La Crèche de pierre

 

L’histoire du premier Noël telle qu’on ne la raconte pas

par Jeffrey R. Chadwick

 

deuxième édition

 

Copyright © 2007, 2011, Jeffrey R. Chadwick

Tous droits réservés. Aucune partie de ce texte ne peut être reproduite sous aucune forme ni d’aucune façon sans la permission écrite expresse de l’auteur et propriétaire, Jeffrey R. Chadwick. L’auteur peut être contacté par mail à stonemanger@aol.com.

 

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION DE L’AUTEUR      Si vous aimez Noël…

L’histoire du premier Noël telle qu’on ne la raconte pas

CHAPITRE I            Une crèche de pierre

CHAPITRE II           Le couple de Galilée

CHAPITRE III         Miryam de Nazareth

CHAPITRE IV         Rien n’est impossible

CHAPITRE V          Yosséf, fils de David

CHAPITRE VI         Une vierge enceinte

CHAPITRE VII        Le déménagement vers Bethléhem

CHAPITRE VIII      La maison construite par Yosséf

CHAPITRE IX         La vie dans la grotte

CHAPITRE X           De l’automne à l’hiver

CHAPITRE XI         Pas de place à l’hôtellerie

CHAPITRE XII        Ceci sera un signe

CHAPITRE XIII       On lui donna le nom de Jésus

CHAPITRE XIV      Au temple de Jérusalem

CHAPITRE XV        Les mages d’Orient

CHAPITRE XVI      Hérode recherche l’enfant

CHAPITRE XVII     Une voix se fait entendre à Rama

CHAPITRE XVIII    Rachel pleure ses enfants

CHAPITRE XIX       J’ai appelé mon fils hors d’Égypte

CHAPITRE XX        Il sera appelé Nazaréen

 

Annexes

 

ANNEXE 1              La notion de naissance virginale

ANNEXE 2              Le timing de la visite des magoushim

ANNEXE 3              La Place de la Crèche à Bethléhem

ANNEXE 4              Le sixième mois

ANNEXE 5              La date de Noël

 

INTRODUCTION DE L’AUTEUR

Si vous aimez Noël…

 

Je pense que, si vous aimez Noël, vous allez aimer ce livre. Et il est fort possible que vous n’en aimerez Noël que plus une fois que vous aurez découvert l’histoire de la naissance de Jésus telle qu’on ne la raconte pas.

 

J’appelle cela l’histoire de Noël telle qu’on ne la raconte pas. Voici pourquoi : en réalité, la naissance de Jésus ne s’est pas produite comme le raconte l’histoire traditionnelle de Noël ! Cette histoire avec laquelle nous avons tous grandi et que nous avons entendue tant de fois ne s’est pas passée comme on nous l’a toujours dit. Pas du tout.

 

Ne vous méprenez pas. Nos traditions de Noël sont un merveilleux héritage et, personnellement, je les aime beaucoup (...) Et ce que j’aimais le plus, c’était l’histoire de Noël : un pauvre charpentier de Galilée et sa jeune femme ; leur voyage long et ardu pour payer l’impôt romain ; le premier soir de Noël dans une étable ; le nouveau-né de Marie dormant  dans le foin. Les bergers, les anges qui chantent, les trois rois et même le petit joueur tambour, tout cela c’est l’histoire traditionnelle de Noël que nous chérissons. Nous la répétons à l’envi dans des livres, des vidéos et sur des scènes où les enfants revêtus de sorties de bain et de serviettes deviennent magiquement des bergers et des mages.

 

Mais le vrai premier Noël ne s’est tout simplement pas passé comme cela. Le décor que nous représentons en bois sculpté et avec des figurines de céramique au pied de nos sapins n’a rien à voir avec la situation de la vie réelle dans laquelle s’est produite la naissance de Jésus il y a plus de deux mille ans à Bethléhem.

 

Parce qu’en réalité, Joseph n’étais pas charpentier. Marie et lui n’ont pas dû faire le voyage à Bethléhem pour payer des impôts. Il n’y avait pas de soldats romains là-bas pour les harceler. Et il n’y avait pas de rois voyageurs porteurs de présents. Et il n’y avait évidemment pas de petit joueur de tambour. Il n’y avait même pas de foin pour y coucher le bébé. Et, aussi étonnant que cela paraisse, il n’y avait même pas d’étable !

 

Ce qu’il y avait, par contre, c’était une crèche. Cette partie de l’histoire est parfaitement authentique : la crèche dans laquelle on a couché Jésus nouveau-né. Le Nouveau Testament mentionne explicitement cette crèche à trois reprise en racontant l’histoire de la naissance de Jésus. Elle a même servi de signe du ciel.

 

Mais cette crèche de Bethléhem n’était pas la caisse que nous imaginons. Elle n’était pas utilisée pour y mettre du foin. Et elle n’était pas faite de planches tenues ensemble par des cordes comme on le représente si souvent dans les peintures de Noël. Le berceau temporaire dans lequel on a mis Jésus était en réalité une crèche de pierre !

 

Vous seriez en droit de demander : comment pouvons-nous savoir tout cela ? Voici plus de trente ans que je travaille en Israël comme chercheur et archéologue sur le terrain avec, comme spécialité, le cadre matériel et culturel des récits bibliques. Au cours de toutes ces années, j’ai aussi donné des cours sur le Nouveau Testament dans des séminaires et pour des programmes d’étude de la religion à l’université. J’ai donné  cours à des milliers d’étudiants d’université à Jérusalem et en Galilée et je les ai emmenés plus de cent fois faire des études sur le terrain dans tous les sites depuis Nazareth jusqu’à Bethléhem. Parce que je considère personnellement les récits évangéliques du Nouveau Testament comme authentiques et fiables, je combine, dans mon enseignement, les textes bibliques à des renseignements d’importance critique fournis par la géographie historique et la recherche archéologique. Cela débouche sur une compréhension réaliste et plus authentique des Écritures qui va au-delà de simples études de textes. C’est  une fusion que l’on peut qualifier à bon droit d’ « études contextuelles ».

 

Ce livre est le résultat de toutes ces années d’enseignement, de recherches et de fouilles et utilise la méthode des « études contextuelles » pour raconter l’histoire réelle du premier Noël. Nous expliquerons les événements réels entourant la naissance de Jésus à Bethléhem de Judée dans le contexte de leur époque et de leur cadre d’origine. Ce récit ne ressemble pas du tout aux histoires traditionnelles de la saison des fêtes. Il est mieux ! C’est l’histoire authentique de l’amour et de la foi, de la force et de l’humilité, de l’autonomie et du labeur d’un couple de jeunes mariés et de leur détermination à réaliser les desseins de Dieu. C’est le récit que l’on peut découvrir en creusant profondément dans les évangiles du Nouveau Testament, raconté comme vous l’auriez vu si vous en aviez été personnellement témoin. Alors, calez-vous bien dans votre fauteuil, l’affaire d’une heure, et lisez la vraie histoire de la naissance de Jésus, l’histoire du premier Noël telle qu’on ne la raconte pas.

 

 

CHAPITRE I

Une crèche de pierre

 

Avant de commencer l’histoire du premier Noël telle qu’elle n’a jamais été racontée, prenons quelques instants pour examiner le seul objet prouvé lié à cet événement maintenant célèbre : une crèche de pierre.

 

L’évangile de Luc, qui rapporte les événements de la naissance de Jésus à Bethléhem,  ne parle nulle part ‘étable, de bétail, ni même de foin ou de paille. Mais il parle à trois reprises de la crèche dans laquelle le nouveau-né a été mis. Le premier passage est une mention simple dans Luc 2:7 sur Marie et son bébé.

 

« Et elle enfanta son fils premier-né. Elle l’emmaillota, et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie. »

 

Le passage suivant se trouve cinq versets plus loin, dans Luc 2:12, et ici c’est un indice pour les bergers juifs qui vont aller à la recherche de l’enfant.

 

« Et voici à quel signe vous le reconnaîtrez: vous trouverez un enfant emmailloté et couché dans une crèche. »

 

Quatre versets plus loin encore, dans Luc 2:16, ces bergers arrivent à Bethléhem pour faire leurs recherches nocturnes.

 

« Ils y allèrent en hâte, et ils trouvèrent Marie et Joseph, et le petit enfant couché dans la crèche. »

 

Quiconque a jamais lu l’histoire de Noël dans la Bible s’est imaginé le tableau. Mais on est fort étonné quand on apprend que le berceau improvisé dans lequel le nouveau-né Jésus avait été mis n’était pas une auge faite avec du bois, comme on le représente habituellement dans les tableaux modernes. La crèche était en fait une auge à eau en pierre.

 

À l’époque moderne, la plupart des gens se sont habitués à s’imaginer les événements bibliques en fonction de la société et de la culture matérielle qu’ils connaissent en Amérique, en Europe ou même ailleurs. Ils créent mentalement, dans une certaine mesure, les histoires bibliques à leur propre image dans leurs peintures, dans leur théâtre, dans leur musique et même dans leur littérature. Le résultat de cette licence de l’imagination est, dans le cas de l’histoire de Noël, l’image bien connue de la crèche en bois.

 

Or, dans l’Israël antique, les auges pour animaux n’étaient pas faites de planches de bois ou de perches entrelacées. La pierre calcaire était beaucoup plus abondante dans l’Israël antique que le bois (et c’est toujours le cas dans l’Israël moderne). Tout ce que l’on pouvait faire avec  la roche calcaire on le faisait. Les bâtiments, depuis la maison familiale jusqu’au palais royal, étaient construits de cette pierre blanche. La plupart des meubles étaient façonnés, en tout ou en partie, de ce genre de pierre. Autant qu’on ait pu le constater en faisant des recherches archéologiques, les auges pour les animaux étaient presque exclusivement taillées dans l’abondant calcaire blanc d’Israël.  

 

Les archéologues qui font des fouilles en Israël ont trouvé pas mal d’auges en calcaire. Elles avaient habituellement la forme d’un bloc et avaient de trente à soixante-quinze centimètres de haut. Le trou creusé au sommet du bloc n’avait que quinze à vingt centimètres de profondeur et formait généralement un creux rectangulaire soigneusement taillé avec un fond plat ou légèrement concave. Ces auges servaient à abreuver les animaux.

 

La crèche dans laquelle Jésus a été posé et qui a servi de signe pour permettre aux bergers de le trouver, était presque certainement une auge à eau de ce genre. Ceci, parce que dans l’Israël antique, on n’avait pas besoin de mangeoires remplies de foin. Les animaux domestiques pouvaient brouter l’herbe abondante qui poussait dans les collines rocailleuses de la Judée. Il y avait de l’herbe toute l’année.

 

De janvier à avril, l’herbe était verte et luxuriante. Elle prenait une couleur dorée après avoir séché dans la chaleur de la fin du printemps, mais elle était tout aussi nourrissante et disponible tout l’été et l’automne. Quand les pluies d’hiver commençaient en novembre et en décembre, de nouvelles herbes apparaissaient. Il ne neigeait que rarement dans la plus grande partie de l’Israël antique et la neige fondait généralement dans les vingt-quatre heures, de sorte que l’herbe n’était jamais couverte bien longtemps. Il n’était pas nécessaire de cultiver des plantes fourragères. Que les gens possèdent des ânes, des moutons, des chèvres ou des vaches, toute l’année ils faisaient simplement paître les animaux dans l’herbe abondante qui se trouvait  autour de leurs villes et de leurs villages.

 

Si une auge en pierre calcaire devait être utilisée par les moutons, elle était petite et avait trente à quarante-cinq centimètres de haut. Cela permettait aux moutons et aux chèvres de boire sans devoir tendre trop fort le cou en haut ou en bas. Un âne pouvait aussi baisser la tête et le cou pour utiliser une auge de ce genre. Mais si le propriétaire n’avait pas de moutons ou de chèvres, l’auge pour son âne pouvait être plus grande et avoir jusqu’à cinquante à soixante-quinze centimètres de haut pour que l’animal puisse boire plus facilement.

 

Ainsi donc, la crèche dans laquelle on a déposé le nouveau-né Jésus, et qui devait servir de signe pour que les bergers puissent le trouver, était une auge à eau creusée dans de la roche calcaire. Il ne s’y trouvait ni foin ni paille, que ce soit dedans ou autour, car on ne nourrissait pas les animaux de cette façon. En fait, à part un âne et peut-être une unique chèvre, il n’y avait probablement pas d’autres animaux présents quand Jésus est né à Bethléhem.

 

Une autre chose à propos de cette crèche qui pourrait être surprenante, est que c’était une nouvelle auge, une auge faite par Joseph lui-même. Tout de suite après son arrivée à Bethléhem avec Marie, il avait découpé et façonné la crèche dans un gros morceau de roche calcaire de Judée pour que son âne puisse s’abreuver. Contrairement à la tradition populaire, Joseph n’était pas charpentier, mais tailleur de pierre.

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE II

Le couple de Galilée

 

C’est maintenant le bon moment pour donner à Joseph et à Marie leur vrai nom hébreu, le nom que ceux qui les connaissaient  leur donnaient. Joseph était appelé Yosséf par ses connaissances. Le nom se prononçait avec l’accent sur la deuxième syllabe. Et le nom de Marie était en réalité Miryam, prononcé Mir-yam, avec le même accent sur les deux syllabes.

 

Ces deux noms étaient bien connus dans la Bible hébraïque. Yosséf apparaît dans la Genèse où il désigne le Joseph vendu comme esclave en Égypte et qui finit comme premier ministre du pharaon. Et Miryam apparaît dans l’Exode, où elle est la sœur de Moïse.

 

Le fait de donner leur nom hébreu original au jeune couple de Galilée confère une authenticité à la narration de leur étonnante histoire. Cela ne veut pas dire qu’il faut utiliser les noms hébreux quand nous parlons de Noël. Cela paraîtrait bizarre. Mais pour ce livre, nous donnerons à Marie son vrai nom, Miryam,  et à Joseph son vrai nom, Yosséf.

 

À part cela, nous ne ferons aucune tentative dans ce livre pour donner artificiellement « du relief aux personnages » de cette histoire. Yosséf et Miryam étaient des personnes réelles et leur véritable personnalité est révélée dans les pages du Nouveau Testament. Il n’est pas nécessaire d’avoir recours à des procédés littéraires pour permettre au lecteur de connaître et d’apprécier dans une certaine mesure ces deux personnes remarquables.

 

 Voyons maintenant l’histoire. Quand Yosséf et Miryam, les jeunes nouveaux mariés juifs dont il est question dans le Nouveau Testament, décident de se rendre à Bethléhem, ce n’est pas parce qu’ils doivent s’y rendre pour payer des impôts à l’empire romain. Cette vieille idée erronée provient de traductions archaïques et fautives des manuscrits grecs originels des évangiles.  (…)L’évangile de Luc relate le déménagement du jeune couple vers Bethléhem.

 

« En ce temps-là parut un édit de César Auguste, ordonnant un recensement de toute la terre. Ce premier recensement eut lieu avant1 que Quirinius soit gouverneur de Syrie.  Tous allaient se faire inscrire, chacun dans sa ville. » (Luc 2:1-3).

 

Dans la version ci-dessus, les termes grecs d’origine, apographesthaï et apoghraphi sont correctement traduits par « recensement » et « se faire inscrire ». Dans certaines traductions traditionnelles de la Bible, les termes grecs ont été traduits de manière incorrecte par « taxation » et « taxés », ce qui a entraîné des générations de lecteurs à croire  que Yosséf et Miryam étaient allés à Bethléhem pour payer des impôts aux Romains. Mais ce n’était pas le cas.

 

Les traductions modernes du Nouveau Testament ont parfois fait dire erronément au texte grec que César Auguste ordonna un recensement de l’empire romain. Mais cela aussi est inexact. Il n’y a aucune preuve historique qu’Auguste ait jamais ordonné un recensement de tout l’empire. Faire un recensement coûtait très cher et il était donc rare que l’on ait recours à ce procédé. Et quand un recensement avait lieu, c’était presque toujours au niveau provincial, pas au niveau impérial.

 

Il est cependant bien connu que l’on tenait, dans l’empire romain, des registres municipaux déjà pendant le règne d’Auguste. Les registres municipaux étaient une fonction des gouvernements locaux et comprenaient l’enregistrement  des noms et des domiciles des habitants de chaque ville aussi bien que des villages avoisinant ces localités. Comme le note Luc, chaque personne allait se faire inscrire dans sa localité. Les registres municipaux étaient naturellement utilisés à des fins de taxation, aussi bien que pour attester le domicile. On pouvait aussi les additionner pour obtenir un calcul de population au niveau régional.  Ces relevés étaient plus pratiques que les recensements proprement dits.

 

Le deuxième chapitre de Luc rapporte que Yosséf et Miryam (qui attendait famille) quittèrent Nazareth de Galilée et allèrent à Bethléhem de Judée et que c’était explicitement pour se faire enregistrer comme résidant dans cette ville :

 

« Joseph aussi monta de la Galilée, de la ville de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David, appelée Bethléhem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David, afin de se faire inscrire avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte » (Luc 2 :4-5).

 

Ce n’était pas seulement Yosséf qui était inscrit à Bethléhem, mais aussi sa femme Miryam. Ils devenaient tous les deux résidents officiels de la ville. Et quand le fils de Miryam naîtrait, il deviendrait, lui aussi, officiellement résident de Bethléhem.

 

Une autre erreur que l’on retrouve dans presque tous les commentaires du Nouveau Testament est basée sur ce passage. C’est la vieille idée que pour prendre part  à la soi-disant « taxation » ou « recensement » ordonné par Rome, le couple de Nazareth fut forcé de faire tout ce trajet vers Bethléhem, uniquement parce que c’était la patrie de l’antique roi David, l’ancêtre lointain de Yosséf. Les commentaires prétendent que Rome avait prévu des aménagements spéciaux pour les Juifs dont les traditions religieuses spéciales exigeaient soi-disant  qu’ils soient comptés ou taxés dans les villes de leurs ancêtres.

 

D’un point de vue historique, c’est  de la sottise. Rien ne vient à l’appui de cette idée, que ce soit de la Bible oui d’aucun autre document historique. Et, d’un point de vue pratique, cela n’aurait absolument aucun sens. Les gouvernements antiques, comme les gouvernements modernes, collectaient les impôts localement. Ils ne forçaient pas les citoyens ou les sujets à faire de longs trajets pour être comptés dans un recensement ou payer leurs impôts. Trop de gens ne s’y seraient tout simplement pas soumis.

 

En plus de tout cela, Rome ne recevait même pas les collectes d’impôts de Galilée ou de Judée à l’époque de la naissance de Jésus. Hérode le Grand était roi de tout le pays d’Israël. C’étaient les agents d’Hérode et non les fonctionnaires romains ni les soldats romains qui collectaient les impôts auprès de la population juive locale.

 

En fait, il n’y avait, à cette époque, aucun fonctionnaire ni soldat romain dans tout le royaume d’Hérode. Bien que le pays d’Israël fût un territoire important dans l’empire romain, c’était Hérode qui le gouvernait. Il était, bien entendu, citoyen romain et roi satellite nommé par le sénat romain et soutenu par l’empereur.  Mais il agissait essentiellement comme agent indépendant au nom de l’empire. Aucune légion romaine ne stationnait dans le royaume d’Hérode. La police d’Hérode était sa propre armée, constituée de Juifs, de Samaritains, d’Iduméens et d’autres païens et mercenaires étrangers.

 

***

 

Nous avons introduit pas mal de données nouvelles dans les quelques dernières pages. Prenons quelques instants pour résumer ce que nous savons jusqu’ici sur le voyage de Yosséf et Miryam jusqu’à Bethléhem.

 

Premièrement, ils n’ont pas fait ce voyage de plus de cent cinquante kilomètres  parce que Rome les y obligeait.

Deuxièmement, ils ne sont pas allés jusqu’à Bethléhem pour payer des taxes. Ils ne s’y sont pas non plus rendus pour être comptabilisés dans un recensement.

Troisièmement, ils n’ont pas été harcelés par des soldats ou des fonctionnaires romains. Ils n’étaient pas d’innocentes victimes des circonstances, poussés vers Bethléhem par des forces dont ils n’étaient pas maîtres.

Et quatrièmement, quand le bébé de Miryam est né à Bethléhem, ce n’était ni une surprise, ni une coïncidence.

C’est délibérément que Yosséf et Miryam ont déménagé de Nazareth vers Bethléhem. Le jeune couple savait ce qu’il faisait et il a mis son plan à exécution avec foi et décision. Ils se sont installés à Bethléhem dans la ferme intention d’y rester en permanence.  Ils y ont même acheté un terrain et se sont construit une maison dans la localité. Nous reviendrons plus loin sur cette maison.

 

C’est délibérément que Yosséf s’est inscrit et a inscrit sa femme au registre comme habitants de Bethléhem – un fait que nous lisons dans l’évangile de Luc.

 

Tout cela, Miryam et lui l’ont fait pour une raison précise : ils savaient tous les deux que son enfant serait le Messie d’Israël ! Ils étaient tous les deux au courant de la prophétie qui disait que le Messie d’Israël devait naître à Bethléhem et que l’on devait savoir qu’il était né à Bethléhem ! Et ils ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour réaliser cette prophétie.  

 

Notes du chapitre II

1. Le terme « avant » dans Luc 2:1-3

Dans le passage Luc 2:1-3 ci-dessus, le mot que j’ai traduit par « avant » est la traduction du grec proto comme le recommande F. F. Bruce, le spécialiste respecté du Nouveau Testament, au chapitre 7 de son étude fondatrice intitulée The New Testament Documents–Are They Reliable (Eerdmans, sixième édition, 1981).

 

 

 

CHAPITRE III

Miryam de Nazareth

 

Miryam de Nazareth était une jeune Juive remarquable. Ce que nous savons de son histoire provient essentiellement de l’évangile de Luc, mais on trouve quelques détails dans les autres évangiles du Nouveau Testament  et une ou deux des sources traditionnelles les plus anciennes. Remontons de quelque neuf mois dans son histoire et examinons ce qui est arrivé qui l’a mise sur le chemin de Bethléhem.

 

Comme la plupart des femmes des temps anciens, Miryam était probablement dans l’adolescence quand elle s’est fiancée. Sa conversation dans l’évangile de Luc donne à penser qu’elle avait une grande spiritualité, un courage et une volonté remarquables et une attitude particulièrement mûre pour une personne aussi jeune. Il est très vraisemblable qu’elle avait tout au plus dix-sept ans quand elle a été fiancée officiellement et visitée par l’ange.

 

Une source antique dit d’elle qu’elle était une jolie vierge.  Elle devait avoir les abondants cheveux noirs et les yeux noirs qui dominaient dans la région. Un autre récit antique, appelé le Protoevangelion, donne à ses parents les noms de Yo’akim et Hannah, des noms authentiquement juifs. Dans notre langue, Yo’akim est souvent rendu par Joachim. Et Hannah est écrit Anna en grec et, dans la littérature chrétienne traditionnelle, on l’appelle sainte Anne.

 

Le Nouveau Testament nous apprend aussi que Miryam avait une sœur. Dans nos Bibles, ce nom est habituellement rendu sous la forme « Salomé ». Mais en hébreu, on disait Shlomit. Elle était probablement plus jeune que Miryam de plusieurs années. Elle finit par épouser un homme appelé Zébédée et sera la mère de Jacques et Jean, cousins de Jésus, lesquels une fois devenus adultes seront choisis pour être deux des apôtres de Jésus.  (On trouvera une note supplémentaire sur Shlomit à la fin du chapitre.)

 

La jeune Miryam a donc grandi à Nazareth avec ses parents, Yo’akim et Hannah, et avec Shlomit, sa sœur cadette. Elle a à peu près dix-sept ans et est fiancée quand nous la rencontrons au chapitre un de l’évangile de Luc. Nous y lisons l’événement traditionnellement appelé l’Annonciation où l’ange annonce que Miryam va devenir la mère du Fils de Dieu.

 

Luc rapporte que l’ange Gabriel est apparu à Miryam au « sixième mois ». Ce devait être le sixième mois du calendrier juif. Ce calendrier se composait de douze mois lunaires d’une durée de vingt-neuf à trente jours. Dans le calendrier civil juif de l’époque de Yosséf et Miryam, l’année commençait au début de l’automne et on appelait le nouvel an rosh hashannah, premier jour du mois de tishri. Le sixième mois après le nouvel an s’appelait adar et il se situait entre notre fin février et notre fin mars. C’était au printemps en Israël.

 

Adar se situait encore dans la saison des pluies et les collines printanières de Galilée et de Judée étaient recouvertes d’une herbe verte luxuriante et de dizaines de milliers de belles fleurs sauvages multicolores : rouges, jaunes, bleues et blanches. L’ange Gabriel a dû visiter Miryam vers la fin d’adar, soit la fin mars. Nous pouvons calculer cela en nous basant sur le fait qu’immédiatement après la visite de l’ange, Miryam s’est rendue en Judée pour la pâque, qui avait lieu le mois suivant de nisan (nous en reparlerons au chapitre IV).

 

La visite de l’ange a été un événement qui a causé un grand choc et une grande surprise à Miryam. Luc écrit que les premiers mots de l’ange furent : « Je te salue, toi à qui une grâce a été faite ; le Seigneur est avec toi » (Luc 1:28).

 

Miryam en est restée sans voix, frappée qu’elle était de crainte à la vue et au son de ce messager venu du ciel. L’ange a continué à rendre son message : « Ne crains point, Marie ; car tu as trouvé grâce devant Dieu. Et voici, tu deviendras enceinte, et tu enfanteras un fils, et tu lui donneras le nom de Yeshua » (Luc 1:30-31).

 

Le nom hébreu Yeshua signifie « salut ». C’est le nom que nous prononçons « Jésus ». L’ange a expliqué : « Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père. Il règnera sur la maison de Jacob éternellement, et son règne n’aura point de fin » (Luc 1:32-33).

 

La réponse que la jeune fille fait à l’ange confirme qu’elle est vraiment vierge. Et elle révèle qu’elle est aussi totalement pure et vertueuse dans son cœur que dans sa personne physique. « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ? » (Luc 1:34)

 

La question est très révélatrice. C’était essentiellement : ‘Comment pourrais-je concevoir alors que je n’ai jamais eu de relations intimes avec aucun homme ?’ En d’autres termes, Miryam n’était pas encore devenue sexuellement active, ni avec Joseph à qui elle était fiancée, ni avec personne d’autre.

 

La réponse fut que Dieu, le Très-Haut, que beaucoup de Juifs appelaient leur Père céleste, rendrait Miryam capable de concevoir et d’enfanter. L’ange  lui expliqua de manière métaphorique que « la puissance du Très-Haut » couvrirait la jeune fille. Le Saint-Esprit viendrait d’abord sur elle pour la préparer et la sanctifier pour l’événement divin, comme rapporté par Luc : « Le Saint-Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C’est pourquoi le saint enfant qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu » (Luc 1:35).

 

L’ange n’expliquera pas en détail la façon dont le Très-Haut ferait en sorte que Miryam conçoive. La question de cette miraculeuse conception est devenu un sujet de discussion sans fin, mais il n’y a pas une seule âme sur terre qui soit capable de dire comment cela s’est fait. L’ange dira simplement en la quittant, et ses paroles ont été mémorisées par des millions de personnes : « Rien n’est impossible à Dieu » (Luc 1:37).

 

Et la volonté de Miryam de s’acquitter de sa tâche divine, une tâche dont elle ne pouvait pas avoir la notion à ce moment-là, apparaît dans sa dernière réplique à l’ange : « Marie dit : Je suis la servante du Seigneur ; qu’il me soit fait selon ta parole ! » (Luc 1:38).

 

Gabriel la quitte alors, la laissant méditer le message remarquable qu’elle a reçu et se préparer pour les événements à venir.

 

***

 

Une fois de plus, nous avons traité de sujets neufs dans notre exposé, de points dont on ne parle généralement pas dans la narration traditionnelle de l’histoire de Noël. Prenons quelques instants pour résumer ce que Miryam, la jeune fille de Nazareth, sait maintenant, suite à l’Annonciation, avant même que son bébé ne soit conçu.

 

Tout d’abord, Miryam savait que son fils serait le Fils de Dieu : l’ange l’avait appelé Fils du Très-Haut. Il ne serait pas le fils d’un quelconque mortel, quoi que puissent en dire les autres.

 

Deuxièmement, elle savait que son fils serait aussi le Messie d’Israël, l’Oint qui, comme l’avait dit l’ange, régnerait à jamais sur le trône de David comme Roi de la maison de Jacob.

 

Et troisièmement, elle savait même quel serait le nom de son fils : Yeshua ou, comme nous le dirions, Jésus, signifiant « Salut ».

 

Myriam possédait donc une connaissance préalable précise de la nature et de l’identité de son futur premier-né. Mais il y avait une chose qu’elle ne savait toujours pas, c’était comment Yosséf, son fiancé et futur mari, allait réagir à sa situation. Ce problème-là était encore éloigné de quatre mois et de nombreux kilomètres.

 

***

 

Notes du chapitre III

1 Shlomit

On connaît la sœur de Miryam par cinq passages du Nouveau Testament. Trois de ces passagers la décrivent comme présente en tant qu’adulte à la crucifixion de Jésus. Le récit de Marc 15:40, qui l’appelle Salomé (en grec et en français, voir aussi Marc 16:1), le nom que nous rendons dans ce livre sous sa forme authentique, Shlomit. Le récit de Matthieu 27:56 rapporte qu’elle était « la mère des fils de Zébédée » (voir aussi Matthieu 20:20). Et c’est Jean 19:25 qui relève qu’elle était la sœur de Miryam, mère de Jésus. L’idée que Shlomit était un peu plus jeune que Myriam découle de la notion générale que Jacques et Jean, les fils de Shlomit, étaient plus jeunes que Jésus, fils de Miryam. Bien que ceci ne soit pas une certitude absolue, la probabilité est élevée.

 

2 Le sixième mois

Dans La Crèche de pierre, la mention du « sixième mois » dans Luc 1:26 est présentée comme une allusion au sixième mois du calendrier juif ordinaire, le mois d’adar au printemps. On trouvera dans l’annexe 4, à la fin de ce livre, un bref traitement de ce problème et de la raison pour laquelle « le sixième mois » doit effectivement désigner le mois d’adar.

 

 

 

CHAPITRE IV

Rien n’est impossible

 

 

Nul ne sait comment le Fils de Dieu a été conçu à l’intérieur de la jeune vierge Miryam. Les détails n’ont jamais été révélés (voir « La notion de naissance virginale » dans l’annexe 1 à la fin de ce livre).

 

Nous ne savons pas non plus où l’événement miraculeux a eu lieu si ce n’est que Marie habitait Nazareth. Mais nous pouvons calculer approximativement quand cet événement a dû se produire.  La conception miraculeuse semble avoir eu lieu très vite après la visite de l’ange, peut-être immédiatement. Ce devait être vers la fin d’Adar ou du mois que nous appelons mars.

 

Nous le savons grâce à ce que Luc nous dit. Il dit qu’après l’apparition de l’ange, Miryam se rendit immédiatement en Judée (le texte de Luc dit « en hâte ») rendre visite à une parente, Élisabeth. Dès le début de la visite, cette femme plus âgée sentit que Miryam était enceinte : « Elle fut remplie du Saint-Esprit. Elle s’écria d’une voix forte : Tu es bénie entre les femmes, et le fruit de ton sein est béni » (Luc 1:41-42).

 

Cette bénédiction a pu être particulièrement importante pour Miryam, parce que Élisabeth était la fille d’un prêtre juif et, comme la vierge elle-même, de la lignée antique d’Aaron. Les paroles d’Élisabeth non seulement confirment pour nous que Miryam était déjà enceinte, mais reconnaissent aussi la nature divine de l’enfant nouvellement conçu que la jeune fille de Nazareth portait.

 

La célèbre réponse de Miryam à Élisabeth a été appelée le Magnificat : « Mon âme exalte le Seigneur, et mon esprit se réjouit en Dieu, mon Sauveur, parce qu’il a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante. Car voici, désormais toutes les générations me diront bienheureuse » (Luc 1:46-48).

 

Le voyage de Nazareth jusqu’en Judée eut lieu dans les jours qui suivirent la visite de l’ange et la conception de Miryam. Encore une fois, cela situe  cette conception entre la mi-mars et la fin mars, en d’autres termes à la fin d’adar, sixième mois de l’année juive.

 

Mais Miryam ne s’est certainement pas rendue seule en Judée. Une femme seule n’aurait jamais fait un voyage aussi long sans être accompagnée. Et elle n’était pas allée en Judée simplement pour visiter Élisabeth.

 

C’était justement à ce moment-là, au printemps, qu’avait lieu à Jérusalem la fête annuelle de la pâque, pendant le mois de nisan. Les familles de la Galilée se rendaient à la capitale au début du mois de nisan pour y être largement avant le début de la semaine de la fête. C’est certainement pendant la visite de sa famille à Jérusalem pour la pâque que Miryam eut sa première conversation avec Élisabeth.

 

Miryam a certainement dû faire à pied, au commencement de nisan, les cent cinquante kilomètres jusqu’à Jérusalem, un voyage de cinq jours avec une groupe qui comprenait non seulement ses parents, Yo’akim et Hannah, et sa sœur Shlomit, mais aussi d’autres parents et amis de Nazareth. À Jérusalem ils allaient avoir une grande réunion de famille.

 

La pâque était une fête familiale. Le 10 nisan, un jour ou deux après leur arrivée, Yo’akim a dû se procurer un agneau et le mettre de côté pendant quatre jours. Le 14 nisan, le groupe de Yo’akim a dû emmener l’agneau dans la cour du temple de Jérusalem, le célèbre temple d’Hérode. Bien que les portiques extérieurs fussent toujours en cours de construction, c’était le complexe le plus vaste et le plus décoré de tous les temples de l’empire romain. Des dizaines de milliers de personnes remplissaient les deux hectares et demi de l’esplanade, le 14 nisan, pour faire immoler leurs agneaux de la pâque près de l’autel du temple.

 

Chaque famille rôtissait son agneau tout l’après-midi dans un four de briques d’argile spécialement préparé dans la cour de sa maison si elle habitait Jérusalem. On avait installé des fours du même genre dans les cours des auberges de la ville et dans les centaines de terrains de camping situés tout autour de Jérusalem juste à l’extérieur des murailles de la ville. Ce n’était qu’à Jérusalem que l’on pouvait manger le repas rituel composé de l’agneau rôti, de pain sans levain et d’herbes amères. La fête était bien entendu complétée par d’autres aliments de fête préparés pour l’occasion. Chaque année, les Juifs venaient de partout dans le pays d’Israël, de tout l’empire romain et de la région de Babylone dominée par les Perses, célébrer la pâque à Jérusalem.

 

Miryam et le reste de la famille de Yo’akim ont dû rester avec leur parenté pour la semaine de la pâque, peut-être même avec la famille de Zakarya et d’Élisabeth. Ou peut-être ont-ils logé dans l’une des nombreuses maisons d’hôtes de la capitale. Ou alors, ils ont pu loger dans l’un des centaines de camps permanents qui existaient à l’extérieur de la ville. On ne nous le dit pas.

 

Mais nous savons que Miryam est restée en Judée après la fête de la pâque. Elle n’est pas retournée à Nazareth avec sa famille ce printemps-là. Au lieu de cela, avec l’approbation de ses parents, elle est restée chez Zakarya et Élisabeth.

 

Luc nous dit qu’elle a vécu avec Élisabeth pendant trois mois avant de retourner chez elle à Nazareth. Elle n’était enceinte que de deux ou trois semaines quand la pâque est arrivée. Pendant les onze ou douze semaines qui ont suivi la fête, elle a vécu avec ses parents judéens. Elle a dû apprécier de pouvoir converser avec sa parente plus âgée, car Élisabeth était également enceinte de six mois, portant l’enfant qui allait être Jean-Baptiste. Miryam a dû passer son premier trimestre à aider Élisabeth pendant son dernier trimestre à elle. C’est peut-être même pour qu’elle puisse aider Élisabeth que Yo’akim et Hannah sont partis sans leur fille.

 

Luc nous dit simplement que Zakarya et Élisabeth vivaient dans une ville de Judée. Il n’en donne pas le nom, mais ce n’était pas Jérusalem. Les chrétiens du quatrième siècle ont conservé des traditions contradictoires concernant l’endroit où Jean-Baptiste est né. L’une d’elles situe l’événement à Yutah, un village près de Hébron, à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest de Jérusalem. Une autre tradition mieux accréditée et peut-être plus vraisemblable veut que Jean soit né à Ein Kerem, petit village juif à quelque sept kilomètres à l’ouest de Jérusalem. C’est très probablement là que vivaient Zakarya et Élisabeth.

 

Si tel a été le cas, Miryam a pu visiter plusieurs fois Jérusalem après la pâque pendant son séjour auprès d’Élisabeth en Judée. Il est presque certain qu’il y a eu une visite à la capitale et au mont du temple cinquante jours après la pâque, lors de la « fête des semaines » biblique. Aussi appelée shavou’ot en hébreu, la fête a habituellement lieu vers la fin de notre mois de mai. Le Nouveau Testament, écrit en grec, l’appelle la Pentecôte.

 

En dépit du travail que cela représentait d’aider Élisabeth, Miryam a dû se plaire en Judée et à Ein Kerem, loin de la lente régularité de la vie à Nazareth. Pendant la difficulté et l’inconfort de son premier trimestre, qui a sans doute connu les nausées matinales ainsi que les changements physiologiques habituels du début de la grossesse, Miryam a probablement apprécié les conseils et la compréhension d’Élisabeth.

 

Mais d’après Luc, Miryam va quitter la maison de Zakarya au bout de trois mois, juste avant qu’Élisabeth n’accouche de Jean. Aucune raison ne nous est donnée. Peut-être la nouvelle de la grossesse de Miryam, qui entre-temps a dû devenir visible, est-elle venue aux oreilles de ses parents et son père est-il venu la chercher pour la ramener à la maison. Les cinq jours de voyage de retour à Nazareth ont dû se situer vers la fin de notre mois de juin. Le trajet, long de cent cinquante kilomètres par les collines de Samarie et la vallée de Jizreel, a dû être cette fois plus ardu pour la jeune femme, non seulement à cause de son état, mais parce que la chaleur de l’été était arrivée.

 

Au moment où elle arrive dans les collines boisées de Galilée et entre dans le village de Nazareth cet été-là, juste début juillet, Miryam commence son quatrième mois de grossesse. Cela se voit et tout le monde dans le village va bientôt s’en apercevoir, en particulier le jeune homme à qui elle est fiancée. Miryam a dû se dire : « Qu’est-ce que Yosséf va penser ? »

 

 

 

CHAPITRE V

Yosséf, fils de David

 

 

Yosséf de Nazareth était un jeune homme tout à fait remarquable. Il se distingue parmi tous les hommes de l’histoire : fort, prévenant et héroïque. Mais dans ce qu’on a dit de lui dans les commentaires, il y a beaucoup à corriger.

 

L’une des fausses traditions qui ont circulé à son sujet au cours des siècles c’est que c’était un homme d’un certain âge qui, avant  de rencontrer la jeune vierge Miryam, avait déjà été marié. Cette tradition affirme aussi que Yosséf avait plusieurs fils et filles du mariage précédent. Ces allégations apparaissent pour la première fois dans le Protoevangelion, une œuvre de fiction du troisième siècle, écrite en grec, qui a eu du succès au quatrième siècle parmi les chrétiens. Mais le Protoervangelion contredit tout à fait les récits du Nouveau Testament concernant Yosséf et Miryam (voir la note à la fin de ce chapitre). Sa description de Yosséf et de Miryam est presque entièrement inexacte.

 

Par contre, ce que nous pouvons dire avec une certaine certitude au sujet de Yosséf est bien plus intéressant. Il a dû naître vers 30 av. J.-C. à une ou deux années près et était vraisemblablement au milieu de la vingtaine quand il a épousé Miryam. Cela veut dire qu’il devait avoir huit ou neuf ans de plus qu’elle. Mais cela n’avait rien d’exceptionnel à son époque et dans sa culture. Les jeunes hommes devaient souvent travailler plusieurs années pour économiser de l’argent pour la dot qu’il fallait remettre à la famille de la jeune fille pour pouvoir l’épouser.

 

La tradition fait aussi de lui un pauvre charpentier. Ce n’était certainement pas le cas. S’il appartenait à coup sûr à la classe ouvrière, il n’était pas le menuisier démuni que l’on a amené le monde à croire. En fait, il n’était même pas charpentier. Il était tailleur de pierre de son métier.

 

Le texte grec originel du Nouveau Testament utilise le mot tektôn pour décrire Yosséf et son fils adoptif, Jésus. (Les passages du Nouveau Testament où tektôn apparaît sont Matthieu 13:55 et Marc 6:3). Le mot grec tektôn signifiait littéralement  « bâtisseur ». Les traductions traditionnelles rendent erronément tektôn par « charpentier ». On peut sans doute pardonner cette erreur aux traducteurs puisque beaucoup de bâtiments en Europe étaient en bois. Mais dans l’Israël antique, tous les bâtiments étaient en pierre. Le mobilier était taillé dans la pierre. Les bâtisseurs professionnels comme Yosséf et le garçon qu’il a élevé n’étaient pas du tout charpentiers. Ils étaient tailleurs de pierre.

 

Dans l’hébreu et l‘araméen que Yosséf parlait avec ses amis et ses voisins, le terme utilisé pour désigner un tailleur de pierre ou un bâtisseur était boneh (accent sur la deuxième syllabe). Pour dire « le bâtisseur », on ajoutait l’article défini ha au terme boneh. Yosséf, le tailleur de pierre, devait être appelé Yosséf ha-Boneh.

 

Réfléchissons un instant à la façon dont ceci pourrait s’appliquer à Jésus. En grandissant, il a appris auprès de Yosséf les techniques d’un maître tailleur de pierre. Devenu jeune homme, Jésus a lui-même travaillé comme bâtisseur pendant plus de quinze ans avant de commencer ses activités de rabbi. Pendant tout ce temps, on a dû l’appeler Yeshua ha-Boneh, « Jésus le bâtisseur ». Mais plus tard, devenu rabbi et ayant mis fin à sa période de bâtisseur, il aura plutôt reçu le nom de la localité où il avait grandi et on l’a appelé Yeshua ha-Natzri, « Jésus le Nazaréen » ou, comme nous le disons plus souvent, « Jésus de Nazareth ».

 

Dans ses enseignements et ses paraboles, Jésus ne parlait jamais de menuiserie, mais il employait des images et u symbolisme empruntés à la construction qu’il connaissait bien. Par exemple :

 

Un homme prudent qui a bâti sa maison sur le roc… un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable (Matthieu 7:24, 26).

 

La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la principale de l’angle (Matthieu 21:42)

 

Jésus a même donné au chef de ses apôtres, qui s’appelait Shimon, le nom symbolique Kefa (que notre Bible rend par Céphas). En araméen de Galilée, kefa désignait un bloc de pierre grossièrement taillé. C’est ce mot qui a été traduit Petros en grec et qui nous est parvenu [en français sous la forme Pierre]. L’homme que nous appelons « Simon Pierre », Jésus l’a appelé Shimon Kefa. 

 

Mais revenons à Yosséf. Le Nouveau Testament lui attribue deux lignées généalogiques distinctes. L’évangile de Matthieu le fait fils de            Yakov (Jacob) et petit-fils de Matthan. Mais dans Luc, c’est respectivement Héli et Matthat (variante de Matthan). Les deux noms donnés à son père, Yakov et Héli, indiquent probablement qu’on lui avait donné les deux noms, ce qui n’aurait rien de surprenant. Son prénom complet devait sans doute être Yakov Héli, fils de Matthan. Ainsi, Yosséf, le tailleur de pierre, était fils de Yakov  Héli, lui-même fils de Matthan.

 

Matthieu et Luc attribuent à Yosséf des généalogies masculines différentes à partir de son grand-père Matthan (voir le tableau ci-dessous). Luc ne donne pas la généalogie de Miryam comme on le prétend souvent – il donne l’un des lignages de Yosséf. Matthieu donne très vraisemblablement le lignage masculin de la mère de Matthan et Luc probablement le lignage paternel du père de Matthan. Cela n’aurait rien d’étonnant non plus. L’important pour Yosséf (et essentiellement pour Jésus) était que les deux lignages généalogiques de Yosséf remontent jusqu’à David, le roi biblique qui avait régné mille ans auparavant sur Israël.

 

 

 

 

Généalogies de Yosséf de Nazareth dans le Nouveau Testament

(choix de générations)

 

Matthieu chapitre 1                                                                                        Luc chapitre 3                                  

        Abraham                                                                                                             Abraham

           Isaac                                                                                                                       Isaac

    Jacob (Yakov)                                                                                                     Jacob (Yakov)

                   ¡                                                                                                                            ¡

                   ¡                                                                                                                            ¡

            Obed                                                                                                                   Jobed

              Isaï                                                                                                                        Isaï

   Le roi David                                                                                                        Le roi David

                ¡                                                                                                                            ¡

              ¡                                                                                                                             ¡

       Salathiel                                                                                                             Salathiel

     Zorobabel                                                                                                           Zorobabel

        Abiud                                                                                                                  Abiud

                ¡                                                                                                                            ¡

                ¡                                                                                                                            ¡

          Eliud                                                                                                                   Jannaï

        Eléazar                                                                                                                Melchi

 [femme de Lévi]                                                                                                       Lévi

                ¡                                                                                                                            ¡

                                                                              ¡

                                                          Matthan (Matthat)

                                                                              ¡

                                                                    Yakov Héli

                                                                               ¡

                                                            Yosséf de Nazareth

 

Yosséf n’était pas unique dans son lignage davidique. Beaucoup d’hommes de son époque pouvaient se réclamer de l’antique famille royale de Judée. La ‘maison de David’ avait été grande – une dynastie qui avait régné pendant plus de quatre siècles, de 1000 à 586 av. J.-C. L’attaque babylonienne qui détruisit la Jérusalem et la Judée de l’âge du fer mit également fin au règne des héritiers de David. Mais via Zorobabel (qui vécut vers 530 av. J.-C.) les descendants de la dynastie continuèrent à vivre. Et Yosséf de Nazareth était spécial en ce sens qu’il faisait partie d’un petit nombre de Juifs qui possédaient plus d’un lignage à partir du roi David.

 

Il y avait une grande raison pour laquelle le lignage davidique était important pour les Juifs de l’époque de Yosséf. Les prophètes bibliques, depuis Ésaïe jusqu’à Daniel, avaient prédit un retour final de l’antique royaume israélite qui serait gouverné par un descendant de David, couramment appelé « fils de David ». Il était attendu de cet homme qu’il soit suscité et oint par Dieu pour être un roi juste qui rachèterait le peuple juif de l’oppression et inaugurerait une période de rédemption spirituelle pour la Maison d’Israël.

 

Le terme hébreu Meshiah (qui signifie « l’oint ») était utilisé pour décrire de « fils de David » prophétisé. Dans le texte grec du Nouveau Testament, le terme Christos (qui signifie aussi « l’oint ») est employé pour décrire le Meshiah juif. Nous, nous disons « Messie » plutôt que Meshiah et au lieu de Christos, nous disons « Christ ». En d’autres termes, le nom-titre « Jésus le Messie » est la même chose que si l’on disait « Jésus le Christ ».

 

Chapitre 5   Notes

Note 5 :1 Protoevangelion

Le Protoevangelion est une œuvre de fiction religieuse, écrite en grec  au IIIe siècle apr. J.-C., qui a été populaire parmi les chrétiens du IVe siècle. Il prétendait raconter l’histoire de Miryam et de Yosséf avant (proto) les événements décrits dans les évangiles authentiques de Matthieu et de Luc. 

Nous avons déjà mentionné le Protoevangelion au chapitre III parce qu’il y est question du nom des parents de Miryam, Yo’akim et Hannah. Ce sont là des noms juifs authentiques et c’est probablement la seule information correcte de ce texte. À part les noms, le Protoevangelion ne cadre pas avec les récits du Nouveau Testament concernant Yosséf et Miryam ni avec ce que les archéologues et les historiens savent de la vie, de la culture et de la religion juives en Israël. Il fourmille d’erreurs concernant le pays d’Israël, la ville de Jérusalem, le Temple et son administration, l’ordre sacerdotal et les procédures du Temple et presque tous les aspects du pays, de la culture et de l’époque qu’il prétend décrire.

 

Le Protoevangelion a été créé plus de trois siècles après le temps de Jésus par des personnes qui ne connaissaient ni Yosséf ni Miryam, qui n’étaient pas juives et qui n’avaient pas vécu en terre d’Israël. Sa description bizarre du couple est souvent absurde et presque entièrement incorrecte, ce qui est la raison pour laquelle nous mettons ici le lecteur en garde.

 

 

 

CHAPITRE VI

Une vierge enceinte

 

Joseph devait avoir vingt-cinq ou vingt-six ans, comme nous l’avons déjà mentionné, quand nous le rencontrons au premier chapitre de l’évangile de Matthieu.

 

Jeune homme célibataire, il habitait vraisemblablement encore chez son père, Yakov Héli. Et il devait déjà travailler depuis plus d’une décennie comme tailleur de pierre. Les chantiers étaient abondants à Sepphoris, capitale de la Galilée occidentale, à quelques kilomètres au nord de Nazareth. Et Yosséf avait certainement pu épargner suffisamment d’argent pour proposer à Yo’akim, père de Miryam, une dot suffisante pour pouvoir obtenir sa main en mariage.

 

Le descendant travailleur de David avait dû épargner suffisamment pour acheter une parcelle modeste de terrain pour y construire une maison pour sa jeune épouse.

 

C’est au plus fort de l’été, à la mi-juillet selon notre calendrier, que Miryam revient en Galilée après avoir passé trois mois chez Élisabeth. Son père, Yo’akim, s’était rendu en Judée pour accompagner la jeune femme pour les cinq jours à pied depuis la Judée, en passant par la Samarie, pour rentrer dans son village natal de Nazareth.

 

Mais à son arrivée dans ce village de montagne, il a dû être évident pour ceux à qui Yo’akim permettait de voir sa fille, que quelque chose était arrivé à celle-ci. La belle Miryam était dans son quatrième mois de grossesse ! Matthieu mentionne la situation de la jeune femme en termes sobres et prosaïques : « Marie, sa mère, ayant été fiancée à Joseph, se trouva enceinte, par la vertu du Saint-Esprit, avant qu’ils eussent habité ensemble » (Matthieu 1:18).

 

Matthieu ne rapporte pas la réaction initiale des parents de Miryam, mais nous pouvons imaginer qu’ils ont été surpris et perturbés. Il ne rapporte pas non plus la réaction des gens du village qui se sont aperçus de sa situation.  Mais il est facile d’imaginer les réactions diverses des gens dans une localité aussi petite que Nazareth en apprenant  qu’une adolescente célibataire était enceinte. Cela a certainement dû être un moment difficile à passer pour Miryam. Mais le Nouveau Testament reste muet sur ses déboires éventuels avec la collectivité locale. Tout ce dont Matthieu nous fait part, c’est la réaction de son futur mari : « Joseph, son époux, qui était un homme de bien et qui ne voulait pas la diffamer, se proposa de rompre secrètement avec elle » (Matthieu 1:19)

 

Une petite explication s’impose ici. Bien que le mariage entre Yosséf et Miryam n’ait pas encore eu lieu officiellement, les fiançailles, engagement à se marier, étaient un accord officiel et faisant force de loi dans la société juive. Il est correct, dans son contexte, que Yosséf soit appelé « son époux » dans ce passage,  alors que nous, dans notre culture, nous n’utiliserions ce terme qu’après la cérémonie du mariage.

 

Yosséf savait que l’enfant que Miryam portait ne pouvait pas être le sien. Cela nous en dit beaucoup sur lui qu’en dépit du fait qu’il a dû se sentir trahi, il ne s’est pas laissé emporter par la colère ou le ressentiment et qu’il n’a pas cherché à la couvrir de honte. Son intention d’annuler leur mariage en privé et de rompre discrètement avec elle montre qu’il n’était pas seulement un brave garçon, mais qu’il avait aussi des sentiments très profonds pour Miryam.  Il n’était pas question pour lui de la voir publiquement déshonorée ou humiliée, même s’il ne savait que penser de son état.

 

Nous ne savons pas combien de jours Yosséf s’est rongé les sangs face à la décision à prendre. Mais c’est à un moment donné de cette épreuve qu’un ange, peut-être le même ange qui était apparu des mois plus tôt à Miryam, va lui parler dans une révélation nocturne. « Comme il y pensait, voici, un ange du Seigneur lui apparut en songe, et dit : Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie, ta femme, car l’enfant qu’elle a conçu vient du Saint-Esprit ; elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus [Yeshua] ; c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Matthieu 1:20).

 

Nous le répétons, le nom Yeshua était aussi le mot hébreu qui signifiait « Salut ». Jésus, comme le monde allait l’appeler, « sauverait » son peuple. C’étaient maintenant Myriam et Yosséf qui savaient d’avance comment ils devaient appeler l’enfant.

 

***

 

Suite à cette révélation, Yosséf, dont l’ange avait également confirmé l’origine davidique, savait maintenant quatre choses :

 

Premièrement, et c’était certainement la chose la plus importante pour lui à ce moment-là, Yosséf savait que Miryam, sa future épouse bien-aimée, ne l’avait pas trahi : elle n’avait pas eu de relations avec un autre homme.  Sa grossesse était un acte miraculeux de Dieu. Aussi fantastique que cela pouvait paraître, Yosséf croyait complètement à la révélation.

 

Deuxièmement, il savait que son mariage avec Miryam aurait la bénédiction du ciel, car c’était implicite dans ce que l’ange avait dit.

 

Troisièmement, il savait que le fils que Myriam allait enfanter serait divin. Mais il en apprendrait plus sur le sujet de Miryam elle-même.

 

Et enfin, Yosséf savait aussi qu’il allait devoir assumer le rôle de père adoptif du futur enfant de Miryam. Il lui avait été dit : « Tu lui donneras le nom de Jésus [Yeshua] ». Cela voulait dire que ce serait Yosséf lui-même qui donnerait le nom à l’enfant, une prérogative du père dans ce contexte culturel.

 

Dans le contexte juif, cela signifiait aussi présider à la circoncision de l’enfant, le huitième jour après la naissance, pour conférer le nom. Et cela voulait aussi dire, que l’enfant, du fait qu’il était l’enfant adoptif de Yosséf, hériterait des prétentions de celui-ci au lignage davidique. En vertu de la loi écrite et du droit coutumier, le fils de Miryam serait appelé « fils de Yosséf » et hériterait de plein droit de l’héritage généalogique de Yosséf.

 

Ce ne serait pas le lien sacerdotal aaronique de Miryam qui aurait le plus d’importance dans l’identité du garçon, mais l’héritage davidique royal de son tuteur, Yosséf. En temps voulu, les gens appelleraient le fils de Miryam « fils de David », un terme dans la société juive qui désignait directement le Messie d’Israël.

 

***

 

Le récit de Matthieu laisse entendre que Yosséf n’a pas perdu de temps après son songe révélateur et le message de l’ange, et a épousé sa fiancée. « Joseph s’étant réveillé fit ce que l’ange du Seigneur lui avait ordonné, et il prit sa femme avec lui » (Matthieu 1:24).

 

Il est impossible de deviner à quel point le mariage a été public compte tenu de la grossesse visible de la jeune mariée.  Il est probable que seule la famille et les intimes y ont assisté. Mais même ces personnes-là ont dû croire que la grossesse de Miryam était le fait de Yosséf.  Qui aurait cru le couple s’il avait dit qu’un ange lui avait parlé et que Miryam était toujours vierge, que son enfant avait été conçu miraculeusement  sans la participation de Yosséf ni d’aucun autre homme ?

 

Le village de Nazareth tout entier a dû croire que Miryam et Yosséf avaient conçu l’enfant des mois auparavant. Comme Yosséf épousait la femme enceinte, ils ne pouvaient que conclure qu’il reconnaissait lui-même avoir engendré l’enfant. On imagine les chuchotements qui ont fait le tour du village sur le jeune couple, même quand leur mariage a eu lieu.

 

Mais Yosséf et Miryam vont y survivre. Ils se marient  et commencent leur vie commune à Nazareth. Le secret qu’ils abritent concernant le futur enfant va les renforcer tous les deux face à l’embarras familial et à la curiosité publique.

 

Matthieu rapporte aussi qu’ils veillent bien à ce qu’il ne se passe rien entre eux  qui puisse porter atteinte à l’identité divine de l’enfant. Ils n’auront pas de rapports sexuels, alors même qu’ils sont mariés, avant la naissance de l’enfant plusieurs mois plus tard.  « Mais il ne la connut point jusqu’à ce qu’elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus » (Matthieu 1:25).

 

Matthieu comprenait  que la conception miraculeuse et la naissance virginale du fils messianique de Miryam avaient été prédites huit siècles plus tôt par Ésaïe, le voyant. Il insère dans son récit un passage prophétique tiré du septième chapitre d’Ésaïe : « Tout cela arriva afin que s’accomplît ce que le Seigneur avait annoncé par le prophète: Voici, la vierge sera enceinte, elle enfantera un fils, et on lui donnera le nom d’Emmanuel, ce qui signifie Dieu avec nous » (Matthieu 1 :23).

 

Bien entendu, cette prophétie, qui se  trouve dans Ésaïe 7:14, avait un contexte historique situé à la fin du VIIIe siècle av. J.-C. Les savants juifs comprenaient généralement ce passage dans le contexte du conflit entre Juda et Israël au cours du règne du roi Achaz. Mais il semble que Yosséf l’ait compris comme concernant sa jeune épouse, qui avait conçu alors qu’elle était toujours jeune fille. Avec le temps, il a dû transmettre cette conception à sa famille. Matthieu, l’évangéliste, était probablement le neveu de Yosséf.

 

Le nom Emmanuel dans la prophétie est la combinaison de trois mots hébreux : im veut dire « avec », anu signifie « nous » et el est le terme qui désigne Dieu. Emmanuel, comme le précise Matthieu, signifie « avec nous Dieu » ou, en d’autre termes, « Dieu est avec nous ». En conséquence de la conception virginale et de la naissance de Jésus, Dieu allait effectivement être avec nous dans la condition mortelle, ici-bas. Il devenait clair pour Yosséf que la prophétie d’Ésaïe prédisait la conception et la naissance miraculeuses de Jésus.

 

Mais il y avait aussi une autre prophétie, connue de Yosséf, et aussi de Matthieu et de quasiment toute la nation juive. Elle prédisait la venue du Messie comme souverain de la nation d’Israël. Et cette prophétie indiquait le sud, le sud où était Bethléhem.

 

 

 

CHAPITRE VII

Le déménagement vers Bethléhem

 

 

C’est probablement dans les premières semaines qui ont suivi leur mariage que Yosséf et Miryam ont dû décider de déménager vers Bethléhem. Ils ont dû entreprendre leur voyage peu après avoir pris cette décision, peut-être dès le mois d’août.

 

Pendant les premiers jours de leur mariage, tandis qu’ils vivaient à Nazareth, les jeunes mariés se racontèrent les choses que l’ange leur avait dites à chacun séparément. L’intimité et la confiance qui s’établirent entre eux lors de ces conversations allaient les fortifier en vue de ce qui allait arriver. Ils s’empressèrent de comparer tout ce qu’ils savaient de l’enfant que Miryam portait et de ce que cela allait signifier dans leur vie commune.

 

Il avait été dit à tous les deux que l’enfant s’appellerait Yeshua (« Salut »), rappel de sa mission comme Sauveur. Mais Yosséf avait seulement appris que le bébé avait été conçu sous l’influence du Saint-Esprit, tandis que l’ange avait également dit à Miryam que son enfant serait le Fils du Dieu Très-Haut et hériterait du trône de David. Quand Yosséf apprit ceci de la bouche de sa femme, que l’enfant serait le Messie, le « fils de David », il apparut immédiatement que Miryuam et lui ne pouvaient pas rester à Nazareth. Yosséf sut que sa femme et lui devaient aller s’installer en Judée, à Bethléhem.

 

Michée, l’antique prophète juif, contemporain d’Ésaïe, avait prédit que le souverain futur d’Israël (le Messie) viendrait de Bethléhem. De même que le roi David était né plus de mille ans plus tôt à Bethléhem, le « fils de David » serait envoyé dans la condition mortelle dans ce même village de Judée.

 

« Et toi, Bethléhem Ephrata, petite entre les milliers de Juda, de toi sortira pour moi Celui qui dominera sur Israël, et dont l’origine remonte aux temps anciens, aux jours de l’éternité » (Michée 5:2 ; 5:1 dans la Bible hébraïque).

 

Ephrata, mot qui signifie « fertile », désignait aussi  Bethléhem. Et ce passage était bien connu des Juifs qui attendaient que Dieu envoie l’Oint. Le chapitre dans lequel il apparaît  était une haftara (un passage des prophètes lu à haute voix lors du service hebdomadaire à la synagogue). Le chapitre en question n’était lu qu’une fois par an au cours de l’été et Yosséf l’avait probablement entendu récité justement ce même mois.  Il était universellement reconnu que ce passage prédisait que le Messie naîtrait à Bethléhem. Dans les évangiles du Nouveau Testament, la prophétie est mentionnée tant au deuxième chapitre de Matthieu qu’au septième chapitre de Jean.

 

Yosséf et Myriam en conclurent tous les deux qu’ils devaient déménager vers Bethléhem. Cela n’avait rien à voir avec des taxes ou avec un recensement. Ils se rendaient tout simplement compte que leur fils devait naître dans l’ancienne patrie du roi David pour accomplir la prophétie de Michée et pour être reconnu comme l’Oint d’Israël.

 

Mais cela n’allait pas être facile. Bethléhem se trouvait à cent cinquante kilomètres au sud de Nazareth. Ni Yosséf ni Miryam n’avaient de famille ni d’amis là-bas. Ils ne connaissaient personne dans la localité et ils allaient être, comme l’aurait dit Moïse, des étrangers dans un pays étranger.  Il leur faudrait reconstruire toute leur vie dans une communauté inconnue.

 

Leur déménagement aurait au moins l’avantage que personne à Bethléhem ne serait au courant de leur histoire. Là-bas, personne ne saurait que Miryam avait conçu des mois avant leur mariage. Le couple échapperait au moins aux regards critiques et aux commérages des villageois de Nazareth où leur vie était devenue si inconfortable.

 

Joseph et Miryam firent donc des préparatifs pour quitter Nazareth. Ils réunirent les possessions dont ils auraient besoin. Ce n’était probablement pas plus que ce qu’ils pouvaient mettre sur le dos d’un seul âne. Le jeune couple fit avec émotion ses adieux à ses parents, à sa famille et à ses amis et partit pour la Judée.

 

Il est vraisemblable qu’ils firent à pied les cinq jours de voyage puisque l’animal de Yosséf portait les bagages. Bien qu’enceinte de près de cinq mois, Miryam était toujours capable de suivre l’antique piste qui traversait la vallée de Jizreel, montait dans les collines de Samarie et menait vers le sud à la Judée. Leur dernier jour de marche, ils passèrent devant Jérusalem, la plus grande ville du pays, et firent encore les huit kilomètres qui les séparaient du village où ils allaient s’installer.

 

Arrivés à Bethléhem, leur premier souci fut de trouver un endroit où loger. Il n’y avait pas d’hôtels dans le village. Ce que nos Nouveaux Testaments appellent parfois pompeusement « hôtellerie » (traduction du grec kataluma) était simplement une chambre d’hôtes dans une maison du village. Ces logements n’étaient pas toujours disponibles, mais il est possible que le couple ait pu avoir une chambre d’hôtes simple pour ses quelques premiers jours dans le village.

 

Pendant ces premiers jours, Yosséf exécuta deux parties importantes du plan que Miryam et lui avaient conçu pendant qu’ils étaient encore à Nazareth. L’une d’elles consistait à aller trouver le magistrat du village et de les faire inscrire, sa femme et lui, comme résidents de Bethléhem. Comme nous l’avons déjà vu, c’est écrit dans l’évangile de Luc : « Joseph aussi monta de la Galilée, de la ville de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David, appelée Bethléhem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David, afin de se faire inscrire avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte » (Luc 2:4-5).

 

Pour pouvoir s’inscrire comme résidents, Yosséf était obligé de prouver que Miryam et lui, nouvellement arrivés dans le village, allaient s’y installer de manière permanente. Ceci ne posa cependant aucun problème grâce à l’autre partie de leur plan. Yosséf prit une grosse somme d’argent qu’il avait emportée de Nazareth et acheta un lopin de terre à l’extrémité sud-est du village. Il commença à y construire une maison pour sa jeune femme et lui.

 

 

 

 

 

CHAPITRE VIII

La maison construite par Yosséf

 

 

Les gens sont presque toujours surpris quand ils apprennent que Yosséf s’est construit une maison à Bethléhem. Mais le Nouveau Testament mentionne bel et bien cette maison dans laquelle Yosséf et sa jeune femme vivaient. Le deuxième chapitre de l’évangile de Matthieu rapporte que quand les mages sont venus de l’Orient à  Bethléhem à la recherche du nouveau-né qui allait être le Messie, ils ont trouvé Miryam et le bébé dans une maison : « Ils entrèrent dans la maison, virent le petit enfant avec Marie, sa mère, se prosternèrent et l’adorèrent » (Matthieu 2:11).

 

C’était la maison construite par Yosséf. Il l’avait construite pour abriter sa petite famille puisqu’ils s’étaient inscrits à Bethléhem et avaient l’intention d’y vivre de manière permanente. Leur intention était que le fils de Miryam non seulement naisse à Bethléhem mais y soit aussi inscrit et y grandisse pour être finalement connu sous le nom de « Jésus de Bethléhem ».

 

À Nazareth, Yosséf n’aurait pas été obligé d’acheter un terrain ni de construire une maison avant de prendre Miryam pour femme. Le jeune couple aurait pu vivre dans la maison du père de Yosséf, Yakov Héli, jusqu’à ce que le jeune bâtisseur puisse mener à bien l’achat d’un endroit à Nazareth où il pourrait construire sa maison. Il en allait tout autrement à Bethléhem. Yosséf n’y avait pas de famille où il aurait pu loger. Il lui fallait prendre ses dispositions pour construire immédiatement sa maison.

 

Il était rare que l’on achète ou vende des maisons dans un petit village comme Bethléhem. Les familles vivaient dans leurs maisons pendant des générations et ne vendaient pas les bâtiments. Yosséf ne pouvait pas s’attendre à pouvoir acheter une  maison existante dans la localité qui allait être sa nouvelle demeure pas plus qu’il ne pouvait espérer en louer une. Même si une maison avait été disponible, il aurait été beaucoup plus coûteux avec le temps de l’acheter ou de la louer que d’acheter un lopin de terre et de la construire lui-même.  

 

Et Yosséf était un homme qui pouvait construire sa maison lui-même. Il était tailleur de pierre de métier et il avait construit de nombreux bâtiments au cours de ses années de métier dans les collines de Galilée. Il était plus que capable de construire sa maison, en majeure partie tout seul. Les matériaux de construction étaient les mêmes à Bethléhem que ceux avec lesquels il avait travaillé en Galilée, la calcaire blanc du pays d’Israël.

 

N’étant pas fermier, il n’avait pas besoin d’un grand terrain pour sa maison de Bethléhem. Il ne lui fallait pas de grandes prairies pour faire paître du bétail ou des moutons, pas plus qu’il ne lui en fallait pour un verger, un vignoble ou une grande oliveraie. Le bout de terrain modeste qu’il acheta devait être simplement assez grand pour sa maison, quelques oliviers et arbres fruitiers, un potager et une place pour abriter son âne et une ou deux chèvres pour avoir du lait. Il se peut qu’avec le temps il aurait voulu agrandir sa petite propriété et créer un verger ou une oliveraie plus grande. Mais pour le moment, sa famille allait vivre de son métier de tailleur de pierre et non de la culture de champs étendus.

 

Depuis des siècles, les propriétés étaient mesurées au dunnam dans le pays d’Israël.  Le mot dunnam est toujours utilisé aujourd’hui tant parmi les Juifs que par les Arabes d’Israël. Un dunnam équivaut à peu près à dix ares et la plupart des terres dans l’Israël antique étaient achetées et vendues sur la base de cette mesure. Yosséf a probablement acheté un seul dunnam de terre pour sa maison. Ce devait être suffisant pour ce qu’il voulait faire.

 

Le gros de l’agglomération de Bethléhem se situait autour du puits du village qui était alimenté par une source d’eau pure souterraine. C’était ce même puits qui est mentionné dans l’histoire de David quand il aspirait à « boire de l’eau de la citerne qui est à la porte de Bethléhem » (2 Samuel 23:15-16). La rue principale qui menait dans le village bifurquait de la route vieille de deux mille ans qui menait de Jérusalem à Hébron. Au nord des limites de la petite localité, il y avait un bâtiment de pierre, un monument construit au-dessus de l’antique tombe de Rachel, la matriarche biblique.

 

Du temps de Yosséf, le voyageur qui venait de Jérusalem passait devant la tombe de Rachel et faisait quelques centaines de mètres avant d’entrer dans Bethléhem par le nord. Il arrivait presque immédiatement sur la place du village et devant l’antique puits de David. Au cours des siècles, Bethléhem s’était étendue vers le sud à partir du puits et beaucoup de ses citoyens vivaient maintenant au sud du vieux centre du village.

 

Le dunnam de terrain acheté par Yosséf de Nazareth était assez loin du centre du village. Il occupait un promontoire  à plus de huit cents mètres au sud-est du puits. Le terrain était accidenté sur le versant sud-est de la colline au sommet de laquelle se trouvait le village. De grandes plaques de roche calcaire affleuraient. Il y avait un certain nombre de petites grottes de calcaire çà et là sur la colline environnante. L’une de ces grottes se trouvait sur le terrain acheté par Yosséf pour sa maison.

 

Les matériaux de construction pour la maison de Yosséf abondaient sur ses dix ares d’escarpement orienté vers l’est. Il y avait de la pierre calcaire partout et il n’allait pas y avoir de problème pour extraire des blocs de pierre pour le bâtiment.

 

Il y avait heureusement aussi des petites sources d’eau le long de ce promontoire. L’une d’elles était à quelques dizaines de mètres du terrain de Yosséf. Cela voulait dire que Miryam n’aurait pas à faire à pied tout le chemin jusqu’au puits de David sur la grand place de Bethléhem pour rapporter à la maison la quantité d’eau nécessaire chaque jour.

 

Du lopin  de terre de Yosséf et Miryam on avait un beau panorama vers l’est jusque dans les oliveraies à flanc de colline en contrebas et les étendues non cultivées de broussailles où les bergers juifs faisaient paître leurs troupeaux à longueur d’année. Plus loin vers l’est s’étendait le désert judéen où se trouvait la colline en forme de cône au sommet de laquelle le roi Hérode avait construit la forteresse du Hérodion, son palais principal en dehors de Jérusalem.  Le paysage diversifié à l’est allait rendre la nouvelle maison de Yosséf d’autant plus agréable à vivre.

 

Après leur arrivée vers la fin de l’été, cela a dû prendre une quinzaine de jours à Yosséf pour trouver ce terrain, un terrain qui répondait aux besoins du couple et dont le prix ne dépassait par la somme qu’il épargnait depuis longtemps dans ce but. Cela a pu prendre plus de quinze jours, mais les négociations et l’achat étaient certainement terminés dès septembre.

 

Lorsque le couple prit possession de son terrain, il s’y installa et commença à y vivre avant même que la maison ne fût construite. La grotte peu profonde dans l’escarpement calcaire constituait un abri parfait. Il allait lui servir de camp temporaire pendant les quelques mois qu’il allait falloir à Yosséf pour construire la maison. C’était beaucoup mieux que vivre sous la tente. La grotte leur offrait fraîcheur  et protection contre le soleil de la fin de l’été et contre la brise glacée des nuits d’automne. Avec seulement un petit feu pour la cuisson, ce devait aussi être un logement chaud et sec pendant les pluies d’hiver trois mois plus tard.

 

Yosséf et Miryam installèrent donc un petit logement de fortune dans la petite grotte peu profonde de roche calcaire sur leur lopin de terre récemment acheté à l’extrémité sud-est de Bethléhem. Ils allaient passer quatre ou cinq mois dans cette grotte. Ils ne se seraient jamais douté qu’elle deviendrait un jour un site célèbre dans le monde entier.

 

De nos jours, des touristes et des pèlerins venus du monde entier se rendent à Bethléhem pour célébrer leurs traditions concernant la naissance de Jésus. Ils entrent dans « l’église de la Nativité, un bâtiment datant du septième siècle situé à côté de la « Place de la Crèche » et restent impressionnés devant l’architecture byzantine ancienne de la chapelle. (Voir la description de l’église dans l’annexe 3). En dessous de l’autel médiéval de la chapelle, il y a une pièce décorée. On y accède en descendant des marches de pierre décorées, la grotte que Yosséf a utilisée comme logement temporaire et dans laquelle Miryam a donné le jour à son fils, Yeshua, le bébé que le monde allait appeler Jésus.

 

 

 

CHAPITRE IX

La vie dans la grotte

 

Avant même que Yosséf puisse commencer à se construire une maison pour sa femme et lui, il y avait un certain nombre de choses urgentes à faire. Parmi les premières, il y avait une crèche à fabriquer pour que son âne ait à boire.

 

Cela n’a dû prendre que quelques heures à Yosséf pour découper un gros morceau de roche calcaire détaché pour en faire un bloc d’environ cinquante centimètres de haut sur cinquante centimètres de long. Il suffisait qu’il ait t trente centimètres de large et le bassin qu’il creusa au sommet du bloc ne devait avoir que quinze à vingt centimètres de profondeur. Mais cette auge de pierre serait suffisamment profonde pour contenir de l’eau pour répondre aux besoins de leur animal pendant un jour.

 

Il se peut que Yosséf ait découpé une deuxième crèche un peu plus petite pour une chèvre que Miryam et lui ont dû acheter pour avoir du lait et du fromage. Les animaux pouvaient paître l’herbe sauvage riche qui poussait dans les champs non cultivés situés en contrebas de leur domicile. Qu’elle soit brune et sèche en été ou nouvelle et verte pendant la saison des pluies en hiver, elle était nourrissante, disponible toute l’année et gratuite.

 

C’était probablement la tâche de Miryam d’emmener les animaux paître dans les champs une heure le matin et en fin d’après-midi, en tous cas jusqu’à ce que sa grossesse soit avancée au point qu’elle ne pourrait pas parcourir le sentier abrupt. Elle a dû voir d’autres personnes paître leurs animaux dans les mêmes champs. Les bergers juifs poussaient des troupeaux entiers de moutons et de chèvres de lieu en lieu dans les kilomètres et les kilomètres de champs herbeux des collines de Bethléhem, profitant de la nourriture abondante qui y poussait toute l’année.

 

Ayant dépensé la plus grande partie de ses économies pour acheter le terrain, Yosséf, avant de pouvoir commencer à construire sa maison, avait une autre chose à faire : trouver un travail rémunéré.

 

Contrairement à la tradition populaire, Yosséf et Miryam n’étaient pas pauvres. Ils n’étaient pas sans abri non plus. Il est évident qu’ils n’étaient pas riches. La meilleure description que l’on peut faire d’eux, c’est dire qu’ils appartenaient à la classe ouvrière.  Yosséf avait travaillé dur pour avoir l’argent qu’il avait économisé pour son mariage et dont il allait maintenant avoir besoin pour entretenir sa petite famille. Heureusement il y avait à l’époque beaucoup de travail pour un tailleur de pierre capable.

 

Il a pu travailler à des chantiers de construction occasionnels à Bethléhem. Il y avait toujours quelqu’un qui souhaitait agrandir une maison existante ou en construire une nouvelle. Mais il aura plus vraisemblablement trouvé un travail permanent  à Jérusalem située à quelque huit kilomètres au nord. Le plus grand chantier de tout l’empire romain était en cours sur la magnifique montagne du temple. Les artisans comme Yosséf étaient demandés et pouvaient facilement y trouver du travail.

 

Le complexe monumental du temple juif, que nous appelons le temple d’Hérode, était depuis longtemps en cours de construction. Quinze ans plus tôt, en 20 av. J.-C., le roi Hérode avait entrepris ce chantier pour démanteler le temple de Zorobabel, vieux de cinq cents ans, et pour ériger à sa place un nouvel édifice plus spectaculaire. La construction du temple proprement dit n’avait pris que dix-huit mois et avait été assurée par plus de mille prêtres d’Aaron spécialement formés comme tailleurs de pierres.

 

Mais la construction des cours extérieures, des murs de soutien, des rues  et d’une basilique royale dans le complexe continua pendant des années. Le site tout entier couvrait une superficie de 145 dunnams (neuf hectares). Et tout était en pierre, de la pierre qu’il fallait couper, tailler et graverer de décorations sculptées par des artisans qualifiés.

 

Un artisan capable comme Yosséf pouvait gagner deux deniers par jour, ce qui équivalait à quatre sheqels (sicles). Un sicle était une pièce d’argent qui valait à peu près la moitié d’un denier

(le denarius romain). Un sheqel valait une vingtaine de nos euros et un denier (deux sheqels) était ce qu’un ouvrier non qualifié ou un ouvrier agricole pouvait gagner en une journée complète de travail. Mais un artisan comme Yosséf prenait le double de cette somme. Transposé dans le langage d’aujourd’hui, Yosséf gagnait  quelque chose comme quatre-vingts euros par journée de travail pour sa main d’œuvre spécialisée.

 

Le travail quotidien de Yosséf fournissait à Miryam de l’argent pour acheter des produits alimentaires de base comme de l’huile d’olive, de la viande, de la volaille, des légumes, des fruits et du vin. Elle pouvait aussi acheter  quotidiennement de la pat (pain de pita) fraîche auprès du boulanger local ou, pour épargner quelques prutas, elle pouvait acheter du blé qu’elle pouvait moudre en farine pour faire elle-même son pain. En plus de la chèvre, le couple a pu acheter deux ou trois poules pour avoir des œufs frais.

 

Ils devaient cependant faire preuve de sagesse dans la gestion de leur argent et ne pouvaient gaspiller le moindre pruta, la plus petite des pièces juives, qui valait l’équivalant de 80 cents dans la monnaie d’aujourd’hui. Dans nos Bibles, le pruta est souvent appelé « obole » ou « quadrant ».

 

Yosséf devait également acheter des ciseaux et d’autres outils relatifs à son travail tant à la montagne du temple à Jérusalem que pour la construction de sa maison à Bethléhem. Et il allait avoir besoin d’autres matériaux de construction tels que des cordes, des perches de bois et des poulies.

 

Pour gagner l’argent dont il allait avoir besoin, mais aussi pour avoir du temps pour la construction, Yosséf travailla probablement trois ou quatre jours sur les six jours ouvrés de la semaine sur le chantier de la montagne du temple. Il devait se lever tôt, avant l’aube, et il lui fallait une heure et demie pour faire les huit kilomètres qui séparaient Bethléhem de Jérusalem. Quand l’hiver succéda à l’automne et que les journées devinrent plus courtes, il ne passa plus que sept à huit heures par jour sur le chantier. Il arrivait chez lui à la grotte à la tombée de la nuit.

 

Il consacrait les deux autres jours de chaque semaine à construire la maison pas loin de l’entrée de la grotte. La première chose qu’il fit fut de choisir l’un des endroits où la roche affleurait à l’endroit le mieux situé de son terrain et d’évacuer la fine couche de terre recouvrant la roche tout autour de l’endroit choisi. Une fois une superficie suffisante dénudée pour la maison, il fallut la niveler pour former l’assise. Cela se fit à l’aide d’un marteau et d’un ciseau et prit plusieurs journées complètes.

 

Une fois le plan des murs mesuré, il fit, dans la roche nivelée, une tranchée de fondation de quelques centimètres de profondeur sur quarante centimètres de large, juste assez pour y adapter proprement la première rangée de blocs.

 

Miryam put aider Yosséf pour beaucoup de tâches dans la construction. Leur âne et de la corde servirent à traîner des morceaux de roche détachés suffisamment grands pour en faire des blocs jusqu’à l’emplacement des futurs murs de la maison. Une fois tous les gros morceaux de roche libres utilisés, Yosséf dut extraire des pierres dans le massif rocheux. Il a peut-être découpé des pierres de l’intérieur de la grotte, ce qui aurait aussi permis d’en niveler le sol et les parois et de donner plus d’uniformité à l’espace intérieur.

 

Comme nous l’avons déjà vu, on appelait kefa un bloc de pierre brut dans l’araméen parlé par les bâtisseurs galiléens. Mais une fois proprement taillé, le bloc de pierre était appelé du terme hébreu plus ancien gazit. Pour s’assurer qu’un gazit était coupé parfaitement carré pour qu’il s’adapte de manière rigoureuse aux autres blocs du mur, les tailleurs de pierre utilisaient une équerre généralement en bronze.

 

On se servait d’un autre outil pour déterminer les dimensions des blocs ainsi que la longueur et la hauteur des murs et d’autres éléments du bâtiment. C’était  une règle de bois ou de bronze d’environ cinquante-quatre centimètres de long appelée amah en hébreu et en araméen. Dans nos Bibles on l’appelle « coudée ».

 

Dans les murs de la maison construite par Yosséf, chaque bloc de pierre avait une longueur d’une coudée ou cinquante-quatre centimètres. Il n’était pas nécessaire d’utiliser des pierres plus grandes dans une construction de taille réduite. Des pierres plus longues qu’une coudée auraient  de toute façon été trop lourdes pour que Yosséf ait pu les soulever avec le système de levage léger qu’il utilisait.

 

Le système en question pouvait être placé avec des perches en bois au-dessus de la partie du mur sur laquelle il travaillait. Il servait à soulever les blocs à un ou deux mètres au-dessus du sol pour les mettre en place à mesure que les murs montaient.

 

Une des tâches auxquelles Miryam pouvait aider, même dans sa grossesse avancée,  était de fixer la corde de la poulie une fois que Yosséf avait monté le bloc suffisamment haut. Ils travaillaient ensemble, lui hissant et posant soigneusement chaque bloc de pierre, elle fixant l’extrémité de la corde à une pierre beaucoup plus grande par terre à quelques mètres du mur. Yosséf tirait sur le bloc pour le mettre en place et, à son signal, Miryam détachait son extrémité de la corde de la grosse pierre et le gazit se déposait dans l’espace qui lui était réservé.

 

Il fallait à Yosséf et à Miryam toute une journée (neuf à dix heures) de travail pour tailler, faire la finition et poser six à sept blocs tout au plus. Lui veillait tout particulièrement à ce qu’elle ne fasse pas d’efforts excessifs. Rien ne devait la mettre en danger ni l’enfant qu’elle portait.

 

Il allait leur falloir des mois pour construire leur modeste maison. Mais au bout de plusieurs semaines, les murs montaient et le jeune couple pouvait se réjouir à l’idée de passer de la grotte à leur maison confortable.

 

 

CHAPITRE X

de l’automne à l’hiver

 

Vers la fin de notre mois de septembre, c’était le Nouvel-an juif. Le premier jour du premier mois, appelé tishri,  marquait la « fête des trompettes ».  Déjà alors on l’appelait du nom qu’on lui donne toujours aujourd’hui, rosh hashannah la « tête de l’année ».

 

Le temple d’Hérode à Jérusalem était au centre de la fête. Des milliers d’hommes, chacun avec son shofar (corne de bélier) en main, faisait sonner sa trompette toute la journée. Les sacrifices accomplis sur le grand autel de bronze étaient accompagnés du bruit fait par cinquante mille fidèles visitant les vastes cours du complexe, marquant le début de l’automne.

 

Rosh hashannah était un grand sabbat, un yom tov, même quand il tombait un jour de semaine. Un jour comme celui-là, Yosséf ne travaillait certainement pas à la construction de sa maison. Il est probable que sa femme et lui sont allés jusqu’à Jérusalem pour participer aux festivités. Cette nouvelle année allait être l’une des plus mouvementées de leur vie.

 

Miryam était maintenant enceinte de six mois. Tant de choses s’étaient produites depuis que Yosséf avait appris, juste trois mois plus tôt, qu’elle attendait un enfant. Leur mariage, leur décision de quitter Nazareth, leur long voyage jusqu’en Judée, leur installation à Bethléhem et la maison qu’ils avaient commencé à construire, il y avait largement de quoi alimenter leurs réflexions en ce jour de fête. Mais l’avenir leur réservait encore tant de choses.

 

Son deuxième trimestre de grossesse n’avait pas été physiquement difficile s’agissant de porter son bébé. Mais elle avait travaillé dur avec son mari pour s’installer temporairement dans leur grotte et l’aider à construire la maison. Et les trois mois à venir allaient apporter des problèmes encore plus grands du fait qu’elle s’arrondissait de plus en plus et était de moins en moins capable de se déplacer et de travailler.

 

Dix jours après rosh hashannah, au début de notre mois d’octobre, venait le jour de jeûne solennel du yom kippour– le jour biblique des Expiations. Comme le voulait la Torah (la Loi de Moïse), Yosséf jeûna du coucher du soleil au coucher du soleil, vingt-quatre heures sans nourriture ni boisson. Mais pas Miryam étant donné que l’interprétation de la Torah exemptait toute personne chez qui l’absence de nourriture pourrait être nuisible pour sa santé. Le bien-être de son futur enfant était trop important pour risquer un jeûne, même à yom kippour.

 

Quatre jours après yom kippour commençait souccoth, une fête qui durait une semaine. Souccoth veut dire « cabanes », mais la Bible traditionnelle appelle souccoth « fête des tabernacles ». Les sept jours de la fête annuelle de souccoth servaient à la fois de fête de la moisson d’automne et de rappel du séjour de l’antique Israël dans le désert du Sinaï avec le prophète Moïse. Des sacrifices et des festivités joyeuses avaient lieu au temple de Jérusalem. Les Juifs priaient à haute voix dans leur talit, leur châle de prière, tandis qu’ils tenaient dans les mains le traditionnel « quatre espèces », un agrume appelé étrog (« citron » en français) et un bouquet de branches d’arbres comprenant du saule, du myrte et un loulav ou feuille de palmier.

 

Chaque famille construisait une hutte appelée soucca dans son champ, sa cour ou même sur le toit plat de sa maison. La soucca était faite de perches de bois couvertes de feuilles de palmier ou d’autres branches d’arbres. Pendant la semaine de la fête, les familles prenaient leurs repas et passaient même la nuit, quand le temps le permettait, dans leurs souccoth. En dépit du fait que Miyam et lui vivaient déjà dans un abri improvisé, il est probable que Yosséf construisit une petite soucca où sa femme et lui prenaient leurs repas, juste à l’extérieur de leur grotte, à côté de leur maison inachevée.

 

Jérusalem était bondée de milliers de visiteurs pendant le mois de tishri quand rosh hashannah, yom kippour et souccoth se succédaient sur une période de trois semaines. (On trouvera la mention de ces fêtes d’automne dans Lévitique 23:24-44). Pendant cette période, les travaux du grand complexe du temple s’interrompaient et Yosséf dut se concentrer sur la construction de sa maison. Il ne travaillait pas le jour du sabbat hebdomadaire (samedi) ni les jours des fêtes elles-mêmes, qui étaient aussi des sabbats. Mais pendant les quelque quatorze jours intermédiaires de la période des fêtes, il put s’avancer pas mal dans ses travaux.

 

Bloc après bloc, rangée après rangée, les murs de sa maison montaient. L’ouverture de la porte devenait maintenant la seule façon d’entrer à l’intérieur des murs. Vers la fin du mois de tishri ils étaient à mi-hauteur.

 

Les travaux du complexe du temple reprirent leur cours normal après la fête de souccoth. Yosséf pouvait de nouveau avoir un travail rémunéré. Et comme il avait passé plus de trois semaines sans gagner d’argent, il essaya probablement de compenser les pertes pendant la période que nous appelons novembre et décembre en travaillant un jour supplémentaire par semaine à Jérusalem.

 

Mais cela voulait dire qu’il aurait un jour de moins par semaine pour travailler sur sa maison. Et l’hiver arrivait.

 

En Israël, la saison des pluies commence généralement en novembre. Les jours refroidissent et deviennent plus courts et il peut pleuvoir une fois par semaine ou tous les dix jours. En décembre, les pluies deviennent plus fréquentes et bien qu’il soit rare qu’il gèle, l’air devient vraiment froid.

 

Pour le chauffage aussi bien que pour la cuisine, Miryam entretenait un petit feu dans un poêle en céramique juste à l’intérieur de l’entrée de la grotte là où la pluie ne risquait pas de l’éteindre. Les branches séchées taillées sur les vignes, les oliviers et les arbres fruitiers constituaient le combustible habituel.  Elle devait probablement acheter des fagots au marché ou à des voisins puisque son mari et elle n’avaient pas encore leurs propres vignes ou arbres. Mais le coût était modique.

 

Les jours où Yosséf restait à Bethléhem pour travailler à leur maison, Miryam aidait du mieux qu’elle pouvait. Elle était incapable d’accomplir quoi que ce soit qui lui imposait un effort physique, à elle et au bébé, et, de toutes façons, Yosséf ne voulait pas qu’elle fasse d’efforts. Versé dans des coupes de céramique et sucré d’un peu de miel, le nana, ou thé chaud, constituait une douceur bienvenue quand Miryam l’apportait à Yosséf tandis qu’il taillait les blocs de pierre près des murs grandissants de la maison.

 

Le mois juif appelé kislev correspond à peu près à notre mois de décembre. Une autre fête juive importante avait lieu à la fin de ce mois-là. Ce n’était pas une fête imposée par la Torah (la Loi de Moïse) ; elle n’avait pas été commandée à Israël par les prophètes bibliques. Cette fête-ci commémorait l’indépendance des Juifs par rapport à la Syrie au cours du deuxième siècle avant Jésus-Christ et la purification et la dédicace  du vieux temple de Jérusalem profané par les occupants syriens. Cette fête durait huit jours et le Nouveau Testament l’appelle la fête de la Dédicace (Jean 10:22). En hébreu, le mot « dédicace se dit hanoucca.

 

Le mois de kislev était aussi le neuvième mois de la grossesse de Miryam. On a du mal à l’imaginer faire à pied les huit kilomètres jusqu’à Jérusalem pour visiter cet hiver-là le temple à l’occasion de hanoucca, l’enfant pouvant naître d’un jour à l’autre. Elle a dû rester à Bethléhem, bien en sécurité dans la grotte qui servait de logement au couple depuis près de quatre mois.

 

Yosséf ne se rendit probablement pas non plus à Jérusalem pour la fête. Il fallait aider Miryam à des tâches quotidiennes qu’elle ne pouvait plus accomplir.  Il pouvait aussi travailler tous les jours à leur maison puisque les travaux du complexe du temple étaient arrêtés le temps de la fête avec son affluence.

 

Hanoucca commençait vers la fin du mois juif, le 25 kislev. À ce moment-là, le mois de décembre bien entamé, les murs de la maison étaient quasiment terminés. Les blocs de pierre devaient maintenant atteindre une hauteur de près de trois mètres. De petites fenêtres avaient été pratiquées sur les quatre côtés des murs. Elles allaient permettre aux rayons du soleil d’entrer au niveau des yeux pour éclairer les pièces. Lorsque l’entrée avait atteint la hauteur voulue, Yosséf avait posé un unique bloc de pierre pour servir de linteau au-dessus de l’entrée.

 

La maison n’était pas finie pour autant. Il n’y avait pas de toit et les murs intérieurs avaient peut-être encore besoin d’être achevés, les murs qui allaient diviser le bâtiment sans étage en trois ou quatre pièces. Ils allaient aussi porter les poutres étroites de pierre qui allaient supporter le toit. Étant donné les pluies d’hiver, tant que le toit n’était pas fini, Yosséf et Miryam ne pourraient pas s’installer dans la maison. On était maintenant vers la fin de kislev. Et Miryam était sur le point de donner le jour à son fils.

 

 

CHAPITRE XI

Pas de place à l’hôtellerie

 

Nous ne connaissons pas le jour ni la date exacts de la naissance du Fils de Dieu. C’était presque certainement en décembre, selon notre calendrier, vers la fin du mois juif de kislev. C’était même probablement pendant la fête de hanoucca. Miryam avait conçu neuf mois plus tôt, vers la fin du mois d’adar, en plein mois de mars.

 

Mais nous ne pouvons pas dire avec la moindre certitude que la naissance s’est produite le 25 décembre, le jour de Noël des traditions catholique et protestante (voir annexe 5). Nous ne pouvons pas non plus dire que ce fut le 7 janvier, le Noël traditionnel du christianisme orthodoxe. Ce que nous pouvons dire, et ce sans hésitation, c’est que la naissance de Jésus se produisit un jour proche du point  culminant de notre période moderne de Noël. Et sachant que nos fêtes de Noël modernes se produisent au moment correct de l’année, cela peut réellement contribuer à donner de l’éclat à cette période.

 

Yosséf a dû se rendre compte que la maison ne serait pas finie avant la naissance de l’enfant. L’Évangile de Luc dit qu’il n’y avait « pas de place à l’hôtellerie » (littéralement, « pas de place dans une kataluma » ou chambre d’hôtes). Cela veut dire que Yosséf était parti à la recherche d’une chambre dans le village où sa femme pouvait enfanter plutôt que de laisser l’événement se produire dans leur grotte.

 

Il ne cherchait pas simplement un abri, puisque leur grotte le leur fournissait déjà. Et le confort n’était probablement pas la raison puisqu’il avait déjà dû prendre, des mois auparavant, des dispositions pour que Miryam ait un bon lit dans la grotte et un endroit confortable où elle pourrait s’asseoir avec lui pour prendre les repas et passer le temps.

 

Ce que Yosséf cherchait probablement, c’était une chambre d’hôtes, dans une maison de Bethléhem, où l’hôtesse de la maison assurerait les repas. Dans une chambre comme celle-là, Miryam se verrait, du moins pendant quelques jours, épargner  toute cuisine ou autre devoir domestique que d’accoucher et d’allaiter son nouveau-né.

 

Cela ne veut pas dire que Yosséf n’était pas disposé à aider au ménage. Mais c’était un homme jeune dans une société traditionnelle qui ne savait probablement pas faire la cuisine. Il pouvait sans doute se débrouiller quand il était seul, mais il aurait voulu de meilleurs repas pour Miryam et une main féminine pour l’aider avec le nouveau-né pendant les quelques premiers jours aussi bien que d’autres choses pour lesquelles il se trouvait maladroit.

 

Une chambre d’hôtes dans un ménage local où la maîtresse de maison fournirait les repas, voilà très exactement ce que le texte grec de l’évangile de Luc décrit. Le terme kataluma, traduit par erreur hôtellerie dans nos Bibles, ne désigne pas réellement un équipement hôtelier. Il ne désigne pas non plus un caravansérail (un gîte d’étape caravanier médiéval avec des chambres multiples entourant une cour à l’air libre) comme le laissent entendre certains vieux commentaires bibliques. Kataluma désigne une chambre d’hôte chez un privé comme nous venons de le décrire.

 

Mais Bethléhem était un village et le nombre de maisons qui avaient des chambres supplémentaires à mettre à la disposition de visiteurs était limité. Apparemment Yosséf ne réussit pas à trouver une seul chambre d’hôtes inoccupée. Il n’y avait tout simplement pas de chambre à louer au moment où il en avait le plus besoin.

 

C’est ainsi qu’arriva enfin le jour d’hiver où Miryam mit son petit garçon au monde. C’était le plus grand jour de l’histoire de notre monde, le jour du tout premier Noël.

 

***

 

Est-ce le matin ou l’après-midi que Miryam commença à sentir les douleurs de son travail ? Et combien d’heures cela dura-t-il avant que le ‘bébé de Bethléhem’ ne naisse ? Ce sont des détails que l’Écriture ne rapporte pas. Quel temps faisait-il en dehors de la grotte ? La tradition veut généralement que la nativité ait eu lieu par une froide nuit d’hiver. La neige est très rare en Judée et il est rare qu’il gèle. Il y avait sans doute du vent et de la pluie. Peut-être était-ce une journée ensoleillée avec une température fraîche mais douce. Ces deux types de temps sont normaux en décembre pour la Judée.

 

Quant à la naissance elle-même, elle semble avoir eu lieu tard dans la journée, peut-être au crépuscule, ou même peu après la tombée de la nuit. Nous pouvons le supposer parce que peu après la naissance du bébé, des bergers juifs qui se trouvaient sur les pentes herbeuses à l’est de Bethléhem, veillant « de nuit » sur leurs moutons, reçurent la visite d’un ange qui leur dit que le bébé était né « aujourd’hui ». Cela voulait sans doute dire que l’événement s’était produit avant le coucher du soleil et que l’apparition des anges s’était produite un peu après le coucher du soleil.

 

Cependant, si l’ange parlait du jour biblique juif, qui commençait au coucher du soleil, la nuit devait déjà être tombée au moment où le travail de Miryam était à son maximum. Comme Yosséf et Miryam étaient tous les deux Juifs, tout comme l’enfant qu’elle mettait au monde, c’était vraisemblablement du jour juif que l’ange parlait. Jésus naquit très vraisemblablement  deux ou trois heures après le coucher du soleil en cette nuit d’hiver.

 

Miryam et Yosséf étaient-ils seuls tout au long de cet accouchement ? Il s’était peut-être arrangé pour faire venir une sage-femme à la grotte, on ne sait pas. Luc se concentre sur Yosséf et Miryam et, pour ce qui est de ce dernier, il n’est question que de Miryam. On ne peut que deviner la durée et la difficulté de l’accouchement. L’évangile dit simplement : « elle enfanta son fils premier-né. Elle l’emmaillota, et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans [une chambre d’hôtes] » (Luc 2:7).

 

Ainsi donc, le bébé Yeshua, l’enfant Jésus, était enfin né. Le Fils de Dieu commençait  son existence dans la condition mortelle comme un minuscule et frêle humain. Il poussa son premier cri. Son cordon ombilical fut noué et il fut lavé avec douceur avec un tissu plongé dans de l’eau chaude. Miryam emmaillota le petit garçon  dans des couvertures qu’elle avait préparées pour cette occasion. Elle le tint un certain temps contre elle, puis elle le posa soigneusement sur une autre couverture pliée dans le creux de l’auge de pierre que Yosséf avait installée dans la grotte près de leur lit.

 

Le nouveau-né maintenant endormi, Miryam pouvait se recoucher, épuisée de sa grossesse et de son accouchement. Yosséf l’installa aussi confortablement que possible. Le couple a dû contempler un certain temps, la main dans la main, leur fils. Yosséf dut se dire que sa jeune épouse était bien belle près de cette crèche dans laquelle se trouvait son nouveau-né. Ce mari dévoué apporta à sa femme un repas simple et à boire. Maintenant elle pouvait se reposer.

 

Un petit feu dans le poêle à l’entrée de la grotte réchauffait l’air à l’intérieur. La lumière vacillante de quelques petites lampes éclairait vaguement les parois irrégulières  au fond de la grotte où Miryam était maintenant couchée sur le lit sur un matelas de toile fourré de laine de mouton. Les lampes de céramique de couleur brun-rouge se trouvaient dans de petites niches que Yosséf avait creusées dans les parois calcaires de la grotte. L’huile d’olive qui brûlait dans les lampes remplissait l’air d’une odeur agréable.

 

Une des lampes se trouvait dans une niche près du lit de Miryam, juste au-dessus de la crèche de pierre, éclairant légèrement le tailleur de pierre de Nazareth, la jeune Vierge qui était sa femme et le nouveau-né qui allait être connu sous le nom de « Lumière du monde ». C’était le tout premier Noël.

 

 

CHAPITRE XII

Ceci sera un signe

 

À l’est de Bethléhem, les collines à terrasses et les vallées de Judée descendent sur quatre ou cinq kilomètres avant de se fondre dans une région désertique. Les bergers font paître, tout au long de l’année, leurs moutons et leurs chèvres dans l’herbe de ces collines ondoyantes parsemées d’oliveraies, occasionnellement de champs de blé et de broussailles.

 

Du temps de Yosséf, des groupes de bergers, habituellement des hommes d’une même famille, géraient de grands troupeaux. Le travail était dur mais honorable et avait vingt siècles d’histoire. Mille ans avant que Yosséf ne commence à construire sa maison, les bergers de Juda surveillaient déjà leurs troupeaux à Bethléhem. L’un d’eux était un jeune homme appelé David, qui finit par devenir roi d’Israël. On peut imaginer Yosséf debout à l’entrée de sa grotte regardant dans le noir et pensant à son ancêtre berger qui était devenu roi.

 

À l’intérieur de la grotte, Miryam nourrissait pour la première fois son nouveau-né. Yosséf se retourna pour contempler sa femme et son bébé. Elle s’était emmitouflée avec l’enfant dans des couvertures de laine pour combattre la fraîcheur de la nuit. Yosséf raviva le feu dans leur poêle avec des baguettes sèches provenant de la taille des vignes. Puis il se retourna et tourna de nouveau le regard vers l’est.

 

À un ou deux kilomètres de là, il pouvait voir d’autres petits feux sur les collines en terrasse, des bergers juifs qui se réchauffaient en veillant sur leurs moutons et leurs chèvres pendant la nuit d’hiver. L’évangile de Luc rapporte l’apparition d’un messager céleste à un groupe de ces bergers au cours des heures qui suivirent la naissance de Jésus pour leur apprendre, à leur grand étonnement, que leur attente était terminée et que leur Messie était arrivé. « Il y avait, dans cette même contrée, des bergers qui passaient dans les champs les veilles de la nuit pour garder leurs troupeaux. Et voici, un ange du Seigneur leur apparut, et la gloire du Seigneur resplendit autour d’eux. Ils furent saisis d’une grande frayeur. Mais l’ange leur dit : Ne craignez point ; car je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera pour tout le peuple le sujet d’une grande joie: c’est qu’aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Et voici à quel signe vous le reconnaîtrez: vous trouverez un enfant emmailloté et couché dans une crèche. Et soudain il se joignit à l’ange une multitude de l’armée céleste, louant Dieu et disant: Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, Et paix sur la terre parmi les hommes qu’il agrée ! Lorsque les anges les eurent quittés pour retourner au ciel, les bergers se dirent les uns aux autres : Allons jusqu’à Bethléhem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître. Ils y allèrent en hâte, et ils trouvèrent [Miryam et Yosséf], et le petit enfant couché dans la crèche » (Luc 2:8-16).

 

Les bergers juifs se hâtèrent de traverser les collines et les vallées vers Bethléhem. Cela dut leur prendre une heure ou plus pour faire le chemin dans le noir, plus de trois kilomètres sur des pistes abruptes. Et une fois arrivés dans le village, la recherche ne devait pas être simple. On était au milieu d’une nuit noire et froide. Les gens dormaient. Les bergers durent aller de maison en maison et éveiller des gens qui seraient naturellement irrités par leur visite.

 

Il leur fallut peut-être une heure de plus ou davantage pour trouver la grotte ou Yosséf et Miryam vivaient. On peut imaginer l’inquiétude du jeune couple en entendant des inconnus approcher au milieu de la nuit puis leur étonnement quand on leur demanda s’ils avaient un nouveau-né qui était dans une crèche.

 

« Comment êtes-vous au courant ? » ont-ils dû demander aux bergers qui durent alors parler de l’apparition d’une foule d’anges célestes dans les collines à l’est. Ce fut certainement une nouvelle merveilleuse et réconfortante pour Yosséf et sa femme d’entendre que, dès la nuit même, Dieu avait révélé à d’autres personnes en Judée que le nouveau-né de Miryam était le Messie. Elle n’oublia jamais la visite des bergers ni ce qui leur était arrivé. Luc écrit : « [Miryam] gardait toutes ces choses, et les repassait dans son cœur » (Luc 2:19).

 

La « nativité » originelle dans la grotte mal éclairée de Yosséf était tout à fait différente de ce que nous avons l’habitude de voir représenté dans les arts et les médias religieux. Les bergers y étaient, naturellement. Mais les « mages » qu’on nous montre d’habitude n’apparurent pas la nuit de la naissance du bébé et n’arriveraient pas à Bethléhem avant plusieurs semaines.

 

Yosséf ne possédait pas de moutons et il est évident que les bergers n’avaient pas apporté de moutons cette nuit-là à Bethléhem. Le tableau que nous nous imaginons souvent de moutons couchés à côté de la crèche n’est donc vraisemblablement pas correct.

 

Les bergers n’avaient pas non plus l’aspect que nous imaginons généralement. Ils ne s’habillaient pas comme les Arabes médiévaux ou modernes. Ils ne portaient pas la kéfiyé arabe. Joseph non plus d’ailleurs, pas plus qu’aucun autre homme en Judée ou en Galilée. Jésus non plus quand il devint adulte. Personne ne s’habillait à la manière des Arabes. C’étaient des Juifs et ils ne suivaient pas les coutumes des Arabes ni ne s’habillaient comme eux.

 

Non seulement il n’y avait pas de moutons lors de cette premières « Nativité », il n’y avait pas non plus de vaches ni de chameaux. Et, comme nous l’avons déjà mentionné, il n’y avait pas davantage de paille puisqu’on ne s’en servait pas comme fourrage en Judée. Les bergers trouvèrent le Messie nouveau-né exactement comme l’ange l’avait dit, emmailloté dans des couvertures et couché dans une crèche, une crèche taillée dans de la roche calcaire.

 

Voilà donc ce que fut l’authentique « Nativité », une froide nuit judéenne, un logement temporaire dans une grotte vaguement éclairée par de petites lampes de céramique dans lesquelles brûlait de l’huile d’olive, quelques bergers juifs parlant à voix basse mais avec excitation avec le jeune couple de Galilée et un bébé confortablement emmailloté couché dans une crèche de pierre nue.

 

Ce n’est pas là un tableau qui ait des chances de remplacer l’étable et les figurines pittoresques que tant de gens disposent chaque décembre devant le sapin ou l’âtre ou la crèche vivante installée en ville. Mais c’est le tableau authentique auquel nous aurions assisté si nous avions été avec ces bergers qui furent les premiers à révérer le Messie.

 

Certains se sont imaginé que les bergers rendirent visite à Yosséf et à Miryam et retournèrent ensuite dans leurs pâturages. Certains ont cru que ce n’était que le lendemain ou plus tard que les bergers parlèrent aux gens qu’ils rencontraient du bébé Messie qu’ils avaient vu. Mais  le passage de Luc semble suggérer quelque chose d’autre : « Ils y allèrent en hâte, et ils trouvèrent [Miryam et Yosséf], et le petit enfant couché dans la crèche. Après l’avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant. Tous ceux qui les entendirent furent dans l’étonnement de ce que leur disaient les bergers. [Miryam] gardait toutes ces choses, et les repassait dans son cœur » (Luc 2:16-19).

 

Ce n’est qu’après avoir parlé de l’événement autour d’eux qu’ils retournèrent à leur camp et à leurs troupeaux. « Et les bergers s’en retournèrent, glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, et qui était conforme à ce qui leur avait été annoncé » (Luc 2:20).

 

L’ordre dans ces versets suggère qu’avant de retourner à leur camp, les bergers firent le tour de Bethléhem, la nuit même, annonçant aux villageois qu’ils avaient reçu la visite d’anges célestes et que le Messie d’Israël était né de la jeune Miryam qui vivait avec son mari Yosséf dans la grotte près de la maison qu’il construisait. Les Juifs à moitié endormis de Bethléhem, tirés deux fois cette nuit-là de leur sommeil, furent certainement stupéfaits d’entendre la nouvelle annoncée par les bergers tout excités.

 

Il dut y avoir en quelques minutes pas mal d’agitation dans les rues étroites de Bethléhem en cette nuit d’hiver. Les Juifs de Judée prenaient très au sérieux les prophéties et les nouvelles de visites d’anges. Certains des citoyens de Bethléhem qui furent réveillés cette nuit-là s’habillèrent probablement, allumèrent leurs torches et s’attroupèrent à l’extrémité sud-est du village pour voir le bébé dont les bergers avaient parlé avec tant d’excitation. Le matin suivant, beaucoup d’autres visiteurs durent se rendre dans la modeste demeure de Yosséf et Miryam, des hommes et des femmes de bonne volonté intéressés de voir le bébé dont il avait été dit aux bergers qu’il était le Sauveur d’Israël.

 

On n’a aucune peine à s’imaginer la renommée que Yosséf et Miryam connurent dans la petite « ville de David » à la suite de la visite des bergers. Des concitoyens qui ne connaissaient même pas le jeune couple de Nazareth se sont peut-être même proposés pour leur apporter des repas et des objets pour leur petit garçon. L’enfant de Bethléhem allait devenir le sujet de conversation pour de nombreux jours.

 

 

 

CHAPITRE XIII

On lui donna le nom de Jésus

 

Une semaine passa. Pour Miryam ce furent sept longues journées. Elle s’occupait constamment du bébé, veillant à son hygiène et apprenant ses petits besoins personnels. Elle était aussi constamment fatiguée mais commençait à se sentir plus forte, plus normale à chaque jour qui passait depuis son accouchement.

 

Pour Yosséf, les jours passaient rapidement.  Il aidait pour le bébé là où il le pouvait. Il tenait le bébé dans ses bras et le contemplait avec étonnement, n’en revenant pas qu’il était chargé par le Ciel d’élever le Messie d’Israël.

 

Les visiteurs allaient et venaient, apportant des vœux et de la nourriture pour le couple ainsi que des cadeaux pour l’enfant tels que des couvertures et des serviettes supplémentaires. Il se peut que certains aient même proposé à Yosséf de l’aider quand il se remit à travailler à sa maison. Il allait avoir besoin d’aide pour la pose du toit.

 

Yosséf gérait le flot de visiteurs avec diplomatie en étant attentif à l’état de Miryam  pour les recevoir tous. Il allait aussi chercher de l’eau à la source et s’occupait de toutes les tâches ménagères qu’il aurait normalement laissées à sa jeune épouse.

 

Le huitième jour après l’accouchement était le jour de sa circoncision, appelée en hébreu brit mila. Il y avait maintenant près de deux mille ans, depuis le temps d’Abraham et d’Isaac, que cette petite opération était pratiquée sur les nouveau-nés masculins huit jours après leur naissance. Le brit mila était le signe de l’alliance contractée par Dieu avec Abraham, Isaac, Jacob et la maison d’Israël.

 

La cérémonie du brit mila eut probablement lieu en plein air, là où la lumière était bonne, plutôt que dans la grotte. Ce fut peut-être à l’intérieur de la maison qui n’avait pas encore son toit. Yosséf présida à l’événement et tint le bébé pendant l’opération. La circoncision fut pratiquée par un professionnel (appelé aujourd’hui un mohel). Miryam regardait avec une joie mêlée d’anxiété. Il est vraisemblable que certains de leurs nouveaux amis et voisins étaient également présents.

 

On mit une goutte de vin dans la bouche du bébé, un signe religieux qui visait aussi à le distraire de l’inconfort de la circoncision.  Yosséf formula la phrase qui donnait officiellement le nom au bébé : « Vayikra shemo beYisra’el… Yeshua » (et son nom en Israël sera Jésus). Luc le rapporte comme suit : « Le huitième jour, auquel l’enfant devait être circoncis, étant arrivé, on lui donna le nom de Jésus, nom qu’avait indiqué l’ange avant qu’il fût conçu dans le sein de sa mère » (Luc 2:21).

 

*** 

 

C’était donc fait ! Yosséf et Miryam s’étaient enfin conformés à tous les commandements et à toutes les exigences qui leur avaient été révélés par l’ange du Seigneur. Myriam avait conçu et enfanté son fils, le Fils unique de Dieu. Parce que l’enfant serait le descendant promis de David, le roi d’Israël,  et parce que le Messie promis devait naître à Bethléhem pour accomplir l’antique prophétie de Michée, le couple avait déménagé de Nazareth à Bethléhem pour s’installer dans le village. Ils s’étaient tous les deux fait inscrire comme résidents. Et quand l’enfant naquit, ils lui donnèrent le nom de Yeshua, c’est-à-dire Jésus, exactement comme l’ange l’avait commandé.  

 

Neuf longs mois, des mois difficiles, s’étaient écoulés depuis de jour de la fin du mois d’adar, le printemps précédent, où l’ange était apparu à Miryam à Nazareth. Elle avait enduré non seulement la difficulté de la grossesse, mais le soupçon immérité d’avoir entretenu des rapports sexuels avant son mariage. Malgré tout, rassemblant ses forces, elle avait accepté de quitter son chez soi en Galilée pour commencer une nouvelle vie avec son mari à Bethléhem afin d’accomplir la prophétie concernant son fils.

 

Pour Yosséf, ces mois n’avaient pas été moins éprouvants. Depuis que l’ange le lui avait commandé en songe, lui aussi était devenu suspect dans sa ville natale. La plupart des gens pensaient qu’il avait engrossé sa femme des mois avant leur mariage. Il porta patiemment le fardeau. Lui aussi laissa tout derrière lui en Galilée pour s’installer à Bethléhem, s’y procurer un lopin de terre et s’y construire une nouvelle maison. Tout cela pour que les paroles du prophète s’accomplissent.

 

La foi et la détermination de ce couple dévoué de Nazareth sont remarquables, bien qu’on  n’en parle que très rarement quand on raconte l’histoire traditionnelle de Noël. L’idée erronée, habituellement répétée dans les reconstitutions historiques de Noël, les médias et les salles de classe,  que Yosséf et Miryam étaient de malheureuses victimes obligées de se rendre à Bethléhem par des forces sur lesquelles elles n’avaient aucune prise, n’est tout simplement pas ce qui s’est produit. Quand on raconte le conte de Noël traditionnel, on mentionne rarement la décision délibérée du jeune couple d’aller s’installer à Bethléhem, de s’y inscrire et d’y vivre pour réaliser une prophétie messianique. Or, leur loyauté à Dieu et l’un vis-à-vis de l’autre, ainsi que les dispositions qu’ils prirent pour réaliser ce qui était juste, comptent parmi les éléments les plus remarquables de l’histoire non racontée du premier Noël.

 

Mais tout n’était pas fini. Dans quelques semaines « des mages d’Orient », qui recherchaient le Messie nouveau-né, allaient arriver. Et leur arrivée allait signifier de nouveaux problèmes, d’autres décisions difficiles et un nouveau tournant spectaculaire dans la jeune vie de Yosséf et Miryam.

 

 

 

CHAPITRE XIV

Au Temple de Jérusalem

 

Après la cérémonie de la circoncision, une nouvelle semaine, puis deux, puis trois s’écoulèrent. Pendant tout le mois de tevet (parallèle à notre janvier), Yosséf travailla sur sa maison pour poser le toit sur les murs de blocs calcaires terminés. Myriam ne pouvait pas l’aider, mais d’autres vinrent probablement proposer leur aide.

 

Des poutres épaisses de bois importé et des tuiles d’argile rouge cuites auraient coûté trop cher pour la nouvelle maison de l’ouvrier tailleur de pierre. Lui, il allait ciseler d’étroites poutres de pierre de plus de deux mètres de long et les poser du sommet des murs extérieurs au sommet des murs de refend intérieurs pour créer un toit plat, segmenté, mais solide qui pourrait supporter un poids important et constituer un plafond sur lequel on pourrait marcher. Placées côte à côte et serrées l’une contre l’autre, les poutres devaient être jointoyées à l’aide de plâtre calcaire pour rendre toute la surface du toit étanche aux pluies d’hiver.

 

Miryam récupéra toutes ses forces, gérant ses travaux ménagers tout en s’occupant du bébé Jésus qui prenait du poids chaque jour. Quand six semaines eurent passé après la naissance de l’enfant, Miryam commença à se préparer pour la purification conformément aux règles de la Torah, la loi de Moïse. Cela signifiait faire les cinq kilomètres jusqu’à Jérusalem avec Yosséf pour présenter son jeune fils au Temple.

 

La Torah de Moïse exigeait que la femme qui donnait le jour à un fils devait se purifier quarante jours après l’accouchement (la directive se trouve dans Lévitique 12:1-8). Pour ce faire, elle devait se plonger dans l’eau et être déclarée pure par un prêtre. Les fonts rituels juifs d’immersion portaient alors (et aujourd’hui encore) le nom de mikveh. La plupart des localités juives avaient une ou plusieurs mikva’ot (pluriel de mikveh) et Bethléhem en avait certainement une.

 

Si Miryam ne s’immergea pas dans une mikveh à Bethléhem, il y avait de nombreuses mikva’ot à Jérusalem autour de la Montagne du Temple, où elle pouvait se rendre et s’immerger. Il est sans doute plus vraisemblable qu’elle visita une mikveh à Jérusalem.

 

Quand elle se fut purifiée, elle se rendit avec Yosséf dans une des boutiques ou stands des marchés extérieurs au complexe du temple de Jérusalem pour acheter des oiseaux ou des animaux pour les sacrifices requis qui se faisaient à l’intérieur du complexe du temple. Certains stands appartenaient à des changeurs qui échangeaient les pièces inacceptables au temple contre des pièces répondant aux conditions nécessaires.

 

Les deux colombes que Yosséf acheta furent mises dans une petite cage d’osier pour laquelle il  laissa une caution qu’il récupérerait quand il aurait fini au temple. Puis Miryam et lui s’approchèrent du vaste complexe de la Maison de Dieu. Yosséf portait la cage avec les colombes et Miryam portait son bébé de six semaines tandis qu’ils montaient l’escalier monumental qui menait à l’intérieur du célèbre temple d’Hérode.

 

L’escalier royal, situé du côté sud de la montagne du temple, avait plus de soixante mètres de large gravé dans la roche en pente de la montagne et en plein air. La marche du dessus était un large trottoir de pierre qui bordait la muraille extérieure massive de l’esplanade du temple. Ce mur était fait d’immenses blocs de pierre décorés. Les blocs de la première rangée au-dessus du trottoir avaient la taille d’un homme.

 

Le mur sud lui-même avait plus de trente mètres de haut. Au sommet du mur se trouvait la galerie royale, une basilique élaborée qui courait tout le long du côté sud de l’esplanade du temple. Le couple passa la triple entrée par l’une des trois énormes portes en passant devant leurs moulures de pierre artistiquement gravées. Le long tunnel dans lequel ils s’engagèrent était, lui aussi, richement décoré de motifs sculptés dans les murs et les plafonds  de pierre blanche représentant une myriade de motifs floraux et géométriques aux couleurs vives. Le tunnel les conduisit sous la longue et immense galerie de basilique et remonta finalement par un autre escalier vers l’air libre où Yosséf et Myriam se retrouvèrent à l’intérieur des cours du temple avec le ciel bleu de février au-dessus de leur tête.

 

Marchant sur le dallage de pierre, ils s’avancèrent au milieu de la foule dans la vaste cour extérieure en plein air du complexe d’Hérode. D’autres marches les conduisirent dans une cour intérieure appelée cour des femmes, qui se trouvait à l’est du temple lui-même. Traversant une autre foule, ils s’approchèrent d’un nouvel escalier énorme, semi-circulaire cette fois, qui montait vers les grandes portes de bronze d’un nouveau portail élevé et décoré. Appelée porte de Nicanor, elle menait à la cour des sacrifices. En la traversant, Yosséf et Miryam virent un immense autel de bronze haut de dix mètres et large de dix mètres : l’autel des sacrifices. De la fumée montait en volutes de plusieurs feux et piles de braises au sommet de l’autel. Des morceaux de viande d’animaux et des oiseaux sacrifiés se consumaient dans les feux et sur les braises rougeoyantes.

 

Mais au-delà de l’autel se trouvait le spectacle le plus magnifique de tous, la haute façade et l’entrée du Temple d’Hérode lui-même, haut de cinquante mètres, construit en calcaire blanc et rose, décoré d’or pur et flanqué de colonnes cannelées d’un marbre superbement moucheté. C’était un bâtiment où personne ne pouvait entrer à part les prêtres d’Aaron, revêtus de leurs robes blanches et de leurs ceintures sacerdotales bleues.

 

Arrivés là, Yosséf et Miryam ne pouvaient pas aller plus loin. Ils restèrent près de la barrière qui séparait les fidèles juifs du pavement où les prêtres accomplissaient leurs devoirs de sacrificateurs. Un prêtre revêtu d’une robe blanche et portant un tablier les accueillit et, après avoir échangé quelques paroles aimables, il examina brièvement le bébé que Miryam tenait pour s’assurer que l’enfant avait bien été circoncis. Il accepta ensuite la cage d’osier contenant les deux colombes que Yosséf lui tendait et le couple regarda le prêtre s’éloigner, s’approcher de l’autel et exécuter le rite réclamé par la Torah.

 

Luc résume en quelques lignes seulement le voyage à Jérusalem et au temple : « Et, quand les jours de leur purification furent accomplis, selon la loi de Moïse, Joseph et Marie le portèrent à Jérusalem, pour le présenter au Seigneur, —  suivant ce qui est écrit dans la loi du Seigneur : Tout mâle premier-né sera consacré au Seigneur, — et pour offrir en sacrifice deux tourterelles ou deux jeunes pigeons, comme cela est prescrit dans la loi du Seigneur » (Luc 2:22-24).

 

Beaucoup de personnes durent voir Yosséf et Miryam dans les cours du temple en ce jour de février et beaucoup durent féliciter le couple pour l’enfant de Miryam. L’évangéliste ne rapporte que les réactions de deux personnes. La première s’appelait Shimon (nom rendu par « Siméon » dans les versions traditionnelles du Nouveau Testament). Nous ne savons rien de ce Shimon, si ce n’est qu’il semble avoir été un vieil homme (puisqu’il s’attendait à mourir bientôt) et que le Saint-Esprit l’avait inspiré pour qu’il comprenne qu’il ne mourrait pas avant d’avoir vu l’Oint de Dieu, l’enfant qui allait être le Rédempteur promis d’Israël.

 

« Et voici, il y avait à Jérusalem un homme appelé [Shimon]. Cet homme était juste et pieux, il attendait la consolation d’Israël, et l’Esprit-Saint était sur lui. Il avait été divinement averti par le Saint-Esprit qu’il ne mourrait point avant d’avoir vu le Christ du Seigneur. Il vint au temple, poussé par l’Esprit. Et, comme les parents apportaient le petit enfant Jésus pour accomplir à son égard ce qu’ordonnait la loi, il le reçut dans ses bras, bénit Dieu, et dit: Maintenant, Seigneur, tu laisses ton serviteur S’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu ton salut, salut que tu as préparé devant tous les peuples, lumière pour éclairer les nations, Et gloire d’Israël, ton peuple. Son père et sa mère étaient dans l’admiration des choses qu’on disait de lui. [Shimon] les bénit, et dit à Marie, sa mère : Voici, cet enfant est destiné à amener la chute et le relèvement de plusieurs en Israël, et à devenir un signe qui provoquera la contradiction, et à toi-même une épée te transpercera l’âme, afin que les pensées de beaucoup de cœurs soient dévoilées » (Luc 2:25-35).

 

Luc rapporte aussi la réaction d’Hannah (dont le nom est rendu en grec par « Anna ») une femme âgée qui passait tout son temps au temple. Elle s’était mariée dans sa jeunesse, mais n’avait eu la compagnie de son mari que pendant sept ans avant qu’il ne décède. En voyant l’enfant Jésus, elle dit à tous ceux qui se trouvaient à côté d’elle dans la  cour du temple que l’enfant allait inaugurer la rédemption du peuple d’Israël.

 

« Il y avait aussi une prophétesse, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. Elle était fort avancée en âge, et elle avait vécu sept ans avec son mari depuis sa virginité. Restée veuve, et âgée de quatre-vingt-quatre ans, elle ne quittait pas le temple, et elle servait Dieu nuit et jour dans le jeûne et dans la prière. Étant survenue, elle aussi, à cette même heure, elle louait Dieu, et elle parlait de Jésus à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem » (Luc 2:36-38).

 

Les prophéties publiques de Shimon et de Hannah ne furent que deux des salutations que Yosséf et Miryam durent recevoir en ce jour de février dans le Temple d’Hérode. Miryam allait se souvenir toute sa vie de cette visite mouvementée à la Maison du Seigneur. Il est probable que les détails que nous lisons dans le Nouveau Testament furent communiqués bien des années plus tard par Miryam à Luc, l’évangéliste, ce qui explique que ce n’est que dans son rapport que nous les avons.

 

Au début de l’après-midi, Yosséf et Miryam quittèrent le Temple en sortant par le double tunnel sous la galerie royale et en passant par le double portail à l’extrémité sud du complexe. Ils redescendirent l’escalier monumental et longèrent les rues de Jérusalem vers la porte occidentale de la ville. Laissant la capitale juive derrière eux, ils refirent à leur aise les deux heures du trajet de retour vers Bethléhem, parlant en cours de route de la journée remarquable qu’ils avaient passée dans la ville sainte et de ce que Shimon, Hannah et d’autres leur avaient dit.

 

Ils passèrent devant la tombe de Rachel et prirent l’embranchement de la route vers Bethléhem qu’ils traversèrent en passant près du Puits de David. Ils arrivèrent au crépuscule à leur grotte qui contenait maintenant tant de souvenirs de leur jeune mariage et de la naissance du fils de Miryam. Mais cette humble grotte, qui allait un jour acquérir une renommée mondiale, n’allait plus les abriter bien longtemps.

 

 

 

CHAPITRE XV

Les mages d’Orient

 

Huit semaines avaient passé depuis la naissance de Jésus. Le bébé était éveillé, en bonne santé et avait déjà commencé à développer sa personnalité. Miryam a dû aimer le voir sourire.

 

On était maintenant vers la fin du mois juif de shevet (qui correspond en gros à notre mois de février). Il pleuvait encore de temps en temps, mais les journées douces et ensoleillées étaient plus fréquentes. Yosséf travaillait de nouveau régulièrement sur le Temple, faisant probablement trois ou quatre jours par semaine le chemin à pied jusqu’à Jérusalem.

 

Il avait enfin terminé de plafonner les murs intérieurs de la nouvelle maison. Le plâtre de calcaire séchait en une finition blanche et lisse.  Cette dernière tâche terminée, le jeune couple déménagea ses affaires de la grotte dans sa belle maison. Il était ravi d’occuper la maison propre et confortable après cinq ou six mois à camper dans la grotte. Nous pouvons imaginer Miryam  mettant sa propre touche dans les lieux, posant des nattes de paille tressée et des carpettes de laine sur le sol en pierre. Yosséf avait habilement lissé et arrangé le maigre mobilier du couple , appliquant un décor simple pour embellir les pièces éclairées par les fenêtres, toutes les petites choses qui font d’une maison un foyer.

 

En s’installant dans la nouvelle maison, Yosséf accomplit le hanoukat bayit, la dédicace de la maison, en fixant une petite mezouza de pierre sur le poteau de droite de la porte d’entrée. Le mot mezouza signifie « poteau de porte » et, à l’intérieur de ce petit réceptacle allongé, il y avait un rouleau de parchemin minuscule portant à l’encre noire des passages de la Torah ; « Shema Yisra’el, Adonaï Eloheinou, Adonaï ehad… » « Écoute, Israël ! l’Éternel, notre Dieu, est le seul Éternel. Tu aimeras l’Éternel, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force.  Et ces commandements, que je te donne aujourd’hui, seront dans ton cœur. Tu les inculqueras à tes enfants, et tu en parleras quand tu seras dans ta maison, quand tu iras en voyage, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras. Tu les lieras comme un signe sur tes mains, et ils seront comme des fronteaux entre tes yeux.  Tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes » (Deutéronome 6:4-9).

 

Pour Yosséf et Miryam et le petit enfant qu’ils avaient appelé Yeshua, tout était maintenant pour le mieux. Leur installation à Bethléhem était complète. Ils avaient pris les choses en main, avaient quitté Nazareth et avaient courageusement et fidèlement veillé à ce que le bébé Messie naisse dans la « ville de David ». Ils devaient maintenant se dire qu’ils pouvaient vivre heureux dans leur nouvelle maison confortable et que le bébé dont ils prenaient soin serait un jour appelé « Jésus de Bethléhem ».

 

Mais à huit kilomètres à peine de là, à Jérusalem, se passaient des choses indépendantes de leur volonté, des choses qui allaient changer radicalement leurs plans et leur vie. Cela commença avec l’arrivée de « mages d’Orient ».

 

C’est dans l’évangile de Matthieu que nous trouvons l’histoire de ces « mages d’Orient ». Leur arrivée à Jérusalem, deux mois environ après la naissance de Jésus, est souvent  intégrée par erreur, dans les représentations de l’histoire de Noël, comme  l’un des événements qui se produisirent la nuit de ce premier de Noël. À cause des trois cadeaux qu’ils apportèrent à l’enfant à Bethléhem, l’or, l’encens et la myrrhe, on dit souvent qu’il a dû y avoir « trois mages ». On les appelle parfois les « trois rois de l’Orient ». La tradition byzantine médiévale leur attribue même des noms : Gaspard, Melchior et Balthazar, mais ces noms ne peuvent pas être authentiques.

 

En réalité, nous ne savons quasiment rien des « mages » en dehors de ce que Matthieu nous dit. Nous ne savons pas combien ils étaient ni de quel endroit de « l’Orient » ils venaient au juste. Nous ne savons pas s’ils étaient Juifs ou païens ni  comment ils avaient été mis au courant d’une « étoile en Orient » qui servait de signe de la naissance de Jésus. Les « mages » sont un mystère de Noël.

 

Il y a cependant un petit nombre de faits que nous pouvons extraire du deuxième chapitre de Matthieu. Le premier est que ces hommes étaient appelés magoï, un terme pluriel dans le grec du Nouveau Testament qui représente le mot hébreu magoushim (aussi un pluriel). Le singulier en hébreu est magoush , quelqu’un qui pratique la magie.

 

Ces hommes de l’Orient, quel qu’ait été leur nombre, n’étaient pas des prestidigitateurs ni des magiciens. La meilleure manière de concevoir ces magoushim (comme nous les appellerons dorénavant) est de voir en eux des mystiques religieux, des hommes qui se concentraient moins sur les aspects juridiques ou pratiques de la religion, et plus sur les prédictions, le miraculeux et le surnaturel. Cela ressort clairement de la question qu’ils posent à leur arrivée à Jérusalem : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus pour l’adorer » (Matthieu 2:2).

 

S’ils étaient des mystiques juifs venus de Babylone ou d’une autre communauté juive à l’est de l’empire romain, ils faisaient peut-être allusion à une prophétie du livre des Nombres qui prédisait la venue d’une étoile royale : « Un astre sort de Jacob, un sceptre s’élève d’Israël » (Nombres 24:17).

 

 L’apparition d’une nouvelle étoile à l’époque de la naissance de Jésus, peut-être une comète visible pendant plusieurs semaines ou la conjonction visuelle de certaines planètes dans le ciel nocturne pendant une période similaire, semble avoir été un signe pour les mystiques que le nouveau roi était né en Israël.

 

Il ne fallut pas longtemps au roi Hérode (que l’histoire appelle Hérode le Grand) pour apprendre la présence des magoushim à Jérusalem et les questions qu’ils posaient concernant un « roi des Juifs » nouveau-né. Hérode, qui gouvernait la Judée depuis plus de trente ans comme satellite de Rome, était un monarque efficace et qui réussissait, mais qui était en même temps un despote impitoyable et paranoïaque. Il ne tolérait aucune menace d’aucune sorte à son trône et avait déjà mis à mort quiconque représentait pour lui un danger pour sa dynastie.

 

Hérode ne connaissait rien aux écritures juives. En consultant les érudits de Jérusalem pour savoir où la naissance du Messie était prédite, il fut informé de la prophétie de Michée qui indiquait Bethléhem. Nous pouvons lire le reste de l’histoire dans Matthieu :

 

« Alors Hérode fit appeler en secret les mages, et s’enquit soigneusement auprès d’eux depuis combien de temps l’étoile brillait. Puis il les envoya à Bethléhem, en disant : Allez, et prenez des informations exactes sur le petit enfant ; quand vous l’aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que j’aille aussi moi-même l’adorer. Après avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici, l’étoile qu’ils avaient vue en Orient marchait devant eux jusqu’à ce qu’étant arrivée au-dessus du lieu où était le petit enfant, elle s’arrêta » (Matthieu 2 :8-9).

 

Les magoushim quittèrent le vaste palais d’Hérode, du côté ouest de Jérusalem, dépassèrent les tours massives de la porte appelée Joppa. Une fois sortis, ils prirent la direction du sud. La route de Bethléhem passait sur un pont en pierre qui enjambait la vallée de Hinnom, puis se dirigeait vers le sud le long de la crête. Ils marchèrent dans la fin de l’après-midi et en moins de deux heures avaient dépassé l’antique monument qu’était la tombe de Rachel où quelques Juives du village étaient réunies pour la prière. Prenant le chemin de gauche à la bifurcation,  ils entrèrent au crépuscule dans le village où était né autrefois David.

 

Leurs questions concernant un bébé Messie ne durent pas rester longtemps sans réponse. Il y avait maintenant beaucoup de gens à Bethléhem qui étaient au courant de l’existence du jeune couple qui s’était installé dans leur localité. Les villageois parlaient encore de l’agitation à minuit, deux mois plus tôt, quand les bergers avaient traversé le village en proclamant à cor et à cri la naissance d’un Sauveur nouveau-né. Il est probable qu’un habitant serviable a conduit les magoushim jusqu’au promontoire sud-est où se trouvait la maison de pierre flambant neuve où vivaient les nouveaux venus galiléens. L’étoile des magoushim brillait de nouveau avec éclat au-dessus d’eux dans le ciel nocturne tandis qu’ils s’approchaient de la porte de la demeure de Yosséf et Miryam.

 

« Ils entrèrent dans la maison, virent le petit enfant avec Marie, sa mère, se prosternèrent et l’adorèrent ; ils ouvrirent ensuite leurs trésors, et lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe » (Matthieu 2:11).

 

Yosséf et Miryam furent probablement abasourdis devant les cadeaux coûteux : les deux variétés d’encens étaient très chères, sans parler de l’or, qui leur fut probablement donné sous forme de pièces. Il est peu probable que Miryam ait brûlé l’encens chez elle. L’encens de couleur ambre et la myrrhe gris foncé étaient en fait des variétés de résine séchée. Mais les morceaux et les gouttelettes durcis  de résine provenaient d’arbres qui ne poussaient que dans le sud de l’Arabie. L’encens devait être transporté à dos de chameau par des caravanes sur des centaines de kilomètres jusqu’à des endroits lointains du Proche-Orient antique et notamment là où habitaient en Orient les magoushim qui avaient acheté la marchandise comme cadeau avant de se mettre en route pour Jérusalem. L’encens était également apporté par caravane d’Arabie en Judée où il était acheté par les riches et par les administrateurs du Temple qui l’utilisaient sur l’autel d’or à l’heure de la prière.  Miryam savait que les résines coûteuses et aromatiques pouvaient se vendre pour un prix élevé, une somme dont le jeune couple allait avoir besoin plus vite qu’il ne l’imaginait.

 

L’excitation des magoushim en voyant le bébé « roi des Juifs » a tout naturellement dû mener à une conversation à propos de leur visite au roi Hérode. Mais c’était là une nouvelle qui a certainement dû causer du souci à Yosséf. Le jeune bâtisseur connaissait la nature brutale de Hérode. Qu’est-ce que ce monarque sans cœur penserait d’apprendre qu’un roi nouveau-né se trouvait à Bethléhem ? Malgré les préoccupations, à la tombée de la nuit, les magoushim furent invités à rester pour la nuit et profiter de l’hospitalité de la nouvelle maison de Yosséf et Miryam.

 

Cette nuit-là un événement étrange se produisit. Les hommes de l’Orient eurent une révélation céleste concernant leur départ du lendemain. Le texte de Matthieu dit simplement : « divinement avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin» (Matthieu 2:12).

 

 

 

CHAPITRE XVI

Hérode recherche l’enfant

 

La scène traditionnelle de la crèche de Noël comprend habituellement les « mages de l’Orient », bien qu’ils ne soient arrivés à Bethléhem que deux bons mois après la naissance de Jésus. Et c’est généralement avec la visite des magoushim, apportant  leurs présents que la narration de l’histoire de Noël prend fin. L’étoile de Bethléhem et les présents des « trois mages » sont le dernier acte du conte traditionnel de Noël.

 

Mais en réalité, il s’est produit beaucoup plus que cela, beaucoup plus de l’histoire du premier Noël qu’on ne raconte pas. Et c’est à cet endroit du récit néotestamentaire que l’histoire devient un drame de vie et de mort.

 

À Jérusalem, le roi Hérode était livide. Les magoushim étaient sortis de chez lui l’après-midi précédent en route pour Bethléhem. Ils n’étaient pas revenus ce soir-là ni le jour suivant. Manifestement, ils ne tenaient aucun compte  de sa demande expresse de lui faire connaître l’identité et l’emplacement du nouveau-né qu’ils cherchaient.

 

Hérode était aussi gravement malade. Il ne le savait certainement pas ce jour-là, mais il n’avait plus que quelques semaines à vivre et ne verrait pas la fête de la Pâque ce printemps-là. Les maladies virales et vénériennes qui rongeaient ses organes internes et externes le faisaient constamment souffrir. Maintenant des accès de colère obscurcissaient souvent son bon sens. En fait, cette semaine même, il envisageait de faire exécuter l’un de ses propres fils pour complot contre lui.

 

Tout au long de son règne, Hérode avait tué beaucoup de gens qu’il estimait constituer une menace pour son trône.  Il avait fait mourir les princes juifs de la famille royale asmonéenne parce qu’ils constituaient un obstacle à sa royauté. Il avait même assassiné sa femme, une belle princesse juive appelée Mariamne, parce qu’il avait acquis la conviction qu’elle le trahissait. Il mit tant de ses enfants à mort pour déloyauté que les Romains disaient en plaisantant qu’il était moins risqué d’être le porc d’Hérode que d’être son fils (étant donné que le porc, animal non kasher, ne risquait pas d’être tué pour une fête à la table royale).

 

Voilà que les magoushim s’étaient apparemment moqués de lui. Ils avaient quitté la Judée sans lui faire de rapport sur le bébé Messie. Si un tel enfant existait, se disait Hérode, il pouvait représenter une menace de plus pour son trône. Beaucoup de gens dans la population juive vivaient dans l’attente d’un Sauveur qui les délivrerait du joug romain imposé par Hérode. Même un bébé, si l’on croyait qu’il était le Messie, risquait de causer une insurrection populaire contre Hérode ou le fils qu’il laisserait en vie pour lui succéder.

 

Même si la menace devait sembler mineure et lointaine, Hérode n’allait pas en rester là. À la tombée de la nuit, il finit par prendre une de ces décisions qui l’avaient rendu célèbre. Il convoqua dans sa chambre le chef d’une bande de tueurs qu’il utilisait pour les « opérations spéciales » qu’il ne pouvait pas confier à ses forces régulières.

 

Le sinistre spécialiste reçut l’ordre d’emmener sa bande à Bethléhem et de découvrir clandestinement chaque maison du village et dans les environs où un bébé était né au cours des deux derniers mois. Ensuite la bande devait attaquer une à une chacune de ces maisons pour donner l’impression que le but était, disons, le cambriolage. Mais lors de chaque attaque, le nouveau-né de la famille devait être tué.

 

Le plan devait être exécuté discrètement et il n’en existerait aucun rapport officiel. Hérode veillerait à ce que les magistrats de Jérusalem ne fassent aucun effort pour enquêter sur les attaques. La bande de tueurs ne se retrouverait jamais devant les tribunaux pour avoir exécuté ses ordres. L’histoire profane ne rapporterait jamais l’opération. Le chef des tueurs devait emmener son équipe à Bethléhem le lendemain matin, passer la journée à identifier les cibles et lancer les attaques à la tombée de la nuit.

 

Hérode envoya l’assassin réunir ses complices et commencer les préparatifs. Le roi prit ensuite son repas, régla quelques affaires et se mit au lit pour passer une nouvelle nuit de douleur intense.

 

***

 

Cette même nuit, à Bethléhem, Yosséf se sentit très mal à l’aise. Ce matin-là, quand les magoushim étaient partis, ils avaient semblé très tracassés par les intentions d’Hérode concernant le petit garçon de Miryam. Yosséf n’était pas allé travailler à Jérusalem pour rester chez lui à veiller à la sécurité de sa femme et de son enfant. Intérieurement, il craignait que tous leurs projets de vie protégée et heureuse à Bethléhem ne soient maintenant en danger.

 

Vers le moment où Hérode prenait son repas à Jérusalem, Yosséf et Miryam avaient pris leur propre repas du soir. Ils avaient parlé de leurs soucis mais ne savaient que faire. Peut-être n’y avait-il pas de raison réelle d’avoir peur. Après tout, la journée avait passé sans qu’il se produise rien de spécial. Une fois les magoushim partis, personne d’autre n’était venu à leur recherche. Mais ils ne pouvaient pas échapper à l’anxiété qui commençait à peser sur eux.

 

Après avoir soigné le bébé, Miryam le mit au lit pour la nuit. Peu de temps après, son mari et elle se mirent au lit dans la pièce du fond de leur nouvelle maison de pierre. Trois heures plus tard environ, vers minuit, Yosséf s’éveilla en sursaut suite à un rêve. « Voici, un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, et dit : Lève-toi, prends le petit enfant et sa mère, fuis en Égypte, et restes-y jusqu’à ce que je te parle ; car Hérode cherchera le petit enfant pour le faire périr. Joseph se leva, prit de nuit le petit enfant et sa mère, et se retira en Égypte » (Matthieu 2:13-14).

 

Ce rapport de l’évangile de Matthieu montre que Yosséf ne perdit pas un instant. Il était aussi sûr de ce qu’il devait faire maintenant que l’été dernier quand le même ange lui avait commandé de prendre Miryam pour femme. Il se leva, éveilla sa femme et lui raconta la révélation qu’il venait de recevoir.

 

Ils s’habillèrent rapidement tous les deux et rassemblèrent en hâte ceux de leurs biens dont ils auraient besoin  lors de leur voyage subit vers l’Égypte. Miryam emballa quelques aliments préparés tandis que Yosséf fermait la maison du mieux qu’il pouvait pour la durée de leur absence. Travaillant en silence pour qu’aucun voisin distant ne soit dérangé, les outils furent entreposés en lieu sûr. Les jarres de grain, d’huile d’olive et de nourriture furent rapidement scellés avec des morceaux de cuir et de la ficelle. Les volets furent fermés et attachés. Les chèvres et les poules furent mises silencieusement en liberté.

 

Dans l’heure ils étaient prêts au départ. Myriam enveloppa leur bébé endormi pendant que Yosséf finissait de charger et d’harnacher leur âne à l’extérieur. La porte fut bloquée et le couple s’arrêta une dernière fois et lança un coup d’œil chargé d’émotion vers la maison de leurs rêves. Puis la petite famille prit la route.

 

Les étoiles brillaient dans le ciel nocturne de Judée  tandis que le couple suivait silencieusement le sentier qui sortait du village par l’ouest. Il ne restait plus que quelques jours avant la fin du mois de shevet et la lune décroissante était mince et faible. le fin croissant lunaire et l’éclat des étoiles étaient la seule lumière du jeune couple. Le feu d’un berger oscillait à un kilomètre à l’est mais Yosséf n’osait pas allumer de torche.

 

Miryam dut pleurer en voyant leur belle nouvelle maison disparaître derrière eux. Yosséf la réconforta mais il avait le cœur lourd, lui aussi. Quand pourraient-ils revenir ? Et retrouver quoi ? Il avait avec lui l’acte de propriété de son terrain, mais qu’allait-il advenir de leur maison en leur absence ?

 

Arrivés à l’extrémité du village, il leur fallut prendre une nouvelle décision. Allaient-ils prendre la direction du sud-ouest et suivre la route de montagne en passant par Hébron et par Beer-Schéba ? Abraham, Isaac, Jacob et David avaient tous vécu des siècles auparavant à Hébron.

 

Ou allaient-ils prendre directement la direction de l’ouest et descendre par la vallée d’Elah, passant à côté de Safita, emplacement de l’antique Gath ? David avait tué Goliath dans cette vallée et avait vécu un certain temps à Gath, laquelle avait aussi été la ville natale du géant.

 

Les deux chemins les auraient amenés à Gaza et de là à travers le Sinaï jusqu’en Égypte. Mais quel était celui des deux chemins qui serait le plus sûr si les émissaires d’Hérode leur donnaient la chasse ?

 

Matthieu ne nous dit pas quel chemin le couple a choisi. Mais quand le soleil se leva, Yosséf et Miryam avaient une avance de vingt-cinq kilomètres. Quand la matinée devint plus chaude, ils s’arrêtèrent probablement pour se reposer, manger un morceau et prendre soin du bébé. Peut-être dormirent-ils deux ou trois heures. Quand le soleil fut haut et qu’ils purent voir plus facilement, ils reprirent la route de Gaza.

 

 

 

CHAPITRE XVII

Une voix se fait entendre à Rama

 

Vers  ce même moment, à Bethléhem, c’était maintenant la troisième heure dans la matinée (environ neuf heures selon notre façon de calculer). Un groupe d’hommes à pied passa devant la tombe de Rachel et prit l’embranchement de gauche dans la bifurcation pour entrer dans le village par son extrémité nord. Ils se mirent chacun à poser des questions aux habitants qu’ils rencontraient sur la place près du puits de David.

 

 Comme les visiteurs de l’Orient deux jours plus tôt, ils s’informèrent d’un nouveau-né dont ils avaient entendu dire qu’il pourrait être le Messie. Ils mentionnèrent peut-être même ces magoushim qui s’étaient enquis à Jérusalem d’un « roi des Juifs » nouveau-né.

 

Lequel des foyers de la région avait eu la chance d’avoir un nouveau-né les deux derniers mois ? Des étrangers avaient-ils visité le village ces derniers jours à la recherche d’un nouveau-né ? Toutes leurs questions étaient précises. Cela ne dut pas leur prendre longtemps dans une localité de ce genre d’entendre parler de la demi-douzaine des ménages où il y avait des bébés masculins de neuf semaines ou moins.

 

En traversant le village, les étrangers prirent note de l’emplacement de chaque maison dont on leur avait parlé, y compris celle de Yosséf dont ils ne pouvaient pas savoir qu’elle était maintenant abandonnée.

 

À l’heure de midi, ils faisaient la même chose pour les fermes situées aux environs du village, une tâche qui leur prit un peu plus de temps à cause des distances. Mais en fin d’après-midi, leur liste était complète et leur sinistre plan d’action était prêt. Cette nuit-là, ils lancèrent leur série d’attaques mortelles contre les familles qui avaient des bébés masculins. Le récit du complot meurtrier d’Hérode contre Bethléhem est raconté en quelques lignes seulement dans l’évangile de Matthieu :

 

« Alors Hérode, voyant qu’il avait été joué par les mages, se mit dans une grande colère, et il envoya tuer tous les enfants de deux [mois] et au-dessous qui étaient à Bethléhem et dans tout son territoire, selon la date dont il s’était soigneusement enquis auprès des [magoushim]. Alors s’accomplit ce qui avait été annoncé par Jérémie, le prophète:  on a entendu des cris à Rama, des pleurs et de grandes lamentations : Rachel pleure ses enfants, et n’a pas voulu être consolée, Parce qu’ils ne sont plus » (Matthieu 2 :16-18. Voir l’annexe 2 à propos de la correction).

 

Matthieu peut avoir choisi la prophétie de Jérémie (qui se trouve dans Jérémie 31:5) pour deux raisons : elle exprime le chagrin des mères de Bethléhem pour la mort violente de leurs bébés masculins et elle mentionne aussi Rachel, l’antique mère d’Israël, qui était morte en couches juste au nord du village. Le chagrin mortel de Rachel et sa tombe dans les faubourgs de Bethléhem sont restés jusqu’à ce jour dans les mémoires comme métaphore représentant le village pleurant le massacre de ses innocents.

 

Aujourd’hui encore ceux qui visitent Bethléhem peuvent passer à côté de la tombe de Rachel. Et la haute colline au nord de Bethléhem qui surplombe le village et sa tombe est appelée Ramat Rahel en hébreu. Le nom signifie le « haut lieu (rama) de Rachel ».

 

La bande d’assassins a dû tuer une demi-douzaine de garçonnets de deux mois ou moins à Bethléhem et dans les fermes des environs. Il est peu probable que d’autres dans ces familles aient également été tués ou grièvement blessés lors des attaques. Mais les assassins n’allaient jamais trouver le jeune couple galiléen qui avait vécu avec son nouveau-né dans la nouvelle maison sur le promontoire au sud-est de Bethléhem. L’espion qui avait surveillé la maison n’avait jamais vu de lampe allumée dans la demeure. La famille de Nazareth avait apparemment abandonné la maison pour une raison inconnue.

 

Nous ne savons pas non plus si cette information remonta jamais jusqu’à Hérode. L’évangile de Matthieu est muet à ce sujet. Les assassins n’ont certainement pas voulu signaler le moindre échec. Et du point de vue d’Hérode, l’affaire était moins importante que la tâche très publique qu’il allait maintenant entreprendre : l’exécution de son propre fils Antipater, pour trahison. Mais Hérode ne savait toujours pas à quel point il était proche de la mort.

 

*** 

 

Entretemps, Yosséf et Miryam avaient maintenant quitté Gaza et traversaient le désert du Sinaï vers l’Égypte. Après leur départ de Bethléhem au milieu de la nuit, leur descente vers Gaza, une affaire de quatre-vingts kilomètres, avait pris deux jours. Le passage de Gaza jusqu’au Nil allait prendre dix jours et, au début de mars, il faisait déjà chaud dans le désert. C’était la nouvelle lune et on était de nouveau au mois juif d’adar.

 

Matthieu ne donne aucun détail sur le voyage du couple en Égypte. On ne peut qu’émettre des suppositions quant aux endroits où ils s’arrêtèrent, où ils se reposèrent et où ils dormirent. On connaît encore les lieux d’étape antiques le long de l’itinéraire côtier : Rafa, El Arish, Pelusium. Le couple longea certainement sur de longues distances le spectaculaire rivage méditerranéen. Mais le terrain difficile fait de dunes de sable et de gravier du désert n’était pas un endroit pour les ânes ni pour les piétons. Il est très vraisemblable  que Yosséf vendit son animal quand il prit place dans une caravane partant de Gaza. La caravane leur permettait de voyager à dos de chameau pour un parcours ardu long de quatre cent soixante-dix kilomètres à travers le Sinaï jusqu’au Nil.  

 

Leur voyage allait prendre deux semaines et coûter cher. Le trajet à dos de chameau et  le temps passé dans les caravansérails du désert étaient des frais inattendus pour le jeune couple. L’or que leur avaient donné les magoushim venait maintenant bien à point. Il leur dura probablement jusqu’à ce qu’ils eussent trouvé  un logement en Égypte et se fussent installés. Leur encens pouvait également être vendu un bon prix en Égypte où il y avait toujours un marché pour la résine coûteuse et exotique.

 

Une tradition médiévale chrétienne fait résider Yosséf et Miryam dans la vieille ville du Caire. Mais le Caire n’existait pas encore à l’époque de la naissance de Jésus et ne serait fondé que neuf siècles plus tard. Le petit village sur le Nil qui s’y trouvait, maintenant appelé Fustat, ne devait pas compter de Juifs comme habitants. Il est plus probable que le couple se rendit à Alexandrie, capitale côtière sur  la branche occidentale du Nil, où il y avait une communauté juive prospère. Ils pourraient y trouver un endroit pour vivre, une synagogue et de nouveaux amis. Yosséf pourrait même avoir du travail puisqu’il y avait de nombreux chantiers publics en cours dans cette grande ville multiculturelle.

 

C’est probablement vers la fin du mois d’adar, pendant le chaud printemps égyptien, que Yosséf et Miryam s’installèrent dans un appartement temporaire à Alexandrie. Avec l’approche de la fin du mois, Miryam devait repenser à tout ce qui lui était arrivé au cours de l’année écoulée. C’était vers la fin d’adar, un an plus tôt, que l’ange Gabriel lui était apparu à Nazareth pour lui dire qu’elle allait concevoir et donner le jour au Fils de Dieu.

 

Qui aurait jamais pensé que les choses se seraient passées comme cela ? Son mari et elle avaient eu confiance en Dieu et travaillé dur pour réaliser ses promesses. Ils avaient déménagé de Galilée en Judée et passé des mois dans une grotte. Ils avaient travaillé pour construire une maison et pour s’installer à Bethléhem. Ils avaient investi tout ce qu’ils avaient, de tout leur cœur, de toute leur âme et de toutes leurs forces dans leur effort pour que naisse son enfant, le Messie de Dieu, à l’endroit prophétisé.

 

Dans tous ces efforts, ils n’avaient pas été victimes du hasard. Ils savaient ce qu’ils faisaient et le faisaient avec foi, avec excitation et avec enthousiasme. Et voilà qu’ils se retrouvaient à la merci des circonstances. Ils étaient essentiellement des réfugiés, ayant fui leur patrie pour sauver leur peau et celle de l’enfant de Miryam. Pour leur propre sécurité, ils ne pouvaient même pas parler de leurs malheurs à leurs nouveaux voisins alexandrins ni de la raison pour laquelle ils avaient quitté leur maison et leur terre à Bethléhem au milieu de la nuit.

 

Leur seule consolation  dans ce pays étranger était de savoir que même en fuyant en Égypte ils obéissaient au commandement de Dieu.

 

 

CHAPITRE XVIII

Rachel pleure ses enfants

 

Pendant ce temps-là se produisaient à Jérusalem des choses auxquelles Yosséf et Miryam devaient être heureux d’avoir échappé. Le roi Hérode devenait de plus en plus malade et ses accès de colère de plus en plus irrationnels l’amenaient à de nouveaux assassinats.

 

Pendant le mois d’adar, vers la mi-mars, Hérode ordonna l’exécution de plus de quarante personnalités juives. Elles l’avaient offensé en détruisant une grande aigle romaine en or qu’il avait apposée au-dessus de la grande entrée du Temple de Jérusalem. Après avoir renvoyé le souverain sacrificateur pour malfaisance, Hérode fit brûler vifs les coupables.

 

Le roi malade se fit ensuite transporter à Calirrhoé, à l’est de la mer Morte, pour voir si un bain dans les eaux chaudes de cette station pouvait l’aider à guérir. En vain. Ses intestins et son colon étaient remplis d’ulcères et ses organes externes se nécrosaient. Il faillit passer de vie à trépas un jour que ses serviteurs le plongeaient dans un bain d’huile chaude. La fin du mois arrivée, il avait renoncé à guérir et ordonna qu’on le transporte dans son luxueux palais de Jéricho.  Là il donna l’ordre final d’exécuter son fils Antipater, accusé de trahison.

 

Hérode ne retourna jamais à Jérusalem. Il mourut dans d’atroces souffrances quelques jours après son arrivée à Jéricho aux environs du 1er avril de l’année que nous appelons maintenant 4 av. J.-C. Avant de mourir, il changea son testament pour que son fils Archélaüs devienne souverain de Judée et un autre fils appelé Antipas devait gouverner la Galilée et la région située à l’est du Jourdain.

 

Archélaüs supervisa les funérailles. Le despote fut revêtu de robes royales, avec des bijoux, un sceptre et une couronne d’or. Son corps fut transporté dans les montagnes de Judée sur une civière d’or incrustée de pierres précieuses. Le cortège funèbre, composé de la famille, des nobles et du personnel militaire, était long de huit cents mètres. Le corps fut enseveli dans un mausolée grandiose qu’il avait fait préparer expressément sur la pente nord-est d’une forteresse au sommet d’une montagne dans le désert de Judée à une quinzaine de kilomètres au sud de Jérusalem. Il avait fait construire cette forteresse, qui faisait partie de son complexe de palais le plus grandiose, une vaste propriété avec des villas et un lac artificiel qu’il avait appelé l’Hérodion. Ironie des choses, l’Hérodion se trouvait justement situé bien en vue à huit kilomètres au sud-est de Bethléhem, lieu de naissance du bébé qu’Hérode avait essayé de tuer.

 

Après les funérailles, Archélaüs se rendit au Temple de Jérusalem pour être reçu comme roi par la population juive de Judée. C’était maintenant le mois printanier de nisan et la pâque était proche. Des dizaines de milliers de Juifs venus de tous les coins d’Israël furent rejoints par d’autres milliers qui venaient de l’étranger en vue de la fête annuelle. Les Judéens locaux étaient toujours en colère à propos de l’horrible exécution des hommes qui avaient détruit l’aigle d’or d’Hérode. Quand la foule se mit à manifester contre Archélaüs au Temple, le nouveau roi ordonna à un millier de ses hommes de troupe de descendre contre les masses réunies dans et autour du complexe du Temple. Plus de trois mille Juifs, venus de tout l’empire, furent tués dans l’attaque. Ce fut un massacre de pâque que le pays n’allait jamais oublier.

 

Archélaüs quitta ensuite la Judée pour se rendre à Rome afin de faire ratifier le dernier testament d’Hérode par l’empereur et assurer son trône de Judée. Les mauvais sentiments ne s’étaient pas apaisés parmi la population et deux fonctionnaires romains, Sabinus, représentant personnel de César Auguste, et Varus, gouverneur de Syrie, vinrent de Syrie observer la situation. Varus amena une légion de ses troupes syriennes pour imposer l’ordre en Judée au cas où l’insurrection continuerait en l’absence d’Archélaüs.

 

Au bout d’un mois, comme le risque d’émeute semblait réduit, Varus retourna en Syrie. Mais par mesure de sécurité, il laissa sa légion de Syrie avec Sabinus. Malheureusement pour les Juifs de Judée, il s’avéra que le choix de Sabinus comme administrateur de la région était inopportun. Ses excès brutaux contre la population déclenchèrent une nouvelle vague de résistance. Sabinus fit réagir brutalement les soldats de la légion de Varus. Le conflit eut lieu lors de la fête de shavou’ot, ou Pentecôte, au début de juin, juste sept semaines après la pâque.

 

Écrasés par les soldats de la légion syrienne, les combattants juifs se retirèrent dans le complexe quelque peu fortifié du Temple d’Hérode dont les portiques occidentaux extérieurs étaient toujours en cours de construction. Du haut des toits de ces portiques qui entouraient les cours du Temple, les forces juives purent faire tomber une pluie de pierres et de flèches sur les légionnaires qui se trouvaient dans les rues de la ville en bas. Sabinus autorisa les forces romaines à bouter le feu aux nouveaux portiques. Les chapiteaux de pierre gravés et peints de couleurs vives et les poutres en bois épaisses importées qui constituaient le toit des structures étaient décorés en beaucoup d’endroits de feuilles d’or maintenues par de fines couches de cire d’abeille. Quand les incendies déclenchés par les légionnaires atteignirent ces décorations, toute la partie supérieure du portique occidental inachevé devint une fournaise alimentée par la cire et le bois sec. Des centaines de Juifs furent consumés dans les flammes rugissantes ou sautèrent des portiques sur la rue pavée tout en bas et s’y tuèrent. Les toits finirent par s’effondrer, tuant encore des dizaines de personnes.

 

Varus revint rapidement de Syrie avec deux nouvelles légions. Il s’ensuivit une guerre sanglante qui se répandit parmi les Juifs de Judée et de Galilée et dura tout cet été-là et jusqu’en automne. L’historien rapporte « dix mille désordres en Judée » qui alimentèrent les violences des légions impériales. Les rebelles juifs de Galilée attaquèrent le palais du gouvernement à Sepphoris, non loin de Nazareth. Le chaos était tel que des troupes étrangères furent envoyées de Beyrouth en Phénicie et de Petra en Arabie. Les forces arabes d’Aretas, roi de Petra, brûlèrent et pillèrent des dizaines de villages juifs dans le sud. Le nombre d’hommes, de femmes et d’enfants juifs tués dans tout le pays ne fut jamais compté, mais dépassa probablement les dix mille cet été et cet automne-là.

 

L’ordre fut finalement ramené vers la fin de l’automne. Varus fit encore crucifier trois mille Juifs parce qu’il les considérait comme les instigateurs de la rébellion. Au cours de toute cette année, plus de quinze mille Juifs perdirent la vie à la suite de la mort d’Hérode.

 

Loin de là, à Rome, Archélaüs était officiellement  confirmé ethnarque de Judée et de Samarie, une fonction qui était loin d’être au niveau de celle de roi que son père avait détenue. Et Antipas fut désigné comme tétrarque de Galilée et de Pérée. Les deux hommes revinrent avec leur suite en Israël et prirent leurs fonctions avant le début de l’hiver.

 

Également loin de là, en Égypte, à l’abri de la communauté juive d’Alexandrie, Yosséf et Miryam avaient évité les mois de grabuge et de massacres causés par les excès d’Archélaüs et des officiers romains de Syrie. Le bébé de Miryam était en bonne santé et grandissait et avait maintenant dix ou onze mois. Bien qu’ils eussent désespéré de devoir quitter leur maison à Bethléhem, dans la période tumultueuse qui suivit la visite des magoushim, leur fuite en Égypte avait été la meilleure sécurité qu’ils auraient pu espérer.

 

Yosséf ne le savait pas à l’époque, mais le fait d’avoir emmené Miryam et le bébé en Égypte et de les ramener en Israël allait un jour être considéré comme l’accomplissement d’une prophétie qui se trouve dans Osée 11:1. Matthieu résume l’épisode égyptien en une seule phrase : « Il y resta jusqu’à la mort d’Hérode, afin que s’accomplît ce que le Seigneur avait annoncé par le prophète : J’ai appelé mon fils hors d’Égypte » (Matthieu 2:15).

 

*** 

 

Notes du chapitre XVIII

 

Sources

Les détails relatifs aux actes et à la mort d’Hérode mentionnés dans ce chapitre ainsi que ceux des remous en Judée après sa mort se trouvent dans Flavius Josèphe, Histoire antique des Juifs, Livre XVII.

 

 

 

CHAPITRE XIX

J’ai appelé mon fils hors d’Égypte

 

 

Le séjour en Égypte remplit son rôle. Le petit bébé au nom juif  Yeshua était sain et sauf. Mais le fils de Miryam était le Messie d’Israël. Il ne pouvait pas devenir citoyen d’un autre pays.

 

Nous ne savons pas au juste quand Yosséf, Miryam et l’enfant quittèrent les rues animées du quartier juif d’Alexandrie pour retourner dans leur patrie. Ils ne retournèrent certainement pas pendant les bouleversements qui se produisirent en Judée et en Galilée. Mais ils voulurent certainement rentrer chez eux dès que le danger fut passé. Le moment le plus vraisemblable pour effectuer le voyage a dû être tout à la fin de l’automne ou au début de l’hiver. Matthieu dit simplement : « Quand Hérode fut mort, voici, un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, en Égypte, et dit : Lève-toi, prends le petit enfant et sa mère, et va dans le pays d’Israël, car ceux qui en voulaient à la vie du petit enfant sont morts. Joseph se leva, prit le petit enfant et sa mère, et alla dans le pays d’Israël » (Matthieu 2:19-21).

 

Yosséf et Miryam durent se réjouir de retourner à Bethléhem. Ils étaient partis depuis quelque huit mois. Mais Yosséf avait en main l’acte de propriété de leur terrain et leur jolie maison devait les attendre. En arrivant à Bethléhem, ils pouvaient reprendre la vie dans la maison modeste de leurs rêves. Depuis la porte d’entrée ils pourraient  regarder vers le sud-est dans les collines du désert de Judée et voir le tertre conique sur lequel se dressait la forteresse de l’Hérodion, l’endroit où l’on avait enterré le corps d’Hérode le printemps précédent.

 

La menace contre le jeune Jésus semblait être définitivement enterrée dans la tombe d’Hérode. La révélation reçue en Égypte semblait indiquer que le danger était passé. Pendant quinze jours, Yosséf et Miryam voyagèrent vers l’est, dos au Nil, et traversèrent le nord du désert du Sinaï et remontèrent la côte méditerranéenne, passant devant Gaza. Mais quand le couple approcha de la frontière d’Israël avec leur bambin, qui avait maintenant près d’un an, ils eurent un coup au cœur en apprenant qu’Archélaüs régnait maintenant comme nouvel ethnarque de Judée. Leur bonheur se transforma immédiatement en anxiété et leur enthousiasme en peur.

 

L’histoire des attaques féroces d’Archélaüs lors de la pâque et de la période désastreuse qui s’en était suivie ne firent qu’alimenter l’inquiétude de Yosséf. Tout à coup les projets de vie agréable à Bethléhem se dissipaient à nouveau. L’inspiration que Yosséf et Miryam ressentaient dans leur cœur leur disait qu’ils ne pouvaient pas retourner chez eux sur le promontoire sud-est du village. Yosséf en reçut la confirmation dans un nouveau songe révélateur. Il lui fut dit d’emmener sa petite famille plus au nord, en Galilée, où Archélaüs ne régnait pas. Le récit du songe de Yosséf rapporté par Matthieu dit simplement : « Mais, ayant appris qu’Archélaüs régnait sur la Judée à la place d’Hérode, son père, il craignit de s’y rendre ; et, divinement averti en songe, il se retira dans le territoire de la Galilée » (Matthieu 2:22).

 

Leurs projets de vie à Bethléhem à l’eau, le cœur douloureux, Yosséf et Miryam longèrent la Judée par la route côtière, n’osant même pas entrer dans son territoire. Évitant également la Samarie, ils restèrent trois jours de plus sur le chemin côtier jusqu’à ce qu’ils eussent traversé la chaîne de montagnes du Carmel. Deux jours de plus et ils passèrent près de l’antique Meguiddo et traversèrent la vallée de Jizreel vers les collines de Galilée où ils étaient nés tous les deux.

 

Ce fut très probablement une fois de plus au début de l’hiver, au mois de kislev (plus ou moins notre mois de décembre), que les voyageurs fatigués arrivèrent en vue des collines de la basse Galilée. Après presque un an et demi, ils revenaient dans leur village natal de Nazareth. Peut-être le soleil brillait-il, mais il est plus vraisemblable que le ciel était gris et même pluvieux quand ils entrèrent de nouveau dans le village à flanc de colline. Mais si tel était le cas, nous pouvons aussi supposer que Yosséf et Miryam refusèrent d’y voir un jour triste. C’était un couple qui, quoique encore si jeune, avait appris à affronter les difficultés et à se faire une raison des déceptions. Ils étaient reconnaissants à Dieu de les avoir conduits plusieurs fois en lieu sûr et des bénédictions et des leçons inhérentes à leurs épreuves. Il y avait déjà une annonce de jours meilleurs dans les nuages gris de Galilée.

 

Une éclaircie, lumineuse comme un arc-en-ciel, était que Yosséf et Miryam allaient retrouver leurs parents et leurs familles. Yo’akim et Hannah pouvaient maintenant voir leur fille et leur petit-fils Yeshua. Yakov Eli et sa femme pouvaient, eux aussi, revoir leur fils et le petit garçon qu’il allait élever et qui hériterait de son lignage davidique. Il est probable que Yosséf s’installa avec Miryam et le petit Yeshua chez son père. Il allait falloir un certain temps au jeune tailleur de pierre pour gagner suffisamment d’argent pour acheter un lopin de terre galiléen où il pourrait construire une autre maison pour sa femme et le bébé. Mais les familles de Yosséf et Miryam pourraient prendre part au bonheur de leur mariage et à l’éducation de l’enfant-Messie.

 

Une autre éclaircie était que la Galilée était gouvernée par Antipas et non par Archélaüs. Bien que tous deux fussent les fils d’Hérode, Antipas n’était pas le tyran instable et erratique que son frère s’était déjà révélé être. Le jeune Messie et ses parents allaient devoir être prudents en ce qui concerne son identité divine, mais il n’aurait rien à craindre de la part d’Antipas en Galilée. Le jeune Yeshua allait pouvoir y grandir, pour employer les termes de Luc, « en grâce, devant Dieu et devant les hommes ».

 

Et il y avait encore une troisième éclaircie dans le ciel de Galilée, un rayon de lumière qu’aucun de ceux qui participèrent aux événements du premier  Noël n’aurait pu imaginer si tôt dans leur histoire : c’était l’accomplissement d’une autre prophétie d’un des voyants antiques d’Israël. Mais la vieille prédiction était très compliquée et il allait falloir un certain temps à Yosséf et à Miryam pour comprendre tout à fait les implications du passage.

 

 

 

CHAPITRE XX

Il sera appelé Nazaréen

 

Ésaïe, le prophète, avait vécu sept siècles avant la naissance de Jésus. L’un de ses nombreux poèmes parlait d’un descendant du roi David qui paraîtrait en Israël comme un rameau poussa             nt sur un tronc d’arbre. Dans le couplet introductif du onzième chapitre d’Ésaïe, Yishaï (Isaï), père de David, représente la lignée royale de David et le mot hébreu netzer est traduit ici par le mot « rejeton ».

 

« Un hoter (rameau) sortira du tronc de Yishaï (Isaï), Et un netzer (rejeton) naîtra de ses racines » (Ésaïe 11:1).

 

Le rejeton (netzer) ou rameau (hoter) mentionné par Ésaïe, qui allait sortir des racines davidiques serait l’Oint d’Israël, le Messie.  Le passage complet d’Ésaïe 11:1-9 prédit le règne de justice et de jugement du « rameau » messianique. D’autres prophètes ont aussi utilisé l’idée du rameau symbolisant l’Oint préparé par Dieu pour racheter son peuple, utilisant pour cela un synonyme hébreu de netzer et hoter, le mot tzemakh, avec le sens de germe (messianique). Cent ans après les prophéties d’Ésaïe, le prophète Jérémie prédit un germe davidique juste que Dieu susciterait pour en faire un roi : « Voici, les jours viennent, dit l’Éternel, où je susciterai à David un germe juste ; il régnera en roi et prospérera, il pratiquera la justice et l’équité dans le pays » (Jérémie 23:5). « En ces jours et en ce temps-là, je ferai éclore à David un germe de justice ; il pratiquera la justice et l’équité dans le pays » (Jérémie 33:15).

 

Deux autres passages utilisant le mot tzemakh se trouvent dans les prophéties de Zacharie (3:8 et 6:12). Mises ensemble, les prédictions qui disent que le Messie d’Israël sera un « rejeton » ou un « germe » de la maison de David sont cinq fois plus nombreuses que celles qui annoncent sa naissance à Bethléhem. Trois prophètes avaient mentionné (cinq fois en tout) que le Messie serait « un rameau » ou « germe ».

 

Qu’est-ce que ces cinq passages ont à voir avec Nazareth ? Simplement ceci : en hébreu, le nom exact du village était Natzereth, un mot dérivé directement du terme netzer. Bien qu’on en parle rarement dans les cours de religion modernes, le nom de localité Natzereth signifiait essentiellement « Germeville ». Et le terme pour désigner un résident de Natzeret était Natzri qui était orthographié avec un « n » supplémentaire dans le grec du Nouveau Testament  et est souvent rendu par « Nazaréen ». Le terme Natzri (Nazaréen) ne fait que personnifier le mot netzer : il indique qu’une personne est un « germe » pour ainsi dire.

 

Au cours des années qui suivirent leur retour à Nazareth, Yosséf, Miryam et leurs familles durent étudier les écritures hébraïques pour trouver des informations concernant le Messie qui n’étaient pas encore devenues de notoriété publique. En finissant par découvrir cinq passages désignant l’oint d’Israël comme étant le « germe », ils ont dû remarquer que le mot utilisé par Ésaïe, le doyen des prophètes anciens, était netzer, le mot même d’où provenait Nazareth. Ils ont dû se rendre compte tout à coup, un beau jour, que Jésus grandirait comme un Natzri, personnification du terme netzer. Jésus serait un Nazaréen !

 

Et tout aussi soudainement, Yosséf et Miryam durent se rendre compte que leur retour en Galilée n’avait pas du tout été un pis-aller ou un « plan B » improvisé, en tout cas pas du point de vue divin. C’était, depuis toujours, la volonté et le plan premier de Dieu.

 

Le jeune couple avait fait tout ce qu’il avait pu pour accomplir la prophétie solitaire de Michée annonçant que le Messie proviendrait de Bethléhem. Et les circonstances avaient voulu que l’unique passage de Jérémie disant que Dieu appelait son fils hors d’Égypte s’accomplisse. Mais maintenant qu’ils étaient à Nazareth, les prophéties multiples qui qualifiaient le Messie de « rameau » ou « germe » semblaient clairement indiquer que ce n’était pas un coup du sort qui avait ramené le couple dans leur village natal, mais la main délibérée du Dieu d’Israël.

 

Il devint clair pour le couple courageux de Nazareth que Yeshua, que le monde allait connaître sous le nom de Jésus, devait en réalité grandir dans le village portant le nom du netzer. À la fin de son récit concernant la naissance et les voyages de l’enfant Jésus, Matthieu utilise un jeu de mots sur les mots netzer, Natzereth et Natzri pour résumer les prédictions des trois prophètes qui avaient prédit la venue du « rameau » d’Israël : « … et vint demeurer dans une ville appelée Nazareth, afin que s’accomplît ce qui avait été annoncé par les prophètes : Il sera appelé Nazaréen » (Matthieu 2:23).

 

*** 

 

Et c’est comme cela, cher Lecteur, que le bébé qui naquit à Bethléhem et a été déposé dans une crèche de pierre nue, en vint à grandir à Nazareth, pour devenir lui-même tailleur de pierre, puis un jeune rabbin populaire, connu sous le nom de Jésus de Nazareth, un homme que des milliards de personnes allaient finalement reconnaître comme le Messie d’Israël et Fils de Dieu.

 

Voilà qui conclut le récit qui n’avait pas encore été fait du premier Noël, l’histoire d’une foi et d’un courage plus grands que la plupart d’entre nous l’ont jamais imaginé ; l’histoire d’un jeune homme et d’une femme encore plus jeune, menant une vie tout à fait ordinaire, qui reçurent de Dieu le commandement de faire des choses tout à fait extraordinaires, l’histoire de leur détermination à se montrer à la hauteur de la situation.

 

Une dernière chose : C’est une histoire qui est vraie ! Vous pouvez compter là-dessus. Allez-y maintenant. Savourez-la de nouveau vous-même, en la lisant dans les pages de votre Nouveau Testament.

 

Joyeux Noël !

 

 

 

 

 

ANNEXE 1

La notion de naissance virginale

 

Si en tant qu’auteur je puis me permettre une liberté personnelle, je voudrais faire quelques commentaires sur ce que le Nouveau Testament nous dit à propos de la conception et de la naissance virginales de Jésus.

 

Je reconnais que je n’ai jamais douté de ce récit. Depuis la première fois que je l’ai lu dans mon enfance, j’ai cru que Jésus était littéralement le Fils de Dieu. J’ai accepté la proposition que Jésus a lui-même faite dans l’évangile de Jean : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jean 3:16). Homme de science vivant maintenant, au vingt et unième siècle, âgé de plus d’un demi-siècle, je crois avec autant de certitude que quand j’étais enfant que le texte de l’évangile est authentique et vrai.

 

En disant cela, je tiens à ce qu’il soit bien clair que je ne condamne en aucune façon ceux de mes collègues qui ne sont pas de cet avis. Et je ne juge aucun laïc qui a décidé qu’il ne peut pas croire en l’histoire de la naissance virginale. La foi est une expérience hautement personnelle. Je ne me permettrais pas de critiquer les conclusions auxquelles quelqu’un d’autre pourrait parvenir par sa foi ou sa raison. J’ai en fait un grand respect pour les vrais fidèles de toutes les traditions religieuses aussi bien que pour le scepticisme de l’intelligence honnête.  Ce que j’espère, c’est que ceux qui se trouvent du côté sceptique par rapport à la question de la « naissance virginale » prendront un moment pour réfléchir à ce qui suit.

 

Quand j’ai commencé à faire des recherches et à enseigner le Nouveau testament, dans les années 1970, j’ai été véritablement surpris d’apprendre que beaucoup de théologiens et commentateurs chrétiens modernes considèrent que Marie n’était pas vraiment vierge quand Jésus est né. L’argument habituel dans ces études était que l’enfant avait été conçu à la suite de relations sexuelles avec un homme. C’était généralement Joseph qui était identifié comme étant le père littéral de Jésus, avec la suggestion que Marie et lui avaient eu s des relations avant leur mariage. On laissait parfois entendre  qu’un autre homme, inconnu ou non identifié par les auteurs du Nouveau Testament, avait été celui qui avait fécondé Marie. Je me souviens en particulier d’un commentateur absolument formel qui prétendait qu’aucun enfant n’était jamais né sans qu’il y ait eu rapport sexuel.

 

Mais les récits de Matthieu et de Luc sont écrits en des termes qui nient expressément que Joseph, ou tout autre mortel, ait été le père de Jésus. La question est donc essentiellement celle-ci : faut-il croire ou non les récits des évangiles ?

 

Vers cette même époque, au cours des années 1970, des recherches remarquables étaient en cours  dans le monde scientifique au sujet de la reproduction humaine.  Pendant toute la décennie, des tentatives répétées furent faites par des chercheurs aux États-Unis et au Royaume Uni pour fertiliser un ovule humain par le processus appelé « fertilisation in vitro ». Le but était d’aider les couples incapables d’avoir des enfants par des moyens normaux. Finalement, en 1977, une fertilisation réussie eut lieu dans une clinique anglaise et l’embryon qui en résulta fut implanté dans la mère potentielle. Le 25 juillet 1978 naissait une petite fille normale et en bonne santé à qui l’on donna le nom de Louise Brown. Elle avait été conçue et implantée dans la matrice de sa mère et naquit plus tard normalement sans qu’il n’y ait eu de rapport sexuel !

 

La petite Louise fut connue comme le « premier bébé-éprouvette », un terme plutôt banal inventé par les médias pour expliquer que sa conception avait eu lieu dans le laboratoire d’une clinique. Et, au départ, Louise et les autres enfants  qui naquirent de cette façon en Angleterre et en Amérique firent la une des journaux, chaque naissance « éprouvette » étant accueillie comme un bond en avant.

 

C’était il y a plus de trente ans. Avec le temps et le nombre de fécondations réussies, le phénomène perdit de son originalité et les médias cessèrent d’en parler. Au moment où je rédige ces lignes, il y a, dans le monde, plus de deux millions de personnes qui ont été conçues in vitro, implantées dans la matrice de leur mère et sont nées sans problème sans qu’il y ait eu de rapport sexuel.

 

Il y a un siècle à peine, ceci aurait été considéré comme un miracle ! Il y a seulement cinquante ans, on aurait qualifié cela de science-fiction. Maintenant, c’est devenu tellement courant qu’on n’en entend plus parler au JT. Mais en réalité, c’est toujours aussi miraculeux aujourd’hui que cela aurait été le cas il y a cent ans, mille ans ou deux mille ans.

 

Cela dit, je tiens à ce que ce soit clair : la fécondation in vitro n’est pas la raison pour laquelle je crois en la naissance virginale. Comme je l’ai dit plus tôt, je crois en la naissance miraculeuse et virginale de Jésus depuis que j’en ai appris l’existence dans mon enfance. J’y croirais même s’il n’y avait pas de fécondation in vitro ni de bébés-éprouvettes ». C’est l’Esprit de Dieu qui donne ce témoignage, pas la logique du raisonnement humain.

 

Ce que je veux dire, et je ne veux rien dire de plus, à l’intention de ceux auraient besoin d’une raison pour revoir la légitimité de leur doute : si de simples mortels, travaillant pour le bien de l’humanité dans leurs cliniques et leurs laboratoires peuvent trouver le moyen d’assurer la conception et la naissance d’un enfant sans qu’il y ait eu d’union sexuelle, pourquoi faudrait-il douter que Dieu puisse en faire autant ? Après tout, comme l’ange l’a dit à Marie, à Dieu rien n’est impossible.

 

 

 

ANNEXE 2

Le timing de la visite des magoushim

 

Les textes du Nouveau Testament sont des documents merveilleux que je considère comme exacts et dignes de confiance. Cela ne veut pas dire qu’ils sont infaillibles et qu’il n’y a aucun risque d’erreur. Même les quatre évangélistes pouvaient commettre des erreurs. Mais à mon avis, la plupart des erreurs qui peuvent exister dans les textes sont essentiellement le résultat de fautes commises par inadvertance par les premiers copistes et non le résultat d’efforts pour corrompre les récits eux-mêmes.

 

Ceci étant, je suis très réticent quand il s’agit de proposer un changement quelconque aux récits du premier Noël que nous avons dans Matthieu et Luc. C’est donc à titre tout à fait exceptionnel que j’ai moi-même changé le temps mentionné dans Matthieu 2:16 (voir chapitre XVII).

 

Plutôt que de faire tuer par Hérode tous les enfants masculins « de deux ans et au-dessous »  de Bethléhem et des environs, comme le dit le texte reçu de Matthieu, je suggère que le texte a dû dire à l’origine « deux mois et au-dessous ». Toutefois, pour bien montrer qu’il s’agit là de ma propre correction, j’ai mis le mot « mois » entre crochets dans le passage présenté au chapitre XVII.

 

Il y a un certain nombre de raisons contraignantes pour conclure que Matthieu a dû à l’origine indiquer « deux mois » plutôt que « deux ans ». Je n’en citerai que trois.

 

1. Le vif désir des magoushim de voir le roi nouveau-né : Les visiteurs de l’Orient semblaient très impatients de trouver Jésus. Mais si le signe de sa naissance avait été donné deux ans avant leur arrivée à Jérusalem, cela voudrait dire qu’ils avaient postposé leur voyage de vingt-deux mois. Le temps nécessaire pour voyager à pied et à dos de chameau de Babylone à Jérusalem n’était que de six semaines et, de la frontière perse, de sept seulement. Ce sont les deux endroits les plus probables  dans « l’Orient » d’où les magoushim étaient venus. Alors ou bien ils avaient vu le signe deux ans plus tôt et avaient attendu très longtemps pour se rendre finalement en Judée (en dépit de leur impatience) ou alors le signe avait dû être donné beaucoup plus récemment, deux mois seulement plus tôt. Et si les magoushim étaient partis de chez eux « en Orient » dans les quelques jours de l’apparition de l’étoile, cela veut dire que le signe n’a pas pu être donné plus de huit ou neuf semaines environ avant leur arrivée à la cour du roi Hérode à Jérusalem.

 

2. Le caractère immédiat du récit du Nouveau Testament lui-même : Le texte de Matthieu 2:1 dit que « Jésus étant né à Bethléhem… des mages d’Orient arrivèrent . » Il n’y a aucune indication d’un éloignement dans le temps, il n’y a pas une période de nombreux mois entre « Jésus étant né » et « des mages d’Orient arrivèrent ». Le texte lui-même semble dire que les magoushim sont venus directement après la naissance de Jésus. Le voyage au départ de « l’Orient » jusqu’à Jérusalem étant de six à huit semaines, cela voudrait dire qu’il ne s’était passé que deux mois environ depuis qu’ils avaient vu le signe dans les étoiles. On voit donc pourquoi Hérode a dû vouloir faire tuer les bébés masculins de Bethléhem « de deux [mois] et au-dessous » selon le calendrier dont il s’était soigneusement enquis auprès des magoushim.

 

Le nombre d’enfants tués était forcément restreint : dans un village comme Bethléhem, on ne peut pas s’attendre à ce que plus de dix enfants soient nés en deux mois. La moitié environ de ceux-ci, peut-être cinq ou six, devaient être des garçons. C’est pour cela que je relève au chapitre XVII une demi-douzaine de bébés masculins de neuf semaines ou moins tués sur l’ordre d’Hérode. Si tous les garçons de deux ans et en dessous avaient été tués, il y en aurait sans doute eu plus de soixante-dix. Hérode devait forcément entreprendre cette opération en secret en envoyant une bande d’assassins. Il est tout simplement impossible qu’il ait envoyé ses troupes en mission officielle pour tuer des enfants juifs. Pareille opération, si elle avait mis à mort quelque soixante-dix enfants, ne serait pas passée inaperçue et les historiens extérieurs au Nouveau Testament, comme Josèphe, l’auraient certainement mentionnée (que l’on se souvienne de l’agitation à propos de l’exécution des hommes qui avaient détruit son aigle d’or). Mais il aurait été impossible à une escouade secrète d’attaquer plus de soixante-dix foyers  et de tuer ce nombre d’enfants sans que la conspiration ne soit découverte, auquel cas elle serait devenue de notoriété publique et aurait fait partie du registre historique des excès d’Hérode. Le contexte de l’histoire racontée par Matthieu fait penser à une liquidation secrète des bébés de Bethléhem et aussi que leur nombre était limité aux quelques bébés masculins qui avaient neuf semaines ou moins.

 

 

 

Annexe 3

La Place de la Crèche à Bethléhem

 

 

Le modeste lopin de terre que Joseph et Marie possédaient autrefois à Bethléhem est aujourd’hui l’une des propriétés les plus célèbres du monde. C’est aussi l’un des territoires les plus troublés du monde. Il fait partie du grand complexe appelé Place de la Crèche et l’église de la Nativité dans la ville moderne de Bethléhem.

 

  Des milliers de pèlerin et de touristes chrétiens visitent chaque année la Place de la Crèche et beaucoup s’y rassemblent chaque décembre pour la fête de Noël en dépit du conflit entre Israéliens et Arabes palestiniens pour le contrôle des lieux.

 

L’église de la Nativité, qui date de l’ère byzantine, fut construite au-dessus de la grotte de Joseph et Marie en 326 de notre ère. L’empereur Constantin en ordonna la construction après que sa mère Hélène en eut identifié le site comme étant l’emplacement de la naissance de Jésus. Ceci était basé sur la tradition et sur des informations qu’elle tenait de la communauté chrétienne de Bethléhem.

 

La basilique fut transformée et agrandie un peu après 529 apr. J.-C. sur ordre de l’empereur byzantin Justinien. Bien que modifié quelque peu par les croisés au douzième siècle, l’édifice où les visiteurs entrent aujourd’hui est essentiellement le sanctuaire justinien du sixième siècle.

 

Aujourd’hui, l’église de la Nativité est gérée par des chrétiens orthodoxes grecs, quoique les chrétiens arméniens aient une petite présence dans l’abside nord de l’église. Sous l’autel ornementé se trouve la grotte de la nativité. Les visiteurs qui descendent  l’escalier dans la pièce décorée sous l’autel sont informés qu’ils entrent dans la grotte même où Marie a donné le jour à son fils.

 

On a accès à une partie de cette grotte en passant par l’église catholique de Sainte-Catherine, juste au nord de l’église de la Nativité. Les chances pour que la grotte de la Nativité soit véritablement l’endroit de la naissance de Jésus sont assez bonnes. Il y a un certain nombre d’autres grottes dans le voisinage immédiat de la Place de la Crèche. Un creux appelé grotte des Innocents prétend être l’endroit où ont été enterrés les enfants tués sur l’ordre d’Hérode mais c’est là une tradition tardive qui n’est guère probable.  Une autre grotte encore, appelée grotte du Lait, se trouve non loin de l’église de la Nativité et une vieille tradition affirme que son intérieur est devenu complètement blanc par une goutte du lait de Marie, ce qui est aussi peu vraisemblable. Mais n’importe laquelle de ces grottes a pu abriter Joseph et Marie pendant la construction de leur maison.

 

L’origine très ancienne de la tradition associée à la grotte de l’église de la Nativité fait que c’est l’emplacement le plus vraisemblable de l’abri temporaire du couple de Nazareth et l’endroit où le Fils de Dieu est né.

 

 

 

Annexe 4

Le sixième mois

 

Dans La Crèche de pierre, je lis la mention du « sixième mois » dans Luc 1:26 comme une allusion au sixième mois du calendrier civil juif, le mois d’adar au printemps. Les commentaires n’envisagent pas ce lien mais présentent le passage comme la suite de ce que dit Luc 1:24 où « Élisabeth… se cacha pendant cinq mois ». Les commentaires estiment donc qu’Élisabeth a caché sa grossesse pendant cinq mois et qu’au cours du sixième mois de la grossesse d’Élisabeth, l’ange apparut à Marie à Nazareth.

 

 Je crois qu’il est probablement exact de dire qu’Élisabeth était effectivement enceinte depuis six mois au moment de la visite de l’ange à Marie et je le mentionne même plus haut, au chapitre III de La Crèche de pierre.  Mais je pense que dans la logique du récit de Luc 1, ce fait est une coïncidence. Je suis tout à fait à l’aise dans mon opinion que la mention du « sixième mois » dans Luc 1:26 doit être considérée comme désignant le mois d’adar. Voici pourquoi :

 

1. Il y a une rupture littéraire naturelle dans le récit de Luc 1 entre les versets 25 et 26 où la narration de l’histoire de Zacharie prend fin et celle de l’histoire de Marie commence. À cause de cela, si le temps du verset 26 était véritablement prévu comme allusion au moment de la grossesse d’Élisabeth, nous devrions nous attendre à ce que la nouvelle section littéraire commence par une expression du genre « au sixième mois d’Élisabeth » ou même « un mois plus tard ». Mais il n’y a aucune précision de ce genre dans le texte tel que nous l’avons. Et au commencement de la nouvelle section littéraire au verset 26, l’expression sans modification du « sixième mois » est très vraisemblablement une allusion à l’époque de l’année civile juive plutôt qu’à celle de la grossesse d’Élisabeth.

 

2. À l’époque de la naissance de Jésus, le calendrier utilisé chez les Juifs commençait avec le nouvel-an, rosh hashannah, au début de l’automne, comme je l’explique au chapitre III. Le premier mois était tishri. Le sixième mois était adar et il correspond plus ou moins à notre fin février à fin mars. Nous ne savons pas depuis combien de temps le calendrier en question était utilisé au moment de la naissance de Jésus, mais il l’était depuis plusieurs décennies au moins.

 

   3. Il y avait aussi un calendrier plus ancien utilisé par les Juifs, celui des livres bibliques anciens que nous appelons aujourd’hui la Bible hébraïque ou Ancien Testament. Ce calendrier marquait le début de l’année au printemps, avec le mois d’aviv (le mois qui allait être appelé plus tard nisan). Nous savons, grâce aux écrits de l’historien Josèphe que le vieux calendrier biblique était toujours utilisé parallèlement au calendrier civil plus récent. Mais il n’y a aucune indication dans aucun des écrits du Nouveau Testament que l’ancien calendrier doive être préféré au plus récent dans le récit de Luc 1 ou dans aucun autre. Et une conception fin mars (fin adar), le « sixième mois » selon le calendrier civil, est le seul modèle qui permette  à Jésus de naître aux environs du solstice d’hiver (voir annexe 5).

 

 

 

Annexe 5

La date de Noël

 

 

On entend de temps en temps des gens se plaindre que la date du 25 décembre ait été choisie pour commémorer Noël parce qu’il se trouve que cette date est aussi une fête païenne romaine. Mais il n’y a vraiment aucune raison de se tracasser pour cette question.

 

Il est certainement vrai qu’en 274 apr. J.-C., l’empereur romain Aurélien avait fait du 25 décembre la fête de Sol Invictus (« soleil invincible »). Le solstice d’hiver, jour le plus court de l’année, se situait habituellement le 21 ou le 22 décembre et le 25 décembre était le premier jour après le solstice où le soleil était visiblement un peu plus longtemps dans le ciel. La fête de Sol invictus commémorait la renaissance du soleil, que certains Romains, notamment ceux qui adoraient Mithra, tenaient pour une divinité. Pour le dire simplement, le 25 décembre devint l’anniversaire du soleil à Rome.

 

On se souviendra que le Nouveau Testament dit que Marie conçut Jésus vers la fin du sixième mois juif, appelé adar, soit vers la fin de notre mois de mars. Neuf mois après cet événement, nous verrions Jésus naître à la fin du mois juif de kislev lequel tombait souvent vers la fin de notre mois de décembre.

 

Pendant la plus grande partie du premier siècle de notre ère, la majorité des disciples de Jésus furent juifs. Il ne semble pas qu’ils aient fêté l’anniversaire de la naissance de Jésus (bien  que les fêtes anniversaires fussent normales et parfaitement acceptables dans la société juive). Les disciples juifs qui avaient accès à l’évangile de Luc devaient savoir que Jésus avait été conçu au mois d’adar, au début du printemps, et était par conséquent né au mois de kislev, au début de l’hiver.

 

Mais au deuxième siècle, la démographie de l’Église changea radicalement. Le nombre de chrétiens ethniquement juifs diminua et la majorité ne tarda pas à être d’origine païenne. Le nombre de Juifs dans l’Église diminuant pour se réduire à un très petit nombre, l’influence et la culture juives disparurent. Les chrétiens d’origine païenne ignoraient tout du calendrier juif et le rapport qu’il avait avec l’évangile de Luc. Ils suivaient le calendrier romain, le calendrier julien créé par Jules César.

 

Les deux calendriers comportaient douze mois, mais ils n’étaient pas parfaitement parallèles. Le calendrier juif était basé sur le cycle lunaire, le premier jour du mois coïncidant toujours avec la nouvelle lune et un mois supplémentaire étant ajouté tous les deux à quatre ans pour que les douze mois restent dans leur saison. Le calendrier julien, quant à lui, était strictement basé sur l’année solaire. Ce qui signifie que d’année en année un jour quelconque de kislev tombait un jour différent du julien de décembre. Même si le jour exact de la naissance de Jésus au mois de kislev nous avait été transmis par les auteurs du Nouveau Testament, il aurait été impossible pour les premiers chrétiens d’origine païenne de fixer une date du calendrier julien en décembre pour la naissance de Jésus représentant la date juive et restant la même d’année en année.

 

Il apparaît qu’avec le temps, les copistes et les savants chrétiens d’origine païenne réussirent à garder en mémoire que la naissance de Jésus s’était produite au début de l’hiver vers la fin du mois julien de décembre. Cela se reflète toujours aujourd’hui dans la fête catholique et protestante de Noël en décembre et dans les vieilles célébrations orthodoxes de Noël juste quelques jours plus tard le 7 janvier. Mais ces premiers chrétiens n’avaient aucun moyen de fixer une date exacte en décembre.

 

Quelque part au début du quatrième siècle apr. J.-C., les chrétiens romains décidèrent de célébrer l’événement de la naissance de Jésus le 25 décembre, fête de Sol invictus. Il semble que ce soit le pape Liberius, évêque de Rome de 352 à 366, qui ait donné l’approbation officielle de l’Église pour la fête de Noël au 25 décembre, probablement en l’an 354. Trois considérations au moins semblent avoir pesé sur la décision :

 

Premièrement, on s’appuyait davantage sur les documents du Nouveau Testament, pratiquement tous reconnus à l’époque du concile de Nicée de 325, et les informations de Luc à propos de l’Annonciation  et de la conception miraculeuse de Jésus le « sixième mois » (adar juif) amenèrent les érudits chrétiens de l’époque à fixer la fête catholique de l’Annonciation à la fin mars.

 

Deuxièmement, la tradition voulant que Jésus soit né au début de l’hiver portait sur la fin décembre, neuf mois plus tard. Et par coïncidence, la fête déjà existante de Sol invictus se situait aussi à cette même période. Ce fut essentiellement pour une raison pratique que l’on transforma la fête païenne de la naissance du soleil à la fête chrétienne de la naissance du Fils de Dieu.

 

Ce faisant, l’Église disposait maintenant d’un jour fixe du calendrier julien pour la fête. Même si tout le monde savait que ce n’était qu’une date approximative, c’était plus que suffisant.

 

Une troisième considération, peut-être la plus intéressante, semble avoir été le fait que les chrétiens reconnaissaient les traditions juives qui identifiaient la venue du Messie avec le symbole du soleil levant. Le livre de Malachie prédit comme suit la venue du Messie : « Mais pour vous qui craignez mon nom, se lèvera Le soleil de la justice, et la guérison sera sous ses ailes » (Malachie 4:2).

 

Le lien symbolique entre le soleil levant et la venue du Messie est même mentionné par Zacharie, père de Jean-Baptiste, quand il prophétise que Jean préparera la voie à la venue de l’Oint « Afin de donner à son peuple la connaissance du salut Par le pardon de ses péchés, grâce aux entrailles de la miséricorde de notre Dieu, en vertu de laquelle le soleil levant nous a visités d’en haut, pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort » (Luc 1:77-79).

 

Ainsi donc, les tout premiers Juifs à croire en Jésus le Messie identifiaient clairement sa venue au symbole du soleil levant. Les scribes et les érudits chrétiens d’origine païenne du quatrième siècle semblent aussi s’être souvenus de ce symbole, c’est pourquoi ils ne virent aucun inconvénient à utiliser la fête du soleil, Sol invictus, comme jour pour commémorer la naissance du Christ. Nous ne devrions pas y voir d’inconvénient non plus.

 

Nous ne connaissons toujours pas le jour exact du début de l’hiver où Jésus est né. Puisque Marie et Joseph devaient s’en souvenir en fonction de leur calendrier juif (fin de kislev), ils ne notèrent probablement jamais la date correspondante du calendrier julien romain. Il est cependant virtuellement certain que la naissance se produisit vers la fin du mois de décembre romain. Par conséquent, que les chrétiens d’aujourd’hui choisissent de se souvenir de la naissance à la date orthodoxe du 7 janvier ou à la date catholique et protestante du 25 décembre, le message reste le même :

Joyeux Noël !

 

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À propos de l’auteur

 

Jeffrey R. Chadwick est professeur d’archéologie et de sciences du Proche-Orient au Centre de Jérusalem et chargé de cours d’éducation religieuse [sciences bibliques et juives] à l’université Brigham Young et à son Centre de Jérusalem pour les Sciences du Proche-Orient en Israël. Il est aussi maître de conférences à l’Institut W. F. Albright de recherches archéologiques à Jérusalem. Il détient un doctorat en archéologie du Centre pour le Proche-Orient de l’université d’Utah et est archéologue professionnel et sur le terrain. Il a fait des fouilles dans plusieurs sites en Israël au cours des trente dernières années. Il dirige et enseigne depuis 1982 dans des programmes estudiantins en sciences bibliques, archéologie, histoire et géographie historique en Israël, initiant des milliers d’étudiants d’université aux récits bibliques dans leur cadre d’origine en Terre d’Israël.