uniquement basé sur de
meilleures armes ou combiné avec d’autres tactiques, les indices que nous
avons suggèrent que les Teotihuacanos étaient généralement victorieux de
leurs adversaires mayas (ceci est basé sur la présence généralisée des
symboles de Teotihuacan chez les Mayas au cours de cette période).
L’influence de Teotihuacan a dû être immédiatement visible sur le champ de
bataille. Avant même la pluie de flèches lancées par les puissantes
propulseurs, les « uniformes » militaires des Teotihuacanos devaient être
visibles [24]. L’archéologue Michael D. Coe décrit la tenue militaire
typique des Teotihuacanos : « Les combattants de Teotihuacan étaient armés
de flèches propulsées par des atlatl et de boucliers rectangulaires et
avaient sur le dos des miroirs ronds, décorés, en mosaïques de pyrite ;
avec leurs yeux parfois partiellement cachés par des grosses « lunettes »
en coquillages blancs et leurs coiffes de plumes, ils devaient terrifier
leurs adversaires [25]. »
Cette indication visuelle de la présence
de ce qui doit avoir été un ennemi connu et imminent explique peut-être la
réaction initiale des Néphites à cette nouvelle guerre : « C'est ainsi
qu'il arriva que, dans ma seizième année, j'allai à la tête d'une armée de
Néphites contre les Lamanites; et trois cent vingt-six ans étaient passés.
Et il arriva que la trois cent vingt-septième année, les Lamanites
tombèrent sur nous avec une puissance extrêmement grande, de sorte qu'ils
effrayèrent mes armées; c'est pourquoi, elles ne voulurent pas se battre
et elles commencèrent à se retirer vers les régions du nord » (Mormon
2:2–3). La fuite des Néphites décrite au verset 3 ne constitue pas
forcément de la lâcheté mais plutôt une retraite stratégique pour
comprendre et mieux se préparer pour ce nouveau type d’ennemi, un ennemi
avec une réputation plus terrible que ce qu’aucun Néphite avait rencontré
auparavant.
L’historicité et le Livre de Mormon
Ce serait bien, mais moins concluant que l’on pourrait le
croire, s’il y avait une preuve archéologique par excellence qui puisse
fournir la démonstration irréfutable de l’historicité du Livre de Mormon.
Même si nous avions cette grande preuve, il est probable que la plupart
trouveraient à y redire et estimer qu’on n’a rien prouvé du tout. En fin
de compte, une preuve unique reste insatisfaisante. Il y a quelque chose
de bien plus fort : c’est le réseau d’indices emboîtés qui associe une
géographie, un temps précis et des événements déterminés. Les meilleures
correspondances entre le Livre de Mormon et l’histoire de la Mésoamérique
sont les occasions où lieu, temps et événements correspondent, montrant
pourquoi les descriptions du Livre de Mormon n’auraient pas été exactes
plus tôt ou plus tard. Trouver un événement au bon moment au bon endroit
est un ensemble d’indices emboîtés. Quand on relie un plus grand nombre de
ces événements emboîtés, cela rend les indices accumulés beaucoup plus
significatifs qu’un simple changement. Lorsque l’on dégage la totalité de
la structure historique de ces événements qui correspondent au temps et au
lieu, on peut commencer à y introduire d’autres détails qui correspondent
à la région où se trouve la culture, mais qui ne sont pas nécessairement
liés au temps. On peut alors voir que certains traits dans le Livre de
Mormon reflètent la culture environnante. Les plus importants sont ceux
qui expliquent le texte d’une manière comme nous ne pouvons pas le faire
sans le contexte que peuvent fournir une localisation physique et un
arrière-fond culturel d’époque.
Le travail constant d’examen
attentif de la façon dont le Livre de Mormon correspond à un emplacement
mésoaméricain au cours des époques précises mentionnés dans le Livre de
Mormon continuera à développer ce réseau d’indices emboîtés qui permet aux
linguistes de déclarer avec assurance les relations entre deux langues.
Tout comme la linguistique doit commencer par l’observation et passer à un
examen encore plus attentif des indices pour obtenir d’autres exemples,
nous continuons, nous aussi, à creuser dans le Livre de Mormon et dans le
nombre croissant d’informations sur la Mésoamérique pour voir les
correspondances. Quand les linguistes croient qu’ils ont deux langues
apparentées, ils se mettent à examiner les règles phonétiques qui
décrivent comment les sons ont muté d’une langue vers l’autre. Dans les
études sur le Livre de Mormon, nous sommes tenus d’augmenter notre niveau
de soin et de précision en ce qui concerne la nature des corrélations que
nous faisons. Cela signifie que nous devons parfois admettre que nous nous
sommes trompés et écarter les semblants de preuve populaires tels que
l’Arbre de Vie et Quetzalcoatl pour passer à des correspondances qui
peuvent résister à un examen plus détaillé.
Il y a actuellement un
ensemble remarquable de correspondances qui sont très précises en ce qui
concerne le temps, le lieu et l’événement — montrant que le Livre de
Mormon reflète fidèlement le monde dans lequel il a été écrit. La preuve
concluante par excellence de l’historicité du Livre de Mormon n’existe
peut-être pas, mais il y a un réseau solide d’indices emboîtés qui signale
un texte authentique par rapport à un endroit précis à des moments précis.
Notes
[1] Phillip Jenkins, “Mormons and New
World History,” The Anxious Bench, 17 mai 2015.
http://www.patheos.com/blogs/anxiousbench/2015/05/mormons-and-new-world-history/
(visité en juillet 2015). [2] Phillip Jenkins, comme rapport sur le
blog de William J. Hamblin Enigmatic Mirror,
http://www.patheos.com/blogs/enigmaticmirror/2015/06/26/jenkins-rejoinder-9-hes-back/
(visité en juillet 2015). [3] Milton R. Hunter, “Archaeology and the
Book of Mormon,” discours spirituel d’été, université Brigham Young, 19
juillet 1966, p. 5-6. [4] On s’attend maintenant à ce que les sites
mayas plus récents aient des noms encodés dans les textes de glyphes. Ils
sont tous postérieurs du Livre de Mormon et la plupart ne sont pas dans la
région la plus probable où le Livre de Mormon se situe. [5] Le numéro
spécial du National Geographic, « Dawn of the Maya », diffusé à l’origine
en 2004 comporte une scène ayant justement ce scénario. Le Dr Richard
Hansen de l’Université d’Utah montre un pot avec ce qui semble être une
liste de rois qui pourrait être associée à El Mirador. Cependant, les
archéologues ont été incapables de trouver la confirmation sur le site que
la liste de rois est vraiment pour El Mirador [6] Bruce L. Pearson,
Introduction to Linguistic Concepts, p. 51. [7] Steward W. Brewer, ”The
History of an Idea. The Scene on Stela 5 from Izapa, Mexico, as a
Representation of Lehi’s Vision of the Tree of Life”, Journal of Book of
Mormon Studies, 8:1 (1999), p. 17-18. [8] Brant A. Gardner, “The
Christianization of Quetzalcoatl,” Sunstone 10, 11 (1989), p. 6-10. [9]
John L. Sorenson, Mormon’s Codex: An Ancient American Book, Salt Lake
City, Deseret Book Company and the Neal A. Maxwell Institute for Religious
Scholarship, 2013 [10] “Leyenda de los Soles,” in Codice Chmalpopoca,
tradit par Primo Feliciano Velázquez (Mexico: Universidad Nacional
Autónima de México, 1975, p. 125. Ma traduction. [11] David Drew, The
Lost Chronicles of the Maya Kings, p. 139. [12] David Webster, The Fall
of the Ancient Maya, p. 44. [13] Le passage des chefferies aux états
est généralement estimé comme ayant eu lieu vers 300 av. J.-C. Evans,
Ancient Mexico and Central America, p. 205–206. Il est ici plutôt question
de complexité sociale que de l’institution de la royauté elle-même. Norman
Hammond, « Preclassic Maya Civilization », p. 139, trouve des indices de
royauté vers 400 av. J.-C. : Au début de la période préclassique
tardive en 400 av. J.-C., nous commençons cependant à voir une société
totalement différente de celle envisagée dans le modèle de village
agricole existant il y a une décennie et demie. Au cours des six ou sept
siècles suivants jusqu’au début officiel de la période classique, c’est
une véritable civilisation qui apparaît. Les souverains utilisaient ces
nattes, et la natte avait un sens équivalent à « trône » dans notre
iconographie. Ici, dans ce petit site, nous voyons affichée l’image du
pouvoir royal ; y avait-il déjà, vers 400 av. J.-C., des souverains qui
avaient installé à la fois la réalité du pouvoir et son expression
symbolique ? Pour Evans et Hammond, les indices pertinents viennent de
l’architecture. Il est tout à fait plausible que les forces poussant à la
royauté aient précédé les rois qui assemblaient la main-d’œuvre requise
pour documenter leur puissance dans l’architecture de la communauté. Les
dates de début ne sont pas tout à fait claires, les plus anciennes
soutenant confortablement la royauté de Néphi. [14] Charles W. Golden,
“The Politics of Warfare in the Usumacinta Basin: La Pasadita and the
Realm of Bird Jaguar”, p. 32, fait une observation du même genre : “Bien
qu’un nombre croissant de titres apparaissant dans l’épigraphie puisse
refléter une augmentation du nombre de personnages titrés au sein
d’entités politiques mayas au cours de la période classique tardive, il
n’y a aucune raison de croire que bon nombre de ces personnes n’étaient
pas présentes dans la société de la période classique ancienne.” [15]
Julia Guernsey, “Rulers, Gods, and Potbellies: A Consideration of
Sculptural Forms and Themes from the Preclassic Pacific Coast and Piedmont
of Mesoamerica”, p. 257. [16] John S. Henderson, The World of the
Ancient Maya, p. 111–114 (photos). [17] Ross Hassig, War and Society in
Ancient Mesoamerica, p. 56. [18] Charles W. Golden, “The Politics of
Warfare in the Usumacinta Basin: La Pasadita and the Realm of Bird
Jaguar”, p. 45. Hassig, War and Society in Ancient Mesoamerica, p. 166
: « Il se pourrait que l’économie soit le motif majeur de l’expansion
impériale, mais c’est l’armée qui rend l’empire possible, de même qu’elle
garantit un système de tribut au sein de l’État. En outre, la relation
entre l’économie et l’expansion militaire est souvent réciproque, le
potentiel d’un gain suffisant décidant si oui ou non on va entreprendre
l’expansion. Mais la rentabilité potentielle d’une relation commerciale ne
détermine pas si l’expansion politique aura lieu ; c’est la capacité
militaire qui le décide. » [19] James N. Ambrosino, Traci Ardren et
Travis W. Stanton, “The History of Warfare at Yaxuná”, p. 122–123. [20]
Brant A. Gardner, “The Gadianton Robbers in Mormon’s Theological History:
Their Structural Role and Plausible Identification, exposé fait lors de la
FairMormon Conference d’août 2002,
http://www.fairmormon.org/perspectives/fair-conferences/2002-fair-conference/2002-the-gadianton-robbers-in-mormons-theological-history-their-structural-role-and-plausible-identification
[21] Hassig, War and Society in Ancient Mesoamerica, p. 57–58. [22]
William L. Fash et Barbara W. Fash, “Teotihuacan and the Maya: A Classic
Heritage”, p. 448. [23] David Stuart, “‘The Arrival of Strangers’:
Teotihuacan and Tollan in Classic Maya History”, p. 466: L’importance
potentielle des textes hiéroglyphiques est claire, mais il est étonnant de
constater à quel point ils ont été rarement utilisés pour clarifier
l’histoire qui est à la base des interactions entre Teotihuacan et les
Mayas. À l’exception de Proskouriakoff, la plupart des travaux
épigraphiques sur l’historique du centre du Petén ont adopté une
perspective plus « internaliste », ne tenant souvent absolument aucun
compte de la présence de Teotihuacan. Je propose une perspective très
différente dans cet essai, faisant valoir que les textes hiéroglyphiques à
Tikal, Copán et autres sites mayas offrent des aperçus de la perception
qu’avaient les Mayas d’une relation dynamique et souvent changeante avec
le centre du Mexique. Comme nous le verrons, ces sources viennent
fortement à l’appui de la perception « externaliste » que Teotihuacan a
joué un rôle très direct et même perturbateur dans l’histoire politique
des royaumes mayas. [24] Heather McKillop, The Ancient Maya: New
Perspectives, p. 315, montre Nun Yax Ayin de Tikal en “costume militaire
dans le style de Teotihuacan”. Stuart, “The Arrival of Strangers”, p.
468–469, traite de personnages en costumes militaires de Teotihuacan. Fash
et Fash, “Teotihuacan and the Maya”, p. 443–445, traite d’ensevelissements
comprenant des costumes militaires de Teotihuacan. [25] Michael D. Coe,
The Maya, p. 83.
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