Les détracteurs de l’Eglise et de ses dirigeants sont intarissables dans leurs trouvailles pour les discréditer. La technique est invariablement la même : en dire juste assez pour donner une mauvaise impression ou pour ridiculiser et surtout ne jamais traiter le sujet à fond pour ne pas perdre le mauvais effet que l’on veut faire passer. Récemment, un lecteur nous a interrogés sur Joseph Smith, Brigham Young et les hommes de la lune. Le texte antimormon qu’il citait faisait une vague allusion à Van Hale, histoire de faire semblant d’être honnête, mais c’était trop peu pour qu’on se fasse une opinion et qui va retrouver un article de 1982 ? Nous, nous l’avions. Mise au point.

LES MORMONS ET LES HOMMES DE LA LUNE

Un coup d’œil sur les croyances du XIXe siècle concernant la lune, sa flore, sa faune, ses habitants

Van Hale
Sunstone, vol. 7, n° 5, septembre-octobre 1982, pp. 12-17

En 1892, l’article suivant, long d’une page, parut dans le Young Woman’s Journal. Son auteur, Oliver B. Huntington, écrivait :

« Depuis des temps immémoriaux et jusqu’à tout récemment, les astronomes et les philosophes ont affirmé que la lune était inhabitée, qu’elle n’avait pas d’atmosphère, etc. Mais des découvertes récentes, faites grâce à des télescopes puissants, ont jeté le doute chez les scientifiques concernant cette vieille théorie.

« Presque toutes les découvertes faites par les hommes ces cinquante dernières années ont contribué d’une manière ou d’une autre, que ce soit directement ou indirectement, à prouver que Joseph Smith était un Prophète.

« Je sais que dès 1837 il disait que la lune était habitée par des hommes et des femmes tout comme la terre et qu’ils vivaient jusqu’à un âge plus avancé que nous, qu’ils vivaient généralement jusqu’à l’âge de mille ans.

« Il disait des hommes qu’ils avaient en moyenne un mètre quatre-vingts de haut et qu’ils s’habillaient, de manière tout à fait uniforme, de vêtements ressemblant au style quaker.

« Dans ma bénédiction patriarcale, donnée en 1837 à Kirtland par le père de Joseph le Prophète, il m’a été dit que je prêcherais l’Évangile aux habitants des îles de la mer et… aux habitants de la lune, la planète que vous pouvez maintenant voir de vos yeux [1]. »

Les adversaires du mormonisme ont essayé d’utiliser l’affirmation percutante de Huntington que Joseph Smith croyait aux hommes de la lune pour discréditer le mormonisme. « Peut-on respecter une organisation religieuse qui publie de telles sottises ? » demandent-ils [2]. Jamais un vrai prophète ne commettrait une erreur aussi monumentale.

Reconnaissons-le, l’idée, à notre époque scientifique, que des hommes de la lune âgés de mille ans et habillés comme des quakers puissent recevoir la visite de missionnaires mormons peut avoir l’air un peu tirée par les cheveux. C’est pour cela qu’il est important de mettre le récit de Huntington dans son contexte. Par exemple, qu’en est-il de l’authenticité ou de l’exactitude de cette histoire ? À quel point de telles idées auraient-elles paru farfelues au XIXe siècle ? On pourrait alors juger de manière plus équitable si le manteau prophétique de Joseph est en jeu.

La première question est évidemment de savoir quelles étaient les sources de l’article de Huntington, ses propres souvenirs ou ceux d’une tierce personne ? Il fait allusion à deux événements distincts : une déclaration de Joseph Smith et sa propre bénédiction patriarcale. Nous allons les examiner individuellement.

La plupart des gens ont supposé que sa source pour la déclaration de Joseph Smith était son propre souvenir et en ont donc contesté la crédibilité parce qu’il n’avait que onze ans en 1837 et que cinquante-cinq ans séparaient son souvenir de l’événement. En réalité, ce n’étaient pas ses propres souvenirs que Huntington rapportait, mais ceux de quelqu’un d’autre. La source directe de son article était une note portée en 1881 dans son journal intime [3]. Mais cette note fait partie d’un ensemble de réminiscences, long de dix pages, qu’il avait recueillies auprès de plusieurs sources qu’il avait « pris du temps et s’était donné du mal à rassembler [4] ». Voici sa description de ce que lui Philo Dibble lui a dit :

« Les habitants de la lune sont d’une taille plus uniforme que ceux de la terre ; ils ont une taille de plus ou moins un mètre quatre-vingts.

« Ils s’habillent de vêtements qui ressemblent beaucoup à ceux des quakers et ont un style ou un mode vestimentaire très général.

« Ils vivent très vieux, atteignant généralement près de mille ans

« C’est la description qu’en donne Joseph le Voyant et il pouvait ‘Voir’ tout ce qu’il demandait au Père au nom de Jésus de voir.

« Je l’ai entendu dire ‘qu’il pouvait demander au Père ce qu’il voulait au nom de Jésus et cela lui était accordé’ et je n’ai pas plus de doute là-dessus que je n’ai de doute que ce sont les émeutiers qui l’ont tué [5]. »

Il faut maintenant se poser la question de savoir quelle était la source de Dibble. Il ne dit pas si l’histoire est son souvenir personnel ou celui de quelqu’un d’autre. Je n’ai trouvé aucun autre renseignement là-dessus excepté le fait qu’il était collectionneur et qu’il s’était donné beaucoup de mal pour recueillir et exhiber une collection sur la vie et la mort de Joseph Smith, qu’il avait exposée dans plusieurs localités mormones. C’est lors d’une de ces expositions, en janvier 1881, que Huntington obtint de Dibble la déclaration de Joseph Smith sur les hommes de la lune [6]. Cette déclaration est donc tout au plus une réminiscence sensationnaliste, tardive et au troisième degré et donc en soi une source dont la fiabilité historique est très contestable. Cette déclaration plus une autre encore moins impressionnante représentent tout ce qu’on a comme témoignage de ce que Joseph Smith ait dit que la lune était habitée.

Bien qu’il n’ait pas été prouvé que Joseph Smith croyait aux hommes de la lune, plusieurs de ses proches collaborateurs y croyaient, eux. Hyrum, le propre frère de Joseph Smith, a affirmé dans un sermon prononcé en 1843 sur « la pluralité des dieux et des mondes », préservé par George Laub, sa croyance que la lune était habitée :

« … Toutes les étoiles que nous voyons sont un monde et sont habitées tout comme ce monde est peuplé. Le soleil et la lune sont habités et les étoiles… Les étoiles sont habitées au même titre que la terre [7]. »

Le président Brigham Young a énoncé la même idée dans un sermon prononcé le 24 juillet 1870 :

« Qui peut nous parler des habitants de cette petite planète qui brille le soir, qu’on appelle la lune ? Quand nous regardons sa face, nous pouvons voir ce qu’on appelle ‘l’homme de la lune’ et ce que certains philosophes déclarent être l’ombre projetée par des montagnes. Mais ces déclarations sont très vagues et ne signifient rien ; et quand vous vous enquérez des habitants de cette sphère, vous constatez que les plus érudits sont aussi ignorants à leur égard que les plus ignorants de leurs semblables. Il en va de même des habitants du soleil. Pensez-vous qu’il y a de la vie là-bas ? Cela ne fait pas l’ombre d’un doute : il n’a pas été fait pour rien. Il a été fait pour donner de la lumière à ceux qui demeurent dessus et à d’autres planètes [8]. »

La deuxième affirmation intéressante faite par Oliver Huntington dans l’article de 1892 est que sa bénédiction patriarcale avait prédit qu’il pourrait prêcher l’Évangile sur la lune. Il mentionne aussi cette bénédiction dans un second article pour le Journal en 1894 [9]. Dans le premier il date la bénédiction de 1837 et dans le second, de 1836. Dans les deux il donne le Patriarche de l’Église, Joseph Smith, père, comme celui qui confère la bénédiction. L’extrait suivant est sans aucun doute tiré de cette bénédiction. Il est daté du 7 décembre 1836 à Kirtland, mais le document montre clairement que la bénédiction a été donnée à Oliver par son père, William Huntington, plutôt que par Joseph Smith, père :

« Je pose les mains sur toi et te donne une bénédiction paternelle… tu seras appelé à prêcher l’Évangile à cette génération… Avant d’atteindre l’âge de vingt et un ans, tu seras appelé à prêcher la plénitude de l’Évangile, tu auras le pouvoir de la part de Dieu de t’enlever au ciel et de prêcher aux habitants de la lune ou des planètes si c’est utile… [10]. »

Bien qu’il y ait divergence quant à celui qui a donné la bénédiction à Oliver, c’est incontestablement la même bénédiction que celle qui est mentionnée dans le Young Woman’s Journal. Le contenu et le cadre sont semblables. Dans son article de 1894, Huntington se rappelle avoir reçu la bénédiction en 1836, lors d’une réunion de bénédictions pour la famille Huntington dans la maison de William Huntington. La réunion avait été convoquée et était dirigée par Joseph Smith, père. Elle dura toute la journée et Orson Pratt mit les bénédictions par écrit du mieux qu’il put et « par la suite compléta, d’après les souvenirs de toutes les personnes présentes, ce qu’il n’avait pas pu saisir des lèvres du Patriarche [11]. »

Il semble peu probable qu’Oliver ait reçu à deux reprises la même année la même bénédiction de deux hommes différents. Ce qui est plus vraisemblable, c’est qu’Oliver, qui avait dix ans à l’époque, s’est trompé sur la personne qui a donné la bénédiction, puisque les deux hommes étaient présents. Il se peut aussi que les deux hommes aient participé à la    bénédiction. Ou encore, bien que je croie cela moins vraisemblable, une erreur a été commise lors de la mise par écrit. La bénédiction ne fut pas enregistrée dans le livre de bénédictions patriarcales pendant neuf ans au moins, puis elle le fut par Albert Carrington en même temps que plusieurs autres bénédictions données à d’autres membres de la famille Huntington.

En fin de compte, l’existence de cette divergence est beaucoup moins intéressante que le fait que cette bénédiction a existé, une bénédiction qui postulait l’existence d‘hommes de la lune et a été donnée en la présence du Patriarche, de l’apôtre Orson Pratt et de la famille Huntington et de sa parenté. Les livres de bénédictions patriarcales qui se trouvent dans les archives de l’Église ne sont pas accessibles pour la recherche. Il n’est donc actuellement pas possible de déterminer si l’idée de prêcher aux habitants de la lune exprimée dans cette bénédiction à Oliver Huntington était courante ou exceptionnelle.

Ce que je trouve surprenant, c’est que l’on n’ait pas trouvé davantage de mormons qui aient déclaré croire que la lune était habitée. Plusieurs des révélations les plus anciennes en 1830 (Moïse 1) et en 1832 (D&A 76) imposaient au mormonisme de croire en de nombreux mondes habités. Mais il semble bien que les mormons se soient rarement posé la question de savoir lesquels des corps célestes l’étaient. Il est probable que ceux qui croyaient aux hommes de la lune y croyaient parce que c’était une idée courante à leur époque plutôt que parce qu’ils croyaient que Joseph Smith avait été inspiré à révéler l’existence de tels êtres. Si l’on se base sur les sources existantes, il serait difficile de conclure que la croyance en une lune habitée était générale chez les mormons du XIXe siècle et il serait certainement faux d’en conclure, en outre, que c’était une prise de position fondamentale, que ce soit de la part de Joseph Smith ou de la part du mormonisme.

Au cours de la première moitié du XIXe siècle, les savants ont pu être en désaccord sur la question de la vie intelligente sur la lune, mais pareille idée n’était en aucune façon une idée discréditée. William Herschel décéda en 1822. Il était le plus grand astronome de son temps ; c’est lui qui découvrit la planète Uranus en 1781 et il devint l’astronome officiel du roi George III. En 1976, Patrick Moore, directeur de la section lunaire de la British Astronomical Association, écrivit à propos de William Herschel :

« Il est possible que comme observateur il n’ait jamais été égalé et entre 1781 et sa mort, en 1822, tous les honneurs que le monde scientifique pouvait conférer, il les a reçus. Ses idées concernant la vie dans le système solaire étaient donc surprenantes. Il croyait qu’il était possible qu’il y ait, sous la surface flamboyante du soleil, une région où des hommes pouvaient vivre et il considérait l’existence d’une vie sur la lune comme « une certitude absolue ».

En 1780, Herschel demanda dans une lettre à un astronome incrédule :

« Qui peut dire qu’il n’est pas extrêmement probable, que dis-je, tout à fait indubitable, qu’il doit y avoir des habitants d’une sorte ou d’une autre sur la lune ? [12] »

D’autre part, en 1822, l’astronome allemand Gruithuisen annonça qu’il avait découvert une ville lunaire avec un ensemble de remparts gigantesques s’étendant sur 37 kilomètres dans les deux directions [13]. Ce ne fut qu’en 1838, avec la publication des écrits de Beer et Madler, que le monde scientifique en vint à la conclusion que la lune est absolument incapable de supporter des formes de vie supérieures [14]. Toutefois ceci eut peu d’effet immédiat sur les croyances populaires. Il fallut au moins 60 ans pour que la conclusion scientifique devienne la conclusion populaire [15].

Pendant toute la période de la croyance aux hommes de la lune, il n’est aucune année qui puisse se comparer à 1835 pour ce qui est de l’intérêt et de la publicité. Cette année-là fut commis le Grand Canular Lunaire, sans doute la plus grande farce scientifique de tous les temps.

En 1833, le célèbre astronome John Herschel, fils de William Herschel, mit à la voile pour le Cap de Bonne Espérance pour faire le relevé du ciel de l’hémisphère sud comme son père l’avait fait d’une manière si approfondie pour l’hémisphère nord. Il y resta pendant cinq ans jusqu’en 1838. En 1835, Richard Locke, reporter pour le New York Sun, décida de profiter de trois faits : tout le monde savait que John Herschel était de l’autre côté du monde avec un grand télescope, il y avait un grand intérêt pour la lune et les communications étaient lentes.

Le 23 août 1835, le New York Sun publia la première partie du rapport en six épisodes de Locke sous le titre: « Grandes découvertes astronomiques faites récemment par Sir John Herschel au Cap de Bonne Espérance ». Les cinq épisodes suivants parurent les cinq jours suivants. Les articles étaient habilement écrits et connurent un grand succès.

Locke décrivit tout d’abord la construction et le fonctionnement du nouveau télescope de Herschel. En perfectionnant les innovations de son père et avec l’appui financier de nul autre que le roi de Grande Bretagne soi-même, écrivit Locke, il réussit à construire un télescope tellement puissant qu’il rapprocha la surface de la lune jusqu’à « une proximité apparente d’environ quatre-vingts mètres ». L’objectif avait un diamètre de sept mètres et pesait 6717 kilos après avoir été poli et son pouvoir d’agrandissement était estimé à 42.000 fois. Il était constitué « d’un amalgame de deux parties de couronne pour une partie de flint-glass » moulé, le 27 janvier 1833, avec un succès total par Hartley & Grant Dunbarton… Il était donc présumé capable de représenter, d’une manière parfaitement distincte, des objets ayant un diamètre de trente centimètres. » Locke poursuivit :

« Tout cela s’est fait dans un secret si absolu que la présente publication… est la première que le monde scientifique d’Europe lui-même connaisse de ce grand système de découvertes. »

Le télescope fut finalement prêt à fonctionner le 10 janvier 1835. Après les derniers réglages, Herschel

« …marqua un arrêt de plusieurs heures pour se préparer l’esprit à déchirer le voile qui pouvait faire provisoirement de lui le seul dépositaire des merveilleux secrets de ce monde jusqu’alors à l’abri des regards. Colomb avait découvert un continent, lui était sur le point de découvrir un globe. »

Après ces préliminaires, Locke révéla tout, chaque épisode étant plus étonnant que le précédent.

Au premier coup d’œil, Sir John vit diverses formations rocheuses et ensuite une saillie rocheuse à pic couverte d’une fleur rouge foncé, « la première production organique d’un monde étranger jamais révélée aux yeux de l’homme ». Il fut ensuite ravi de voir une forêt lunaire. Il réussit à classifier 38 espèces d’arbres forestiers et presque deux fois ce nombre de plantes. Il vit ensuite une plaine verte bien plate et un lac d’un bleu profond dont les grandes vagues blanches se brisaient sur une plage de sable blanc brillant. Mais jusqu’alors il n’avait observé aucune vie animale.

L’excitation monta quand on ajusta le télescope à la limite de son agrandissement. C’est alors qu’à l’ombre des bois » il vit des troupeaux ininterrompus de quadrupèdes bruns ayant toutes les caractéristiques extérieures du bison », mais avec « un appendice charnu sur les yeux qui était levé et abaissé à l’aide des oreilles… Il vint immédiatement à l’esprit vif du Dr Herschel que c’était là un accessoire providentiel pour protéger les yeux de l’animal des grands écarts de lumière et d’obscurité. »

Parmi les autres animaux, il y avait une antilope grégaire munie d’une seule corne, qui se livrait « à toutes les cabrioles innocentes d’un agneau ou d’un chaton ». Sur un des lacs, il vit une variété d’oiseaux aquatiques qui plongeaient leur long bec dans le lac. Il regarda longtemps dans l’espoir d’apercevoir un poisson lunaire, mais en vain. Toutefois, l’animal le plus remarquable fut « le castor bipède, qui ressemble exactement au castor, seulement il n’a pas de queue et marche tout le temps sur ses pattes de derrière, portant ses jeunes dans ses bras. Ses huttes sont plus hautes et meilleures que celles de beaucoup de sauvages humains et à en juger par la fumée qui se dégage de beaucoup d’entre elles, on suppose que l’animal connaît le feu. L’homme ne se distingue plus comme étant l’animal qui sait cuire ! »

Bien entendu, tout ceci devait conduire au point culminant de Locke, la découverte d’hommes de la lune, qu’il raconta dans son article final. C’étaient des hommes ailés, qui furent tout d’abord observés en vol. « Quand ils se tenaient droits et dignes, ils avaient environ un mètre vingt. » Ils étaient couverts de poils de couleur cuivre. « Ils paraissaient constamment occupés à converser avec beaucoup de gesticulations véhémentes et on en déduisit que c’étaient des êtres rationnels. On en découvrit ultérieurement d’autres, qui appartenaient visiblement à un ordre supérieur… Et finalement un temple splendide pour le culte de Dieu, en saphir poli, de forme triangulaire, avec un toit en or [16]. »

Les articles firent immédiatement sensation et furent réimprimés dans beaucoup de journaux. Le Révérend Harley a fait cette évaluation :

« Quand le premier numéro parut dans le Sun de New York… l’excitation qu’il provoqua fut intense. Le journal se vendit chaque jour par milliers et quand les articles furent publiés sous forme de brochure, il s’en vendit vingt mille d’emblée. Pas seulement dans la jeune Amérique, mais aussi dans la vieille Angleterre, en France et partout en Europe, l’enthousiasme le plus débridé se déchaîna [17]. »

Patrick Moore raconte aussi en détail la réception réservée aux articles :

« Les articles rencontrèrent une réception mitigée, mais certains critiques éminents marchèrent à fond. ‘Ces nouvelles découvertes sont à la fois probables et plausibles‘, déclara le New York Times, tandis que le New Yorker pensait que les observations ‘avaient lancé une nouvelle ère en astronomie et dans les sciences en général [18]’ ».

Le New York Evangelist publia un long résumé des articles, qui fut réimprimé le 11 septembre 1835 dans le Painesville Telegraph (Ohio), un journal que tout le monde lisait dans le centre mormon voisin de Kirtland.

Au Massachusetts, un club féminin écrivit à Herschel pour avoir ses idées sur la façon de prendre contact avec ces hommes de la lune et de les convertir au christianisme [19]. Un pasteur « dit à son assemblée que, étant donné les merveilleuses découvertes de l’époque actuelle, il s’attendait à devoir leur demander un jour une souscription pour acheter des Bibles pour les habitants enténébrés de la lune [20]. »

Le 16 septembre, le Sun confessa son canular. Cependant, les articles ne faisaient que décrire ce que beaucoup croyaient fermement exister sur la lune et la croyance populaire ne se laissa pas impressionner par la confession, laquelle n’eut, après tout, pas une diffusion aussi large, tant s’en faut, que les articles originels. Le Painesville Telegraph, près de Kirtland, ne reproduisit même pas la confession.

L’année suivante, le Dr Timothy Dwight, théologien américain, dans son livre Theology, déclara que « l’on peut conclure de manière tout à fait rationnelle, que des êtres intelligents habitent en grandes multitudes dans les régions éclairées de la lune et sont de loin meilleurs et plus heureux que nous [21]. »

La croyance en une vie intelligente sur la lune continua pendant de nombreuses années [22]. Selon Moore, le dernier grand partisan d’une vie intelligente sur la lune fut W. H. Pickering, qui créa en 1904 un atlas photographique et écrivit beaucoup d’articles sur la lune [23].

Ce qu’il y a sans doute de plus important à retirer de tout ceci, c’est qu’on ne peut pas juger de la crédibilité des personnalités d’une génération sur la base des données dont dispose une génération postérieure. Il est possible aujourd’hui de mettre en doute la crédibilité d’une personne si elle croit qu’il y a sur la lune une civilisation qui a besoin d’être évangélisée, mais cela ne pouvait pas être le cas d’une personne professant de telles idées au XIXe siècle.

Reste l’autre question. Joseph Smith croyait-il que la lune était habitée ? D’après les données historiques dont nous disposons actuellement, la réponse doit être : pas prouvé. Mais tout bien considéré, on ne peut pas nier la possibilité, voire la probabilité qu’il y croyait. Pour tous les autres hommes de son époque la question paraît tout à fait insignifiante, compte tenu, tout particulièrement, des croyances contemporaines. Mais dans le cas des Joseph Smith, il prétendait être prophète. Certains extrémistes décrètent que sa prétention exige qu’il ait, dans tous les domaines, une connaissance supérieure à celle des autres de son temps. S’il croyait en une fausse idée quelconque de son époque, disent ces détracteurs, sa crédibilité doit être mise en doute. D’autres, qui ne sont pas aussi exigeants à l’égard de l’infaillibilité d’un prophète, se sentiraient plus à l’aise avec une description de la révélation de Dieu qui laisserait de la place à l’humain et au divin. Ce que le Rév. J. R. Dummelow a si bien dit à propos des auteurs de la Bible dans son One Volume Bible Commentary, pourrait parfaitement être appliqué à Joseph Smith :

« Bien que purifiés et ennoblis par l’influence de Son Esprit Saint, des hommes ayant chacun ses manières d’être et ses dispositions, chacun avec sa formation ou son manque de formation, chacun avec sa manière personnelle de voir les choses, chacun influencé autrement qu’un autre par les différentes expériences et disciplines de sa vie. Leur inspiration n’impliquait pas que leurs facultés naturelles soient suspendues ; elle ne les libérait même pas des passions terrestres ; elle n’en faisait pas des machines, elle les laissait hommes.

« C’est pour cela que nous voyons que leur connaissance n’était parfois pas plus grande que celle de leurs contemporains… [24]. »

La description que Dummelow fait de l’auteur de la Genèse est tout autant d’application :

« Ses connaissances scientifiques peuvent être limitées par l’horizon de l’époque à laquelle il vivait, mais les vérités religieuses qu’il enseigne sont irréfutables et éternelles [25]. »

Il ne faut pas douter que certains détracteurs persisteront à croire que l’article de 1892 d’Oliver B. Huntington a été dévastateur pour Joseph Smith et pour le mormonisme. Certains mormons bien décidés nieront dogmatiquement jusqu’au bout que Joseph Smith ait jamais, ne serait-ce qu’un instant, cru aux hommes de la lune. Et je crois bien que certains fondamentalistes ardents témoigneront avec ferveur que quand les hommes feront réellement le tour de la lune ils seront accueillis par un vieux gentleman ressemblant à un quaker, ce qui prouvera de manière empirique l’inspiration divine de Joseph Smith, le Prophète.

Notes

[1] Young Woman’s Journal, 3:263, 264.
[2] Jay Jacobson, « Three Reasons not to Become a Mormon », p. 7.
[3] Utah State Historical Society, texte dactylographié, p. 166.
[4] Id. p. 160.
[5] Id. p. 188.
[6] Id. p. 161, 168.
[7] BYU Studies, 18:177.
[8] JD 13 :271.
[9] Young Woman’s Journal, 5:346.
[10] Patriarchal Blessings Books, 9:294, 295.
[11] Young Woman’s Journal, 5:345, 346.
[12] Patrick Moore, New Guide to the Moon, W. W. Norton & Company, New York, 1976, p. 28.
[13] Id. p. p. 129.
[14] Id.
[15] Le Rév. Timothy Harley, Moon Lore, Swan Sonnenschein, Londres, 1885, pp. 241, 256.
[16] Moore, pp. 130-131 ; Painesville Telegraph, 11 septembre 1835.
[17] Harley, p. 42.
[18] Moore, p. 32.
[19] Id. p. 132.
[20] Harley, p. 43.
[21] Timothy Dwight, Theology, p. 91.
[22] Harley, pp. 249-257.
[23] Moore, p. 133.
[24] J. R. Dummelow, One Volume Bible Commentary, p. cxxxv.
[25] Id. p. xxx.