ETHAN SMITH, VIEW OF THE HEBREWS
Ed. Charles D. Tate Jr, 1825 2nd ed. Provo,
Utah: BYU Religious Studies Center, 1996.
Lecture et commentaire par Andrew H. Hedges
Farms Review of Books Vol. 9, no. 1 p. 62-68 (1997)
A première vue, il paraît étrange que la Faculté de Religion de Brigham
Young publie un livre qui a été utilisé pendant de nombreuses générations
par ceux qui critiquaient l'église. Ces derniers affirmaient que le Livre
de Mormon ne provenait pas de plaques d'or, traduites à l'aide de l'Urim
et du Thummim, mais était le plagiat d'un livre écrit par un certain Ethan
Smith. Il est d'autant plus bizarre de lire dans la préface, que ce livre
n'a plus été publié depuis 1825 et qu'il est difficile d'en trouver une
copie. Il est donc légitime de se demander pourquoi l'église remet à la
disposition de tous, un livre qui a été la source de tant d'attaques
contre elle ? Y a-t-il un réel besoin d'une nouvelle impression de View
of the Hebrews ?
En fait, oui. Il suffit de passer une après-midi à lire les plus récents
livres et essais qui s'attaquent à Joseph Smith et à l'église rétablie,
affirmant que le Livre de Mormon n'est qu'un simple produit du dix
neuvième siècle, pour réaliser que la nécessité d'avoir accès à des copies
de View of the Hebrews par Ethan Smith n'a peut-être jamais été
aussi importante qu'à notre époque. Le nombre de personnes affirmant que
Joseph Smith a plagié View of the Hebrews a augmenté au fur et à
mesure que l'accès à ce livre diminuait. A vrai dire, d'après Charles D.
Tate Jr, le nombre d'auteurs utilisant cette accusation a connu une
croissance importante depuis que I. Woodbridge Riley a émis cette idée en
1903. L'édition devenant de plus en plus rare, très peu d'érudits ont eu
l'accès à une copie du travail d'Ethan Smith complète et en bon état.
Cette nouvelle édition donne donc la possibilité à celui qui le désir de
vérifier par lui-même s'il est vrai que View of the Hebrews est une
source du Livre de Mormon.
Ainsi ceux qui prendront le temps de lire cette œuvre, si souvent citée
d'Ethan Smith, mais si rarement lue et comparée avec le Livre de Mormon,
trouveront l'expérience merveilleuse et renforçant leur foi. Plus ils
avanceront dans la lecture de View of the Hebrews et plus
ils verront que le Livre de Mormon ne peut pas avoir ses origines dans ce
livre.
Le contexte dans lequel Ethan Smith écrivit son livre était lourd de
traditions, comme nous l'a rappelé Richard Bushman, les érudits anglais
identifiaient à cette époque les aborigènes américains comme étant des
descendants du peuple d'Israël et ce, depuis le seizième siècle[1]. Cette
idée atteint les côtes de L'Amérique au milieu des années 1640 lorsque
John Eliot, le célèbre "apôtre auprès des Indiens", Daniel Gookin, le
super intendant d'une colonie indienne dans le Massachusetts, ainsi que
d'autres Puritains, découvrirent des similitudes entre la culture des
Algonquiens et les pratiques du peuple d'Israël à l'époque de l'Ancien
Testament. Ces similitudes étaient si frappantes que cette nouvelle idée
modifia la croyance de l'époque que les Indiens étaient des gentils venus
d'Asie. La nouvelle conception était alors que les Indiens étaient des
descendants des Hébreux qui étaient arrivés en Amérique par une bande de
terre reliant l'Asie au nouveau continent, et que ceux-ci étaient donc les
descendants des tribus perdues[2]. Plusieurs générations ont débattu et
ont soutenu cette idée jusqu'en 1775 lorsque James Adair la développa en
détail dans son livre History of the American Indians[3]. View
of the Hebrews, par Ethan Smith, n'est qu'un livre parmi de nombreux
autres livres et publications écrits sur ce sujet en Angleterre et en
Amérique. Dans le sillon formé par le livre d'Adair, il fait écho aux
hypothèses des Puritains qui affirmaient que les Indiens étaient
descendants des dix tribus, qu'ils s'étaient éloignés de leurs croyances,
et qui étaient venus en Amérique en passant par l'Asie soit à pied sec,
soit en canoë, ou en bateau[4].
Une lecture attentive de View of the Hebrews montre que le livre
est assez inflexible, basé sur une lecture relativement conservatrice du
texte biblique, ainsi que sur un nombre de suppositions qui sont tellement
interdépendantes, que si l'on rejette un seul élément, tout le modèle
s'écroule. Toute modification ne pourrait être que minime ou
insignifiante, ce qui explique pourquoi les grandes lignes de ce modèle de
croyance restèrent inchangées au cours de ces deux siècles de discussion.
Par exemple, les hommes d'église au cours de ces siècles menèrent des
débats pour savoir combien de traditions de la loi mosaïque les Indiens
avaient gardé après être arrivé en Amérique. Ils pouvaient mener de tels
débats parce que ceux-ci n'altéraient en rien la structure de cette
croyance qui affirmait qu'une migration d'Israélites ayant une certaine
connaissance de l'Ancien Testament s'était effectuée avant l'ère
chrétienne. Les hommes d'église, toutefois, en aucun cas et à aucun
moment, n'ont discuté de la possibilité que les ancêtres des Indiens
savaient que le Christ allait naître avant cet événement et pratiquaient
les ordonnances du Nouveau Testament tel que le baptême, ni que ceux-ci
avaient été visités par le Christ après sa résurrection. Ces sujets ne
pouvaient être abordés, car cette simple hypothèse aurait littéralement
violé leur compréhension de la bible, ainsi que les découvertes qu'ils
avaient faites chez les Indiens.
Pour qu'une telle hypothèse puisse être considérée comme vraie, dans le
contexte du début de l'histoire des Etats-Unis, partant de leur
compréhension de la bible à cette époque, les ancêtres des Indiens
auraient dû rencontrer des Chrétiens, qui auraient quitté l'ancien monde
après l'époque du Christ[5]. Ce type d'idée s'opposait complètement à
toute évidence anthropologique de l'époque. Aucune pratique des cultures
natives ne ressemblait aux pratiques du Nouveau Testament et,
contrairement à la thèse des tribus perdues, aucune de ces pratiques ne
trouvait sa racine dans les écritures. Ainsi, si l'idée que les ancêtres
des Indiens pratiquaient le baptême se révélait être vraie, alors le
modèle proposé par Adair, Smith et les autres ne l'étaient pas. Ces deux
modèles ne peuvent pas être tous les deux vrais. De plus, et ceci est
important, le second modèle, celui de Joseph Smith, ne pourrait être
considéré comme sans importance, sans conséquence et encore moins comme
une modification logique de la première thèse.
Bien entendu, le Livre de Mormon affirme précisément que le baptême, ainsi
que beaucoup d'autres pratiques chrétiennes étaient observées par les
ancêtres des Indiens. Ceci ne rentre pas du tout dans le cadre des
croyances du dix neuvième siècle expliquant les origines des Indiens.
Ainsi, au fur et à mesure qu'on lit View of the Hebrews, le fossé
devient de plus en plus grand avec le Livre de Mormon. De même, au fur et
à mesure que l'on comprend la complexité et l'inflexibilité du modèle
représenté par Ethan Smith, il devient de plus en plus clair que les
enseignements du Livre de Mormon concernant les origines des Indiens,
ainsi que leur destinée, étaient quelque chose de complètement nouveau sur
la scène de l'époque et représentaient bien plus qu'une simple
modification des explications qui étaient alors avancées.
En publiant à nouveau View of the Hebrews, la Faculté de Religion
de BYU a apporté une aide de valeur à qui désire poursuivre cette
question. L'introduction de Charles D. Tate Jr qui retrace le
développement du débat entourant les allégations portées contre Joseph
Smith vis à vis de View of the Hebrews est une excellente
historiographie qui permet au lecteur de tout de suite se familiariser
avec tout ce que les détracteurs et les défenseurs de Joseph Smith ont
écrit sur le sujet au cours de ces dernières années.
NOTES:
1 Richard L. Bushman, Joseph Smith and the Beginnings of Mormonism
(Urbana: University of Illinois Press, 1988), 136.
2 Daniel Gookin, Historical Collections of the Indians in New England
[1674], in Collections of the Massachusetts Historical Society, 1st ser. ,
1 (Boston : Belknap and Hall, 1792), 145-6 ; Edward Winslow, The Glorious
Progress of the Gospel amongst the Indians of New England (London, 1649),
in Collections of the Massachusetts Historical Society, 3rd ser. 4 (1834),
72-4, 93-5 ; Henry Whitfield, "The Light Appearing More and More towards
the Perfect Day; or, A Farther Discovery of the Present State of the
Indians in New England, concerning the progresse of the Gospel amongst
Them" (London, 1651), in Collections of the Massachusetts Historical
Society, 3rd ser. 4 (1834), 119-20.
3 Bushman, Joseph Smith, 124.
4 Pour un exposé sur le rapport entre les natifs du nouveau monde avec les
Juifs, voir Bushman, Joseph Smith, 124.
5 C'est pour cela qu'Alexander Campbell, un célèbre contemporain de Joseph
Smith se moqua du Livre de Mormon en disant : "les Néphites … pendant de
nombreuses générations étaient de bons Chrétiens prêchant le baptême et
d'autres usages chrétiens, et ce des centaines d'années avant la venue de
Jésus-Christ".
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