LE DISCOURS DU ROI BENJAMIN DANS LE CONTEXTE DES ANCIENNES FÊTES ISRAÉLITES

 

Compilé par John W. Welch

FARMS Preliminary Reports

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La détection et l’analyse d’anciennes fêtes israélites dans le Livre de Mormon sont l’une des pistes d’investigation les plus importantes et les plus stimulantes de ces dernières décennies où les recherches sur le Livre de Mormon se sont intensifiées. Les découvertes en question n’ont pas été faites – et n’auraient probablement pas pu être faites – par une personne unique. La collaboration, l’interaction, les critiques réciproques et l’encouragement ont joué un rôle qu’on ne saurait surestimer. L’essai qui suit est une compilation d’idées provenant de nombreuses personnes dont David Boruchowitz, Richard Erickson, Jerome Horowitz, Hugh Nibley, Stephen Ricks, John Sorenson, Gordon Thomasson, John Tvedtnes, Benjamin Urrutia, John Welch et Stephen Wood [1].

 

Nous avons trouvé de belles traces de toutes les fêtes israélites d’avant l’exil [Voir le lexique au début des notes] en divers endroits du Livre de Mormon, mais aucune source n’a été aussi féconde que le discours du roi Benjamin. Son caractère de fête sainte est à la fois riche et précis.

 

I. Coup d’œil sur les fêtes dans le Livre de Mormon

 

Les principales fêtes que l’on célèbre aux États-Unis sont la Noël, Thanksgiving, Pâques, Halloween et le 4 juillet. Les autres pays ont des fêtes du même genre. À chacune de ces journées se rattachent des traditions qui ont une grande importance dans toutes les civilisations, surtout lorsqu’elles perpétuent et renforcent les institutions principales de la société : l’Église, l’État et la famille.

 

Les fêtes étaient encore plus importantes dans l’Israël d’autrefois. Il y avait trois fêtes saintes israélites. La première était le complexe des fêtes du Nouvel An, célébré à l’automne, qui s’est développé plus tard pour devenir l’observance composite, longue de deux à trois semaines de Rosh ha-shana (Nouvel An et jour du Jugement), Yom kippour (jour des Expiations) et Soukkot (Tabernacles) [2]. La deuxième était la célèbre fête du printemps, Pèssach (la Pâque), qui commençait la fête des Pains sans levain. La troisième était Shavou’ot (Pentecôte), qui avait lieu cinquante jours après la Pâque. Ces fêtes avaient une importance religieuse, politique et familiale énorme. Elles étaient d’autant plus capitales que Dieu avait commandé aux Israélites de les observer. De nombreux détails sur le moment et la façon dont chaque fête devait être célébrée se trouvent dans l’Exode, le Lévitique et d’autres passages dispersés dans la Bible hébraïque. Ces fêtes faisaient partie intégrante de la Loi de Moïse : « Trois fois par année, tu célébreras des fêtes en mon honneur [3]. » Personne ne pouvait respecter la Loi de Moïse sans les observer [4]. Ces grandes fêtes étaient célébrées et observées avec une intensité plus grande encore que le sabbat hebdomadaire, que l’on observait pourtant de manière stricte.

 

Il ne fait donc pas de doute que ces fêtes étaient importantes pour les populations du Livre de Mormon. Léhi et son peuple gardaient la Loi de Moïse alors même qu’ils savaient qu’elle allait être accomplie dans le Christ. Néphi dit au VIe siècle av.  J.-C. : « Nous gardons la Loi de Moïse et attendons avec constance le Christ, jusqu'à ce que la Loi soit accomplie » (2 Néphi 25:24). En 74 av. J.-C. encore, une cinquantaine d’années après le discours du roi Benjamin, les Néphites gardaient toujours la Loi de Moïse : « Oui, et le peuple s'appliqua à garder les commandements du Seigneur; et il était strict à observer les ordonnances de Dieu, selon la Loi de Moïse » (Alma 30:3). Même les Lamanites respectaient la Loi de Moïse lorsqu’ils vivaient dans la justice (Alma 25:15). Il faut donc en conclure que ces peuples célébraient les fêtes de l’Israël ancien qui faisaient partie de cette Loi.

 

Mais le Livre de Mormon ne parle jamais de la Pâque ou des Tabernacles  ni d’aucune fête de ce genre en les appelant expressément par leur nom. Pourquoi cela ? Il y a trois réponses. Premièrement, les auteurs ont pu se dire tout simplement que le lecteur saurait de quoi il s’agissait. Il n’est pas nécessaire de dire le mot « Noël » pour parler de ce jour spécial. La simple mention des « mages » et de la « décoration d’un sapin » suffit. Le simple fait de mentionner les « citrouilles et les déguisements » suffit pour faire penser à Halloween. D’une manière tout à fait pareille, les mots Pâque ou Pentecôte n’ont pas besoin de figurer dans le Livre de Mormon pour que ces fêtes juives nous viennent à l’esprit.

 

Deuxièmement, il se peut que ces termes aient été plus apparents dans les textes originels. Ces termes hébreux ont une signification : le mot Pâque en hébreu signifie littéralement « exemption » ; Tabernacles signifie « tentes », Yom kippour est le « jour des Expiations ». Ainsi donc, la simple présence de « tentes » dans Mosiah 2:5 ou du mot « Expiation » dans Mosiah 3:19 a pu être associée beaucoup plus rapidement par un Néphite que par nous au nom même de ces fêtes. Il se peut que l’abrégé de Mormon ait atténué ou éliminé d’autres références.

 

Troisièmement, le fait que le Livre de Mormon insiste tellement sur son calendrier fournit la preuve indirecte que les fêtes étaient importantes. Une des raisons principales pour lesquelles on tenait un calendrier unifié précis était qu’il fallait régler et faciliter le respect de fêtes bien déterminées. Un grand nombre de textes du Livre de Mormon sont effectivement consacrés à faire le compte des années : les années depuis le départ de Léhi de Jérusalem, les années du règne des juges, les années depuis l’apparition du signe de la naissance du Christ et les mois et les jours à l’intérieur de ces années. Dans l’Israël d’autrefois, le calendrier avait la même importance critique, compte tenu surtout du fait que la Loi de Moïse prescrivait le jour exact où la plupart des fêtes devaient avoir lieu. En fait, les  querelles violentes sur le point de savoir qui avait le bon calendrier étaient devenues des points fondamentaux dans les vives controverses théologiques qui opposaient les pharisiens, les esséniens de Qumrân et d’autres sectes juives vers le temps de Jésus.

 

Comme on va le voir, que ces fêtes soient mentionnées explicitement ou non, il y a, dans le Livre de Mormon et en particulier dans le discours du roi Benjamin, des indications impressionnantes de ce que les fêtes les plus vraisemblablement connues en Israël du temps de Léhi étaient effectivement célébrées aux pays de Néphi et de Zarahemla.

 

Il n’est bien entendu pas toujours facile de savoir exactement quelles étaient les fêtes que l’on célébrait dans l’Israël  d’avant l’exil, c’est-à-dire avant la destruction de Jérusalem en 586-587 av. J.-C. ni comment elles étaient célébrées. Les problèmes principaux sont les suivants :

 

1. La Bible ne nous dit pas toujours clairement comment ces fêtes israélites préexiliques étaient célébrées. On peut glaner de nombreux éléments concernant les pratiques israélites anciennes dans de nombreux passages bibliques, mais étant donné qu’ils n’étaient pas tous mis par écrit à l’époque ou avant l’époque de Léhi, il est possible qu’il s’agisse de pratiques qui n’apparurent à  Babylone ou en Palestine qu’après le départ de Léhi.

 

2. Nous ne savons pas au juste quelle forme de la Loi de Moïse les plaques d’airain de Laban ont transmise à Léhi ou à ses descendants. Il se peut que leur version de la Loi n’ait pas été exactement la même que les lois qui sont parvenues jusqu’à nous principalement dans les livres de l’Exode, du Lévitique et du Deutéronome [6]. Il y a des indications de ce que Léhi possédait des textes juridiques ressemblant beaucoup à de nombreux passages semblables de l’Exode et du Deutéronome, mais peu d’indications de ce qu’il ait eu une copie du Lévitique et des Nombres tels que nous les connaissons.

 

3. Il est souvent difficile de savoir quel crédit on peut attribuer, à cet égard, aux écrits rabbiniques, comme la Mishna et le Talmud et aux traditions juives postérieures. Ces livres, compilés à partir d’une très vieille loi orale, ont été écrits entre le IIe et le Ve siècle apr. J.-C. et contiennent des renseignements détaillés sur la manière de célébrer les fêtes en vertu de la loi juive de leur époque. S’il est vrai que beaucoup de leurs descriptions détaillées et minutieuses de la célébration des fêtes juives sont sans aucun doute de reflet de traditions israélites existant de longue date, il n’est pas toujours possible de savoir quels sont les détails qui sont archaïques et lesquels sont des innovations postérieures. Dans les cas où les pratiques du Livre de Mormon cadrent avec ces traditions rabbiniques et juives, il est parfois raisonnable d’en déduire que les origines de ces règlements rabbiniques dans la loi orale peuvent être datées de l’époque de Léhi, même si les sources anciennes sont silencieuses à ce sujet. Quand les sources du Livre de Mormon ressemblent à des éléments plus tardifs de la religion juive, il est donc parfois plausible d’en conclure qu’elles peuvent toutes avoir une origine ancienne commune, du moins quand il n’y a pas de raison précise de croire autrement.

 

Il est important et intéressant à bien des égards de découvrir quelle est la fête israélite ancienne au cours de laquelle un discours ou un événement du Livre de Mormon a eu lieu, en particulier dans le cas du discours du roi Benjamin. Quand on sait cela, cela confirme que les populations du Livre de Mormon respectaient la Loi de Moïse comme elles l’affirmaient. Cela permet aussi de mieux comprendre ce que beaucoup de passages signifient. De plus, cela devient une preuve importante de ce que le Livre de Mormon reproduit avec précision le milieu culturel du monde antique d’où provient Léhi et pas simplement l’époque de Joseph Smith, car la plupart des données qui vont suivre concernant les anciennes fêtes juives dans le discours du roi Benjamin étaient tout simplement inconnues et – autant que nous le sachions – n’auraient pu être connues de Joseph Smith dans l’environnement dans lequel il se trouvait en 1829.

 

II. Une prière de fête (chê-hekheyanou)

 

Les prières étaient un élément important de toutes les fêtes israélites. Ces fêtes étaient des occasions d’actions de grâces et de louanges à Dieu. Au fil des années, une prière d’actions de grâces standard s’est transmise chez les Juifs, une prière qui porte le nom de chê-hekheyanou. On récite cette prière au moment où l’on mange les prémices, lorsque l’on offre des sacrifices, quand on fait quelque chose pour la première fois (ou pour la première fois après un long intervalle) et à certains moments prescrits, notamment au début de chaque fête. Les paroles de cette prière sont : Baroukh atta YHVH élohénou mélekh ha-colam chê-hekheyanou ve-kiyemanou ve-higiyanou lazman hazê, ce qui veut dire : « Loué (ou béni) sois-tu, Seigneur notre Dieu, Roi de l’univers, qui nous as gardés en vie, et nous as préservés, et nous as rendus capables de parvenir à cette saison (de fête). » Bien qu’il nous soit aujourd’hui impossible de savoir quand ces mots précis, qui figurent depuis longtemps dans cette courte prière, ont été créés, les Juifs utilisaient certainement, il y a longtemps, des mots au moins du même genre pour exprimer leurs louanges et leurs actions de grâces à Dieu, surtout au commencement de leurs grandes fêtes. En effet, la Loi orale exigeait la récitation de cette bénédiction en Israël ; la Mishna mentionne cette prière sans s’y arrêter.

 

Il est par conséquent significatif que l’on trouve des mots et des expressions ressemblant très fort à ceux du chê-hekheyanou dans la première partie du discours du roi Benjamin [7]. Immédiatement après avoir appelé Dieu « votre roi céleste » (2:19), de même que le chê-hekheyanou appelle Dieu le « roi de l’univers », Benjamin fait cette réflexion grave à son peuple :

 

chê-hekheyanou

 

 

Loué sois-tu,

 

Seigneur notre Dieu, Roi de l’univers,

qui nous as gardés en vie, et nous as préservés,

 

 

 

 

et nous as rendus capables de parvenir à cette saison de fête

Benjamin

 

Je vous dis, mes frères, que si vous exprimiez tous les remerciements et toutes les louanges que votre âme tout entière a le pouvoir de posséder, à ce Dieu [votre roi (2:19) céleste] qui vous a créés, et vous a gardés et préservés, et a fait que vous vous réjouissiez, et vous a accordé de vivre en paix les uns avec les autres — Je vous dis que si vous le serviez, lui qui vous a créés depuis le commencement, et vous préserve de jour en jour, en vous prêtant le souffle afin que vous viviez, et ayez le mouvement, et agissiez selon votre volonté, vous soutenant même d'un moment à l'autre — je dis, si vous le serviez de votre âme tout entière, vous ne seriez encore que des serviteurs inutiles. (2:20-21)

 

 

 

Les paroles de Benjamin veulent certainement dire que son peuple faisait habituellement la chose de base qu’il décrit ici, à savoir qu’il offrait normalement une prière de remerciements et de louanges à son Dieu, son Créateur, pour le remercier de l’avoir gardé et préservé, et lui avoir donné la joie et la paix, jusqu’à ce moment même. Ce rappel désapprobateur de Benjamin à son peuple, qu’il ne sera malgré tout que des serviteurs inutiles, même s’il remercie et sert Dieu de son mieux, ne peut avoir de sens que pour un peuple qui de toutes façons faisait de manière routinière ce genre de choses, en se disant que c’était la chose à faire et qu’elle serait bénéfique. Si l’on se rend compte qu’il vient de faire une prière de ce genre peu avant la déclaration de Benjamin, cela donne à ses paroles un contexte culturel précis, fait porter son message directement sur son peuple et nous explique l’effet puissant que les paroles de Benjamin ont effectivement sur son peuple.

 

De plus, la sémantique de l’hébreu dans le chê-hekheyanou convient au contexte du discours de Benjamin. Le mot principal de la prière est h-kh-y-h, la forme « hifil » du verbe signifiant « être vivant, ou garder en vie, donner la vie, laisser vivre, permettre de vivre ou préserver ». Le mot racine ici est khayah (qui signifie vivre), d’où proviennent aussi khaï et khayyim (vie ou état de réjouissances animées ou santé). Nous voyons donc Benjamin détailler avec élégance le thème principal du chê-hekheyanou quand il dit que Dieu a fait en sorte que son peuple se réjouisse et vive en paix et lui a prêté le souffle afin qu’il vive. La répétition du son de cette racine renforce le message et crée en même temps une allitération agréable. Le discours est émaillé d’autres allusions à la « vie » (4:6, 13, 22 ; 5:15), à la « joie » et aux « réjouissances » (3:3, 4, 13 ; 4:11, 12, 20 ; 5:4).

 

Une variante de cette racine est le nom havvah Ève), qui, étant la mère de tous les vivants fait contraste avec adam (homme ou Adam) et ses mots apparentés  adamah (poussière) et adom (rouge sang). L’opposition verbale spécifique entre la vie et la poussière ne fait donc que renforcer l’effet des nombreuses allusions antiphonales à l’homme comme étant de la « poussière » (2:25-26 ; 4:2) à « l’homme » (2:10, 37, 38, 39 ; 3:7, 9, 19, 24 ; 4:7, 8, 9, 13, 17, 18, 22, 23, 26, 27, 30 ; 5:13, 14) au « sang » (dom, 2:27-28 ;  :7, 11, 15), à la création (2:20-25 ; 3:8 ; 4:2, 9, 12, 21 ; 5:15) et à Adam lui-même (3:11, 16, 19, 26 ; 4:7). C’est souvent dans les nuances et dans les corrélations sémantiques d’un discours que l’on peut trouver l’intention profonde d’un orateur de talent ; et dans la tradition hébraïque, le réseau de mots apparentés par une racine constituée de consonnes constitue souvent, comme c’est le cas ici, une matière féconde pour un artiste subtil.

 

Si nous admettons que ce qui précède est une preuve importante de ce que Benjamin a probablement prononcé son discours lors d’une des anciennes fêtes israélites, cela nous amène à la question de savoir de quelle fête il pouvait s’agir. La réponse est très certainement le complexe des fêtes du Nouvel An, comme nous allons maintenant le démontrer.

 

III. Le Nouvel An (Rosh ha-shana)

 

Contrairement à la fête du Nouvel An de la plupart des civilisations occidentales [8], le commencement d’un nouveau cycle annuel au Proche-Orient antique était l’occasion d’une fête religieuse sacrée, un des jours religieux les plus importants de l’année [9]. On est souvent dans le doute quant au moment où le Nouvel An était célébré, si c’était en automne ou au printemps. Pour ce qui est de l’époque de Léhi, les éléments dont nous disposons ne permettent pas de conclure.

 

Puisque les systèmes anciens de calendrier sont complexes, il pourrait être bon de marquer un temps d’arrêt pour donner de brèves explications. Quand on remonte à la Bible, on constate que dans certains passages bibliques, la Pâque du printemps est située le « premier mois » (voix Exode 12:1-2), tandis qu’ailleurs, il est dit que la fête d’automne de Soukkot, ou fête de la moisson tombe « à la fin de l’année » (Ex 23:16 ; 34:22). Ces deux dates semblent se contredire, car ou bien le changement d’année se produisait au printemps ou bien il se produisait à l’automne. Une solution qui a été proposée à cette contradiction est que l’ancien calendrier israélite commençait apparemment en automne, mais que plus tard les choses ont été changées pour que l’année commence au printemps. Une phrase que l’on trouve maintenant dans Exode 12:2 est, pense-t-on, ce qui marque ce changement, quand elle annonce que le mois de la Pâque « sera pour vous le premier des mois de l’année » [10]. Un autre indice de ce changement est l’adoption par les Israélites des noms de mois babyloniens, par exemple Nisan et Tishri. Par contre, Deutéronome 16:1 utilise toujours la vieux nom israélite Abib pour désigner le mois de la Pâque. De même, 1 Rois 8:2 conserve le vieux nom du septième mois, Éthanim. Ces noms appartenaient au vieux système de calendrier, qui commençait en automne.

 

Ces textes du Deutéronome et de Rois ont incité la plupart des spécialistes à penser que le vieux calendrier d’automne était toujours en vigueur jusqu’au moment de la destruction de Jérusalem par les Babyloniens. Alors, quand le changement de calendrier s’est-il produit ? Pour Roland de Vaux : « Le changement s’est donc produit après le règne de Josias [11] », c’est-à-dire quelque temps après 609 av. J.-C., mais on ne sait pas combien de temps après. Puisque, en vertu de cette théorie, le changement coïncidait aussi avec l’adoption de l’année babylonienne, on imagine qu’il a eu lieu avant la conquête de Jérusalem par les Babyloniens. Étant donné que l’année babylonienne commençait au printemps, nous pourrions en conclure que Léhi et les Néphites avaient utilisé et ont continué à utiliser le vieux calendrier d’automne jusqu’au moment où ils ont commencé à compter le temps à partir du signe de la naissance du Christ (3 Néphi 2:7). Nous ne savons cependant pas s’ils ont aligné leur cycle annuel sur le printemps ou sur l’automne. Les Néphites de l’époque du Christ adoptèrent une nouvelle année commémorant le signe de la naissance du Christ, qui avait eu lieu au printemps. Ainsi donc, du temps du roi Benjamin et pendant le règne des juges néphites, le « septième mois » néphite (Alma 10:6) était probablement le mois de la Pâque et le « premier mois » (Alma 52:1) devrait être compris comme étant l’époque du Nouvel An.

 

La Loi biblique commandait à tous les Israélites d’avoir chaque année une « sainte convocation », où l’on sonnait la corne de bélier (le shofar) et où l’on faisait des holocaustes d’animaux « d’un an » (Lévitique 23:23-25 ; Nombres 29:1-6). C’était la saison de la plus grande célébration publique en Israël. Pour les Néphites, le premier mois de leur calendrier a dû être un mois de fêtes important. Ce devait être le moment idéal pour Benjamin pour annoncer le couronnement de son fils et pour prononcer le plus grand sermon de sa vie, pratiquement un discours d’adieu modèle [12].

 

Il est en effet quasiment certain que le roi Benjamin a préparé et programmé son grand discours pour qu’il coïncide avec un grand moment de fêtes publiques israélites. Nous savons qu’il consacre du temps pour se préparer pour l’événement : il fait construire une tour et fait des copies écrites de ses paroles pour beaucoup de gens (2:7-8). Il demande à son fils de « rassembler » le peuple un jour bien précis (Mos 1:10, 18 ; 2:9, 28) [13]. Bien qu’âgé, Benjamin vit encore trois ans après cet événement (6:5), ce qui montre qu’il n’est pas sur son lit de mort, mais qu’il a le temps de préparer ce couronnement de son fils et cette fête, la plus grande de sa vie, à un moment de l’année religieusement et culturellement indiqué [14].

 

Pour être précis, il y a de nombreuses indications de ce que l’on célébrait une fête ancienne du Nouvel An au moment du discours du roi Benjamin. Dans les temps les plus anciens de l’histoire d’Israël, la fête du Nouvel An était interprétée comme étant une seule fête. Ses nombreux éléments n’ont été nettement différenciés que plus tard, quand on a fait commencer le premier mois de l’année avec  Rosh ha-shana, suivi de huit jours de pénitence, suivi ensuite, le dix du mois, par Yom kippour et le quinze par Soukkot, se terminant par une semaine sainte complète. Comme le montrent les détails suivants, le discours de Benjamin réunit tous les grands thèmes de ces fêtes sacrées, exactement comme on pourrait s’y attendre de la part d’une communauté israélite préexilique dans laquelle le Nouvel An n’était pas une fête distincte, mais plutôt une fête globale de la moisson [15] ou « une nouvelle lune particulièrement solennelle, le premier jour d’un mois qui, à l’époque, était plein de fêtes [16]. » On trouve donc dans le discours de Benjamin les thèmes de Rosh ha-shana (ce qui, littéralement, signifie tout simplement « le commencement de l’année ») où viennent se mêler l’annonce et la célébration des fêtes de Yom kippour et de Soukkot, parallèlement au couronnement et à d’autres éléments rituels et contractuels traditionnellement rattachés au Nouvel An.

 

Disposant du recul, nous pouvons nous mettre à isoler certains des thèmes et traditions associés à cette période de l’année, qui, plus tard, dans le judaïsme postexilique, se sont rattachés respectivement à Rosh ha-shana, Yom kippour et Soukkot. Comme dit plus haut, il est regrettable que nous ne sachions pas avec certitude à quoi ressemblaient les fêtes de Nouvel An dans l’Israël d’avant l’exil. Nous devons nous reposer ici sur la déduction que l’on célébrait Rosh ha-shana, Yom kippour et Soukkot vers l’époque de l’ère chrétienne d’une manière qui se rattachait, dans une certaine mesure, aux racines historiques des institutions religieuses d’Israël des siècles précédents. Avec cette déduction, on peut voir que beaucoup d’aspects de ces fêtes religieuses rappellent fortement des mots et des expressions du discours du roi Benjamin.

 

Nous allons tout d’abord examiner huit éléments traditionnels qui caractérisent maintenant Rosh ha-shana :

 

1. Le Nouvel An, comme la plupart des fêtes [17], commençait par des holocaustes d’animaux « d’un an ». De même, le peuple de Benjamin amène les « premiers-nés de [ses] troupeaux, afin d'offrir des sacrifices et des holocaustes, selon la Loi de Moïse » (2:3) [18].

 

2. Le Nouvel An commençait aussi un nouveau cycle agricole. « Il est plausible que la fête biblique marquait à l’origine le commencement de l’année agricole [19]. Un de ses buts devait être d’assurer le succès des cultures de l’année à venir. Ceci correspond à la promesse de Benjamin à son peuple qu’il prospérera dans le pays (voir 2:31) s’il obéit aux commandements de Dieu. De même, à un moment donné peu après la fin de la fête de Benjamin, le nouveau « roi Mosiah commanda à son peuple de cultiver la terre » ( 6:7). Il semblerait que cet acte royal marque officiellement le commencement cérémoniel d’une nouvelle année agricole, car il serait étrange de la part d’un roi de commander à son peuple de commencer à cultiver le sol, s’il n’y avait pas eu une raison de s’arrêter ou un besoin de reprendre cette activité ordinaire.

 

3. C’était un jour de jugement. Selon la Mishna, c’est le jour où toute l’humanité est jugée [20]. Face à ce jugement, on « supplie Dieu de faire preuve de miséricorde envers ses créatures » et l’on exprime sa confiance en la miséricorde divine [21]. Ce jour est le seul moment où il est permis aux Juifs d’aujourd’hui de « s’agenouiller et de se prosterner » [22]. Ce jour-là, les peuples d’autrefois portaient des vêtements blancs et l’on ouvrait des livres du jugement :

 

« Ceux qui sont tout à fait justes sont immédiatement inscrits dans le livre de vie. Ceux qui sont totalement méchants sont immédiatement inscrits dans le livre de la mort. Les personnes moyennes sont gardées en suspens entre Rosh ha-shana et le jour des Expiations. Si elles sont méritantes, elles sont inscrites dans le livre de vie, si elles ne le sont pas, elles sont inscrites dans le livre de la mort [23]. »

 

Gaster pense en outre que le symbolisme du jugement par le feu (cf. Ézéchiel 38:18-39:16) utilise des images ayant trait aux fêtes de l’automne [24]. De même, le peuple de Benjamin s’entend annoncer un jour de jugement dans son discours. Il expose clairement le sort de ceux qui restent et meurent dans leurs péchés, ennemis de Dieu (2:37-38) ; il décrit la nature du jugement de Dieu, « Car voici, il juge, et son jugement est juste » (3:18) ; il explique bien que tous les hommes sont sujets à ce jugement (3:17), à l’exception des petits enfants (3:21) ; et il déclare que ses paroles cérémonielles de ce jour-là demeureront pour juger le peuple (3:24-25). Il parle aussi de jugement par le feu : « comme un feu qui ne s’éteint pas » (2:38).

 

Mais d’autre part, face à ce jugement, l’on demandait miséricorde. Le peuple tout entier de Benjamin tombe par terre et répond à l’unisson : « Oh ! sois miséricordieux ! » (4:2). Benjamin mentionne encore la miséricorde encore plusieurs fois (2:39 ; 3:26 ; 5:15). Il est aussi question de purification des vêtements (2:28) [25] et de mettre par écrit les noms de tous les justes qui ont contracté l’alliance de garder les commandements de Dieu (6:1).

 

La liturgie juive qui finit par être récitée en ce « Jour de crainte » fournit encore d’autres éléments de comparaison intéressants. Bien que l’on ne puisse les dater avec certitude avant l’époque des croisades [26], ces formules pourraient, bien entendu, être substantiellement plus anciennes. Les parallèles avec le discours du roi Benjamin sautent aux yeux. Schauss nous fait le compte rendu suivant :

 

Compte rendu de Schauss

 

Le moment suprême de la cérémonie se produit lorsque l’on ouvre l’Arche de la Tora… une crainte étrange envahit le cœur des fidèles [qui] récitent

 

les mots d’une voix forte avec des larmes et des sanglots :

 

« Nous déclarerons la grandeur et la sainteté de ce Jour, car c’est ce jour que ton royaume est exalté, que ton trône est établi dans la miséricorde et que tu juges en vérité. Il est vrai

 

que tu es le juge ; tu réprimandes ;

 

 

tu sais tout ;

 

 

 

 

tu rends témoignage,

 

 

tu écris

 

 

et tu scelles : Tu

 

te souviens aussi de tout ce qui semble être oublié ; et tous ceux qui entrent dans le monde doivent passer devant toi, tout comme le berger fait passer ses brebis sous sa houlette. Tu comptes et tu calcules, et tu visites chaque âme vivante, tu fixes les limites de toutes tes créatures et tu enregistres ma sentence de leur jugement… »

Les gémissements s’apaisent et l’assemblée se calme un peu devant les mots : « Mais le Repentir, la Prière et la Charité détournent le décret fatidique. »

 

La prière ne finit cependant pas sur ces mots. Il y a encore un rappel sévère de la brièveté et de l’impotence de la vie de l’homme :

« Comme l’homme est faible ! Il vient

 

 

de la poussière et retourne à la poussière ;

 

il doit travailler pour gagner son pain ; il meurt comme l’herbe séchée, ombre fugitive, rêve passager.

« Mais toi, ô Dieu, tu es éternel ; tu es Roi à jamais ! »

Benjamin

 

 

« car la crainte du Seigneur était venue sur elle » (4:1)

 

« elle s'écria d'une seule voix » (4:2)

 

« que vous vous souveniez, et gardiez toujours le souvenir de la grandeur de Dieu » (4:11)

 

« de la bonté de Dieu… et de sa patience, et de sa longanimité » (4:6)

 

« Car voici, il juge, et son jugement est juste » (3:18)

 

« croyez qu'il a toute la sagesse… croyez que l'homme ne comprend pas tout ce que le Seigneur peut comprendre » (4:9)

 

« ainsi dit le Seigneur: Elles resteront comme un témoignage éclatant contre ce peuple au jour du jugement » (3:24)

 

« prendre les noms de tous ceux qui avaient conclu avec Dieu l'alliance » (6:1)

 

« vous scelle comme siens » (5:15)

 

 

« il sera jugé, chaque homme » (3:24)

 

« il ne souffre même pas qu'il paisse parmi ses troupeaux, mais le chasse et l'expulse » (5:14)

 

 

 

 

« si ce n'est… que par le repentir » (3:21)

« que vous accordiez de vos biens aux pauvres… pour conserver… le pardon de vos péchés… »

(4:26) [28]

 

 

 

« pouvez-vous dire quoi que ce soit pour vous-mêmes? » (2:25)

 

« de la poussière » (2:25)

 

« j'ai travaillé de mes mains » (2:14)

 

 

« Roi céleste » (2:19)

 

 

 

La miséricorde de Dieu à l’égard de sa création est louée dans un autre cantique de Nouvel An médiéval juif, qui dit :

 

« O Dieu constant, quand tu nous mets en accusation,

Si tu sondais les profondeurs, si tu vidais jusqu’à la lie

La coupe, y en aurait-il qui resteraient ?

 

« N’as-tu pas daigné, ô Seigneur, pour l’amour de toi-même,

Détourner de nous ta fureur et ta colère,

Aucun acte de notre part ne pourrait faire intercession [29]. »

 

Benjamin mentionne aussi la coupe de la colère de Dieu (3:26). De la même manière, Benjamin explique que « il n'y aura aucun autre nom donné, ni aucune autre voie ni moyen par lesquels le salut puisse parvenir » autrement que par le sacrifice expiatoire du Christ (3:17-19) et ainsi le peuple de Benjamin loue Dieu d’avoir détourné sa colère « afin de ne pas boire à la coupe de la colère de Dieu » (5:5).

 

4. C’était en outre un jour pour célébrer la royauté de Dieu. C’est par son pouvoir et sa domination que l’ordre du monde est préservé. « Le thème de Dieu en tant que roi est particulièrement souligné à Rosh ha-shana, parce que ce jour est associé à son jugement [30]. L’idée que c’est Dieu, et non Benjamin ou Mosiah, son fils, est en réalité le Roi, se trouve expressément dans les paroles de Benjamin : « Si moi, que vous appelez votre roi… je mérite un remerciement quelconque de votre part, ô comme vous devriez remercier votre Roi céleste » (2:19) et lorsqu’il commande au peuple d’obéir « si vous gardez les commandements de mon fils, ou les commandements de Dieu, qui vous seront remis par lui » (2:31). En outre, Benjamin reconnaît de nombreuses fois le pouvoir de Dieu, surtout dans le nom « Dieu Omnipotent », qu’il utilise en parlant de Dieu [31].

 

5. C’était aussi un jour où l’on célébrait la création de la terre. La tradition voulait que le monde ait été créé le premier mois de l’automne, Éthanim (Tishri) et le Nouvel An était le moment propice pour se remémorer l’œuvre créatrice de Dieu pour former une nouvelle terre. Ceci apporte peut-être un contexte à ce que déclare l’ange quand il dit du Christ qu’il est « le Créateur de tout depuis le commencement » (3:8), au fait que le peuple appelle le Christ « le Fils de Dieu, qui a créé le ciel et la terre, et toutes choses » (4:2) ainsi qu’au nombre important de fois que Benjamin parle des pouvoirs créateurs de Dieu (2:20-25 ; 4:9, 12, 21 ; 5:15). Ceci rappelle aussi les thèmes de la vie et de la préservation par opposition à la poussière, à l’homme et à Adam, dont il  a été question plus haut dans la section qui analysait le chê-hekheyanou.

 

C’était en outre un moment où – chose plus importante – on célébrait le renouveau de la Création. Gaster a résumé : « Le monde renaît d’année en année et même, dans un sense large, de jour en jour et de minute en minute ; et le message principal de la fête est que le processus de la création est continu, que le souffle de Dieu plane constamment sur la face des eaux [32]. » Vue sous ce jour-là, la déclaration de Benjamin que Dieu « qui vous a créés… et vous préserve de jour en jour, en vous prêtant le souffle… d'un moment à l'autre » (2:20-21) s’adapte bien dans ce contexte israélite ancien. De même, la renaissance du peuple, « aujourd'hui il vous a engendrés spirituellement » (5:7), montre bien qu’un des buts de la cérémonie de Benjamin était de s’assurer que les relations du peuple avec Dieu et en son sein soient renouvelées et naissent de nouveau.

 

6. De plus, c’était un jour du « souvenir ». On louait Dieu parce qu’il se souvenait de son peuple [33] et le peuple, de son côté, se souvenait de son Dieu. Ce thème était en effet si important que l’on appelle parfois cette fête yom ha-zikkaron (le jour du souvenir). Peu de thèmes sont aussi fortement soulignés par Benjamin que celui du souvenir. Le mot apparaît avec une mise en évidence répétée dans tout le texte. Par exemple : « Mes fils, je voudrais que vous vous souveniez » (1:3, 6, 7) ; « les inciter à se souvenir » (1:17) ; « que vous vous éveilliez au souvenir » (2:40) ; « Oh! souvenez-vous, souvenez-vous que ces choses sont vraies » (2:41) ; « je voudrais que vous vous souveniez, et gardiez toujours le souvenir » (4:11) ; « ô homme, souviens-toi, et ne péris pas » (4:30) ; « je voudrais que vous vous souveniez aussi que c'est là le nom… Je voudrais que vous vous souveniez de toujours retenir le nom » (5:11-12). Les prêtres néphites sont même chargés d’inciter le peuple « à se souvenir du serment qu'il avait fait » (6:3).

 

7. Cela a également pu être un jour où il fallait se souvenir des pauvres. Quand le peuple d’Esdras en 458 av. J.-C. « fondit en larmes dans un esprit de contrition et de pénitence » [34], de la même manière que le peuple de Benjamin, Esdras le renvoie chez lui « manger des viandes grasses », se réjouir et en donner des parts aux pauvres. Benjamin dit aussi à son peuple, en insistant lourdement, de secourir les pauvres (4:16-26).

 

8. Le rituel le plus caractéristique de Rosh ha-shana était les sonneries de trompettes. Il n’est question nulle part de trompettes dans le discours de Benjamin, mais on ne s’attendrait pas à ce qu’un air de musique accompagne le texte de Benjamin ou ait été conservé [35]. Il y a néanmoins des raisons de croire qu’un signal d’une sorte ou d’une autre, comme une sonnerie de trompette ou une acclamation, a pu être donné une fois pour inviter le peuple à se jeter ensemble sur la terre (4:1) et deux fois pour que tous s’écrient d’une seule voix (4:2 ; 5:2). Le shofar devait être particulièrement impressionnant dans ce contexte si les Néphites partageaient le point de vue du Midrash que les cornes courbes symbolisaient la soumission de l’homme se pliant à la volonté de Dieu [36], surtout parce que l’alliance faite par les Néphites était précisément « avec notre Dieu l'alliance de faire sa volonté » (5:5).

 

En outre, la littérature juive donne plusieurs raisons couramment citées de sonner du shofar [37]. Bien qu’il y ait peu de chances pour que ces explications plus récentes aient été connues du temps de Léhi, il est très possible que des sentiments similaires aient déjà existé, qui seraient exprimés plus tard par ses descendants et par la postérité de ses parents survivants à Jérusalem. Étant donné que la plupart de ces raisons apparaissent clairement aux charnières du discours du roi Benjamin, on peut facilement imaginer que quelque chose comme le shofar ait retenti lors de ces intervalles. Les raisons pour lesquelles on faisait sonner les trompettes sont :

 

1. Proclamer Dieu Roi (voir Mosiah 2:19) et lors d’un couronnement (voir 2:30 ; voir aussi 2 Rois 9:13).

 

2. Annoncer le temps du repentir (voir 2:9 ; 4:1 et peut-être des passages comme 4:26).

 

3. Se rappeler le don de la Loi à Moïse sur le mont Sinaï (qui est mentionné dans 3:14 ; voir aussi Exode 19:19).

 

4. Proclamer les paroles des prophètes (des déclarations de prophètes sont citées dans 3:3 et 3:13).

 

5. Faire trembler le peuple (Mosiah 2:30 ; 4:1 ; voir aussi Exode 20:18 ; Amos 3:6).

 

6. Annoncer le jugement de Dieu (3:18) et faire retentir la corne d’avertissement ou d’alerte (3:24-25).

 

7. Annoncer l’arrivée de l’âge messianique (voir Ésaïe 27:13 et Mosiah 3:5 ; voir aussi Apocalypse 8:9).

 

8. Marquer la résurrection des morts (3:10 et 5:15).

 

On peut voir un autre indice de ce que la corne (shofar) ou la trompette (yobel) était utilisée chez les Néphites comme instrument liturgique que l’on faisait retenir au Nouvel An pour annoncer une période de repentir, dans le souhait d’Alma de pouvoir parler « avec la trompette de Dieu, d'une voix qui fait trembler la terre, et d'appeler tous les peuples au repentir » (Alma 29:1). Le psaume d’Alma a apparemment été écrit pour une fête de Nouvel An, car il apparaît dans le texte immédiatement après la fin de la quinzième année (28:9) et vers le moment des « jours de jeûne, et de deuil, et de prière » qui semble marquer le début de la seizième année (30:2).

 

Ainsi donc, l’esprit du Nouvel An israélite se trouve reflété avec une clarté remarquable dans le discours du roi Benjamin. La persistance de ces traditions se retrouve jusqu’au niveau des formules et des salutations de tous les jours. On salue ses amis en cette occasion en disant : « Puisses-tu être inscrit (dans le livre de vie) et scellé pour une bonne année » [38], de la même façon que Benjamin donne à ses amis un nom qui ne peut être « effacé (du livre) » si ce n’est pas la transgression (5:11) et espère que Dieu le scellera à lui. En fait, une prière juive traditionnelle pour ce jour-là dit ce qui suit. Étant donné ses parallèles frappants avec le discours de Benjamin, cette prière pourrait aussi bien avoir été faite par Benjamin lui-même :

 

« Maintenant donc, ô Seigneur, notre Dieu, impose ta crainte sur toutes tes œuvres et ta terreur sur tout ce que tu as créé, afin que toutes les œuvres te révèrent et que toute la création se prosterne devant toi, afin qu’ils forment tous un groupe unique pour faire ta volonté d’un cœur parfait » [39].

 

Ceci montre bien que les thèmes spécifiques du Nouvel An juif et du discours du roi Benjamin étaient effectivement très semblables. Ce qui est une preuve supplémentaire de ce que beaucoup de traditions juives sont restées très stables au cours des siècles et que les Néphites étaient effectivement consciencieux et « stricts » (Alma 30:3) dans l’observance et la perpétuation de la Loi de Moïse telle qu’ils la connaissaient.

 

Étant donné que beaucoup de ces rituels ont des parallèles dans les fêtes des rites annuels païens d’autres civilisations [40], il est également intéressant de noter que beaucoup de spécialistes considèrent que le Nouvel An de l’ancien Israël suivait le modèle des rites annuels d’autres civilisations, notamment une fête célébrant l’intronisation de Jéhovah. Tout le monde n’est pas d’accord pour dire que le lien est particulièrement étroit [41]. Néanmoins, tout comme nos fêtes de Noël et de Pâques ont assimilé certaines pratiques païennes, il n’y aurait rien d’étonnant à voir les mêmes emprunts ou adaptations culturels se produire chez les anciens. Dans les rites annuels anciens, le roi était humilié et lavé ; il supplie Dieu d’avoir pitié de son peuple, récite l’épopée de la Création ; le temple est purifié et la prospérité agricole est promise. Il est clair que le discours de Benjamin contient beaucoup d’éléments que l’on trouve couramment dans ces fêtes anciennes du rite annuel, mais comme la documentation actuelle le démontre, il n’est pas nécessaire d’aller plus loin que les traditions juives d’avant la Diaspora pour expliquer les trente-six pratiques des rites annuels découvertes par Hugh Nibley dans le discours de Benjamin [42]. Néanmoins, attendu le grand nombre de rituels de royauté associés au Nouvel An, il est certain que Benjamin n’aurait pas pu choisir de meilleur moment pour couronner son fils roi qu’à ce moment précis de l’année.

 

Cela ne veut pas dire que l’on ne trouve pas de notions ni de rituels royaux anciens dans le Livre de Mormon. En fait, ils apparaissent dans plusieurs passages du Livre de Mormon [43]. Par exemple, pour ce qui est des rituels annuels, dans certaines civilisations, l’humiliation du roi au Nouvel An comportait un simulacre de déposition, un combat rituel et la réinstallation cérémonielle du roi au pouvoir. Le retour du roi sur le trône symbolisait sa capacité constante de stabiliser la société et les éléments. Le fait de réellement tuer le roi le jour du Nouvel An aurait, pour les gens appartenant à de telles civilisations, causé une peur et une terreur absolues, comme si leur monde venait de s’écrouler. Ce n’est donc certainement par hasard que Téancum choisit la veille  du Nouvel An pour se glisser dans la tente du roi Amalickiah et le tuer (peut-être sous la forme d’un quelconque rituel) [44]. Quand ses sujets le trouvent mort « le premier matin du premier mois » (Alma 51), ils sont, et l’on ne s’en étonnera pas, « terrifiés » abandonnent tout projet militaire et battent en retraite à la recherche d’une protection (52:2).

 

IV. Le jour des Expiations (Yom kippour)

 

La fête suivante du mois de la fête de la moisson dans l’Israël préexilique était le jour des Expiations [45], un jour de sainte convocation et d’expiation. C’était « le jour le plus important de l’année liturgique » [46]. Le premier détail qui rend plausible le fait que le discours de Benjamin a été prononcé le jour des Expiations ou en rapport avec celui-ci, ce sont les sept [47] mentions explicites que Benjamin fait de l’Expiation. Il parle de « l'expiation de son sang » (3:15), du « sang expiatoire » (3:18), du sang qui « expie » (3:11, 16) et de « l'expiation » (3:19 ; 4:6, 7). Quand on examine ensuite le discours à la recherche d’autres détails, des éléments cumulatifs substantiels apparaissent pour montrer que les traditions qui se manifestent le jour des Expiations sont également présentes dans les paroles et les actes de Benjamin [48].

 

1. Ce jour-là, tous étaient tenus d’ « humilier » leur âme (Lévitique 16:29-31, 23:27-32). Ce que « humilier » son âme veut dire n’est pas clair, mais on l’a traditionnellement compris comme voulant dire jeûner (Psaumes 35:13 ; Ésaïe 58:3) [49]. Le jeûne n’est pas mentionné spécifiquement dans Mosiah 1-6. Néanmoins il y a de bonnes raisons de penser, d’après Alma 30:2 et 44:24-45:1, que le jeûne était pratiqué à Zarahemla vers le commencement du Nouvel An. Le jeûne a donc pu être une partie intégrante du jour des Expiations chez les Néphites [50]. Si Benjamin parlait un jour où le peuple s’humiliait, le passage où il décrit les humains comme n’étant même pas « autant que la poussière de la terre » (2:25) et « ennemi[s] de Dieu » (3:19) dont le « néant » fait des « créatures indignes » (4:11) s’intègre fortement dans le contexte. Si un Israélite n’humiliait pas son âme ce jour-là, il était « retranché » du milieu du peuple (Lévitique 23:29). Benjamin parle d’effacer une telle personne (5:11) et de la chasser (voir 5:14), mais puisque tout son peuple se conforme à l’exigence de contracter l’alliance (6:2), il ne faudra expulser personne.

 

2. Ce jour-là, on faisait des sacrifices. Un prêtre désigné faisait une expiation spéciale. Il commençait par purifier le temple en l’aspergeant de sang (Lévitique 16:16-20). Il fallait purifier le temple lui-même une fois par an. Si ce genre de purification du temple venait d’avoir lieu – ou allait avoir lieu – à Zarahemla, cela a dû donner un impact contextuel concret à la parole de Benjamin que le Seigneur « ne demeure pas dans des temples qui ne sont pas saints » (2:37). À plusieurs moments de la cérémonie, le prêtre se lavait et changeait de vêtements. On pourrait aussi y voir un rapport avec la déclaration de Benjamin qu’il a assemblé ce peuple afin de « débarrasser [s]es vêtements de [son] sang » (2:28), mais ce ne serait pas convaincant, car il n’y a aucune indication que les vêtements du prêtre étaient impurs à cause du sang du peuple.

 

Deuxièmement, le prêtre purifiait le peuple de certaines sortes d’iniquités et de transgressions (Lévitique 16:21, 33), en particulier les péchés contre Dieu. La préoccupation principale était les péchés d’inadvertance. Même si elle se produisait involontairement, une transgression s’était quand même produite aux yeux des anciens Israélites. Ces transgressions souillaient le temple et le peuple et il fallait donc faire l’expiation pour elles (voir Nombres 15:27). Les péchés de rébellion ou pesha’im [51] avaient aussi une importance essentielle. Ceux qui « se rebellent effrontément » [52] ne sont pas éligibles pour voir leur transgression pardonnée par un sacrifice (Nombres 15:30-31).

 

Ce sont précisément les préoccupations de Benjamin en ce qui concerne le péché et l’Expiation. Benjamin explique que le pouvoir de l’expiation du Christ couvre les péchés et les pécheurs par inadvertance : « qui sont morts sans connaître la volonté de Dieu à leur sujet, ou qui ont péché par ignorance » (3:11), tandis que celui qui pèche « à l'encontre de la connaissance qu'il avait » (2:33) reçoit la condamnation la plus sévère (2:38-40). De même, Benjamin est formel en ce qui concerne l’extrême gravité du péché commis par rébellion : « Malheur à celui qui sait qu'il se rebelle contre Dieu » (3:12). « L'homme qui…  entre en rébellion ouverte contre Dieu… le Seigneur n'a aucune place en lui » (2:37). C’étaient là précisément les deux sortes de péchés qui étaient la préoccupation principale le jour des Expiations [53]. De plus, la théologie de Benjamin est parfaitement israélite quand il explique que « le salut ne parvient à aucun de ceux-là [les pécheurs rebelles, Nombres 15:30-31)]» (3:12) si ce n’est grâce aux pouvoirs rédempteurs extraordinaires du Christ (3:12) et non par les sacrifices d’animaux.

 

Nous pouvons facilement imaginer la grande force du rappel sévère lancé par Benjamin au peuple, à savoir que le Seigneur « ne demeure pas dans des temples qui ne sont pas saints » (2:37). Il le dit au moment où leur temple a probablement été purifié par les rituels sanglants du Yom kippour. Les allusions au « sang expiatoire du Christ (3:18) n’auraient pas pu être placées de manière plus percutante. De même, la volonté de Benjamin de purifier ses vêtements (2:28) est tout à fait à sa place ici.

 

3. Tout le monde, même les petits enfants, doit prendre conscience de l’importance de ce jour. Ceux qui ont passé la puberté sont tenus d’observer les exigences de ce jour. De même, Benjamin mentionne l’application universelle de sa cérémonie, sauf aux « petits enfants »(3:21) et « le tout petit enfant » (3:18).

 

4. Lévitique 16:7-10 prescrit le rituel bien connu du bouc émissaire dans lequel le souverain sacrificateur prenait, le jour des Expiations, deux boucs, un pour l’Éternel et l’autre pour Azazel (qui était apparemment le nom du prince des démons). Le bouc consacré à l’Éternel était sacrifié, mais sur l’autre, le souverain sacrificateur posait les mains et lui transférait tous les péchés d’Israël. Ce bouc émissaire était alors emmené dans le désert. L’homme qui emmenait le bouc dans le désert devenait impur et ne pouvait rentrer dans le camp qu’après avoir brûlé ses vêtements et s’être lavé [54]. Dans le même ordre d’idées, dans l’esprit de Benjamin, ceux qui enfreignent l’alliance seront « condamnés à la vision affreuse de leur culpabilité » dans « un état de misère et de tourment sans fin » (3:25) ; ils découvrent qu’ils sont « vils », dans un état de « néant ».

 

5. Les rabbins enseignaient que l’expiation du bouc émissaire ne sortait ses effets que lorsqu’il était accompagné du repentir [60]. Il en a découlé une tradition qui voulait « que l’on se demande mutuellement pardon la veille du jour des Expiations » [61]. De même, Benjamin implore son peuple de se réconcilier avec son voisin, de : « vivre en paix et [de] rendre à chaque homme selon son dû » (4:13) et de « rendre la chose qu'il emprunte » (4:28). De là découle aussi l’importance de la confession au Yom kippour. Les formes de confession variaient. La confession du prêtre confessait toutes les iniquités du peuple et « à cela devait correspondre le remords du peuple », disant d’une manière générale : « Nous avons transgressé, nous avons agi traîtreusement » ou « pour le péché que nous avons commis » [62]. Ceci doit être comparé avec la confession du peuple du roi Benjamin de son état charnel et pécheur (4:2, 5), adoptant expressément la propre formule du roi de son « état vil et déchu » (4:5) : « Je suis aussi poussière… des serviteurs inutiles » (2:26, 21). Pour ceux qui se confessent et se repentent ainsi, ceci devient le jour de l’année par excellence où le pardon est accordé à tous (Jubilés 34:17-18 ; voir Mosiah 3: 16, 6:2).

 

6. Comme pour Rosh ha-shana, faire des dons aux pauvres était aussi une partie importante du Yom kippour. « Il est de coutume d’envoyer des dons aux pauvres et l’on a le devoir de se demander mutuellement pardon et de s’apaiser mutuellement » [64].  Les exhortations de Benjamin invitant à donner généreusement aux pauvres, à se réconcilier avec son prochain et à se rendre compte que nous sommes « tous les mendiants » (4:13-28) constitueraient des messages particulièrement pertinents au moment de la célébration d’un jour des Expiations où « la réparation vis-à-vis de l’homme doit précéder l’expiation sacrificatoire venant de Dieu » [65]. Ceci, en même temps que la prière, était une condition nécessaire pour obtenir la rémission des péchés (voir 4:11 « invoquant quotidiennement le nom du Seigneur » (4:11) et donnant de ses biens « pour conserver de jour en jour le pardon de vos péchés » (4:26).

 

7. Le jour est ainsi devenu un temps de « vraie joie » [66]. De la même manière, Benjamin et son peuple connaissent « une joie… extrême » (4:11) et se réjouissent (voir 4:12) abondamment. C’était un moment où l’on sentait Dieu proche de toute sa création [67], de même que Benjamin se réjouit « de la bonté de Dieu, et de sa puissance incomparable, et de sa sagesse, et de sa patience, et de sa longanimité envers les enfants des hommes » (4:6). Dans ce même esprit, les grandes célébrations au commencement de la dix-neuvième année du règne des Juges sont marquées par « une joie extrêmement grande » (Alma 45:1).

 

8. Cette vraie joie était enracinée dans la sainteté sublime et profonde de la journée. Le jour des Expiations était tellement saint que ce jour là – et en ce jour-là seulement – le nom indicible de Dieu YHWH pouvait être prononcé. À dix reprises en tout pendant le service de Yom kippour, le prêtre disait ce nom à haute voix et chaque fois le peuple se prosternait à terre [68]. Le fait d’entendre et de recevoir ainsi le nom de Dieu avait un effet profond sur le peuple de Jérusalem, comme sur celui de Zarahemla, où une importance extraordinaire accompagnée d’un grand respect et d’une grande sainteté était accordée au fait de donner « un nom ». Benjamin dit qu’un des buts principaux pour laquelle l’assemblée était réunie était de lui permettre de donner « à ce peuple un nom » (1:11-12). Avec beaucoup de solennité et une grande insistance [69] il révèle le nom de « Jésus-Christ, le Fils de Dieu, le Père du ciel et de la terre, le Créateur de tout » ainsi que le nom de sa mère, Marie (3:8). Finalement il donne au peuple le nom et lui dit que « c'est là le nom que j'ai dit que je vous donnerais » (5:9-14).

 

Le nom ineffable de Dieu, YHWH, ne devait jamais être prononcé à la légère. De même que la tradition juive permettait au prêtre de prononcer ce nom dix fois dans la liturgie du Yom kippour, il est remarquable de constater que dans le discours de Benjamin les mots « Seigneur Dieu », « Seigneur Dieu Omnipotent » ou « Seigneur Omnipotent » apparaissent exactement dix fois [70]. Sept de ces expressions sont dans les paroles de l’ange à Benjamin (3:5, 13, 14, 17, 18, 21, 23). C’est certainement plus qu’une coïncidence [71] que le chiffre sept reflète la perfection « spirituelle », et c’est donc l’esprit ou l’ange qui utilise sept fois le nom. Les trois autres expressions sont dans les paroles de Benjamin (2:30, 41 et 5:15). Trois est le chiffre de la complétude « réelle » ; c’est ainsi que Benjamin, simple mortel, prononce le nom trois fois de sa propre initiative. De plus, il est significatif que ces trois expressions se situent à des points de rupture cérémoniels importants dans le discours, et pas simplement au hasard ou à des endroits sans importance [72]. Il est tout à fait plausible qu’à chacun de ces moments, le peuple se soit prosterné dans un respect et une crainte profonds au moment où le saint nom de Dieu était prononcé [73].

 

9. Il est clair que pour une journée aussi importante des préparatifs s’imposaient. Le grand prêtre, en particulier, se préparait en vue de ce jour. Les écrits rabbiniques signalent les efforts spéciaux consentis pour tenir le grand prêtre éveillé pendant la nuit du Yom kippour et les hommes pieux suivaient cet exemple [74]. Les préparatifs de Benjamin sont, eux aussi, substantiels, notamment le fait qu’il a dû rester éveillé (« Éveille-toi ; et je m’éveillai… Éveille-toi, et entends » 3:2-3) par la visitation d’un ange de Dieu. Il se donne aussi la peine de se réunir avec ses fils (1:10-18) et d’écrire son discours, sachant que toute la foule ne pourrait pas entendre sa voix (2:7).

 

10. À la fin du jour des Expiations, les gens échangeaient des bénédictions telles que : « Puissiez-vous être inscrit pour la vie [dans le livre de vie] et mériter de nombreuses années. » Ainsi, à la fin de son discours, Benjamin prit « les noms de tous ceux qui avaient conclu avec Dieu l'alliance de garder ses commandements » (6:1). Dans certains cas, le peuple commençait alors immédiatement à construire ses huttes (soukkot) pour la phase suivante des célébrations de ce mois [75].

 

V. Les Tabernacles (Soukkot)

 

L’aspect final des grandes célébrations d’automne dans l’Israël ancien était la fête des Tabernacles (Soukkot). Cette partie de la fête finit par être célébrée le 15 Tishri. À l’origine, on l’appelait la « fête de Dieu » et c’était la plus grande de l’année ; elle durait sept jours [76]. Les éléments caractéristiques de cette fête apparaissent tous d’une manière significative dans le discours du roi Benjamin [77].

 

D’après la tradition juive, le premier Soukkot a été célébré au pied du mont Sinaï six mois après l’exode d’Égypte. Le dernier jour de la fête a pris plus tard le nom de Simhat Tora (« joie de la Tora ») en souvenir de la révélation du Pentateuque ou de la Loi au Sinaï. Aujourd’hui, le cycle annuel de lecture de la Tora pour les Juifs se termine à Simhat Tora. Cette pratique de lire chaque semaine des parties désignées de la Loi au cours de chaque année remonte selon la tradition à l’époque d’Esdras le Scribe (cinquième siècle av. J.-C.), qui renouvela la célébration de Soukkot après la captivité babylonienne et le retour des Juifs à Jérusalem.

 

Les sept éléments de ce premier Soukkot, que l’on trouve dans Exode 24, valent d’être relevés, car ils réapparaissent ailleurs dans beaucoup d’assemblées israélites rapportées dans la Bible et aussi dans le Livre de Mormon et caractérisent l’essence de cette célébration. Premièrement, Moïse récite les commandements de Dieu, qu’il écrit dans un livre (Exode 24:3-4). Deuxièmement, « Le peuple entier répondit d'une même voix: Nous ferons tout ce que l'Éternel a dit » (Exode 24:3). Troisièmement, on construit un autel et l’on dresse douze pierres en signe de l’alliance (Exode 24:4). Quatrièmement, on offre des holocaustes et des sacrifices d’actions de grâces (Exode 24:5-6). Cinquièmement, Moïse lit au peuple le livre de l’alliance (Exode 24:7). Sixièmement, le peuple répète son alliance d’obéissance (Exode 24:7). Finalement, du sang est aspergé sur le peuple pour sceller son alliance (Exode 24:8).

 

Chacun de ces éléments de base du Soukkot décrit dans le Pentateuque est présent dans le discours de Benjamin. Comme Moïse, Benjamin fait écrire ses paroles (Mosiah 2:8) et il parle des commandements de Dieu (2:31). Le peuple de Benjamin répond par une affirmation à l’unisson (4:1-2, 5:2-5) [78]. Il est question de sacrifices à cette occasion (2:3). On ne sait pas si Benjamin lit la Loi en même temps qu’il prononce son discours, mais il affirme qu’il a « enseigné [à son peuple qu’il devait] garder les commandements du Seigneur dans tout ce qu'il [lui] a commandé » (2:13). Ce genre d’enseignement a dû consister en grande partie en une simple lecture de la Loi. En réponse à cet enseignement, le peuple de Benjamin répète son alliance d’obéissance (5:2-5). Finalement il est question du sang du Christ dans Mosiah 3:18 et la cérémonie prend fin sur la bénédiction où Dieu « scelle » le peuple comme sien (5:15). On imagine Benjamin aspergeant du sang sur une partie symbolique de son peuple (suivant l’antique coutume israélite) pendant qu’il prononce sa bénédiction finale.

 

La fête des Tabernacles est souvent mentionnée dans la Bible (Lévitique 23:33-44, Nombres 29:12-38, Deutéronome 16:13 ; 31:9-13, Zacharie 14:16, 18-19, Esdras 3:4, 2 Chroniques 8:13, Jean 7:2), ce qui montre bien que cette fête était une célébration importante dans l’Israël ancien. On peut trouver dans ces récits bibliques de nombreux détails sur les coutumes pratiquées ce jour-là. Il y a des points de comparaison significatifs avec le discours de Benjamin. En outre, d’autres renseignements sont donnés dans la Mishna, le Talmud et les écrits juifs de facture plus récente. S’il n’est pas toujours possible de savoir exactement quels sont ceux parmi ces détails plus récents qui faisaient déjà partie de l’observance de la fête des Tabernacles du temps de Léhi, ont peut également trouver dans tous ces textes de nombreux parallèles convaincants avec la fête de Benjamin à Zarahemla. Les aspects fondamentaux de cette célébration sont les suivants :

 

1. La fête des Tabernacles était un jour d’assemblée nationale, une grande fête de pèlerinage [80]. Tout le peuple se réunissait spécialement autour du temple. La fête était pour les Israélites et les étrangers. Benjamin fait rassembler toute la population de son pays (Mosiah 1:18 ; 2:9, 27). Tout le peuple est là, aussi bien les Mulékites que les Néphites (1:10). Ils se réunissent expressément « autour » du temple de Zarahemla (23:5-6) [81].

 

Les Israélites se rassemblaient, les années ordinaires, pour fêter leurs moissons et commémorer leur libération d’Égypte. Cependant, tous les sept ans, l’assemblée comportait des activités publiques et royales plus complexes. L’importance des célébrations de la septième année est décrétée dans Deutéronome 31:10-13. Le nombre de ressemblances entre ce passage et le récit de l’assemblée de Benjamin montre que celui-ci appliquait consciencieusement le règlement deutéronomique et que ce qu’il célébrait était justement une fête des Tabernacles une septième année :

 

Deutéronome 31:10-13

 

Moïse leur donna cet ordre: Tous les sept ans, à l'époque de l'année du relâche, à la fête des Tabernacles, quand tout Israël viendra se présenter devant l'Éternel, ton Dieu, dans le lieu qu'il choisira, tu liras cette loi devant tout Israël, en leur présence.

 

Tu rassembleras le peuple,

les hommes,

les femmes, les enfants,

et l'étranger

 

qui sera dans tes portes,

afin qu'ils t'entendent, et afin qu'ils apprennent à

 

craindre l'Éternel, votre Dieu,

 

à observer et à mettre en pratique toutes les paroles de cette loi.

 

Et leurs enfants qui

 

ne la connaîtront pas

l'entendront, et ils apprendront à craindre l'Éternel, votre Dieu.

Discours de Benjamin

 

je… vous ai… commandé de monter ici (2:9)

 

 

monter au temple (1:18)

et les fit envoyer parmi ceux qui n'étaient pas à la portée de sa voix, afin qu'ils reçussent aussi ses paroles (2:8)

afin qu'il se rassemblât (1:18)

chaque homme selon sa famille, composée de sa femme, et de ses fils, et de ses filles (2:5)

tout ce peuple, c'est-à-dire au peuple de Zarahemla et au peuple de Mosiah, qui demeure dans le pays (1:10)

afin d'entendre, et le cœur afin de comprendre (2:9)

que vous [ne] me craigniez [pas] (2:10) car la crainte du Seigneur était venue sur elle (4:1)

obéissants à ses commandements dans tout ce qu'il nous commandera (5:5)

nul ne sera trouvé innocent devant Dieu, si ce n'est les petits enfants… Et en ce moment même, lorsque tu auras enseigné à ton peuple… même alors il ne sera plus trouvé innocent (3:21-22) vous leur enseignerez [à vos enfants] à marcher dans les voies de la vérité et de la sagesse (4:15)

 

 

La complétude et la précision avec lesquelles Benjamin semble accomplir ces exigences mosaïques techniques imposent la conclusion que c’est justement lors d’une fête deutéronomique des Tabernacles que le discours de Benjamin a été prononcé.

 

2. Pendant cette fête, les Israélites restaient dans des tentes ou des huttes. On ne sait pas au juste quand la pratique de rester dans des huttes pour cette fête a commencé [82], mais quand il revient à Jérusalem de Babylone (quatrième siècle av. J.-C.), Néhémie célèbre cette fête avec des tentes : « Et ils trouvèrent écrit dans la Loi que l'Éternel avait prescrite par Moïse, que les enfants d'Israël devaient habiter sous des tentes pendant la fête du septième mois » (Néhémie 8:14) [83]. Ainsi donc, des dispositions telles que celles que l’on trouve dans Lévitique 23:42 étaient dans le texte connu de Néhémie. Apparemment les mêmes dispositions se trouvaient sur les plaques d’airain connues de Léhi.

 

La pratique de rester dans une hutte finit par symboliser le moment où leurs ancêtres demeurèrent pendant quarante ans dans des tentes dans le désert pendant l’exode d’Égypte. Pour les Néphites, cela a pu symboliser le temps où Léhi et sa famille « demeurai[ent] sous une tente » (1 Néphi 10:16) [84], car Benjamin convoque sa fête partiellement pour rappeler à quel point son peuple se distinguait du fait que « le Seigneur Dieu [l’]a fait sortir du pays de Jérusalem » (Mosiah 1:11).

 

On a également avancé l’idée que les tentes symbolisaient la pauvreté. Elles « rappelaient la pauvreté à ceux qui étaient riches » et « nous rappelle que partout les Juifs ne vivent que peu de temps, comme dans les huttes ; ils errent éternellement d’un pays à l’autre » [85]. De même, Benjamin rappelle au peuple qu’il est pauvre, est dépendant de Dieu et doit se souvenir qu’il doit donner libéralement de ses biens.

 

Il apparaît aussi clairement dans le discours de Benjamin que les tentes ont leur importance cérémonielle. Chaque famille avait « la porte de sa tente tournée vers le temple, afin de pouvoir rester dans leurs tentes et entendre les paroles que le roi Benjamin leur dirait » (2:6). Tout le monde avait une tente, pas simplement ceux qui étaient venus de hors ville et avaient besoin d’un endroit où loger. En outre, ils restent tous dans leurs tentes pendant le discours, certainement pour des raisons cérémonielles. S’il n’avait pas été religieusement et rituellement important pour elle de rester dans ses tentes, la foule aurait pu se tenir beaucoup plus près de Benjamin, ce qui aurait évité que certains ne puissent pas l’entendre et lui aurait épargné la nécessité de rédiger des copies de ses paroles (2:8). Apparemment, Benjamin considérait qu’il était plus important que le peuple reste dans ses tentes que de se tenir à portée de voix de l’orateur.

 

3. La célébration était un événement familial. Comme le stipule le Deutéronome, chaque homme, femme et enfant doit être présent pour apprendre la Loi et comprendre les voies du Seigneur. À Zarahemla, Mosiah prend soin de préciser que chaque famille, femmes et enfants compris, était présente (2:5). Benjamin dit à la multitude, y compris les enfants suffisamment âgés pour comprendre (3:16, 18, 21) d’ « ouvrir les oreilles afin d'entendre, et le cœur afin de comprendre, et l'esprit afin que les mystères de Dieu soient dévoilés à [sa] vue » (2:9) avec pour résultat que « la crainte du Seigneur » s’abat sur elle (4:1), réalisant ainsi l’objectif explicite de Deutéronome 31:12-13.

 

4. Soukkot était aussi un jour où les Israélites célébraient le don de la Loi à Moïse sur le mont Sinaï. Les anciens Israélites honoraient et vénéraient leurs lois avec un respect profond, que la plupart des hommes modernes, avec leur habitude de chercher les échappatoires, sont tout à fait incapables de comprendre. Lors de la fête des Tabernacles, on lisait la Loi et le peuple déclarait son engagement à la respecter [86]. C’est ce qui explique pourquoi Benjamin fait allusion à plusieurs reprises au don de la Loi par Dieu (2:31) à Moïse (3:14). Cela fournit aussi le contexte de la déclaration finale que le peuple est disposé « à conclure avec [son] Dieu l'alliance de faire sa volonté et d'être obéissan[t] à ses commandements dans tout ce qu'il [lui] commandera, tout le reste de [ses] jours » (5:5).

 

5. Ainsi, ce jour était aussi un jour de renouvellement des alliances ». Ce jour-là, le peuple renouvelait son alliance avec Dieu d’être son peuple et d’obéir à ses lois. C’est justement ce genre d’alliance que contracte le peuple de Benjamin. Grâce à elle, il devient fils et filles de Dieu (5:1-7 ; cf. Exode 19:5 ; Jérémie 31:33). Le fait que le peuple de Benjamin tout entier tombe simultanément par terre et prononce certaines paroles à l’unisson (4:1-3 ; 5:1-5) implique nettement que nous avons affaire ici à un rituel ou à un cérémonial. Les paroles prononcées par le peuple ont très bien pu être des paroles coutumières, que le peuple connaissait d’avance. Cela n’enlève rien à l’état spirituel profond dans lequel il se trouve au moment où il les prononce. Un renouvellement d’alliances peut avoir un impact profond, surtout lorsqu’il est présenté aussi admirablement et avec autant d’éloquence que celui-ci par Benjamin.

 

6. Ce jour était aussi un événement royal important, un jour du roi. Il convenait donc tout particulièrement pour être un jour de couronnement. Les manifestations royales étaient parfois prévues longtemps d’avance, planifiées et retardées pour attendre l’arrivée de la fête des Tabernacles. C’est le cas de la consécration du temple de Salomon pour laquelle on attendra onze mois afin qu’elle ait lieu en ce jour symbolique important. De la même façon, Benjamin va se préparer expressément pour l’arrivée de ce grand jour de fête (Mosiah 1:1-2:8).

 

7. C’était aussi un jour où Dieu était proclamé roi céleste. Le prophète Zacharie a prophétisé que le Messie viendrait lors de la fête des Tabernacles et que le peuple le vénérerait comme Roi après sa venue (Zacharie 14:16) en célébrant cette fête. Les aspects royaux de Soukkot servaient donc aussi de rappel de ce que Jéhovah règne en roi (voir Psaumes 93:1 ; 96:10 ; 97:1). Comparez avec Benjamin qui, en ce jour, appelle Dieu le « Roi céleste » (Mosiah 2:19) et traite de la venue du Messie (Mosiah 3:1-10) [87]. Des années plus tard, en Juda, c’est le roi qui prendra la place de Dieu pour accepter les hommages du peuple [88].

 

8. Ce jour-là, le roi parlait au peuple. Il tirait son texte du Deutéronome. La meilleure description des activités royales un Soukkot de septième année se trouve dans la Mishna, Sotah 7:8.

 

« Après la fin du premier jour de fête de la fête des Tabernacles, la huitième année, après le passage de la septième année, on lui préparait, dans la cour du temple, une plate-forme de bois [comparer avec Mosiah 2:7] sur laquelle il s’asseyait, car il est écrit : À la fin de chaque période de sept ans, au moment fixé… le ministre de la synagogue prenait un rouleau de la Loi et le donnait au chef de la synagogue, le chef de la synagogue le donnait au préfet, le préfet le donnait au souverain sacrificateur, le souverain sacrificateur le donnait au roi et le roi le recevait debout et le lisait assis. Le roi Agrippa [qui mourut en 44 apr. J.-C.] le reçut debout et le lut debout et pour cela les Sages le louèrent. Et quand il arriva à ‘tu ne pourras pas te donner un étranger, qui ne soit pas ton frère [Deutéronome 17:15]’ [89], il fondit en larmes ; mais ils lui crièrent : ‘Tu es notre frère ! Tu es notre frère ! Tu es notre frère ! » [cf. Mosiah 2:15, 26]. Il lut à partir du début du Deutéronome jusqu’à ‘Écoute [ô Israël]’… et ‘Si vous obéissez…’ [Deutéronome 11:13-22] et ‘Tu lèveras la dîme…’ [Deutéronome 14:22] et ‘Lorsque tu auras achevé de lever toute la dîme…’ (Deutéronome 26:12 et suiv.] et le paragraphe du roi [Deutéronome 17:14-20] et les bénédictions et malédictions [Deutéronome 27:15-26] jusqu’à la fin. Le roi les bénit des mêmes bénédictions que le souverain sacrificateur, sauf qu’il prononce les bénédictions pour les fêtes au lieu de la bénédiction pour le pardon des péchés. »

 

L’utilisation du Deutéronome pour la liturgie de cette fête est délibérée. Le Deutéronome lui-même est une répétition de la Loi. Il a le débit et l’éloquence d’un discours cérémoniel et, comme tel, convient pour être récité par le roi pendant cette fête au cours de laquelle la Loi est vénérée, rappelée et enseignée. Il est instructif d’en faire un examen plus approfondi.

 

Tout d’abord, le roi lisait Deutéronome 1:1-6:10. Plusieurs des éléments principaux de ce passage sont apparentés à des passages de Mosiah 1-6. Il y a tout d’abord le compte rendu des relations de Dieu avec Israël (Deutéronome 1:6-3:29) ; on retrouve brièvement ceci dans Mosiah 1:11 et 3:13-15.

 

Ensuite il y avait des lectures de passages de la Loi (Deutéronome 4:1-9, 11-25 ; 5:6-21) et l’exhortation d’enseigner la Loi aux générations suivantes (Deutéronome 4:9). De même, Benjamin charge son peuple de garder les commandements qui lui seront donnés par son fils Mosiah, son nouveau roi (2:31) et exhorte le peuple à ne pas permettre que leurs enfants transgressent les lois de Dieu, « mais [à] leur enseign[er] à marcher dans les voies de la vérité et de la sagesse; [à] leur enseign[er] à s'aimer les uns les autres et à se servir les uns les autres (4:14-15).

 

On commémore l’alliance et l’assemblée au Sinaï (Deutéronome 4:10-13 ; 5:1-5, 22-31), ce qui constitue peut-être le modèle de l’assemblée de Benjamin (2:9) et conduit au renouvellement de l’alliance (5:1-7). Le ciel et la terre sont appelés comme témoins tandis que le roi prononce les malédictions en cas de désobéissance (Deutéronome 4:26-39) et les bénédictions en cas d’obéissance à la Loi (Deutéronome 4:40 ; 5:32-6:3). De la même façon, Benjamin appelle le peuple lui-même à être « [témoin] aujourd’hui » (2:14), promet à ceux qui sont obéissants qu’ils « prospérer[ont] dans le pays, et [que leurs] ennemis n'auront aucun pouvoir sur [eux] » (2:31) et prononce « malheur, malheur » sur ceux qui pèchent contre Dieu (3:12).

 

La conclusion, ou shema’ (Deutéronome 6:4-10) enseigne que Dieu doit être aimé et honoré (6:5), que la Loi doit être enseignée aux enfants (6:7) et que Dieu récompensera l’obéissance par la prospérité (6:10-11). Ces idées sont aussi des thèmes importants dans les paroles de Benjamin (4:11-15 ; 2:31) [90].

 

Le roi lisait ensuite le chapitre 11 du Deutéronome, qui commence par une exhortation à aimer Dieu et à lui obéir (11:1) et note que cette partie du discours s’adresse aux adultes, pas aux enfants (11:2). Benjamin prend note, lui aussi, du fait que certains de ses enseignements ne lient pas « les petits enfants » (2:34, 40 ; 3:21 ; 6:2).

 

Le texte deutéronomique poursuit ensuite : On doit aimer et servir Dieu (Deutéronome 11:13), après quoi il enverra la pluie et la prospérité (11:14-15, 17). Il faut enseigner la Loi aux enfants qui sont trop jeunes pour comprendre (11:19) et, à cette fin, elle doit être mise par écrit (11:20). Dieu accordera une longue vie à ceux qui font l’alliance (11:21) ; par l’obéissance ils vaincront leurs ennemis (11:22-25). Finalement le roi met devant eux une bénédiction et une malédiction, qui prendront effet lors du renouvellement de l’alliance (11:26-32). Deutéronome 27:15-26, également cité par le roi, donne des instructions pour l’alliance. Les passages restants (Deutéronome 14:22-29 ; 26:12 et suiv.) traitent de la dîme collectée la troisième et la septième année.

 

Dans ses dernières paroles, le roi bénit le peuple tout comme Moïse avait béni, à l’origine, chacune des tribus avant l’ordination de Josué (Deutéronome 3). Le contenu de beaucoup de ces passages royaux présente des ressemblances évidentes avec le message du roi Benjamin.

 

9. Comme le dit la Mishna,  citée ci-dessus, le roi prononçait ces paroles du haut d’une plate-forme. De même, le roi Benjamin parle du haut d’une tour (2:7). Un autre bon exemple est le discours d’Esdras (5e siècle) lors de son célèbre rétablissement de la fête des Tabernacles après le retour des Juifs de Babylone à Jérusalem. Esdras « était placé sur une estrade de bois, dressée à cette occasion » [91].

 

10. Outre que c’était un jour où le roi lisait le Deutéronome et enseignait ainsi la Loi, c’était aussi un jour où le roi lui-même devait rendre des comptes. Il devait se tenir devant son peuple et rendre compte de son administration. Le passage principal qui servait de critère permettant de juger les réalisations du roi était le paragraphe du roi (Deutéronome 17:14-20), la partie fondamentale de la Loi de Moïse définissant les devoirs du roi. Comme le démontrent les parallèles suivants, ce passage deutéronomique était important pour le roi Benjamin. Tenu de suivre la Loi de Moïse (3:14), il devait se conformer à ses exigences spécifiques. Le Paragraphe du Roi mérite une attention soigneuse.

 

Deutéronome 17:14-20

 

Lorsque tu seras entré dans le pays que l'Éternel, ton Dieu, te donne, lorsque tu le posséderas, que tu y auras établi ta demeure, et que tu diras: Je veux mettre un roi sur moi, comme toutes les nations qui m'entourent, - tu mettras sur toi un roi que choisira l'Éternel, ton Dieu,

 

tu prendras un roi du milieu de tes frères, tu ne pourras pas te donner un étranger, qui ne soit pas ton frère.

Mais qu'il n'ait pas un grand nombre de chevaux; et qu'il ne ramène pas le peuple en Égypte pour avoir beaucoup de chevaux; car l'Éternel vous a dit: Vous ne retournerez plus par ce chemin-là.

Qu'il n'ait pas un grand nombre de femmes, afin que son cœur ne se détourne point;

et qu'il ne fasse pas de grands amas d'argent et d'or.

 

Quand il s'assiéra sur le trône de son royaume, il écrira pour lui, dans un livre, une copie de cette loi, qu'il prendra auprès des sacrificateurs, les Lévites. Il devra l'avoir avec lui et y lire tous les jours de sa vie, afin qu'il apprenne à craindre l'Éternel, son Dieu, à observer et à mettre en pratique toutes les paroles de cette loi et toutes ces ordonnances;

 

afin que son cœur ne s'élève point au-dessus de ses frères, et

 

 

 

 

qu'il ne se détourne de ces commandements ni à droite ni à gauche;

 

 

afin qu'il prolonge ses jours dans son royaume, lui et ses enfants, au milieu d'Israël

Benjamin

 

que le Seigneur Dieu a fait sortir (1:11)

 

 

 

 

 

que le Seigneur, notre Dieu, nous a donné (1:10)

la main du Seigneur a permis que je sois gouverneur et roi de ce peuple (2:11)

 

Mes frères (2:9). Et moi, même moi, que vous appelez votre roi, je ne suis pas meilleur que vous (2:26)

Et moi-même j'ai travaillé de mes mains pour vous servir, et pour que vous ne soyez pas accablés d'impôts, et qu'il ne vienne rien sur vous qui soit pénible à supporter (2:14). Ni que l'un de vous fasse de l'autre son esclave (2:13)

 

je n'ai recherché de vous ni or, ni argent, ni aucune sorte de richesse (2:12)

 

Et de plus, il lui donna aussi la charge des annales qui étaient gravées sur les plaques d'airain (1:16)

Et il les instruisit aussi concernant les annales qui étaient gravées (1:3)

 

que vous deviez garder les commandements du Seigneur dans tout ce qu'il vous a commandé (2:13)

je ne désire pas me vanter (2:16)

 

Pourtant, mes frères, je n'ai pas fait ces choses afin de me vanter (2:15). Je ne suis pas meilleur que vous (2:26)

 

afin que vous sachiez que je peux répondre aujourd'hui d'une conscience nette devant Dieu (2:15)

 

mais le Seigneur Dieu me soutient, et a souffert que je vous parle… mon fils… votre roi… vous prospérerez dans le pays (2:30-31)

 

 

Les idées de ce passage deutéronomique sont de toute évidence fondamentales pour les pensées du roi Benjamin dans la première section de son discours. Il s’avère que le premier point de son ordre du jour devant son assemblée consiste à rendre compte de son intendance comme roi, comme l’exigent le Deutéronome et l’observance traditionnelle de la fête des Tabernacles.

 

En ce qui concerne la royauté, de même que Deutéronome 17:15 exige que seul « un roi du milieu de tes frères » soit autorisé à régner en Israël [92], de même Benjamin appelle son auditoire néphite « mes frères » (2:9 ; 4:4). Il souligne aussi : « J'ai été choisi par ce peuple, et consacré par mon père, et la main du Seigneur a permis que je sois gouverneur et roi de ce peuple » (2:11 ; voir aussi 1:10) conformément à Deutéronome 17:15. Il attribue en outre à Dieu le choix de Mosiah comme son successeur (2:29-30). Concernant les abus de pouvoir, Deutéronome 17:16-17 met en garde contre la tendance qu’ont les monarques à utiliser leur pouvoir pour obtenir de la richesse et satisfaire leurs propres convoitises [93]. De la même manière, le roi Benjamin proclame qu’il n’a « recherché ni or, ni argent, ni aucune sorte de richesse », ni a rendu le peuple esclave à son service, ce qui aurait été un retour à l’esclavage que les Israélites avaient connu en Égypte [94]. Il est également possible que l’interdit deutéronomique contre la multiplication des chevaux et des épouses se trouve derrière les paroles de Benjamin quand il dit qu’il ne faut pas garder l’âne de son prochain (5:14) et ne pas commettre l’adultère (1:13, 2:13). Le roi était également humble. Deutéronome 17:20 exige : « Que son cœur ne s'élève point au-dessus de ses frères ». Benjamin dit : « Je ne vous ai pas commandé de monter ici pour que vous me craigniez, ou pour que vous pensiez que, de moi-même, je suis plus qu'un homme mortel. Mais je suis semblable à vous » (2:10-11) [95].

 

Deutéronome 17:18-19 spécifie que le roi doit garder auprès de lui une copie de la Loi afin de toujours se rappeler les commandements de Dieu. Conformément à cela, le roi Benjamin fait une mention importante des plaques d’airain de Laban sur lesquelles étaient écrites la Loi de Moïse (1:2-7) et des autres annales, quand il les confie à Mosiah (1:16). L’importance de la Loi est réaffirmée dans Deutéronome 17:20: « Afin… qu'il ne se détourne de ces commandements ni à droite ni à gauche; afin qu'il prolonge ses jours dans son royaume. » C’est le thème central du Deutéronome : l’obéissance à la Loi de Dieu apporte la prospérité dans le pays et une longue vie (p. ex., Deutéronome 4:1, 5, 26, 40 ; 5:33 ; 10:12-13 ; 11:21-22). C’est aussi l’un des motifs principaux du discours du roi Benjamin (p. ex. Mosiah 1:7 ; 2:31, 36 ; 4:15 ; 6:6). Le résumé que Benjamin fait de ce principe (2:22) semble avoir été inspiré par Deutéronome 6:2 [96].

 

11. En accord avec l’esprit de toute cette période de festivités, un autre élément de Soukkot est l’exhortation à aider les nécessiteux (Deutéronome 10:18-19). C’était un temps pour se rappeler l’hospitalité [97]. Le Zohar parle de recevoir des visiteurs célestes qui rendent visite de nuit aux huttes. Les exhortations que Benjamin fait sur le même sujet de se souvenir des pauvres (4:16, 19) ont été traitées plus haut à propos d’autres aspects de cette saison de fêtes. Il se peut que le récit par Benjamin de la visite d’un ange (3:1) ait été considéré comme merveilleusement de saison.

 

En bref, l’effet cumulatif de tout ce qui précède nous amène irrésistiblement à une seule conclusion, à savoir que le discours du roi Benjamin a été prononcé à l’automne, au moment de l’année où les anciens Israélites et les peuples du Livre de Mormon devaient célébrer leur grande fête d’automne [98] dont ont apparemment découlé plus tard les fêtes distinctes de Rosh ha-shana, Yom kippour et  Soukkot. Les éléments de ces fêtes sont représentés en grand nombre et avec précision dans ce texte magistral du Livre de Mormon.

 

VI. Années sabbatiques et années de jubilé

 

Non seulement Benjamin prévoit de faire son discours pour la période des fêtes d’automne, mais il s’arrange aussi pour que cette grande assemblée se produise lors d’une année sabbatique ou de jubilé. Comme nous l’avons vu plus haut, on lisait le « paragraphe du roi » tous les sept ans, de sorte que, selon toute probabilité, le discours a eu lieu l’une de ces années. En vertu de la Loi de Moïse, tous les sept ans, les champs devaient rester en jachère et ce qu’ils produisaient était pour les pauvres (Exode 23:10-11). De plus, tous les esclaves devaient être remis en liberté, en particulier ceux qui avaient été réduits en esclavage pour non-paiement de dettes (Exode 21:2-6 ; Deutéronome 15:1-18) [99]. Ces facteurs expliquent donc peut-être pourquoi le roi Mosiah, à la fin de la fête, « commanda à son peuple de cultiver la terre » (6:7), levant l’interdit agricole qui pesait sur l’année religieuse sabbatique. Cela explique peut-être aussi pourquoi Benjamin fait explicitement la réflexion qu’il n’a pas permis à son peuple « que l'un de vous fasse de l'autre son esclave » (2:13). L’absence d’esclavage » permanent dans son royaume aurait été immédiatement prouvée par une proclamation royale libérant tous les débiteurs qui payaient leurs dettes par une servitude involontaire.

 

L’année qui suivait chaque septième année sabbatique était une année de jubilé [100]. Il y a tout lieu de croire que Benjamin n’a pas seulement choisi une année sabbatique pour couronner son fils roi, mais aussi qu’il a prévu que ce grand événement tombe lors d’une année de jubilé. Trois indices donnent à le penser.

 

1. L’année du jubilé était un moment où les dettes étaient annulées, Deutéronome 15:1-3. Les biens étaient rendus à leur propriétaire héréditaire : « Chacun de vous retournera dans sa propriété, et chacun de vous retournera dans sa famille » (Lévitique 25:10). De Vaux résume : « Par conséquent, les transactions foncières devaient être faites en calculant le nombre d’années précédant le jubilé suivant : on n’achetait pas le sol, mais autant de moissons… Des raisons religieuses étaient données pour ces mesures : la terre ne peut pas être vendue de manière absolue, car elle appartient à Dieu »  [101]. Une année de jubilé, on pouvait s’attendre à ce que le roi fasse des réflexions sur cette année du retour, comme le fait effectivement Benjamin : « Quiconque parmi vous emprunte à son prochain, doit rendre la chose qu'il emprunte, selon qu'il est convenu, sinon tu commettras un péché; et peut-être feras-tu aussi commettre un péché à ton prochain » (4:28). Selon une interprétation possible du texte, Benjamin s’inquiète ici de voir que la chose même qui a été transférée soit rendue. Une propriété de remplacement ou de valeur équivalente ou de l’argent, n’est apparemment pas acceptable. Pourquoi pas ? Peut-être parce qu’à l’occasion du jubilé « chacun de vous retournera dans sa propriété » (Lévitique 25:10). En outre, Benjamin est préoccupé par le fait que le prêteur puisse commettre un péché [102] au même titre que l’emprunteur. Devons-nous imaginer que Benjamin craint que le prêteur pourrait commettre un péché en faisant d’une certaine façon, dans sa colère, du tort au débiteur délinquant ? [103]. Il est plus vraisemblable que ceci aussi soit le reflet de la nature publique de l’obligation de remplir les conditions requises du jubilé. En d’autres termes, en vertu de la Loi telle qu’elle était, c’était le bien lui-même qui devait être rendu et les lois du jubilé exigeaient que les deux parties participent sous peine de « commettre un péché ».

 

Il se peut que l’idée que la terre appartient à Dieu ait été liée aux lois du jubile, car la propriété privée des terres était effectivement limitée par les lois du jubilé en matière de récupération et de jachère. Benjamin, lui aussi, reconnaît explicitement cette notion lorsqu’il dit : « Vous avez été créés de la poussière de la terre; mais voici, elle appartient à celui qui vous a créés » (2:25). C’est probablement l’année du jubilé plus qu’à n’importe quel moment du calendrier israélite ancien que l’affirmation que Dieu est propriétaire de la terre a dû être ressentie le plus fortement.

 

2. De plus, les textes de Lévitique 25-26 concernant le jubilé correspondent fortement à deux sections du discours de Benjamin [104]. Lévitique 25-26 reflète les mots et les expressions associés au jubilé dans les temps anciens. On peut trouver, dans les dernières parties de Mosiah 2 et de Mosiah 4, un nombre particulièrement dense d’expressions et d’idées provenant de ces chapitres, suffisant pour montrer qu’il y a là une dépendance textuelle par rapport à ces textes de jubilé ou des textes semblables. Cela montre bien que le texte de Benjamin a été écrit pour une fête de jubilé.

 

Les parallèles principaux entre ces passages et le discours de Benjamin peuvent être esquissés comme suit :

 

Lévitique

 

chacun de vous retournera dans sa propriété 25:10

 

qu'aucun de vous ne trompe son frère (25:14)

 

 

il te vendra, en comptant (25:15-16, 50)

 

Mettez mes lois en pratique, observez mes ordonnances et mettez-les en pratique; et vous habiterez en sécurité dans le pays. Le pays donnera ses fruits (25:18-19)

 

 

Vous poursuivrez vos ennemis (26:7)

 

 

Si ton frère devient pauvre, et que sa main fléchisse près de toi, tu le soutiendras; tu feras de même pour celui qui est étranger et qui demeure dans le pays, afin qu'il vive avec toi (25:35)

 

Je suis l'Éternel, ton Dieu, qui vous ai fait sortir (25:38)

 

je maintiendrai mon alliance avec vous (26:9)

 

 

mon âme ne vous aura point en horreur (26:11 ; J'établirai ma demeure au milieu de vous (26:11)

 

Je marcherai au milieu de vous (26:12)

 

 

si vous ne m'écoutez point… J'enverrai sur vous la terreur, la consomption et la fièvre, qui rendront vos yeux languissants et votre âme souffrante; et vous sèmerez en vain vos semences: vos ennemis les dévoreront (26:14-16)

 

Si vous me résistez (26:21, 27)

Mosiah

 

rendre la chose (4:28)

 

 

vous ne serez pas enclins à vous nuire les uns aux autres (4:13)

 

rendre à chaque homme selon son dû (4:13)

 

si vous gardez les commandements de [Dieu], ou les commandements de Dieu, qui vous seront remis par lui, vous prospérerez dans le pays, et vos ennemis n'auront aucun pouvoir sur vous (2:31)

 

vos ennemis n'auront aucun pouvoir sur vous (2:31)

 

vous porterez aussi secours à ceux qui ont besoin… vous… ne le renverrez pas pour qu'il périsse (4:16, 17-26)

 

 

Ne dépendons-nous pas tous du même Être, Dieu, pour tous les biens que nous avons (4:19)

 

je donnerai à ce peuple un nom (1:11) ; l'alliance que vous avez faite est une alliance juste (5:6)

 

car il ne demeure pas dans des temples qui ne sont pas saints (2:37)

 

pour vous guider dans les sentiers de la sagesse (2:36)

 

condamnés à la vision affreuse de leur culpabilité et de leurs abominations… de misère et de tourment sans fin… un étang de feu et de soufre (3:25-27)

 

 

Si… vous… allez à l'encontre de ce qui a été dit (2:36)

 

 

 

Ces parallèles assez précis, associés aux ressemblances entre le ton et les préoccupations générales des textes du jubilé et le discours de Benjamin indiquent les sentiments intenses de ce dernier vis-à-vis de l’aide aux pauvres, l’établissement de l’alliance de Dieu parmi son peuple, la nécessité d’être diligemment consciencieux à marcher sur les sentiers de la justice et la sensibilité extraordinaire à la dépendance de l’homme vis-à-vis de Dieu pour ce qui concerne la vie et la subsistance. Tout cela pourrait très bien être attribué au fait que les anciens Israélites avaient une conscience accrue de ces principes pendant la période du jubilé.

 

On trouve le même genre de parallèle dans Deutéronome 15:9, qui dit : « Garde-toi d'être assez méchant pour dire en ton cœur : La septième année, l'année du relâche, approche! Garde-toi d'avoir un œil sans pitié pour ton frère indigent et de lui faire un refus. Il crierait à l'Éternel contre toi, et tu te chargerais d'un péché. » Cela ressemble très fort au commandement donné par Benjamin à son peuple de donner de sa substance aux pauvres et de ne pas le faire à contre-cœur (4:22-25).

 

3. Un dernier indice qui montre que le discours de Benjamin a été prononcé à la fin d’une année de jubilé se trouve dans l’histoire néphite un demi-siècle plus tard. Chaque quarante-neuvième année était la septième de sept années, donnant lieu à la célébration d’un jubilé, une période de retour et de paix. Après son discours, le roi Benjamin va vivre encore trois ans (6:5) et Mosiah va régner 33 ans en tout (29:46). La seizième année du règne des Juges (la quarante-neuvième année après le discours de Benjamin), « il commença à y avoir une paix continuelle dans tout le pays » (Alma 30:2). Cette paix va durer jusqu’à la fin de la dix-septième année du règne des juges (la cinquantième année) ; « il y eut une paix continuelle » (Alma 30:5). Pendant ce temps, le peuple est particulièrement «  strict à observer les ordonnances de Dieu, selon la Loi de Moïse » (Alma 30:3). Étant donné que le mot hébreu yobel (jubilé) signifie littéralement « trompette » et effectivement le jubilé était ainsi appelé parce qu’il s’ouvrait au son de la trompette [105], nous pouvons en conclure en outre que le souhait d’Alma de parler avec la voix « de la trompette de Dieu » (Alma 29:1) est particulièrement à sa place dans cette deuxième période de jubilé que l’on peut discerner dans l’histoire néphite, ainsi qu’en une période de Nouvel An comme expliqué plus haut.

 

VII. Conclusion

 

Tous ces éléments montrent bien que le discours du roi Benjamin se situe dans un cadre religieux complexe et profond. Il apparaît non seulement que Benjamin avait prévu de prononcer son sermon, de couronner son fils et de mener sa célébration de renouvellement de l’alliance – le jour cérémoniel le plus important de sa vie – précisément à la période sainte de l’année lorsque se pratiquaient les grandes fêtes annuelles d’automne des anciens Israélites, mais il avait choisi une année sabbatique et de jubilé pour tenir cette assemblée sacrée !. Ce sont donc ces traditions israélites anciennes qui ont fourni la trame essentielle à partir de laquelle Benjamin a façonné son chef d’œuvre. De même que les traditions israélites jettent beaucoup de lumière sur les paroles de Benjamin, son discours représente une version néphite de l’antique fête israélite d’automne, ce qui nous aide potentiellement aussi à comprendre la religion israélite préexilique.

 

Avec l’éclairage de l’arrière-plan de fête sacrée de ce discours, ses nombreux thèmes pénétrants ressortent avec une clarté cristalline. Ses paroles soigneusement choisies n’auraient pas pu être plus d’actualité pour son auditoire immédiat. Nous avons affaire ici, à coup sûr, à l’un des sermons les plus spirituels et les plus humanitaires jamais consignés dans les livres saints du monde. Il ne faut donc pas s’étonner que ce discours remarquable se retrouve dans les mémoires un siècle plus tard dans l’histoire néphite lorsque Hélaman II conseille à ses fils Néphi et Léhi : « Souvenez-vous, souvenez-vous, mes fils, des paroles que le roi Benjamin a dites à son peuple » (Hélaman 5:9). Ce conseil a autant de force aujourd’hui qu’il y si longtemps.

 

PETIT LEXIQUE

 

Allitération :       Répétition des consonnes débutant un mot.

Antiphonal :       Mot emprunté à la musique et exprimant une opposition entre deux éléments.

Chiastique :       Appartenant à un chiasme (voir les chiasmes sur Idumea)

Diaspora :         Nom donné à la dispersion du peuple juif.

Doxologie :        Prière à la gloire de Dieu.

Exil :                 Déportation de Juda vers 587 av. J.-C. à Babylone.

Midrash :           Interprétation d’une loi par les rabbins

Mishna :            Répétition de la Loi, la partie la plus ancienne du Talmud.

Postexilique :    Période qui a suivi la déportation (retour des Juifs avec Esdras).

Préexilique :      Période qui précède la déportation et qui se termine avec le règne de Sédécias

Rabbinique :      Qui appartient aux enseignements et aux traditions des rabbins.

Racine :            En hébreu, les trois consonnes de base d’un mot à partir desquelles se forment ses

                        dérivés.

Sémantique :     Science du sens des mots et de leur parenté.

Shofar :             Trompette faite d’une corne de bouc servant à annoncer les événements religieux.

Talmud :            Mot hébreu signifiant « enseignement ». Recueil de tous les commentaires de la Loi.

Zohar :              Ouvrage de base de la Kabbale, décrivant les sens cachés de la Loi.

 

NOTES

  

[1] Il n’y aura ordinairement pas d’attribution précise d’auteur à chaque idée afin de ne pas alourdir le texte et parce que la plupart de ces idées sont le fruit de la collaboration et d’une élaboration collective. Nous remercions chaleureusement chacun de ceux qui ont contribué.

[2] Robert Martin-Achard, Essai biblique sur les fêtes d’Israël, Genève, Labor et Fides, 1974, p. 73.

[3] Ex 23:14. Les trois fêtes étaient la Pâque, la Pentecôte et les Tabernacles.

[4] Par exemple, Exodus Rabbah XV.25 dit que le terme « lois » englobe les fêtes dont dépendent les « ordonnances ». L’obéissance à la Loi entraînait donc la célébration de ces fêtes.

[5] Le même genre de chose se produit dans le Nouveau Testament. Matthieu, partant de l’idée que le lecteur comprend le judaïsme, ne donne aucune explication des pratiques juives ; par contre, Luc se donne la peine de décrire les coutumes juives à ses lecteurs grecs (p. ex. Mt 26:17 ; Lc 2:40-41).

[6] Les recherches actuelles sur l’Ancien Testament fixent au milieu du VIe siècle av. J.-C., à Babylone, la dernière mouture des livres allant de la Genèse aux Chroniques, tels que nous les connaissons aujourd’hui. Ils auraient été rédigés à partir de documents écrits plus anciens. Voir David N. Freedman, « The Formation of the Canon of the Old Testament : The Selection and Identification of the Tora as the Supreme Authority of the Post-Exilic Community », discours prononcé lors de la Conference of Religion and Law (université d’Utah et université Brigham Young, 7 mars 1985).

[8] Voir « New Year’s Celebrations”, F.A.R.M.S. Update, janvier 1985.

[9] A. P. Bloch, The Biblical and Historical Background of the Jewish Holy Days, New York, KTAV Publishing House, 1978, p. 13: “Rosh ha-shana vient au deuxième rang des jours les plus sacrés du calendrier religieux juif.”

[10] Voir, d’une manière générale, Roland de Vaux, Ancient Israel, p. 191. John Tvedtnes propose une autre interprétation selon laquelle ce changement aurait été commandé par Moïse au moment de l’Exode mais n’aurait pas été appliqué par les Israélites à ce moment-là.

[11] Ancient Israel, p. 185.

[12] Voir William S. Kurz, « Luke 22:14-38 and Greco-Roman and Biblical Farewell Addresses », JBL 104, 1985, pp. 251-268.

[13] Le fait que Benjamin dit à son fils Mosiah de rassembler le people « le lendemain » (Mos 1:10) montre soit que le pays de Zarahemla était très petit, soit que la population était déjà rassemblée dans la capitale pour une fête de pèlerinage. Les préparatifs de l’événement étaient sans doute terminés avant que l’ordre de rassembler le peuple n’ait été donné.

[14] Traditionnellement, les fêtes à cette époque de l’année « ne se produisent pas soudainement et à l’improviste ; le peuple commence à s’y préparer longtemps d’avance » Hayyim Schauss, The Jewish Festivals, Cincinnati, Union of American Hebrew Congregations, 1938, p. 143.

[15] La fête de la moisson en automne « comportait de nombreux rites que l’on associe maintenant à Rosh ha-shana, Yom kippour et Soukkot. Ce n’est que plus tard, après l’exil à Babylone, que la fête d’automne a été divisée en trois fêtes distinctes. » (Schauss, p. 113).

[16] Roland de Vaux, Ancient Israel, p. 503. Ceci semble tout particulièrement être le cas, puisque Ézéchiel 40:1 et Néhémie 7:72-8:12 sont silencieux ou en désaccord avec l’idée de la célébration d’une fête du Nouvel An dans l’Israël ancien.

[17] Bloch, p. 13.

[18] C’était là une pratique ancienne que Léhi devait certainement connaître. Voir Genèse 4:4 (Abel sacrifie les « premiers-nés de son troupeau ») ; Deutéronome 12:6 (« C'est là que vous présenterez vos holocaustes, vos sacrifices… et les premiers-nés de votre gros et de votre menu bétail »). Les premiers-nés mâles étaient mangés devant le Seigneur « chaque année », voir Deutéronome 15:19-20.

[19] Encyclopedia Judaica, 14:306.

[20] RH 1:2 ; EJ 14:307.

[21] Lév. R. 29:4 ; TJ, RH 1:3, 57b ; EJ 14:307, 309.

[22] Gaster, p. 121.

[23] RH 16b ; EJ 14:307.

[24] Gaster, p. 93.

[25] Ceci peut avoir un lien lointain avec le rituel dans lequel on jetait ses péchés au fond de la mer (Michée 7:19), rituel exécuté selon la coutume tashlikh. Voir Schauss, p. 148. Il était de coutume de porter un long manteau blanc et c’était un symbole de pureté ; Gaster, p. 121.

[26] Schauss, p. 300, n. 135.

[27] Schauss, pp. 147-148.

[28] Benjamin mentionne expressément les dons aux pauvres  comme condition nécessaire « pour conserver de jour en jour le pardon de vos péchés ».

[29] Gaster, p. 110, citant El emouna be-‘orchecha din, par Éléazar Kalir (italiques ajoutés).

[30] Ber. 12b ; EJ 14:307. Voir aussi Gaster, p. 120.

[31] Benjamin emploie à six reprises l’expression « Dieu Omnipotent » : 3:5, 17, 18, 21 ; 5:2, 15. Aucun autre auteur du Livre de Mormon n’utilise cette expression précise ; seuls Jacob et Alma, qui disent de Dieu qu’il est « tout-puissant », utilisent un titre similaire pour Dieu. Jacob 2:5 ; Alma 44:5.

[32] T. H. Gaster, Festivals of the Jewish Year, New York, Morrow Quill, 1978, p. 109. Gaster cite à l’appui M. Eliade, Le mythe de l’éternel retour II, 1949, pp. 81-136.

[33] Comme dans Mosiah 27:30 ; comparer avec Mosiah 5:14, 2:21.

[34] Bloch, p. 15 ; Néhémie 8:9.

[35] De même, et c’est encore plus étonnant, il n’est pas question du shofar dans la description que Josèphe fait de la fête dans l’Histoire ancienne des Juifs 3.10. Il est également possible que Benjamin n’ait pas connu la sonnerie des trompettes puisqu’il se pourrait bien que la version de Lévitique 23:24 que nous connaissons appartienne à « la dernière édition du Pentateuque », qui est postérieure à Léhi. Voir R. de Vaux, Ancient Israel, p. 503. Cela n’exclut toutefois pas la possibilité qu’une acclamation ou une sonnerie ait été utilisée dans l’Israël préexilique avant d’être finalement incorporée dans les traditions écrites d’Israël, comme de Vaux lui-même le propose. Idem, p. 254.

[36] RH 26b ; EJ 14:308.

[37] Abudraham ha-Shalem, dir. de publ. S. Krauser, 1959, pp. 269-270; EJ 14:308.

[38] Schauss, p. 146; voir aussi EJ, 14:309.

[39] EJ, 14:310 (italiques ajoutés). Pour la « crainte » de Dieu et la petitesse de l’homme en tant que « création » de Dieu, voir Mosiah 2:20-26 ; 4:5-11. Pour ce qui est de « se prosterner » devant Dieu, voir Mosiah 4:1 et Gaster, p. 121. Pour l’accession à une unité harmonieuse parmi le peuple, voir Mosiah 4:13 ; 5:2. Pour ce qui est de faire la volonté de Dieu d’un cœur parfait, voir Mosiah 5:2-5.

[40] S. Mowinckel, The Psalms in Israel’s Worship, 1962, comparer avec la cérémonie babylonienne annuelle d’intronisation ; voir aussi J. A. Black, « The New Year Ceremonies in Ancient Babylon : Taking Bel by the Hand and a Cultic Picnic », Religion 11, 1981, pp. 35-39. Hugh Nibley, An Approach to the Book of Mormon, Salt Lake City, Deseret, 1957, chapitre 23, fait des parallèles entre le discours de Benjamin et diverses fêtes royales annuelles anciennes. Gordon Thomasson, “Togetherness is Sharing an Umbrella: Divine Kingship, « The Gnosis, and Religious Syncretism », Tinkling Cymbals (existe dans les archives de F.A.R.M.S., 1975), fait remonter des rites annuels de royauté divine similaires jusqu’en Inde, Birmanie et Java.

[41] Par exemple, de Vaux, pp. 504-506 ; EJ 14:307.

[42] La liste de Nibley mentionne fondamentalement la proclamation, le transfert de royauté, l’assemblée autour du temple, le recensement, le sacrifice de premiers-nés et d’offrandes, les actions de grâces pour avoir été délivrés, loger dans des tentes autour du temple, le fait que le roi parle du haut d’une tour, l’appel ou silentium et l’enseignement des mystères, saluer le roi, l’hommage du peuple au roi (que Benjamin rejette), la purification par rapport au péché, l’acclamation au roi, le récit de la Création, l’adieu et la descente rituels du roi dans les enfers (dont Benjamin dit que c’est un événement littéral qui se produira bientôt), des chœurs, assurer la succession au trône, les promesses de paix et de prospérité, la préservation d’annales, le fait pour Dieu de préserver son peuple, des promesses de bonheur sans fin, la divination de l’avenir, un jour de jugement, le fait de tomber sur la terre devant le roi, voir tous les humains comme égaux, l’acclamation finale, la conclusion d’une alliance, la réception d’un nouveau nom, l’engendrement du genre humain, le souci de se trouver au bon endroit, avoir un sceau, noter des noms dans un registre, la désignation de prêtres pour rappeler au peuple son alliance et le renvoi de l’assemblée.

[43] Voir, d’une manière générale, G. Thomasson, « Mosiah : The Complex Symbolism and the Symbolic Complex of Kingship in the Book of Mormon », F.A.R.M.S. Preliminary Report TSN-82.

[44] Voir aussi le meurtre d’Ammaron à la fin d’une année, dans Alma 62:37-39.

[45] « Le jour des Expiations n’est pas plus tard que l’Exil », EJ 5:1387.

[46] EJ 5:1376.

[47] Le chiffre sept peut avoir son importance ici. Le peuple parle aussi une fois du « sang expiatoire » dans sa réponse à Benjamin (4:2).

[48] L’analyse de cette section a été lancée par John W. Welch.

[49] Il ne faut naturellement pas confondre le jeûne avec le fait d’humilier son âme dans le sens de souffrir, mais de développer la piété et la capacité de se solidariser avec les autres (Ésaïe 58:5, 10 ; Matthieu 6:16-18).

[50] D’autre part, il n’y a pas de preuve concrète de ce que « l’exigence imposée au peuple de jeûner et de s’abstenir de travail » le jour des Expiations ait été connue dans l’Israël préexilique. EJ 5:1387.

[51] « Transgressions », Lévitique 16:21, de pasha, « se rebeller ». EJ 5:1384.

[52] EJ 5:1385.

[53] TB, Yoma 3, 5.

[54] Voir, d’une manière générale, de Vaux, pp. 508-509.

[55] L’analogie avec le bouc émissaire n’est bien entendu pas complète. Selon les paroles de Benjamin, celui qui est chassé ne porte que ses propres péchés, pas ceux des autres.

[56] David G. Wright, dans un exposé fait à une réunion régionale du SBL à Provo en 1985, en cite des exemples dans les rituels hittites de pulisa, ashella, uhhamuwa et de la série des shurpu.

[57] Delbert Hillers, Covenant : The History of a Biblical Idea, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1969, pp. 40-41.

[58] Idem. Cf. Genèse 15:8-21.

[59] Benjamin a sans doute préféré l’âne au bouc pour plusieurs raisons : la disponibilité ; la valeur symbolique de son entêtement légendaire, les liens entre l’âne et les ancêtres des Néphites, Léhi (dont le nom signifie « mâchoire [d’âne] », cf. Juges 15:15-17) et Joseph (la traduction de Genèse 49:22 par Speiser voit en Joseph l’ânon d’un âne sauvage), et parce que l’âne avait cette particularité de pouvoir être « racheté » par le sacrifice d’un agneau (Exode 13:13, 34:20). Voir John W. Welch et Gordon C. Thomasson, « Ritual Use of the Ass in the Ancient near East and in the Book of Mormon », manuscrit non publié.

[60] Yoma 8:8-9; Maïmonide, Yad, Teshouvah 1:2-4).

[61] EJ 5:1378; Schauss, p. 132.

[62] EJ 5:1379.

[63] Les rois récitaient aussi des confessions négatives lors de la fête annuelle du renouveau de l’année : p. ex., dans les textes du rite du Nouvel An babylonien, cités dans J. Black, « The New Year Ceremonies in Ancient Babylon : Taking Bel by the Hand and a Cultic Picnic », Religion 11, 1981, p. 44: « Je n’ai pas péché, Seigneur des terres ; je n’ai pas été négligent vis-à-vis de ta divinité, etc. » Il y a ici une forte comparaison avec les confessions négatives de Benjamin dans 2:13. On trouve des confessions négatives dans le livre 125 du Livre des Morts égyptien ; voir, d’une manière générale, C. Maystre, Les déclarations d’innocence, 1937.

[64] EJ 5:1381.

[65] EJ 5:1386.

[66] EJ 5:1382, citant tout particulièrement Philon.

[67] EJ 5:1383.

[68] Schauss, p. 135. Le nombre dix est un nombre symbolique, représentant la complétude et la perfection.

[69] Cette révélation se situe au centre chiastique de la troisième section du discours de Benjamin.

[70] Les dix endroits sont 2:30, « le Seigneur Dieu me soutient », 2:41 « Le Seigneur Dieu l’a dit », 3:5 « le Seigneur Omnipotent qui règne, 3:13 « le Seigneur Dieu a envoyé ses saints prophètes », 3:14 « le Seigneur Dieu vit que son peuple était un peuple au cou roide », 3:17 « le Seigneur Omnipotent [seul moyen de salut] », 3:18 « le Seigneur Omnipotent [sang expiatoire du] », 3:21 « Seigneur Dieu Omnipotent [nom du] », 3:23 « le Seigneur Dieu m’a commandé », 5:15 ; le Seigneur Dieu Omnipotent, vous scelle comme siens ». Il est raisonnable de croire que c’est le tétragramme YHWH qui se trouvait derrière ces dix mentions intensifiées de la Divinité. De plus, ce n’est que dans le discours de Benjamin que « Seigneur Dieu Omnipotent » ou « Seigneur Omnipotent » apparaît dans le Livre de Mormon, ce qui montre que nous avons affaire ici à une utilisation liée au culte.

[71] Particulièrement là où l’ange utilise aussi le nom « Christ » sept fois exactement et où la racine « expier » apparaît sept fois dans ce discours en sept parties.

[72] Le saint nom est prononcé à la fin de trois des sections chiastiques du discours de Benjamin. Mosiah 2:30 est le point de rupture entre les sections I et II. Il est très plausible que le peuple se soit prosterné à ce moment précis en entendant Benjamin prononcer le saint nom de Dieu ainsi que pendant qu’il annonce que son fils Mosiah sera son nouveau roi (2:29-30). Mosiah 2:41 est le point de rupture entre les sections II et III. Il est tout à fait possible que le peuple se soit prosterné en entendant Benjamin prononcer le nom sacré en cette occasion, lorsqu’il impose le jugement de Dieu sur le peuple. Benjamin observe dans Mosiah 4:1 que le peuple « était tombé par terre. Étant donné que le nom sacré est mentionné sept fois à de courts intervalles dans Mosiah 3:1-27, on peut imaginer qu’il est resté prosterné pendant tout le temps que Benjamin parle de la chute d’Adam (3:11, 16, 19) et l’expiation du Christ (3:13, 17-21). Le saint nom est prononcé pour la dernière fois dans Mosiah 5:15, dernier verset du discours. Le peuple a très bien pu se prosterner tandis que Benjamin prononçait sa doxologie de Dieu et « scellait » le peuple à Dieu.

[73] Voir la note précédente.

[74] Bloch, p. 33, citant Yoma 19b ; Schauss, p. 133.

[75] EJ 5:1382, montrant de nouveau le lien étroit entre Rosh ha-shana, Yom kippour  et  Soukkot, qui, dans l’Israël d’avant l’exil n’étaient probablement pas des fêtes distinctes. Schauss, p. 119.

[76] Schauss, p. 171 ; de Vaux, p. 496.

[77] La découverte du lien entre la fête des Tabernacles et le discours de Benjamin a été faite par John Tvedtnes. Voir son article « A Nephite Feast of Tabernacles » dans « Tinkling Cymbals : Essays in Honor of Hugh Nibley on his 65th Birthday, 1975, également disponible chez F.A.R.M.S., Preliminary Reports TVE-78.

[78] À propos de cette récitation en chœur, voir H. Nibley, An Approach to the Book of Mormon, pp. 263, 265.

[79] Le mot hébreu Tora, qui signifie loi, signifie littéralement « enseignement ». Les idées d’ « enseignement » et de « loi » ont pu être étroitement liées dans l’esprit de Benjamin et de son peuple.

[80] Schauss, pp. 170-174.

[81] Le fait que le peuple entoure le temple (voir aussi 4:1) n’a peut-être pas d’importance. D’un autre côté, cela a pu avoir une signification cérémonielle, car les Juifs – comme beaucoup d’autres peuples – entourent ou encerclent les temples et les autels sacrés lors des événements rituels ou marchent tout autour. Voir par exemple Schauss, pp. 206-207.

[82] Voir, par ex., EJ 15:496-497.

[83] Schauss en conclut : « Nous ne pouvons absolument pas en conclure que nous avons affaire ici à quelque chose de tout à fait nouveau », p. 202. Cela veut dire qu’on se servait de tentes avant le temps de Néhémie et d’Esdras. De Vaux fait le même commentaire : « Cela a dû être un élément de la fête dans les temps anciens », p. 497.

[84] L’Exode d’Égypte est un « type » de la délivrance accordée par Dieu. 1 Néphi 17 et Alma 36:28-29 font explicitement la comparaison entre la délivrance de Léhi par rapport à la captivité babylonienne et celle des Israélites par rapport à l’Égypte. Il y a un traitement général du motif de l’Exode dans le Livre de Mormon dans G. Tate, « The Typology of the Exodus Pattern in the Book of Mormon », Literature of Belief, Provo, Religious Studies Center Monograph Series, 1978.

[85] Schauss, pp. 200-201 ; voir aussi Bloch, pp. 39-40, qui voit dans les huttes le symbole d’absence de partie et de la protection de Dieu.

[86] EJ 15:498.

[87] On a avancé l’idée qu’Israël célébrait à ce moment-là une reconstitution de l’intronisation de Yahvé comme roi de l’univers et maître des éléments, le peuple faisant alliance de lui obéir. Par ex., H. L. Jansen, « The Consecration in the Eighth Chapter of Testamentum Levi » dans The Sacral Kingship, Contributions to the Central Theme of the VIIIth International Congress for the History of Religions, Rome, avril 1955, Leiden, E. J. Brill, 1959, pp. 361-362. Mais cette théorie est critiquée. Voir EJ 15:498 ; de Vaux, pp. 504-506.

[88] Voir H. Nibley, An Approach to the Book of Mormon, pp. 261-263. Bien que Soukkot soit la principale fête royale de l’année, notez aussi l’alliance royale du troisième mois dans 2 Chroniques 15:10-15 (comparez le verset 13 avec Mosiah 6:2). Notez aussi les pâques célébrées par Ézéchias (2 Chroniques 30) et Josias (2 Rois 23:21-23 ; 2 Chroniques 35). La Mishna nous apprend que c’était le roi qui prenait la tête de la procession des prémices (Deutéronome 26), où l’on jouait de la flûte, comme à Soukkot (voir Bikkourim, 3:4).

[89] Ce verset interdit au roi d’Israël d’être un étranger. Les ancêtres d’Agrippa étaient Iduméens (Édomites), descendants d’Ésaü. Il était Israélite de religion, Romain par sa citoyenneté.

[90] Dans les versets suivants, qui ne se trouvent pas dans le texte rituel selon la Mishna, il est encore question de serments (6:13), d’obéissance (6:17), de la promesse de l’aide de Dieu contre les ennemis d’Israël (6:17-18), de l’Exode (6:20-22) et de la promesse de la vie par l’obéissance (6:24-25).

[91] Néhémie 8-10, en particulier 8:4. Le mot hébreu est migdal, sens premier : « tour ». Cf. la « tribune d’airain » de Salomon (2 Chroniques 6:13) et « l’estrade » (macaleh, « ascension ») dans Néhémie 9:4. Il y a beaucoup d’autres ressemblances significatives et subtiles entre la célébration de Benjamin et celle d’Esdras. Voir aussi John A. Tvedtnes, « A Nephite Feast of Tabernacles », FARMS Preliminary Report, TVE-78 (affiché sur Idumea sous « Une fête néphite des Tabernacles »).

[92] La Bible se préoccupait du problème des rois qui prétendaient être des dieux, un attribut typiquement revendiqué par les rois du Proche-Orient. En Israël, le roi devait être un mortel et un Israélite, tout en étant représentants de Dieu.

[93] De même, lorsqu’il se laisse convaincre par Israël d’oindre le premier roi, le Seigneur dit à Samuel que le roi profiterait de sa situation et ravirait au peuple ses enfants, ses richesses et ses biens (1 Samuel 8:4-22). C’est d’ailleurs ce qui va se passer à l’époque de Salomon et par la suite.

[94] Il invite le peuple à être témoin (2:19) comme Samuel et Josué dans une occasion de ce genre. Il a la conscience claire (2:15, 27).

[95] Voir H. Nibley, An Approach to the Book of Mormon, pp. 261-263.

[96] Le thème est souvent répété dans le Livre de Mormon; p. ex. 2 Néphi 1:20 ; 4:4.

[97] Bloch, p. 41.

[98] Il y a, dans le Livre de Mormon, plusieurs autres textes qui prennent grand soin de marquer le passage d’une année à la suivante. Alma 20:9 « grand jour ». Un des noms du jour des Expiations était « le grand jour ». Ce jour-là, « même quelqu’un qui était loin de chez lui… s’efforçait de retourner auprès de sa femme et de ses enfants pour passer la journée et le repas du soir avec eux. » EJ 5:1382.

[99] Voir, d’une manière générale, de Vaux, pp. 173-175.

[100] Voir, d’une manière générale, Raymond Westbrook, « Jubilee Laws », Israel Law Review 6, 1971, pp. 209-226.

[101] De Vaux, p. 175.

[102] Un débiteur délinquant était considéré comme un voleur en vertu de la Loi néphite (voir Alma 11:2) aussi bien qu’en vertu de la Loi juive ancienne (voir B. Jackson, Theft in Early Jewish Law, Oxford, 1975, p. 91), mais ne l’est pas selon la législation anglo-américaine. Voir, de manière générale, J. Welch, « Theft and Robbery in the Book of Mormon and Ancient Near Eastern Law », FARMS Preliminary Report, WEL-85a [affiché en traduction française sur Idumea].

[103] En vertu de la législation ancienne dans le Proche-Orient, un prêteur pouvait également commettre une infraction en n’acceptant pas le remboursement approprié d’une dette. Comme des querelles se produisaient à propos de l’adéquation d’équivalents en métal précieux ou en propriétés de substitution, les lois, particulièrement dans les cas d’emprunts non commerciaux, protégeaient le droit du prêteur de recevoir le remboursement de la dette en nature exacte. Des systèmes de poids et mesures et d’équivalents d’échange furent institués pour remédier, entre autres, à cette difficulté commerciale. La Loi juive manifeste aussi un profond souci à propos des échanges de propriétés ; étant donné qu’il n’y a pas deux terrains (surtout d’espèces différentes) que l’on puisse considérer comme ayant exactement la même valeur, une des parties concernées par l’échange devait forcément obtenir plus et l’autre moins qu’elle ne méritait.

[104] Bien que la date de rédaction finale de ces chapitres du Lévitique ait été située pendant l’exil, voir R. Westbrook, « Jubilee Laws », Israel Law Review 6, 1971, pp. 224-226, les pratiques du jubilé sont beaucoup plus anciennes, comme Westbrook le démontre.

[105] De Vaux, p. 175.