QUAND ON REINVENTE LE MORMONISME : L’ART DU REMAKE

 

Par Larry C. Porter

Review of Books on the Book of Mormon

volume 7, numéro 2, 1995, pp. 123-143

Critique de Inventing Mormonism : Tradition and the Historical Record,

par H. Michael Marquardt et Wesley P. Walters.

 

Quand deux personnes mangent, dorment et boivent un sujet déterminé pendant trente ans et, en plus, concentrent leur étude sur la mise en évidence des points les plus critiques de ce sujet, elles arrivent souvent à faire ressortir les moindres détails et proposer une vision très convaincante de leur point de vue. Quant à savoir si leur thèse tient la route en dernière analyse, cela dépend si les faits confirment la conclusion. On prend parfois des décisions basées sur la façon dont on pense que les choses se sont passées et en fonction d’un seul groupe de faits; ceux-ci ne reflètent cependant pas forcément la réalité. Il peut arriver que des faits que l’on croit pouvoir prouver sont invalidés parce qu’il ne reste que des données incomplètes. Dans trop de cas, la documentation originale n’existe plus et les protagonistes principaux qui auraient pu nous éclairer sont morts, la plaie pour les historiens.

 

Les auteurs [H. Michael Marquardt et Wesley P. Walters] ont amassé une quantité respectable de documents pour soutenir leur thèse. En examinant leurs sources, on est frappé par le soin minutieux avec lequel ils ont étayé les points les plus minuscules. Ils ont abordé un éventail intéressant de sujets, exposés avec logique et soutenus par des références. On peut comprendre que certains pourraient être impressionnés par des éléments qui peuvent parfois paraître irréfutables.

 

Étant donné que je m’intéresse depuis longtemps aux documents relatifs aux origines de l’Église rétablie, je connais personnellement, depuis plus de trente ans, aussi bien H. Michael Marquardt que Wesley P. Walters. Je sais d’eux que ce sont des hommes qui ont littéralement passé leur vie à remonter toutes les filières susceptibles de permettre un examen approfondi de Joseph Smith et de l’Église. Ils ne sont pas comme les « chercheurs en chambre » du passé et du présent qui cherchent à étudier les affirmations du mormonisme en travaillant essentiellement par correspondance. Ils sont allés sur le terrain pour essayer de parcourir le moindre centimètre du mormonisme, que ce soit géographiquement ou dans les collections publiques et privées où l’on pourrait trouver le moindre vestige de documents sur la question. Je suis tombé sur eux en personne ou sur les traces qu’ils ont laissées d’une bibliothèque à l’autre, d’un greffe de tribunal à l’autre pendant de longues années.

 

En tant que personnes, ces hommes ont été affables et amicaux. Toutefois, leurs mobiles sont parfaitement clairs. Quand Wesley P. Walters est mort en 1990, Michael a repris sans hésiter la vieille croisade et la démarche traditionnelle. Inventing Mormonism était et est la poursuite d’une entreprise déjà en cours. Le livre est en majeure partie exceptionnellement bien documenté et méticuleusement programmé pour dénoncer Joseph Smith et certaines affirmations-clefs du Rétablissement – un visage nouveau pour de vieux préjugés; je ne fais que relever le fait que les auteurs n’ont pas changé d’optique, simplement certains aspects de leur approche. On a du mal à croire que la seule chose qui les intéresse soit de « comprendre, pas discréditer », comme annoncé page 197. Déjà le titre Inventing Mormonism conteste par définition les affirmations du prophète et de ses collaborateurs en laissant entendre qu’il s’agit d’une duperie calculée. Les visions, les pierres de voyant, les incantations magiques, les fouilles pour trouver de l’argent, les démêlés avec la justice et l’intempérance sont tous introduits de manière à avilir la personne de Joseph Smith et de ceux de ses contemporains qui l’ont soutenu.

 

Le lecteur comprendra que l’on trouve de nombreuses lacunes dans la documentation relative aux débuts de l’histoire de l’Église. Dans la « Manuscript History of the Church »[1], par exemple, on ne trouve qu’un petit nombre de dates donnant le jour, le mois et l’année au cours des périodes de Nouvelle-Angleterre, New York et Pennsylvanie. Ce sont souvent des expressions telles que « au printemps de », « au cours du mois de » ou « pendant l’année » que l’on trouve, parce que dans les tout débuts du Rétablissement, les dates et les événements complets n‘étaient pas toujours notés au moment même et que seuls de maigres documents-source ont survécu. Cela laisse, bien évidemment, des vides rêvés pour ceux qui veulent profiter de l’occasion pour proposer leur propre chronologie. Cela leur permet de « réinventer le mormonisme » ou de faire un remake de certaines séquences.

 

Si l’on peut détraquer la chronologie des événements reconnue depuis longtemps par les saints des derniers jours, on peut jeter le doute sur l’intégrité de toute la succession d’événements racontés par le prophète et par les frères dans l’histoire écrite de l’Église. Cela ne veut pas dire que l’on ne doit pas immédiatement ajouter à la chronologie des premiers temps du mormonisme les dates et les événements valides que l’on découvre. Dans un domaine où les données sont fort réduites, pareille information est accueillie avec reconnaissance. Certains chaînons manquants ont été et continueront à être trouvés, et aideront à compléter le puzzle. Il faut dire, à la décharge de Marquardt et Walters, qu’ils ont fait de véritables apports dans un certain nombre de domaines en fournissant des documents et des renseignements précieux sur certains événements et certaines personnalités-clefs. C’est le cas de leurs recherches sur la « mise au rôle » des Smith lors de leur tentative d’obtenir le titre de propriété de la ferme de Farmington/Manchester. C’est là un beau spécimen de travail de détective historien. Malheureusement, dans d’autres cas, leurs ajouts ne sont pas aussi heureux.

 

Au début du volume, Marquardt et Walters ont placé une chronologie des événements tels qu’ils supposent qu’ils se sont produits dans les toutes premières années du Rétablissement (pp. 26-36). Cette chronologie compte quatre-vingt-huit points. Je crois que, d’une manière générale, les saints des derniers jours seraient d’emblée d’accord avec soixante-treize d’entre eux, ce qui est une grosse majorité. Dix des points restants entreraient probablement dans la catégorie des éléments contestables à cause de ce qui peut être de simples erreurs historiques[2] ou des éléments qui, combinés, représentent une volonté exagérée de lancer des sous-entendus répétés contre l’intégrité de Joseph Smith pour ses recherches de trésors. Il est de fait que Joseph Smith, à un moment donné, a recherché un trésor, mais ce qui est contestable, c’est le rabâchage sur ce sujet. Les cinq points restants sont sujets à discussion, parce qu’ils constituent des contradictions chronologiques importantes par rapport à la ligne chronologique des saints des derniers jours. Nous mentionnons ces cinq points ici en les accompagnant d’un bref commentaire:

 

1. « 1820-21, Joseph Smith, fils, déclare plus tard qu’il a le pardon personnel de ses péchés; il exhorte pour la classe méthodiste à Palmyra et fait partie d’un club de débat local » (p. 26). 

2. « De septembre 1824 au printemps 1825. Un réveil religieux commence avec les méthodistes, suivis des baptistes et des presbytériens, dans le voisinage de Palmyra. Joseph, fils, écoute les discours du Révérend Lane, de l’Église méthodiste, et assiste aux réunions » (p. 28). 

3. « Printemps 1825. Lucy, Hyrum, Samuel Harrison et Sophronia Smith deviennent membres de l’Église presbytérienne de Palmyra. Joseph, fils, penche pour le culte méthodiste » (p. 28). 

4. « Manchester (New York), 6 avril 1830. Organisation de l’Église du Christ. Réception de six révélations (Livre des Commandements 17-22, Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours D&A: 21, 23; RLDS: D&A 19, 21). Cowdery est ordonné ancien. Joseph, fils, est ordonné ancien et aussi prophète et voyant par Cowdery. Joseph, père, Lucy, Harris et Sarah Rockwell sont baptisés dans le ruisseau Crooked Brook » (p. 34).

5. « Fayette (New York), 11 avril 1830. Fondation de la branche de Fayette de l’Église. Réception d’une révélation concernant les personnes qui ont été baptisées dans d’autres Églises chrétiennes (Livre des Commandements 23. Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours: D&A 22. RLD: D&A 20). Cowdery prononce le premier discours public de l’Église et baptise » (p. 34).

 

Dans notre commentaire, nous regroupons les trois premiers points à cause de leur lien avec le réveil, la Première Vision et la conversion de certains membres de la famille Smith au presbytérianisme.

 

Ce que les saints des derniers jours contestent dans le point 1, ce n’est pas tellement ce qui est dit, mais plutôt ce qui ne l’est pas. Joseph signale effectivement un « pardon personnel des péchés », comme le disent Marquardt et Walters. Le prophète écrit : « Je vis le Seigneur et il me parla disant : Joseph, mon fils, tes péchés te sont pardonnés », au moment de la Première Vision au printemps de 1820[3]. Or, les auteurs ne reconnaissent même pas que la Première Vision se soit produite et décident donc de n’y voir qu’un événement « rapporté » par Joseph. D’où le désaccord.

 

Marquardt et Walters préfèrent penser que le seul élément de temps qui va avec les descriptions du prophète concernant le réveil religieux est celui de 1824-25. Toutefois, Milton V. Backman croit que Joseph avait un contexte plus vaste à l’esprit :

 

« Joseph Smith note que l’agitation religieuse se produisit dans la région où il vivait au cours de sa quinzième année et que sa vision eut lieu au printemps 1820; il ne dit pas nécessairement que le réveil qu’il décrit se limitait à quelques mois ni à une année déterminée. Dans son autobiographie de 1832, le prophète déclare que pendant trois ans, de l’âge de douze ans jusque et y compris l’âge de quinze ans, il s’était livré à des réflexions religieuses sérieuses et que de 1818 environ à 1820, il avait recherché la vérité en matière de religion et la bonne Église. Sur la base de cette longue recherche, l’histoire de 1838 peut impliquer une durée plus longue pour le réveil mentionné par lui qu’on ne le suppose généralement et il est possible que Joseph Smith n’avait pas « l’intention de dire que tous les événements du réveil se sont produits juste avant sa vision ». Joseph Smith déclare que « une agitation peu commune » eut lieu la deuxième année après son déménagement vers Manchester, mais les résultats de ce réveil religieux ont très bien pu s’étendre au-delà de l’expérience sacrée de Joseph dans le bosquet, ce qui prolonge la durée possible du réveil qui a provoqué de si grands événements dans sa jeune vie[4].

 

La dernière partie de la chronologie de Marquardt et Walters donnée au point 1 ci-dessus est valable. Il est vrai que Joseph exhorta pour la classe méthodiste, sans toutefois devenir membre de cette confession. Il est également vrai que Joseph fit partie d’un club de débat, tout d’abord dans le village de Palmyra et plus tard dans l’école rouge de « Durfee Street » (North Creek Road), juste au nord-est du village proprement dit[5].

 

La chronologie des saints des derniers jours situe les événements détaillés au point 2 par Marquardt et Walters dans le contexte général du printemps de 1820, plutôt que dans cette séquence 1824-1825. S’il est certain que le Révérend George Lane était l’officier président du district d’Ontario de 1824 à 1825, il est vrai aussi que Lane fréquenta la région pendant une période prolongée. En juillet 1819, il se trouva, pendant huit jours, à vingt-cinq kilomètres à peine de la maison des Smith, pendant qu’il assistait à la conférence annuelle de Genessee à Vienna (plus tard Phelps, New York). Ailleurs dans leur texte (pp. 28-29), Marquardt et Walters parlent de la conférence de Vienna et disent ceci à propos de la présence de Lane :

 

« Lane était à Vienna en juillet 1819 pour assister à la réunion annuelle de la conférence méthodiste de Genesee, au cours de laquelle il fut désigné pour exercer son ministère en Pennsylvanie. Il n'est dit nulle part qu'il a prêché ou qu'un camp meeting [réunion en plein air] ait eu lieu en même temps que cette conférence. En 1826, où il y a eu, cette fois, un camp meeting, le procès verbal de la conférence contient une mention des pasteurs à qui a été confiée la tâche de prendre les dispositions pour la réunion. Il n'est pas question de dispositions de ce genre dans le procès-verbal de 1819. (p. 29, italiques ajoutés) »

 

Marquardt et Walters sont passés à côté d'un point important. Les apologistes ont placé le Révérend Lane au rassemblement de nombreux méthodistes pour une période d'édification. Ce rassemblement s'est produit dans le voisinage de Joseph Smith et comme le Révérend Lane avait la perspective de faire un sermon, le prophète a pu entendre un tel sermon dès 1819[6]. Les facteurs pertinents existent-ils pour soutenir une telle rencontre ? Lane était présent à la conférence annuelle de Genesee tenue à Vienna (maintenant Phelps), du 1er au 8 juillet 1819, où il fut nommé officier président du district de Susquehanna[7]. Il y était avec cent dix pasteurs méthodistes, leur dirigeant, Robert R. Roberts, et une foule de fidèles. Il est vrai que le « Journal of the Genesee Conference » ne dit pas que le Révérend George Lane a prêché pendant la conférence, mais il ne mentionne pas non plus le nom d'aucun autre pasteur ayant pris la parole. Le contenu du procès verbal du journal de la conférence ne se préoccupe que des détails matériels ou des affaires traitées pendant les diverses sessions. Par exemple, le Révérend Lane était parmi ceux qui « ont de nouveau été reçus dans le circuit de voyages[8] ». On ne trouve le nom d'aucun de ceux qui ont fait les sermons à la conférence; nous savons pourtant qu'il y en a eu beaucoup. Les pasteurs s'occupaient non seulement de traiter les affaires, mais profitaient de même de l'occasion pour prêcher à l'assemblée réunie pour cette occasion propice. C'était un moment idéal pour que le prophète reçoive l'enseignement de Lane, étant donné surtout l'intérêt que Joseph dit avoir eu pour le méthodisme. Indépendamment du point de savoir si un « camp meeting » a été prévu ou non dans le cadre du rassemblement, la nature même de la conférence fournissait à un certain nombre de pasteurs de nombreuses occasions de prêcher aux laïcs, qui venaient toujours nombreux pour écouter leurs exhortations et étaient revigorés par elles. Ces conférences n'étaient pas simplement des réunions d'affaires; elles étaient ponctuées d'une bonne part de sermons enthousiasmants. Abel Stevens nous décrit le modèle général suivi lors de ces assemblées :

 

« Ces assemblées annuelles devinrent des événements imposants. Un évêque présidait; les prédicateurs, venus de kilomètres à la ronde et même de plusieurs états, étaient présents; une foule de laïcs assistaient en spectateurs. On prêchait tôt le matin, l'après-midi et le soir. Les activités quotidiennes étaient introduites par des services religieux et étaient caractérisées par un esprit religieux impressionnant. Elles duraient habituellement une semaine et c'était un moment de fête, réunissant les héros usés par la guerre, venus de nombreux champs de bataille lointains où la lutte avait été dure, renouvelant les relations entre les prédicateurs et les gens et couronnées par l'ambiance de société et les dévotions joyeuses[9]. »

 

Encore une fois, on ne trouve le nom d'aucun des nombreux prédicateurs qui ont enseigné matin, midi et soir pendant une semaine en 1819. Dans le « Journal of the Genesee Conference » n'apparaissent que les affaires traitées. Lane était là et l'occasion de parler était donnée à un vétéran chevronné qui faisait le circuit depuis 1804. De même, le Révérend Lane traversa de nouveau la région de Manchester pendant l'été 1820 pour se rendre à la conférence annuelle à Lundy's Lane (Niagara, Haut Canada) et aussi en juillet 1822, où il assista de nouveau à la conférence de Genesee tenue à Vienna (New York). Il n'est pas nécessaire de comprimer les occasions de Joseph Smith de rencontrer ou d'entendre le Révérend Lane dans la seule période où Lane fut envoyé dans le district d'Ontario, de juillet 1824 à  juillet 1825[10]. Les possibilités ne manquaient pas.

 

Joseph Smith informa Oliver Cowdery de ses toutes premières expériences en ce qui concerne cette période en vue leur publication dans le Messenger and Advocate dans ce qui est la première histoire imprimée du mormonisme rédigée à l'intérieur de l'Église. En guise de préface à cette série, Oliver Cowdery dit : « Pour que notre récit soit correct, l'introduction en particulier, il convient d'informer nos lecteurs que notre frère J. Smith a proposé de nous aider. Il y a, en effet, beaucoup de points qui ont trait à la première partie de ce sujet qui rendent son intervention indispensable[11]. » En cours de travail, Joseph informa Oliver qu'aux environs de sa quinzième année [quatorze ans, allant sur ses quinze ans, 1819-1820], « un certain M. Lane, officier président de l'Église méthodiste, rendit visite à Palmyra et environs », et que « comme ce fut le cas d'autres personnes, l'esprit de notre frère fut éveillé[12]. » Il y a une contradiction manifeste entre la date de 1820 donnée par Joseph et celle de Marquardt et Walters, « de septembre 1824 au printemps 1825 », comme étant la période où le prophète reçut les enseignements du Révérend Lane. Je pense que Joseph savait ce qu’il disait.

 

Encore une fois, Marquardt et Walters ne mentionnent pas la Première Vision dans ce contexte, parce qu'ils n'en reconnaissent pas l'existence. Cependant, les ramifications pour les mormons croyants sont directement évidentes. En vertu de la ligne chronologique de Marquardt et Walters, la Première Vision n'a pas encore eu lieu en 1825, puisque Joseph est toujours en train d'étudier le méthodisme cette cannée-là (points 2 et 3).

 

Le point 3 de Marquardt et Walters est tout aussi contestable puisqu'ils ont substitué le climat du réveil de 1824-25 à la conversion, en 1820, de Lucy Smith et d'autres membres de la famille au presbytérianisme et au cadre de la Première Vision. Notre recherche de l'appartenance à la Western Presbyterian Church de Palmyra est handicapée par le manque d'informations. Si le premier registre des sessions de cette confession avait survécu, il nous aurait peut-être fourni des renseignements d'époque sur l'affiliation des Smith. Malheureusement le premier registre avait disparu dès 1932 au moins, et n'est plus disponible. Le deuxième registre des sessions, qui, par bonheur, existe toujours, mentionne une enquête concernant les Smith pour « avoir négligé le culte public » et rapporte leur excommunication le 10 mars 1830 et le 29 mars 1830[13]. Toutefois, les registres qui ont survécu ne précisent pas quand les Smith sont entrés dans la Western Presbyterian Church de Palmyra. Au moment où certains membres de la famille se joignirent aux presbytériens, Joseph dit : « J'étais alors dans ma quinzième année [1819-1820]. Les membres de la famille de mon père se laissèrent convertir à la foi presbytérienne, et quatre d'entre eux se firent membres de cette Église: ma mère, Lucy, mes frères Hyrum et Samuel Harrison, et ma sœur Sophronia[14]. » Le prophète est de nouveau formel quand il situe la conversion de ces membres de sa famille aux environs de 1820 plutôt que dans la période de 1824-1825, comme le veulent Marquardt et Walters.

 

Outre la Première Vision, qui est étroitement liée à la conversion de certains membres de la famille Smith au presbytérianisme, Marquardt et Walters écartent discrètement une autre victime subtile dans la ligne chronologique des saints des derniers jours. Toute mention des visites de l'ange Moroni, qui serait, bien entendu, un personnage imaginaire pour eux, est absente, on s'en doute, dans leur chronologie pendant toute la période. Si, dans l'ordre des événements, le réveil « de septembre 1824 au printemps 1825 » est confirmé pour les auteurs, les apparitions successives de Moroni à Joseph Smith tombent ou, en tous cas, sont fortement comprimées dans le temps. Mais dans le récit de Joseph de 1838, la Première Vision se produit au début du printemps de 1820. Elle est suivie de trois ans et demi de préparation et, finalement, de l'apparition de Moroni, les 21-22 septembre 1823. Moroni effectue ensuite quatre visites annuelles successives à la colline Cumorah, qui prennent fin le 22 septembre 1827, date à laquelle les plaques sont remises entre les mains du prophète aux fins de traduction. Il est évident que la période de temps 1824-1827 ne permet pas les quatre visites requises si la Première Vision, selon la chronologie de Marquardt et Walters n'est pas possible avant 1825. Marquardt et Walters prétendent que « un réveil au printemps de 1825 situerait la première visite à la colline Cumorah en septembre 1825 et ne permettrait qu'une seule visite (septembre 1826) avant que Smith ne reçoive finalement les plaques en 1827 » (pp. 32-33).

 

Il y a cependant un autre témoin inattendu qui peut confirmer les visites de Moroni. Une des dates sur lesquelles les deux parties sont d'accord est celle de la mort d'Alvin Smith, le 19 novembre 1823 (p. 27)[15]. Des témoignages précieux tant des proches que de la famille Smith signalent qu'Alvin était au courant de l'existence de Moroni et suivait de près son frère Joseph concernant la première apparition de l'ange en septembre 1823. Si cela se confirme, cela veut dire que la période requise pour la série de visites de Moroni à Joseph, de 1824 à 1827, reste intacte. Lucy Mack Smith, William Smith et Joseph Knight, père, déclarent tous qu'avant sa mort en novembre 1823, Alvin était au courant des facettes de l'expérience avec Moroni.

 

Lucy Mack Smith affirme :

 

« Le troisième temps des moissons [1821, 1822, 1823] depuis l'ouverture de notre nouvelle ferme [pendant l'été 1820] était maintenant arrivée… Après que nous [la famille Smith] eûmes cessé nos conversations, il [Joseph] alla au lit… Il n'était pas couché depuis longtemps qu'une lumière brillante entra dans la pièce où il était couché. Il leva les yeux et vit un ange du Seigneur debout à côté de lui… Le lendemain, son père, Alvin et lui moissonnaient ensemble. Soudain Joseph s'arrêta et parut un certain temps plongé dans une étude profonde. Alvin le pressa en disant : Joseph, nous devons nous tenir à notre travail sinon nous n'arriverons pas à terminer… Son père vit qu'il était très pâle et l'exhorta à rentrer à la maison et à dire à sa mère qu'il était malade… [Joseph fit une courte distance, puis] le personnage qu'il avait vu la nuit précédente lui apparut de nouveau et dit : Pourquoi n'as-tu pas dit à ton père ce que je t'ai dit… [Joseph le dit à son père puis se rendit à la colline Cumorah, comme cela lui était commandé.] Quand Joseph rentra le soir, il dit à la famille entière tout ce qu'il avait révélé à son père dans le champ. Nous restâmes éveillés jusque très tard et écoutâmes attentivement tout ce qu'il avait à dire[16]. »

 

Pendant les derniers jours de sa vie, du 15 au 19 novembre 1823, Alvin dit au jeune Joseph : « Je veux que tu sois un bon garçon et que tu fasses tout ce qui est en ton pouvoir pour obtenir les annales. Sois fidèle à recevoir les instructions et à garder tous les commandements qui te sont donnés[17]. » Comme le disent Marquardt et Walters, la ferme avait été « mise au rôle » pendant l'été de 1820 (p. 27). Lucy fait remonter la première visite de l'ange à Joseph au moment de la troisième moisson, en septembre 1823. Vient ensuite le décès tragique d'Alvin en novembre de la même année. Son apparition se produisant en 1823, Moroni n'est plus bousculé par le calendrier de Marquardt et Walters, qui ne permet qu'une seule visite en 1826 avant que le prophète ne reçoive les plaques en 1827. Moroni et Joseph peuvent avoir leur quatre visites annuelles, 1824-1827.

 

William Smith situe la conversion des membres de sa famille au presbytérianisme avant la visite de Moroni. Il situe aussi la Première Vision de Joseph avant la visite de Moroni. Il mentionne la participation d'Alvin à une discussion en famille après les premières apparitions de Moroni. Il écrit : « Le lendemain, j'étais au travail dans le champ avec Joseph et mon frère aîné Alvin. » Il dit alors que Joseph quitta le champ à l'invitation d'Alvin, parce qu'il voyait qu'il n'était pas bien. Joseph était assis près de la clôture « lorsque l'ange lui apparut de nouveau et lui dit de réunir la maison de son père et de leur faire part des visions qu'il avait eues[18]. »

 

Joseph Knight, père, était chez les Smith le soir du 21 septembre 1823. Le lendemain, quand il raconta sa conversation avec l'ange à la colline Cumorah, Joseph s'exclama, selon Knight :

 

« Pourquoi ne puis-je pas bouger ce livre ? » Et il lui fut répondu : « Tu n'as pas bien agi; tu aurais dû prendre le livre et partir tout de suite. Tu ne peux plus l'avoir maintenant. » Joseph dit : « Quand pourrai-je l'avoir ? » La réponse fut le 22e jour de septembre prochain [1824], si tu amènes la bonne personne. Joseph dit : « Qui est la bonne personne ? » La réponse fut : « Ton frère aîné ». Mais avant que septembre n'arrive, son frère aîné mourut [19 novembre 1823][19].

 

Lucy Smith, William Smith et Joseph Knight, père, sont tous, il est vrai, membres du culte, mais ils sont aussi des témoins privilégiés qui ont situé ces événements avant que Marquardt et Walters ne viennent avec leur calendrier de 1824-1825 et avant la mort d'Alvin en novembre 1823.

 

Aux points 4 et 5 de leur chronologie, Marquardt et Walters disent en fait que non seulement le calendrier des saints des derniers jours est irrégulier, mais aussi que les événements au sein d'années déterminées ne sont pas dans un ordre correct. Ils affirment que l'Église fut organisée le 6 avril 1830 à Manchester (New York), plutôt qu'à la ferme de Peter Whitmer, père, à Fayette (New York) (point 4). Ils affirment aussi que les événements qui ont eu lieu chez Whitmer ne se sont produits que le 11 avril 1830, quand la branche de Fayette fut organisée (point 5). Du point de vue des saints des derniers jours, l'Église fut organisée le 6 avril 1830 à la ferme de Peter Whitmer, père, et que la réunion du 11 avril 1830 chez Whitmer n'était que la première réunion publique suivant l'organisation effectuée la semaine précédente.

 

Idéalement, les historiens auraient dû pouvoir résoudre cette question et d'autres en se rendant au greffe du comté dans trois comtés de l'État de New York pour y consulter leur livre « Incorporation of Religious Societies » respectif. Dans ces ouvrages, devraient apparaître la société religieuse désirée avec les personnes désignées comme dirigeantes et administratrices, avec la date de constitution de la société dans le comté considéré. Ainsi, les branches de l'Église de Fayette, Manchester et Colesville auraient dû toutes se faire enregistrer selon la loi de l'État de New York. Moi et d'autres, nous avons vainement suivi cette piste, en y ajoutant même les comtés de Wayne et Chenango pour être sûrs. La vérification des documents aux archives de l'État à Albany n'a pas donné plus de résultats. On n'a pas encore découvert de preuve qu'une de ces branches se soit fait enregistrer pendant les neuf mois de leur séjour dans l'État de New York, bien que toutes les conditions requises aient certainement été remplies et enregistrées pour la réunion d'organisation à Fayette[20].

 

Ne pouvant pas trouver les preuves à un niveau, nous nous orientons vers un autre. Marquardt et Walters soulignent que certaines des premières publications de l'Église donnent Manchester comme étant le lieu de l'organisation le 6 avril 1830 plutôt que la maison Whitmer à Fayette (pp. 153-172). Il est certain que Manchester a joué un rôle-clef au cours de cette période. Des révélations y ont été reçues et des baptêmes ont été faits dans le Crooked Brook. En même temps, des révélations ont aussi été enregistrées à la ferme de Peter Whitmer, père, et de nombreux baptêmes ont été faits dans le lac Seneca, le lac Cayuga, la rivière Seneca et les ruisseaux Thomas, Kendig et Silver, dans le comté de Seneca[21]. De nombreuses activités, du prosélytisme et des baptêmes, ont eu lieu aussi bien dans le comté d'Ontario que dans le comté de Seneca avant, pendant et après l'organisation de l'Église. Bien que certaines des premières publications mormones désignent Manchester comme lieu de l'organisation, il y a eu, de même, plus tard, des corrections faites par les mêmes dirigeants, donnant Fayette comme lieu de l'organisation officielle le 6 avril 1830. Dans le numéro de mai 1834 de l'Evening and Morning Star, on trouve le « Procès verbal d'une Conférence des Anciens de l'Église du Christ, Église qui a été organisée dans l'arrondissement de Fayette (comté de Seneca, New York), le 6 avril 1830 » procès verbal de la conférence tenue le 3 mai 1834 à Kirtland. Joseph Smith y est appelé « président » et Oliver Cowdery « greffier », ce qui reproduit le modèle de l'organisation originale à Fayette à la même date quatre ans plus tôt, un fait connu d'eux[22]. Le 5 mai 1834, juste deux jours plus tard, le prophète confirme encore qu'il accepte les mêmes lieu et date lors d'un achat de terres à John et Elsey Johnson. Le contrat l'identifie comme étant « Joseph Smith, fils, président de l'église du christ organisée le 6 avril de l'an de grâce mil huit cent trente, dans l'arrondissement de Fayette, comté de Seneca et État de New York[23] ».

 

David Whitmer, un des six organisateurs, affirme : « L'organisation s'est faite dans le comté de Seneca (New York) sous le nom de 'L'église du Christ'. » Il ajoute : « Le 6 avril 1830, l'église fut convoquée et les anciens furent reconnus selon les lois de New York[24]. » En 1887, David affirme de nouveau formellement : « Nous nous sommes réunis, le 6 avril 1830, chez mon père, à Fayette, N. Y., pour régler cette question de l'organisation selon les lois du pays[25]. »

 

Le contenu de la chronologie de Marquardt et Walters et le texte à l'appui qui suit méritent une évaluation soigneuse parce qu'ils proposent des pistes passionnantes pour la recherche qui pourraient améliorer notre compréhension historique de la période. Avec toute la profusion de documents qui ont été lancés dans l'arène, l'idéal serait que le lecteur ait la possibilité d'examiner séparément chacun des documents. Cela n'est évidemment pas faisable et les documents ne sont pas d'accès facile. Le contenu et la référence de la majorité des documents sont corrects. L'interprétation de ce que la source veut dire est nécessairement une affaire personnelle. Il y a de temps en temps une petite anicroche dans leur traitement. Marquardt et Walters parlent de Samuel Jennings, un commerçant de Palmyra avec qui la famille Smith faisait affaire. Ils observent qu'à la mort de Jennings, le 1er septembre 1821, Joseph Smith, père, lui devait respectivement $11.50 et $1 et citent ses documents de propriété sous la mention « 5 janvier 1822, 8, ligne 23, et 10, ligne 10 » (p. 11 n. 9). Or la lecture correcte devrait être 5 juin 1822, 10, ligne 23, et 12, ligne 10, pour quelqu'un qui voudrait trouver la source. Étant donné que les auteurs ont soigneusement mis en évidence une série de dettes dont divers membres de la famille Smith étaient redevables à diverses personnes pour une période prolongée, il serait bon de faire observer que Joseph Smith, père, n'était pas seul dans cette situation d'endettement. Il y a dix-neuf pages d'autres résidents qui, et cela se comprend, étaient endettés vis-à-vis du commerçant décédé au moment de la clôture de son commerce[26].

 

Marquardt et Walters justifient partiellement leur enquête soigneuse et détaillée concernant les affirmations et les sources mormones en posant la question :

 

« Pourquoi devrions-nous nous préoccuper de précision dans ces détails ? T. Edgar Lyon, éducateur de l'Église mormone a dit un jour : Pourquoi les saints des derniers jours devraient-ils se préoccuper d'une histoire authentique ? Quelle différence cela fait-il pour le touriste qu'on lui dise des faits ou de l'imaginaire ? Personnellement je n'apprécie pas d'être la victime de quelqu'un qui, tout en se disant autorité, répand des erreurs quelque minimes qu'elles semblent être. » (p. 165)

 

C'est certainement une allusion à peine voilée au récit historique du prophète et d'autres qui l'ont aidé à préserver cette histoire des débuts. Par association, ces frères sont coupables de « prendre pour victimes » des personnes en répandant volontairement des erreurs. Marquardt et Walters en tirent cette conclusion : « Quand Smith raconta l'histoire de sa vie, la compréhension qu'il avait à cette époque plus tardive façonna l'histoire de ses visions extraordinaires. Les incantations magiques, les esprits gardiens, les trésors dans les collines, l'utilisation d'une pierre spéciale à des fins profanes et religieuses, tout cela fut enterré dans une histoire condensée et simplifiée. Les rencontres surnaturelles furent amplifiées et affinées pour satisfaire des conceptions plus orthodoxes. Les récits originaux nous paraissent plus authentiques » (p. 198).

 

Marquardt et Walters se montrent partisans de la précision dans le détail « aussi minime que cela puisse paraître ». Mais ceci devrait assurément s'appliquer aussi à eux aussi bien qu'aux premiers mormons. La deuxième partie de « L'Essai Biographique » dans Inventing Mormonism est intitulée « 2. Le Procès de 1826 » (pp. 222-30). Dans une des sections, (pp. 222-23), ils examinent les « Notes détaillées du Juge Albert Neely et de l'agent de police Philip De Zeng », en précisant que les notes de frais respectives furent rassemblées en liasses en 1826 et déposées dans une réserve. Ensuite leur texte passe du 19e siècle à un événement du 20e siècle et à la déclaration : « Ces notes et d'autres relatives aux comparutions de Joseph Smith devant le tribunal de Bainbridge ont été retirées par [Wesley P.] Walters et [Fred] Poffarl[27] de la boîte détrempée par l'eau dans laquelle elles ont été trouvées et  portées personnellement à la Beinecke Rare Book and Manuscript Library de l'université de Yale. Le comté de Chenango les a récupérées en octobre 1971. Des photos sont classées à la bibliothèque du Westminster Theological Seminary à Philadelphie » (p. 223).

 

Vue superficiellement, cette description paraît tout à fait inoffensive: deux hommes qui retirent des documents d'une boîte détrempée par l'eau et les apportent pour examen à une bibliothèque pour manuscrits pour les examiner, peut-être même pour les traiter, et qui les rendent ensuite à leur comté d'origine. On croirait y voir les gestes responsables d'archivistes soucieux de l'environnement en action, avec, pour autant qu'on le sache, l'approbation du comté, ce qu'on laisse croire, sans le dire explicitement. Maintenant, regardons-y de plus près par souci de « précision » et voyons dans quelles circonstances les choses se sont passées. J'étais occupé, à l'époque, à microfilmer des documents relatifs au mormonisme à la Guernsey Memorial Library et je faisais en même temps des recherches dans des documents dans le bâtiment administratif du comté de Chenango, situé juste à côté, à Norwich (New York). John P. McGuire, greffier du comté, m'avait accordé l'accès à la chambre forte. J'étais en train de chercher le type même de documents que Wesley P. Walters et Fred Poffarl allaient découvrir plus tard, mais sans succès. Lorsque j'eus soigneusement compulsé les documents de la chambre forte, M. McGuire me renvoya à la réserve de registres des jugements entreposés dans la cave de la prison. Ces documents avaient été confiés à la surveillance directe du shérif, qui avait remis à son adjoint la tâche de s'en occuper. Walters et Poffarl n'ont pas exagéré : les documents eux-mêmes étaient humides et dans des boîtes détrempées par l'eau. Après avoir fouillé des centaines de documents pendant deux jours, malheureusement au mauvais bout de la pièce, je dus partir pour aller à des rendez-vous précédemment pris. Peu après mon départ, Walters et Poffarl allèrent trouver M. McGuire et se virent accorder la même autorisation que moi d'examiner le contenu de la chambre forte. Au moment où ils terminaient ce travail, un employé du bâtiment administratif du comté leur signala que M. Porter avait travaillé dans le sous-sol de la prison. Le 28 juillet 1971, ils firent des recherches et réussirent à trouver les insaisissables notes de frais et quelques autres documents du même genre. Ils les sortirent de leur liasse et se rendirent à la Guernsey Memorial Library. Charlotte Spicer, une des bibliothécaires, me dit qu'ils utilisèrent la photocopieuse, mais qu'elle était de mauvaise qualité et que les résultats de leur plurent pas. Elle me dit qu'il décidèrent ensuite d'emporter les documents ailleurs. En voyant la nature des papiers, elle leur conseilla de les rendre immédiatement. Elle dit : « M. Walters répondit 'que s'ils les rendaient, les mormons les feraient disparaître'. » Ils partirent alors, les soustrayant ainsi à la collectivité et à la garde du greffier du comté. Fred Poffarl les emporta à Yale. Walters affirma plus tard qu'ils les avaient enlevés sans permission parce qu'on ne pouvait trouver à ce moment-là ni le shérif ni l'historienne du comté[28]. À l'instigation de Walters, certains des documents, accompagnés d'un commentaire, furent publiés en août 1971 par Jerald et Sandra Tanner dans The Salt Lake City Messenger sous le titre : « Une nouvelle découverte sape le mormonisme », dans le cadre de leurs efforts pour dénoncer Joseph Smith[29].

 

Je poursuivais à l'époque des recherches dans l'Est. Richard L. Anderson me mit au courant du traité des Tanner sur la découverte de Walters et, vivement désireux de voir le document, je me rendis à Norwich pour en vérifier le contenu. Une fois là-bas, j'allai trouver Mae L. Smith, historienne du comté de Chenango, mais elle ne put me montrer le document original du tribunal. Elle n'avait en sa possession que des photocopies, puisque les originaux avaient été emportés. Elle m'apprit, en outre, que Wesley P. Walters avait photocopié les documents originaux en sa possession et avait ensuite envoyé une de ces copies au rédacteur du Chenango Union, à Norwich, comme confirmation d'un article sur le mormonisme qu'il y avait annexé et qu'il demandait au journal d'imprimer. Le rédacteur s'était rendu compte que quelque chose n'allait pas et avait attiré l'attention de Mae Smith sur les photocopies. Elle se rendit compte que des documents juridiques avaient été emportés sans autorisation et, par l'intermédiaire du greffier du comté, prit contact avec Edwin M. Crumb, greffier du Board of Supervisors du comté de Chenango. James H. Haynes, fils, procureur du comté de Chenango, fut alors chargé d'écrire à Wesley P. Walters. M. Haynes écrivit le 16 septembre 1971 :

 

« Monsieur le pasteur Walters,

 

« Madame Mae Smith, historienne de notre comté, me prie de vous écrire à propos de certains documents que vous avez retirés des registres du comté entreposés dans le sous-sol du bureau de notre shérif local. J'ai, à propos de ces documents, des lettres que vous avez écrites à Madame Smith en date du 21 août 1971.

 

« Madame Smith me dit que vous avez pris ces documents sans sa permission et qu'elle vous a écrit pour vous demander de les renvoyer immédiatement.

 

« Auriez-vous l'amabilité de prendre immédiatement contact avec l'université de Yale et de demander que ces papiers soient renvoyés sans aucun retard à Madame Smith, historienne de notre comté[30]. »

 

Les documents furent renvoyés plus tard parce qu'il le fallait bien. De toute évidence, les documents qui se trouvaient dans cette salle au sous-sol n'étaient pas catalogués, de sorte qu'il était impossible de déterminer le nombre de pièces qui en avait été sorties. L'observateur peut apprécier le dilemme compréhensible de ceux qui en étaient responsables.

 

On dira peut-être : « En agissant ainsi, ils les ont préservés. Que pouvaient-ils faire d'autre ? » J'ai quelques autres solutions à proposer. John P. McGuire, le greffier du comté, était un homme qui avait un grand sens des responsabilités et il était en outre le gardien légal des registres. J'avais travaillé avec lui pendant une période de temps prolongée pour trouver certains documents à valeur historique en vue de les faire microfilmer par le service de microfilmage généalogique de l'Église. S'il avait été au courant de la valeur historique de ce document, il aurait, je n'en ai pas le moindre doute, pris les dispositions nécessaires pour veiller à ce qu'ils soient retirés de la cave et conservés en lieu sûr pour consultation. D'autres documents de valeur historique pour la localité se trouvaient déjà dans la chambre forte. En outre, Mae Smith, historienne du comté de Chenango, aurait garanti leur sécurité et introduit une demande pour en obtenir la possession, ce qui finit par être le cas[31]. En les emportant, Walters et Poffarl commirent le péché cardinal d'en compromettre éventuellement la validité. Certains estimèrent qu'ils avaient falsifié les indices pendant leur disparition. Je crois personnellement que les documents qui ont été restitués sont valables et intacts. Mais bien entendu – et c'est là le problème – on ne peut pas le prouver.

 

Walters donna cependant, en 1974, quelque temps après les faits, une explication détaillée de ce que son ami et lui avaient fait. Il déclara qu'il avait immédiatement pris contact avec Mae Smith et avec d'autres (un peu plus de trois semaines plus tard). Sa description donnerait à croire au lecteur que tout avait été réglé à l'amiable[32]. Ce que je sais, moi, c'est que lorsque je suis arrivé à Norwich, peu après l'explication publiée par Walters, j'y ai trouvé une Mae Smith toute hérissée. Elle était fort mécontente des méthodes de ces hommes qui avaient extrait des documents officiels, et l'était encore un an plus tard lorsque j'ai téléphoné au musée d'histoire du comté de Chenango pour voir les insaisissables documents, qui avaient entre-temps été restitués. Dans leur volonté de foncer, les historiens ne peuvent pas passer outre leurs collègues locaux. Quelque chose de plus a été perdu dans cet échange que la disparition momentanée de documents. Cet acte contraire à la déontologie a créé une atmosphère de méfiance chez les responsables du comté de Chenango, alors que tant de confiance avait été accordée à des générations de chercheurs avant ce malheureux incident. Rétrospectivement, je peux encore entendre M. McGuire, greffier du comté, demander simplement à tous les visiteurs : « Lorsque vous les sortez, remettez-les là où vous les avez trouvés. »

 

Un peu plus de précision dans les détails, et l'on comprend bien des choses là où une information limitée ne fournissait qu'une vision fausse de ce qui s'était réellement passé.


 


[1] Manuscript History of the Church, A-1, pp. 1-92, Joseph Smith Papers, Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, Church Archives, Salt Lake City; cf. Dean C. Jessee, directeur de publication, The Papers of Joseph Smith, Salt Lake City, Deseret Book, 1989, vol. 1, pp. 265-347.

[2] On pourrait poser des questions simples de précision dans la chronologie : (1) « 22 septembre 1827, Joseph, fils… trouve aussi avec les plaques une épée, un pectoral et une paire de lunettes (également appelée urim et thummim) » (p.30). Joseph Smith ne précise pas qu’une « épée » se trouvait avec le contenu du coffre de pierre à Cumorah. Toutefois, l'épée fut montrée plus tard par Moroni à la ferme Whitmer; quand le prophète et les trois témoins virent les objets anciens. Au départ, à la colline Cumorah, Joseph signala simplement : « Je regardai à l’intérieur et j’y vis effectivement les plaques, l’urim et le thummim et le pectoral comme le messager l’avait dit » (Jessee, The Papers of Joseph Smith, 1:28. (2) 16 janvier : « Oliver Cowdery est témoin d’un accord passé entre Joseph, père, et Martin Harris pour la vente du Livre de Mormon » (p. 34). En examinant ce document, Scott H. Faulring est arrivé à la conclusion que depuis des années, nous le comprenons de travers. Il croit qu’il ne s’agit pas d’un accord entre Joseph, père, et Martin Harris, mais que la signature est en réalité celle de Joseph Smith, fils. Il croit cependant aussi que ce que l’on prend pour « Sr. » n’est ni un « S », ni un « J », mais plutôt un trait de plume inconscient et non corrigé du prophète. La signature est identifiée sans risque d’erreur comme étant celle du prophète, quand on la compare avec ses autres signatures de la période. Il est certain qu’un accord entre Joseph, fils, et Martin aurait plus de sens (entretien entre Scott Faulring et Larry C. Porter, 18 juillet 1995). (3) « Septembre 1830, Joseph, fils, va de Harmony à Fayette » (p. 35). Mais au lieu d’arriver en septembre, Joseph dit : « Nous sommes arrivés à Fayette pendant la dernière semaine d’août, au milieu des félicitations de nos frères et amis » (Jessee, The Papers of Joseph Smith, p. 322).

[3] Ces mots ont été dits à Joseph par le Seigneur, selon le récit des événements liés à sa Première Vision, fait par le prophète en 1832. Voir Jessee, The Papers of Joseph Smith, 1:6.

[4] Milton V. Backman, fils, Joseph Smith’s First Vision, Salt Lake City, Bookcraft, 1980, pp. 196-197.

[5] Orsamus Turner, History of the Pioneer Settlement of Phelps and Gorham’s Purchase, Rochester, Alling, 1851, p. 214.

[6] Larry C. Porter, “Reverend George Lane--Good 'Gifts,' Much 'Grace,' and Marked 'Usefulness,' " BYU Studies 9 printemps 1969, pp. 328-330.

[7] Minutes Taken at the Several Annual Conferences of the Methodist Episcopal Church… for the Year 1819, New York, Totten, 1819, p. 51.

[8] Copie du “Journal of the Genesee Conference, 1810 to 1828 inclusive, Bishop Ausbury", transcrite par Isaac W. Moister, 30 juin 1860, pp. 76-84, Wyoming Seminary, Kingston, Pennsylvanie.

[9] Abel Stevens, The Centenary of American Methodism, New York, Carlton et Porter, 1865, p. 112, italiques ajoutés.

[10] Porter, "Reverend George Lane", pp. 321-40.

[11] Messenger and Advocate 1, octobre 1834, p. 13.

[12] Messenger and Advocate, 1, décembre 1834, p. 42.

[13] "Records of the Session of the Presbyterian Church in Palmyra", 2:11-13, copie sur microfilm à la bibliothèque Harold B. Lee, BYU.

[14] Jessee, The Papers of Joseph Smith, 1:270.

[15] Larry C. Porter, "A Study of the Origins of The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints in the States of New York and Pennsylvania, 1816-1831" (thèse de doctorat, université Brigham Young, 1971, pp. 71-77.

[16] Lucy [Mack] Smith, Preliminary Ma,nuscript, 1844-1845, Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours Archives, pp. 46-48.

[17] Idem, pp. 51-52.

[18] William Smith, William Smith on Mormonism, Lamoni, IA, Herald Steam Book and Job Office, 1883, pp. 8-9.

[19] Dean Jessee, "Joseph Knight's Recoçllection of Early Mormon History", BYU Studies, 17/1, automne 1976, p. 31.

[20] Porter, "A Study of the Origins of The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints", pp. 243-253 et appendice H, pp. 374-386. Larry C. Porter, "Was the Church legally incorporated at the time it was organized in the state of New York?" Ensign 8, décembre 1978, pp. 26-27. John K. Carmack a fait quelques observations précieuses à ce sujet; voir son article "Fayette: The Place the Church was Organized", Ensign 19, février 1989, pp. 14-19.

[21] Porter, "A Study of the Origins of The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints", pp. 253-268.

[22] "Minutes of a Conference", The Evening and Morning Star [Kirtland] 2, mai 1834, p. 160.

[23] Geauga County, Ohio Deed Records Book 18, 478-479.

[24] "Mormonism", Kansas City Journal, 5 juin 1881.

[25] David Whitmer, An Address to All Believers in Christ, Richmond (Missouri), David Whitmer, 1887, p. 33.

[26] Samuel Jennings Estate Papers, 5 juin 1822, p. 10, ligne 23 et page 12, ligne 10, Ontario County Estate Records, film n° 1991.272.5, archives de la Société historique du comté d'Ontario, Canandaigua (New York).

[27] Fred Poffarl était un collègue du Rév. Wesley P. Walters, de Philadelphie (Pennsylvanie).

[28] Wesley P. Walters, "Joseph Smith's Bainbridge, N.Y., Court Trials", Westminster Theological Journal, 36, hiver 1974, p. 126; voir aussi Wesley P. Walters, Joseph Smith's Bainbridge, N.Y., Court Trials, Modern Microfilm Company, Salt Lake City, 1971.

[29] "New Find Undermines Mormonism", The Salt Lake City  Mesenger 32, août 1971, pp. 1-3; voir aussi Jerald et Sandra Tanner, Joseph Smith's 1826 Trial, Salt Lake City, Modern Microfilm Company, 1971.

[30] Lettre de James A. Haynes, fils, Procureur du Comté de Chenango, Norwich, New York, au Rév. Wesley P. Walters, 16 septembre 1971.

[31] En 1974, Walters réfléchit à ce qu'il avait fait et reconnut que "À la lumière de ce qui s'est passé plus tard, il aurait sans doute été plus sage d'obtenir tout simplement du comté une copie certifiée conforme des notes de frais et de les laisser retourner dans cette cave humide pour s'y désintégrer."  "Joseph Smith's Bainbridge, N.Y., Court Trials", p. 54. Un repentir partiel mais pas total. Il ne reconnaissait toujours pas à l'historienne du comté de Chenango ni aux autres la capacité de savoir quand des documents ayant valeur historique doivent être retirés de l'humidité une fois leur état constaté. May Smith les a mis en sécurité dans une chambre forte sèche.

[32] Walters, "Joseph Smith's Bainbridge, N.Y., Court Trials", pp. 153-155.