JOSEPH SMITH ET MAHOMET
Insights, avril 1999
Dans son livre, The World and the Prophets, Hugh Nibley fait observer que
les contradicteurs sont prompts à attirer l’attention sur les
ressemblances superficielles existant entre nos prophètes modernes et
d’autres hommes de leur époque. Par exemple, Joseph Smith a fondé une
église, d’autres hommes aussi ; il prétendait avoir la révélation du ciel,
eux aussi ; il a été persécuté, eux aussi ; il lisait la Bible, eux aussi
; et parce qu’ils étaient des imposteurs, par conséquent, lui l’était
aussi. Cette dernière affirmation ne peut bien entendu pas être soutenue
par des ressemblances superficielles. Ce que nous devons demander dans le
cas du prophète moderne, c’est ce que nous devons demander dans le cas de
Jésus : En quoi était-il essentiellement différent de tous les autres ?
Eduard Meyer était l’un des hommes les plus érudits des temps modernes. Sa
spécialité, c’était l’histoire ancienne et il s’intéressait tout
particulièrement à l’origine des religions. Il a écrit des ouvrages
faisant autorité sur l’origine des religions et a choisi les saints des
derniers jours comme l’une des grandes religions originales. Il trouve que
c’est entre l’Église mormone et les chrétiens primitifs que les
ressemblances sont les plus grandes. Ils se ressemblent dans tous les
détails, même dans leurs défauts. Meyer trouve également des ressemblances
entre Joseph Smith et Mahomet, mais Nibley fait observer qu’elles sont
superficielles et accessoires par comparaison avec les points essentiels
sur lesquels Meyer croit que les deux hommes, qui affirment tous les deux
être prophètes, sont aux antipodes l’un de l’autre :
Mahomet était en proie à de longues périodes de manque de confiance en
lui-même et de désespoir total et, selon certaines sources, tenta même de
se suicider. Il craignait beaucoup d’être fou ou d’avoir vu un démon
plutôt qu’un ange. Par contraste, « il est très significatif chez Joseph
Smith, écrit Meyer, que dans son cas il n’est absolument pas question de
doutes ni d’appréhensions de ce genre . » Meyer félicite Mahomet d’avoir
une réaction humaine tout à fait normale et réprimande Smith de ne pas
l’avoir.
Il loue la prudence, la retenue et la sagacité exemplaires de Mahomet,
montrant comment il a acquis son assurance par la pratique et, au cours
des années, a soigneusement élaboré sa doctrine et son histoire, les
corrigeant, les révisant et les renforçant. Contrairement à Joseph Smith,
ou aux prophètes de l’Ancien Testament, Mahomet ne voit jamais
véritablement quoi que ce soit dans ses révélations, mais lit lentement et
très laborieusement dans un livre. Smith s’intègre bien parmi les anciens
prophètes d’Israël. Mahomet pas.
La différence la plus importante, selon Meyer, entre les deux hommes, qui
se disent prophètes, est que « Joseph Smith croit en la continuation de
l’inspiration prophétique directe, au don des langues, etc., et,
parallèlement à cela, à l’inspiration personnelle que tout croyant peut
recevoir... Mahomet, d’autre part, ne connaît qu’un seul livre, à savoir
la Bible, dont il n’a qu’une vague connaissance. »
Pour Joseph Smith, les manifestations de l’autre monde sont réelles et
vont de soi. « Pour Mahomet… il n’y a qu’un seul miracle : la révélation
des paroles du livre divin et l’apparition d’anges. Il niait tout pouvoir
d’accomplir des miracles et ses disciples n’ont aucun pouvoir particulier
d’aucune sorte. »
Joseph Smith et Mahomet prétendent tous les deux avoir donné au monde un
livre révélé. Mais c’est précisément là que Meyer trouve la différence la
plus complète (si pas la plus importante) entre eux. Après tout, des
centaines d’hommes ont prétendu avoir donné des écrits inspirés au monde –
il n’y a rien dans le simple fait de le prétendre qui justifie ou condamne
un prophète. Mais le livre de Smith n’a pas son pareil. Alors que « pour
Mahomet le livre reste toujours entre les mains de l’ange », Smith n’a pas
seulement lu mais aussi traduit son livre, qu’il a transporté d’un endroit
à l’autre ; il a été jusqu’à copier des caractères du livre et à les faire
circuler un peu partout pour que tout le monde, y compris ses pires
ennemis, les voient. « Pareille chose, dit Meyer, ne serait jamais venue à
l’esprit de Mahomet. »
La conclusion finale d’Eduard Meyer est que « les révélations de Mahomet
sont supérieures à celles de Joseph Smith, parce que dans son cas nous
ressentons... un peu la force d’une conviction arrachée par un labeur
mental extrême, et nous avons même à certains moments le sentiment d’une
espèce d’inspiration poétique. » De cela, pas la moindre trace chez Joseph
Smith. Meyer peut respecter l’effort mental du fondateur de l’Islam, se
débattant contre ses limites humaines, mais Joseph Smith est pour lui une
énigme. Meyer est énervé par ce parvenu qui n’a pas le moindre doute face
aux persécutions les plus épouvantables et qui, au milieu des épreuves et
des combats terribles qu’il affronte, ne lutte jamais pour avoir
l’inspiration. Nibley fait observer que l’énervement de Meyer à l’égard de
Joseph Smith est en réalité un témoignage fort de son appel comme
prophète, car Meyer traite Ézéchiel exactement de la même façon.
Nibley en conclut : « Nous avons ici un test intéressant. Meyer aime et
comprend Mahomet qui, quoique étant un homme remarquable, c’est le moins
qu’on puisse dire de lui, n’est après tout qu’un homme qui réagit comme on
attendrait de tout homme normal qu’il réagisse s’il s’efforce de parvenir
à un état de conviction religieuse. Le flou, le mystère, le combat, le
doute : tous les dirigeants religieux les connaissent et nous avons tous
une idée de ce par quoi Mahomet est passé. Il n’était, pour ainsi dire,
qu’un prédicateur de plus, même s’il était grand. Mais pas Joseph Smith !
Meyer le trouve, comme Ézéchiel, lourd, littéral, dénué de poésie, dénué
du pouvoir de l’imagination, insensible au doute, non ennobli par la lutte
du désespoir. Ce sont là des hommes que l’on ne peut en aucune façon
intégrer au catalogue des penseurs religieux de Meyer. Si la nature de ses
prétentions comme prophète le mettait totalement à part de tous les hommes
de religion de son temps, elle excluait également Joseph Smith de toute
classification avec tout autre type de prophète que celui représenté par
Ézéchiel, le Christ et les anciens apôtres. Autant qu’il ait pu ressembler
aux autres hommes dans d’autres domaines, quand il s’agissait de son appel
de prophète, Joseph Smith n’était pas un Mahomet luttant pour se
convaincre et pour trouver une expression poétique ; il n’était pas un
érudit de la théologie cherchant à démêler les Écritures pour ses
semblables moins instruits ou moins inspirés et il n’était certainement
pas un prédicateur de plus. Il était un vrai prophète de Dieu. » – Adapté
de Hugh Nibley, « Prophets and Preachers », dans The World and the
Prophets, 1987.
Traduit et publié avec la permission de FARMS
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