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Un homme peut-il voir Dieu ? 1 Timothée 6:16 à la lumière de la révélation
ancienne et moderne
James Stutz
Interpreter: A Journal of Mormon Scripture 8 (2014), p. 11-26
Résumé : La Première Vision de
Joseph Smith est une cible des critiques de l'Eglise. Les critiques
évangéliques en particulier, tels que Matt Slick de la Christian
Apologetics and Research Ministry, cherchent à discréditer la Première
Vision pour des raisons bibliques. Cet article explore les théophanies
bibliques et fait valoir que la vision de Joseph correspond exactement à
l’expérience des anciens prophètes, en particulier de ceux qui reçoivent
la bénédiction rare de percer l’écran de lumière et de gloire, le kabod
hébreu, à l’intérieur duquel Dieu demeure.
« Je
vis, exactement au-dessus de ma tête, une colonne de lumière, plus
brillante que le soleil... »
– Joseph Smith, fils [1]
L’un des éternels points de conflit entre la théologie évangélique et la
théologie mormone est le point de savoir si l’homme mortel est capable de
voir Dieu le Père. La vision de Dieu, également appelée théophanie,
est la pièce maîtresse de l’histoire des origines du mormonisme. En 1820,
Joseph Smith entra dans un bosquet pour demander à Dieu par la prière à
laquelle de toutes les églises il devait se joindre. La réponse à sa
prière vint sous la forme d’une visitation de Dieu le Père et de
Jésus-Christ. La « Première Vision » de Joseph Smith, comme on en est venu
à l’appeler, constitue le fondement de la prétention du mormonisme à être
« la seule Église vraie et vivante » (Doctrine et Alliances 1:30).
L’importance de la Première Vision de Joseph Smith pour la théologie des
saints des derniers jours en fait la cible naturelle des détracteurs de
l’Église rétablie.
La Première Vision existe aussi comme attaque contre les enseignements
chrétiens traditionnels sur la nature de Dieu le Père, qui, selon eux, est
immatériel et sans forme physique. Joseph décrit Dieu le Père et
Jésus-Christ dans sa vision comme étant « deux personnages » (Joseph
Smith—Histoire 1:17) séparés, distincts et visibles. La Première Vision
conteste directement la notion traditionnelle que l’on a de Dieu le Père,
affirmant qu’il a une forme matérielle où la lumière peut se refléter sur
sa personne et être vue par les yeux mortels. Cette affirmation doctrinale
hardie suscite naturellement les critiques d’ardents défenseurs
évangéliques, qui cherchent à montrer par la Bible qu’il est impossible de
voir Dieu le Père.
Un exemple représentatif est l’apologiste évangélique Matt Slick,
président et fondateur de la Christian Apologetics and Research Ministry
(CARM) [2].
CARM est avant tout une organisation basée sur Internet, comportant aussi
une émission de radio hebdomadaire et un forum électronique actif. Sur son
site Internet, Slick présente un argument basé sur le Nouveau Testament
montrant pourquoi Joseph Smith ne pouvait pas voir Dieu le Père et conclut
que « la première vision [de Joseph Smith] étant fondamentale pour le
mormonisme, sans elle, le mormonisme ne peut pas être vrai [3]. »
L’argument de Slick contre la Première Vision est
centré sur son interprétation de 1 Timothée 6:16 [4].
Le passage dit à propos de
Dieu le Père :
16 qui seul possède l’immortalité, qui habite une lumière inaccessible,
que nul homme n’a vu ni ne peut voir, à qui appartiennent l’honneur et la
puissance éternelle. Amen ! [5].
Slick a utilisé ce passage dans au moins trois endroits différents : un
article sur CARM.org [6], au cours d’un échange avec des mormons dans la
salle de chat de CARM [7] et dans une vidéo de YouTube dans laquelle il
fait du prosélytisme auprès de jeunes saints des derniers jours à
l’extérieur lors de la reconsécration du temple de Boise (Idaho) [8].
Dans son échange avec les jeunes au temple, Slick cite 1 Timothée 6:16 et
fait valoir qu’il interdit à quiconque, y compris Joseph Smith, d’avoir la
capacité de voir Dieu le Père :
« Dans 1 Timothée 6:16, l’apôtre Paul dit que le Père, parlant de Dieu
comme étant le Père, « habite une lumière inaccessible, que nul homme n’a
vu ni ne peut voir». Ainsi la Bible — Paul l’Apôtre — dit que Dieu ne peut
pas être vu. Joseph Smith dit avoir vu le Père... Si Paul dit qu’on ne
peut pas voir le Père, [mais] que Joseph Smith dit qu’on peut, qui dit
vrai? »
Pour Slick, ce passage rejette la possibilité que Joseph Smith ait pu voir
Dieu le Père parce que « Dieu ne peut pas être vu. » Ailleurs, Slick
établit que la personne considérée dans ce passage est Dieu le Père, pas
le Christ [9].
Là il a raison,
parce que Paul n’aurait aucune raison d’affirmer qu’on ne peut pas voir le
Christ puisque lui-même l’a vu (1 Corinthiens 15:8).
« Qui seul possède l’immortalité... »
1 Timothée 6:16
fait suite à une série d’instructions à Timothée d’être pieux et de rester
fidèle à l’Évangile. Paul conclut ses exhortations à Timothée par une
parenthèse exaltant la grandeur de Dieu et proclamant la transcendance de
Dieu sur l’homme mortel. En particulier, Dieu est défini en dehors de
l’homme parce que Dieu le Père seul « possède l’immortalité » et habite
« une lumière inaccessible » et donc « que nul homme n’a vu ni ne peut
voir ». Ici la description que Paul fait de la nature et des qualités de
Dieu doit être interprétée comme une doxologie poétique, un genre
d’écriture défini comme une expression liturgique de louange [10].
On peut douter que Paul ait voulu que ceci soit interprété comme un guide
théologique techniquement précis des caractéristiques de Dieu (bien qu’un
inerrantiste biblique [quelqu’un qui croit qu’il ne peut y avoir la
moindre erreur dans la Bible, ndt.] le verrait certainement de cette
façon). En tout cas, les critiques trinitaires du mormonisme qui
souhaitent employer 1 Timothée 6:16 devront commencer par expliquer
pourquoi le passage décrit incorrectement Dieu le Père comme la seule
personne à « posséder l’immortalité ».
Le mot « immortalité » dans ce passage est une traduction du grec
athanasia, qui désigne simplement un état dans lequel la mort ou
l’extinction n’est pas possible. Il y a clairement d’autres personnes au
sein de la théologie chrétienne (et mormone) qui possèdent l’immortalité.
Jésus lui-même a été ressuscité d'entre les morts à l’immortalité, pour ne
plus jamais mourir, comme Paul le savait bien. Ailleurs, Paul lui-même
note que les hommes mortels seront aussi ressuscités à l’immortalité (1
Corinthiens 15:53–55). Alors pourquoi décrit-il Dieu le Père comme unique
à ce point de vue ? On pourrait contrer que la résurrection à
l’immortalité, pour le Christ ou n’importe qui d’autre, est accomplie et
soutenue par la puissance de Dieu le Père, et que c’est dans ce sens que
Dieu le Père est la seule personne qui vraiment « possède l’immortalité ».
Malheureusement pour cet argument le Saint-Esprit est toujours une
personne qui est immortelle, qui ne mourra jamais et qui, selon Matt Slick
et tous les chrétiens, est « éternelle [11] ». Les chrétiens traditionnels
qui cautionnent le credo d’Athanase affirment que le Saint-Esprit est tout
aussi incréé et infini que les autres membres de la Trinité. Il n’est donc
pas judicieux de voir dans l’explosion doxologique de louanges de la part
de Paul un guide théologique technique : Dieu le Père, franchement, n’est
pas la seule personne qui « possède l’immortalité. »
« Qui habite une lumière »
Paul décrit ensuite Dieu le Père comme habitant « une lumière
inaccessible ». Le motif de Dieu demeurant derrière un voile de lumière,
de fumée, de nuée ou de feu qui le cache aux yeux des mortels se retrouve
dans toute la Bible, Ancien et Nouveau Testaments. Le terme hébreu souvent
utilisé pour désigner ce manteau de lumière ou de nuée est « kabod »
(« doxa » dans la Septante grecque), souvent traduit par « gloire [12] »
Le kabod de Dieu émane de lui
et représente simultanément sa présence et protège les yeux indignes des
mortels de sa contemplation. Parlant de la présence de Dieu parmi Israël
dans le désert après l’exil, le
Theological Dictionary of the Old Testament
propose que :
« Yahweh est présent seulement dans la « colonne de nuée » dans la tente
d’assignation. La nuée indique la présence de Dieu tout en dissimulant son
éclat... Ainsi « la nuée » et « le feu » symbolisent l’être et la présence
de Dieu, tout en dissimulant sa nature [13]. »
Les exemples
notables de ce phénomène dans l’Ancien Testament sont la colonne de fumée
et de feu mentionnée plus haut qui accompagnait les Israélites dans leur
errance (Exode 13:21–22, 19:18, 33:9), les « nuées » et le « feu » qui
entourent Dieu et émanent de lui (Psaume 97:2) et la nuée qui remplit le
temple, assimilée à la « gloire de Dieu » (1 Rois 8:10–11). Ézéchiel
décrit également le « feu » et « l’éclat » de Dieu (Ézéchiel 1:4, 26–28).
Dans chaque cas, la présence physique de Dieu se manifeste dans le
kabod, mais sa forme physique est en même temps cachée.
Le kabod de Dieu est fréquemment considéré comme une protection et
un bouclier pour l’homme mortel car on croyait qu’un homme ou une femme
subirait la mort s’il ou si elle venait à voir le visage de Dieu. En
voyant le buisson ardent (lui-même un manteau de feu), Moïse se voile le
visage car il a peur de regarder Dieu (Exode 3:6). Dieu dit explicitement
à Moïse dans Exode 33:20–23 que Moïse ne peut pas voir la face de Dieu et
vivre ; donc lorsque Dieu apparaîtra à Moïse sa « gloire » (kabod)
passera et la main de Dieu le « couvrira », protégeant Moïse de la mort.
Le père de Samson, en voyant un ange de Dieu, semble être momentanément
confus et craint que sa mort ne soit imminente, parce qu’il pense qu’il a
vu Dieu (Juges 13:21–23). Dans Exode 19, Dieu dit à Moïse de garder le
peuple loin du kabod de Dieu pour sa propre protection :
« 18 La montagne de Sinaï
était toute en fumée, parce que l’Éternel y était descendu au milieu du
feu ; cette fumée s’élevait comme la fumée d’une fournaise, et toute la
montagne tremblait avec violence… 20
Ainsi l’Éternel descendit sur la montagne de Sinaï, sur le sommet
de la montagne ; l’Éternel appela Moïse sur le sommet de la montagne. Et
Moïse monta. 21 L’Éternel dit
à Moïse : Descends, fais au peuple la défense expresse de se précipiter
vers l’Éternel, pour regarder, de peur qu’un grand nombre d’entre eux ne
périssent. » (Exode 19:18–21)
Dans le Nouveau Testament, le kabod de Dieu est souvent décrit en
termes de lumière, comme la « nuée lumineuse » à la transfiguration du
Christ qui accompagne la lumière qui émane du Christ lui-même (Matthieu
17:1–8), « l’arc-en-ciel » de la vision de Dieu donnée à Jean (Apocalypse
4:3)
et, plus pertinemment, la « lumière » décrite par Paul (Actes 22:6, 1
Timothée 6:16). Dans 1 Timothée 6:16, immédiatement après avoir parlé de
la lumière inaccessible que Dieu habite, Paul fait remarquer que « nul
homme n’a vu ni ne peut voir » Dieu le Père. Le rapport entre ces deux
passages est évident : personne n’a vu ni ne peut voir Dieu le Père, parce
que Dieu habite dans la lumière (le kabod de Dieu) qui est
inaccessible par l’homme déchu mortel. L’auteur et théologien évangélique
Gordon F. Fee est d’accord sur ce point :
« Lui, que nul homme n’a vu ni ne peut voir (cf. « invisible » dans 1:17).
Ces mots renforcent l’idée qu’il demeure dans une lumière inaccessible et
reflètent un thème commun de l’AT (Exode 33:20 ; cf. 19:21). Dans ces deux
derniers éléments, l’accent n’est pas sur le grec, que Dieu est
inconnaissable, mais sur le juif, que Dieu est si infiniment saint que
l’humanité pécheresse ne peut en aucun cas le voir et vivre (cf. Ésaïe
6:1–5) [14]. »
La raison pour laquelle
Dieu est invisible pour les hommes mortels est que les hommes ne sont pas
dignes de contempler sa face. Plutôt que de décrire un Dieu immatériel
qu’il est impossible à des yeux physiques de voir, Paul décrit un Dieu qui
peut théoriquement être vu mais qui n’est actuellement pas vu. Il s’agit
d’une distinction importante. Par analogie, un rocher situé profondément
dans le manteau de la terre ne peut actuellement être vu par des yeux
mortels (la technologie n’existe pas pour le récupérer), mais il n’est pas
intrinsèquement ou métaphysiquement impossible de le voir. L’explication
de l’incapacité de l’homme à voir Dieu le Père ne se trouve pas dans la
nature non physique de Dieu, mais dans le fait que Dieu se situe derrière
un voile de gloire impénétrable pour les yeux humains mortels. Par rapport
à l’homme, Dieu n’est invisible que dans la pratique et non dans la
réalité absolue.
« …
Inaccessible »
Est-il possible à Dieu de renforcer ou de transfigurer une personne de
telle sorte qu’elle puisse pénétrer le kabod de Dieu et être
soutenue en sa présence ? Il y a des cas importants dans les Écritures où
c’est précisément ce qui s’est produit. Cette bénédiction spéciale et
sacrée est donnée à certains de ceux qui sont choisis par Dieu pour
accomplir son œuvre, Moïse en étant un exemple marquant. Comme mentionné
ci-dessus, Moïse est averti qu’il ne peut pas voir la face de Dieu et
vivre, et cependant, il arrive que Dieu fasse une exception à la règle
pour Moïse et ses associés. Dans Exode 24:9–11, l’auteur déclare
expressément que Moïse et les anciens qui l’accompagnaient « virent le
Dieu d’Israël » et que Dieu ne les punit pas pour cela. Exode 33:7–11,
explique la méthode générale par laquelle Moïse reçoit les paroles de Dieu
et puis les relaye vers Israël. Moïse entrait dans le tabernacle pour
communier avec Dieu, et le kabod de Dieu, sous la forme d’une
colonne de nuée couvrait le tabernacle, annonçant et protégeant
simultanément Israël de la présence de Dieu. À l’intérieur du tabernacle,
Moïse, en tant qu’agent de Dieu, avait le privilège de parler à Dieu
« face à face, comme un homme parle à son ami » (voir aussi Deutéronome
34:10). Selon Fabry :
« Moïse parlait avec Yahweh « face à face » (Nombres 14:14; Exode 33:11).
Dans ces passages, Yahweh écartait la nuée qui le dissimulait, nuée qui en
fait représentait un élément protégeant l’interlocuteur lors de son
dialogue avec Dieu : lorsque Moïse descend du Sinaï, son visage reflète
l’éclat du kabod (Exode 4:29–35). Tous les Israélites étaient
autorisés à voir la nuée et le feu, mais Moïse seul était autorisé à
regarder Yahweh sans son « voile » [15].
Si ce
mode de communication est détaillé de façon aussi explicite, c’est
justement parce qu’il était spécial et inhabituel. La règle générale est
que les hommes ne parlent pas à Dieu face à face, mais c’est exactement ce
que Moïse a eu le privilège de faire. Plus loin dans le même chapitre, ce
privilège d’un contact visuel avec la face du Seigneur est révoqué (Exode
33:19–23). C’est un privilège unique réservé à des occasions rares et
spéciales.
Une autre personne qui a eu la bénédiction de voir au-delà du kabod
de Dieu est le patriarche Jacob (Genèse 32:30). Après une rencontre
nocturne avec Dieu, Jacob appelle l’endroit de sa vision « Peniel » parce
que, selon ses propres termes, « j’ai vu Dieu face à face, et mon âme a
été sauvée. » Le fait qu’il mentionne spécialement qu’il a eu la vie sauve
après avoir vu Dieu témoigne de ce qu’il s’agissait d’une exception à la
règle générale. Le prophète Ésaïe voit Dieu dans une vision et a des
craintes pour lui-même, s’écriant : « Malheur à moi ! je suis perdu,
car... mes yeux ont vu le Roi, l’Éternel des armées. » (Esaïe 6:1–7). La
crainte d’Esaïe est apaisée par un séraphin qui déclare Ésaïe pur et
saint, le rendant capable de supporter la vue de Dieu. L’auteur d’Hébreux
note que la foi de Moïse a été renforcée parce qu’il a vu « celui qui est
invisible » (Hébreux 11:27). Il s’agit là d’un commentaire
particulièrement intéressant, qui suggère que l’invisibilité de Dieu est
seulement une invisibilité dans la pratique, pas dans la réalité, et qu’il
existe des exceptions à la règle.
Le Livre de Mormon contient un exemple bien connu d’un homme mortel qui a
eu le privilège de voir au-delà du kabod du Seigneur et de
contempler sa forme physique. Le frère de Jared a vu la forme physique de
Jésus Christ dans l’esprit [16] avant son incarnation parce que « jamais
homme n'est venu devant [le Seigneur] avec une foi aussi extrême »
(Éther 3:9–16). À ce moment, « le voile fut ôté des yeux du frère de
Jared », allusion au fait que le
kabod du Seigneur fut écarté
et que le corps et l’esprit physiques de Jared furent renforcés
ou momentanément transfigurés pour lui permettre de supporter
l’expérience. De même, Léhi voit le kabod de Dieu sous la forme
d’une colonne de feu et a plus tard le privilège de voir au-delà du
kabod pour voir Dieu assis sur son trône (1 Néphi 1:5–8). Dans les
Doctrine et Alliances, Joseph Smith décrit une vision de Jésus qu’il
partage avec Oliver Cowdery dans laquelle « le voile fut enlevé de [leur]
esprit » et Jésus apparaît dans une lumière « plus brillant[e] que l’éclat
du soleil » (D & A 110:1–3).
Ce qui est le plus important pour le présent traité, c’est que quand il
raconte sa Première Vision, Joseph Smith mentionne « une colonne de feu »
ou « colonne de lumière » [17]
« une colonne de flamme » [18], « une colonne de lumière plus brillant[e]
que l’éclat du soleil... » [19]
et « une lumière brillante » [20].
Le feu et la lumière sont l’équivalent de la notion hébraïque ancienne du
kabod ou gloire de Dieu. Dans un compte-rendu fascinant de seconde
main de l’ami de Joseph, Orson Pratt, nous en apprenons plus sur
l’expérience de Joseph avec le kabod de Dieu :
« Et,
tandis qu’il épanchait ainsi son âme, désirant avec anxiété une réponse de
Dieu, il vit, à la longue, dans les cieux là-haut, une lumière très
brillante et glorieuse qui semblait tout d’abord être à une distance
considérable. Il continua à prier tandis que la lumière semblait descendre
progressivement vers lui ; et, tandis qu’elle s’approchait, son éclat et
son ampleur augmentèrent, de sorte qu’au moment où elle atteignit la cime
des arbres, toute la région fut, sur une certaine distance, illuminée
d’une manière extrêmement glorieuse et brillante. Il s’attendait à voir
les feuilles et les branches des arbres se consumer dès que la lumière
entrait en contact avec elles, mais, voyant qu’elle ne produisait pas cet
effet, il se sentit encouragé dans l’espoir d’être capable de supporter sa
présence. Elle continua de descendre, lentement, jusqu'à toucher le sol,
et il fut enveloppé au milieu d’elle. Quand elle arriva sur lui, elle
produisit une sensation particulière dans tout son système et son esprit
fut immédiatement enlevé de l’objet naturel dont il était entouré et il
fut enveloppé dans une vision céleste et vit deux personnages glorieux,
qui se ressemblaient exactement dans leurs traits ou leur aspect [21]. »
Le récit d’Orson Pratt nous apporte plusieurs détails intéressants. La
surprise de Joseph que la lumière ne consumait pas « les feuilles et les
branches » fait écho à la surprise que Moïse ressent lorsqu’il rencontre
le buisson ardent qui de même « ne se consumait point » (Exode 3:2–3).
Pratt a pu vouloir intentionnellement que ses lecteurs fassent le
parallèle. Ce récit nous apprend également que Joseph a éprouvé « une
sensation particulière dans tout son système » juste au moment où la
lumière, ou kabod, de Dieu est tombée sur lui. Pratt a dû apprendre
ce détail inhabituel de Joseph Smith lui-même. Il est tentant de supposer
que ceci décrit le moment où le corps physique de Joseph est transfiguré
afin de pouvoir supporter la vue de Dieu. L’expérience de Joseph Smith est
semblable à celle de Moïse et d’autres prophètes anciens privilégiés de
voir au-delà de la « lumière inaccessible » de la gloire de Dieu. C’est
interdit à l’homme naturel, dans son état déchu mortel, et il est protégé
de la contemplation de la forme physique de Dieu par le kabod de
Dieu, mais il s’agit d’une règle générale qui, comme la plupart des
règles, a des exceptions démontrées. Les paroles de Paul doivent être lues
dans ce contexte.
Jean 6:46
Pour revenir à la vidéo de YouTube précitée, quand ils se trouvent face à
la critique de Joseph Smith par Slick basée sur son interprétation de 1
Timothée 6:16, les adolescents de l’Église ont recours à leur formation au
séminaire en citant les visions de Dieu dans l’Ancien Testament comme
preuve de ce que l’on peut bel et bien voir Dieu. Matt Slick est préparé
avec une réponse :
« Jésus [a dit] : ‘C’est que
nul n’a vu le Père’ [dans] Jean 6:46, ce qui veut dire que ce qu’ils
voient c’est le Jésus d’avant son incarnation, jamais le Père. »
Avant d’aborder la conclusion de Slick que les théophanies de l’Ancien
Testament sont celles du Christ, il est utile de jeter un bref coup d’œil
sur son utilisation de Jean 6:46. Le passage fait, en effet, dire à
Jésus : « C’est que nul n’a vu le Père… », mais Slick s’abstient de citer
le reste du passage, qui dit : «… sinon celui qui vient de Dieu ; celui-là
a vu le Père. » En omettant délibérément la dernière moitié du passage,
Slick contrecarre l’intention véritable de l’enseignement de Jésus,
c'est-à-dire que celui qui est « de Dieu » a le privilège de voir Dieu le
Père. Certains évangéliques peuvent contester ce point en faisant valoir
que l’allusion à « celui qui vient de Dieu » concerne Jésus-Christ seul.
Cependant, la Bible désigne d’autres personnes comme étant aussi « de
Dieu » (cf. 1 Samuel 2:27, 9:6–10, Jean 8:47, 1 Timothée 6:11, 2 Timothée
3:17, Tite 1:7, 1 Jean 5:19). En outre, selon la christologie dominante
admise par les chrétiens, la nature de Jésus est « pleinement homme et
pleinement Dieu », autrement appelée l’Union hypostatique
[22].
Si Jésus est « pleinement homme » et est cependant
capable de voir Dieu le Père (selon
Jean 6:46),
il n’est pas sage de prétendre qu’un homme, par définition, ne peut voir
Dieu le Père.
Sensus Plenior
L’argument plus général de Slick est que toutes les visions de Dieu dans
l’Ancien Testament étaient en fait des visions de Jésus-Christ d’avant son
incarnation. Son raisonnement est que parce que le Nouveau Testament ne
prévoit pas que l’homme puisse voir Dieu le Père, la conclusion logique
est que toutes les théophanies de l’Ancien Testament sont des visions du
Fils, pas du Père. Bien sûr, les passages de l’Ancien Testament portant
sur le sujet ne précisent pas que le Dieu qui est vu est le Christ d’avant
son incarnation. La conclusion de Slick que c’est le Christ pré-incarné
n’est possible qu’en le lisant en fonction d’ autres écritures, dans ce
cas, la lecture que Slick fait du Nouveau Testament.
Cette méthode de base est courante dans toute la chrétienté. Interpréter
un passage d’Écriture à travers le prisme d’Écritures antérieures ou
postérieures est une partie importante de la tradition herméneutique
judéo-chrétienne historiquement dénommée sensus plenior, ou « sens
plus complet ». Elle repose sur la conviction que la signification plus
profonde et plus complète d’un passage de l’Écriture ne peut parfois être
révélée que par la mise en contexte avec d’autres passages des Écritures
composées séparément, même si c’est par des auteurs différents, largement
séparés par le temps et l’espace.
La première génération d’auteurs chrétiens a canonisé cette méthode en
voyant des prophéties de Jésus-Christ dans les écrits des prophètes
hébreux. Les saints des derniers jours ne font pas exception à cette
tradition ; les passages des Écritures mormones sont régulièrement
interprétés à la lumière d’autres passages de l’Écriture. Un exemple
pertinent de cette pratique est que la plupart des saints des derniers
jours seraient probablement d’accord avec Slick que les théophanies de
l’Ancien Testament sont principalement de Jésus-Christ avant son
incarnation. Ils arrivent à cette conclusion en réinterprétant les
événements de l’Ancien Testament à la lumière des révélations modernes
(notamment 3 Néphi 15:5). Les saints des derniers jours n’ont aucun
problème théologique avec l’affirmation de Slick que les théophanies de
l’Aancien Testament sont généralement de Dieu le Fils, pas de Dieu le
Père.
Cela peut sembler à première vue saper les arguments des saints qui font
appel aux théophanies de l’Ancien Testament pour démontrer que Dieu le
Père peut être vu. Cependant, comme cela a été dit plus haut, les
avertissements bibliques sur l’incapacité de l’homme à voir les membres de
la Divinité sont en raison du kabod, qui tout à la fois représente
la présence de Dieu et le dissimule aux yeux pécheurs. Si c’est Dieu le
Père, Dieu le Fils ou Dieu le Saint-Esprit, le fait que les membres de la
Divinité sont visuellement inaccessibles aux mortels est dû à la gloire
qui émane d’eux, une barrière infranchissable aux yeux mortels sauf dans
les cas où Dieu en décide autrement.
Le principe de sensus plenior est un autre outil permettant aux
saints des derniers jours de mettre en contexte 1 Timothée 6:16 et les
passages du même genre. Les Doctrine et Alliances donnent la perception
suivante : « Car personne n’a jamais vu Dieu dans la chair s’il n’a été
vivifié par l’Esprit de Dieu » (D & A 67:11). Dans la Perle de Grand Prix,
Moïse a une vision merveilleuse de Dieu le Père et de ses nombreuses
créations. Les suites de cette expérience sont éclairantes :
« Et la présence de Dieu se retira de Moïse, de sorte que sa gloire ne fut
plus sur lui, et Moïse fut laissé à lui-même. Et comme il était laissé à
lui-même, il tomba sur le sol. Et il arriva que de nombreuses heures
s'écoulèrent avant que Moïse ne retrouvât sa force naturelle d'homme; et
il se dit: à cause de cela, je sais que l'homme n'est rien, ce que je
n'avais jamais supposé. Mais mes propres yeux ont vu Dieu; mais pas mes
yeux naturels, mais mes yeux spirituels, car mes yeux naturels n'auraient
pu voir, car je me serais desséché et serais mort en sa présence; mais sa
gloire était sur moi, et j'ai vu sa face, car j'étais transfiguré devant
lui »
(Moïse 1:9–11)
Dans ce passage, Moïse voit la face de Dieu et vit pour le raconter parce
que la gloire de Dieu était sur lui et qu’il a été transfiguré. L’allusion
de Moïse aux « yeux spirituels » contraste avec les « yeux naturels » ou,
en d’autres termes, avec les yeux de l’homme « naturel » livré à lui-même
sans le renforcement et la protection du pouvoir de Dieu. Ces écritures
modernes correspondent très bien à l’enseignement biblique que l’homme ne
peut voir Dieu s’il n’est vivifié ou protégé du kabod
de Dieu. Suite à la
longue tradition judéo-chrétienne de sensus plenior, les saints des
derniers jours peuvent facilement comprendre comment les mots de 1
Timothée 6:16 ne contredisent pas la Première Vision de Joseph Smith. Le
même principe peut être appliqué à Jean 1:18, qui note que « personne n’a
jamais vu Dieu ». Pris avec l’intégralité des Écritures anciennes et
modernes, ce passage parle clairement de l’homme « nu ». Les saints des
derniers jours font donc valoir que Joseph Smith a été transfiguré ou
vivifié par la gloire de Dieu de telle façon qu’il a pu voir la face de
Dieu le Père tout en étant dans la chair.
Nous ne nous attendons pas à ce que les non-mormons intéressés par cette
question acceptent la validité de l’interprétation des passages bibliques
à travers le prisme des Écritures mormones modernes qu’ils n’acceptent pas
comme inspirées ou saintes. Les Juifs, par exemple, rejetteraient de même
l’affirmation de Matt Slick que toutes les théophanies de l’Ancien
Testament sont de Dieu le Fils prémortel, une affirmation à laquelle il
n’arrive qu’en lisant l’Ancien Testament à travers le prisme du Nouveau
Testament. Néanmoins, les non-mormons doivent accepter la logique de base
de la pratique : dans le cadre d’une tradition religieuse particulière
(dans ce cas, celle des saints des derniers jours), il est tout à fait
logique d’interpréter une écriture à l’aide d’autres écritures qui font
partie de cette tradition.
Conclusion
Dieu le Père demeure derrière un rideau ou un voile de lumière et de
gloire inaccessible (kabod), que ne peuvent traverser les yeux de
l’homme mortel non aidé. Ce n’est que dans de rares cas de grâce qu’un
mortel, renforcé par la puissance de Dieu, peut traverser cette barrière
et supporter la vision de Dieu. La description doxologique de Paul de la
transcendance de Dieu par rapport à l’homme dans 1 Timothée 6:16 doit être
interprétée dans ce contexte. Dieu est capable de révéler son moi physique
à l’homme. C’est le cas de Moïse et d’autres prophètes anciens, et ç’a été
le cas de Joseph Smith.
[1] Joseph Smith—Histoire 1:16.
[2] http://carm.org/.
[3] Matt Slick, “Can the Father be seen?” sur le site de CARM,
http://carm.org/can-father-be-seen (consulté le 7 novembre 2012).
[4]
1 Timothée est traditionnellement attribué à l’apôtre Paul, bien que les
érudits modernes reconnaissent maintenant que cette épître « pastorale »
est pseudépigraphique. Par souci d’homogénéité dans la conversation entre
le mormonisme et le christianisme évangélique (en particulier, en
l’occurrence, entre Matt Slick et moi-même), je vais continuer à désigner
l’auteur comme étant « Paul ».
[5] Tous les passages bibliques cités sont de la version Segond.
[6] Slick, “Can the Father be seen?”.
[7]
Expérience faite par l’auteur vers 2010. En outre, on trouvera une
conversation représentative en salle de chat entre Slick et un mormon
inconnu nommé « Alex » dans
Matt Slick, “Did Joseph Smith see God the Father”,
http://carm.org/did-joseph-smith-see-god-father.
[8] Carmvideos, “Boise, Idaho Temple rededication with Matt Slick and
others” YouTube video sur
http://www.youtube.com/watch?v=IkYSQoPf0ts&feature=plcp.
[9] Slick, “Can the Father be seen?”
[10] James L. Bailey et Lyle D. Vander Broek, Literary Forms in the New
Testament: A Handbook, Louisville, Kentucky, Westminster/John Knox,
1992, p. 74, accessible en ligne sur http://tinyurl.com/mhgtg3y (consulté
le 11 août 2013).
[11] Slick décrit brièvement la nature du Saint-Esprit sur son site.
Matt Slick, “The Holy Spirit,” http://carm.org/holy-spirit.
[12] William J. Hamblin, “‘I Have Revealed Your Name’: The Hidden Temple
in John 17,” Interpreter: A Journal of Mormon Scripture 1, 2012, p.
74-75
[13] David N. Freedman, Mainz B. E. Willoughby, “‘ānān” in Theological
Dictionary of the Old Testament XI, eds.
G. Johannes Botterweck, Helmer Ringgren rt Heinz-Josef Fabry, Grand
Rapids, Wm. B. Eerdmans, 2001, p. 256, accessible en ligne sur
http://tinyurl.com/b9ctulr (consulté le 3 février 2013).
Cf. Gerhard Kittel, “doxa” dans Theological Dictionary of the New
Testament, dir. de publ. Gerhard Kittel et Gerhard Friedrich, Grand
Rapids, William B. Eerdmans, 1985, p. 178-181, http://tinyurl.com/bkqt55b
(consulté le 3 février 2013); Roger Cook, “God’s ‘Glory’: More Evidence
for the Anthropomorphic Nature of God in the Bible”, FairMormon,
http://www.fairmormon.org/perspectives/publications/gods-glory-more-evidence-for-the-anthropomorphic-nature-of-god-in-the-bible
(consulté le 11 novembre 2013)
[14] Gordon F. Fee, 1 & 2 Timothy, Titus, Grand Rapids, Baker
Books, 1984, 5-6 of ch. 17, accessible en ligne sur
http://tinyurl.com/akbc6d3 (accessed Feb 3, 2013).
[15] Henz-Josef Fabry, “‘ānān” in Theological Dictionary of the Old
Testament X1, 256, en ligne sur http://tinyurl.com/b9ctulr.
[16] Les saints des derniers jours croient que tout esprit est matière
physique. Voir Doctrine & Alliances 131:7–8.
[17] Dean C. Jessee, “The Earliest Documented Accounts of Joseph Smith’s
First Vision”, dans Opening The Heavens: Accounts of Divine
Manifestations 1820-1844, dir. de publ John W. Welch avec Erick B.
Carlson, Provo, Utah, Brigham Young University Press, 2005, p. 5.
Dans le récit de 1832, Joseph a initialement écrit « colonne de feu » mais
rayé le mot « feu » et remplacé par « lumière », rendant ainsi « colonne
de lumière ». Cela peut refléter la difficulté que beaucoup de prophètes
semblent avoir à décrire une scène céleste avec un vocabulaire humain
limité.
[18] Jessee, “The Earliest Documented Accounts of Joseph Smith’s First
Vision”, p. 8.
[19] Jessee, “The Earliest Documented Accounts of Joseph Smith’s First
Vision”, p. 14
[20] Jessee, “The Earliest Documented Accounts of Joseph Smith’s First
Vision”, p. 18.
[21] Jessee, “The Earliest Documented Accounts of Joseph Smith’s First
Vision”, p. 21. |