Un de nos lecteurs a eu la gentillesse de nous envoyer une étude qu’il a faite et qui donne à l’épisode où le Sauveur lit les Écritures à la synagogue (dans Luc 4:14-30) un contexte plein de signification. Nous avons trouvé qu’il valait la peine de vous en faire profiter.  

Références deutéronomiques dans Luc 4

par Michaël Ulrich

Affiché avec la permission de l’auteur

 

Luc 4:14-30 fait état d’un sabbat où Jésus fut appelé à lire la Thora à la synagogue. Le texte de Luc nous rapporte qu’il lut les premiers versets d’Ésaie 61. Or les lectures à la synagogue ne se font pas n’importe comment : il existe un passage déterminé qui doit être lu un sabbat déterminé. En discutant avec un ami juif, j’ai pu connaître le sabbat où ce passage d’Ésaïe est lu. Cela va nous permettre de connaître les autres passages lus ce jour-là. Cela nous amènera alors à quelques réflexions très intéressantes.

 

Le sabbat de Nitzaviym 

La citation que fait Luc de la lecture du Seigneur comporte le premier verset ainsi qu’une partie du second verset d’Ésaïe 61. Cette lecture correspond à la Haphtarah, c’est-à-dire à la dernière lecture faite au cours de l’office du sabbat qui s’appelle Nitzaviym. Nous allons étudier en détail le déroulement possible des lectures lors de ce sabbat.

Au cours d’un office, sept personnes sont appelées pour lire la parashah de la semaine, c’est-à-dire un extrait du Pentateuque. Le premier passage est lu par un prêtre, d’où le nom de parashath haKohen. Le second lecteur est un lévite, c’est la parashath haLeviy. Enfin, les cinq autres lecteurs sont des israélites : parashath Yisrael. La parashah lue en ce sabbat de Nitzaviym était Deutéronome 29:9 – 30:20.

Après la lecture de la parashah, la haphtarah (mot venant de la racine hébraïque signifiant « clore » ) est lue par le maphtiyr, une personne appelée dans l’assemblée. Ce jour-ci, il devait s’agir de Jésus. L’officiant dirigeant l’office l’appelle donc à la fin de la lecture de la parashah :

Rabbiy Yeshu’a ben Yossef (rabbi Jésus fils de Joseph)

Jésus dit alors la formule rituelle (les paroles de Jésus seront en gras, celles de l’assemblée en caractères normaux) :

HaShem ‘immakhem (Que l’Eternel soit avec vous)

Yevarekha HaShem (Que te bénisse l’Eternel)

Les formules rituelles continuent (traduction littérale) :

Bénissez Y.H.W.H. le Bénissable

Béni soit Y.H.W.H. le Bénissable à pérennité et toujours !

Béni soit Y.H.W.H. le Bénissable à pérennité et toujours !

Béni sois-tu Y.H.W.H.

Béni soit-il et béni soit son Nom !

Notre Dieu, Roi du monde,

Qui nous a choisis parmi tous les peuples,

Et nous a donné sa Thora.

Béni sois-Tu Y.H.W.H.

Béni soit-il et béni soit son Nom !

Qui donne la Thora !

Amen !

Puis Jésus lit les trois derniers versets de la parashah qui vient d’être lue. Ces trois derniers versets sont :

 

« 18  je vous déclare aujourd’hui que vous périrez, que vous ne prolongerez point vos jours dans le pays dont vous allez entrer en possession, après avoir passé le Jourdain. 19  J’en prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre: j’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité, 20  pour aimer l’Eternel, ton Dieu, pour obéir à sa voix, et pour t’attacher à lui: car de cela dépendent ta vie et la prolongation de tes jours, et c’est ainsi que tu pourras demeurer dans le pays que l’Eternel a juré de donner à tes pères, Abraham, Isaac et Jacob. »

Ici est le premier point intéressant. Ce passage du Deutéronome provient des paroles de Moïse, alors que les enfants d’Israël s’apprêtent à entrer en Terre Promise, dans ce pays ruisselant de lait et de miel. Moïse leur rappelle l’alliance contractée entre Israël et Dieu. Ils peuvent choisir entre la vie et la mort, selon leur obéissance à cette alliance.

À présent que le Christ est venu, accomplissant les prophéties des prophètes, le choix est en effet de nouveau mis devant Israël : accepter Jésus comme le Messie tant attendu, et choisir la bénédiction et la vie, ou le rejeter et choisir la malédiction et la mort… Cette réitération de la promesse vient à point nommé…

D’ailleurs, si on examine toute la parashah de ce sabbat, on constate que ce thème de l’alliance est un thème récurrent.

À la fin de cette lecture, les formules rituelles continuent :

‘Emeth (Vérité !)

‘Emeth Thorathenou haQdoshah ! (Vérité est notre Thora sainte!) 

Béni sois-Tu Y.H.W.H.,

Béni soit-Il et béni soit son Nom !

Notre Dieu, Roi du Monde,

Qui nous a donné une Thora de Vérité,

Et la vie pérenne a planté en notre sein.

Béni sois-Tu Y.H.W.H.,

Béni soit-Il et béni soit son Nom !

Qui donne la Thora !

Amen !

L’officiant dirigeant le culte prie alors pour le lecteur, pour ses parents, frères et sœurs et tous ses proches, puis on soulève le rouleau de la Thora. Les formules rituelles continuent :

Béni sois-Tu Y.H.W.H.

Béni soit-Il et béni soit son Nom !

Notre Dieu Roi du Monde,

Qui a choisi en des prophètes bons,

Et s’est complu en leurs paroles, dites en vérité !

Béni sois-tu Y.H.W.H.,

Béni soit-Il et béni soit son Nom !

Qui choisit en la Thora, et en Moïse son serviteur,

Et en Israël son peuple, et dans les prophètes de vérité et justice !

Amen !

Enfin, le maphtiyr lit la haphtarah, qui était donc ce jour-là Ésaïe 61:10-63:3. Un autre point important apparaît ici. Ésaïe 61:1-9 n’est jamais lu à la synagogue ! Les Juifs le considèrent en effet comme le passage réservé au Messie, que celui-ci lira lors de sa venue… On peut fort bien imaginer la réaction de surprise de l’assemblée lorsque Jésus lut ce passage, telle que nous la dépeint Luc.

Bien que cet évangile ne cite que les deux premiers versets d’Ésaïe 61, Jésus a dû lire toute la haphtarah, selon toute vraisemblance, c’est-à-dire non seulement les 9 versets réservés qui ne sont pas cités en entier dans Luc mais peut-être aussi la suite de la haphtarah, c’est-à-dire jusqu’à Ésaïe 63:3.

Ces versets de la haphtarah décrivent tout à fait le ministère de notre Sauveur : « Il m’a oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres; Il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le coeur brisé » (Is. 61:1)

 

Les quarante jours de jeûne

Avant de lire ces passages en tant que maphtiyr au sabbat de Nitzaviym, Jésus passa quarante jours dans le désert pour jeûner. Au cours de ce jeûne, il est tenté par le diable. Aux arguments de l’Adversaire, il cite trois passages d’Écriture, tous tirés du Deutéronome. Les voici :

« L’homme ne vivra pas de pain seulement » (Deut. 8:3)

« Il est écrit: Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu le serviras lui seul » (Deut. 6:13)

« Il est dit: Tu ne tenteras point le Seigneur, ton Dieu » (Deut. 6:16)

Or il se trouve justement que respectivement cinq sabbats avant et six sabbats avant Nitzaviym avaient lieu les sabbats de (respectivement) Wa’ethannan et ‘Equev. Plan des sabbats :

  1. Wa’ethannan
  2. ‘Equev
  3. R’e’
  4. Shophtiym
  5. Kiy-Tétzé’
  6. Kiy Tavo’
  7. Nitzaviym

La parashah de Wa’ethannan est Deutéronome 3:23-7:1 et contient donc les réponses de Jésus aux dernières tentations, alors que la parashah de ‘Equev est Deutéronome 7:12-11:25 et contient donc la réponse à la première tentation !

Le texte des évangiles ne dit pas précisément s’il s’est écoulé du temps entre la fin du jeûne de Jésus et le moment où il lit la haphtarah à Nitzaviym. Le texte biblique semble nous indiquer que la tentation de Jésus eut lieu à la fin de son jeûne, car on peut lire : « Il ne mangea rien durant ces jours-là, et, après qu’ils furent écoulés, il eut faim. 3  Le diable lui dit:(…) »

La logique nous porterait alors à penser, d’après ce que nous venons de constater, que la tentation dut avoir lieu aux alentours des sabbats de Wa’ethannan et de ‘Equev.

 

Le mont Pisgah

La parashah de Wa’ethannan débute, en Deutéronome 3:23-29, par le récit de Moïse, affirmant qu’il ne pourrait pas entrer en Terre Promise, mais ne pourrait que la voir du sommet du Pisgah. Étant donné que cette parashah fut lue aux environs de la tentation du Christ, il serait tentant de penser que la montagne sur laquelle Satan emmena Jésus pour le tenter était le mont Pisgah. Les évangiles, en effet, ne précisent pas quelle était cette montagne. Il est seulement dit qu’elle était une « montagne très élevée » (Matthieu 4:8).

Le mont Pisgah pourrait correspondre, puisque Moïse admira de son sommet la terre alentour, destinée à être habitée par les Israélites. Satan aurait très bien pu montrer les royaumes du monde de cette montagne.

Pour savoir si cette hypothèse est plausible, il faut essayer de savoir où eut lieu le jeûne du Seigneur, et pour cela, il faut avoir une idée du lieu de son baptême. Or, nous savons qu’il eut lieu près de Bethabara, où baptisait Jean-Baptiste. Or, Bethabara signifie en hébreu, « la maison du passage » ou encore « le lieu du passage ». On sait que lorsque Josué traversa le Jourdain avec le peuple d’Israël, l’eau fut coupée en deux par le pouvoir divin. Un monument de douze pierres fut érigé au milieu du fleuve et un autre à son bord.

Il semblerait donc que Bethabara fasse référence au passage de Josué et de son armée. Ce lieu n’est pas connu avec exactitude, mais il devait se trouver près de Jéricho. Or Jéricho n’est guère très éloignée du mont Pisgah, qui se situe simplement sur l’autre rive, un peu plus au sud.

 

Le sabbat de Wa’ethannan

Comme nous l’avons vu, le début de la parashah de wa’ethannan nous fournit un renseignement important sur la montagne où Satan emmena Jésus. Le reste de la parashah est aussi très intéressant, à plusieurs titres. Il s’agit principalement, comme l’indique d’ailleurs le nom du livre Deutéronome, c’est-à-dire « seconde loi » en grec, d’une récapitulation de la loi de Dieu par Moïse. « Maintenant, Israël, écoute les lois et les ordonnances que je vous enseigne. Mettez-les en pratique, afin que vous viviez, et que vous entriez en possession du pays que vous donne l’Éternel, le Dieu de vos pères. ». (Deut. 4:1) Un des thèmes récurrents est qu’Israël doit se souvenir des miracles opérés par Dieu en sa faveur.

En cas de désobéissance d’Israël, la sanction est clairement définie : « Lorsque tu auras des enfants, et des enfants de tes enfants, et que vous serez depuis longtemps dans le pays, si vous vous corrompez, si vous faites des images taillées, des représentations de quoi que ce soit, si vous faites ce qui est mal aux yeux de l’Éternel, votre Dieu, pour l’irriter, - 26  j’en prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre, -vous disparaîtrez par une mort rapide du pays dont vous allez prendre possession au delà du Jourdain, vous n’y prolongerez pas vos jours, car vous serez entièrement détruits. 27  L’Éternel vous dispersera parmi les peuples, et vous ne resterez qu’un petit nombre au milieu des nations où lÉternel vous emmènera. » (Deut. 4:25-28)

La possibilité de la diaspora au cas où Israël rejetterait le Messie est ici en filigrane. Ne sont-elles pas prophétiques, ces paroles lues lors de ce sabbat à l’époque du Christ, annonçant la dispersion des Juifs suite à la destruction du Temple de Jérusalem par Titus en 70 de notre ère ?

La haphtarah lors de ce sabbat fut Ésaïe 40:1-26. Ce passage offre deux points intéressants. Le premier est qu’il contient la célèbre exhortation que reprit Jean-Baptiste : « Une voix crie: Préparez au désert le chemin de l’Éternel, Aplanissez dans les lieux arides Une route pour notre Dieu. 4  Que toute vallée soit exhaussée, Que toute montagne et toute colline soient abaissées! Que les coteaux se changent en plaines, Et les défilés étroits en vallons! ». N’oublions pas que c’est ce qu’annonce Jean-Baptiste à peu près au même moment.

Enfin, ce passage fait pendant d’une certaine façon à Deutéronome 4:25-28 qui annonçait la dispersion d’Israël. Cette écriture-ci parle de la consolation d’Israël : « Consolez, consolez mon peuple, Dit votre Dieu. 2  Parlez au coeur de Jérusalem, et criez-lui Que sa servitude est finie, Que son iniquité est expiée, Qu’elle a reçu de la main de l’Éternel Au double de tous ses péchés. » (Ésaïe 40:1-2)

 

Le sabbat de ‘Equev

Comme nous l’avons déjà vu, la réponse de Jésus à la première tentation se trouve dans la parashah de ‘Equev.  Nous pouvons aussi être frappés par ces paroles : « Ne sois point effrayé à cause d’eux; car l’Éternel, ton Dieu, est au milieu de toi, le Dieu grand et terrible. » (Deut. 7:21), prononcés au sabbat de ‘Equev, alors que le Messie était effectivement au milieu de son peuple…

Mais il y a un autre point très intéressant dans cette parashah. Entre Deutéronome 9:1 et Deutéronome 10:10, les mots « quarante jours » se retrouvent cinq fois :

Deutéronome 9:9  « Lorsque je fus monté sur la montagne, pour prendre les tables de pierre, les tables de l’alliance que l’Éternel a traitée avec vous, je demeurai sur la montagne quarante jours et quarante nuits, sans manger de pain et sans boire d’eau; »

Deutéronome 9:11  « Ce fut au bout des quarante jours et des quarante nuits que l’Éternel me donna les deux tables de pierre, les tables de l’alliance ».

Deutéronome 9:18  « Je me prosternai devant l’Éternel, comme auparavant, quarante jours et quarante nuits, sans manger de pain et sans boire d’eau, à cause de tous les péchés que vous aviez commis en faisant ce qui est mal aux yeux de l’Éternel, pour l’irriter. »

Deutéronome 9:25  « Je me prosternai devant l’Éternel, je me prosternai quarante jours et quarante nuits, parce que l’Éternel avait dit qu’il voulait vous détruire. »

Deutéronome 10:10  « Je restai sur la montagne, comme précédemment, quarante jours et quarante nuits. L’Éternel m’exauça encore cette fois; l’Éternel ne voulut pas te détruire. »

Or, nous avons dit que c’est aux alentours de ce sabbat qu’eut lieu le jeûne de quarante jours de Jésus… Il y a là plus qu’une coïncidence ! À deux reprises à présent, Jésus agit comme le faisait Moïse : en montant sur le Pisgah et en jeûnant quarante jours. Cela donne une perspective plus grande aux paroles de Moïse, lorsqu’il parlait du Messie à venir, disant que Dieu susciterait un prophète à sa ressemblance et que quiconque ne l’écouterait pas serait retranché du peuple.