Les détracteurs de lEglise
et de ses dirigeants sont intarissables dans leurs trouvailles pour les discréditer. La
technique est invariablement la même : en dire juste assez pour donner une mauvaise
impression ou pour ridiculiser et surtout ne jamais traiter le sujet à fond pour ne pas
perdre le mauvais effet que lon veut faire passer. Récemment, un lecteur nous a
interrogés sur Joseph Smith, Brigham Young et les hommes de la lune. Le texte antimormon
quil citait faisait une vague allusion à Van Hale, histoire de faire semblant
dêtre honnête, mais cétait trop peu pour quon se fasse une opinion et
qui va retrouver un article de 1982 ? Nous, nous lavions. Mise au point.
LES MORMONS ET LES HOMMES DE LA LUNE
Un coup dil sur
les croyances du XIXe siècle concernant la lune, sa flore, sa faune, ses habitants
Van Hale
Sunstone, vol. 7, n° 5, septembre-octobre 1982, pp. 12-17
En 1892, larticle suivant, long dune page, parut dans le Young Womans
Journal. Son auteur, Oliver B. Huntington, écrivait :
« Depuis des temps immémoriaux et jusquà tout récemment, les astronomes et les
philosophes ont affirmé que la lune était inhabitée, quelle navait pas
datmosphère, etc. Mais des découvertes récentes, faites grâce à des télescopes
puissants, ont jeté le doute chez les scientifiques concernant cette vieille théorie.
« Presque toutes les découvertes faites par les hommes ces cinquante dernières années
ont contribué dune manière ou dune autre, que ce soit directement ou
indirectement, à prouver que Joseph Smith était un Prophète.
« Je sais que dès 1837 il disait que la lune était habitée par des hommes et des
femmes tout comme la terre et quils vivaient jusquà un âge plus avancé que
nous, quils vivaient généralement jusquà lâge de mille ans.
« Il disait des hommes quils avaient en moyenne un mètre quatre-vingts de haut et
quils shabillaient, de manière tout à fait uniforme, de vêtements
ressemblant au style quaker.
« Dans ma bénédiction patriarcale, donnée en 1837 à Kirtland par le père de Joseph
le Prophète, il ma été dit que je prêcherais lÉvangile aux habitants des
îles de la mer et
aux habitants de la lune, la planète que vous pouvez maintenant
voir de vos yeux [1]. »
Les adversaires du mormonisme ont essayé dutiliser laffirmation percutante de
Huntington que Joseph Smith croyait aux hommes de la lune pour discréditer le mormonisme.
« Peut-on respecter une organisation religieuse qui publie de telles sottises ? »
demandent-ils [2]. Jamais un vrai prophète ne commettrait une erreur aussi monumentale.
Reconnaissons-le, lidée, à notre époque scientifique, que des hommes de la lune
âgés de mille ans et habillés comme des quakers puissent recevoir la visite de
missionnaires mormons peut avoir lair un peu tirée par les cheveux. Cest pour
cela quil est important de mettre le récit de Huntington dans son contexte. Par
exemple, quen est-il de lauthenticité ou de lexactitude de cette
histoire ? À quel point de telles idées auraient-elles paru farfelues au XIXe siècle ?
On pourrait alors juger de manière plus équitable si le manteau prophétique de Joseph
est en jeu.
La première question est évidemment de savoir quelles étaient les sources de
larticle de Huntington, ses propres souvenirs ou ceux dune tierce personne ?
Il fait allusion à deux événements distincts : une déclaration de Joseph Smith et sa
propre bénédiction patriarcale. Nous allons les examiner individuellement.
La plupart des gens ont supposé que sa source pour la déclaration de Joseph Smith était
son propre souvenir et en ont donc contesté la crédibilité parce quil
navait que onze ans en 1837 et que cinquante-cinq ans séparaient son souvenir de
lévénement. En réalité, ce nétaient pas ses propres souvenirs que
Huntington rapportait, mais ceux de quelquun dautre. La source directe de son
article était une note portée en 1881 dans son journal intime [3]. Mais cette note fait
partie dun ensemble de réminiscences, long de dix pages, quil avait
recueillies auprès de plusieurs sources quil avait « pris du temps et
sétait donné du mal à rassembler [4] ». Voici sa description de ce que lui Philo
Dibble lui a dit :
« Les habitants de la lune sont dune taille plus uniforme que ceux de la terre ;
ils ont une taille de plus ou moins un mètre quatre-vingts.
« Ils shabillent de vêtements qui ressemblent beaucoup à ceux des quakers et ont
un style ou un mode vestimentaire très général.
« Ils vivent très vieux, atteignant généralement près de mille ans
« Cest la description quen donne Joseph le Voyant et il pouvait
Voir tout ce quil demandait au Père au nom de Jésus de voir.
« Je lai entendu dire quil pouvait demander au Père ce quil
voulait au nom de Jésus et cela lui était accordé et je nai pas plus de
doute là-dessus que je nai de doute que ce sont les émeutiers qui lont tué
[5]. »
Il faut maintenant se poser la question de savoir quelle était la source de Dibble. Il ne
dit pas si lhistoire est son souvenir personnel ou celui de quelquun
dautre. Je nai trouvé aucun autre renseignement là-dessus excepté le fait
quil était collectionneur et quil sétait donné beaucoup de mal pour
recueillir et exhiber une collection sur la vie et la mort de Joseph Smith, quil
avait exposée dans plusieurs localités mormones. Cest lors dune de ces
expositions, en janvier 1881, que Huntington obtint de Dibble la déclaration de Joseph
Smith sur les hommes de la lune [6]. Cette déclaration est donc tout au plus une
réminiscence sensationnaliste, tardive et au troisième degré et donc en soi une source
dont la fiabilité historique est très contestable. Cette déclaration plus une autre
encore moins impressionnante représentent tout ce quon a comme témoignage de ce
que Joseph Smith ait dit que la lune était habitée.
Bien quil nait pas été prouvé que Joseph Smith croyait aux hommes de la
lune, plusieurs de ses proches collaborateurs y croyaient, eux. Hyrum, le propre frère de
Joseph Smith, a affirmé dans un sermon prononcé en 1843 sur « la pluralité des dieux
et des mondes », préservé par George Laub, sa croyance que la lune était habitée :
«
Toutes les étoiles que nous voyons sont un monde et sont habitées tout comme
ce monde est peuplé. Le soleil et la lune sont habités et les étoiles
Les
étoiles sont habitées au même titre que la terre [7]. »
Le président Brigham Young a énoncé la même idée dans un sermon prononcé le 24
juillet 1870 :
« Qui peut nous parler des habitants de cette petite planète qui brille le soir,
quon appelle la lune ? Quand nous regardons sa face, nous pouvons voir ce quon
appelle lhomme de la lune et ce que certains philosophes déclarent
être lombre projetée par des montagnes. Mais ces déclarations sont très vagues
et ne signifient rien ; et quand vous vous enquérez des habitants de cette sphère, vous
constatez que les plus érudits sont aussi ignorants à leur égard que les plus ignorants
de leurs semblables. Il en va de même des habitants du soleil. Pensez-vous quil y a
de la vie là-bas ? Cela ne fait pas lombre dun doute : il na pas été
fait pour rien. Il a été fait pour donner de la lumière à ceux qui demeurent dessus et
à dautres planètes [8]. »
La deuxième affirmation intéressante faite par Oliver Huntington dans larticle de
1892 est que sa bénédiction patriarcale avait prédit quil pourrait prêcher
lÉvangile sur la lune. Il mentionne aussi cette bénédiction dans un second
article pour le Journal en 1894 [9]. Dans le premier il date la bénédiction de 1837 et
dans le second, de 1836. Dans les deux il donne le Patriarche de lÉglise, Joseph
Smith, père, comme celui qui confère la bénédiction. Lextrait suivant est sans
aucun doute tiré de cette bénédiction. Il est daté du 7 décembre 1836 à Kirtland,
mais le document montre clairement que la bénédiction a été donnée à Oliver par son
père, William Huntington, plutôt que par Joseph Smith, père :
« Je pose les mains sur toi et te donne une bénédiction paternelle
tu seras
appelé à prêcher lÉvangile à cette génération
Avant datteindre
lâge de vingt et un ans, tu seras appelé à prêcher la plénitude de
lÉvangile, tu auras le pouvoir de la part de Dieu de tenlever au ciel et de
prêcher aux habitants de la lune ou des planètes si cest utile
[10]. »
Bien quil y ait divergence quant à celui qui a donné la bénédiction à Oliver,
cest incontestablement la même bénédiction que celle qui est mentionnée dans le
Young Womans Journal. Le contenu et le cadre sont semblables. Dans son article de
1894, Huntington se rappelle avoir reçu la bénédiction en 1836, lors dune
réunion de bénédictions pour la famille Huntington dans la maison de William
Huntington. La réunion avait été convoquée et était dirigée par Joseph Smith, père.
Elle dura toute la journée et Orson Pratt mit les bénédictions par écrit du mieux
quil put et « par la suite compléta, daprès les souvenirs de toutes les
personnes présentes, ce quil navait pas pu saisir des lèvres du Patriarche
[11]. »
Il semble peu probable quOliver ait reçu à deux reprises la même année la même
bénédiction de deux hommes différents. Ce qui est plus vraisemblable, cest
quOliver, qui avait dix ans à lépoque, sest trompé sur la personne
qui a donné la bénédiction, puisque les deux hommes étaient présents. Il se peut
aussi que les deux hommes aient participé à la bénédiction. Ou
encore, bien que je croie cela moins vraisemblable, une erreur a été commise lors de la
mise par écrit. La bénédiction ne fut pas enregistrée dans le livre de bénédictions
patriarcales pendant neuf ans au moins, puis elle le fut par Albert Carrington en même
temps que plusieurs autres bénédictions données à dautres membres de la famille
Huntington.
En fin de compte, lexistence de cette divergence est beaucoup moins intéressante
que le fait que cette bénédiction a existé, une bénédiction qui postulait
lexistence dhommes de la lune et a été donnée en la présence du
Patriarche, de lapôtre Orson Pratt et de la famille Huntington et de sa parenté.
Les livres de bénédictions patriarcales qui se trouvent dans les archives de
lÉglise ne sont pas accessibles pour la recherche. Il nest donc actuellement
pas possible de déterminer si lidée de prêcher aux habitants de la lune exprimée
dans cette bénédiction à Oliver Huntington était courante ou exceptionnelle.
Ce que je trouve surprenant, cest que lon nait pas trouvé davantage de
mormons qui aient déclaré croire que la lune était habitée. Plusieurs des
révélations les plus anciennes en 1830 (Moïse 1) et en 1832 (D&A 76) imposaient au
mormonisme de croire en de nombreux mondes habités. Mais il semble bien que les mormons
se soient rarement posé la question de savoir lesquels des corps célestes
létaient. Il est probable que ceux qui croyaient aux hommes de la lune y croyaient
parce que cétait une idée courante à leur époque plutôt que parce quils
croyaient que Joseph Smith avait été inspiré à révéler lexistence de tels
êtres. Si lon se base sur les sources existantes, il serait difficile de conclure
que la croyance en une lune habitée était générale chez les mormons du XIXe siècle et
il serait certainement faux den conclure, en outre, que cétait une prise de
position fondamentale, que ce soit de la part de Joseph Smith ou de la part du mormonisme.
Au cours de la première moitié du XIXe siècle, les savants ont pu être en désaccord
sur la question de la vie intelligente sur la lune, mais pareille idée nétait en
aucune façon une idée discréditée. William Herschel décéda en 1822. Il était le
plus grand astronome de son temps ; cest lui qui découvrit la planète Uranus en
1781 et il devint lastronome officiel du roi George III. En 1976, Patrick Moore,
directeur de la section lunaire de la British Astronomical Association, écrivit à propos
de William Herschel :
« Il est possible que comme observateur il nait jamais été égalé et entre 1781
et sa mort, en 1822, tous les honneurs que le monde scientifique pouvait conférer, il les
a reçus. Ses idées concernant la vie dans le système solaire étaient donc
surprenantes. Il croyait quil était possible quil y ait, sous la surface
flamboyante du soleil, une région où des hommes pouvaient vivre et il considérait
lexistence dune vie sur la lune comme « une certitude absolue ».
En 1780, Herschel demanda dans une lettre à un astronome incrédule :
« Qui peut dire quil nest pas extrêmement probable, que dis-je, tout à fait
indubitable, quil doit y avoir des habitants dune sorte ou dune autre
sur la lune ? [12] »
Dautre part, en 1822, lastronome allemand Gruithuisen annonça quil
avait découvert une ville lunaire avec un ensemble de remparts gigantesques
sétendant sur 37 kilomètres dans les deux directions [13]. Ce ne fut quen
1838, avec la publication des écrits de Beer et Madler, que le monde scientifique en vint
à la conclusion que la lune est absolument incapable de supporter des formes de vie
supérieures [14]. Toutefois ceci eut peu deffet immédiat sur les croyances
populaires. Il fallut au moins 60 ans pour que la conclusion scientifique devienne la
conclusion populaire [15].
Pendant toute la période de la croyance aux hommes de la lune, il nest aucune
année qui puisse se comparer à 1835 pour ce qui est de lintérêt et de la
publicité. Cette année-là fut commis le Grand Canular Lunaire, sans doute la plus
grande farce scientifique de tous les temps.
En 1833, le célèbre astronome John Herschel, fils de William Herschel, mit à la voile
pour le Cap de Bonne Espérance pour faire le relevé du ciel de lhémisphère sud
comme son père lavait fait dune manière si approfondie pour
lhémisphère nord. Il y resta pendant cinq ans jusquen 1838. En 1835, Richard
Locke, reporter pour le New York Sun, décida de profiter de trois faits : tout le monde
savait que John Herschel était de lautre côté du monde avec un grand télescope,
il y avait un grand intérêt pour la lune et les communications étaient lentes.
Le 23 août 1835, le New York Sun publia la première partie du rapport en six épisodes
de Locke sous le titre: « Grandes découvertes astronomiques faites récemment par Sir
John Herschel au Cap de Bonne Espérance ». Les cinq épisodes suivants parurent les cinq
jours suivants. Les articles étaient habilement écrits et connurent un grand succès.
Locke décrivit tout dabord la construction et le fonctionnement du nouveau
télescope de Herschel. En perfectionnant les innovations de son père et avec
lappui financier de nul autre que le roi de Grande Bretagne soi-même, écrivit
Locke, il réussit à construire un télescope tellement puissant quil rapprocha la
surface de la lune jusquà « une proximité apparente denviron quatre-vingts
mètres ». Lobjectif avait un diamètre de sept mètres et pesait 6717 kilos après
avoir été poli et son pouvoir dagrandissement était estimé à 42.000 fois. Il
était constitué « dun amalgame de deux parties de couronne pour une partie de
flint-glass » moulé, le 27 janvier 1833, avec un succès total par Hartley & Grant
Dunbarton
Il était donc présumé capable de représenter, dune manière
parfaitement distincte, des objets ayant un diamètre de trente centimètres. » Locke
poursuivit :
« Tout cela sest fait dans un secret si absolu que la présente publication
est la première que le monde scientifique dEurope lui-même connaisse de ce grand
système de découvertes. »
Le télescope fut finalement prêt à fonctionner le 10 janvier 1835. Après les derniers
réglages, Herschel
«
marqua un arrêt de plusieurs heures pour se préparer lesprit à déchirer
le voile qui pouvait faire provisoirement de lui le seul dépositaire des merveilleux
secrets de ce monde jusqualors à labri des regards. Colomb avait découvert
un continent, lui était sur le point de découvrir un globe. »
Après ces préliminaires, Locke révéla tout, chaque épisode étant plus étonnant que
le précédent.
Au premier coup dil, Sir John vit diverses formations rocheuses et ensuite une
saillie rocheuse à pic couverte dune fleur rouge foncé, « la première production
organique dun monde étranger jamais révélée aux yeux de lhomme ». Il fut
ensuite ravi de voir une forêt lunaire. Il réussit à classifier 38 espèces
darbres forestiers et presque deux fois ce nombre de plantes. Il vit ensuite une
plaine verte bien plate et un lac dun bleu profond dont les grandes vagues blanches
se brisaient sur une plage de sable blanc brillant. Mais jusqualors il navait
observé aucune vie animale.
Lexcitation monta quand on ajusta le télescope à la limite de son agrandissement.
Cest alors quà lombre des bois » il vit des troupeaux ininterrompus de
quadrupèdes bruns ayant toutes les caractéristiques extérieures du bison », mais avec
« un appendice charnu sur les yeux qui était levé et abaissé à laide des
oreilles
Il vint immédiatement à lesprit vif du Dr Herschel que
cétait là un accessoire providentiel pour protéger les yeux de lanimal des
grands écarts de lumière et dobscurité. »
Parmi les autres animaux, il y avait une antilope grégaire munie dune seule corne,
qui se livrait « à toutes les cabrioles innocentes dun agneau ou dun chaton
». Sur un des lacs, il vit une variété doiseaux aquatiques qui plongeaient leur
long bec dans le lac. Il regarda longtemps dans lespoir dapercevoir un poisson
lunaire, mais en vain. Toutefois, lanimal le plus remarquable fut « le castor
bipède, qui ressemble exactement au castor, seulement il na pas de queue et marche
tout le temps sur ses pattes de derrière, portant ses jeunes dans ses bras. Ses huttes
sont plus hautes et meilleures que celles de beaucoup de sauvages humains et à en juger
par la fumée qui se dégage de beaucoup dentre elles, on suppose que lanimal
connaît le feu. Lhomme ne se distingue plus comme étant lanimal qui sait
cuire ! »
Bien entendu, tout ceci devait conduire au point culminant de Locke, la découverte
dhommes de la lune, quil raconta dans son article final. Cétaient des
hommes ailés, qui furent tout dabord observés en vol. « Quand ils se tenaient
droits et dignes, ils avaient environ un mètre vingt. » Ils étaient couverts de poils
de couleur cuivre. « Ils paraissaient constamment occupés à converser avec beaucoup de
gesticulations véhémentes et on en déduisit que cétaient des êtres rationnels.
On en découvrit ultérieurement dautres, qui appartenaient visiblement à un ordre
supérieur
Et finalement un temple splendide pour le culte de Dieu, en saphir poli,
de forme triangulaire, avec un toit en or [16]. »
Les articles firent immédiatement sensation et furent réimprimés dans beaucoup de
journaux. Le Révérend Harley a fait cette évaluation :
« Quand le premier numéro parut dans le Sun de New York
lexcitation
quil provoqua fut intense. Le journal se vendit chaque jour par milliers et quand
les articles furent publiés sous forme de brochure, il sen vendit vingt mille
demblée. Pas seulement dans la jeune Amérique, mais aussi dans la vieille
Angleterre, en France et partout en Europe, lenthousiasme le plus débridé se
déchaîna [17]. »
Patrick Moore raconte aussi en détail la réception réservée aux articles :
« Les articles rencontrèrent une réception mitigée, mais certains critiques éminents
marchèrent à fond. Ces nouvelles découvertes sont à la fois probables et
plausibles, déclara le New York Times, tandis que le New Yorker pensait que les
observations avaient lancé une nouvelle ère en astronomie et dans les sciences en
général [18] ».
Le New York Evangelist publia un long résumé des articles, qui fut réimprimé le 11
septembre 1835 dans le Painesville Telegraph (Ohio), un journal que tout le monde lisait
dans le centre mormon voisin de Kirtland.
Au Massachusetts, un club féminin écrivit à Herschel pour avoir ses idées sur la
façon de prendre contact avec ces hommes de la lune et de les convertir au christianisme
[19]. Un pasteur « dit à son assemblée que, étant donné les merveilleuses
découvertes de lépoque actuelle, il sattendait à devoir leur demander un
jour une souscription pour acheter des Bibles pour les habitants enténébrés de la lune
[20]. »
Le 16 septembre, le Sun confessa son canular. Cependant, les articles ne faisaient que
décrire ce que beaucoup croyaient fermement exister sur la lune et la croyance populaire
ne se laissa pas impressionner par la confession, laquelle neut, après tout, pas
une diffusion aussi large, tant sen faut, que les articles originels. Le Painesville
Telegraph, près de Kirtland, ne reproduisit même pas la confession.
Lannée suivante, le Dr Timothy Dwight, théologien américain, dans son livre
Theology, déclara que « lon peut conclure de manière tout à fait rationnelle,
que des êtres intelligents habitent en grandes multitudes dans les régions éclairées
de la lune et sont de loin meilleurs et plus heureux que nous [21]. »
La croyance en une vie intelligente sur la lune continua pendant de nombreuses années
[22]. Selon Moore, le dernier grand partisan dune vie intelligente sur la lune fut
W. H. Pickering, qui créa en 1904 un atlas photographique et écrivit beaucoup
darticles sur la lune [23].
Ce quil y a sans doute de plus important à retirer de tout ceci, cest
quon ne peut pas juger de la crédibilité des personnalités dune
génération sur la base des données dont dispose une génération postérieure. Il est
possible aujourdhui de mettre en doute la crédibilité dune personne si elle
croit quil y a sur la lune une civilisation qui a besoin dêtre
évangélisée, mais cela ne pouvait pas être le cas dune personne professant de
telles idées au XIXe siècle.
Reste lautre question. Joseph Smith croyait-il que la lune était habitée ?
Daprès les données historiques dont nous disposons actuellement, la réponse doit
être : pas prouvé. Mais tout bien considéré, on ne peut pas nier la possibilité,
voire la probabilité quil y croyait. Pour tous les autres hommes de son époque la
question paraît tout à fait insignifiante, compte tenu, tout particulièrement, des
croyances contemporaines. Mais dans le cas des Joseph Smith, il prétendait être
prophète. Certains extrémistes décrètent que sa prétention exige quil ait, dans
tous les domaines, une connaissance supérieure à celle des autres de son temps.
Sil croyait en une fausse idée quelconque de son époque, disent ces détracteurs,
sa crédibilité doit être mise en doute. Dautres, qui ne sont pas aussi exigeants
à légard de linfaillibilité dun prophète, se sentiraient plus à
laise avec une description de la révélation de Dieu qui laisserait de la place à
lhumain et au divin. Ce que le Rév. J. R. Dummelow a si bien dit à propos des
auteurs de la Bible dans son One Volume Bible Commentary, pourrait parfaitement être
appliqué à Joseph Smith :
« Bien que purifiés et ennoblis par linfluence de Son Esprit Saint, des hommes
ayant chacun ses manières dêtre et ses dispositions, chacun avec sa formation ou
son manque de formation, chacun avec sa manière personnelle de voir les choses, chacun
influencé autrement quun autre par les différentes expériences et disciplines de
sa vie. Leur inspiration nimpliquait pas que leurs facultés naturelles soient
suspendues ; elle ne les libérait même pas des passions terrestres ; elle nen
faisait pas des machines, elle les laissait hommes.
« Cest pour cela que nous voyons que leur connaissance nétait parfois pas
plus grande que celle de leurs contemporains
[24]. »
La description que Dummelow fait de lauteur de la Genèse est tout autant
dapplication :
« Ses connaissances scientifiques peuvent être limitées par lhorizon de
lépoque à laquelle il vivait, mais les vérités religieuses quil enseigne
sont irréfutables et éternelles [25]. »
Il ne faut pas douter que certains détracteurs persisteront à croire que larticle
de 1892 dOliver B. Huntington a été dévastateur pour Joseph Smith et pour le
mormonisme. Certains mormons bien décidés nieront dogmatiquement jusquau bout que
Joseph Smith ait jamais, ne serait-ce quun instant, cru aux hommes de la lune. Et je
crois bien que certains fondamentalistes ardents témoigneront avec ferveur que quand les
hommes feront réellement le tour de la lune ils seront accueillis par un vieux gentleman
ressemblant à un quaker, ce qui prouvera de manière empirique linspiration divine
de Joseph Smith, le Prophète.
Notes
[1] Young Womans Journal, 3:263, 264.
[2] Jay Jacobson, « Three Reasons not to Become a Mormon », p. 7.
[3] Utah State Historical Society, texte dactylographié, p. 166.
[4] Id. p. 160.
[5] Id. p. 188.
[6] Id. p. 161, 168.
[7] BYU Studies, 18:177.
[8] JD 13 :271.
[9] Young Womans Journal, 5:346.
[10] Patriarchal Blessings Books, 9:294, 295.
[11] Young Womans Journal, 5:345, 346.
[12] Patrick Moore, New Guide to the Moon, W. W. Norton & Company, New York, 1976, p.
28.
[13] Id. p. p. 129.
[14] Id.
[15] Le Rév. Timothy Harley, Moon Lore, Swan Sonnenschein, Londres, 1885, pp. 241, 256.
[16] Moore, pp. 130-131 ; Painesville Telegraph, 11 septembre 1835.
[17] Harley, p. 42.
[18] Moore, p. 32.
[19] Id. p. 132.
[20] Harley, p. 43.
[21] Timothy Dwight, Theology, p. 91.
[22] Harley, pp. 249-257.
[23] Moore, p. 133.
[24] J. R. Dummelow, One Volume Bible Commentary, p. cxxxv.
[25] Id. p. xxx.
|