Lettre à un sceptique
Terryl L. Givens Interpreter, 5 avril 2013
Je me suis laissé dire que certains doutes ont surgi dans votre
esprit. Je ne sais pas avec certitude ce qu'ils sont, mais j'imagine que
j'ai déjà entendu cela quelque part. J'en ai probablement entretenu
moi-même certains. Il se peut même que j’en entretienne encore. Je ne vais
pas y répondre comme vous pourriez vous y attendre. Ce que je vais dire,
c’est pourquoi beaucoup de doutes ressentis par des gens précédemment
fidèles et pleins de foi sont sans fondement et hors de propos et
résultent d’un mauvais enseignement, de conceptions naïves, de pressions
culturelles et de doctrines carrément fausses. Mais mon but principal en
écrivant cette lettre n'est pas de résoudre les incertitudes et les
perplexités qui vous affligent. Je tiens, au contraire, à les doter de la
dignité et de la gravité qu'elles méritent. Et même de les acclamer. Cela
peut sembler absurde, mais j'espère pouvoir vous montrer que ce ne l'est
pas.
Alors, tout d'abord, quelques mots sur les doutes qui sont
basés sur des idées fausses. Je vais illustrer ceci par un exemple de la
vie du plus grand intellectuel du mormonisme. Ensuite, j’examinerai cinq
autres types en particulier. L'exemple vient de B. H. Roberts.
En
1881, Roberts eut, pour la première fois, l’occasion de participer à un
débat sur le Livre de Mormon, et ce, avec un pasteur campbellite. À partir
de ce moment-là, il se consacra à la défense du Livre de Mormon. Alors
qu'il était en Angleterre en 1887 et 1888 comme président de mission pour
l’Église, il étudia à la bibliothèque Picton, recueillant, sur
l'archéologie américaine, des notes qui pourraient servir de preuves
externes à l'appui du Livre de Mormon. L’ouvrage en trois tomes qui en
résulta, New Witnesses for God, [Nouveaux témoins pour Dieu], parut en
1895, 1909 et 1911. Puis, le 22 août 1921, un jeune membre écrivit, à
l’apôtre James E. Talmage, une lettre qui allait secouer le monde de
l'apologétique mormone et réorienter radicalement l’engagement
intellectuel de Roberts lui-même vis-à-vis du mormonisme. Brève, la lettre
n’avait apparemment rien d’original. « Cher Dr Talmage », écrivait W. E.
Riter, un certain « M. Couch [un ami de Riter] de Washington, D.C., a
étudié le Livre de Mormon et pose les questions ci-jointes concernant ses
études. Auriez-vous l’amabilité d’y répondre et de m’envoyer la réponse
[1]. » Talmage transmit les cinq questions à B. H. Roberts, l'expert du
Livre de Mormon, s’attendant à une réponse rapide et routinière. Quatre
des questions traitaient d’anachronismes qu’il était assez facile à
quelqu’un qui s’y entend un tant soit peu en traduction de balayer. Mais
il y en avait une qui laissa Roberts a quia. C'était cette question : «
Comment expliquer l'immense diversité des langues indiennes, si tous sont
censés être des descendants relativement récents d'origine lamanite? »
Pour énoncer le problème en termes simples, comment, en l'espace de
seulement un millier d’années, l'hébreu de la tribu de Léhi aurait-il pu
se fragmenter et donner chacune des centaines de langues indiennes du
continent américain, depuis l’inuit jusqu’au patagon en passant par
l’iroquois et le shoshone ? Les langues ne se transforment et ne se
multiplient tout simplement pas aussi vite.
Plusieurs semaines
après la demande de Talmage, Roberts n'avait toujours pas répondu. Fin
décembre, il écrivit au président de l'Église, expliquant le retard et
demandant davantage de temps: « Tout en sachant que certaines parties de
mon traitement [précédent] des problèmes du Livre de Mormon... n'avaient
pas été tout à fait aussi convaincantes que je l’aurais aimé, j'ai
toujours cru que nous pourrions donner des explications raisonnables qui
nous permettraient de garder l’avantage sur le terrain. Cependant, en
poursuivant mes recherches récentes, et plus particulièrement dans ce qui
est, pour moi, le nouveau domaine des problèmes linguistiques, j'ai trouvé
que les difficultés étaient plus graves que je pensais ; et plus je
cherchais plus j’ai eu du mal à trouver la formulation d'une réponse aux
demandes de renseignements de M. Couch [2]. »
Roberts n'a jamais
trouvé la réponse à cette question et elle l’a perturbé le reste de sa
vie. Certains savants pensent qu'à la suite de cela et d'autres doutes, il
a perdu son témoignage de la véracité et de l'antiquité du Livre de Mormon
— mais je ne vois cela nulle part. Mais voici la leçon que nous devons
retirer de cette histoire. Le dilemme de Roberts était entièrement dû à
une fausse idée qu’il avait gobée sans discussion, sans jamais la mettre
en doute, sans jamais la soumettre à un examen critique, à savoir que Léhi
était arrivé sur un continent vide et que ses descendants furent les seuls
à finalement s’y répandre, depuis le cercle arctique jusqu’au détroit de
Magellan.
Il n’y a rien dans le Livre de Mormon qui indique que la
colonie de Léhi se soit accrue au point de remplir l'Amérique. En fait,
comme John Sorenson l’a démontré de manière concluante, toute l'histoire
du Livre de Mormon a eu lieu dans une zone d'habitation néphite et
lamanite de quelque huit cents kilomètres de long et peut-être trois cents
kilomètres de large (ou un peu plus petit que l'Idaho). Et bien qu’en 1981
encore, l’introduction au livre de Mormon rédigée par Bruce R. McConkie
ait dit que les Lamanites étaient « les principaux ancêtres des Indiens
américains », il n’y avait absolument rien dans ce livre d’Écritures qui
justifiait une affirmation aussi extravagante. C'est pourquoi, à partir de
2007, l'Église a changé le libellé de manière à dire : « les Lamanites
sont parmi les ancêtres » (je souligne). Non, le scénario le plus probable
qui s'est déroulé dans l’Amérique ancienne est que la colonie de Léhi
était une parmi des dizaines de migrations par mer et par pont terrestre.
Ses descendants ont occupé une petite zone géographique et se sont mêlés à
d'autres peuples et cultures. Roberts n’arrivait pas à comprendre comment
l’inuit et le patagon dérivaient de l’hébreu, parce que ce n’était pas le
cas. Et il n'y n'avait absolument aucune raison d'essayer de résoudre
cette quadrature du cercle. Vous le voyez, même des personnalités
brillantes et des soixante-dix ordonnés peuvent se laisser prendre par des
suppositions hâtives qui les induisent en erreur. Le fait que Joseph Smith
ait pu, à un certain moment, entretenir des notions du même genre sur la
géographie du Livre de Mormon ne fait que rendre d’autant plus impératif
que les membres ne prennent pas pour doctrine inspirée tout ce que dit un
dirigeant quel qu’il soit. Joseph lui-même s’en est plaint : « Il ne
jouissait pas du droit garanti à tout citoyen américain — celui de la
liberté d'expression. Il disait que quand il s'aventurait à donner son
opinion privée » sur divers sujets, on finissait toujours pas y voir « la
parole du Seigneur parce que cela venait de lui [3]. »
Alors,
quelles sont les notions que nous prenons pour argent comptant, qui créent
une tension intellectuelle et des remous spirituels ? J’en citerai cinq :
le manteau du prophète, la nature du rétablissement, l’exclusive mormone,
l'efficacité de la religion institutionnelle et les satisfactions de
l'Évangile — y compris la révélation personnelle. Je ne peux dire que
quelques mots de chacune d’elles mais assez, je l'espère, pour vous
inciter à examiner si celles-ci — ou d’autres bases hors de propos du même
genre — s'appliquent à vous.
1. Le manteau du prophète
Abraham a trompé Abimélec à propos de ses relations avec
Sara. Jacob a trompé Ésaü et a volé son droit d'aînesse et sa bénédiction
(mais peut-être que c'est normal parce qu'il est un patriarche et non pas
un prophète au sens strict). Moïse s’est attribué la gloire aux eaux de
Meriba et a perdu ainsi son billet d’entrée pour la terre promise. Il
s’est également rendu coupable d'homicide et a dissimulé son crime. Jonas
a ignoré l'appel du Seigneur, puis a gémi et s’est plaint plus tard parce
que Dieu ne brûlait pas Ninive comme il l’en avait menacée. Les choses ne
vont pas beaucoup mieux dans le Nouveau Testament. Paul réprimande
vertement Pierre pour ce qu'il qualifie de lâcheté et d'hypocrisie dans
son refus de considérer les païens comme leurs égaux. Il se lance ensuite
dans une vive querelle avec son collègue, l'apôtre Barnabas, et ils se
séparent. Alors, où diable allons-nous chercher l’idée que les prophètes
modernes sont des spécimens infaillibles de vertu et de perfection ?
Joseph le dit formellement : « Je ne veux pas que vous pensiez que je suis
très juste, car je ne suis pas très juste [4]. » Pour écarter toute
possibilité de doute, il a canonisé les écritures dans lesquelles il est
réprimandé pour son inconstance et sa faiblesse. Le plus révélateur dans
tout cela est D&A 124:1, où ce motif omniprésent est reconnu, et explique
: « C'est dans ce but que je t'ai suscité, afin de montrer ma sagesse par
les choses faibles de la terre » (je souligne). Embellir nos prophètes,
passés ou présents, c’est faire mentir les Écritures et c’est une forme
d'idolâtrie. Dieu dit expressément qu'il a appelé des vases faibles pour
que nous ne placions pas notre foi dans leur force ou leur puissance, mais
en Dieu. Mais ce qui est le plus paralysant, ce sont les fausses attentes
que ce paradigme crée : Quand le président Woodruff dit que le Seigneur ne
permettra jamais que ses serviteurs égarent le peuple, la seule
interprétation raisonnable que nous pouvons donner de cette déclaration,
c’est que les prophètes ne nous enseigneront jamais aucune doctrine
destructrice pour l’âme —pas qu'ils ne commettront jamais d’erreur. Le
président Kimball lui-même a condamné les enseignements de Brigham Young
sur Adam-Dieu comme étant une hérésie et en tant qu’apôtre, il qualifiait
dès 1963 l'interdiction de la prêtrise comme une « erreur possible », pour
laquelle il demandait pardon [5]. Le manteau représente les clefs de la
prêtrise, pas un niveau de sainteté ou l'infaillibilité. Dieu ne nous
aurait pas commandé d'entendre ce que les prophètes, voyants et
révélateurs ont à dire « en toute patience » si leurs paroles étaient
toujours sages et inspirées (D&A 21:5).
2. La Nature du
rétablissement
Un érudit mormon a récemment annoncé qu’il
quittait le mormonisme et se faisait baptiser dans une autre tradition
religieuse. « Les mormons croient que l'Église [chrétienne] — les versions
catholique, orthodoxe et protestante — sont complètement mortes », a-t-il
donné comme raison principale de sa défection. Il a cité ensuite un autre
dissident qui disait : « L'idée que Dieu a fait une sorte de sieste
jusqu'en 1820 me semble maintenant absurde. » Eh bien, devinez quoi ? Cela
semble absurde aux mormons aussi. John Taylor, président de l'Église, a
dit : « Il y avait des hommes, dans ces temps ténébreux, qui pouvaient
communier avec Dieu et qui, par la puissance de la foi, pouvaient écarter
le voile de l'éternité et contempler le monde invisible... Il y avait des
hommes qui pouvaient contempler le visage de Dieu, avoir le ministère
d'anges et dévoiler la destinée future du monde. Si c’est là l’âge des
ténèbres, je prie Dieu de me donner un peu d’obscurité [6]. » Joseph ne
croyait pas non plus que l’Église chrétienne était morte. Il choisit très
soigneusement ses mots quand il reformula sa première révélation
concernant le rétablissement pour dire expressément que Dieu ramenait
l'Église du désert où il l’avait nourrie pendant une période où les
ordonnances de la prêtrise n’étaient plus accomplies pour lier sur terre
et dans les cieux. De précieux morceaux de vérité étaient restés dispersés
tout au long du temps, des lieux, des religions et des cultures et Joseph
considérait que sa mission était de tout amener en un tout cohérent, pas
de réintroduire l'Évangile à partir du néant.
3.
L’exclusivité mormone
Dans le même ordre d’idées, certains
en viennent à douter du « monopole du salut » du mormonisme, comme ils
l'appellent. Il devient de plus en plus difficile d'imaginer qu'un groupe
de quelques millions de personnes, dans un monde de sept milliards
d’individus, puisse vraiment être le seul peuple élu de Dieu et le seul
héritier du salut. Je pense que cela représente la fausse idée la plus
tragiquement malheureuse qui coure sur le mormonisme. L’ironie des choses,
c'est que la conception la plus généreuse, la plus libérale et la plus
universaliste du salut dans toute la chrétienté est celle de Joseph Smith.
Nous ferions bien de noter ce que le Seigneur dit à Joseph dans Doctrine
et Alliances section 49, lorsqu'il parle de « saints hommes » dont Joseph
ne savait absolument rien et que le Seigneur s’était réservés. C’est clair
que les mormons n'ont pas le monopole de la justice, de la vérité ou de
l’approbation de Dieu. Ici et dans l'au-delà, une multitude de non-mormons
participeront à l'Église du Premier-né.
En tant que Dieu puissant,
notre Père céleste a la capacité de nous sauver tous. En tant que Père
aimant, il a le désir de le faire. C'est pourquoi, comme Joseph l'a
enseigné, « Dieu a pris des dispositions pour que chaque esprit puisse
être découvert dans ce monde » qui n'a pas délibérément et définitivement
choisi de résister à une grâce qui est plus forte que les liens de la mort
[7]. L'idée est certainement généreuse et elle semble aller avec le Dieu
qui pleure d'Hénoc, le Dieu qui nous a pris à cœur. Si une inconcevable
minorité persiste à rejeter le cours de la progression éternelle, ils sont
« les seuls » (D&A 76:37, 38) qui seront damnés, a enseigné Joseph Smith.
« Tous les autres » (D&A 76:39) seront sauvés de l'enfer de leurs
tourments privés et de l’aliénation par rapport à Dieu qui s’en est
suivie.
4. L'inefficacité de la religion institutionnelle
Dietrich Bonhoeffer a écrit ce qui a peut-être été son plus
grand sermon sur le sujet de la fausse idée de la grâce à peu de frais. Je
pense que le fléau de notre époque est la fausse idée de la spiritualité à
peu de frais. Je trouve parmi les étudiants de première année que
j'instruis un dédain quasi universel pour « la religion organisée » et en
même temps une affirmation énergique de leur spiritualité personnelle.
La nouvelle sensibilité a commencé assez innocemment avec l'expression
lyrique de William Blake, qui avançait qu’on avait plus de chance de
trouver Dieu dans la contemplation solitaire de la nature que dans les
bancs bondés des églises. Il exhortait ses lecteurs à « voir le monde dans
un grain de sable et le ciel dans une fleur sauvage / tenir l'infini dans
la paume de votre main et l'éternité dans une heure [8] ». Il a fallu un
critique marxiste, Terry Eagleton, pour faire remarquer que l'évangile de
Matthieu nous enseigne que « l'éternité ne se trouve pas dans un grain de
sable, mais dans un verre d'eau. Le cosmos s'articule sur le réconfort
apporté aux malades. Lorsque vous agissez de la sorte, vous participez à
l'amour qui a construit les étoiles [9]. » La sainteté se trouve dans la
façon dont nous traitons les autres, pas dans la façon dont nous
contemplons le cosmos. Comme nos expériences dans le mariage, la famille
et l'amitié nous l’apprennent, il faut des relations pour créer le
frottement qui émousse nos aspérités et nous sanctifie. C’est alors et
seulement alors que les relations deviennent l'environnement dans lequel
on jouit le mieux de ces vertus rendues parfaites. Nous avons besoin de
ces vertus, pas seulement ici, mais éternellement, car « cette même
sociabilité qui existe parmi nous ici existera parmi nous là-bas,
seulement elle sera accompagnée de gloire éternelle, gloire dont nous ne
bénéficions pas maintenant » (D&A 130:2).
Vu sous cet angle, le
projet de perfection ou de purification et de sanctification n'est pas une
combine pour assurer notre avancement personnel, mais un processus
permettant de mieux remplir — et de mieux nous en réjouir — notre rôle
dans ce que Paul appelle le corps de Christ, et ce que d'aucuns qualifient
de nouvelle Jérusalem, d'assemblée générale et d'Église du Premier-né ou,
comme dans la prophétie d’Hénoc, de Sion. Il n'y a pas de Sions d’un seul
homme. Il n'y a qu’une communauté de Sion.
5. Les
satisfactions de l'Évangile/ la révélation personnelle
Brigham Young a dit : « Professer être un saint et ne pas en bénéficier de
l'esprit, c’est mettre à l’épreuve toutes les fibres du cœur, et c’est
l'une des expériences les plus douloureuses que l'homme puisse connaître
[10]. » Nous attendons de l'Évangile qu’il nous rende heureux. On nous
apprend que Dieu répond aux prières, que l’on peut s’attendre en
conséquence à toutes les bénédictions directes et prévisibles du
commandement correspondant. J'aime cette citation, parce que je pense que
Young se mettait vraiment à la place des gens. Il se rendait compte
qu'alors, comme aujourd'hui, des milliers de saints payaient au prix fort
leur choix d’être des disciples et se demandaient : « Où est la joie ? »
Et il savait que la question était provoquée par la souffrance et la
perplexité.
Je n'ai aucun réconfort facile à offrir. Je ne vais pas
vous ennuyer ni insulter votre maturité spirituelle en vous disant de
prier plus fort, de jeûner plus, de lire vos Écritures. Je sais que vous
avez déjà parcouru cette route à travers un désert aride. Mais laissez-moi
répéter ici trois idées simples : soyez patient, souvenez-vous et trouvez
du réconfort dans la compagnie des désolés. Dans sa vision, Léhi écrit
qu’il « voyag[ea] pendant l’espace de nombreuses heures dans les ténèbres
» (1 Néphi 8:8).
Avoir de la patience ne signifie pas attendre sans
réaction et avec abattement, mais prévoir activement sur la base de ce que
nous savons ; et ce que nous savons, nous devons nous en souvenir. Je
crois que se souvenir peut être la plus haute forme de dévotion. Se
souvenir, c’est sauver le sacré du vide de l'oubli. Se souvenir du
sacrifice du Christ tous les dimanches à la table de Sainte-Cène, c’est
dire non aux ravages du temps, c’est refuser de laisser son sacrifice
suprême n’être qu’un élément de plus dans le catalogue des événements
passés. Se rappeler les bénédictions passées, c’est continuer à être
reconnaissant du don et confirmer à nouveau que notre relation avec le
Donateur est quelque chose qui persiste dans l’immédiat. Très rares sont
ceux qui n’ont pas ne serait-ce qu’un seul souvenir consolateur : une
prière d'enfant exaucée, un témoignage rendu il y a longtemps, un moment
fugace de paix parfaite. Et vous, les rares qui insistez désespérément que
vous n’avez jamais entendu ne serait-ce qu’un murmure, sachez ceci : nous
n'avons pas besoin de chercher un buisson ardent quand tout ce que nous
avons besoin de faire, c’est marquer une pause et nous souvenir que nous
avons connu la bonté de l'amour, la justesse de la vertu, la noblesse de
la gentillesse et de la fidélité. Et en nous souvenant, nous pouvons nous
poser la question de savoir si ce que nous percevons dans ces beautés
n’est rien d’autre que les effets aléatoires de produits darwiniens ou
l'écriture de Dieu dans notre cœur.
Dans le même temps, le fait de
nous souvenir plutôt que de vivre des choses nous pousse vers une plus
grande indépendance et nous isole des vicissitudes du moment. Brigham
Young a dit que l'intention de Dieu était de nous rendre aussi
indépendants dans notre sphère que lui dans la sienne [11]. C'est pour
cela que les cieux se ferment de temps en temps, pour nous donner de la
place pour l'autodétermination. C'est pour cela que les saints ont eu la
joie de connaître un jour de Pentecôte dans le temple de Kirtland mais ont
rencontré le silence à Nauvoo — le silence et leurs souvenirs de Kirtland.
On peut voir le Seigneur nous guider subtilement pour remplacer le présent
par le souvenir quand il dit à Oliver : « Si tu désires un témoignage de
plus, reporte-toi à la nuit où tu as crié vers moi dans ton cœur, afin de
connaître la vérité de ces choses. N'ai-je pas apaisé ton esprit à ce
sujet? Quel témoignage plus grand peux-tu avoir que celui de Dieu? » (D&A
6:22–23). Citant C. S. Lewis, Rachael Givens écrit : « Dieu permet que des
sommets spirituels retombent dans des dépressions (souvent profondes) pour
avoir ‘des serviteurs qui peuvent finalement devenir des Fils', ‘qui se
tiennent sur leurs propres jambes — pour accomplir uniquement à force de
volonté des devoirs qui ont perdu tout attrait... évoluant de plus en plus
vers le genre de créature qu’il veut qu’ils soient.’[12] »
Enfin,
trouvez du réconfort dans ce que j'ai appelé la compagnie des désolés —
avec mère Teresa, qui a dit : « On me dit que Dieu m'aime — et pourtant,
la réalité de l'obscurité, du froid et du vide est si grande que rien ne
touche mon âme... Le ciel est fermé de tous les côtés [13]. » (…)
Écoutez Fyodor Dostoievsky qui… n’a trouvé à s’accrocher que l'ancre
dérisoire d'un unique souvenir blotti dans un silence écrasant — mais pour
ce qui est de s’y accrocher, il s’y est accroché :
« Je vais vous
dire que je suis un enfant de ce siècle, un enfant de l'incrédulité et du
doute. Je le suis aujourd'hui et je le resterai jusqu'à la tombe. La
terrible torture que cette soif de foi m'a coûtée et me coûte encore
maintenant, est d’autant plus forte dans mon âme que je trouve plus
d'arguments contre elle. Et pourtant, Dieu m'envoie parfois des instants
où je suis complètement calme ; à ces moments-là, j'aime et je me sens
aimé par les autres, et c'est à ces occasions que je me suis fait un Credo
où tout est clair et sacré pour moi. Ce Credo est très simple, le voici :
croire que rien n'est plus beau, plus profond, plus sympathique, plus
raisonnable, plus viril et plus puissant que le Christ [14]. »
Conclusion
Il se peut qu’aucune de ces situations
ne s'applique à vous. Vous avez peut-être un ensemble tout à fait
différent de doutes. Ou peut-être qu’aucune de mes paroles n’est
convaincante pour apaiser ces doutes. Dans ce cas, je passe à mon dernier
point, le plus important. Soyez reconnaissant de vos doutes.
Je…
suis reconnaissant de ma tendance à douter parce que cela me donne la
capacité de croire librement. J'espère que vous trouverez votre manière à
vous de ressentir la même chose. L'appel à la foi est une invitation à
engager le cœur, à l’accorder pour qu’il entre en résonnance par sympathie
avec les principes, les valeurs et les idéaux que nous espérons de tout
cœur être vrais et que nous avons des motifs raisonnables, mais pas
certains de croire qu’ils sont vrais. Il doit y avoir des raisons de
douter aussi bien que de croire pour que le choix soit plus véritablement
un choix et par conséquent un choix plus délibéré et chargé d’une
vulnérabilité et d'un investissement plus personnels. Une prépondérance
écrasante des preuves, que ce soit d’un côté ou de l’autre, rendrait notre
choix aussi dénué de sens que si une arme chargée était pointée sur notre
tête. L'option de croire doit apparaître sur notre horizon personnel comme
le fruit du paradis, perché précairement entre des séries d’exigences
maintenues dans une tension dynamique. Heureusement, dans ce monde, on est
toujours équipé de suffisamment de matériaux pour en façonner une vie de
conviction crédible ou de refus dédaigneux. En d'autres termes, nous
sommes sollicités par des appels à nos valeurs personnelles, à nos
aspirations, à nos peurs, à nos appétits et à notre égo. Ce que nous
choisissons d'adopter, ce à quoi nous décidons d’être sensibles, est le
plus pur reflet de ce que nous sommes et de ce que nous aimons. C'est pour
cela que la foi, le choix de croire, est, en dernière analyse, une action
qui est positivement chargée de signification morale.
Dans cette
optique, l'appel à la foi n'est pas un quelconque test imposé par un dieu
malicieux qui attend de voir si nous donnons la bonne réponse. C'est le
seul appel lancé dans les seules conditions qui peuvent nous permettre de
révéler pleinement qui nous sommes, ce que nous aimons le plus et ce que
nous désirons avec le plus de ferveur. Sans contrainte, sans aucune forme
de contrainte mentale, l'acte de croyance devient la projection la plus
libre possible de ce qui réside dans notre cœur. Comme l'image utilisée
par le poète de la cloche d'église qui ne révèle sa musique latente que
lorsqu’on la fait sonner ou de la libellule qui ne fait flamboyer sa
beauté que quand elle vole, le contenu du cœur humain reste enfoui jusqu'à
ce que l'appel à l’action l’en fasse sortir. Le plus grand acte de
révélation de soi se produit lorsque nous choisissons ce que nous allons
croire, dans cet espace de liberté qui existe entre savoir qu'une chose
est et savoir qu'une chose n'est pas.
C'est cela le domaine où la
foi opère ; et quand la foi est un geste librement choisi, elle exprime
quelque chose d'essentiel sur le moi.
La révélation moderne, en
parlant des dons spirituels, note que, tandis qu’il est donné à certains
de connaître intégralement la vérité du Christ et de sa mission, à
d'autres est donné le moyen de persévérer en l'absence de certitude. Le
Nouveau Testament explique que les mortels qui opèrent dans la zone grise
entre la conviction et l'incrédulité sont ceux qui sont le mieux placés
pour choisir de la manière la plus judicieuse et avec les conséquences les
plus importantes.
Les pas hésitants de Pierre sur l’eau rendent
bien le rythme que connaissent la plupart de ceux qui sont en recherche.
Il marche avec foi, il trébuche, il s’enfonce mais il est embrassé par le
Christ avant que les vagues ne l’engloutissent. Beaucoup d'entre nous
vivront leur vie dans le doute, comme le père anonyme dans l'évangile de
Marc. Il va trouver Jésus, désemparé par la souffrance de son fils
affligés et dit simplement : « Je crois, viens au secours de mon
incrédulité » (Marc 9:24). Quoique marchant dans le brouillard du doute,
pris entre la croyance et l'incrédulité, il a fait un choix et la
conséquence a été la guérison de son enfant.
« Le plus élevé de
tout n’est pas de comprendre le plus élevé, mais d’agir en conséquence »,
a écrit Kierkegaard [15]. Les miracles ne dépendent pas d’une foi sans
faille. Ils sont donnés à ceux qui doutent aussi bien qu'à ceux qui
savent. Il y a du profit à trouver et des avantages à avoir, même —
peut-être surtout — en l'absence de certitude.
Tiré d’un exposé
fait le 14 octobre 2012 lors d’une veillée dans le pieu pour adultes seuls
de Palo Alto, Californie. Révisé les 22 octobre 2012/14 novembre 2012.
1. W. E. Riter à Talmage, 22 août 1921, dans B. H. Roberts,
Studies of the Book of Mormon, dir. de publ. D. Brigham Madsen, Salt Lake
City, Signature, 1992, p. 35. 2. B. H. Roberts à Heber J. Grant et al.,
29 décembre 1921, dans Roberts, Studies of the Book of Mormon, p. 46.
3. Hyrum L. Andrus et Helen Mae Andrus, They Knew the Prophet: Personal
Accounts from over 100 People Who Knew Joseph Smith, Salt Lake City,
Bookcraft, 1974, p. 140. 4. Manuscript History of the Church D-1, p.
1555–1557. 5. Kimball, Teachings of Spencer W. Kimball, dir. de publ.
Edward L. Kimball, Salt Lake City, Bookcraft, 1995, p. 448–449. 6. John
Taylor, dans Brigham Young et al., Journal of Discourses, 26 vols., par G.
D. Watt etc., Liverpool, F. D. et S. W. Richards, et al., 1851–1886 ;
réimpr., Salt Lake City, n.p., 1974, 16:197–198. 7. Joseph Smith, Words
of Joseph Smith, dir. de publ. Andrew F. Ehat et Lyndon W. Cook, Orem, UT,
Grandin, 1991, p. 360. 8. William Blake, Auguries of Innocence, sur
http://www.poetryloverspage.com/poets/blake/to_see_world.html. 9. Terry
Eagleton, The Meaning of Life: A Very Short Introduction, New York, Oxford
University Press, 2008, p. 95. 10. Journal of Discourses, 12:168.
11. Voir Journal of Discourses, 3:252, 13:33. 12. Voir C. S. Lewis, The
Screwtape Letters (1941; réimpression, New York, Harper Collins, 1996, p.
39–40, cité dans Rachael Givens, “Mormonism and the Dark Night of the
Soul,” sur
http://www.patheos.com/blogs/peculiarpeople/2012/09/mormonisms-dark-night-of-the-soul/.
13. Mère Teresa, Come Be My Light, New York, Random House Digital, 2009,
p. 202. 14. Joseph Frank, Dostoevsky: The Years of Ordeal, 1850–1859,
Princeton, NJ, Princeton University Press, 1987, p. 160. 15. Søren
Kierkegaard, The Soul of Kierkegaard: Selections from His Journals, dir.
de publ. Alexander Dru, Mineola, New York, Dover, 2003, p. 213.
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