Toute activité humaine laisse des traces. C’est également vrai dans la création du Livre de Mormon où nous voyons Néphi, sur l’ordre du Christ faire un ajout au chapitre 14 du livre d’Hélaman, Mormon se tromper en recopiant un texte et corriger comme il le peut, Mormon découvrir les petites plaques de Néphi, être frappé par elles et décider de construire le reste de son abrégé de manière à montrer que les prophéties de 1 Néphi chapitre 12 se sont réalisées. Le présent article nous permet de nouveau de regarder par dessus l’épaule de Mormon et de le voir à l’ouvrage.

COMMENT MORMON A CONCU SON ABREGE ET LE MESSAGE QU'IL VEUT FAIRE PASSER

Exposé fait à la Conférence de FAIR d’août 2008
par Brant A. Gardner

Mormon reçut à l’âge de dix ans la tâche de conserver les plaques de Néphi. Il ne reçut les documents qu’à l’âge de 24 ans, mais il passa les 50 à 60 années suivantes de sa vie à écrire dessus et à y penser pour finir par écrire un livre qui condensait ce qu'il considérait être leur message essentiel. Nous ne pouvons pas savoir quand Mormon est passé de chroniqueur à auteur, mais nous pouvons reconstituer une chronologie plausible.

La 345ème année après la naissance du Sauveur, Mormon retira au moins certaines des plaques de Néphi de la colline Shim (Mormon 2:16-17). Il ne nous dit pas combien de plaques il enleva à ce moment-là, mais il est improbable que ç’ait été l'ensemble complet des «plaques de Néphi», bien qu'il nous dise explicitement que c'étaient les plaques mêmes sur lesquelles d'autres auteurs d’annales avaient écrit (voir Mormon 2:18). Il écrit à ce moment-là que «sur [ces] plaques de Néphi, je fis le récit complet de toute la méchanceté et de toutes les abominations.» Sur ces plaques, Mormon s’acquitte de ses fonctions de secrétaire national. Il n'a pas encore commencé ce que nous connaissons comme étant le Livre de Mormon.

Nous voyons ensuite la collection complète des plaques la 367ème année [1] quand Mormon a 46 ans. À ce moment-là il sort de nouveau les plaques de la colline Shim parce que le pays est envahi par les Lamanites (Mormon 4:23). Le scénario plausible est donc que Moroni ait écrit pendant vingt-deux ans comme chroniqueur ou responsable ordinaire des annales sur les grandes plaques de Néphi. Il ne pouvait pas rédiger son propre livre sans avoir accès aux documents complets de Shim, et apparemment il ne les a pas obtenus avant la 367ème année.

A mon sens, pendant les treize années suivantes, il a dû les lire et les assimiler, probablement en prenant des notes et certainement en élaborant une esquisse ou un brouillon. Il a alors commencé à écrire l’ouvrage qui constitue notre Livre de Mormon au moins dès 379 (Mormon 5:5, 9), quand il avait 58 ans et a dû continuer jusqu’au début de 385. Il meurt peu après le début de 385 apr. J.-C. et avant 391 apr. J.-C., date à laquelle c’est Moroni qui écrit.

Le schéma de Mormon

Plusieurs indices dans le texte de Mormon montrent qu'il avait au moins créé une esquisse complète de son travail avant de se mettre à écrire sur les plaques. Le signe sans doute le plus évident, ce sont les introductions de chapitres qui ont été écrites sur les plaques avant les chapitres qu'elles résument. La partie existante du manuscrit original conserve les introductions synthétisant Hélaman et 3 Néphi [2] confirmant que les introductions de l’édition de 1830 faisaient partie de la traduction et n'ont pas été ajoutées lors de la préparation du manuscrit de l'imprimeur quand Joseph ou Oliver auraient pu les créer suite à leur lecture de l'original. Étant donné qu’elles représentaient des informations venant des plaques, elles indiquent que Mormon les a écrites avant les chapitres et qu’il devait donc connaître le contenu du chapitre suivant avant de commencer à l’écrire [3].

La majorité des introductions sont au début des livres qui ont un nom. Dans les petites plaques, elles n’apparaissent qu’au commencement de 1 Néphi, 2 Néphi et Jacob. Dans la confection des grandes plaques faite par Mormon, elles apparaissent au début de chaque livre sauf de Mosiah. L’absence d’introduction dans ce cas précis est compréhensible parce que les 116 pages perdues devaient comprendre au moins le premier chapitre de Mosiah. Je crois pouvoir conclure sans crainte de me tromper que Mosiah devait avoir ce genre d’introduction, étant donné que c’est ce que Mormon a fait dans le reste des livres qu'il a édités.
En revanche, il n'y a pas d’introduction pour Mormon, Éther ou de Moroni, trois livres qu'il n'a pas retouchés. Le fait que Mormon a ajouté systématiquement ces introductions aux livres qu'il a retouchés donne à penser (et c’est ce que confirment d'autres sortes d’indications internes) qu'il avait un schéma clair de ce qu'il allait mettre dans chaque livre qu’il retouchait. Quand Mormon passe à ses propres annales, cela ne fait plus partie du texte prévu et n’a donc pas de synthèse dans une introduction.

S’il y a des signes qu’il y a eu un schéma, il y a aussi des indications de ce que Mormon ne s’est pas contenté de copier sur les plaques un texte précédemment écrit. S’il a certainement copié les divers sermons dans leur source, quand il s’agit de son propre texte, il se laisse aller à une interaction avec les données qu'il écrit. Nous le voyons souvent s’écarter de son schéma pour se livrer à une digression sur les réflexions que lui inspire le texte qu'il écrit. On repère les apartés et le schéma dont ils s’écartent à la façon dont il retourne à sa tâche. Pour en revenir à son schéma, Mormon répète au moins l'idée et souvent une grande partie des termes de la dernière partie du schéma d’avant la digression.

J'avais remarqué ce processus dans le texte bien avant d’avoir un nom à mettre dessus, nom que j’ai maintenant grâce à David Bokovoy. Bokovoy rattache cette technique à celle connue de l'Ancien Testament : «La reprise réitérée désigne le retour du chroniqueur à un récit original après une digression délibérée. Les auteurs de l'Ancien Testament le faisaient en répétant un mot ou une expression clef qui précédait immédiatement l'interruption dans le texte [4].

On trouve un exemple par Mormon au chapitre 17 d'Alma. Au verset 13, Mormon nous dit que quand les fils de Mosiah arrivèrent «dans les régions frontières du pays des Lamanites, ils se séparèrent et se quittèrent.» À ce moment-là, Mormon se lance dans une diatribe contre les Lamanites et explique pourquoi il fallait vraiment que les fils de Mosiah leur prêchent. Au verset 17, quand Mormon revient à son schéma, il dit : «C'est pourquoi ils se séparèrent et s'en allèrent parmi eux …»
Nous trouvons aussi dans Alma une répétition qui est beaucoup plus groupée :

«Et il arriva que la malédiction ne fut pas enlevée à Korihor; mais il fut chassé et alla de maison en maison, mendiant sa nourriture.

«Alors la connaissance de ce qui était arrivé à Korihor fut immédiatement publiée partout dans le pays; oui, la proclamation fut envoyée par le grand juge à tout le peuple du pays, annonçant à ceux qui avaient cru aux paroles de Korihor qu'ils devaient se repentir rapidement, de peur que les mêmes jugements ne s'abattent sur eux. Et il arriva qu'ils furent tous convaincus de la méchanceté de Korihor; c'est pourquoi ils furent tous de nouveau convertis au Seigneur; et cela mit fin à l'iniquité à la manière de Korihor.

«Et Korihor alla de maison en maison, mendiant de la nourriture pour vivre» (Alma 30:56-58).

J’ai intentionnellement recoupé les versets pour que le procédé apparaisse plus clairement. Mormon suit son schéma, qui exige que nous comprenions que Korihor mendie pour sa nourriture. C'est l'idée textuelle qui va faire passer le récit de l'histoire de Korihor à celle des Zoramites. Mormon décide alors de mentionner le repentir qui suit la malédiction, qui est apparemment un aparté écrit pendant la transcription/rédaction sur les plaques. Pour en revenir au récit qu’il a prévu, Mormon répète l’information que Korihor mendie pour sa nourriture, bien que l'expression originelle ne se trouve pas bien loin dans le texte.

Alors que les rédacteurs de l'Ancien Testament utilisaient cette méthode pour retourner à un récit original après une interruption délibérée, Mormon a recours à cette technique pour en revenir à son schéma après une interruption spontanée.

Les sources de Mormon et la construction de son texte

Les noms des livres

À quel point les sources de Mormon sont-elles conservées dans son schéma et son texte ? Bien que nous nous basions sur des indications indirectes, nous pouvons donner quelques idées, qui valent ce qu’elles valent, de ce qui vient des plaques-sources et de ce qui est du cru de Mormon. Celui-ci nous dit que sa source principale, ce sont les «plaques de Néphi». L’élément le plus évident du Livre de Mormon est la division des textes en livres portant le nom d'un homme. Ce sont ces noms de livres eux-mêmes qui nous disent qu'ils étaient les noms originels des plaques et n'étaient pas le résultat des retouches de Mormon.

Il ne semble pas très difficile ou inintéressant de voir pourquoi les noms des livres changent dans le Livre de Mormon. Néphi écrit le livre de Néphi. Jacob écrit Jacob. Énos écrit Énos. Les noms des livres changent-ils quand il y a un nouveau prophète ? Oui et non. Oui quand nous parlons de la plupart des livres qui faisaient partie des petites plaques de Néphi. Non pour le Livre de Mormon conçu et retouché par Mormon.

Notre Livre de Mormon est merveilleux mais ce n'est pas le livre que Mormon voulait que nous ayons. Le texte que nous avons de Néphi à Paroles de Mormon a été ajouté pour remplacer ce que nous avons perdu de l’œuvre de Mormon. Joseph Smith a dit que les 116 pages perdues comportaient le livre de Léhi [5]. L’œuvre de Mormon, tel qu’elle était conçue au départ, devait être :

•     Léhi
•    Mosiah
•    Alma
•    Hélaman
•    Néphi (notre 3 Néphi) [6]
•    Néphi (notre 4 Néphi)
•    Mormon [7]

Comme pour les petites plaques olographes, le livre composé par Mormon a encore clairement des noms de gens associés aux livres, mais le nom d’auteur ne correspond plus au nom du livre. Beaucoup de livres contiennent les annales de plusieurs personnes importantes :

•     Léhi : Contient les annales de Léhi, de Néphi et de souverains inconnus jusqu'au règne de Mosiah. Ceci couvre une période de presque 400 ans.
•    Mosiah : Contient les annales de Mosiah Ier, de Benjamin, de Mosiah II et d’Alma l'Ancien
•    Alma : Alma le Jeune et Hélaman l’Ancien
•    Hélaman : Hélaman le Jeune et Néphi, fils de Hélaman le Jeune

Il est clair que les noms des livres ne changent pas en fonction de l'auteur ou du prophète associé au livre. Selon quel principe changent-ils ?

On trouve un renseignement important dans la transition entre le livre d'Alma et le livre d’Hélaman. Le livre d'Alma contient les écrits d'Alma le Jeune (mais pas de son père) et de Hélaman. Le livre d’Hélaman commence par Hélaman, fils d’Hélaman. Dans Alma 63:11, nous apprenons que les plaques ont été données à Hélaman le Jeune. Dans Hélaman 2:2, nous apprenons qu’Hélaman le Jeune est nommé pour siéger comme grand juge. Son père n'était pas grand juge en fonction, bien que son grand-père (Alma le Jeune) l’ait été. Alma le Jeune avait laissé le siège du jugement pour consacrer ses efforts à prêcher l'Évangile. Il avait les annales et les prenait avec lui. Quand son fils, Hélaman l’Ancien, reçut les plaques, elles étaient en dehors de la lignée politique. Quand le nouveau livre commence avec Hélaman le Jeune, c'est un nouveau livre dans les mains d'une nouvelle lignée de juges en fonction. Ceci donne lieu à l'hypothèse que le changement des noms des livres était lié au passage dans une lignée régnante. La théorie tient-elle la route ?

Le premier livre des grandes plaques était le livre de Léhi. Néphi dit que ces plaques contenaient «le récit du règne des rois» (1 Néphi 9:4). Après Néphi, il y aura d’autres rois ayant reçu le nom de trône de «Néphi» (Jacob 1:11). Nous devons donc supposer que les grandes plaques contenaient les annales de ces «Néphis». Quoique nous n'ayons pas les 116 pages perdues, nous savons que le livre de Léhi allait jusqu'au livre suivant portant un nom, qui est Mosiah. Que se passe-t-il entre le livre de Léhi et Mosiah ? Omni 1:12-14 nous dit que Mosiah se sauve de la ville de Néphi avec les plaques et devient roi de Zarahemla. C’est un nouveau roi dans un nouvel endroit. Il est le fondateur d'une nouvelle dynastie et commence donc un nouveau livre à son nom.
La transition du livre de Mosiah au livre d'Alma est encore un changement de lignée politique. Les fils de Mosiah (fils de Benjamin) ont refusé la royauté et la monarchie est remplacée par un système de juges. Le livre d'Alma commence non pas par le premier Alma, mais par le premier de la nouvelle lignée de souverains, Alma le Jeune devenant le premier grand juge. La lignée politique ne dure pas longtemps puisque Alma le Jeune abandonne le siège de grand juge et se consacre à la prédication (Alma 5:15-17). Il a pris les annales avec lui. Son fils, Hélaman l’Ancien, continue à écrire dans le livre de son père.

Nous avons déjà fait remarquer que la transition du livre d'Alma à Hélaman est un changement de lignée politique puisque les annales sont retombées aux mains du juge en fonction.

Dans le livre d’Hélaman, les brigands de Gadianton saisissent le gouvernement et Néphi, fils de Hélaman le Jeune, le grand juge néphite en fonction, prend la fuite en emportant les annales. Comme dans le cas d’Alma le Jeune et de Hélaman l’Ancien, les annales sont sorties de la lignée politique. Quand nous en arrivons à 4 Néphi, les annales et la souveraineté ont été réunies en la personne de Néphi, fils de Néphi. C'est un changement à la fois d'endroit et de dynastie après l'usurpation des Gadianton et représente donc un nouveau livre.

Reste le passage d’Hélaman à 3 Néphi. Les annales sont déjà hors des mains de la lignée régnante et sont tenues par Néphi, fils d’Hélaman. Il n'y a aucune indication que la position de Néphi dans le gouvernement change au début de ces annales. Ce changement de livre est une exception à la règle du changement de dynastie. Cependant, ce livre ne vient pas des grandes plaques de Néphi, mais tire son nom d'un document différent. Mormon nous dit qu'il tire ce récit d'un document séparé et personnel de Néphi, fils d’Hélaman (3 Néphi 5:8-10). Par conséquent, il n'est pas appelé selon les règles régissant les noms sur les plaques de Néphi.

Les noms des livres changent parce qu'ils changent dans la source de Mormon. Quand cette source est les grandes plaques de Néphi, qui était le document plus politique, ils changent lorsqu’un nouveau souverain en fonction les a en sa possession.

La division en chapitres

Royal Skousen, professeur de linguistique et de langue anglaise à l'université Brigham Young, a étudié le manuscrit dicté original du Livre de Mormon et nous dit : «Il semble évident que tandis qu’il traduisait, Joseph Smith voyait une certaine marque (ou peut-être un espacement supplémentaire) toutes les fois qu'une section prenait fin, mais était incapable de voir le texte qui suivait. Quand il en arrivait là, Joseph décidait de qualifier ces ruptures de fin de chapitre et disait au secrétaire d’écrire «chapitre» à ces endroits, mais sans attribuer de numéro au chapitre puisqu’il ne voyait ni numéro ni le mot ‘chapitre’ [8].» Par conséquent, dans l'édition de 1830 du Livre de Mormon, les chapitres représentaient la décision de Mormon de faire une coupure dans le texte. Nous pouvons examiner ces divisions pour essayer de comprendre quels étaient les événements textuels qui déclenchaient une coupure conceptuelle dans l'esprit de Mormon. Il ne faut bien entendu pas oublier que dans notre recherche des coupures textuelles de Mormon, nous devons retourner aux chapitres de l'original de 1830 qui représentent celles qui existent sur les plaques. La division en chapitres des éditions du Livre de Mormon de 1879 à 1981 suivent les nouveaux chapitres créés par Orson Pratt et ne représentent pas la construction originale de Mormon [9]. Bien que j’aie déjà traité ailleurs de toutes les raisons de changer de chapitre [10], je voudrais en mettre une en évidence qui nous donne plus qu’une simple raison d’effectuer ce changement.
Mormon fait un nouveau chapitre quand il commence à insérer un sermon qu’il a trouvé sur les plaques qui lui servent de source ou quand il a fini d’insérer un sermon [11]. Souvent, le texte qui finit le chapitre est ponctué par un «Amen». Ce processus crée des situations où la logique des divisions en chapitres de 1830 diffère de ce à quoi le lecteur moderne s’attend. Pour marquer une rupture au moment du passage d’un discours inséré au récit, Mormon considère qu'il doit mettre un texte narratif de conclusion au début du chapitre suivant ou (dans le cas d'un texte qui commence un chapitre) un texte narratif d’introduction à la fin du chapitre précédent. Par exemple, Alma 7 finit sur un sermon. Quand Alma 8 commence, nous trouvons un texte qu'un lecteur moderne considérerait comme la conclusion du chapitre précédent.

Pour le lecteur moderne, il n'y a rien dans un sermon qui impose particulièrement un changement de chapitre. En fait, quand il reçut les chapitres en 1879, Orson Pratt recoupa souvent en fonction de notre façon de faire moderne, de sorte que ces récits ajoutés après coup furent à nouveau affectés à ce que le lecteur moderne considérerait comme une fin ou un commencement.
Quand Mormon interrompt les chapitres aux limites des sermons plutôt qu’à celles des événements, cela nous dit deux choses. D'abord, qu’il considère le sermon comme plus important que le récit. En second lieu, il nous dit qu'il cite (sans doute fidèlement) ses sources plutôt que de créer les sermons. Un romancier moderne inventerait à la fois les récits et les sermons qu’ils contiennent. Pareil auteur ne ferait qu’une distinction minime entre événement et sermon. Les deux font partie de «l’histoire» et les deux font partie du même processus créateur.

Le processus de Mormon est différent. Il crée les récits d’enchaînement en se basant sur ses textes-sources ; mais les sermons sont des citations directes. D’une manière très réelle, ce que Mormon fait, c’est passer d’une source à l’autre, ce qu'il marque aussi en changeant de chapitre. Les citations insérées ont tendance à ouvrir et à clore des chapitres parce qu'il doit consulter les plaques pour trouver ces textes ; il peut écrire le récit de mémoire, peut-être en vérifiant un événement ou deux. Les sermons, eux, viennent directement des plaques. L'histoire découle de la compréhension et de l'interprétation que Mormon a des plaques.
Indicateurs du flux du texte

Quand Joseph Smith a dicté le Livre de Mormon il a fourni les mots et les indications pour les coupures entre les chapitres et les livres. Il n'a fourni aucune information pour les coupures entre les paragraphes et les phrases. Tous ces aspects importants d'un texte moderne ont été ajoutés par John H. Gilbert, le compositeur [12]. Il est clair que quand Gilbert a lu le texte, il s’est basé sur deux marqueurs verbaux pour commencer de nouveaux paragraphes.

Il ne faut pas longtemps, quand on jette un coup d'œil sur un fac-similé de l'édition de 1830 du Livre de Mormon, pour voir que «et il arriva que» est visuellement encore plus répandu que dans notre version moderne [13]. Nous voyons «et il arriva que» (ou une variante) au début de 37 sur les 49 paragraphes au chapitre 1 de 1 Néphi (comportant les chapitres 1-5 en notre édition actuelle) de l'édition de 1830. Cependant, la raison pour laquelle cette expression apparaît si souvent au début des paragraphes est la raison même de son existence. Intuitivement, Gilbert a reconnu dans «et il arriva que» et dans sa compagne «et alors», deux marqueurs verbaux régissant le flux du texte. Dans un original ne disposant pas des conventions modernes de ponctuation, ces fonctions étaient remplies par d'autres parties du texte. Dans ce cas-ci, deux expressions verbales.

«Et alors» remplit les fonctions de lien dans des listes d'événements ou est simplement un outil pour faire passer le récit d’un sujet à l’autre. L'autre expression «et il arriva que» est liée au mouvement dans le temps plutôt qu’aux idées. Alors que «et alors» marque le mouvement des idées, «et il arriva que» décrit des suites d’événements. La distinction entre le mouvement des idées et le mouvement dans le temps est la raison pour laquelle «et il arriva que», une expression qui est utilisée si souvent dans le Livre de Mormon, n’apparaît que treize fois dans 2 Néphi. Ces treize occurrences sont concentrées aux chapitres 4 et 5.

Contrairement à son utilisation relativement clairsemée dans 2 Néphi, 1 Néphi utilise l'expression 109 fois [14]. Cette différence résulte de la différence de nature de 1 Néphi par rapport à 2 Néphi, 1 Néphi ayant une vocation plus historique. Les deux chapitres de 2 Néphi ayant une concentration élevée de «et il arriva que» sont précisément ceux qui contiennent les données historiques. Néphi utilise également l'expression combinée «et alors il arriva que» (1 Né. 16:1 ; 17:19, 48 ; 22:1 ; 2 Né. 1:1) pour marquer la combinaison d'un changement de sujet important et d’une différence de temps.

Bien que l’on puise concevoir que Joseph Smith ait inventé ces deux marqueurs structuraux pour remplacer l’absence de ponctuation, ce serait assez extraordinaire dans un monde qui était tout à fait habitué à la ponctuation des textes. Ou peut-être que Joseph Smith aurait introduit ces expressions au petit bonheur sur la base de sa connaissance de la Bible. Je suis naturellement certain que les formes proprement dites viennent de la Bible, mais ce que je trouve le plus intéressant, c’est que ce n'est pas simplement une affaire d'utilisation de mots mais plutôt d’utilisation correcte des expressions pour leur fonction de gestion du flux du texte. Ce même Joseph Smith qui confondait régulièrement la grammaire de la langue biblique jacobéenne [langue de la King James Version, ndlr] qu'il imitait, fait un usage impeccable de ces deux marqueurs.

Ce système de marqueurs verbaux faisant fonction de ponctuation a un précédent historique dans le Nouveau Monde. La traduction récente de l'écriture glyphique maya confirme l’existence d'une paire très semblable de marqueurs verbaux. Les textes mayas utilisent ces deux verbes pour donner un sens sur leurs monuments écrits. Comme décrit dans le dictionnaire des glyphes créé par Michael D. Coe et Mark Van Stone, nous avons des parallèles directs avec le «et alors» (ou «et ainsi») et «et il arriva que» du Livre de Mormon [15].»

Les textes mayas utilisent aussi ces verbes pour indiquer le flux de l'action. Le glyphe signifiant «il arrive» correspond dans sa fonction à «et alors» ou «et ainsi» dans le texte du Livre de Mormon, «il arriva» étant l'équivalent fonctionnel de «et il arriva que». Je ne veux naturellement pas insinuer que le maya a influencé la rédaction du Livre de Mormon ou que le Livre de Mormon a influencé le maya. Cela fournit cependant une base comparative solide indiquant que dans un texte sans ponctuation, le flux du texte peut être dirigé par des marqueurs verbaux. Le Livre de Mormon utilise une fonction qui est connue dans l'antiquité et la région appropriées.

L’interaction de Mormon avec son texte

Indépendamment de l'information structurelle qui nous parle de la façon dont il a créé son chef d'œuvre, quels éléments avons-nous qui nous disent le genre d'historien qu’il était ? À quel point Mormon était-il fidèle à ses sources ? Si on fait abstraction de la question de son inspiration évidente, à quel point était-il soigneux quand il rapportait des faits d'histoire ?

La façon dont Mormon insère les discours montre qu’il avait un grand respect pour eux. Les changements de sujet qui suivent les sermons insérés suggèrent fortement qu'ils sont copiés à partir des plaques et nous devons supposer qu'il avait l'intention de les reproduire fidèlement. Quand Mormon ne cite pas, mais crée son propre récit de liaison, à quel point est-il fidèle à ses sources à ce moment-là ? À quel point ressemble-t-il à un historien moderne ?

La réponse est que, dans son rapport avec ses sources, il n’a pas grand chose en commun avec l’historien moderne, mais beaucoup plus avec les historiens de l'Antiquité. Mormon voulait enseigner, pas reconstituer. Il raconte une histoire morale dans laquelle la morale est plus importante que les faits. Il manipule souvent ses faits pour les faire entrer dans l'histoire morale qu'il raconte et à certains moments (lui ou peut-être l'auteur des plaques originelles) invente tout simplement de l’ «histoire» quand le récit l’exige et ni lui, ni l'auteur des plaques originelles, ne pouvaient pas ne pas le savoir.

Quand il raconte l'histoire du peuple de Zénif, Mormon commence en citant la totalité des annales du roi Zénif. Puis, quand il commence l'histoire de Noé, il passe de la citation à la narration. Je présume que c'était un changement nécessaire parce que le texte original concernant le règne de Noé n’aurait pas pu être aussi péjoratif que le tableau dressé par Mormon.

Dès le départ, Noé est un sale type. La description que Mormon fait de lui est si efficace que le lecteur moderne le déteste immédiatement. Si l’aversion de Mormon est certainement fondée, elle vient de sa lecture des sources et ne représente pas l'attitude des sources elles-mêmes. Les annales royales du souverain en poste n’auraient pas pu être aussi négatives. Si nous lisons entre les lignes de la description de Mormon, il est facile de voir que Noé présidait au cours d’une période de croissance et d'expansion économiques. Son peuple se considérait probablement comme aisé sous Noé. Il ne se plaignait probablement pas, en tous cas pas beaucoup. C’est Mormon qui voit les choses avec du recul et décrit son Noé comme pourri dès le commencement de l'histoire, même si ses sources n’auraient pas pu le dire directement. Dans ce cas-ci, Mormon interprète l'histoire plutôt que de rester fidèle à ses sources.

Il est également probable que Mormon a manipulé ses textes dans le livre d'Alma où nous avons l'histoire de Néhor. Comme pour Noé, Mormon veille à ce que nous n'aimions pas Néhor. Naturellement, il y a encore une fois une raison à cela. Cependant, comme dans le cas de Noé, il y avait des gens qui étaient de chauds partisans de Néhor. Mormon reste absolument silencieux sur cette facette de l’histoire..

Mais il y a plus encore que le jour sous lequel Mormon nous fait apparaître Néhor : c’est le fait que Mormon donne le nom de Néhor à tout un mouvement religieux. De toute évidence, les facettes de la religion que Néhor prêchait étaient précisément celles qui existaient à la cour de Noé longtemps avant que Néhor n’apparaisse sur la scène. Néhor n'était pas le premier praticien ni même le plus infâme. L'histoire qui suit immédiatement dans le texte met en évidence le fossé créé par le néhorite Amlici, clairement une fracture sociale beaucoup plus grave.

À mon avis, Mormon donne intentionnellement à cette religion le nom d’un meurtrier parce qu'il veut clairement lui coller une connotation peu reluisante. Je parierais bien que les plaques-sources lui donnaient un autre nom et que l'identification «ordre des Néhor» est l’étiquette donnée par Mormon longtemps après les faits.

Il arrive que Mormon doive faire de l’ «histoire» avec quelque chose que personne n’aurait pu connaître. Par exemple, il raconte comment le peuple de Limhi échappe aux Lamanites et déplace personnes et animaux dans le désert. Ils sont poursuivis, mais néanmoins Mosiah 22:16 nous dit avec assurance : «et lorsqu'ils l'eurent poursuivi pendant deux jours, ils ne purent plus trouver ses traces; ils se perdirent donc dans le désert.» Quand on essaie de s’imaginer ce qui aurait pu être connu de cette situation, il est probable que le peuple de Limhi a dû se rende compte qu'il était suivi pendant deux jours et qu'ensuite il ne l’a plus été. Cependant, quand Mormon nous dit que c’est parce que les Lamanites ne pouvaient plus trouver ses traces, il nous dit quelque chose que ses sources ne pouvaient pas savoir. Les Limhites n'auraient pas pu savoir si leurs traces étaient visibles et certainement pas ce qui se passait dans l'esprit des Lamanites quand ils ont mis fin à la poursuite. Il est également probable que les Lamanites se sont rendu compte que le jeu n’en valait tout simplement pas la chandelle, étant donné qu’ils étaient en possession d'une ville en parfait état de fonctionnement dans laquelle ils pouvaient facilement installer leur propre peuple et commencer à être productifs.

De même, au début du livre d'Alma, les Néphites repoussent une invasion de Lamanites qui soutenaient la rébellion interne d'Amlici. Mormon décrit le résultat de la bataille :

«Et ils s'enfuirent devant les Néphites vers le désert qui était à l'ouest et au nord, loin au-delà des frontières du pays; et les Néphites les poursuivirent de toutes leurs forces, et les tuèrent. «Oui, ils furent assaillis de toutes parts, et tués et chassés, jusqu'à ce qu'ils fussent dispersés à l'ouest, et au nord, jusqu'à ce qu'ils eussent atteint le désert qu'on appelait Hermounts; et c'était cette partie du désert qui était infestée de bêtes sauvages et féroces. Et il arriva que beaucoup moururent de leurs blessures dans le désert et furent dévorés par ces bêtes et aussi par les vautours de l'air; et leurs os ont été trouvés, et ont été entassés sur la terre» (Alma 2:36-38).

Nous pouvons confortablement accepter l'information historique que les Néphites ont été victorieux et ont chassé les Lamanites de leurs terres. Cependant, c’est la description finale qui est ce qui nous intéresse. Mormon nous dit que les Lamanites se sont perdus dans le désert et qu’ils ont été attaqués par des bêtes sauvages. Il en veut pour preuve que «leurs os ont été trouvés». Le fait que l’on ait trouvé des os et pas des corps est également historiquement probable. Mais l’idée que les os étaient justement ceux de ces Lamanites est très vraisemblablement une invention après coup, une histoire arrangée pour correspondre aux faits existants.

Y a-t-il quelque chose dans tout ceci qui veut dire que Mormon était moins qu'un prophète ? Absolument pas. Ce que cela veut dire, c’est que la compréhension qu’il avait de sa tâche était propre à son époque. Il écrivait avec la sensibilité historique du monde antique, qui voyait nécessairement tous les événements tels qu’ils cadraient avec leur compréhension religieuse et la soutenaient.

Le message que Mormon veut faire passer

L’idée que Mormon ait intégré les événements dans une histoire morale est la clef la plus importante pour comprendre pourquoi il pensait que le texte qu'il a écrit convaincrait «Juif et Gentil que Jésus est le [Messie], le Dieu éternel». (Oui, je sais que j'ai remplacé Christ par Messie, mais c’est important pour l'argument de Mormon). S’il est vrai que Mormon a copié de grands sermons expliquant la doctrine du Messie, ce ne sont pas les points de doctrine qui étaient la raison pour laquelle il pensait que son livre serait convaincant. Mormon n'écrivait pas pour nous convaincre que la doctrine du Messie est vraie, mais plutôt que Jésus est le Messie.

Le meilleur endroit pour voir comment Mormon se sert de tout son texte pour nous convaincre que Jésus est le Messie se trouve dans 4 Néphi. Le livre de 4 Néphi est devenu l’un de mes préférés parce qu'il est absolument unique dans l’œuvre de Mormon. Je l'appelle le «livre de Seinfeld» parce que c'est un livre sur rien. Tous les autres livres que nous avons reçus de la main de Mormon sont remplis d'événements importants et de longs discours qui éclaircissent des principes importants d'Évangile. Il n’y a rien de tout cela dans 4 Néphi. Alors que le procédé rédactionnel typique de Mormon est d’enchaîner de grandes citations provenant de ses documents-sources avec un minimum de texte de liaison, 4 Néphi ne contient aucune citation identifiable tirée de ses plaques-sources. 4 Néphi est le livre que Mormon a intentionnellement écrit sur rien. Dans cette absence même de contenu, il révèle comment il s’attend à ce que la structure tout entière de son œuvre nous convainque que Jésus est le Messie.

Comment Mormon utilise ses sources dans 4 Néphi

Mormon commence 4 Néphi par une description historique qui donne très peu de renseignements.

«Et il arriva que la trente-sixième année, le peuple fut entièrement converti au Seigneur, sur toute la surface du pays, tant les Néphites que les Lamanites, et il n'y avait pas de querelles ni de controverses parmi eux, et tous les hommes pratiquaient la justice les uns envers les autres.» (4 Né. 1:2)

Ce verset dit quelque chose de très important, mais remarquez comment. Deux ans seulement après la visite du Messie au peuple assemblé à Abondance, «le peuple fut entièrement converti au Seigneur.» Cette conversion est si complète qu'elle comprend les Néphites et les Lamanites. Elle est si efficace qu'il n'y a aucun ennemi à combattre et que même à l'intérieur de cette nouvelle société néphite il n’y a «pas de querelles ni de controverses … tous les hommes pratiquaient la justice les uns envers les autres.»
On aurait aimé savoir comment ils s’y sont pris. On aurait aimé savoir quels genres de sermons ont été donnés à un peuple aussi juste. Mormon ne nous dit rien. Il nous donne les toutes grandes lignes qui sont aussi satisfaisantes historiquement parlant que «ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants».

Est-ce vrai que tout le monde a été converti ? Nous devons croire Mormon sur parole, mais nous devons également nous rendre compte que quand il parle de «tout le pays», cela a dû être une géographie très limitée. Cette description d’une unité et d’une entente absolues dans «tout le pays» se réalise en deux ans seulement. En commençant par la population survivante d'une seule ville, ce nouvel ordre sociopolitique a dû se répandre d’une personne à l’autre à partir de cet emplacement central vers d'autres endroits. Quelle distance cette nouvelle vision des choses a-t-elle pu parcourir en deux ans ? Nous n’allons pas essayer de répondre, mais il suffit de savoir qu'en deux ans ce ne pouvait être qu’un secteur limité. Mormon ne nous donne aucune indication permettant de déterminer à quel point il était limité. En fait, cela lui est égal. Dans 4 Néphi c’est la généralisation qui est importante, pas le fait historique.

Cela se voit quand Mormon passe à ce qui semble être une description plus historique du nouvel ordre au verset qui suit immédiatement :

«Et ils avaient tout en commun; c'est pourquoi il n'y avait ni riches ni pauvres, ni esclaves ni hommes libres, mais ils étaient tous affranchis et participants du don céleste» (4 Né. 1:3).

Mormon reprend un renseignement qui se trouve à la fin de 3 Néphi, où il avait noté : «Et ils s'instruisaient et se servaient les uns les autres, et ils avaient tout en commun, tous agissant avec justice l'un envers l'autre» (3 Né. 26:19). La similitude des termes fait penser à une répétition intentionnelle. Elle nous donne l’assurance que les valeurs culturelles continuent mais ne fournit aucun renseignement nouveau. C'est bien entendu de l'information, mais la répétition structurelle nous prévient que c'est une information creuse. Elle rattache le nouvel ordre à sa cause, l'apparition du Messie, mais ne dit rien de neuf.

Examinons maintenant un autre endroit où Mormon semble nous donner des détails qui ne sont en réalité que d’autres renseignements creux :

«Et ils se mariaient, et mariaient leurs enfants, et étaient bénis, selon la multitude des promesses que le Seigneur leur avait faites» (4 Né. 1:11).

Les Néphites se mariaient et mariaient leurs enfants depuis le commencement de leur société. Le mariage n’avait rien d’extraordinaire. En fait, Mormon fait cette déclaration ici précisément parce que c'est quelque chose de normal, la poursuite de la vie normale pendant ces années soi-disant millénaristes.

Le verset suivant continue cet étalage de renseignements creux :

«Et ils ne marchaient plus selon les observances et les ordonnances de la loi de Moïse; mais ils marchaient selon les commandements qu'ils avaient reçus de leur Seigneur et de leur Dieu, persévérant dans le jeûne et la prière, et se réunissant souvent, à la fois pour prier et pour entendre la parole du Seigneur» (4 Né. 1:12).

Comme le passage au sujet du mariage, ces versets sont presque de la non-information. Mormon a déjà noté l'explication de Jésus qu'il avait accompli la loi de Moïse (3 Né. 9:17, 15:4-6) et que les observances religieuses des Néphites viennent maintenant de son Évangile (3 Né. 15:9-10). Ce passage est donc non seulement répétitif mais insignifiant. Il ne nous dit rien de neuf. L’événement n'est pas propre à l’époque considérée, ce qui renforce l'hypothèse que, dans 4 Néphi, Mormon ne fait que du sur place ; les quelques événements qu'il mentionne n’ont rien d’original. Le message est dans la structure, pas dans les épisodes.
Comment Mormon utilise le temps dans 4 Néphi

Mormon va jusqu’à structurer le temps dans 4 Néphi de manière à ce qu’il communique son message plutôt que de relater une histoire. Dans les deux versets qui suivent, il est manifestement question de temps et manifestement de rien d’autre :
«Et ainsi passa la trente-huitième année, et aussi la trente-neuvième, et la quarante et unième, et la quarante-deuxième, oui, jusqu'à ce que quarante-neuf ans fussent passés, et aussi la cinquante et unième et la cinquante-deuxième; oui, et même jusqu'à ce que cinquante-neuf ans fussent passés» (4 Né. 1:6).

«Et il arriva que la soixante et onzième année passa, et aussi la soixante-douzième année, oui, en bref, jusqu'à ce que la soixante-dix-neuvième année fût passée; oui, cent ans étaient passés, et les disciples que Jésus avait choisis étaient tous allés au paradis de Dieu, sauf les trois qui devaient demeurer; et il y eut d'autres disciples ordonnés à leur place; et aussi, beaucoup de cette génération avaient quitté cette vie» (4 Né. 1:14).

Dans chaque verset Mormon répète une série d'années où rien ne se produit. Même avec le renseignement qu’il accole à la fin du verset 14, tout ce que nous apprenons, c’est que tous ceux qui avaient été témoins de l’apparition du Messie sont morts à part les trois disciples. Comme les précédentes déclarations, il s’agit ici de renseignements creux. Néanmoins, ce qui est intéressant, ce ne sont pas les renseignements creux, mais les années creuses. Mormon a déjà précédemment énuméré des années creuses, mais jamais autant d’affilée. Ce qui est le plus fascinant, c’est que ces groupes d'années creuses répètent exactement la même suite de non-information.

•     41, 42, 49
•    51, 52, 59
•    71, 72, 79

Ce procédé de répétition se produit trois fois dans 4 Néphi et nulle part ailleurs dans le Livre de Mormon. La triple répétition confirme qu'elle n'est pas une affaire de hasard et qu’elle n’est pas liée au texte-source de Mormon. Mormon est en train de nous dire quelque chose. En fait, il ne nous dit rien. Intentionnellement et manifestement.

Mon hypothèse est qu'il cite les années où il n'y a aucun événement pour signaler que ces années creuses sont des repères dans une structure. Il est passé du «temps réel» au «temps symbolique» ou de l'historique au narratif. La répétition d’intervalles de sept ans (42-49, 52-59, 72-79) donne à penser qu'il utilise délibérément cet espacement de manière symbolique, probablement pour marquer une «semaine d’années».

Outre qu’il fait ouvertement du sur place, Mormon divise la totalité de son «histoire» de 4 Néphi en quatre blocs d'approximativement cent ans. Bien que les événements imposent ce rythme, il intègre cette histoire dans sa structure à lui. Quatre cents ans est un nombre très important dans le calendrier méso-américain. De même que nous groupons les années en décennies et en siècles, les Méso-Américains groupaient leurs années dans de plus grandes entités. L’une des plus importantes était le groupe de quatre cents ans, appelé baktun. Étant donné que la Méso-Amérique basait ses mathématiques et son calendrier sur vingt comme unité de base (plutôt que notre système décimal), la division saillante du baktun que Mormon devait utiliser était le chiffre culturellement important de quatre et non le nombre cent, que l’homme moderne préférerait. Il ne devait pas disposer d’une unité collective d’années égale à cent mais devait parler du quart d'un baktun.

Mormon résume les cent premières années aux versets 1-13 et le groupe suivant aux versets 14-21. Le verset 22 commence exactement avec la deux centième année. Dans ces deux cents premières années, Mormon ne traite pas de faits historiques précis, de sorte que les deux correspondent. Rien de mémorable ne se produit dans les deux cents premières années. Chacune des sections de cent ans est traitée en bloc et les «événements» sont valables pour n’importe quelle période. En fait, les «événements» de la deuxième centaine d’années répètent presque les «événements» des cent premières années idylliques. Il est important pour Mormon que les effets de la visite du Messie durent pendant deux cents années complètes. Aucune dégénérescence ne se produit avant la 201ème année (v. 22).

C'est l'anomalie même de ce livre qui ne traite de rien qui nous dit que Mormon avait un but important à l’esprit en l’écrivant. Ou plutôt, ce livre n’a guère de raison d’être si ce n’est de faire ressortir le but global de Mormon, qui est de «convaincre Juif et Gentil que Jésus est le [Messie], le Dieu éternel» (Page de titre).

Quand nous regardons comment il traite le temps dans l’ensemble de son texte, nous trouvons ce qui suit :

•     Le livre de Léhi couvre environ quatre cents ans d'histoire néphite.
•    Le livre de Mosiah couvre environ cent ans, ce qui représente un ralentissement radical du temps narratif.
•    Le livre d'Alma couvre encore moins de temps – environ trente-cinq ans – tandis que Hélaman couvre approximativement quarante-huit ans.
•    Le livre suivant, 3 Néphi, décrit la venue du Messie et couvre environ trente-cinq ans et 57% de ses cinquante-six pages racontent dans le détail deux jours de la visite du Christ.
•    Ensuite le livre de 4 Néphi balaie quatre cents ans en quarante-neuf versets.

Mormon utilise structurellement le temps pour mettre en évidence la partie importante de son texte. Après la visitation du Messie, Mormon accélère considérablement le rythme de la narration en utilisant beaucoup plus intensivement le résumé, le survol et la généralisation. La prochaine fois qu'il va fournir des détails correspondant à ceux de ses autres livres, c’est dans son livre éponyme. La totalité de 4 Néphi n’est rien d’autre qu’un repère entre l'apparition du Messie et la propre histoire de Mormon.
À mon avis, le contraste entre 4 Néphi et le texte tout entier de Mormon précédant 4 Néphi est la preuve la plus forte de l'intention rédactionnelle de Mormon : déclarer le cours de l'histoire qui a conduit au point culminant qu’est l’apparition du Messie. Mormon était l’apôtre du Messie – son témoin. Comme témoin apostolique, il ne se borne pas à décrire l'histoire de son peuple menant à l'apparition du Messie, mais le cours des événements qui, comme le montre l'histoire, précède son apparition. La conception que Mormon avait de l'histoire était cyclique. Son conscient historique supposait que ce qui avait précédé prédisait ce qui allait venir.
Mormon a écrit les événements qui ont conduit à la visitation du Messie et a évidemment noté cet événement, le plus important de tous. Après la première visite du Messie, la préparation de sa seconde venue commence. Mormon n’a cependant pas besoin de tout expliquer en détail. Il rapporte simplement que le cours de l’histoire se répète. Avant l’arrivée du Messie à Abondance, les fidèles se débattaient entre la justice et une apostasie quasi universelle. Mormon voit son propre peuple lutter avec la justice et abandonner la foi pour le monde. Avant l’arrivée du Messie à Abondance, les Gadianton avaient détruit le gouvernement des Néphites et ceux-ci (en tant que peuple) n'étaient plus. Mormon voyait les Lamanites soutenus par les Gadianton détruire le gouvernement et le peuple néphites. Avant l’arrivée du Messie à Abondance, il y eut des guerres terribles avec les Néphites. Mormon vit de son vivant la fin de la plus terrible de toutes les guerres, une guerre qui détruisit presque tous ceux qu'il aimait.
Le livre de Mormon prend fin sur un pessimisme évident. Il y a apostasie. Il y a des combinaisons de Gadianton. Il y a la guerre et son peuple est détruit. Néanmoins, ce n'est pas là le message de Mormon. Son message est le cycle de l'histoire. Il nous a raconté cette histoire pour nous préparer pour le nouveau cycle. Le cours de l’histoire montre qu’il y a de grandes ténèbres avant la lumière glorieuse. Mormon met en évidence le cours des événements et met en évidence l'occurrence d'une partie du cours des événements. Il le fait pour que nous aussi, nous sachions que le cycle finira lors de l'apparition du Messie. Aussi certainement que l'histoire a prouvé qu'il est venu, Mormon s’attend à ce que son interprétation du cycle de l'histoire prouve qu'il viendra à coup sûr. Tel est son message optimiste. C'est comme cela qu’il espère nous convaincre que Jésus, le Messie qui est venu, est le Dieu éternel, le Messie qui viendra.
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Notes

[1] Les années sont basées sur mes calculs de la correspondance des années néphites avec le calendrier moderne. Voir Brant A. Gardner, Second Witness Analytical and Contextual Commentary on the Book of Mormon, 6 vols., Salt Lake City, Greg Kofford Books, 2007) 1:188-189.
[2] Royal Skousen, directeur de publication, The Original Manuscript of the Book of Mormon, Provo, Utah, Foundation for Ancient Research and Mormon Studies, 2001), vol. 1, pp. 487, 512, basé sur mon examen du texte.
[3] La meilleure confirmation de ce que les introductions précédaient vraiment le chapitre vient des écrits de Néphi, pas de ceux de Mormon. L’introduction de Néphi à notre 2 Néphi ne couvre le texte que jusqu'à notre chapitre 5. Le reste du texte contenu dans 2 Néphi n'est pas représenté dans l’introduction et mon analyse est que c’est après ce chapitre que Néphi, abandonnant le schéma qu’il a utilisé pour créer son texte, commence à rédiger les plaques selon que les idées lui viennent à l’esprit.
[4] David E. Bokovoy, "Repetitive Resumption in the Book of Mormon", Insights: A Window on the Ancient World 27, no. 1 (2007): 2.
[5] Book of Mormon (réimpression 1830, Independence, Missouri, Herald Heritage Reprint, 1970), p. 1.
[6] Mormon n'aurait certainement pas appelé ceci «3 Néphi» pour la simple raison que nos livres de 1 et 2 Néphi n’étaient pas inclus. Ce que nous avons sous le nom de troisième livre de Néphi aurait été le premier à apparaître dans le texte de Mormon. On peut constater dans l'édition de 1830 qu'aucun des Néphi ne portait un numéro. Dans l’œuvre de Mormon, ils sont identifiés par la généalogie : «Livre de Néphi, fils de Néphi, qui était fils d’Hélaman» et «Livre de Néphi, qui est fils de Néphi, un des disciples de Jésus-Christ.»
[7] Le livre de Moroni est clairement un ajout aux annales de Mormon. Moroni finit l’ouvrage de son père en complétant le livre de Mormon. Son livre pseudonyme est son propre ajout, pas quelque chose que son père a conçu.
[8] Royal Skousen, "Critical Methodology and the Text of the Book of Mormon", Review of Books on the Book of Mormon 6, no. 1 (1994): 137.
[9] Pratt s’est servi de critères très différents pour définir ses chapitres. Dans les cas où le texte suivait des Écritures de la King James Version de la Bible, Pratt a essayé de définir ses chapitres et ses versets en suivant l’Écriture telle qu’elle apparaissait dans la King James. Alors qu’il laisse habituellement les fins de chapitre là où Mormon les avait créées, il y a des cas où il ajoute du texte appartenant au chapitre suivant et fait la coupure après. C’est pour cette raison que l'analyse que je fais ici est basée seulement sur les coupures de chapitre qui se trouvent dans l'édition de 1830.
[10] Gardner, Second Witness, 3:95-98.
[11] Dans l'ensemble suivant de données, l'indication de la coupure de chapitre est donnée en citant les deux chapitres entre lesquels la coupure s'est produite. Dans chaque exemple, il y aura deux jeux de numéros. Les deux premiers numéros sont ceux de l'édition de 1830, et les numéros entre parenthèses sont les coupures de chapitre modernes qui correspondent aux divisions originales (d’après l'excellent tableau qui se trouve dans Mackay, «Mormon as Editor» 104–109). Mosiah 1/2 (3/4) ; Mosiah 2/3 (4/5) ; Mosiah 3/4 (5/6) ; Mosiah 6/7 (10/11) ; Mosiah 8/9 (16/17) ; Alma 2/3 (4/5) ; Alma 3/4 (5/6) ; Alma 4/5 (6/7) ; Alma 5/6 (7/8) ; Alma 6/7 (8/9) ; Alma 8/9 (11/12) ; Alma 14/15 (26/27) ; Alma 15/16 (29/30) ; Alma 19/20 (42/43) ; Alma 26/27 (58/59) ; Hélaman 2/3 (6/7) ; 3 Néphi 2/3 (5/6) ; 3 Néphi 4/5 (10/11) [fin du commentaire de Mormon et reprise du récit] ; 3 Néphi 11/12 (26 :5/26 :6) ; 3 Néphi 12/13 (27 :22/27 :23) ; Mormon 3/4 (7/8) [transition du témoignage de Mormon, qui se termine par amen au retour au récit] ; Éther 1/2 (4/5) ; Éther 2/3 (5/6) ; Éther 3/4 (8/9) [le commentaire de Moroni termine 3, le récit reprend dans 4] ; Moroni 1/2 (1/2) ; Moroni 6/7 (6/7) ; Moroni 9/10 (9/10).
[12] Royal Skousen, "Book of Mormon Editions 1830-1981", Encyclopedia of Mormonism, publié par Daniel H. Ludlow, New York, Macmillan Publishing Company, 1992), 1:175
[13] Avec le temps, certains des «et il arriva que» ont été enlevés de notre texte moderne.
[14] J'ai choisi ces occurrences en utilisant la fonction de recherche de GospeLink 2001, CD-ROM, Salt Lake City, Deseret Book, 2000.
[15] Michael D. Coe et Marc Van Stone, Reading the Maya Glyphs, Londres, Thames & Hudson, 2001, p. 33.