Leçons spirituelles dans leur cadre géographique
Par D. Kelly Ogden
Vendredi 4 novembre 2011


Goethe a dit : « Wer den Dichter will verstehen, muss in Dichters Lande gehen », ce qui signifie : « Celui qui veut comprendre un poète doit aller dans le pays du poète. » Si l'on veut réellement comprendre Wordsworth, on doit visiter les paysages qui ont inspiré ses images. Il en va de même pour les auteurs bibliques, non seulement les Psalmistes mais aussi les prophètes, comme Ésaïe, qui était un poète par excellence. Les écrits des prophètes, des apôtres et de Jésus, le Maître des maîtres lui-même, ne peuvent être pleinement compris que dans le contexte physique et le cadre géographique dans lesquels ils ont été conçus.

Jérôme, l’un des pères, de l'Église (5ème siècle apr. J.-C.), observe avec sagesse : « Tout comme ceux qui ont vu Athènes comprennent mieux l'histoire grecque, et tout comme ceux qui ont vu Troie comprennent les mots du poète Virgile, on comprend les Saintes Écritures d’une manière plus claire quand on a vu le pays de Juda de ses propres yeux... »1

Le célèbre archéologue biblique G. Ernest Wright conclut que « la géographie, l’histoire et la religion sont si inextricablement liées... qu’on ne peut pas comprendre [pleinement] le message religieux si l’on ne fait pas attention au cadre et aux circonstances dans lesquels la révélation a été donnée. »2

Les enseignements et les événements bibliques sont, d’une façon ou d’une autre, liés aux endroits où ils se sont produits ou ont été donnés. Pourquoi Élie a-t-il choisi le sommet du Mont Carmel comme décor pour sa démonstration convaincante et concluante concernant le point de savoir qui était Dieu (1 Rois 18) ? La plus grande menace contre la mission d’Élie était le roi et la reine d’Israël, Achab et Jézabel, et la perversion religieuse qu'ils favorisaient, le culte de Baal.

Jézabel était une princesse phénicienne, adoratrice de Baal. Pendant des siècles au cours de la période de l'Ancien Testament, l’influence phénicienne s’étendit vers le sud jusqu’au Mont Carmel. Cette montagne était donc le point de rencontre géographique entre le culte de Baal et le culte de Jéhovah. C’est sur le Carmel qu’Élie organise la confrontation directe entre son Dieu, Jéhovah, et celui de Jézabel, Baal. Le prophète accuse et demande : « Jusques à quand clocherez-vous des deux côtés? » Élie, utilisant la puissance de son Dieu, avait lancé une malédiction sur la terre d'Israël — trois ans et demi sans pluie. Baal était censé être un dieu de la fertilité, capable de faire venir la pluie et de rendre la fertilité et la vie à la terre. Ce que le Baal de Jézabel ne pouvait pas faire, le Jéhovah d’Élie sa le faire. Lorsque les centaines de faux prophètes de Baal sont exécutés sur l’ordre d’Élie au bord du Kison, qui longe le côté nord ou phénicien du Carmel, Jéhovah fait se former les nuées d'orage sur la Méditerranée et provoque les pluies torrentielles dans un déversement impressionnant d'eau, source de vie et de témoignage.

Se pourrait-il que ce soit un simple accident si le peuple le plus vil, le plus dégénéré dont il soit question dans l'Ancien Testament ait également vécu à l'endroit le plus bas de la terre, à Sodome ? Ou que l’emplacement où les préceptes de conduite les plus élevés donnés à l’Israël de l'Ancien Testament aient été révélés sur l'une des plus hautes montagnes des pays bibliques, le Sinaï ? Ce n’est pas par hasard que le niveau le plus bas du comportement contraire à l'éthique se trouvait au niveau le plus bas de la terre, et qu’un temps fort de l'enseignement se situait au sommet d’un lieu élevé.

Lorsqu’Ésaïe supplie : « Oh ! si tu déchirais les cieux, et si tu descendais... » (Ésaïe 63:19), jusqu'à quel point Dieu était-il disposé à descendre ? Jésus condescendit à descendre dans notre monde mortel et était prêt à montrer la voie aux autres par l’immersion dans les eaux du baptême. Le Seul à être sans péché se soumit au baptême, pas n'importe où, mais à l’endroit le plus bas du monde. Il descendit non seulement à notre condition, il descendit plus bas qu’elle. Il fut baptisé par Jean dans le Jourdain (hébreu yarden dérivé de yarad, signifiant « aller vers le bas »). En effet, il descendit au Jourdain à l’endroit le plus bas en altitude, puis il descendit encore plus bas dans l'eau pour pouvoir élever l'humanité jusqu'à une nouveauté de vie.

Le Jourdain
Le Jourdain où Jésus a été baptisé

Au puits de Jacob, Jésus a tout naturellement parlé d'eau vive. Pendant des siècles, les Juifs et les Samaritains avaient puisé de l'eau dans des citernes — des chambres souterraines de stockage de l'eau — et des puits, comme le puits de Jacob. Jésus va parler à une Samaritaine de la source d’ « eau vive », c’est-à-dire d’une eau coulant en permanence. Lui-même était la source où toute personne pouvait puiser de l'eau spirituelle et étancher la soif spirituelle: « L'eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d'eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle » (Jean 4:14).

Puits de Jacob
Bédouins tirant de l'eau au puits de Jacob (photos de la fin du XIXe siècle)

Jésus parle très à propos du « pain de vie » à Capernaüm, où l’on a trouvé une plus grande quantité de meules utilisées pour la fabrication du pain qu'en tout autre endroit du pays, ce qui en a amené certains à conclure que ces meules étaient fabriquées dans cette ville galiléenne et exportées vers les autres. À l’endroit où elles étaient fabriquées pour faire du pain, Jésus a parlé du pain spirituel capable de nourrir ceux qui en prennent jusqu’à la vie éternelle (Jean 6).

Meules à Capernaum
Meules à Capernaüm

À Césarée de Philippe, Jésus utilise une paronomase, un jeu de mots, sur le nom de Pierre. Il dit : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église » (Matthieu 16:18). Étant donné le contexte de cette déclaration (Jésus vient de dire à Pierre qu’il est heureux parce que Dieu lui a révélé et lui a témoigné que Jésus est le Messie et le Fils de Dieu), la pierre, en l'espèce, pourrait signifier la révélation. Ou, quand il dit « cette pierre », Jésus s’est peut-être désigné lui-même d’un geste pour montrer qu'il était la Pierre du salut, le Rocher d'Israël.

Ce que Jésus a très bien pu vouloir dire, c’est : « Pierre, tu es une pierre (en tant que président de mon Église, détenant les clés du Royaume), et sur la Pierre du salut, qui donnera la révélation, la fermeté, la force et la stabilité [les significations symboliques de la pierre dans les Écritures], je bâtirai mon Église. » L'image correspondait particulièrement approprié à l'endroit, puisque Césarée de Philippe est située au pied du mont Hermon, la formation rocheuse la plus massive du pays.

Césarée
Césarée de Philippe au pied du mont Hermon

Un pouvoir de guérison était attribué au début de la période romaine à la piscine de Béthesda, et c’est là que Jésus va se rendre pour guérir. « Or, à Jérusalem, près de la porte des brebis, il y a une piscine qui s’appelle en hébreu Béthesda, et qui a cinq portiques » (Jean 5:2). La piscine double appelée piscine de Béthesda (ou Bethzatha - peut-être en araméen, avec le sens de « maison de la miséricorde ») se trouvait juste au nord de la porte du Mont du Temple appelée porte des brebis, porte par laquelle on pense que l’on faisait passer les brebis pour les conduire au Temple pour le sacrifice.

Cinq portiques entouraient les deux piscines : quatre sur les côtés et une qui les divisait. Certaines propriétés médicinales ou curatives leur étaient attribuées. « Il est possible qu’un pouvoir de guérison ait déjà été attribué à l’époque du Second Temple aux eaux de ces bassins, parce qu'un temple pour la guérison y fut érigé à l'époque romaine qui suivit la destruction du Second Temple. »3 La tradition des guérisons continua après l’époque de Jésus avec la construction, sur cet emplacement, d’un temple dédié à Esculape, dieu grec de la guérison. Selon une tradition superstitieuse, un ange descendait « agiter » l’eau — probablement le résultat d'un afflux d’eau en provenance d’un siphon karstique provoquant un bouillonnement à la surface. C’est là que Jésus rencontre un homme non valide, boiteux ou paralysé depuis trente-huit ans. Le jour du sabbat, il le fait lever, complètement guéri.4

Lorsque, sur le Mont du Temple à Jérusalem au cours de Succoth, la fête des Tabernacles, il dit de lui-même qu’il est l'eau vive et la lumière du monde, Jésus réagit à la cérémonie de la libation d’eau qui se pratiquait à cette occasion et à l'illumination du Temple par des menoras ou chandeliers. Il était d'usage au cours de chaque journée de la semaine de célébration de Succoth de transporter en procession une cruche en or remplie d’eau provenant du réservoir de Siloé au Mont du Temple pour des libations rituelles — sauf, selon certaines autorités juives et chrétiennes, le dernier jour de la fête. « Le dernier jour, le grand jour de la fête, Jésus, se tenant debout, s’écria : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive. Celui qui croit en moi des fleuves d’eau vive couleront de son sein »(Jean 7:37-38).

Comme des foules de pèlerins juifs continuaient à se rendre sur le Mont du Temple jusque dans la nuit, au cours de cette fête des Tabernacles, un éclairage artificiel était nécessaire. Faisant le contraste entre lui-même et les grandes menoras qui brillaient dans l'obscurité sur le Mont, Jésus leur parla de nouveau, disant: "Je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie" (Jean 8:12).5

Le mont des oliviers est l’endroit où Jésus est descendu au-dessous de tout (l'Expiation) et où il est monté au-dessus de tout (l'Ascension). Le mot oliviers apparaît onze fois dans les évangiles, chaque fois pour parler du mont des oliviers, où des oliviers poussaient dans l'Antiquité et poussent encore aujourd'hui. L'olivier a eu la première place dans l'agriculture tout au long de l'histoire d'Israël jusqu’à l'époque de Jésus, et il a même fourni l’une des désignations du pays : un pays d’oliviers (Deutéronome 8:8). Il prospère dans les collines et n’a pas besoin d'irrigation. Il peut supporter de longues périodes de sécheresse et peu de soins sont nécessaires jusqu'à la récolte. La partie supérieure de la feuille d'olivier est vert foncé, tandis que le dessous est recouvert d'écailles miniature blanchâtres, qui lui donnent un lustre argenté. « Israël était appelé 'Olivier verdoyant, remarquable’ [Jérémie 11:16] parce qu’il [Israël] verse de la lumière sur tous. »6

Anciennement, on utilisait l’huile d'olive à des fins culinaires, cosmétiques, funéraires, médicinales et rituelles. Mais son usage le plus important était de donner de la lumière. L’huile d'olive donne la flamme la plus claire, la plus brillante et la plus stable de toutes les huiles végétales. Dans l'une des dernières paraboles que nous avons de lui, Jésus décrit une procession de jeunes filles (les membres du Royaume de Dieu) qui sortent à la rencontre de l'Époux (le Messie). Les lampes étaient requises pour donner éclat et beauté. L'huile pour les lampes symbolisait la préparation spirituelle des membres de son royaume, ceux qui souhaitent participer au festin de noces, qui symbolise sa venue en gloire.

Au début de l'histoire israélite, l’ huile d'olive était utilisée pour des rites sacrés. Les objets et les personnes mis à part pour l’œuvre de Dieu, comme les prophètes, les prêtres et les rois, étaient oints d'huile consacrée. Avec le Messie (hébreu maschiah, signifiant « l’oint »), les rôles de prophète, de prêtre et de roi sont réunis. Jésus, citant une prophétie messianique d'Ésaïe (61:1), dit aux personnes présentes à la synagogue de Nazareth : « L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il a m’a oint pour [prêcher] » (Luc 4:18).

Sur les pentes du mont des oliviers, il y avait un jardin dans lequel Jésus aimait se retirer pour méditer et prier. Jean écrit que Jésus et ses disciples s’y réunissaient souvent (voir Jean 18:2). Le jardin s’appelait à juste titre Gat Shemen, ce qui signifie pressoir à huile en hébreu. Tout comme le jus (ou sang) du raisin ou de l'olive est pressé et écrasé par la lourde pierre du pressoir, de même le lourd fardeau des péchés du monde que Jésus portait allait faire jaillir le sang du corps de ce Oint. À Gethsémané, parmi les oliviers qui eux-mêmes symbolisaient le peuple d'Israël, s’accomplit avec son point culminant au Golgotha, la souffrance la plus désintéressée de l'histoire de l'humanité.

Gethsémané
Antiques oliviers dans le jardin de Gethsémané, au bas de la pente du mont des oliviers

Du début à la fin de la vie de Jésus, les enseignements et les événements correspondaient d’une façon ou d’une autre aux endroits où ils se produisaient. Comme l'a écrit Farrar : « C'était son procédé constant de façonner les illustrations de ses discours en fonction des incidents extérieurs susceptibles d’éveiller l'attention la plus profonde et de fixer les mots de la manière la plus indélébile dans la mémoire de ses auditeurs. »7

Le pain de vie est né à Bethléhem, le toponyme signifiant « maison du pain ». Et le Rameau fut élevé à Nazareth. Matthieu note : « [Il] vint demeurer dans une ville appelée Nazareth, afin que s’accomplît ce qui avait été annoncé par les prophètes : Il sera appelé Nazaréen » (Matthieu 2:23). Matthieu a vu, dans le lien de Jésus avec Nazareth, l'accomplissement d'une prophétie messianique. En fait, il n’y a aucun passage explicite dans la littérature biblique où des prophètes déclarent que le Messie serait un Nazaréen, à moins qu'il s'agisse d'une allusion paronomastique à Ésaïe 11:1. Ésaïe y prophétise qu'un « rameau » (netzer) sortira du tronc d’Isaï (c'est-à-dire de la lignée davidique) et que Jésus sera donc un Nazaréen (notzri). Les deux mots hébreux proviennent de la même racine.

Jésus a dit un jour à ses disciples : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » (Jean 14:27). Il est ironique que ce Prince de la paix ait été tué dans une ville appelée Urushalem, signifiant « Ville [ou Fondation] de la paix ».

Jésus, accepté par des millions de personnes comme le Saint d'Israël, est venu dans un pays que beaucoup appellent la Terre Sainte, et son objectif était de susciter un peuple saint. Fait intéressant, le terme « Terre Sainte » n'est pas dérivé de Ha'aretz HaKadosh, qui pourrait être traduit par « la Terre Sainte », mais d' Eretz Kodesh, qui signifie littéralement « terre de sainteté ». L'idée est qu'un peuple saint, vivant avec l'esprit saint, vivra dans une ville sainte dans une terre sainte. The Saint pourrait même apparaître à son peuple dans un Saint Temple, plus précisément dans le Saint des Saints. Le peuple de Dieu était connu comme étant ses « saints »8

Les apôtres de Jésus continuèrent la tradition de l'enseignement à l’aide d’illustrations inspirées par les endroits où ils enseignaient. Les enseignements de Paul donnés dans diverses villes au cours de ses voyages missionnaires reflètent souvent la situation locale. À Corinthe, par exemple, il apprit que sur l'Acropole ou Acrocorinthe, plus de 570 mètres au-dessus de la ville, au moins 1000 prostituées prêtresses fonctionnaient dans le temple d'Aphrodite.9 Étant donné la perversion du culte dans ce temple notoire, il n’est pas étonnant qu’à Corinthe Paul ait souligné le rôle véritable du temple de Dieu (1 Co. 3:16-17), le temple représentant le corps de l'Église et celui des individus et l'urgence de ne pas les souiller.

Corinthe
Vue de l'Acrocorinthe depuis les ruines de la ville antique de Corinthe

Les images de Jean correspondent aussi au cadre géographique local. On voit que Jean a une connaissance intime des détails de la situation géographique, du terrain, de l'approvisionnement en eau et de l'histoire des villes auxquelles il adresse des lettres dans l'Apocalypse. Laodicée est la septième des villes de l’Apocalypse et en est un exemple. « Voici ce que dit l'Amen » (Ap. 3:14) — le grand Jéhovah et Créateur de la terre était également connu sous le nom de « Amen », signifiant accord et engagement. C'était pour manque d'engagement que les Laodicéens étaient condamnés.

« Parce que tu dis : Je suis riche, je me suis enrichi, et je n’ai besoin de rien ; et parce que tu ne sais pas ne sais pas que tu es malheureux, misérable, pauvre... Je te conseille d'acheter de moi de l’or éprouvé par le feu, afin que tu deviennes riche » (Ap. 3:17-18) — il s'agit apparemment d'une allusion à la richesse de la ville qui a rejeté l’aide impériale à la reconstruction après le tremblement de terre destructeur de 60 apr. J.-C. Les Laodicéens étaient fièrement indépendants des finances de la reconstruction romaine, et certains s’estimaient spirituellement autosuffisants, ne ressentant absolument pas le besoin de l'aide de Dieu. Paul les invite maintenant à demander l'aide de la Source du trésor et de la richesse durables. Comme Jésus l’avait précédemment enseigné : « Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où la teigne et la rouille détruisent, et où les voleurs percent et dérobent [et où les tremblements de terre détruisent et enterrent] : mais amassez-vous des trésors dans le ciel » (Matthieu 6:19-20).

« Je te conseille d'acheter de moi... des vêtements blancs, afin que tu sois vêtu et que la honte de ta nudité ne paraisse pas » (3:18) — les vêtements blancs font ici un contraste avec la célèbre laine douce, d’un noir de jais qui faisait la réputation de Laodicée du temps de Jean. Les vêtements blancs symbolisaient la propreté et la pureté, comme le révèlent les paroles du Seigneur à l'Église de Sardes: « Celui qui vaincra sera revêtu ainsi de vêtements blancs... ils marcheront avec moi en vêtements blancs, parce qu’ils en sont dignes » (Ap. 3:5, 4).

L’Amen conseille également aux Laodicéens « un collyre pour oindre [leurs] yeux, afin qu’ [ils voient] » (3:18). Le collyre semble être une allusion à une certaine poudre ou onguent utilisé par la célèbre école de médecine de Laodicée. S’ils appliquent le genre d’onguent que le Seigneur fournit, cela permettra aux disciples de voir avec une vision spirituelle et d’être zélés dans sa cause, de se repentir et de vaincre le monde.

Le message le plus percutant remis aux Laodicéens, celui qui emploie les images les plus frappantes, est l'exclamation suivante : « Je connais tes œuvres. Je sais que tu n'es ni froid ni bouillant. Puisses-tu être froid ou bouillant ! Ainsi, parce que tu n’es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche » (Ap. 3:15-16).

Laodicée
Ruines enfouies de Laodicée en avant-plan, avec des travertins de Hiérapolis visibles au loin (tache blanche au-dessus du centre)

La vallée du Lycos abritait trois villes du Nouveau Testament : Colosses, Hiérapolis et Laodicée. Laodicée, la dernière des sept villes de l’Apocalypse de Jean et celle qui est maudite dans les termes les plus vigoureux, était située à quelque cent cinquante kilomètres à l’est d'Éphèse et à vingt kilomètres du confluent du Lycos et de la Méandre. La vallée a été soumise, tout au long de son histoire, à l'activité sismique. Du fait qu’elle se trouve au cœur d'une zone de secousses sismiques, la vallée se caractérise aussi par des sources thermales avec leurs eaux minérales chaudes. A dix kilomètres au nord de Laodicée se trouvait la ville de Hiérapolis, célèbre dans l'Antiquité (et dans les temps modernes) pour ses remarquables travertins en terrasses, composés essentiellement de carbonate de calcium, ayant une série de petites cascades gelées ou pétrifiées (comme les Yellowstone Mammoth Hot Springs).

Hiérapolis
Travertins à Hiérapolis, ville-source d'eau chaude pour Laodicée

eau chaude 1

Eau chaude 2

Les eaux minérales chaudes de Hiérapolis étaient connues pour leurs propriétés thérapeutiques. Colosses, à seize kilomètres à l'est de Laodicée, avait non seulement les eaux chaudes et calcaires habituelles, mais aussi quelques bonnes eaux fraîches. Par contraste avec les eaux froides de Colosses et les eaux chaudes de Hiérapolis, l’eau de Laodicée était tiède et émétique (induisant des vomissements). L'eau de Laodicée provenait d’une source abondante dans la partie supérieure de la Denizli moderne, à environ huit kilomètres au sud et était transportée par un aqueduc de pierre jusqu’à la ville. Les vestiges de l'aqueduc montrent de fortes incrustations dans les tuyaux de pierre. Une des ruines les plus inhabituelles de la ville antique, un château d'eau de six mètres cinquante de haut, qui distribuait de l'eau dans toutes les parties de la ville, possède en son centre un certain nombre de tuyaux en terre cuite qui sont également incrustés et obstrués par des dépôts calcaires.

Aqueduc Laodicée

Laodicée
Morceaux de l'ancien aqueduc menant à Laodicée, gisant dans le désordre et montrant une forte incrustation due à de l'eau tiède

L'eau de Laodicée était tiède, comme l'étaient, selon Jean, les œuvres de ses habitants. La définition habituelle d'une personne tiède la situe entre le « froid » de l’incroyant et le « chaud » du croyant, bien que cette définition puisse dans ce cas être trompeuse, en fait fausse. Il n'y a aucune preuve que les anciens utilisaient les termes froid et chaud dans le même sens métaphorique que nous aujourd’hui. Dans le contexte de la lettre à Laodicée et en réalité dans la vallée de Lycos, les eaux froides et chaudes étaient acceptables et utiles, l’une comme boisson rafraichissante et l'autre à des fins thérapeutiques. Dans ce contexte, l’une et l’autre constituent une option louable. En revanche, les eaux tièdes émétiques devaient inciter le buveur à les vomir de la bouche.

L’usage que fait Jean de la situation géographique locale dans et autour de Laodicée est efficace et profond. Les eaux froides, chaudes et tièdes de la vallée du Lycos étaient comparables aux membres de l'Église du Seigneur : froid et chaud étaient louables et pourraient faire du bien aux autres (« Puisses-tu être froid ou bouillant ») ; tiède était mal venu et rejeté.

Les Laodicéens ne s’engageaient pas entre le chaud et le froid, et, chez le Seigneur, ils ne causaient qu’une réaction comparable au vomissement. En effet, les Laodicéens ont été « vomis » : il n'y a aucun Laodicéen qui vive aujourd'hui dans ce lieu antique.

Notes

1 Cité dans Yohanan Aharoni, The Land of the Bible — A Historical Geography. Londres, Burns and Oates, 1974, p. x.
2 Wright, George Ernest et Filson, Floyd Vivian, dir. de publ., The Westminster Historical Atlas to the Bible, édition révisée. Philadelphie, The Westminster Press, 1956, p. 5.
3 Dan Bahat, The Illustrated Atlas of Jerusalem. New York, Simon and Schuster, 1990, p. 72.
4 Voir Jean 5:1-16.
5 Voir aussi Frederic William Farrar, The Life of Christ. Londres, Cassell and Company, 1898, pp. 417-418, 432-433, et Alfred Edersheim, The Life and Times of Jesus the Messiah. Mclean, Virginie, Macdonald Publishing Company, n.d., 2:158-160, 165-166.
6 Midrash, Shmot Raba, 36, 1.
7 Farrar, op. cit., 432-433.
8 La Bible hébraïque — l’Ancien Testament — emploie à dix reprises les termes kadosh ou kadoshim, et dix-neuf fois les termes hassid ou hassidim, ces quatre termes étant traduits « saints » ou « pieux ». Dans la traduction hébraïque du Nouveau Testament par Delitzsch, le terme grec hagios est traduit soixante fois kadosh ou kadoshim — saints.
9 Strabon, Géographie 8.6.20.
10 On trouvera de plus amples renseignements sur le cadre géographique de Laodicée et son rôle dans l’Apocalypse en consultant les sources suivantes : Bean, George E. Turkey Beyond the Maeander - An Archaeological Guide. Londres, Ernest Benn, 1971, pp. 213-217; Hamilton, William J. Researches in Asia Minor, Pontus and Armenia; with some account of their Antiquities and Geology, 2 tomes. Londres, John Murray, 1842, pp. 514-517; Harrison, R. K., dir. de publ. Major Cities of the Biblical World.Nashville, Tennessee, Thomas Nelson Publishers, 1985, pp. 247-248; Hemer, Colin J. The Letters to the Seven Churches of Asia in their Local Setting. Sheffield: JSOT Press, 1986, pp. 178-182; Johnson, Sherman E. “Laodicea and its Neighbors” dans The Biblical Archaeologist, vol. 13, no. 1, février 1950, pp. 5-13 ; Ramsay, William Mitchell. The Historical Geography of Asia Minor. Publié à l’origine en 1890, réimprimé par Cooper Square Publishers, Inc., New York, 1972, pp. 85-86; The Letters to the Seven Churches of Asia and their Place in the Plan of the Apocalypse. Publié à l’origine en 1904 par Hodder and Stoughton, Londres, réimprimé par Baker Book House, Ann Arbor, Michigan, 1963, pp. 414-423 ; Rudwick, M.J.S., and Green, E.M.B. “The Laodicean Lukewarmness” dans The Expository Times, vol. 69, n° 6, mars 1958, pp. 176-178; Wood, Peter. “Local Knowledge in the Letters of the Apocalypse” dans The Expository Times, vol.73, n° 9, juin 1962, pp. 263-264.