VARIANTES DANS LES EXEMPLAIRES DE LA PREMIERE EDITION DU LIVRE DE
MORMON
par Janet Jenson [1]
BYU Studies, vol. 3, 1972-1973, n° 2, Hiver 1973, pp. 214-222
On a beaucoup écrit sur les changements existant entre l’édition de 1830
du Livre de Mormon (la première) et les éditions modernes. Mais l’on sait
moins de choses sur les variantes qui existent entre différents
exemplaires de l’édition de 1830 elle-même. Nous connaissons maintenant 41
changements de ce genre et il y en a certainement d’autres qui n’ont pas
encore été découverts.
Les trois-quarts des 41 changements ont été repérés lorsque Alfred Bush,
de la bibliothèque de l’université de Princeton, utilisant un
collationneur Hinman, a comparé les exemplaires de l’édition de 1830 qui
se trouvent à la Scheide Library avec un exemplaire de l’université
Brigham Young et avec un exemplaire du département d’histoire de l’Église.
En utilisant cette liste de changements comme base et en ajoutant d’autres
changements découverts par d’autres personnes, 70 exemplaires de l’édition
de 1830 du Livre de Mormon ont été comparés depuis lors. J’ai examiné
personnellement un certain nombre d’exemplaires en Utah et beaucoup de
bibliothèques dans le pays ont pris le temps de comparer leurs propres
exemplaires avec la liste.
On a trouvé des combinaisons différentes de corrections dans 60 des 70
exemplaires, ce qui fait 60 exemplaires uniques. La découverte de
variantes supplémentaires pourrait bien rendre uniques même ceux qui sont
actuellement considérés comme identiques. Soixante-dix n’est pas tout à
fait 1,5 % du nombre total des 5000 exemplaires qui ont été imprimés, mais
rien qu’avec les 41 changements découverts jusqu’à présent, il est
mathématiquement possible que chacun des 5000 exemplaires soit unique.
Le tableau 1 donne la page et la ligne de chaque changement, et comprend
la version avec l’erreur et la version corrigée ; il est cependant
difficile de dire dans certains cas ce qui est erreur et ce qui est
correction. Une liste préliminaire partait de l’idée que la correction
serait la forme apparaissant dans l’édition de 1837. Par exemple, on a
supposé que le mot Judges était l’erreur et judges la
correction, parce que c’est judges que l’on trouve dans l’édition
de 1837.
Les travaux menés ultérieurement sur l’arrangement des changements dans
les cahiers et l’apparition plus fréquente du mot Judges a permis
de conclure que l’erreur, c’était judges, et que la correction
était Judges et qu’on était revenu à judges dans l’édition
de 1837 [2].
Le tableau 2 contient la liste des erreurs qui n’ont pas encore été
découvertes corrigées ; cependant, la vérification d’autres exemplaires
pourrait révéler que ces erreurs apparaissent également comme corrigées
dans certains d’entre eux.
Il est également probable qu’il y ait d’autres erreurs qui ont été
corrigées dans tous les exemplaires dont on a vérifié jusqu’à présent
s’ils contenaient des erreurs et n’ont par conséquent pas encore été
repérées comme variantes.
Fréquence des erreurs
Le nombre d’erreurs par exemplaire va de trois exemplaires n’ayant chacun
que 2 erreurs à 2 exemplaires ayant chacun 14 erreurs. La moitié des 70
exemplaires étudiés ont de 5 à 8 erreurs.
.
Certaines erreurs apparaissent plus souvent que d’autres. Elles n’ont
apparemment été corrigées que plus tard dans la mise sous presse. Par
exemple, Grert, Judeah et mekness n’apparaissent que dans 4
exemplaires chacun, tandis que 122 apparaît dans 61 exemplaires. La
majorité des erreurs apparaît dans 9 à 16 exemplaires. Le tableau 3 montre
la fréquence des différents types d’erreur.
Il est difficile de dire dans tous les cas si une erreur est une erreur
d’orthographe ou une erreur typographique, de sorte que les chiffres pour
ce genre d’erreur pourraient devoir être révisés.
Informations historiques sur le processus de l’impression du Livre de
Mormon de 1830
Ceux qui ont travaillé à l’impression du Livre de Mormon de 1830 nous ont
laissé très peu de renseignements sur la façon dont les erreurs se sont
produites et ont été corrigées. Hyrum Smith, Oliver Cowdery et Martin
Harris ont tous été mentionnés dans diverses sources comme ayant été chez
l’imprimeur et comme ayant porté le manuscrit chaque jour à l’imprimeur et
l’ayant repris chez eux chaque soir. On n’a trouvé aucune description de
leur main parlant des détails de l’impression de l’ouvrage.
Stephen S. Harding, plus tard gouverneur d’Utah, habitait Palmyra dans son
enfance. Il affirme avoir passé une journée dans l’atelier d’imprimerie
Grandin lors d’une visite ultérieure à Palmyra. Il avait dans les 80 ans
lorsqu’il décrivit, dans un ouvrage à caractère antimormon, le processus
d’impression :
"L’impression a été faite sur une presse à levier de l’époque ; quand on
avait terminé un nombre suffisant de pages pour l’édition complète de 5000
exemplaires, les caractères devaient être distribués. C’était un travail
lent par comparaison avec ce qui se fait dans un atelier d’aujourd’hui [9]."
La meilleure source de renseignements sur ce qui se passait dans l’atelier
d’imprimerie est probablement John H. Gilbert, qui a travaillé pour E. B.
Grandin et a composé 500 des 570 pages du livre [10]. Gilbert a été cité par
plusieurs personnes. F. M. Lyman lui rendit visite le 23 octobre 1897 et,
à cette occasion, Gilbert écrivit la déclaration suivante dans le journal
de Lyman :
"... C’est essentiellement moi qui me suis occupé de la composition de
ladite bible [mormone], et j’ai commencé le travail en août 1829 et l’ai
terminé en mars 1830 [11]."
La réimpression du Livre de Mormon de 1830 par Wilford Wood s’accompagne
d’une longue déclaration faite par John H. Gilbert, le 8 septembre 1892, à
Palmyra, mais ne donne un pas la source de cette déclaration. Elle nous
apprend, toutefois, que c’est Gilbert et J. H. Bortles qui ont fait le
travail d’impression d’août à décembre, et que chaque forme prenait
environ trois jours. Gilbert déclare :
"La Bible a été imprimée sur une presse ‘Smith’, à traction unique et l’on
utilisait des ‘boules’ à l’ancienne ou ‘têtes de nègre’, les rouleaux de
composition n’étant pas encore utilisés dans les petits ateliers
d’imprimerie [12]."
Gilbert nous dit aussi qu’une feuille de papier imprimait 16 pages, 8 de
chaque côté, que l’on pliait ensuite pour former un cahier. Il y a 37 de
ces cahiers de 16 pages dans le livre [13]. En décembre, Thomas McAuley,
journalier imprimeur, fut engagé et que ce furent lui et Bortles qui
firent le reste du travail d’impression.
Comment les variantes se sont-elles produites?
On ne faisait la composition que pour une forme (un côté de la feuille,
soit 8 pages) à la fois. On faisait alors un tirage de la forme. Lorsque
l’on repérait les erreurs en cours d’impression, le caractère erroné était
remplacé, mais les feuilles imprimées avec l’erreur n’étaient pas jetées.
Quand les 5000 exemplaires de cette première forme étaient imprimés et
secs, on tirait l’autre forme avec ses 8 pages au verso de la feuille. Le
même processus de correction pouvait également se produire sur ces pages.
C’est ainsi que diverses combinaisons d’erreurs et de corrections
pouvaient apparaître des deux côtés de cette feuille unique, qui était
alors pliée en un cahier de 16 pages. À mesure que les différents cahiers
étaient rassemblés pour constituer un exemplaire du livre, chaque cahier
ayant sa propre combinaison d’erreurs et de corrections, les possibilités
de variantes se multipliaient.
Les corrections du tableau 1 apparaissent dans 17 des 37 cahiers. On n’a
pas encore trouvé de corrections dans d’autres cahiers. Le maximum de
changements que l’on ait trouvés dans un cahier est de 8, dans le 22e.
Plusieurs cahiers n’ont qu’un changement chacun.
Les variantes étaient courantes dans les impressions d’autrefois
Les variantes que nous constatons entre différents exemplaires du Livre de
Mormon de 1830 sont assez courantes dans les documents imprimés par les
presses d’autrefois. Elles se produisent soit accidentellement à cause du
déplacement des caractères ou intentionnellement par la correction des
caractères une fois que le processus d’impression a déjà commencé. La
correction intentionnelle peut s’avérer nécessaire à cause des erreurs
dues à une mauvaise lecture du manuscrit, parce que les caractères ont été
mis dans le mauvais ordre, pour cause de problèmes de mémoire, parce que
des caractères ont été pris dans le mauvais casier ou que le casier
contenait des caractères qui ne devaient pas s’y trouver [14].
Les déplacements accidentels de caractères en cours d’impression étaient
particulièrement probables lorsqu’ils étaient tamponnés avec des boules à
encre, ce qui était la technique utilisée par les imprimeurs pour
l’impression le Livre de Mormon de 1830, parce que les boules à encre
avaient tendance à emporter avec elles les caractères non fixés. C’est ce
qui a pu se passer dans le cas de l’erreur dans le numéro de page de la
page 487, si le 7 a été enlevé sans qu’on le remarque. C’est également ce
qui a pu se produire page 74, ligne 21, avec le the, où le t a pu être
perdu pour ne laisser que he. Si un caractère tombait, il pouvait ne pas
être remplacé, ou bien être remplacé par un caractère incorrect. Dans les
erreurs d’une seule lettre, il est difficile de dire si le mot était
orthographié correctement à l’origine et si c’est la chute d’un caractère
qui a fait que les versions ultérieures ont été orthographiées
incorrectement ou si le caractère avait été mis de manière incorrecte à
l’origine et corrigé plus tard pour que l’orthographe soit juste.
Le bibliographe Ronald B. McKerrow a souligné la fréquence et le caractère
imprévisible des variantes entre exemplaires dans les travaux d’impression
d’autrefois.
"... Nous pouvons dire que dans n’importe quel livre d’autrefois, la
probabilité de la découverte de telles variantes est très élevée... Il ne
faut pas s’imaginer que le relieur, lorsqu’il rassemblait les feuilles
pour la reliure, se donnait la peine de vérifier si elles représentaient
la correction finale ou non ; il les prenait telles qu’elles se
présentaient. Il n’est par conséquent pas scientifique du tout de parler
d’un exemplaires plus ou moins corrigé d’un livre… [15]"
Y a-t-il un premier exemplaire imprimé de la première édition du Livre de
Mormon?
Cela nous amène à la question de savoir si les pages non coupés que
Wilford Wood a utilisées pour sa réimpression sont réellement "les
premières feuilles imprimées non coupées de la première édition du Livre
de Mormon" [16], c’est-à-dire les premiers exemplaires à sortir de presse. Un
article du Deseret News dans le numéro du 4 février 1895, décrit la
"première bible mormone jamais imprimée" sous la forme de pages non
coupées entre les mains de Pliny T. Sexton [17]. Si l’hypothèse de McKerrow
s’applique au Livre de Mormon de 1830, il semble peu probable qu’il y ait
un premier exemplaire imprimé du livre. Si les pages non coupées de Wood
sont le premier exemplaire imprimé, elles devraient contenir toutes les
erreurs et aucune des corrections, sauf dans le cas des caractères tombés
où l’inverse serait vrai. Or ces pages non coupées ne contiennent que 10
des 41 erreurs. Il se peut bien que ce soit le premier exemplaire assemblé,
mais il semble peu probable qu’il y ait eu un premier exemplaire imprimé
dans ce sens précis.
L’hypothèse de McKerrow semble certainement s’appliquer en ce qui concerne
le Livre de Mormon de 1830. Les corrections n’ont pas une récurrence
particulière, sauf que certaines corrections sur la même forme du même
cahier apparaissent habituellement ensemble [18]. Mais il y a des cas où même
ceci n’est pas vrai.
Les pages 231 et 234 sont sur la même forme. Les erreurs qui se trouvent
sur ces pages, judges et wokrs, apparaissent ensemble dans 5 des
exemplaires. Mais il y en a un où wokrs apparaît, mais où judges a été
corrigé pour devenir Judges. C’est la même chose qui se produit pour
bretren à la page 233 et God, à la page 236. Aux pages 275 et 286, il y a
trois erreurs dans la même forme : this et khown apparaissent dans 16
exemplaires et ifthou apparaît dans 17 exemplaires. Bien que ifthou et
khown soient sur la même page, il y a deux exemplaires où ifthou
n’apparaît pas avec l’autre, et un exemplaire où this n’apparaît pas avec
les autres.
Il serait intéressant de comparer la liste des erreurs des tableaux 1 et 2
avec le manuscrit de l’imprimeur, maintenant entre les mains de l’Église
réorganisée ; nous lui avons posé la question, mais nous n’avons pas reçu
de réponse. Un numéro du Saints Herald de 1884 contient le rapport d’un
comité du Livre de Mormon comparant l’édition de 1830 au manuscrit de
l’imprimeur, qui était à l’époque entre les mains de David Whitmer. Il y a
une liste de quelque 350 différences, mais sur les 77 corrections et
possibilités de correction de la présente étude, il n’y en a qu’une qui
est reprise dans le rapport de ce comité. Il s’agit du mot nobler, qui apparaît à la place de
robber à la page 414, ligne 1 [19]. Il semble
inconcevable que toutes les erreurs qui se trouvent dans la présente étude
aient également été des erreurs dans le manuscrit. La seule chose que l’on
puisse en conclure, c’est que l’étude de 1884 n’a pas repéré toutes les
différences entre le manuscrit et l’édition de 1830 ou que dans
l’exemplaire de l’édition de 1830 qu’il a utilisé, presque toutes les
erreurs avaient été corrigées.
La présente étude n’est, de toute évidence, qu’un coup d’œil préliminaire
sur le sujet. Si le collationneur Hinman pouvait être utilisé pour
comparer tous les exemplaires de l’édition de 1830 avec tous les autres
exemplaires, on pourrait découvrir beaucoup d’autres variantes et on
pourrait tirer d’autres conclusions. Il y a certainement beaucoup d’autres
exemplaires existants du Livre de Mormon de 1830 que l’on pourrait
également vérifier. Avec la liste ci-incluse comme point de départ, nous
pourrions peut-être commencer à en apprendre et à en comprendre davantage
sur le comment, le pourquoi et les auteurs des variantes d’impression
entre les exemplaires de l’édition de 1830 du Livre de Mormon.
NOTES
[1] Janet Jenson, jusque récemment membre du
département d’histoire de l’Église, fait actuellement partie du Peace
Corps dans les Antilles. Elle est diplômée de l’université Brigham Young
et de l’université de Columbia (1966). Elle a déjà publié dans l’Instructor.
[2] Cette décision est essentiellement basée sur l’hypothèse que les
erreurs sur une même forme apparaîtront comme correction dans les mêmes
exemplaires. En d’autres termes, judges apparaissait avec d’autres erreurs
dans les formes où il se trouvait, et Judges apparaissait avec d’autres
corrections dans les formes où il se trouvait.
[3] James Wardle, de Salt Lake City, a attiré l’attention de l’auteur sur
ces erreurs au moment où cette étude était presque terminée. C’est
pourquoi elles n’ont pas été vérifiées dans la plupart des 70 exemplaires.
[4] Idem
[5] Idem
[6] Idem
[7] Lors de l’examen des diverses études existantes concernant les
changements entre l’édition de 1830 et les éditions ultérieures, des
changements ont été découverts qui étaient de nature similaire à ce que
l’on sait avoir été corrigé dans l’édition de 1830. Cette liste pourrait
certainement être allongée par une recherche plus soigneuse des fautes
d’impression.
[8] Une bibliothèque signale avoir trouvé cet état de correction dans son
exemplaire. Si c’est exact et si ce n’est pas une erreur de lecture, cette
variante appartient au tableau.
[9] Thomas Gregg, The Prophet of Palmyra, New York, John B. Alden, 1890,
p. 47.
[10] Andrew Jenson et Edward Stevenson, interview de John H. Gilbert dans
Infancy of the Church, Salt Lake City, 1889, p. 37.
[11] "An Affidavit", Deseret News Church Section, 4 février 1933 , p. 1.
[12] Wilford Wood, Joseph Smith Begins His Work, Salt Lake City, Deseret
News Press, 1958, mémorandum fait par John H. Gilbert... dans le texte
d’introduction non paginé. Cette presse a été achetée par l’Église en 1906
avec une attestation de Gilbert disant que c’était la presse qu’il avait
utilisée. (Elder’s Journal, 3, 1er juillet 1906, p. 391.) Elle est
maintenant exposée au musée du bureau d’information de Temple Square à
Salt Lake City.
[13] Idem
[14] Ronald B. McKerrow, An Introduction to Bibliography, Oxford,
Clarendon Press, 1928, chapitre 6.
[15] Idem, p 209.
[16] Wood, Joseph Smith Begins, les attestations sont dans le texte
introductif non paginé.
[17] "Major John H. Gilbert", Deseret Evening News, 4 février 1895 , p. 8.
[18] L’exemplaire non coupé de Wilford Wood de l’édition de 1830 nous
permet de déterminer l’ordre des pages sur chaque forme du cahier. Il a
inclus une photo d’une feuille non coupée dans sa réimpression du Livre de
Mormon de 1830 intitulée Joseph Smith Begins His Work. On peut trouver un
microfilm de l’exemplaire complet au département d’histoire de l’Église
(n° de catalogue : film M222.1 A1#1). L’ordre des pages pour chaque forme
est donné ci-dessous :
8 9 12 5
4 13 16 1
2 15 14 3
6 11 10 7
[19] "Book of Mormon Committee Report", Saints Herald, 23 août 1884 , pp.
545-548.
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